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Wednesday, March 31, 2010

Irak: manoeuvres post-électorales explosives

Sept ans après l’invasion de l’Irak, l’Iran, sans fournir le moindre effort, est toujours là à récolter les fruits de ce qu’il n’a pas semé et à collectionner les avantages politiques et stratégiques qu’il n’avait jamais imaginé dans ses rêves les plus fous se voir un jour offrir de la part de son pire ennemi sur un plateau d’argent. Les Etats-Unis, de leur côté, n’avaient jamais imaginé, dans leurs scénarios les plus cauchemardesques, que leur mésaventure irakienne allait servir si généreusement leur ennemi iranien et desservir si copieusement leurs propres intérêts stratégiques dans la région.
Cette vérité, qui a émergé dès les premiers mois de l’invasion américaine, est aujourd’hui visible dans toute sa plénitude à la lumière de l’imbroglio politique qui secoue l’Irak depuis l’annonce des résultats très serrées des élections législatives. La décision relative à tout ce qui concerne de près ou de loin le prochain gouvernement irakien sera très vraisemblablement fabriquée à Téhéran plutôt qu’à Washington et encore moins à Bagdad.
Même s’il a réalisé une belle victoire sur le front intérieur en imposant sa réforme de l’assurance-maladie, le président Obama demeure absorbé par une multitude d’autres problèmes, dont le chômage, la guerre d’Afghanistan, l’instabilité au Pakistan, l’incapacité à influer sur le conflit israélo-arabe et à tenir en laisse les dirigeants israéliens etc. Par conséquent, la dernière chose que la Maison blanche souhaiterait c’est d’être embarquée dans la galère des querelles post-électorales irakiennes. Il n’est pas clair si les Etats-Unis ont une préférence pour un courant ou un autre. Mais, après sept années d’engagement très coûteux en sang et en argent, Washington n’a guère le choix que d’accepter tout gouvernement capable de faire régner un minimum de stabilité afin que le plan de retrait des troupes américaines soit mené à son terme.
Téhéran se trouve dans une tout autre situation. Après des années de voisinage difficile, d’inimitiés et de guerres avec son voisin de l’ouest, les Iraniens semblent déterminés à utiliser tous leurs moyens pour imposer un gouvernement qui prendrait conseils et directives à Téhéran plutôt qu’à Washington ou à Ryadh. Les Iraniens ne cachent pas leur stratégie : barrer la route du pouvoir à Iyad Allaoui et mettre en place un gouvernement de coalition qui regrouperait les deux courants chiites dirigés par Maliki d’une part, et par Moqtada Sadr et Adel Abdel Mahdi de l’autre, ainsi que le courant kurde bicéphale que dirige le couple Talabani et Barzani.
En d’autres termes, ce que cherche actuellement l’Iran, c’est de voir s’installer au pouvoir à Bagdad une coalition composée de l’Etat de droit de Maliki, de l’Alliance nationale irakienne, elle-même composée du parti de Moqtada Sadr et du Conseil supérieur islamique d’Irak, du parti démocratique du Kurdistan de Barzani et de l’Union patriotique du Kurdistan de Talabani. Si l’Iran réussit à réconcilier tout ce beau monde ensemble, il aura isolé la coalition « Irakia », composée de chiites laïques et de sunnites. Telle est la stratégie que semblent suivre actuellement les dirigeants iraniens. L’accueil à Téhéran le Week-end dernier par Ahmadinejad et Khamenei d’un nombre de responsables politiques irakiens représentant pratiquement tous les courants, sauf celui d’Allaoui, et à la tête desquels se trouvent Jalal talabani et Adel Abdel Mahdi ainsi que des représentants du courant Maliki, prouve la détermination de Téhéran d’imposer un gouvernement allié à Bagdad.
La stratégie iranienne envers l’Irak se trouve consolidée par les ambitions personnelles et la forte envie de s’accrocher au pouvoir de Nouri al-Maliki qui, rappelons-le, avait passé des années exilé en Iran. Maliki n’a pas accepté la victoire de la coalition de Allaoui et a exigé un « recomptage manuel » des résultats. N’ayant pu l’obtenir, il s’est rabattu sur toutes sortes de manœuvres judiciaires dans le but d’empêcher que son rival ne soit chargé constitutionnellement de former un gouvernement.
La constitution irakienne est claire : elle attribue la responsabilité de former un gouvernement au chef de file de la coalition qui récolte le plus de sièges au parlement. Allaoui, avec 91 sièges (contre 89 pour la coalition de son rival), a donc le droit constitutionnel de mettre en place le premier cabinet post-électoral, ou au moins de tenter le premier de réunir une majorité de 163 sièges pour pouvoir gouverner. La manœuvre de Maliki consiste à saisir la justice irakienne pour l’inviter à adopter une autre lecture de la Constitution. Et de fait, une cour de justice irakienne vient d’annoncer que le plus grand bloc au parlement pourrait tout aussi bien être formé après les élections « à travers les négociations », versant ainsi de l’eau au moulin de Nouri al-Maliki et mettant les bâtons dans les roues d’Iyad Allaoui.
Si la manœuvre de Maliki réussit, les sunnites et les chiites laïques ne pourront pas s’empêcher de se considérer comme dépossédés de leur victoire ou au moins de leur chance de tenter de former un gouvernement conformément aux dispositions de la Constitution. Ils ne manqueront pas non plus de voir la main de l’Iran derrière leur écartement forcé du pouvoir. D’après la presse américaine, des personnalités de la coalition « Irakia », y compris Iyad Allaoui et Salah al-Motlaq, sentant la manœuvre venir, ont appelé Washington à l’aide, mais la Maison blanche est restée muette…
Tant qu’il y a de la place à la lutte politique, Allaoui et ses troupes continueront sans doute à clamer leur victoire et à exiger leur chance de tenter de former un gouvernement de coalition. Dans une interview accordée mardi dernier à la BBC, Iyad Allaoui a dénoncé « l’ingérence de l’Iran » et a exprimé sa détermination à défendre ses droits constitutionnels et sa victoire dans les élections du 7 mars dernier. Le problème se posera avec une acuité explosive, si l’on peut dire, quand la coalition « Irakia », qui représente des millions de sunnites et de chiites laïques, se trouvera le dos au mur, ruminant l’amertume et la colère de celui qui est dépossédé de sa victoire électorale et des droits légitimes qui en découlent.

