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Wednesday, October 28, 2009

En attendant le remède-miracle

Le monde vit depuis plus de longues décennies avec la souffrance des Palestiniens comme s’il s’agit d’un homme atteint d’une maladie de longue durée. Une maladie douloureuse qui empoisonne sa vie, mais que personne ne peut ou ne veut rien faire pour lui. Certes, on s’occupe de lui de temps en temps, on lui donne des calmants, on lui fait croire que les chercheurs se réunissent plus ou moins régulièrement dans leur laboratoire pour trouver le remède à son mal. Mais le remède se fait attendre.
C’est que le virus qui est à l’origine du mal est un peu spécial. Il est plus fort que le système immunitaire du malade, plus fort que les médicaments. Afin d’empêcher que le malade ne se relève un jour, ne se fraye un chemin et ne mène une vie normale parmi les hommes, le virus infecte chaque jour un peu plus de cellules et affaiblit un peu plus le malade. Le virus est un peu spécial parce qu’il s’arrange non seulement à neutraliser durablement le système immunitaire du malade, mais a la force de neutraliser aussi tous les remèdes qui lui sont proposés et qui viennent de l’étranger.
Le monde vit depuis plus plusieurs décennies avec la tragédie palestinienne comme avec un problème qui n’a pas de solution. Comme s’il s’agit d’une fatalité contre laquelle les lois humaines et les tribunaux internationaux ne peuvent rien. Certes, on s’occupe des Palestiniens de temps en temps, on leur donne de l’aide, on leur fait croire qu’il y a des hommes qui se réunissent plus ou moins régulièrement dans le cadre du Quartet ou à Annapolis ou à Genève ou à New York pour trouver la formule magique qui résoudrait leur problème. Mais la solution se fait attendre.
C’est que le pays qui est à l’origine du mal est un peu spécial. Il est plus fort que le système international censé protéger les faibles, plus fort que les lois et les résolutions qui le composent. Afin d’empêcher que les Palestiniens ne se relèvent un jour, ne créent leur Etat et ne mènent une vie normale parmi les nations, le pays en question étend chaque jour un peu plus ses colonies et rend chaque jour un peu plus improbable la création de l’Etat palestinien. Le pays en question est un peu spécial parce qu’il s’arrange non seulement à neutraliser durablement la résistance palestinienne, mais a la force de neutraliser toutes les idées et les propositions de solution qui viennent de l’étranger.
La dernière idée en date qu’Israël a réussi à neutraliser est la proposition du président Obama consistant à geler la construction des colonies pour quelques mois, le temps de reprendre les négociations israélo-palestiniennes qui, soit dit en passant, depuis la conférence de Madrid de 1991 jusqu’à ce jour, n’ont abouti à aucun résultat. Tout le monde retenait son souffle pour voir comment les Etats-Unis sous l’égide d’Obama allaient faire céder Israël sur un détail, insignifiant du reste, car la solution ne réside pas dans le gel des constructions programmées, mais dans le démantèlement des constructions érigées déjà sur des terres occupés par la force et confisquées à leurs propriétaires.
L’issue était plutôt étonnante, car même sur une demande insignifiante, les Etats-Unis se sont révélés incapables de faire céder Israël. C’est le contraire qui s’est produit puisque c’est celui-ci qui a fait reculer ceux-là. De sorte que, maintenant, au sein de l’administration Obama, il est interdit de prononcer le mot « gel », remplacé par un mot moins déplaisant pour Israël : « retenue ».
On comprend la consternation des Palestiniens qui, ayant trop misé sur la capacité du nouveau président américain à faire reculer Benyamin Netanyahu, le regardaient, médusés, reculer lui-même face à l’entêtement du Premier ministre israélien. Déçus, les Palestiniens ont eux-mêmes fini par baisser la barre de leurs revendications de départ pour reprendre les négociations. « Si l’administration du président Obama ne peut forcer Israël à honorer ses engagements, elle doit annoncer qu’Israël est la partie qui fait obstruction au déroulement des négociations de paix », a affirmé, en désespoir de cause, Saeb Erekat.
Sa demande n’a aucune chance d’aboutir et l’administration du président Obama a toutes les raisons de garder le silence. Car si le juge Richard Goldstone, Sud-Africain de confession juive, a été accusé d’ « antisémitisme » simplement pour avoir consigné dans son rapport sur la guerre de Gaza ce que tout le monde sait déjà, comment Obama ne ferait-il l’objet de la même accusation s’il affirmait qu’ « Israël est la partie qui fait obstruction au déroulement des négociations de paix » ? L’épée de Damoclès de l’antisémitisme n’épargne pas ceux qui tiennent des propos plus anodins.
Le plus étonnant est que le monde se laisse encore impressionner par une telle épée de Damoclès si rouillée, si usée qu’elle couvre plus ses utilisateurs de ridicule qu’elle ne fait de mal à ceux qui subissent ses attaques. Le juge Goldstone a ridiculisé ses accusateurs en leur signifiant qu’étant juif et ayant fait son travail consciencieusement, il ne voit pas comment il pourrait être antisémite.
De fait, le vrai antisémitisme qui sévit aujourd’hui au Moyen-Orient est celui dont sont victimes les Palestiniens. Ils sont sémites et ils subissent depuis des décennies un calvaire qui, en termes d’injustices et de souffrances, n’a rien à envier à celui vécu par les Juifs sous le troisième Reich. En attendant le remède-miracle, les Palestiniens demeurent l’Homme malade du Moyen-Orient et Israël le virus rétif à tout médicament.

