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Thursday, December 31, 2009

Les années se suivent et se ressemblent

L’année 2009 tire à sa fin. Globalement, elle n’a été ni meilleure ni pire que sa précédente. Toutefois, elle se termine bien mieux qu’elle n’a commencé.
Ses débuts, on se rappelle, ont été un peu trop durs.
La planète était secouée par une crise financière jamais vue depuis 1929, et l’armée israélienne, «la plus morale du monde» selon ses chefs, avait mobilisé son armement le plus sophistiqué, ses avions de combat les plus performants et ses bombes les plus dévastatrices contre des civils sans défense, tuant femmes et enfants par centaines, et détruisant maisons, écoles et hôpitaux par milliers.
L’agression israélienne contre Gaza qui, en fait, a commencé le 28 décembre 2008, ne s’est terminée que le 18 janvier, quelques heures avant l’entrée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Un an après, le blocus est toujours en place et aucun matériau de construction n’est autorisé à entrer dans la bande de Gaza pour reconstruire ce que les Israéliens ont détruit. Pas même le verre pour les fenêtres dont le mètre carré se négocie au marché noir de Gaza autour de 200 dollars…
Le 20 janvier, les Etats-Unis ont installé officiellement un nouveau locataire à la Maison-Blanche. L’événement avait revêtu des dimensions planétaires pour deux raisons : d’abord il s’agit du premier président noir dans l’histoire américaine, ce qui n’est pas une mince affaire; ensuite, il remplace George W. Bush, le pire président de l’histoire américaine, dont le départ étaitsaluépar un soupir de soulagement universel.
L’arrivée de ce jeune président, plein de bonne volonté, plein d’idées nouvelles qui tranchent dans bien des cas avec celles de son prédécesseur, a soulevé de gros espoirs à la mesure des gros problèmes du monde.
Toutefois, ces gros espoirs soulevés allaient s’évaporer assez rapidement pour céder la place à la déception ou, dans le cas des Palestiniens, à l’amertume. Le discours du 4 juin au Caire était oublié aussitôt, et l’homme qu’on souhaitait voir faire régner enfin la justice au Moyen-Orient, n’a même pas pu aller jusqu’au bout d’une exigence banale : l’arrêt de la construction dans les colonies qui continuent de s’élargir à un rythme effréné. Obama a vite fait de tourner le dos au processus de paix dont le blocage s’est fortement compliqué avec l’arrivée au pouvoir en Israël de Benyamin Netanyahu. Il est vrai que le Président américain a d’autres problèmes qui, pour les Etats-Unis, sont beaucoup plus urgents à résoudre que la question palestinienne : crise financière et économique, sécurité sociale et, bien sûr, les guerres d’Irak et d’Afghanistan.
Pour l’Irak, l’année 2009 n’a été ni pire ni meilleure que 2008, bien que le nombre des victimes ait diminué un peu. Un semblant de stabilité prévaut, mais les attentats continuent avec un rythme quasi quotidien, même si leur nombre et leur gravité n’ont rien à voir avec ceux des attentats de 2006 et 2007.
Pour l’Afghanistan, l’année 2009 s’est révélée la plus désastreuse en termes de victimes civiles et de morts parmi les forces étrangères depuis le début de la guerre en 2001. Il a remplacé l’Irak à latête des priorités de la politique étrangère américaine. Le Président Obama a pris tout son temps avant de décider d’envoyer finalement 30.000 soldats supplémentaires. Mais rares sont ceux qui pensent que ce nouveau contingent est en mesure de faire la différence en renversant la tendance. Les talibans afghans sont plus déterminés que jamais et les perspectives ne sont guère rassurantes pour les forces américaines et celles de l’Otan.
L’année qui s’écoule a vu l’aggravation spectaculaire de la situation au Pakistan où les talibans semblent avoir juré la perte de l’Etat pakistanais. Celui-ci a mis du temps à se décider pour affronter le danger taliban. Il a finalement envoyé son armée nettoyer la vallée du Swat. Encouragée par ce premier succès, l’armée a poussé son avance au Waziristan où elle s’est engluée dans un terrain montagneux. L’issue des combats est toujours incertaine. En dehors des zones de combat, les talibans envoient quotidiennement depuis des mois leurs kamikazes dans différentes villes pakistanaises se faire exploser dans les mosquées, les casernes et les bâtiments publics. Les pays occidentaux sont de plus en plus inquiets que les talibans ne déstabilisent le pays et ne s’emparent des armes nucléaires.
L’année qui s’écoule a vu également l’aggravation tout aussi spectaculaire de la situation en Iran où, depuis juin dernier, les manifestations sont quasi quotidiennes. En décembre, la situation s’est fortement dégradée. Le jour de l’Achoura, plusieurs morts et blessés ont été dénombrés et des centaines d’arrestations annoncées sur les sites internet de l’opposition. Il est peu probable que les choses se calmeront bientôt et l’année 2010 est, selon beaucoup d’observateurs, porteuse de gros dangers pour la stabilité du pays. Quant au dossier nucléaire qui oppose l’Iran aux pays occidentaux, l’année s’est achevée sans que l’on enregistre le moindre progrès.
L’Asie a vu en 2009 l’extinction d’un foyer de tension majeur au Sri Lanka. Après des décennies de guerre endémique qui a fait 70.000 morts, les forces gouvernementales ont finalement réussi à mettre hors de combat les Tigres tamouls.
L’Afrique continue sur la voie de la régression. Les pays subsahariens ne savent toujours pas comment faire face aux fléaux des épidémies, des guerres civiles et du sous-développement. Les coups d’Etat continuent d’ensanglanter le continent. Le dernier exemple est celui de la Guinée dont les militaires, quelques mois après la prise du pouvoir, ont commis un massacre dans un stade de Conakry que l’ONU a qualifié de «crime contre l’humanité».
En Amérique du Sud, le coup de force contre le président du Honduras, Manuel Zelaya, a aggravé la tension dans la région où le Venezuela et la Colombie sont à couteaux tirés et le Chili et le Pérou se regardent en chiens de faïence. Quant à Cuba, le blocus imposé contre elle par les Etats-Unis depuis près d’un demi-siècle est toujours en place, et l’arrivée d’Obama n’a rien changé à l’ordre des choses.
L’Europe, comme d’habitude, continue de jouir de son statut de continent paisible et prospère. L’adoption le 1er décembre du Traité de Lisbonne va lui permettre de continuer sur sa lancée unioniste et intégrationniste.
Côté catastrophes naturelles, le nombre des victimes est en forte baisse en 2009 par rapport aux années précédentes, mais les dégâts matériels sont énormes. D’après le réassureur allemand Munich Re, ils se chiffrent à 50 milliards d’euros.
Les inquiétudes face au changement climatique ont augmenté en 2009, mais, visiblement, elles ne sont pas suffisamment fortes au point d’assurer le succès du sommet climatique de Copenhague. Le sommet était un échec lamentable. La conclusion à tirer est que les intérêts économiques privés sont encore plus déterminants en termes de prise de décision que les dangers qui guettent les hommes et leur planète.
Terminons sur une note positive. La grippe A ( H1N1) a provoqué une panique universelle en 2009. Les catastrophistes prévoyaient des millions de morts. Bien qu’elle ait touché 200 pays et provoqué 10.000 morts, elle n’a pas atteint les ravages de la grippe saisonnière normale. La directrice de l’OMS a estimé il y a trois jours qu’il est trop tôt pour crier victoire. Ne crions pas victoire, mais disons qu’on l’a échappé belle. Bonne année.