Monday, March 29, 2010

Une idée à creuser

La seule décision concrète prise par le sommet de Syrte est l’octroi de 500 millions de dollars aux Palestiniens dans le cadre du « plan de soutien à Al Qods ». Le reste relève soit des déclarations auxquelles on est habitué, soit des ballons d’essai, comme ceux lancés par le secrétaire général de la Ligue, Amr Moussa, et qui sont restés en suspens en attendant le prochain sommet extraordinaire que les dirigeants arabes ont décidé de tenir avant la fin de cette année.
Le refus du sommet de tout dialogue avec les Israéliens tant que ceux-ci n’ont pas arrêté la construction des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est vient annuler une précédente décision de la Ligue arabe qui avait accepté au début de ce mois que les Palestiniens s’engagent dans des négociations indirectes avec Israël. Une décision qui n’a plus aucun sens au vu de l’arrogance du gouvernement israélien de Benyamin Netanyahu qui semble se délecter des annonces quasi-quotidiennes de la construction de nouvelles colonies que ce soit en Cisjordanie ou dans ce qu’il appelle « la capitale éternelle d’Israël ».
Face à la « folie » israélienne de s’approprier la totalité de la ville sainte, comme l’a si justement dit le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, invité au sommet, les dirigeants arabes présents à Syrte n’avaient pas pris d’initiatives concrètes de nature à dissuader Netanyahu et sa coalition de fanatiques de faire marche arrière. Prendre à témoin les Etats-Unis, l’Union européenne et le quartet et les inciter à faire pression sur Israël, ne constitue en rien une nouveauté, car on ne compte pas les fois où les sommets arabes demandaient de telles pressions aux alliés américain et européens d’Israël qui n’avaient jamais pu ou voulu les exercer sérieusement et efficacement.
Quand on dit qu’on attend des dirigeants arabes des décisions concrètes pour s’opposer à « la folie » israélienne qui dure depuis 43 ans, cela ne veut pas dire un appel à la guerre. Certes, il y’en a qui la souhaitent vivement, ce qui équivaudrait à vouloir répondre à une folie par une autre. Aucun pays arabe n’est en mesure de supporter une guerre régionale forcément dévastatrice et dont nul ne peut prévoir l’ampleur de ses conséquences désastreuses.
Mais cela ne veut pas dire se croiser les bras et se contenter des communiqués habituels de condamnation et de dénonciation. Compte tenu de l’isolement de plus en plus accentué d’Israël et du mépris et de la révolte de plus en plus prononcés que suscite la politique de ce pays au sein de la communauté internationale, les conditions sont nettement plus favorables qu’avant pour entreprendre une action sérieuse de nature à mettre un terme au banditisme politique israélien et à l’impunité qui le nourrit depuis des décennies.
L’avantage le plus récent et le plus déterminant est le changement de cap de l’Etat turc qui, d’ami et d’allié d’Israël, est devenu un ardent opposant à la politique de ce pays et un défenseur de poids des causes arabes et islamiques, au premier plan desquelles la cause palestinienne. Cet avantage mérite d’être exploité au maximum, par exemple en créant une commission arabo-turque qui entreprendrait une vaste offensive diplomatique auprès des grands centres de décision dans le monde (Amérique, Europe, Asie) en vue de les convaincre de l’absurdité du statut spécial dont continue de jouir Israël, c'est-à-dire un pays au dessus des lois et immunisé contre toute espèce de sanction et contre toute obligation de rendre compte de ses actions extrêmement dommageables pour ses victimes.
L’aboutissement logique d’une telle offensive diplomatique serait un débat au Conseil de sécurité. Evidemment, cela ne servirait à rien si un tel débat empruntait les sentiers battus habituels avec interventions pour et contre, vote, veto américain et classement du dossier en attendant la prochaine plainte.
L’atmosphère internationale se caractérise actuellement par au mieux un embarras et au pire une révolte contre la politique israélienne et les politiciens qui l’initient et l’appliquent. Les conditions sont favorables à l’approfondissement des divergences qui séparent Washington de Tel Aviv, mais les pays arabes ne semblent pas suffisamment mobilisés pour exploiter l’occasion et contribuer à l’accentuation de ce désamour naissant entre les Etats-Unis et Israël.
Mais à supposer que des forces intérieures américaines (Lobby, Congrès) arrivent à colmater les brèches et à empêcher la Maison blanche de faire ce qu’elle aurait dû faire depuis des années : tenir tête à la folie israélienne. Cela ne devrait pas décourager les efforts et les initiatives tendant à provoquer un débat au Conseil de sécurité sur les colonies en Cisjordanie, à Jérusalem et dans le Golan syrien, un débat qui soit entamé dans le cadre du chapitre VII de la charte de l’ONU, le seul qui vaille la peine dans la mesure où ce chapitre prévoit des sanctions appropriées dans le cas de non observation de la résolution du Conseil, et même l’usage de la force internationale pour l’appliquer.
On entend déjà les voix qui s’élèvent pour dire que jamais Washington n’exposerait Israël à un débat au Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII. Certes. Mais les Etats-Unis n’ont-ils pas trouvé la combine pour déjouer le veto soviétique et faire passer en 1950 une résolution dans le cadre du chapitre VII qui leur avait permis d’utiliser la force contre la Corée du nord sous couverture internationale ? Ne peut-on pas s’inspirer de cette combine américaine pour déjouer un éventuel veto américain contre l’utilisation du chapitre VII ? Qu’est ce qui empêcherait le prochain sommet arabe extraordinaire de creuser une telle idée ?