Monday, October 26, 2009

Le bout du tunnel est encore loin

L’Irak a une histoire qui remonte à la nuit des temps mais, probablement, jamais il ne s’est trouvé engagé dans une crise politique et sécuritaire comme celle qui menace maintenant son identité et la vie de ses citoyens. Si l’on se limite au siècle dernier, on constatera que les Irakiens sont passés par des moments extrêmement difficiles. Mais ni leur confrontation avec l’occupant britannique au début du 20e siècle, ni les coups d’état sanglants des année 50 et 60, ni la guerre avec l’Iran, ni encore la guerre de 1991 qui visait à expulser les troupes irakiennes du Koweït, ni les sanctions étouffantes qui ont suivi n’ont provoqué de crises comparables à celle que vivent les Irakiens depuis le mois de mars 2003.
Pourtant durant les deux dernières années, le rythme des attentats terroristes a diminué sensiblement, permettant aux Irakiens de renouer avec les habitudes simples de la vie de tous les jours. Le mois de ramadan dernier qui, pour la première fois depuis mars 2003, s’est déroulé dans le calme, les jeûneurs ont pu s’aventurer hors de chez eux la nuit et revivre quelques moments du bon vieux temps où Bagdad était l’une des villes les plus sûres du monde.
Aujourd’hui, la peur est là de nouveau. Tous les Irakiens sans exception se sentent en danger de mort dès qu’ils quittent leur foyer pour aller au travail, à l’école ou tout simplement faire des courses. Il faut une bonne dose de courage pour arpenter les artères de la capitale irakienne à pied, à bicyclette, à motocyclette ou en voiture. Quel que soit le moyen de déplacement qu’il utilise, l’Irakien, quand il est en dehors de chez lui, vit avec l’angoisse ressentie par le condamné à mort en sursis qui ne sait pas la date de son exécution.
Les attentats terrifiants de dimanche dernier qui ont fauché la vie de plus de 130 innocents et plongé dans l’enfer de la souffrance plus d’un demi millier de blessés, sont venus rappeler brutalement aux Irakiens, aux Américains et au reste du monde que le bout du tunnel est loin d’être atteint.
Les Kamikazes, en se faisant exploser au volant de leurs camions bourrés l’un d’une tonne et l’autre de 700 kilogrammes d’explosifs, ont décapité et déchiqueté des passants et brûlé vifs dans leurs voitures des automobilistes dont la malchance a voulu qu’ils soient au mauvais endroit au mauvais moment. Les commanditaires de ce terrorisme aveugle, en frappant indistinctement et aveuglément des passants ou des automobilistes innocents, transmettent un message précis : n’importe quel Irakien aurait pu faire partie des 132 morts ou des 500 blessés. Il est clair que l’un des objectifs des terroristes est de terroriser l’ensemble du peuple irakien en rendant toute sortie d’un citoyen de chez soi comme une aventure fort risquée pouvant entraîner la mort.
En effet, une population inhibée et vivant avec la peur au ventre devient elle-même un grand obstacle à la normalisation du pays. Et c’est là l’objectif principal que poursuivent les terroristes. Car si l’Irak se normalisait, les services de l’Etat, en particulier ceux du renseignement et de la sécurité, retrouveraient leur efficacité, et les terroristes seraient vite éliminés et leur « idéologie » destructrice rapidement extirpée.
Force est de constater qu’aujourd’hui les services de l’Etat irakien sont encore défaillants et beaucoup de pratiques, notamment la corruption endémique, versent de l’eau au moulin des terroristes. Si ceux-ci sont toujours capables de se procurer des tonnes d’explosifs, les placer dans des camions, leur faire traverser de nombreux barrages de police et les faire exploser face à des institutions qui symbolisent l’Etat, cela veut dire que le problème de l’Irak est dû plus à la faiblesse et à l’incapacité des services étatiques d’assumer leur responsabilité qu’à la force et à l’ingéniosité des terroristes.
Il n’est guère étonnant que ceux-ci s’engouffrent dans des brèches et tentent de les élargir encore à coups d’explosifs. Ce qui est étonnant, c’est la passivité des services de renseignements et leur incapacité à prévenir les attentats. C’est le laisser-aller dans les barrages de sécurité dont la qualité la moins évidente semble être la vigilance. Selon le témoignage d’un Irakien, « les policiers chargés de surveiller les barrages de sécurité passent leur temps à bavarder entre eux ou accrochés à leurs téléphones portables plutôt qu’à contrôler les véhicules qui passent. » Le fait que les camions des kamikazes de dimanche aient traversé de nombreux barrages sans être inquiétés donnent beaucoup de crédit à ce témoignage.
Evidemment la responsabilité des graves atteintes à la sécurité du pays ne peut être assumée par les seuls services de renseignement et les quelques policiers affectés à la surveillance des « check points ». La responsabilité se situe bien plus haut dans la hiérarchie. Elle incombe au Premier ministre Nouri al Maliki qui ne se résout toujours pas à s’engager sur la voie de la réconciliation nationale en faisant les concessions nécessaires aux groupes sunnites et en réduisant les avantages politiques et matériels excessifs dont est gratifié son entourage. Elle incombe aussi au parlement irakien qui, jusqu’à ce jour, n’arrive pas à s’entendre sur le nouveau code électoral alors qu’il ne reste qu’à peine dix semaines aux prochaines élections législatives, qualifiées de « cruciales ». Cette responsabilité incombe enfin aux Kurdes dont l’unique objectif actuellement est l’annexion de Kirkouk à leur « zone autonome » du Kurdistan irakien, préparant ainsi activement les futurs affrontements entre Arabes et Kurdes sur la région pétrolifère du nord irakien.
On le voit, les terroristes ne sont pas la seule force qui s’oppose aujourd’hui violemment à la normalisation de l’Irak. Les forces politiques qui rivalisent pour imposer leur influence, continuent de tirer chacune la couverture vers elle. Mais cette couverture tiendra-t-elle encore longtemps avant de se déchirer, condamnant le peuple irakien à de nouvelles descentes aux enfers ?