Monday, December 28, 2009

L'impasse iranienne

La disparition à 87 ans de la figure emblématique de l’opposition, le grand ayatollah Hossein Ali Montazeri, n’a pas découragé les opposants qui continuent de descendre dans les rues de Téhéran et d’autres villes iraniennes et de s’affronter avec les forces de police. Dimanche était la journée la plus sanglante depuis le début des troubles en juin dernier. Quinze personnes ont été tuées dans des affrontements, dont le neveu de l’un des chefs de l’opposition, Mirhossein Moussavi.
L’Iran se prépare-t-il à de grandes secousses politiques, semblables à celles qui, il y a trente ans déjà, ont mis fin au régime impitoyable du Chah Mohamed Reza Pahlavi ? Bien malin celui qui pourra prédire l’évolution de cette crise iranienne, la plus grave depuis la révolution de 1979.
Il était déjà difficile de prévoir en juin dernier qu’une simple contestation de résultats électoraux allait évoluer en une crise politique profonde, élargissant chaque jour un peu plus le hiatus qui sépare les conservateurs, à la tête desquels le président Ahmadinejad, soutenu par le « Guide suprême », Ali Khamnei, et les réformateurs dirigés par nombre de personnalités, dont la plus connue est Mirhossein Moussavi.
Pendant les bouleversements de 1979, les deux forces antagonistes (le régime du Chah et le clergé chiite) étaient si montées l’une contre l’autre que la contradiction ne pouvait se résoudre que par la destruction de l’une d’elle. Ce n’est pas le cas la crise de 2009 qui est née des contradictions ayant pris naissance au sein de la même classe politique, celle-là même qui avait pris en charge le destin de l’Iran il y a trente ans. Mirhossein Moussavi, le principal dirigeant des réformateurs, était l’un des personnages clés de la République islamique dont il avait dirigé le gouvernement dans les années les plus difficiles, celles de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988.
Le mouvement réformateur n’était pas porté par une autre idéologie. Il n’était pas porteur d’un autre modèle de société. Il a pris naissance au sein de la classe politique iranienne. A un certain moment, ce mouvement avait même réussi à porter l’un de ses représentants, Mohamed Khatami, au poste de président de la république. En d’autres termes, ni le modèle de la république islamique, ni le concept de « Wilayet Faqih », incarné par le Guide Ali Khamenei, n’étaient en cause. Ce que demandent les réformateurs, c’est un assouplissement des règles sociales strictes qui prévalaient depuis la révolution de 1979 d’une part, et la normalisation des relations de l’Iran avec le monde extérieur, et notamment avec les Etats-Unis, d’autre part. Mais les conservateurs, inquiets de ne pouvoir contrôler l’évolution des réformes, ont mis un terme à l’expérience réformatrice du gouvernement Khatami.
L’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad s’est traduite aussitôt par un durcissement du régime aussi bien sur le plan intérieur, qu’au niveau des relations de l’Iran avec l’étranger. Le premier mandat d’Ahamdinejad a surtout servi à aiguiser les tensions avec l’opposition à l’intérieur et avec les Etats-Unis et leurs alliés à l’extérieur. La réélection d’Ahmadinejad le 12 juin dernier, largement contestée, et le programme nucléaire iranien ont servi de catalyseurs de la crise profonde que vit l’Iran depuis six mois.
L’erreur stratégique commise par les autorités conservatrices de la république islamique est qu’elles ont choisi de se battre sur deux fronts, en adoptant deux positions intransigeantes dans le cadre de leur gestion des deux crises intérieure et extérieure. Par cette politique de fuite en avant, les autorités iraniennes ont, elles mêmes, versé de l’eau au moulin de leurs adversaires à l’intérieur de l’Iran et à l’extérieur. Elles ont rendu possible une sorte de dynamique entre les deux crises. Cela veut dire que les réformateurs sont encouragés dans leurs exigences en pensant aux difficultés du régime iranien avec les pays occidentaux, et ceux-ci sont naturellement enclins à plus d’intransigeance, à mesure que les difficultés intérieures du régime s’approfondissent.
Le pouvoir conservateur en place à Téhéran aurait pu éviter l’enclenchement de cette mécanique infernale en économisant ses forces, au lieu de les gaspiller dans des batailles donquichottesques. Car aucun pouvoir au monde, quels que soient ses moyens et sa confiance en soi, ne peut remporter en même temps deux batailles contre des adversaires intérieurs et extérieurs. Une analyse lucide de la situation aurait pu permettre aux décideurs iraniens d’établir une hiérarchisation des adversaires et des dangers à affronter. Ils ont choisi la voie la plus difficile, celle de vouloir résoudre toutes les crises en même temps au risque de les exacerber toutes.
Pourtant les autorités iraniennes ont eu l’occasion de désamorcer la crise intérieure au début de la contestation des résultats des élections présidentielles de juin dernier. Cette contestation, il est important de le rappeler, n’avait pas pris la forme de communiqués de presse ou de déclarations de responsables en colère, mais de mouvements massifs de protestation et de confrontation violente avec les forces de l’ordre. Le « Guide suprême », Ali Khamenei, avait les moyens d’absorber la fureur de l’opposition en adoptant une position plus équilibrée, plutôt que de prendre fait et cause pour Ahmadinejad. En agissant de la sorte, il s’est déconsidéré aux yeux de l’opposition dont les troupes, plus furieuses encore, ont écorné un tabou en criant : « Mort à Khamenei ».
Après les affrontements de l’Achoura, les plus violents depuis le début du mouvement protestataire, les autorités iraniennes se trouvent dans l’impasse. Elles ne peuvent continuer à réprimer l’opposition sans risquer de la radicaliser ; et elles ne peuvent continuer à adopter une approche intransigeante dans leurs négociations avec les pays occidentaux sans risquer de provoquer l’intensification des sanctions.
Mais comme toutes impasses, l’impasse iranienne pourrait se résoudre par des initiatives spectaculaires basées sur des approches conciliatrices aussi bien avec l’opposition intérieure qu’avec les « 5+1 ». Il faut rappeler ici que les semaines prochaines seront difficiles pour les autorités iraniennes. Elles ont jusqu’au 15 janvier 2010 pour donner leur réponse définitive sur leur programme nucléaire et, en février, la célébration du 31eme anniversaire de la révolution risque d’être encore plus sanglante que la célébration de l’Achoura dimanche dernier.

Wednesday, December 23, 2009

Iran-USA: il est urgent de ne rien faire

L’Iran a créé la surprise en s’emparant la semaine dernière d’un puits dans un champ pétrolier litigieux sur sa frontière avec l’Irak, dont le tracé est contesté par les deux pays. Les Irakiens ont réagi vivement, exigeant le retrait des quelques soldats iraniens et du drapeau qu’ils ont planté sur le puits contesté. Les Iraniens, pour leur part, n’ont pas manqué de rappeler l’accord d’Alger signé en 1975 entre le Chah et Saddam Hussein, et que celui-ci avait renié cinq ans plus tard, plus précisément en septembre 1980, date du déclenchement de la guerre Iran-Irak. Un responsable iranien est allé même jusqu’à rappeler que le puits en question n’est rien par rapport au « trillion de dollars que l’Irak doit à l’Iran en réparation des dommages de la guerre. »
En dépit de ces prises de bec, l’incident a vite été circonscrit et les responsables des deux pays l’ont vite oublié, surtout qu’il n’a été marqué par aucune action violente ni d’un côté ni de l’autre. Il faut dire que l’Iran n’a aucun intérêt à créer maintenant un problème avec le gouvernement chiite irakien que les autorités iraniennes tentent toujours d’attirer dans leur giron. D’ailleurs si l’incursion visait réellement l’Irak, l’incident n’aurait pas été aussi banal et n’aurait pas été clos aussi facilement et aussi vite. Donc il y a une tierce partie qui est visée.
Les Etats-Unis ont fixé la fin de l’année 2009 pour l’imposition de nouvelles sanctions, si rien de nouveau n’intervient dans le dossier nucléaire iranien. Aux dernières nouvelles, la Maison blanche a prolongé ce délai jusqu’au 15 janvier 2010. De plus, Washington entretient toujours le flou sur ses intentions d’attaquer ou non l’Iran en répétant à chaque occasion qui se présente que l’option militaire est encore sur la table.
L’approche de la date fixée par les Etats-Unis pour agir d’une part, et les troubles intérieurs causés par une opposition de plus en plus hardie d’autre part, créent forcément une certaine nervosité au sein du pouvoir iranien qui, visiblement, ressent un besoin intense de lancer des signaux aussi bien à ses opposants intérieurs qu’à ses ennemis extérieurs, qu’il n’est pas au pied du mur, qu’il est capable de faire face à toutes les éventualités, et même de garder l’initiative.
Sur le plan intérieur, les funérailles de l’Ayatollah Montazeri, célèbre contestataire du régime, qui ont réuni des dizaines de milliers d’opposants dans les rues de Qom, ont constitué un nouveau test pour le pouvoir iranien qu’il a passé avec succès grâce à des forces de sécurité nombreuses, motivées et bien entraînées.
Sur le plan extérieur, l’incursion de la semaine dernière dans une zone pétrolière contestée est, de toute évidence, un signal adressé aux Etats-Unis à l’approche d’échéances qui pourraient être porteuses de dangers sous forme d’intensification des sanctions ou, plus grave encore, sous forme d’une action militaire qu’engagerait Washington ou Israël ou les deux ensemble contre des installations vitales pour la sécurité et l’économie iraniennes. L’incursion est clairement un message que les Etats-Unis sont invités à décoder et à en tirer les conclusions qui s’imposent. En d’autres termes, l’Iran informe ses ennemis américains qu’il peut à tout moment franchir la frontière irakienne, semer le chaos dans un pays qui se remet difficilement de l’anarchie qui l’a déchiré pendant des années, dérégler les plans militaires américains en Irak et, par voie de conséquence, en Afghanistan.
Mais ce n’est là qu’un seul atout entre les mains de l’Iran qui dispose d’au moins deux autres que les Etats-Unis ne peuvent ignorer : l’interruption, ou au moins la forte perturbation, de la navigation dans le très stratégique détroit d’Hormuz d’une part, et la mobilisation des ressources militaires et humaines du Hezbollah contre Israël d’autre part.
Il est bien évident que l’Iran ne recourra à ces trois atouts qu’en cas d’attaque militaire contre son territoire. Durant les deux mandats consécutifs de George W. Bush, les Etats-Unis ont commis un certain nombre d’erreurs désastreuses qui les ont saignés à blanc militairement et financièrement, embourbant leur armée dans deux pays distants de Washington de 10.000 kilomètres. Il est difficile de croire que les Etats-Unis pousseront encore une fois l’inconscience très loin en s’attaquant à un troisième pays musulman qui pourrait s’avérer beaucoup plus dangereux pour les intérêts américains que l’Irak et l’Afghanistan réunis.
D’aucuns observeront que les Etats-Unis sont les champions toutes catégories quand il s’agit de mener une campagne aérienne contre des pays plus faibles et sans véritable couverture aérienne. Certes. Mais le problème est qu’ils disposent de 120.000 soldats en Irak, et de 100.000 autres en Afghanistan. Sans entrer dans les détails d’autres considérations stratégiques, la seule raison de protéger leurs soldats contre une très probable riposte iranienne est suffisamment importante pour dissuader les Etats-Unis de commettre une autre grave erreur.
Cela devrait aussi les inciter à une opposition ferme à tout aventurisme militaire israélien. Pour arriver jusqu’en Iran, Israël devrait traverser l’espace aérien irakien qui est sous la responsabilité de l’aviation américaine. Si Israël arrivait à traverser l’Irak et à frapper l’Iran, la responsabilité américaine aux yeux de tous serait évidente. Pour les Etats-Unis, il est donc urgent de ne rien faire, et tout aussi urgent d’interdire fermement à leur allié israélien d’entreprendre quoi que ce soit à ce niveau.
Restent les sanctions. Depuis que l’ONU, généralement sous l’instigation des Etats-Unis, ont commencé à punir des régimes politiques, les sanctions imposées n’ont jamais servi à autre chose qu’à aggraver les conditions économiques des populations civiles et à fournir aux autorités visées le prétexte pour se décharger de toute responsabilité et la faire assumer aux « ennemis extérieurs ». L’exemple de l’Irak est clair à cet égard. Les sanctions imposées à ce pays de 1990 à 2003 ont infligé des drames inimaginables au peuple irakien, sans pour autant atteindre le régime baathiste. La même chose risquera de se passer si des sanctions sévères sont imposées à l’Iran. Si l’on veut éviter d’infliger des souffrances inutiles au peuple iranien, si l’on ne veut pas fournir des prétextes commodes à ses dirigeants, le même conseil s’imposera : il est urgent de ne rien faire.