Saturday, March 27, 2010

Après l'annonce des résultats des élections en Irak, le plus dur reste à faire

Quelques mois avant les élections du 7 mars dernier en Irak, la « commission justice et intégrité », présidée par Ahmed Chalabi, avait défrayé la chronique en distribuant des certificats d’intégrité et en décidant qui a le droit d’être candidat et qui doit se faire oublier. Bien qu’elle fût présidée par le moins intègre des Irakiens (Chalabi était un agent des Américains qui ont découvert, des années plus tard, qu’il travaillait pour les Iraniens), la commission avait imposé ses vues en biffant des listes les noms de centaines de candidats, sunnites et chiites laïques pro-Allawi pour la plupart. Plus encore, à la veille des élections, la dite commission a refusé la candidature de nombre de remplaçants avec l’évidente détermination d’œuvrer jusqu’à la dernière minute à amoindrir les chances de la coalition « Irakia », présidée par Iyad Allawi.
La manœuvre n’a pas abouti aux résultats escomptés, et la coalition « Irakia » a créé la surprise en se trouvant en tête avec seulement deux sièges d’avance certes, mais en tête tout de même. Ayant échoué à la marginaliser, les ennemis de la coalition « Irakia » ont maintenant recours à d’autres manœuvres pour barrer la route du pouvoir à Iyad Allawi. Toute une littérature est diffusée sur internet montrant le rival de Nouri al-Maliki comme étant « un instrument de la CIA », « un sympathisant de Saddam », « un traître chiite allié aux sunnites ». Ses détracteurs sont allés jusqu’à mettre en avant la nationalité libanaise de sa mère et de se demander si ce « handicap » ne disqualifie pas Allawi de briguer le poste de Premier ministre…
Au vu des résultats des grandes formations ayant participé au scrutin (91 sièges pour la liste d’Allawi, 89 sièges pour celle de Maliki, 70 sièges pour le bloc chiite dominé par la parti de Moqtada Sadr et 43 sièges pour les partis kurdes), le moins qu’on puisse dire est que les élections du 7 mars n’ont rien résolu, bien au contraire. Tout est resté en suspend, de qui va gouverner l’Irak à l’incertitude qui pèse sur le départ des troupes de combat américaines, prévu pour fin août, en passant par les dangers multiformes qui guettent toujours l’Irak, où une flambée de violence à grande échelle reste toujours possible, les choses semblent nettement plus compliquées après qu’avant les élections.
Ces résultats montrent le morcellement politique et ethnique et le peu de cohésion qui caractérisent la société irakienne. Celle-ci demeure, 7 ans après l’effondrement du régime de Saddam Hussein, difficilement gouvernable. A cette difficulté, s’ajoute le peu de maturité politique de beaucoup de politiciens irakiens, peu rompus à la démocratie dans la mesure où celle-ci ne semble acceptable pour eux que s’ils gagnent les élections.
Le cas de l’actuel Premier ministre, qui continuera à expédier les affaires courantes jusqu’à la formation du prochain gouvernement, est tragi-comique. Au début du dépouillement, sa liste était en tête et il ne se privait pas de s’en prendre avec virulence à ses adversaires qui osaient parler de fraude. Et quand il devenait évident que la liste de son rival Iyad Allawi était en tête, il devenait furieux, criait à la fraude, rejetait les résultats que « le peuple irakien n’attendait pas » et demandait un recomptage manuel des voix, en dépit des assurances de la Commission électorale indépendante et des observateurs de l’ONU que le scrutin était transparent et les résultats crédibles. Le haut représentant de l’ONU en Irak, Ed Melkert, est allé jusqu’à dire que « les résultats des 50.000 bureaux de vote ont été contrôlés au moins huit fois ». Rien n’y fait, Maliki rejette les résultats et rappelle d’un ton menaçant à tous ses adversaires qu’il est « le commandant en chef des forces armées irakiennes »…
Le cas des Kurdes est plus curieux encore. Ils ne contestent pas les résultats au Kurdistan irakien puisque tous les candidats et tous les électeurs sont kurdes, mais ils contestent les résultats de la ville de Kirkuk où ils ont eu la mauvaise surprise de voir la liste d’Iyad Allawi partager avec eux les 14 sièges réservés à la province que se disputent Kurdes, Arabes et Turkmènes.
Mais Maliki et les Kurdes ne sont pas les seuls en Irak à souffrir de ce déficit de maturité politique qui les empêche de comprendre que tout participant à des élections contrôlées par des observateurs indépendants peut gagner, mais il peut aussi perdre, et que le gagnant d’aujourd’hui peut être le perdant de demain et vice versa. Le problème avec les politiciens irakiens est qu’ils en sont encore à considérer la démocratie comme une carte de menu de restaurant où ils choisissent ce qu’ils veulent, et que si aucun plat n’est à leur goût, ils jettent la carte et quittent les lieux.
Dans le cas de l’Irak, cette contestation des résultats est très grave, car elle peut mettre à nouveau le feu aux poudres dans un pays qui, au plus fort de la violence, voyait en moyenne 3000 de ses citoyens mourir chaque mois. Cette perspective est d’autant plus inquiétante que les Irakiens se rappellent, sans doute avec effroi, que les violences démoniaques qui avaient déchiré le pays en 2006 et 2007 avaient éclaté juste après les élections de 2005, boycottées à l’époque par les provinces sunnites.
Les élections du 7 mars dernier n’ont été boycottées par aucune composante de la société irakienne. Mieux encore, les Irakiens, en se rendant courageusement aux urnes malgré les menaces d’Al Qaida, ont voté aussi contre cette organisation terroriste et contre la « culture » de la violence nihiliste qu’elle tente de perpétuer dans leur pays. Les politiciens irakiens ne peuvent ignorer ce double vote de leurs concitoyens consistant à la fois à choisir un représentant et à rejeter la violence. Si, pendant les tractations post-électorales des prochaines semaines, Allawi, Maliki, Sadr, Bazani, Talabani et leurs collaborateurs vont s’accrocher bec et ongles à leurs intérêts personnels ou ethniques et ignorer ceux de l’Irak en tant qu’entité nationale multiconfessionnelle, ils trahiront leur pays et les électeurs qui ont pris des risques pour leur vie le jour du scrutin. Et si par malheur ils en viennent aux mains, ils rendront le meilleur des services aux terroristes d’Al Qaida.