Saturday, October 24, 2009

Erreurs stratégiques et prix à payer

En Afghanistan et au Pakistan, les alliés d’hier se livrent aujourd’hui à une lutte à mort où ni les protagonistes ni les observateurs ne voient l’issue. Les situations politico-militaires dans les deux pays sont si fortement imbriquées, si intimement mêlées que les Américains n’ont trouvé aucune difficulté à les unir sous le même vocable d’ « Afpak ».
Il n’y a pas très longtemps, un peu plus de deux décennies, les Etats-Unis formaient, finançaient et armaient ceux qu’ils considéraient alors comme « les combattants de la liberté ». Il n’y a pas très longtemps non plus, le gouvernement pakistanais vivait en bonne intelligence si l’on peut dire avec les activistes islamistes qui pullulaient chez le voisin afghan, mais aussi dans les zones tribales du nord ouest du Pakistan, c'est-à-dire dans le nord et le sud du Waziristan.
Les raisons qui ont amené les alliés d’hier à s’engager aujourd’hui dans des batailles titanesques sont complexes. Rappelons toutefois qu’après les attaques du 11 septembre 2001, le capital faramineux de sympathie dont jouissaient les Etats-Unis a été dilapidé, et l’occasion d’écraser les talibans et Al Qaida perdue par l’erreur stratégique monumentale commise par l’administration Bush qui, sans avoir terminé le travail en Afghanistan, s’était tournée vers l’Irak.
Au Pakistan, c’est l’obsession d’un « encerclement hindou » qui semblait être le facteur déterminant de l’aide inconditionnelle et généreuse fournie pendant de longues années par Islamabad aux divers groupes islamistes, dont le Hezb Islami de Gulbuddin Hekmatyar, avant de les lâcher et d’aider les talibans à s’emparer du pouvoir en automne de l’année 1996. Cet événement était d’autant plus remarquable que les talibans qui défendaient une conception extrêmement rétrograde de la femme et de son rôle dans la société, s’étaient installés au pouvoir à Kaboul grâce à l’aide d’un gouvernement dirigé à Islamabad par une femme, Benazir Bhutto…
Pour le Pakistan donc, il est vital que les relations entre l’Inde et ceux qui gouvernent l’Afghanistan soient suffisamment tendues de manière à ne permettre aucune présence hindoue en Afghanistan ni aucune influence de New Delhi à Kaboul. Car, depuis la création du Pakistan en 1947, le cauchemar des autorités successives d’Islamabad est de se retrouver un jour prises en sandwich entre l’Inde et un Afghanistan pro-indien. Un bref coup d’œil à la mappemonde nous montre l’énormité des frontières du Pakistan avec ses deux voisins qui s’étendent sur des milliers de kilomètres.
Aujourd’hui, les Etats-Unis d’un côté et le Pakistan de l’autre sont en train de mener deux guerres sur deux fronts, mais contre un ennemi commun, le mouvement taliban, qui a réussi à étendre ses tentacules au-delà des limites qui lui étaient assignées il y a quelques années. Washington et Islamabad ont commis tous deux des erreurs stratégiques semblables qui expliquent aujourd’hui leur enlisement dans des guerres où l’ennemi est insaisissable de par sa capacité à se fondre en un clin d’œil au sein de la population civile ou de sa rapidité à disparaître des les reliefs montagneux. Sans la fixation de l’administration de George W. Bush sur l’Irak, l’armée américaine ne serait pas aujourd’hui dans cette situation intenable. Sans l’obsession des différents gouvernements pakistanais par le « danger hindou », le Pakistan ne serait pas aujourd’hui dans cet état de déstabilisation avancé.
Les Etats-Unis et le Pakistan sont en train de payer aujourd’hui le prix de leur incapacité à déterminer le vrai ennemi et de leur précipitation à mobiliser leurs forces contre le faux ennemi. Car l’Irak n’était pas plus dangereux pour les Etats-Unis que ne l’était l’Inde pour le Pakistan, et les vrais ennemis de Washington et d’Islamabad, on le voit bien maintenant, sont les extrémistes islamistes afghans et pakistanais qui combattent férocement aujourd’hui leurs bienfaiteurs d’hier.
Mais si pour les Etats-Unis, les conséquences de l’erreur stratégique commise est payé en soldats morts, en matériel détruit, en argent gaspillé et en réputation ternie, il n’en est pas de même pour le Pakistan. Le prix à payer par celui-ci pourrait être beaucoup plus élevé dans la mesure où la stabilité même du pays est danger. Elle est secouée chaque jour un peu plus par les attentats quotidiens et audacieux contre lesquels rien ne semble immunisé, pas même les bases militaires ou les mosquées.
En décidant d’engager le bras de fer avec ses propres talibans dans leur fief du Waziristan, les autorités pakistanaises se sont résolues enfin à tenir le taureau par les cornes. Mieux vaut tard que jamais est-on tenté de dire, même si cet affrontement armé aurait été beaucoup plus facile à mener s’il était engagé plus tôt, c'est-à-dire au moment où Islamabad multipliait les compromis, pour ne pas dire les compromissions, avec les talibans dont les appétits pour les concessions se sont révélés insatiables.
En effet, le Pakistan serait dans de bien meilleures conditions aujourd’hui, si, en mobilisant des milliers de ses soldats pour surveiller pendant de longues années le « désert des tartares » à la frontière indo-pakistanaise, ils les avaient envoyés combattre à temps le vrai ennemi, l’extrémisme nihiliste et suicidaire des talibans. Avec du recul, et si elles veulent réellement tirer les leçons erreurs passées, les autorités pakistanaises n’ont d’autre choix que de se rendre à l’évidence que « l’ennemi mortel » du pays n’est pas l’Inde, mais les hordes moyen-âgeuses qui ne cachent pas leur détermination à détruire le pays.
Certes, le divorce entre l’Inde et le Pakistan était très douloureux et les rancoeurs sont encore vives de part et d’autre. Mais ni l’un ni l’autre n’a intérêt à déstabiliser son voisin. Que l’on songe aux impératifs de développement économique et d’allègement du fléau de la pauvreté dans le sous continent indien, ou aux attentats meurtriers qui frappent indistinctement Bombay et Islamabad, le constat de bon sens qui s’impose est que les intérêts du Pakistan et de l’Inde résident dans l’entente et la coopération économique et non dans la méfiance et la rivalité nucléaire.