Monday, December 21, 2009

Echec à Copenhague

La montagne n’a même pas accouché d’une souris. C’est la première idée qui vient en tête quand on passe en revue le bilan « désastreux », selon de nombreux observateurs, du sommet tant attendu de Copenhague, censé prendre à bras-le-corps les dérèglements climatiques. La campagne médiatique mondiale, confinant au tintamarre, qui a précédé le sommet, a focalisé l’attention générale sur l’événement et a nourri de faux espoirs que quelques milliers d’hommes politiques et d’ « experts », réunis à Copenhague, allaient régler son compte au réchauffement climatique.
Peut-être la saison est mal choisie. Car enfin peut-on, tout en grelottant de froid et en pataugeant dans la neige qui couvre la capitale danoise, se pencher sérieusement sur la chaleur qui monte et qui risque d’étouffer la planète et nous avec ? Peut-on lutter fougueusement contre le réchauffement du climat alors que, dans le même temps, on fuit comme la peste les morsures du froid arctique et on se calfeutre à l’intérieur de palaces où les radiateurs tournent à plein régime ?
Plus sérieusement, les fameux e-mails diffusés en plein sommet, ont jeté la consternation parmi les délégués dont l’ardeur a dû subir un coup de froid. De quoi s’agit-il ? Des scientifiques et des spécialistes de renommée mondiale, dont l’Américain Kevin Trenberth, chef de la section de l’analyse du climat dans le centre de recherches atmosphériques du Colorado, affirment, la main droite sur le cœur, que les 11 et 12 octobre 2009, « on a battu des records avec un froid jamais enregistré. » Mieux encore, ou pire c’est selon, « la moyenne de température des dix dernières années a été statique ».
Ces e-mails, diffusés intentionnellement pendant le sommet sur le climat, visent sans doute à jeter le trouble et à verser de l’eau au moulin des « sceptiques climatiques » qui souhaitent l’échec de cette réunion universelle tant attendue.
En fait, les raisons concrètes de ce qu’il faut bien appeler l’échec de Copenhague est que les trois poids lourds de la pollution atmosphérique, les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, qui représentent à eux trois la moitié de l’espèce humaine, sont venus dans la capitale danoise avec la ferme idée de défendre leurs économies respectives, plutôt qu’un climat énigmatique dont on ne sait trop ni comment il fonctionne, ni comment il évolue.
L’argument de la Chine et de l’Inde est qu’elles sont toutes deux « nouvelles » dans le domaine de l’émission à grande échelle de gaz carbonique, et qu’il est « injuste » de leur demander maintenant de polluer modérément alors qu’Européens et Américains polluaient sans retenue depuis au moins deux siècles. Les Etats-Unis, de leur côté, n’entendaient nullement mettre en danger une reprise économique fragile. Du coup, et en dépit de leurs intérêts économiques divergents, Pékin, New Delhi et Washington ont vu qu’il était de leur intérêt de barrer la route à tout accord contraignant qui les obligerait à des limitations chiffrées d’émission de CO2.
L’accord produit « à la sauvette » par les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, auxquels se sont joints le Brésil et l’Afrique du sud, a été qualifié par beaucoup de participants comme une manœuvre tendant à « saboter » le sommet de Copenhague. Les ONG parlent de « fiasco » et de « naufrage révoltant », l’Union européenne l’a trouvé « en dessous des ambitions ».
Cet accord qui ne contraint personne à faire quoi que ce soit, prévoit tout de même de « limiter le réchauffement planétaire en dessous de 2°C ». Comment et par quels moyens ? Ceux qui ont rédigé l’accord n’en savent pas plus que le commun des mortels. Finalement, on est en droit de nous demander si le forum de Copenhague aura plus d’effet qu’une réunion dans un jardin public d’un groupe de paumés qui, jugeant le monde trop injuste, décident de le changer ?
La frustration est quasi-générale à l’issue de deux semaines de négociations stériles. Un député européen a déploré la transformation de « cette conférence en show », et s’en est pris aux délégations officielles, parties précipitamment et qui « n’ont même pas assumé publiquement, en plénière, leur échec. »
Un autre participant européen non identifié, qui s’est confié à Susan Watts, la correspondante scientifique de la BBC, n’a trouvé d’autre exutoire à sa frustration que les Africains qui, selon lui, « méritent maintenant d’être incinérés ». Pourquoi cette hargne anti-africaine ? D’après les confidences faites à la BBC par cet illustre anonyme, il était venu à Copenhague pour « aider les Africains », mais voilà que l’Afrique du sud ne trouve rien de plus intéressant à faire que de se joindre au groupe des « saboteurs », apposant sa signature sur un document qui laisse les mains libres aux pollueurs.
Il est facile de s’en prendre au maillon le plus faible du « groupe des cinq ». Rien n’aurait changé évidemment à Copenhague et l’échec aurait été consommé, même si l’Afrique du sud n’avait pas signé le document en question. Seulement, l’Afrique du sud et, par extension, les Africains, sont les plus commodes à servir de boucs émissaires. Pour l’interviewé de la BBC, les choses sont simples : le sommet a échoué, les Africains sont responsables, donc ils « méritent d’être incinérés ». La question qu’on ne peut pas ne pas poser est comment peut-on déléguer un homme avec des idées aussi simplistes dans un forum d’une importance aussi capitale pour la planète ? Et s’il y’en avait beaucoup comme lui, avec des idées aussi simplistes, ne serait-ce pas là une autre raison qui expliquerait l’échec du sommet de Copenhague ?