Wednesday, March 24, 2010

L'AIPAC et le général trouble-fête

Les gens de l’AIPAC, le lobby pro-israélien aux Etats-Unis, sont contents et satisfaits. Lundi dernier, 8000 personnes ont assisté à leur banquet qui se tient annuellement à Washington et qui attire, comme d’habitude, la plupart des politiciens américains soit par conviction, soit par souci de ne pas figurer sur la liste des personnalités « tièdes » envers Israël. Les « Aipaciens » sont donc si contents de cette affluence « sans précédent » et si flattés aussi qu’ils n’ont pu s’empêcher de se comparer vaniteusement à l’équipe de basket-ball de Washington, les « Wizards » (Les Magiciens) qui « n’arrivent pas à attirer autant de monde »…
Le rituel est le même d’une année à l’autre, les discours répétitifs, la rhétorique banale et les clichés rouillés. On peut parfaitement résumer les contenus de la conférence de lundi dernier et des conférences de l’année prochaine et de celle d’après en quelques mots : « Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible d’Israël » ; « Ce ne sont pas les colonies qui font obstacle à la paix, mais la mauvaise volonté des Palestiniens » ; « Le soutien américain à Israël, c’est du roc » ; « Les intérêts d’Israël et des Etats-Unis sont indissociables » ; « Le danger qui menace toute la région provient de l’Iran » ; « La bombe iranienne constitue un danger existentiel pour Israël » ; « Le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements terroristes qu’il faut détruire avant qu’ils ne détruisent Israël »…
En toute honnêteté et en toute objectivité, y a-t-il le moindre rapport entre ces discours-clichés récités automatiquement dans les banquets de l’AIPAC et la réalité ? Aucun. Quand Netanyahu nous dit que « tout le monde sait que Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible d’Israël », il ment, car tout le monde sait que depuis 42 ans, pas un seul Etat, pas une seule institution sur la planète Terre n’a reconnu la mainmise israélienne sur la Ville sainte. Et quand le sénateur républicain de la Caroline du sud, Lindsey Graham, et son collègue démocrate de New York, Charles Schumer, se déchaînent contre « la menace nucléaire iranienne qui pourrait mener à un second holocauste » et, tout en feignant l’émotion, concluent leurs discours par le rituel « Plus jamais ça ! », ils mentent aussi, car tout le monde sait que les Iraniens, à supposer qu’un jour ils auront la bombe, ne sont pas assez fous pour exposer leur pays à une pluie de fusées nucléaires israéliennes et américaines pour le seul plaisir de lancer un machin atomique sur la tête des Israéliens.
Mais en dépit de la grande affluence, en dépit de la joie affichée par les « Aipaciens », en dépit de la rhétorique émotionnelle habituelle, une inquiétude inhabituelle planait sur le banquet de l’AIPAC lundi dernier. Car, que les organisateurs le reconnaissent ou non, la conférence de cette année s’est déroulée au moment où les relations israélo-américaines passent par une crise grave, « sans précédent depuis 35 ans », comme l’a qualifiée l’ambassadeur israélien à Washington.
Le problème pour les « Aipaciens » cette année est que le fondement de la crise israélo-américaine est sérieux et ne peut être traité par les méthodes habituelles en accusant ceux qui l’ont fait éclater d’ « antisémites », de les faire discréditer et de détruire leurs carrières. Le problème pour l’AIPAC cette année est que celui qui a fait éclater la crise n’est pas un de ces politiciens ordinaires qu’on peut isoler et même faire disparaître de la scène en finançant généreusement ses concurrents lors des prochaines élections.
Contrairement à ce qu’on croit, la crise actuelle ne trouve pas son origine dans l’humiliation subie par le vice président Joe Biden en Israël, mais par les déclarations inhabituelles et qui ont pris tout l’establishment washingtonien par surprise, celles du général David Petraeus, le patron du Central Command (Centcom) qui gère deux guerres dans deux pays musulmans où sont engagés pas moins de 200.000 soldats américains : « Les hostilités persistantes entre Israël et certains de ses voisins représentent des défis évidents pour notre capacité à faire avancer nos intérêts dans le AOR (zone de responsabilité de Centcom). Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violence et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain à cause de la perception du favoritisme des Etats-Unis à l’égard d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples dans l’AOR et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps là, Al Qaida et d’autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser. » Le général Petraeus conclut : « Le progrès dans la résolution des différends politiques dans le Levant, et en particulier le conflit israélo-arabe, est une préoccupation majeure du Centcom. »
Pour l’AIPAC, ces déclarations faites devant le sénat par le général le plus populaire et le plus respecté aux Etats-Unis sont un véritable cauchemar dans la mesure où elles mettent à nu les vérités que le Lobby a toujours cherché à cacher : Israël et les groupes de pression qui le soutiennent mettent en danger la sécurité des Etats-Unis.
L’Anti-Defamation League (ADL), la principale composante de l’AIPAC, a tout de même pris la peine de répondre au général Pertaeus, mais cette fois en pesant soigneusement ses mots, ce qui en dit long sur l’inquiétude du Lobby, habitué à des attaques féroces contre quiconque franchit les lignes rouges. Abraham Foxman, le président de l’ADL, prompt à tirer pour un oui ou pour un non l’arme de l’ « antisémitisme », a cette fois qualifié son adversaire de « patriote et héros », même s’il a jugé ses déclarations « graves et contreproductives ». La brèche ouverte par le général David Petraeus dans le barrage érigé par le Lobby pour protéger Israël est suffisamment large pour être colmatée facilement. Une chose est sûre, l’élargissement continu de cette brèche est dans l’intérêt évident des Etats-Unis et de la paix dans le Levant.