Wednesday, October 21, 2009

Quand la politique ignore les lois de la physique

Il y a deux semaines, on est passé très près d’une troisième intifada dans les territoires occupés, et principalement en Cisjordanie. C’est presque un miracle que les choses se sont calmées, tellement les raisons d’une troisième révolte palestinienne sont nombreuses et intenses. Il y a bien sûr les raisons devenues classiques, car, depuis le temps qu’elles durent, la seule évolution qui s’opère est celle qui va dans le sens de l’aggravation et de la dégradation : l’occupation avec les barrages qui quadrillent la Cisjordanie ; les soldats qui harcèlent et humilient les Palestiniens ; les colonies qui se multiplient à la manière des cellules cancéreuses ; l’excavation archéologique à Jérusalem-est ; le mur de la honte qui s’étend sur des centaines de kilomètres et qui sépare les villages les uns des autres, les villes les unes des autres, les écoliers de leurs écoles, les artisans de leurs ateliers et les agriculteurs de leurs champs ; les conditions économiques étouffantes ; les horizons désespérément sombres ; la division interpalestinienne et la guerre d’usure à laquelle se livrent l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le gouvernement démis du Hamas à Gaza…
A ces raisons classiques se sont ajoutés deux événements imprévus qui ont failli mettre le feu aux poudres. D’abord les troubles provoqués par les extrémistes religieux qui, profitant de la fête traditionnelle juive de Sukot, (au cours de laquelle les juifs font « le pèlerinage à Jérusalem »), ont investi l’esplanade des mosquées en criant leur détermination à ériger un temple à la place. Le deuxième événement qui a enragé les Palestiniens est le feu vert donné par l’Autorité palestinienne, suite à d’intenses pressions américaines, à l’ajournement du rapport Goldstone.
Des pressions inverses, visiblement plus intenses que celles des Américains, étaient exercées sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle annule l’ajournement et présente à nouveau le rapport Goldstone devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ce qui fut fait. Le reflux de l’activisme des extrémistes religieux juifs à Jérusalem-est et le vote largement positif dont a bénéficié le rapport Goldstone à Genève ont sans doute contribué à calmer les esprits en Cisjordanie. La troisième intifada n’a donc pas eu lieu. Pour combien de temps a-t-elle été ajournée ? C’est la question que beaucoup d’observateurs se posent.
La loi de la physique selon laquelle la pression provoque l’explosion est valable aussi en politique. Le peuple palestinien vit sous une pression intense, et un jour ou l’autre la troisième intifada se déclenchera si l’on n’ouvre pas les vannes pour lui permettre de respirer. Le rapport Goldstone est une petite vanne qui a permis de réduire un peu la pression, mais qu’Israël et les Etats-Unis s’efforcent de fermer au plus vite. Washington a tout fait pour enterre le rapport en question avant qu’il ne soit présenté au Conseil des droits de l’Homme. Ayant échoué, l’administration Obama tentera de lui barrer la route qui mène vers le Conseil de sécurité, et si elle est franchie, le veto est là pour servir à nouveau Israël, et Washington ne cache pas son intention de l’utiliser.
S’il est dans la nature des choses qu’Israël s’efforce de se dérober à la moindre pression, on s’étonnera toujours en revanche de la propension des Etats-Unis, de cet automatisme américain qui veut que chaque fois qu’une pression se déplace des Palestiniens vers les Israéliens, c’est l’alerte générale au sein du gouvernement fédéral américain pour remettre cette pression à sa place « naturelle », c'est-à-dire le peuple palestinien. Des réponses sont intensément souhaitées par beaucoup de monde aux questions suivantes : pourquoi les Etats-Unis tolèrent-ils depuis des décennies les pires injustices subies quotidiennement par le peuple palestinien, et sortent-ils de leurs gonds chaque fois qu’une pression banale est exercée sur Israël ? Pourquoi il est « normal » que le peuple palestinien soit soumis à une occupation impitoyable, à des guerres destructrices et à un blocus étouffant, mais « déraisonnable » de produire un simple rapport détaillant les crimes de guerre israéliens ?
Quand l’administration américaine se trouve acculée à répondre à ce genre de questions, ses réponses sont toujours empruntées à la position officielle israélienne : il ne faut pas mettre la pression sur Israël, cela met en danger le processus de paix…C’est d’ailleurs cette réponse tragi-comique qu’Israël ne cesse de crier sur les toits depuis la publication du rapport Goldstone.
Le terme « processus de paix » a été vidé depuis longtemps de son sens par les pratiques israéliennes sur le terrain, par la multiplication des voyages inutiles des innombrables « envoyés spéciaux » américains et la profusion de forums stériles genre Annapolis. Ainsi, quand Israël prévient le monde que le rapport Goldstone « met en danger le processus de paix », on hésite entre éclater de rire ou éclater en sanglots.
Le drame est que les Etats-Unis, loin de s’opposer à cette tendance désastreuse, semblent la renforcer par des décisions surprenantes. La dernière de ces décisions consiste à s’engager avec l’armée israélienne dans des manœuvres aériennes communes « les plus importantes de l’histoire des deux pays ». Deux remarques s’imposent ici. D’abord, cette décision est un peu futile, puisqu’elle vient en réaction à l’annulation par la Turquie de la participation d’Israël aux manœuvres aériennes américano-israélo-turques précédemment programmées. Ensuite cette décision est étonnante dans la mesure où elle vise à aguerrir une armée de l’air israélienne qui, jusqu’à présent, n’a servi à rien d’autre qu’à bombarder les civils palestiniens et libanais désarmées et à détruire des infrastructures dépourvues de défense anti-aérienne. Pour apprécier la chose à sa juste valeur, on n’a qu’à imaginer Mike Tyson en train de faire le plus grand entraînement de sa vie pour se préparer à un match avec un gamin de dix ans…

Monday, October 19, 2009

Terrorisme nucléaire

L’une des raisons avancées pour justifier l’octroi du prix Nobel de la paix au président américain est « l’importance particulière » qu’attache le Comité d’Oslo « à la vision et au travail d’Obama pour un monde sans armes nucléaires ». Il est vrai que l’homme paraît sincèrement préoccupé par la prolifération nucléaire et semble déterminé à déployer des efforts pour réduire son ampleur, même si son administration a osé une seule fois aborder explicitement la question du nucléaire israélien, avant de revenir à la position classique américaine, c'est-à-dire un silence assourdissant.
Il va sans dire que Barack Obama terminera les trois ans qui lui restent à la Maison blanche (ou sept dans le cas où il remportera un second mandat en 2012), sans qu’il y ait une percée significative dans la réduction du nombre des ogives nucléaires dans le monde qui se comptent par dizaines de milliers. Il n’est pas magicien pour qu’il les fasse disparaître d’un coup de baguette, et aucun pays nucléaire ne semble pressé de donner l’exemple en envoyant son arsenal à la casse, les Etats-Unis et Israël moins que d’autres.
Il faut dire que depuis le lancement de la bombe à base d’uranium sur Hiroshima et d’une autre à base de plutonium sur Nagasaki en août 1945, avec les conséquences terrifiantes que l’on sait, les pays qui maîtrisent la technologie nucléaire à des fins militaires se sont contentés d’accumuler les milliers d’ogives sans qu’aucun n’ose les utiliser contre un ennemi, fût-il non détenteur de la bombe. Il y a eu certes en pleine guerre froide des fous aux Etats-Unis qui conseillaient la Maison blanche de charger quelques ogives nucléaires sur des missiles intercontinentaux et de les envoyer sur Moscou ou Saint Petersbourg dans le cadre d’une « guerre préventive » contre l’Union soviétique. Si la guerre froide s’est terminée sans dégâts majeurs, c’est parce que les décideurs américains n’avaient pas suivi les conseils de ces apprentis sorciers aveuglés par la haine qu’ils ressentaient envers l’idéologie communiste.
On croyait que l’idée saugrenue de « guerre nucléaire préventive » s’est éteinte avec la fin de la guerre froide. Mais la haine est toujours là. Tenace, aveuglante, provoquant chez certains le désir irrépressible de voir le pays détesté brûlé par le feu nucléaire.
Le 9 octobre donc, le président Obama reçoit le prix Nobel de la paix pour, entre autres, sa « vision » et son « travail » pour « un monde sans armes nucléaires ». Cinq jours après, le 14 octobre plus exactement, un ancien responsable de l’administration américaine, John Bolton, appelle indirectement Israël à utiliser ses armes nucléaires contre l’Iran. Un double pied de nez fait par Bolton à Obama : il appelle à une guerre nucléaire contre l’Iran cinq jours après l’obtention par celui-ci du prix Nobel de la paix. Et l’appel est adressé de Chicago, la ville d’Obama.
Le mardi 14 octobre, une manifestation de soutien à Israël a été organisée à l’université de Chicago par des gens qui se font appeler « les jeunes républicains » et « les amis d’Israël à Chicago ». John Bolton, l’ancien représentant de Bush à l’ONU, était l’invité vedette. Il a prononcé un discours intitulé : « Assurer la paix », un titre qui relève peut-être d’un humour douteux, mais ne reflète nullement le contenu du message boltonien : « Les négociations ont échoué. Les sanctions aussi. Nous nous trouvons dans une situation très malheureuse où l’Iran aura ses armes nucléaires dans un très proche avenir, à moins qu’Israël n’utilise ses armes nucléaires contre le programme iranien. »
Ce qui est incroyable, c’est que cet appel, implicite mais terrifiant, lancé par Bolton de Chicago à Israël pour l’inciter à engager ses armes nucléaires contre l’Iran passe inaperçu. La gravité ne réside pas dans ce qu’a dit Bolton. Celui-ci est connu par la haine inextinguible qui l’habite contre le monde arabe et musulman et ses vociférations enragées pour la défense des causes injustes et immorales n’étonnent plus personne. Ce qui étonne, en revanche, c’est le silence assourdissant observé aux Etats-Unis, y compris par le président fraîchement récompensé par le prix Nobel de la paix, face à des appels de cette nature.
La gravité de ce silence réside dans le fait qu’il établisse une distinction entre les deux genres de discours terroristes qui menacent la paix mondiale : le discours terroriste d’Al Qaida qui appelle à s’en prendre par tous les moyens aux pays occidentaux, et le discours terroriste boltonien qui appelle à s’en prendre par tous les moyens aux ennemis d’Israël, y compris en recourant à l’arme nucléaire.
On est habitué à la règle des deux poids et deux mesures appliquée par une sorte de réflexe pavlovien dès qu’il s’agit de juger par exemple un incident ou un drame découlant du conflit israélo-arabe. Mais on est moins habitué à l’application de cette règle aux discours terroristes en fonction de leur origine. Maintenant on est édifié.
Obama, lui-même l’a reconnu, a eu le prix Nobel de la paix non pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il est appelé à faire. Et la première chose à faire pour un Nobel de la paix est de refuser toute distinction entre les discours terroristes en fonction de leur origine. S’il a tout à fait raison de dénoncer le discours terroriste nihiliste d’Al Qaida, il a tout a fait tort de passer sous silence le terrorisme nucléaire de Bolton.