Sunday, December 20, 2009

Ces guerres qui s'inscrivent dans la durée

Quel genre de rapport la guerre et le temps entretiennent-ils ? Sont-ils indépendants l’un de l’autre ou sont-ils inséparables comme les deux faces d’une même monnaie ? Si l’on regarde de plus près la relation entre la guerre et le temps, on constatera que celle-là est inséparable de celui-ci et que l’inverse n’est pas vrai. En d’autres termes, la guerre, quand elle éclate, elle s’inscrit forcément dans une temporalité courte, moyenne ou longue. Quant au temps, il peut être violent… le temps d’une guerre, mais il a aussi son existence propre. En l’absence de celle-là, il s’écoule paisiblement. C’est ce qu’on appelle la paix.
Dans l’histoire humaine, les guerres sont si fréquentes et si nombreuses que la paix n’est souvent qu’une trêve plus ou moins longue entre deux guerres. Des fois les conflits armés sont si rapprochés dans le temps que les historiens incluent le mot guerre dans une formule qui désigne une brève période de paix. Ainsi, quand le professeur d’histoire parle à ses élèves de l’entre-deux-guerres, il n’a pas besoin d’être plus explicite. Tous savent qu’il s’agit des 21 ans de paix qui séparaient la fin de la première guerre mondiale (1918) et le début de la seconde (1939).
Dans une enquête sur les guerres ethniques et fratricides qui déchirent l’Afrique, Daniel Palmieri, chargé de recherches historiques au Comité International de la Croix Rouge (CICR), a démontré qu’elles sont devenues beaucoup plus longues et plus meurtrières qu’avant. Selon lui, les conflits ethniques de l’Afrique s’inscrivent « dans la perspective qui privilégie le temps long », c'est-à-dire, pour reprendre la formule de Fernand Braudel, dans la perspective d’une « histoire lente à couler et à se transformer. »
Selon Palmieri, cette longévité des guerres africaines s’explique par la recrudescence des activités illicites, « en particulier les trafics de cocaïne, d’opium ou de pierres précieuses ». L’argent a, de tout temps, été considéré comme le nerf de la guerre. Il y a donc une relation étroite entre la longévité de la guerre et la quantité d’argent disponible. Dès lors, il n’est guère étonnant de voir aujourd’hui que la plupart des chefs de guerre, en Afrique ou ailleurs, sont en même temps à la tête d’un trafic lucratif sans lequel ils ne peuvent ni recruter les combattants ni acheter les armes.
Le premier exemple qui vient en tête de ces guerres longues, meurtrières et inutiles, financées par un trafic illicite, est la guerre civile de l’Angola. Vingt ans de rébellion meurtrière menée par l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) et son chef Jonas Savimbi contre le gouvernement établi en 1975 par le MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Angola). Une rébellion qui n’aurait certainement pas pu s’inscrire dans la durée sans ce que les Angolais appelaient « les diamants du sang », un trafic qui fournissait à Jonas Savimbi plusieurs millions de dollars par an.
Il est vrai que Jonas Savimbi avait profité du contexte de la guerre froide qui sévissait alors, et surtout de la propension américaine à qualifier n’importe quel bandit à la tête d’une milice qui se disait anticommuniste, de « combattant de la liberté ». Mais, le fait déterminant dans la longévité de la guerre civile angolaise est la domination exercée pendant 20 ans par les rebelles de l’UNITA sur les mines de diamants de l’Angola.
Les conséquences d’une guerre civile qui s’inscrit dans la durée sont désastreuses pour le pays en question. L’Angola a perdu 20 précieuses années pendant lesquelles toutes les énergies du pays étaient mobilisées pour un seul objectif : la guerre. Toute une génération d’Angolais était sacrifiée parce qu’un hasard géologique qui, en d’autres circonstances aurait été une bénédiction, était devenu une malédiction baptisée « les diamants du sang ».
Mais il n’y a pas que les guerres africaines qui s’inscrivent dans la durée. Les guerres actuelles d’Irak et d’Afghanistan, de par leurs propres dynamiques, se sont inscrites dans une temporalité beaucoup plus longue que ne l’avaient imaginé ceux qui les avaient déclenchées. Elles constituent l’exemple de conflits par excellence qui, avant leur déclenchement, semblent tout à fait maîtrisables, mais, une fois déclenchés, échappent aux décideurs qui ne savent plus ni quand ni comment ces conflits se termineront.
Les historiens et les politologues se pencheront sans doute un jour sur cette singularité qui consiste au fait qu’un pays aussi pauvre et aussi démuni que l’Afghanistan puisse produire des insurgés, des va-nu-pieds pour la plupart, qui tiennent tête aux armées les plus puissantes du monde en inscrivant la guerre dans une temporalité exagérément longue, et dont la résistance féroce tranche avec les moyens rudimentaires dont ils disposent.
A voir l’arrogance et la suffisance extraordinaires dont avait fait preuve George W. Bush en 2002-2003, à voir sa détermination criée sur les toits de régler leurs comptes aux pays de l’ « axe du mal », à voir le mépris avec lequel il traitait tous les pays qui essayaient d’attirer son attention sur les dangers que courait l’armée américaine en cas d’invasion de l’Irak, beaucoup s’étaient laissés convaincre que le président américain était seul maître à bord et que les dates du déclenchement et de la fin de la guerre dépendaient de lui et de lui seul.
Il était le « Décideur » (Decider), comme il se plaisait à se qualifier lui-même, quand il s’agissait de fixer la date de lancer les troupes américaines à l’assaut de l’Irak. Quelques semaines plus tard, il n’était plus qu’un président désemparé par la tournure des événements qu’il ne maîtrisait plus. Il n’était plus qu’un président irascible, s’en prenant avec virulence à quiconque de ses collaborateurs qui lui transmettait une mauvaise nouvelle en provenance de l’Irak.
Les Etats-Unis auraient pu faire l’économie du désastre irakien, s’ils avaient tiré les leçons d’un autre désastre, celui du Vietnam. La guerre du Vietnam fut elle aussi déclenchée sous de faux prétextes. Là aussi, les décideurs américains avaient cru être les seuls maîtres à bord et que les Vietnamiens n’avaient d’autre choix que de se soumettre à la volonté de Washington. Très vite, la guerre s’est inscrite dans la durée et l’armée américaine s’est trouvée happée par une mécanique infernale. La guerre ne pardonne pas. Elle se nourrit des erreurs de ceux qui la déclenchent, et plus celles-ci sont nombreuses, plus elle a des chances de durer. Et les Etats-Unis ont commis des erreurs incalculables en Irak et en Afghanistan. Le prix qu’ils continuent des payer en sang et en argent est immense.

Saturday, December 19, 2009

Que fait Washington au Kurdistan?

L’hiver 2002-2003, les Etats-Unis cherchaient désespérément les prétextes pour intervenir en Irak. L’hiver 2009-2010, ils cherchent désespérément les solutions pour quitter ce pays. Mais sont-ils en train de prendre les décisions adéquates pour faciliter leur départ ?
A son arrivée à la Maison blanche, le président Barack Obama s’est trouvé avec deux guerres sur les bras, dont celle de l’Irak au déclenchement de laquelle il s’était même opposé au moment où il occupait le poste de sénateur de l’Etat de l’Illinois. Maintenant, on n’a aucune raison de douter qu’Obama soit animé d’une sincère volonté de dégager son pays du bourbier dans lequel son prédécesseur l’avait enfoncé. Et que peut-il faire d’autre sinon fixer une date pour le départ du dernier soldat américain ?
Seulement, il ne suffit pas de dire que le dernier soldat américain quittera le pays fin 2011 pour que les Etats-Unis se soulagent d’un immense fardeau et que l’Irak entame le 1er janvier 2012 une nouvelle page de son histoire. Si les stratèges et les conseillers du prince ont de tous temps dit et répété que la guerre est une chose trop grave pour être décidée à la légère et qu’il faut y penser très sérieusement avant de s’y engager, c’est parce qu’ils savent que celui qui décide de son déclenchement, ne décide ni de son issue ni de la date de sa fin.
Les Etats-Unis ont expérimenté cette vérité à leur détriment plusieurs fois dans leur histoire. Ils l’expérimentent aujourd’hui à nouveau en Irak et en Afghanistan, deux pays dans lesquels les Américains souhaitent n’y avoir jamais mis les pieds, tant ça leur a coûté et ça continue de leur coûter très cher.
En dépit des explosions, parfois très violentes, qui continuent d’ensanglanter l’Irak, ce pays est maintenant beaucoup plus calme que l’Afghanistan. Ce qui inquiète les Etats-Unis et la majorité des Irakiens, ce n’est pas cette insurrection résiduelle, visiblement à bout de souffle, mais plutôt les risques d’un affrontement, chaque jour un peu plus grands, entre Arabes et Kurdes au sujet de la question de Kirkuk. Si ce risque se matérialise, les troupes américaines ne pourront plus quitter à la fin de 2011, et leur présence en Irak se poursuivra encore pendant longtemps.
Ce qu’il faut souligner ici, c’est que les Etats-Unis, qui ne sont pas à une erreur près, ont méthodiquement alimenté ce risque depuis 1991 jusqu’à ce jour par leur soutien sans limite aux Kurdes irakiens qu’ils ont aidés à acquérir une autonomie de fait et à créer des structures institutionnelles ayant toutes les propriétés de l’Etat. Cela va faire pratiquement deux décennies maintenant que le Kurdistan irakien est protégé, aidé et encouragé même par les Etats Unis à prendre ses distances avec le pouvoir central à Bagdad.
L’effondrement de l’Etat irakien après l’invasion de 2003 a aiguisé l’appétit des Kurdes qui non seulement veulent annexer la riche région pétrolière de Kirkuk, mais ont étendu leurs visées expansionnistes à deux autres gouvernorats limitrophes du Kurdistan : Naïnawa et sa capitale Mossul d’une part, et Diyala et sa capitale Ba’qouba d’autre part.
En 2005, quand les sunnites irakiens avaient boycotté les élections, les Kurdes avaient exploité cette défaillance pour multiplier les faits accomplis sur le terrain à Mossul et dans les villages environnants où les Peshmergas (milices kurdes) avaient vite fait d’établir des postes de sécurité et des check points. En Novembre dernier, l’Organisation Human Rights Watch a publié un rapport accusant les autorités kurdes d’utiliser « les intimidations, les menaces et les arrestations » contre les Arabes et les Turkmènes qui « résistent aux plans expansionnistes kurdes. »
Les Kurdes, minoritaires en Irak, n’auraient jamais eu l’audace de s’en prendre aux Arabes et aux Turkmènes en recourant aux intimidations, aux menaces et aux arrestations, sans la conviction qu’ils constituent un atout stratégique entre les mains des Etats-Unis et que, par conséquent, ceux-ci ne les relâcheront jamais. C’est faux évidemment, car, comme n’importe quelle autre puissance dans le monde, les Etats-Unis n’ont ni amis définitifs, ni ennemis définitifs. Ils n’ont que des intérêts qu’ils ne savent pas toujours défendre adéquatement. Pour prendre le cas du Proche-Orient, qu’il s’agisse de l’Irak, de l’Iran ou d’Israël et de la question palestinienne, les Etats-Unis, depuis de longues décennies, ont toujours pris le contre-pied de leurs propres intérêts et se sont souvent infligés plus de mal que ne leur ont fait leurs ennemis les plus intimes.
Leur relation avec les Kurdes ne fait pas exception. Elle s’inscrit dans le droit fil de cette mauvaise appréciation de leurs intérêts dont les Américains sont coutumiers. Car enfin, on ne voit pas pourquoi Washington s’engage-t-il avec autant de zèle à côté de la minorité kurde irakienne tout en sachant pertinemment que cela va non seulement à l’encontre des intérêts de l’écrasante majorité des Irakiens, sunnites, chiites et turkmènes confondus, mais cela va également à l’encontre d’un intérêt vital de leur principal allié, la Turquie. Celle-ci, qui voit déjà d’un mauvais œil l’émergence d’un pouvoir autonome dans le nord de l’Irak, a, à maintes reprises, exprimé son opposition radicale à toute extension de la domination kurde vers Kirkuk et Mossoul.
Les Etats-Unis doivent savoir que si par malheur une guerre éclate entre Kurdes et Arabes irakiens, ils assumeront une large part de responsabilité. L’Irak est suffisamment détruit pour pouvoir supporter un autre conflit, et l’armée américaine suffisamment épuisée pour pouvoir gérer une autre guerre et prolonger de plusieurs années sa présence dans le bourbier irakien. Il est donc de leur intérêt, avant même de parler des intérêts de l’Irak et de la Turquie, de modérer un peu les appétits gargantuesques de leurs protégés kurdes. Par exemple en leur conseillant de lire et de méditer la fable de La Fontaine « La grenouille et le bœuf ».