Monday, March 22, 2010

Les difficiles conditions de la stabilité en Somalie

Il y a juste quelques mois, le général Mohamed Gelle Kahiye était encore l’adjoint du gérant de la succursale allemande de la célèbre chaîne américaine de Fast Food, Mac Donald. Le général Gelle était colonel dans les années 70 et 80 du siècle dernier dans l’armée somalienne avant la chute du régime de Mohamed Siad Barré et l’éclatement du pays en 1991. Promu général depuis, il est aujourd’hui à la tête des forces armées gouvernementales que les Américains entraînent, financent et arment en vue de la « grande offensive », qui se fait encore attendre, contre les rebelles islamistes des Shebab dont l’évidente coopération avec la branche d’Al Qaida au Yémen a convaincu Washington de s’intéresser à nouveau à la Somalie, en dépit de la débâcle essuyée par les Marines à Mogadiscio en 1993.
La débâcle de 1993 a traumatisé l’armée américaine au point qu’elle était restée à l’écart pendant la tragédie rwandaise qui a éclaté en 1994, et ce en dépit de l’énormité des massacres perpétrés par les Hutus contre les Tutsis. C’est donc la montée fulgurante des mouvements islamistes et leur détermination à s’emparer du pouvoir à Mogadiscio qui ont provoqué le retour des Etats-Unis dans la Corne de l’Afrique dans le but d’empêcher les terroristes d’Al Qaida de mettre à profit le chaos somalien.
En 2006, quand une alliance d’islamistes menaça de s’emparer du pouvoir, la CIA mit son expertise et son argent à la disposition des chefs de guerre. Et quelques mois plus tard, l’administration de George W. Bush soutenait en sous main l’intervention des troupes éthiopiennes en Somalie pour arrêter l’avance des islamistes vers le pouvoir à Mogadiscio. Enfin, l’été dernier, quand les islamistes étaient sur le point de s’emparer du pouvoir, Washington envoya à la hâte une cargaison d’armement d’une valeur de plusieurs millions de dollars à l’adresse des forces gouvernementales.
Non seulement tous ces efforts n’ont abouti à rien, mais, d’après la presse américaine, le mouvement des terroristes d’Al Qaida s’est intensifié entre la Somalie et le Yémen, les deux pays n’étant séparés que par le Golfe d’Aden. Pour les Américains, il était clair que ces mouvements tendaient à importer le chaos somalien au Yémen, et la meilleure preuve était donnée par les événements qui avaient ensanglanté récemment ce pays. Il fallait donc franchir un nouveau pas en Somalie en s’occupant de l’armée gouvernementale et en ramenant d’Allemagne l’un des meilleurs officiers qui avaient servi durant le régime de Siad Barré, le général Mohamed Gelle Kahiye.
D’après Geffrey Gettleman, le chef du bureau du New York Times à Nairobi, « les Américains ont formé dans la clandestinité les officiers du renseignement somalien, ont offert un soutien logistique pour les forces de maintien de la paix, du carburant pour les manœuvres, des renseignements sur la position des insurgés et de l’argent pour l’achat des fusils et des balles. »
Plus discrètement, la France, qui dispose d’une base militaire à Djibouti, apporte son aide au gouvernement de transition à Mogadiscio en entraînant des soldats somaliens dans le désert djiboutien, si l’on en croit la presse française. Cette aide, tout comme celle apportée par les Etats-Unis, vise à empêcher l’émergence d’un Etat islamique en Somalie qui serait hautement déstabilisateur pour la corne de l’Afrique et extrêmement encourageant pour les terroristes d’Al Qaida et les talibans afghans et pakistanais.
L’offensive annoncée, à supposer qu’elle se concrétise un jour, aura-t-elle un meilleur effet sur la stabilisation de la Somalie que les tentatives précédentes ? Difficile de répondre par l’affirmative quand on a en tête le rapport très pessimiste produit il y a deux semaines par des experts de l’ONU sur la situation en Somalie. On sait que la ligne de front où se déroulent des batailles parfois acharnées se situe à moins de 500 mètres du palais de la présidence. On sait aussi que le gouvernement de transition aurait été balayé depuis longtemps sans le soutien des 5000 soldats burundais et ougandais de l’Unisom. Mais quelles sont alors les raisons de cette extrême faiblesse et de cette paralysie qui frappe le gouvernement de transition face à ses ennemis mortels, les islamistes du Shebab ?
Selon les experts de l’ONU, « malgré une assistance internationale, notamment en termes d'entraînement, les forces de sécurité gouvernementales restent inefficaces, désorganisées et corrompues». L'armée et la police sont toujours un ensemble «composite de milices indépendantes loyales à des responsables gouvernementaux ou militaires qui tirent profit du business de la guerre et résistent à leur intégration sous un commandement unique». Et le plus grave est que « la culture de milice, cette mentalité et ce comportement (de groupes armés) restent très développés dans l'armée», déplorent les experts onusiens.
Le général Mohamed Gelle Kahiye sera-t-il capable de mettre un terme à l’inefficacité, la désorganisation et la corruption qui, selon l’ONU, minent les forces gouvernementales ? La tâche semble titanesque, car « la culture de milice » dont parlent les experts onusiens, l’allégeance au clan et à la tribu ainsi que l’institution d’un système chaotique dirigé par des chefs de clans dont les intérêts sont liés à la perpétuation de la guerre, font douter du retour de la stabilité en Somalie dans un avenir prévisible. La Somalie ne retrouvera la paix que le jour où les Somaliens feront passer l’intérêt général du pays avant celui de la tribu, et le jour où la guerre cessera d’être une source d’enrichissement pour les puissants chefs de clans.