Wednesday, October 14, 2009

Retour rapide aux vieilles habitudes

Les directions politiques palestiniennes établies à Gaza et à Ramallah sont à couteaux tirés. L’exacerbation des tensions entre le Hamas et le gouvernement de Mahmoud Abbas est telle que la réconciliation devient un mot vide de sens et que sa concrétisation s’éloigne chaque jour un peu plus. Comment peut-il en être autrement quand le Hamas traite le président palestinien de « traître » et que celui-ci qualifie la structure administrative à Gaza d’ « émirat obscurantiste » ? Comment peut-on espérer un accord inter-palestinien quand le Hamas accuse l’Autorité palestinienne d’être « à la solde d’Israël » et que celle-ci accuse les chefs islamistes au pouvoir à Gaza d’avoir « pris la fuite à bord d’ambulances », laissant les Gazaouis « seuls » sous les bombardements israéliens pendant la dernière guerre de décembre-janvier 2008-2009 ?
Le gouvernement de Benyamin Netanyahu a toutes les raisons de jubiler. Le déchirement inter-palestinien est une divine surprise pour Israël qui observe, tout en se frottant les mains, comment ses ennemis sont en train de perdre leur temps et leurs énergies à s’affaiblir mutuellement.
Certes, les déchirements inter-palestiniens ne sont pas une nouveauté. Il est arrivé que des militants palestiniens de différentes tendances politiques à bout d’arguments, règlent leurs différends par les armes. Le problème maintenant est que depuis juin 2007, deux autorités politiques se disputent la légitimité populaire et, du coup, toutes les énergies qui devraient être utilisées contre l’occupant sont gaspillées dans les querelles intestines qui ne servent que ceux qui occupent leurs territoires par la force depuis plus de 42 ans.
Avant même la soudaine irruption de la tension entre Gaza et Ramallah, les deux autorités établies dans ces deux villes palestiniennes sont de plus en plus déconsidérées sur le plan interne et international.
Depuis le coup de juin 2007, le Hamas s’accroche à un pouvoir qui ressemble à une coquille vide. En termes de moyens financiers et de forces de sécurité, il ne dispose pas du minimum requis pour exercer le pouvoir. Résultat : le peuple palestinien à Gaza est à bout de forces, victime à la fois des agressions militaires et du blocus économique d’Israël d’une part, et de l’entêtement des gens du Hamas à s’accrocher au pouvoir dont ils n’ont pas les moyens d’exercer, d’autre part. Pour se convaincre qu’ils sont au pouvoir, les responsables du Hamas, qu’ils soient à Damas ou à Gaza, font des discours et s’en prennent avec virulence au président Abbas et à son entourage.
Si la situation des Palestiniens de Cisjordanie est un peu moins dramatique que celle de leurs frères de Gaza, l’Autorité palestinienne ne s’en sort pas mieux que ses rivaux du Hamas. On peut même dire qu’elle se trouve dans une situation bien plus difficile. Elle est coincée entre les pressions combinées des Etats-Unis et d’Israël d’un côté, et ses responsabilités envers le peuple palestinien, de l’autre.
A un certain moment, en écoutant le nouveau président américain parler, le monde entier s’est mis à rêver de paix au Moyen-Orient. Le rêve n’a pas duré longtemps puisque tout le monde est en train d’observer avec frustration le « recul » de la Maison blanche par rapport aux positions exprimées sur la question au lendemain de l’élection de Barack Obama.
Celui-ci n’a même pas pu tenir bon sur la question du gel de la construction des colonies. Pire encore, exerçant des pressions intenses sur Mahmoud Abbas, il l’a forcé à faire le voyage à New York le mois dernier pour rencontrer Netanyahu dans le cadre du fameux « sommet tripartite » qui n’a servi qu’à prendre la photo d’un président palestinien très embarrassé tendant la main avec réticence au Premier ministre israélien.
Le sommet tripartite de New York n’était pas seulement inutile, mais contre-productif. Il a affaibli le président palestinien encore un peu plus vis-à-vis de son peuple, et a accru l’arrogance de Netanyahu et l’intransigeance de son gouvernement.
Les pressions américaines ne sont pas arrêtées là. Il y a quelques jours, Washington, sans doute sous la pression du Lobby, a forcé l’Autorité palestinienne à demander l’ajournement de la discussion du rapport Goldstone. Face aux critiques acerbes, l’Autorité a fait marche arrière. Mais le mal est fait, et Mahmoud Abbas est, encore une fois, affaibli pour avoir subi les intenses pressions américaines.
Que vise Washington par cette soudaine concentration des pressions sur la partie faible ? Quel message la Maison blanche veut-elle transmettre par sa démission face aux pressions israéliennes au point qu’elle n’aborde plus maintenant la question des colonies en termes de « gel », mais de « retenue » (restraint) ? Que gagnent les Etats-Unis en affaiblissant une Autorité palestinienne déjà faible et en donnant du grain à moudre à ses détracteurs ?
Sous l’évidente pression du Lobby, les Etats-Unis, après la tentative d’Obama d’impulser le processus de paix, semblent revenir avec une rapidité déconcertante à leurs vieilles habitudes : faire du sur-place en faisant croire qu’ils avancent. Comme ceux qui l’ont précédé, George Mitchell multiplie les tournées dans la région. En six mois, il a fait sept voyages, mais pas le moindre résultat. Comme ses prédécesseurs, Mitchell, en consommant des millions de litres de kérosène pour ses déplacements, est en train de contribuer beaucoup plus au réchauffement climatique qu’à celui de l’atmosphère politique au Moyen-Orient.