Wednesday, December 16, 2009

L'ultime déception de Fidel Castro

Si l’on en croit la déclaration finale du sommet de l’Alba, les Etats-Unis « ont soutenu » le coup d’état de juin dernier au Honduras contre le président Manuel Zelaya. L’Alba (Alliance bolivarienne pour les Amériques) est un groupement « anti-libéral » lancé en avril 2005, par la signature d'un « traité commercial des peuples » entre Cuba et le Venezuela. La Bolivie, le Nicaragua et la Dominique ont rejoint progressivement l’alliance, qui se voulait un contre-poids à la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) promue par les Etats-Unis. Le président du Honduras Manuel Zelaya a signé l’accord de l’Alba en 2008. Enfin, Saint Vincent, les Grenadines, Antigua-et-Barbuda et l'Equateur ont rejoint en 2009.
Tout ce beau monde s’est donc réuni en sommet les 14 et 15 décembre 2009 à la Havane, sauf que le Honduras était représenté non pas par le gouvernement issu des élections du 29 novembre dernier, mais par une ministre déchue de l’ancien gouvernement du président Manuel Zelaya, chassé du pouvoir en juin 2009 par un coup d’état militaire. Les participants au sommet n’ont pas encore digéré le coup de force qui a transformé radicalement la nature du gouvernement au Honduras, et ils ont accusé clairement Washington d’être « impliqué » dans le coup d’état.
On se rappelle pourtant qu’en juin dernier, le président Obama a condamné le putsch, et a même exigé que le président légitime reprenne ses fonctions à la tête de l’Etat du Honduras. Mais on se rappelle aussi que c’était une réaction de pure forme dans la mesure où les Etats-Unis n’ont pas entrepris la moindre action, diplomatique ou autre, en faveur du retour du président légitime.
Nul besoin de préciser que Washington aurait remué ciel et terre pour le retour de la légitimité au Honduras, si le putsch était perpétré par des forces de gauche contre un président de droite. C’est dans la nature des choses, dirions-nous, la légitimité, comme beaucoup d’autres concepts, n’est pas une valeur absolue, mais un principe élastique apprécié en fonction de plusieurs considérations, la justice et l’équité n’étant pas, tant s’en faut, les premières à être prises en compte.
La signature par le président Manuel Zelaya du « traité commercial des peuples » et l’entrée du Honduras dans le club de l’Alba sont sans doute pour beaucoup dans le coup de force par lequel les militaires honduriens ont bloqué l’ancrage du pays dans le club de la gauche latino-américaine, dont les principaux acteurs sont Cuba, le Venezuela et la Bolivie. Ce n’est pas un hasard si ces trois pays ont été les plus virulents dans leurs attaques contre les Etats-Unis au sommet de l’Alba à la Havane. Pour prouver leurs accusations de « visées impériales » qu’ils attribuent à Washington, Raul Castro, Hugo Chavez et Evo Morales ont largement évoqué au cours du sommet les « sept bases militaires américaines » en Colombie et « le coup de force » au Honduras.
Les développements en Colombie et au Honduras ont eu lieu en 2009, c'est-à-dire sous l’administration Obama, d’où les attaques en règle contre ce dernier, en particulier de la part de Hugo Chavez et de Fidel Castro, tout deux ayant exprimé au début de cette année un certain espoir dans le changement de la politique américaine vis-à-vis de l’Amérique latine. Maintenant, rien ne va plus, et les deux icônes du militantisme latino-américain tirent à boulets rouges sur le président américain, qualifié par son homologue vénézuélien de « Monsieur le prix Nobel de la guerre ».
Le plus amer est Fidel Castro. Depuis un demi siècle, le dirigeant cubain a dépensé des tonnes d’énergie dans sa lutte implacable contre « l’empire ». Il a tenu tête à une multitude de présidents américains. Il a croisé le fer avec John Kennedy, Lyndon Johnson, Richard Nixon, Gerald Ford, Jimmy Carter, Ronald Reagan, George Bush père, Bill Clinton et George Bush fils. Il y a de quoi être épuisé vraiment.
Avec l’arrivée d’Obama à la Maison blanche, le Lider Maximo, vieilli et fatigué, a peut-être souhaité qu’à la fin de sa vie il ait au moins une petite bonne relation avec un président américain avant de mourir, et pourquoi pas normaliser la relation de Cuba avec son grand voisin du nord après un demi siècle d’inimitié cordiale ? Même si avec sa longue expérience, il ne peut sans doute ignorer qu’un homme ne peut changer un empire. Pendant quelques mois, il s’est accroché à l’espoir de voir cet homme « sympathique » changer un tant soit peu le comportement de la grande puissance qui, pendant cinquante ans, a tout fait pour l’isoler dans son île cubaine et pour faire de lui un paria. Il a accordé un préjugé favorable au nouveau président et s’est mis à attendre.
Le sommet de l’Alba a été l’occasion pour le vieux dirigeant d’exprimer son amertume et sa déception. Pour le Lider Maximo, les choses sont maintenant claires : Obama n’est pas différent de ses prédécesseurs. Dans une lettre adressée au sommet de l’Alba et lue en son nom par Hugo Chavez, Fidel Castro constate que « le coup d'Etat au Honduras et l'établissement de sept bases militaires en Colombie sont des faits récents qui se sont déroulés après l'entrée en fonction du nouveau président des Etats-Unis. Les intentions réelles de l'Empire sont évidentes, cette fois avec le sourire aimable et le visage afro-américain de Barack Obama. »
On ne sait pas si cela pourrait consoler Castro de savoir qu’il n’est pas le seul à ruminer son amertume et sa déception. Mahmoud Abbas, toutes proportions gardées, rumine la même déception et la même amertume que le vieux dirigeant cubain. L’un et l’autre savent mieux que quiconque que « le sourire aimable » d’Obama n’a pas séduit les lobbies israélien et cubain aux Etats-Unis qui, étant les plus puissants du pays, refusent de lâcher prise et interdisent toujours à la diplomatie américaine de changer de cap et d’adopter la juste politique vis-à-vis des questions palestinienne et cubaine.