Wednesday, March 17, 2010

Saper la paix pour plaire au Lobby

Imaginez un homme influent, par exemple un parlementaire, qui défend bec et ongles la conduite en état d’ivresse. Il est plus que probable que ses collègues feront le nécessaire pour que les services appropriés envoient une voiture, une camisole et deux solides gaillards afin que ce défenseur du droit des ivrognes à prendre le volant soit amené manu militari et placé dans un asile psychiatrique. Ceci est valable évidemment quand on se trouve dans une situation normale où les acteurs ne font pas l’objet de quelque chantage, ont un minimum de bon sens et ne perdent pas le contact avec la réalité, ce qui, malheureusement, n’est pas toujours le cas.
Thomas Friedman est l’un des journalistes les plus influents et les plus célèbres aux Etats-Unis. Ses chroniques régulières au New York Times défendent assez souvent « la démocratie israélienne » et pourfendent les Arabes pour un tas de raisons dont il semble convaincu, mais qui sont loin d’être convaincantes.
Friedman, qui est « a big Joe Biden fan », était furieux contre le traitement subi par le vice-président américain en Israël. Pour défendre son idole, il a écrit un commentaire intitulé « Driving drunk in Jerusalem » (Conduire en état d’ivresse à Jérusalem) que le New York Times a publié dans son édition du 13 mars dernier. Dans ce commentaire, Friedman regrette que Joe Biden n’ait pas quitté Israël le jour même de son arrivée après avoir écrit ce petit billet à l’attention de Netanyahu & Co. : « Les amis ne laissent pas leurs amis conduire en état d’ivresse. Et en ce moment, vous êtes en train de conduite en état d’ébriété. Vous croyez pouvoir vous en prendre impunément à votre seul véritable allié dans le monde pour satisfaire quelque besoin de politique intérieure ? Appelez-nous quand vous serez sérieux… »
Le problème est qu’aujourd’hui, il y a des hommes influents aux Etats-Unis qui font tout pour qu’Israël ne devienne jamais un Etat sérieux, ne revienne jamais à la raison et poursuive indéfiniment sa conduite suicidaire en état d’ébriété. Ces hommes se comptent par milliers à Washington, et il est difficile de croire qu’ils sont convaincus dans leur for intérieur que la conduite en état d’ivresse est le meilleur moyen de transporter les passagers en toute sécurité. Ce n’est donc pas la conviction qui les guide, mais la peur. Ces milliers d’hommes influents aux Etats-Unis ont une peur religieuse de ce conducteur ivre qui leur a prouvé sa capacité de détruire leur carrière si jamais ils se résolvent à dire un jour la vérité, à déclarer publiquement que les dégâts causés depuis des décennies sur le chemin de la paix sont provoqués par la conduite en état d’ivresse des politiciens israéliens, et non par ceux qui appellent au respect du code de la route et à la conduite en état de sobriété.
Eric Cantor est le représentant républicain de l’Etat de Virginie au Congrès. Il est le prototype de ce politicien américain coulé de manière si parfaite dans le moule du Lobby pro-israélien au point qu’il oublie qui il est, qui il représente et pour la défense de quels intérêts il a été élu. A l’entendre parler, on ne peut pas croire qu’il a été élu par les habitants de l’Etat de Virginie pour défendre leurs intérêts dans les structures législatives de l’Etat fédéral, mais nommé par le Lobby pour être le porte-voix d’Israël et de défendre tout ce que fait ce pays sans se poser de questions et surtout en veillant à maintenir anesthésiées ses fonctions cérébrales réservées à l’appréciation critique des événements.
Quand, pour une fois, l’administration américaine a osé parler à Israël le langage de la vérité, après l’étonnante humiliation dont était victime la semaine dernière le vice-président Joe Biden, Eric Cantor s’est transformé en ce genre d’automate qu’on remonte par la clé plantée dans le dos et qui commence à s’agiter dès qu’on le relâche : « Dans son effort de s’insinuer dans la grâces du monde arabe, cette administration a fait preuve d’une troublante impatience de miner nos alliés et nos amis. Israël a toujours été engagé dans le processus de paix, défendant le choix de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens, afin de trouver une solution à ce conflit. Malheureusement, le gouvernement palestinien continue d’insister sur les négociations indirectes et de ralentir le processus. » Mais Cantor va plus loin encore en s’en prenant avec virulence à l’administration américaine qui « ignore les provocations palestiniennes qui minent les perspectives de paix dans la région. » Et de se demander : « Où est la colère quand les responsables du Fatah appellent à des manifestations au Mont du Temple (l’Esplanade des Mosquées) ? Pourquoi ne dénonce-t-on pas l’Autorité palestinienne quand elle organise des cérémonies célébrant la femme responsable de l’attaque terroriste la plus meurtrière dans l’histoire d’Israël (1) ? C’est sans doute la politique des deux poids et deux mesures de l’administration (américaine) qui est à l’origine de l’échec du processus de paix. »
On reste pantois face à cette extraordinaire capacité de cet homme politique américain de défigurer si effrontément la réalité. Avec l’aide des milliers de ses semblables, il fait tout pour bloquer toute évolution qui soit dictée par la raison et par une évaluation critique de la réalité en vue de la transformer en fonction des intérêts de tout le monde. Car, dans la région du Moyen-Orient, Arabes, Israéliens et Américains ont tous intérêt à ce que la paix règne. Et la paix ne règnera pas tant que les Eric Cantor américains adoptent cette attitude servile vis-à-vis du Lobby et se soumettent à ses ordres de défendre le droit des dirigeants d’Israël à conduire en état d’ébriété et de faire assumer la responsabilité des dégâts à ceux qui conduisent en état de sobriété.

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(1) Eric Cantor fait allusion à Dalal al-Mughrabi qui avait participé en 1975 à une action de la résistance palestinienne ayant fait 36 morts en Israël.