Monday, October 12, 2009

Turquie-Arménie: deux gagnants à l'aller

Le 7 septembre dernier, un match comptant pour la qualification à la phase finale de la coupe du monde 2010 en Afrique du sud a opposé la Turquie et l’Arménie à Erevan. Le président turc Abdallah Gül était dans les tribunes à côté de son homologue arménien, Serge Sarkissian. Les deux hommes ne s’étaient sûrement pas contentés de commenter les deux buts marqués par l’équipe turque, mais avaient sans doute aussi évoqué les points que l’Arménie rêve de marquer sur le terrain diplomatique, mais que la Turquie semble encore déterminée à ne pas encaisser.
Demain, le 14 octobre, le match retour se déroulera dans la ville turque de Bursa, et il y a tout leu de croire que Gül et Sarkissian, qui seront présents dans les tribunes pour suivre la partie, parleront beaucoup moins de ce qui se passera sur le terrain de football entre les deux équipes nationales que de ce qui se déroule actuellement sur le terrain marécageux de la politique entre les responsables des deux pays, après la signature samedi dernier à Zürich des « accords historiques » visant à résoudre le lourd contentieux turco-arménien.
Entre les deux matchs aller-retour, c'est-à-dire en quelques semaines, l’histoire a connu une grande accélération après une longue immobilité qui a duré des décennies au cours desquelles la Turquie et l’Arménie ruminaient chacune de son côté sa rancœur contre l’autre.
Le sujet principal de la discorde porte sur la mort de centaines de milliers d’Arméniens en 1915-1916 que l’Arménie qualifie de « génocide » et la Turquie de « répression normale d’un soulèvement ». Bien que l’événement tragique eût lieu il y a près d’un siècle et qu’il fût commis par une armée en débandade d’un empire agonisant, la Turquie moderne est toujours tenue pour responsable par les Arméniens qui exigent la reconnaissance du « génocide » par l’Etat turc.
Cette difficulté semble momentanément dépassée grâce à l’accord entre les deux pays sur la création d’une commission qui se chargera d’étudier « de manière scientifique et impartiale les données historiques et les archives » relatives aux circonstances de la mort massive d’Arméniens.
C’est cet accord qui a débloqué l’évolution vers la normalisation entre Ankara et Erevan. Il a abouti, après des négociations ardues et l’implication active de Moscou et de Washington, à la signature des accords de Zürich qui prévoient le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays et l’ouverture des frontières scellées depuis 1993.
Un deuxième sujet de discorde entre les deux pays a surgi aussitôt après la signature de ces « accords historiques » : la question de l’enclave du Nagorny Karabakh qui empoisonne depuis deux décennies les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En effet, une guerre a opposé ces deux pays entre 1988 et 1994 sur cette enclave peuplée majoritairement d’Arméniens et que l’Arménie a réussi par la force à annexer à son territoire. La Turquie, qui a pris fait et cause pour le turcophone Azerbaïdjan, a réagi en scellant la frontière turco-arménienne qui, jusqu’à ce jour, demeure hermétiquement fermée.
Apparemment, les rédacteurs des protocoles de Zürich ont escamoté délibérément cette délicate question afin de faciliter leur signature. On se rend compte maintenant qu’ignorer les questions délicates n’est pas le meilleur moyen de les résoudre. Quelques heures après la clôture de la cérémonie de signature à Zürich, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a affirmé que son gouvernement n’ouvrira pas la frontière avec l’Arménie tant que ce pays n’aura pas évacué les territoires qu’il « occupe » en Azerbaïdjan.
Le rapprochement turco-arménien n’est pas entravé seulement par les exigences officielles de part et d’autre, mais également par de fortes résistances populaires dans les deux pays. Résistances minoritaires certes, mais qui ont réussi à jeter une ombre sur la cérémonie de signature des protocoles et pourraient réussir à retarder leur ratification. Les extrémistes turcs et arméniens qui se vouent une haine inextinguible suivent maintenant un objectif commun : faire échouer la ratification.
Le match aller entre la Turquie et l’Arménie a eu lieu le samedi 10 octobre à Zürich et les deux pays en étaient sortis gagnants après la signature des « accords historiques ». Les deux principaux protagonistes du match, le Turc Ahmet Davutoglu et l’Arménien Edouard Nalbandian, se sont longuement serrés la main et se sont chaudement congratulés de leur victoire commune face aux spectateurs européens, américains et russes qui applaudissaient en arborant de larges sourires.
Le match retour pour la ratification, dont la date n’est pas fixée, se déroulera dans les deux capitales, Ankara et Erevan. La victoire des deux pays dans ce match retour est de rigueur si l’on ne veut pas retourner à la case départ. Et si l’on ne veut pas de la victoire de ceux qui ne sont pas intéressés par le jeu, mais par les troubles.