Monday, December 14, 2009

Grand banditisme politique

Il y’en a qui, parce qu’ils ont quelques kilos de muscles en plus, se prennent pour des caïds, se font un fief et mènent la vie dure à ceux dont la tête ne leur revient pas, quand ils ne leur interdisent pas purement et simplement de se montrer à plusieurs kilomètres à la ronde. Ces gens là s’appellent des bandits. On les trouve sous toutes les latitudes, sévissent dans tous les pays et appartiennent à toutes les cultures. Ils évoluent en marge de la loi.
Sur un autre niveau, nettement plus dangereux, il y’en a qui, parce qu’ils ont quelques tonnes d’armes en plus, se prennent pour les maîtres du monde, s’accordent une responsabilité planétaire et s’autoproclament juges, jetant l’anathème sur tout régime qui n’est pas de leur goût. Ils mènent la vie dure à tout système politique qu’ils estiment dangereux « pour la paix dans le monde », et, des fois, vont plus loin en envoyant des armées sur-équipées renverser purement et simplement le régime honni.
Ces actions illégales et immorales sont étudiées, analysées et décortiquées dans les instituts de recherche, les universités et les « laboratoires » d’analyse politique, mais, jusqu’à ce jour, nul n’a osé appeler les choses par leur nom et qualifier ce comportement de grand banditisme politique, évoluant en marge de la légalité internationale. Les chercheurs et les analystes qui se penchent sur cette question précise rappellent un peu la situation de ces gens de la légende qui discutaient, commentaient et spéculaient sur les habits portés par le roi jusqu’au jour où un enfant leur fit découvrir que le roi était nu. Et justement Tony Blair vient de jeter lui-même l’ultime feuille de vigne derrière laquelle il s’efforçait de cacher sa nudité.
Dimanche dernier, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair est, sans le vouloir, venu au secours des grands timides des médias, des instituts de recherche et des universités qui n’ont toujours pas le courage d’appeler un chat un chat et de qualifier enfin de grand banditisme politique ce que lui et l’ancien président américain, George W. Bush, avaient entrepris contre l’Irak au printemps de l’année 2003. Maintenant, avec l’aide non intentionnelle de Tony Blair, peut-être le concept de grand banditisme politique se frayera-t-il un petit chemin et se fera-t-il une petite place dans les médias et les « laboratoires » d’analyse politique du monde. Peut-être un jour fera-t-il l’objet de thèses dans les départements d’études politiques des grandes universités.
La question de Mme Fern Britton, qui interviewait Tony Blair sur BBC1, était claire : « Si vous aviez su alors qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive, seriez vous quand même allé en guerre ? » La réponse de l’ancien Premier ministre était tout aussi claire : « J’aurais persisté à penser qu’il était juste de le renverser (Saddam Hussein). Mais évidemment il aurait fallu utiliser et déployer des arguments différents concernant la nature de la menace. »
On savait que Blair savait qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive et que celles-ci n’étaient que le prétexte auquel Blair s’accrochait désespérément, parce qu’il lui en fallait tout de même un pour s’engager dans une guerre contre laquelle ceux qui l’avaient élu étaient férocement opposés.
Mais en le reconnaissant lui-même, il a versé de l’eau au moulin de tous ceux qui souhaitent le voir traîné devant les tribunaux pour crimes de guerre. Car, quelle autre accusation peut-on lancer à des gens qui ont renversé un régime établi et poussé dans le chaos un pays de 25 millions d’habitants tout simplement parce qu’ils n’aiment pas le chef de ce régime et qu’ils pensent que « le monde est meilleur » sans lui. La question de savoir si le monde est plus dangereux avec Saddam ou avec Blair et Bush, s’il est meilleur sans celui-là ou sans ceux-ci, sera tranchée par l’histoire. Et la réponse ne sera ni aussi évidente ni aussi facile que ne semble le penser l’ancien Premier ministre britannique.
« Choc », « effroi », « consternation » sont quelques uns des sentiments exprimés par le public britannique après la diffusion de l’interview sur BBC1. Ce sont des sentiments tout à fait compréhensibles et que toute personne normalement constituée ne peut pas ne pas éprouver face à quelqu’un qui, près de sept ans après le désastre qu’il a largement contribué à provoquer, continue de se croire dans son bon droit, et affirme sans ciller qu’il aurait eu recours à un autre prétexte pour engager quand même la guerre, si celui des armes de destruction massive s’était avéré inopérant.
On ne peut pas ne pas être pris d’effroi en effet quand, malgré la mort et le déplacement de millions d’Irakiens, malgré les milliers d’attentats destructeurs qui continuent d’ensanglanter le pays jusqu’à ce jour, malgré les conséquences géostratégiques catastrophiques, Blair continue de faire l’apologie de sa décision d’entrer en guerre contre l’Irak, une action qui, encore une fois, relève du grand banditisme politique.
Le quotidien londonien « The Times » de samedi 12 décembre a rapporté la colère des parents de soldats morts en Irak : « Des parents de certains soldats morts en Irak ont refusé de serrer la main de Tony Blair, le traitant de criminel de guerre avec du sang sur les mains. » On comprend la douleur de ces parents, et surtout leur colère après avoir vu l’interview. Leurs proches sont morts parce que Tony Blair avait fait une fixation sur l’Irak et estimait que « le monde est mieux avec Saddam en prison. » Maintenant que Saddam est mort et enterré et que l’Irak est toujours à feu et à sang, les britanniques qui pleurent encore leurs morts ne sont pas les seuls à se demander si le monde ne serait pas un peu plus juste avec Blair devant un tribunal genre Nuremberg plutôt que devant une commission d’enquête, soucieuse beaucoup plus de ne pas heurter les sentiments des coupables que ceux des victimes ?

Wednesday, December 09, 2009

Le terrorisme, la guerre et la Constitution américaine

Le 19 août 2009 : une double attaque suicide à proximité des ministères des Affaires étrangères et des Finances à Bagdad causa de grands dégâts, tua 95 personnes et blessa plus de 600 autres. Le 25 octobre 2009 : le cœur du gouvernement irakien était à nouveau la cible d’attaques. Cette fois, c’est le ministère de la justice et le siège du gouvernorat de Bagdad. Bilan : 155 morts et plus de 500 blessés, sans compter les immenses dégâts matériels. Le 8 décembre 2009 : cinq attaques à la voiture piégée coordonnées ont dévasté des institutions gouvernementales dans divers quartiers de Bagdad. Le bilan est tout aussi tragique : 130 morts et 450 blessés.
Face au caractère répétitif de l’horreur, les blessés et les parents des morts croient qu’il s’agit là d’une une malédiction qui s’abat sur eux et sur leur ville. Une Irakienne blessée dans les attentats de mardi dernier, le visage tordu par la douleur, levait ses yeux au ciel et se demandait « quand prendra fin cette malédiction ? »
Evidemment il ne s’agit pas de malédiction et le ciel n’a rien à voir avec ces horreurs engendrées par des actes terroristes eux-mêmes n’ayant rien à voir avec la résistance. Des actes planifiés par des esprits nihilistes qui ont le culte de la mort et de la destruction et la phobie de la vie et des attitudes constructives.
Les terroristes qui opèrent en Irak sont de la pire espèce que le monde ait jamais connue pour trois raisons. D’abord, ils sont lâches parce qu’ils n’osent pas affronter leurs vrais ennemis, c'est-à-dire les forces armées américaines et irakiennes. Ensuite parce que non seulement ils s’attaquent aux civils innocents, mais ils choisissent le temps et l’endroit où il y a le maximum de citoyens pour tuer le plus grand nombre possible. Enfin, ces terroristes-tueurs n’ont aucun programme politique et aucune perspective d’avenir. Leur but dans la vie est de s’attaquer à celle des innocents en faisant exploser leurs engins piégés dans les marchés bondés, les mosquées à l’heure de la prière ou en face des bâtiments publics dans les heures de grande affluence.
Comparés à ces auteurs de crimes massifs, les terroristes du pays basque espagnol, qui téléphonent à la police pour l’informer du lieu et de l’heure de l’explosion en lui donnant le temps d’évacuer les gens, font figure de héros qu’on aurait presque envie d’applaudir.
Les terroristes qui opèrent en Irak (nul ne sait avec certitude s’ils sont irakiens, étrangers ou mixtes) n’ont visiblement plus les moyens des années 2004, 2005 et 2006 où ils pouvaient tuer en moyenne 3000 civils par mois. Ils semblent adapter leur nouvelle « stratégie » aux moyens humains et matériels réduits dont ils disposent désormais. Plutôt que de faire parler d’eux tous les jours, les terroristes se terrent et préparent tous les deux ou trois mois une action spectaculaire qui mettrait en émoi le gouvernement et le peuple irakiens.
Les cinq attentats de mardi dernier ont été perpétrés juste deux jours après l’annonce de l’accord tant attendu entre les diverses composantes du parlement irakien qui a finalement voté la loi électorale et fixé les prochaines élections législatives au 27 février 2010. Ces attentats ressemblent à terrifiant cri de désespoir de la part des terroristes qui paniquent face à ces signes de réconciliation de la société irakienne qu’ils ont tenté des années durant de disloquer et de désintégrer.
Cela dit, on ne rappellera jamais assez que l’expansion spectaculaire de ce terrorisme nihiliste en Irak, en Afghanistan et au Pakistan est le résultat direct des erreurs tragiques commises par les administrations américaine et britannique sous George W. Bush et Tony Blair, l’un et l’autre ayant fait une fixation pathologique sur le régime de Saddam Hussein. L’un et l’autre ayant menti sciemment à leurs peuples et au monde sur les prétendues armes de destruction massive et sur la prétendue capacité de l’armée irakienne de les utiliser en seulement …45 minutes.
Le plus pathétique, alors leurs décisions désastreuses, à la manière des réactions en chaîne, continuent de semer la mort et la destruction du Golfe jusqu’à l’Hindu Kush, les deux hommes coulent des jours heureux, l’un au Texas, l’autre en sillonnant le monde et en accumulant les millions de dollars, prix de ses conférences et de …ses conseils. Le Britannique, comme si de rien n’était, a même eu l’outrecuidance de présenter sa candidature pour le poste de président de l’Union européenne. On attend avec impatience l’élargissement du champ de vision du procureur Luis Moreno Ocampo qui, pour le moment, ne voit pas au-delà du Darfour.
On a souvent écrit et répété que la guerre imposée par Bush et Blair à l’Irak était contraire à la loi internationale. Mais on a rarement évoqué l’autre vérité que cette guerre a également été menée en violation de la Constitution américaine. Les pères fondateurs, considérant que la guerre est une chose trop sérieuse et trop grave, ont confié les prérogatives de son déclenchement au parlement. Or, si l’on se réfère aux cent dernières années, on constatera que deux guerres seulement ont été précédées d’une déclaration du Congrès, comme le veut la Constitution : celles de 14-18 et de 39-45 du siècle dernier. Toutes les autres, y compris les plus désastreuses (Vietnam, Irak, Afghanistan) ont été décidées par l’Exécutif qui, sous la pression écrasante des différents lobbies, a réussi à marginaliser le Congrès, le transformant en une chambre d’enregistrement et de vote des crédits pour des guerres qu’il n’a pas décidées.
Cette dérive catastrophique se poursuit aujourd’hui. L’Exécutif et les lobbies, loin de tirer les leçons des désastres irakien et afghan, sont en train de recourir aujourd’hui avec l’Iran aux mêmes procédés utilisés hier avec l’Irak. Les tambours de guerre contre le régime iranien, s’ils ne sont pas encore assourdissants, sont parfaitement audibles. Il est plus que temps que le Congrès reprenne ses prérogatives de déclaration de guerre et de la déclencher uniquement quand les intérêts vitaux américains sont menacés et non quand le désirent les lobbies au service d’intérêts étrangers.