Monday, March 15, 2010

Géorgie: après l'erreur stratégique, la bourde médiatique

Le 30 octobre 1938, le jeune Orson Welles était sur antenne à CBS-Radio et faisait consciencieusement son travail de correspondant de guerre. Il décrivait les ravages occasionnés par les Martiens qui, arrivés de leur lointaine planète quelques heures plutôt, étaient en train de martyriser les pauvres habitants du minuscule Etat américain du New Jersey que ces extraterrestres barbares avaient décidé d’envahir. Sur les six millions d’Américains qui écoutaient Orson Welles, un million avaient cru à son canular. C’était l’une des paniques les plus mémorables que l’Amérique avait connue.
Le 13 mars 2010, un présentateur de la chaîne de télévision géorgienne, Imedi, a réédité le canular d’Orson Welles, en remplaçant les Martiens par les Russes et le New Jersey par la Géorgie. Il décrivait, images à l’appui, comment les chars russes fonçaient sur Tbilissi, informait sur un ton grave ses compatriotes de « l’assassinat » du président Mikhël Saakashvili et dénonçait « la trahison » de l’opposition géorgienne qui s’était « ralliée » à la Russie tout en appelant l’armée géorgienne à « se mutiner ».
Le bouche à oreille a vite fait de répandre l’ « information » aux quatre coins du pays et la pagaille ne s’est pas fait attendre. Les services d’urgence croulaient sous les appels de Géorgiens terrorisés, le réseau de téléphonie mobile s’est effondré sous la pression de millions d’appels simultanés, les habitants de la ville de Gori s’était rués sur les grandes surfaces pour faire leurs provisions en prévision du « siège » russe, sans compter les évanouissements et les incidents cardiaques rapportés par la presse internationale.
Mais revenons un peu en arrière. En août 2008, le président géorgien, Mikheil Saakashvili, avait pris le risque inouï de lancer ses troupes à l’assaut de Tskhinvali, la capitale de l’Ossétie du sud. Ses mauvais calculs sur les forces de l’Otan qui ne manqueraient pas de soutenir les troupes géorgiennes et sur les forces russes qui abandonneraient à leur sort les Ossètes du sud s’étaient révélés désastreux. Saakashvili avait eu l’exact contraire de ce qu’il espérait : l’Otan n’avait pas bougé le petit doigt, et les troupes russes avaient non seulement volé au secours des Ossètes, mais elles avaient poursuivi les agresseurs dans leur retraite jusqu’à la banlieue de Tbilissi. Et si Saakashvili est toujours au pouvoir, ce n’est pas grâce à la bravoure de ses troupes, qui avaient pris la poudre d’escampette dès l’apparition des premiers chars russes, ni à l’aide plutôt verbale de ses alliés de l’Otan, mais grâce à la retenue de Moscou qui avait eu la sagesse de ne pas pousser trop loin ses avantages sur le terrain pendant cet été caucasien particulièrement chaud.
Un an et demi après, le président géorgien, fortement affaibli sur le plan intérieur et extérieur par cette faute stratégique, ne semble pas s’être remis de sa mésaventure militaire. A-t-il alors voulu réparer quelques uns des dégâts causés par son erreur de l’été 2008 et rassembler les Géorgiens autour de lui en recourant à une manipulation médiatique ? Si tel est le cas, on pourra dire qu’il n’a fait qu’ajouter à l’erreur stratégique une bourde médiatique