Saturday, October 10, 2009

Un Nobel trop particulier à un homme très spécial

Commençons par souligner un grand paradoxe : le pays qui a été quasi-constamment en guerre pendant le XXe siècle et qui continue à l’être en ce début du XXIe contre un ou plusieurs pays à la fois est celui qui a le plus grand nombre de présidents lauréats du prix Nobel de la paix. Theodore Roosevelt, Thomas Woodrow Wilson et Barack Obama ont remporté le prix respectivement en 1906, 1919 et 2009, alors qu’ils sont en plein exercice de leurs fonctions. Un autre président, Jimmy Carter, l’a eu en 2002, vingt deux ans après avoir terminé son mandat, et un vice-président, Al Gore, en 2007. Et même un secrétaire d’Etat, Henry Kissinger pour ne pas le nommer, a remporté le même prix en 1973, c'est-à-dire à un moment où les bombes américaines pleuvaient sur le Vietnam…
D’habitude, pour justifier son choix, le Comité du Nobel pour la paix puise dans le passé du candidat et met en valeur ses contributions, généralement substantielles et qui s’étendent sur des années, en faveur de la paix dans le monde. Par exemple en 2002, en honorant Jimmy Carter, le Comité a souligné « les efforts infatigables déployés pendant des décennies » par l’ancien président américain pour un monde moins belliqueux et plus paisible.
Cette fois, le Comité d’Oslo n’a pas regardé vers le passé du lauréat, mais l’a récompensé d’avance pour l’encourager à continuer sur la voie de la paix. Un peu comme ce père qui couvre son fils de cadeaux pour le récompenser de sa réussite dans un examen qu’il n’a pas encore passé. En d’autres termes, ce Nobel de la paix ne vient pas récompenser Obama pour ce qu’il a accompli, mais fortifier son crédit international et l’inciter à aller de l’avant dans le sens de l’accomplissement de ses promesses faites pendant ses célèbres discours d’avril et juin de cette année à Prague et au Caire.
Certes, en neuf mois d’exercice de pouvoir à la tête de la plus grande puissance du monde, le président américain a remis fondamentalement en cause les principaux choix politiques de son prédécesseur qui ont gravement détérioré la relation de l’Amérique avec le reste du monde : l’unilatéralisme, le mépris du droit international, la force militaire comme moyen privilégié pour résoudre les différends internationaux, la supériorité de la démocratie américaine sur tous les autres systèmes et la prétention de l’imposer sous d’autres cieux manu militari, l’arrogance comme principal moyen de communication avec les autres etc…
A ce niveau, on peut dire qu’à défaut d’un prix Nobel de la guerre à décerner à George Walker Bush, un prix Nobel de la paix est décerné à Barack Obama. Le Comité d’Oslo l’a fait en reconnaissance « des efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples. » Le comité a aussi souligné « l’importance particulière » qu’il attache « à la vision et au travail d'Obama pour un monde sans armes nucléaires. » Un clin d’œil évident au discours du président américain de Prague et une incitation claire à aller de l’avant dans son ambitieux projet de dénucléarisation du monde.
Cependant, un simple renversement de tendance de la politique de son prédécesseur, dont les résultats, du reste, se font encore attendre dans plusieurs domaines, n’est pas suffisant pour mériter le plus prestigieux des prix Nobel. Obama en est parfaitement conscient puisqu’il a exprimé sa surprise sans pouvoir cacher son embarras : « Pour être franc, je n'ai pas l'impression que je mérite de me retrouver en compagnie de tant de personnalités qui ont transformé leur époque et qui ont été distinguées par ce prix », a affirmé le président américain. Il a reconnu honnêtement que ce prix lui a été décerné non pas pour ce qu’il a accompli, mais comme « un appel à l’action », selon ses propres termes.
Pour le Nobel de cette année, le Comité a reçu un nombre record de candidatures : 205 au total. Parmi eux, il y a sans aucun doute beaucoup qui, en matière de lutte pour la paix, ont un « CV » nettement plus volumineux que celui d’Obama. Le choix du lauréat a été déterminé cette année non pas en consultant les dossiers des candidats, mais en scrutant la situation internationale.
Le politologue français Bertrand Badie a peut-être un peu raison de souligner que « le comité a essayé de renforcer l'autorité morale du président au moment où elle semble faiblir par rapport aux réalités internationales. » Une chose est certaine : le comité a eu l’occasion d’influencer l’homme le plus puissant du monde et il ne l’a pas ratée. C’est un peu comme si, sachant qu’Obama a le pouvoir constitutionnel de déclencher des guerres, le comité a voulu cadenasser pour les trois ou sept ans à venir cette sphère des prérogatives de l’Exécutif américain.
Car un Nobel de la paix ne déclenche pas de guerre. Car un Nobel de la paix qui a hérité des guerres aura plus de motivation de les boucler rapidement. Car un homme qui est à la fois détenteur du Nobel de la paix et du plus grand pouvoir de décision sur terre est un atout inestimable pour un monde qui cherche désespérément à éteindre ses innombrables foyers de tension, à se débarrasser de ses armes nucléaires et à trouver le remède aux excès de plus en plus désastreux d’un climat déboussolé. Telles sont les véritables motivations du Comité d’Oslo qui, cette année, a décerné un Nobel trop particulier à un homme très spécial.

Wednesday, October 07, 2009

La Turquie et Israël, une histoire complexe

Dans le monde arabo-islamique beaucoup se demandent avec étonnement comment se fait-il que la troisième puissance musulmane par la population et la première par le développement économique a-t-elle été amenée à s’allier avec Israël et à développer des « relations privilégiées » avec ce pays au point d’organiser avec lui des manœuvres militaires devenues rituelles?
Un rapide coup d’œil sur la mappemonde est suffisant pour nous convaincre que le pays le mieux placé géographiquement est la Turquie. Baignée au nord par la Mer noire et au sud par la Méditerranée, la Turquie dispose en outre de la clef du Bosphore qui relie ces deux grandes zones navigables. C’est aussi le seul pays au monde qui dispose de frontières communes à la fois avec le monde arabe et des pays de l’Asie de l’ouest et de l’Europe de l’est.
Ces atouts naturels n’étaient pas toujours traduits en avantages stratégiques, loin s’en faut. Pendant les longues années de la guerre froide, la Turquie avait été l’objet d’intenses convoitises de la part de l’Union soviétique, frustré de ne pas disposer du double de la clef du Bosphore, ce qui lui aurait permis de respirer à plein poumon et de narguer à loisir la 6e flotte américaine en Méditerranée.
La frustration de l’URSS était double en fait. La flotte soviétique, à cause de l’ « obstacle turc », ne pouvait pas avoir librement accès aux mers chaudes du sud qu’elle cherchait désespérément à atteindre. De plus, la Turquie avait non seulement opté pour le système économique occidental, mais elle avait aussi fait le choix stratégique d’être l’un des plus importants piliers de l’OTAN.
Désirant contourner l’« obstacle turc » et rêvant de l’encercler, l’URSS avait établi des alliances avec l’Irak et la Syrie, pays frontaliers de la Turquie, et avec l’Egypte de Nasser. La réaction naturelle de la Turquie était de chercher à neutraliser les alliés de l’URSS dans sa frontière sud en s’alliant à la fois avec l’Iran du Chah et Israël. Le raisonnement des stratèges turcs de l’époque était que ces deux pays étant naturellement antisoviétiques, une alliance avec eux soulagerait la Turquie du harcèlement indirect de l’URSS à travers Bagdad, Damas et le Caire.
En s’alliant avec l’Iran du Chah et Israël, la Turquie visait à faire échouer la tentative d’encerclement soviétique par le sud en appliquant à la lettre l’adage : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». L’Iran et l’Irak sont des ennemis séculaires. L’Irak est l’ami de l’URSS qui est l’ennemie de la Turquie. Donc celle-ci et l’Iran deviennent amis et alliés. Le même raisonnement est fait à propos de la Syrie et l’Egypte d’une part et Israël d’autre part. Sans parler bien sûr du contentieux historique entre le monde arabe et la Turquie, celle-ci faisant assumer à celui-là une part de responsabilité dans l’écroulement de l’empire ottoman. Tel est donc le cheminement historique des « relations privilégiées » entre Ankara et Tel Aviv.
Le rapprochement turco-israélien, du fait de la pression soviétique, était un gain stratégique inespéré pour Israël. La Turquie est, démographiquement, la troisième puissance musulmane (après l’Indonésie et le Pakistan) et la première puissance militaire et économique dans la région. On imagine la divine surprise pour Israël quand, du coup, la Turquie était devenue son alliée.
Le séisme stratégique qu’avait constitué l’écroulement de l’Union soviétique, il y a près de vingt ans, était porteur de profonds changements très avantageux pour la Turquie. Celle-ci, avec la disparition du danger soviétique, n’avait vraiment plus de raison de considérer Israël comme un partenaire stratégiquement utile. Cependant, en dépit de l’inutilité stratégique d’Israël, la Turquie a maintenu pendant des années le niveau privilégié de ses relations avec l’Etat hébreu.
L’Histoire est riche en exemples d’alliances bâties pour s’opposer à un danger commun et qui se sont maintenues longtemps après la disparition du danger qui les a fait naître. Cela s’explique par l’habitude, la fidélité ou l’émergence d’un intérêt commun d’une autre nature.
La Turquie et Israël ont tous deux des relations très étroites avec les Etats-Unis qui eux ne voulaient en aucun cas que les liens entre Ankara et Tel Aviv soient distendus. Le raisonnement de Washington est simple : la Turquie étant le seul pays musulman à avoir des relations privilégiées avec l’Etat hébreu, il est donc de la plus haute importance aussi bien pour Israël que pour les Etats-Unis que les choses ne changent pas. A cela s’ajoute la coopération économique et militaire très développée entre les deux pays et qui est sans doute un élément déterminant dans le maintien de la « relation privilégiée » israélo-turque.
Cela ne veut pas dire que les relations entre les deux pays étaient toujours au beau fixe. Elles sont passées par des crises du fait des agressions multiples d’Israël contre les Palestiniens et les Libanais et du fait du mépris constamment manifesté par ce pays vis-à-vis du droit international. Ces crises sont devenues plus intenses depuis l’accession au pouvoir du parti du Premier ministre actuel Tayyip Erdogan.
La guerre de Gaza de décembre 2008-janvier 2009 a ramené les relations entre Ankara et Tel Aviv à leur niveau le plus bas. La crise était telle qu’elle avait pris un aspect spectaculaire que le monde entier avait pu suivre en direct à la télévision. Erdogan, furieux contre les mensonges de Peres sur la guerre de Gaza, mais également contre le « modérateur » américain David Ignatieff, exagérément pro-israélien, avait non seulement quitté le plateau mais Davos aussi le soir même.