Monday, December 07, 2009

USA-Turquie: quelques convergences, mais beaucoup de divergences

La rencontre qu’ont eu hier, lundi, le président américain, Barak Obama, et le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, devait être l’occasion d’une longue explication entre les deux hommes, tant les sujets à débattre sont nombreux. Généralement, les communiqués livrés à la presse à l’issue de telles rencontres sont superficiels et reflètent rarement le contenu réel des discussions, surtout quand il y a des différences dans les approches qu’on veut escamoter ou des divergences au niveau des politiques à suivre qu’on veut voiler.
En dépit des assurances données par les dirigeants turcs que leur pays est « toujours dans le camp occidental », et bien que la Turquie soit « le deuxième pilier de l’Otan » après les Etats-Unis, les différences dans les approches et les divergences au niveau des politiques à suivre entre Ankara et l’Occident sont chaque jour un peu plus évidentes. Il est peu probable que le président Obama arrive à convaincre Erdogan de répondre positivement aux souhaits de Washington de voir la politique turque vis-à-vis de l’Afghanistan, de l’Iran ou d’Israël suivre les voies indiquées par la Maison blanche.
Au niveau de l’Afghanistan, les Etats-Unis souhaitent qu’Ankara envoie des renforts et s’engage plus activement aux côtés de ses alliés de l’Otan. Pour le moment, la Turquie dispose de 1700 soldats dont la mission se limite à des patrouilles à Kaboul et à la formation de militaires afghans. Ils ne participent pas aux combats « pour ne pas heurter les sentiments des musulmans afghans ». Il est peu probable qu’Erdogan accède au désir d’Obama de voir plus de troupes turques en Afghanistan. D’ailleurs juste avant de prendre l’avion dimanche pour Washington, Erdogan a été catégorique face aux journalistes qui lui posaient la question : il n’y aura pas de renforts turcs en Afghanistan. Et si un jour il est amené à faire un geste symbolique, ce sera en reconnaissance de l’aide des Etats-Unis dans le nord de l’Irak qui, apparemment depuis 2007, donnent des « informations en temps réel » à l’armée turque sur les mouvements des insurgés du PKK.
Les divergences sur le dossier iranien sont plus marquées encore. Washington doit regarder avec beaucoup d’appréhension le rapprochement entre Téhéran et Ankara, scellé le 27 octobre dernier par la visite d’Erdogan en Iran à la tête d’une forte délégation composée de ministres et de nombreux hommes d’affaires. La Maison blanche et le département d’Etat n’ont sûrement pas apprécié les déclarations du Premier ministre turc sur « l’hypocrisie » de l’Occident qui s’en prend au programme nucléaire « pacifique » de l’Iran et garde le silence sur les fusées nucléaires entreposées en Israël.
L’ouverture de la Turquie sur son grand voisin de l’est est un signe adressé à ses partenaires américains et européens qui signifie qu’Ankara est déterminé à jouer un rôle politique central dans la région du grand Moyen-Orient et que, par conséquent, les autorités turques ne sont plus tenues de s’aligner systématiquement, comme elles le faisaient par le passé, sur les positions occidentales.
Quand Erdogan dit que le programme nucléaire iranien est pacifique, cela veut dire qu’il entérine la version iranienne et rejette l’alarmisme américano-israélo-européen. Cela veut dire aussi que la Turquie est contre les sanctions, non seulement par principe, mais aussi et surtout par intérêt. Les hommes d’affaires turcs qui ont accompagné Erdogan en Iran n’ont-ils pas signé des contrats commerciaux d’une valeur de 14 milliards de dollars ?
Enfin, dernier sujet de divergences entre les Etats-Unis et la Turquie concerne la crise entre Ankara et Tel Aviv qui ne cesse de s’aggraver depuis la guerre de Gaza de l’hiver dernier. Washington suit avec un malaise croissant l’approfondissement du fossé qui sépare ses deux principaux alliés de la région et qui, depuis des décennies, constituaient les deux pièces maîtresses du dispositif stratégique américain au Moyen-Orient.
Le problème pour les Etats-Unis est que non seulement ils n’ont pu étouffer à temps la crise qui s’est développée entre leurs deux alliés, mais, plus grave encore, le refroidissement des relations turco-israéliennes s’est traduit automatiquement par un réchauffement des relations turco-iraniennes, sans parler de la nette amélioration des relations turco-syriennes.
Un sujet d’une telle importance ne peut être escamoté par Obama qui a dû l’aborder avec son hôte turc. Toutefois, il est peu probable que le président américain puisse convaincre le Premier ministre turc d’inverser la vapeur en s’éloignant de Téhéran et de se rapprocher à nouveau de Tel Aviv. Le développement économique fulgurant de la Turquie lui a fait prendre conscience de sa force et de sa capacité de concevoir sa propre stratégie régionale, plutôt que d’être l’un des instruments d’une stratégie globale conçue à Washington.
Cela dit, les efforts des Etats-Unis consistant à pousser vers un nouveau rapprochement entre Ankara et Tel Aviv sont entravés par les Israéliens eux-mêmes qui mènent une campagne virulente contre la Turquie. L’un des sites de propagande israélienne (www.jss.com) écrit dans un éditorial daté du 7 décembre : « Il serait temps qu’Israël donne une leçon de diplomatie à Ankara. Il serait temps qu’Israël admette enfin le génocide arménien. Deux raisons: Israël à le devoir moral de l’admettre. Israël doit apprendre un certain savoir vivre à (Erdogan) cet islamiste négationniste. » Visiblement, l’hystérie dans ces milieux propagandistes est telle que ceux qui les animent voient des négationnistes partout…
Mais il n’y a pas que des divergences entre les Etats-Unis et la Turquie. Il y a bien des terrains d’entente, principalement dans le domaine de la lutte anti-terroriste et l’échange de renseignements pour traquer Al Qaida, sans oublier le domaine économique où les échanges entre les deux pays ont dépassé les 11 milliards de dollars en 2008.