Monday, October 05, 2009

Le traité de Lisbonne et la politique politicienne

Le 12 juin 2008 était une journée stressante pour l’Union européenne. Les Irlandais, qui ne comptent pas plus d’un pour cent de la population des 27, avaient alors voté « non » au traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 et destiné à réviser en profondeur les institutions européennes dans le sens d’une « plus grande visibilité » et d’une « plus grande stabilité ».
Le vote négatif des Irlandais avait mis ce jour là l’Union européenne entre deux feux. D’une part, la règle de l’unanimité est sacrée pour tout ce qui touche aux grands changements institutionnels au sein de l’UE, et, d’autre part, il est difficile d’accepter l’idée que 53,4% du 1% de la population de l’Union puissent à eux seuls enterrer un traité d’une importance vitale pour le développement de l’Union, et peut-être même pour sa survie. Il a fallu plus d’un an de négociations et de pressions pour convaincre le gouvernement irlandais d’organiser un autre référendum dans l’espoir de débloquer la situation.
Dublin a accepté d’organiser un nouveau référendum seulement après avoir reçu les assurances que certaines spécificités irlandaises seraient préservées : l’interdiction de l’avortement, la neutralité militaire et un faible taux d’imposition. C’est à ces conditions que les Irlandais ont voté à nouveau vendredi dernier. Ils ont cette fois dit « oui » au traité de Lisbonne à une majorité confortable de 67,13%.
Le soulagement était prédominant vendredi dans la plupart des grandes capitales européennes. 24 d’entre elles ont déjà terminé le processus de ratification du traité de Lisbonne, avant d’être rejoints par Dublin. Seuls deux pays n’ont pas encore ratifié le traité : la Pologne et la République tchèque.
Il est pour le moins insolite que ces deux pays, considérés comme marginaux au sein de l’Union, s’efforcent de bloquer le processus de ratification du traité de Lisbonne. C’est d’autant plus singulier qu’aussi bien la Pologne que la Tchéquie sont encore une charge économique et financière qui reçoivent de l’Union beaucoup plus qu’ils ne lui donnent et, par conséquent, ont un intérêt évident dans le développement de ses institutions plutôt que dans leur blocage.
L’autre singularité de ces deux pays est que les populations soutiennent majoritairement le traité de Lisbonne, mais leurs dirigeants s’y opposent. Le vote négatif des Irlandais le 12 juin 2008 a été un pain béni pour les dirigeants tchèques et polonais qui ont cru un moment que leur rêve d’enterrer le traité de Lisbonne a été réalisé à peu de frais par Irlandais interposés. Il n’est pas étonnant dès lors que la déception soit le sentiment prédominant à Prague et à Varsovie après l’annonce samedi dernier par Dublin des résultats largement positifs du référendum.
A Varsovie, le président Lech Kaczynski avait refusé de ratifier le traité avant les résultats du deuxième référendum irlandais. Il s’accrochait sans doute à l’espoir d’un deuxième « non » qui le tirerait d’embarras. Il avait toutefois promis de le ratifier en cas de vote positif en Irlande. Il lui est difficile de se dédire.
A Prague, les choses sont plus compliquées. Le groupe d’opposants au traité, à la tête
duquel se trouve le président Vaclav Klaus, est plus actif et plus déterminé que le groupe de Varsovie. Bien que le parlement tchèque ait ratifié le traité, le président Klaus refuse toujours de signer le document en question pour rendre cette ratification effective. Et, pour compliquer encore les choses, des partisans eurosceptiques du président tchèque ont déposé devant la Cour suprême un recours contre la ratification du traité par le parlement. Si ce recours est accepté, il faudrait à la Cour entre trois et six mois pour rendre son jugement. Un bon prétexte pour Vaclav Klaus pour retarder encore la ratification.
Il y a le risque que les choses ne s’arrêtent pas à Prague, mais débordent à Londres. En effet, les Britanniques voteront pour un nouveau parlement au printemps prochain, c'est-à-dire dans six mois environ. Les conservateurs, d’après tous les sondages, caracolent en tête avec 12% d’avance sur le parti travailliste qui redoute une défaite historique. Le chef des tories, David Cameron, sûr de sa prochaine victoire, menace de remettre en cause la ratification britannique du traité de Lisbonne au cas où il resterait un seul pays qui ne l’aurait pas ratifié. Si l’on en croit le quotidien britannique The Daily Mail, David Cameron a même écrit une lettre dans ce sens au président tchèque Vaclav Klaus.
Si l’information du Daily Mail est vraie, il ne sera pas difficile d’imaginer le contenu de la lettre du chef de l’opposition britannique. Elle consisterait selon toute vraisemblance à inciter le président tchèque à traîner encore les pieds pendant quelques mois le temps que David Cameron prend remplace Gordon Brown…
L’Union européenne est consciente de ce scénario-catastrophe et elle s’emploiera sans doute à l’éviter à tout prix. Une institution de la taille et de l’importance de l’UE ne peut pas se permettre d’hypothéquer son avenir par le jeu de politique politicienne auquel semblent se livrer le président tchèque et le chef de l’opposition britannique.