Saturday, December 05, 2009

L'initiative suédoise, un test pour l'Europe

En 1980, quand le gouvernement israélien avait fait voter par le Knesset l’annexion de la partie arabe de la ville de Jérusalem, la déclarant « capitale éternelle et unifiée d’Israël », le Conseil de sécurité de l’ONU avait alors condamné ce nouveau fait accompli dans la résolution 478 du 20 août 1980, estimant que « toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, la puissance occupante, qui ont modifié ou visent à modifier le caractère ou le statut de la Ville sainte de Jérusalem sont nulles et non avenues. »
Respectant l’esprit et la lettre de cette résolution, tous les pays du monde ont refusé ce fait accompli et aucun n’a déplacé son ambassade dans la ville sainte, à l’exception de deux pays latino-américains minuscules, le Costa Rica et le Salvador qui, faute d’avoir fait des émules, ont fini par quitter honteusement Jérusalem et réinstaller leur ambassade à Tel Aviv en 2006.
Mais s’il n’y a aucune ambassade à Jérusalem, il y a des consulats, principalement ceux des Etats-Unis et de pays européens. Ces consulats sont implantés dans le quartier Cheikh Jarrah, où les principales exactions et les plus grandes injustices sont commises à l’encontre des résidents palestiniens. La famille al-Kurd, expulsée de sa maison du quartier de Cheikh Jarrah le 8 novembre à 3h30 du matin par la police israélienne, est devenue le symbole à la fois du calvaire et de la résistance des Palestiniens de Jérusalem-Est contre la colonisation rampante et la judaïsation forcée de la terre de leurs ancêtres.
Selon le quotidien israélien « Haaretz », Israël a, en 2008, retiré 4577 permis de résidence aux Palestiniens de Jérusalem, soit 21 fois la moyenne des retraits de permis de résidence au cours des quarante dernières années. La famille al-Kurd, qui habite depuis 52 ans la maison d’où elle a été expulsée le 8 novembre dernier a donc perdu son toit et son permis de résidence, et Dieu sait maintenant sous quelle tente et dans quel camp de réfugiés se trouvent ses membres. Et les familles qui vivent le même calvaire et subissent le même sort que la famille al-Kurd se comptent par milliers.
Sans doute choqués par le martyre quotidien enduré par les résidents de Jérusalem-est, les consuls européens ont rédigé, toujours selon le quotidien « Haaretz », un rapport secret dans lequel ils ont décrit dans le détail les exactions et les mesures discriminatoires contre les résidents palestiniens. Ce rapport aurait fait sensation à Bruxelles et versé de l’eau au moulin de la présidence suédoise de l’Union européenne qui a elle-même préparé un projet de résolution qui sera discuté par les 27 demain lundi 7 décembre, et dans lequel la Suède demande à ses pairs européens de se prononcer en faveur d’ « un Etat palestinien viable comprenant la Cisjordanie et Gaza, avec Jérusalem-est pour capitale. »
L’initiative suédoise, même si elle rencontre des résistances, même si elle n’est pas adoptée telle quelle, même si elle subit des changements dans la formulation, elle constitue néanmoins un tournant dans les relations israélo-européennes et dans la manière dont les pays européens perçoivent Israël. Elle constitue une indication claire de l’impatience grandissante, voire d’un ras-le-bol de la part de beaucoup d’Européens vis-à-vis de l’arrogance, des exactions, des abus, des injustices que font subir sur une base quotidienne les Israéliens à leurs voisins pour la seule et unique raison qu’ils ont une armée puissante qu’ils utilisent depuis plus de quarante non pas pour se défendre, mais pour agresser, non pas pour protéger leur territoire, mais pour violer celui des autres, le charcuter et le grignoter un bout après l’autre.
Les Européens ont longtemps regardé ailleurs pendant les innombrables huis-clos sanglants opposant l’armée israélienne aux civils palestiniens, souvent désarmés. L’occupation et la répression israéliennes des Palestiniens les ont pendant longtemps mis dans l’embarras. Ils se sont trouvés très souvent en porte à faux avec les principes de justice et de liberté qu’ils défendent. Mais puisqu’il s’agit d’Israël, on formule quelques critiques à la sauvette, sans jamais aller au fond des choses, sans jamais prendre la peine de poser la question jusqu’à quand durera cette inhibition qui paralyse l’Europe et l’empêche de jouer un rôle politique proportionnel à son importance économique.
L’holocauste commis par les nazis est une honte non seulement pour l’Europe, mais pour l’humanité entière. Cependant, il est absurde que cette immense injustice historique continue de servir de prétexte pour ne pas agir et pour se donner bonne conscience face à une autre immense injustice qui dure depuis plus de 42 ans.
Israël a mobilisé toutes ses énergies pour s’opposer à l’initiative suédoise et son Premier ministre, Benyamin Netanyahu, multiplie les déclarations menaçantes et les mises en garde contre toute reconnaissance de Jérusalem-est comme capitale du futur Etat israélien. Le même procédé a été utilisé contre l’initiative excessivement timide et modérée d’Obama consistant à demander à Israël un simple gel de la colonisation. La mobilisation des énergies israéliennes était telle que le président américain a dû faire machine arrière. L’initiative suédoise connaîtra-t-elle le même sort que l’initiative d’Obama ou s’imposera-t-elle en résistant aux pressions israéliennes et en annonçant au monde la fin de l’inhibition européenne ? On ne tardera pas à le savoir.

Wednesday, December 02, 2009

Stratégies similaires pour contextes différents

Il a fallu trois mois de concertation, de dialogue souvent animé et de réflexion au sein de l’establishment politico-militaire à Washington sur la manière de gérer la guerre en Afghanistan pour qu’une stratégie émerge enfin et que le président américain l’annonce mardi dernier dans un discours solennel à l’académie de Westpoint.
Le président Barack Obama a, volontairement et intentionnellement, fait de l’annonce de sa nouvelle stratégie pour l’Afghanistan un événement planétaire. Avant même d’en parler au peuple américain, il a appelé pour leur donner la primeur le Premier ministre britannique, Gordon Brown, le président français, Nicolas Sarkozy, le Premier ministre danois, Lars Loekke Rasmussen, le président russe, Dmitri Medvedev, et, en le recevant à la Maison blanche, il a briefé le Premier ministre australien, Kevin Rudd. Mais ce n’est pas tout. Avant de prononcer son discours de West Point, Obama a informé de sa nouvelle stratégie les autorités afghanes, pakistanaises, hindoues, chinoises et polonaises. Le monde entier ou presque.
Si le président Obama n’a étonné personne en décidant l’envoi d’un renfort de 30000 soldats supplémentaires sur une période de six mois, ce qui fera passer d’ici mai prochain le nombre des forces américaines à 100.000 GI’s, il a en revanche surpris son peuple et ses alliés en limitant l’engagement américain dans le temps, de sorte que, selon la nouvelle stratégie, le retrait des troupes commencera en juillet 2011.
Il y a de quoi s’étonner en effet quand on compare l’énormité de la tâche que les forces étrangères ont à accomplir en Afghanistan et le peu de temps que leur alloue désormais la nouvelle stratégie, c'est-à-dire deux ans ou trois maximum, puisque le président Obama a promis de ramener la totalité de ses troupes à la maison avant la fin de son premier mandat qui se termine le 20 janvier 2013.
La mission des 30000 soldats supplémentaires est de jouer un rôle crucial dans l’affaiblissement des talibans et la prise en charge en termes d’entraînement et d’équipement, des forces militaires et de police afghanes auxquelles sera confiée la sécurité de leur pays. Le nouveau contingent sera déployé dans les zones où les talibans sont massivement présents, y compris et surtout Kandahar dans le sud et Khost dans l’est. Et apparemment les renforts ne seront pas chargés seulement de missions de combat, mais aussi d’un « travail de sape » qui consistera à attirer les éléments les moins convaincus des talibans et de les enrôler dans des milices locales dirigées par des chefs tribaux.
Cette stratégie d’Obama rappelle celle de Bush à la fin de son mandat quand il a accordé au général Petraeus 30000 soldats supplémentaires et plusieurs valises pleines à craquer de billets verts pour financer des milices tribales sunnites irakiennes qui ont joué un rôle vital dans la destruction des structures d’Al Qaida.
Mais cette stratégie qui a réussi à couper les ailes d’Al Qaida en Irak réussira-t-elle à étouffer les talibans en Afghanistan ? Les stratégies de Bush et d’Obama, très similaires, ont été conçues pour des contextes très différents. Les tribus irakiennes sont plus structurées, plus fortes et plus déterminées que les tribus afghanes, ceci d’une part. D’autre part, Al Qaida en Irak est un corps étranger, alors que les talibans font partie intégrante de la société et de la culture afghanes. En Irak, il suffit qu’un membre d’Al Qaida parle pour qu’il se dénonce comme étant étranger. En Afghanistan, il suffit qu’un taliban se rase la barbe pour qu’il se transforme en quelques minutes en civil sans qu’il attire le moindre soupçon. Plus encore, une fois traqués par les milices tribales sunnites, les membres d’Al Qaida avaient toutes les peines du monde à trouver un refuge où se terrer. Les talibans sont passés maîtres dans le jeu du chat et de la souris avec les forces étrangères : la porosité des frontières avec le Pakistan leur a toujours permis de s’évader quand la pression militaire se fait pesante et de revenir quand elle faiblit.
On arrive ici au problème fondamental posé par la nouvelle stratégie d’Obama qui, du point de vue du gouvernement pakistanais, « ne résoudra pas le conflit afghan, mais aggravera la situation au Pakistan. » L’armée pakistanaise, en pleine guerre contre ses propres talibans, redoute fortement que la pression sur les insurgés afghans, que ne manquera pas de provoquer l’arrivée de 30000 soldats américains supplémentaires, n’engendre une fuite massive des talibans afghans vers le Pakistan, compliquant encore plus la situation au Waziristan.
En écoutant attentivement le discours d’Obama, on sent que le président américain est conscient de cette menace qui pèse sur le Pakistan qu’il a tenté de rassurer en ces termes : « Dans le passé, nous avons souvent défini notre relation avec le Pakistan de manière étroite. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maintenant nous sommes engagés dans une relation de partenariat avec le Pakistan basée sur les intérêts mutuels, le respect mutuel et la confiance mutuelle. »
Réagissant à chaud sur les ondes de la BBC, un journaliste pakistanais a affirmé que « le Pakistan a un besoin urgent d’action et non de discours. » En attendant les résultats de la stratégie d’Obama, deux questions fondamentales restent posées : les 30000 soldats supplémentaires pourront-ils aider à réaliser en dix huit mois ce qui n’a pu l’être en huit ans ? L’armée américaine peut-elle résoudre la question afghane sans aggraver la situation déjà explosive au Pakistan ?