En effet, la manipulation médiatique à laquelle ont recouru les responsables de la chaîne Imedi a eu un effet de boomerang non seulement contre cette chaîne de télévision, mais contre le président Saakashvili lui-même. Les Géorgiens n’ignorent pas que le propriétaire de la chaîne Imedi est un proche du président géorgien et que, par conséquent, le canular n’aurait certainement pas été programmé sans une étroite concertation avec les services de la présidence. Un autre indice donne plus de crédibilité à la thèse de la concertation entre la chaîne et la présidence : la manière dont a été traitée l’opposition dans ce faux reportage. En l’accusant de « trahison », d’ « alliance » avec les Russes et d’appel à « la mutinerie » au sein de l’armée géorgienne, le canular vise à donner le coup de grâce à l’opposition géorgienne.
Mais il semble que le principal objectif de ce canular est de maintenir vivantes la peur des Géorgiens, leur sensation qu’ils sont en danger permanent et leur appréhension que leur voisin russe peut les envahir à tout moment. En présentant des images de guerre d’août 2008 comme étant celles de mars 2010, les concepteurs du canular ont atteint leur but immédiat qui consiste à terroriser les Géorgiens, mais ont raté leur objectif ultime, celui de détruire l’opposition et de rassembler le peuple autour du Saakashvili. Car, à voir les réactions indignées des Géorgiens, c’est la réputation du gouvernement qui a souffert plutôt que celle de l’opposition, et ce sont ces manipulations douteuses qui étaient prises à partie plutôt que « les visées de l’ennemi russe ».
La fureur des Géorgiens est d’autant plus légitime que la mauvaise foi de la chaîne Imedi est évidente : elle a inscrit brièvement le mot « simulation » sur l’écran avant de l’enlever et de diffuser son canular sans la moindre précaution, sans le moindre avertissement et sans le moindre égard pour les personnes fragiles, sensibles ou cardiaques.
Après l’erreur stratégique d’août 2008 et la bourde médiatique de mars 2010, il est peut-être temps pour le président Saakashvili de s’entourer de conseillers compétents qui lui feraient comprendre que l’aventurisme militaire vis-à-vis des voisins et la manipulation du peuple par des canulars douteux ne mènent nulle part sinon à l’accumulation des échecs.

Saturday, March 13, 2010

Normaliser les relations entre Israël et les Etats-Unis, une urgence internationale

Il est peut-être temps de se demander sérieusement pourquoi, en dépit des immenses efforts et des énergies massives dépensées en vue de normaliser les relations entre Israël et les pays arabes, aucun résultat concret n’a été réalisé ? Pire encore, les choses s’aggravent de jour en jour au point que les observateurs les plus optimistes commencent à entrevoir des nuages de guerre dans le sombre horizon moyen-oriental et ne cachent plus leurs craintes d’un conflit régional aux conséquences imprévisibles pour le monde. Pourquoi donc en est-on là ?
Bien sûr la raison qu’on a analysée, pointée du doigt, soulignée, mâchée et remâchée des décennies durant est qu’Israël est un pays un peu trop spécial qui ne reconnaît ni les cadres juridiques ni les barrières morales qui règlent les conduites des membres de la famille internationale. Un pays trop spécial qui occupe les terres d’autrui, déclenche des guerres quand et où il veut sans qu’il ne soit soumis à l’obligation de rendre compte de ses agissements, et encore moins puni ou sanctionné.
Il y a un célèbre adage arabe qui dit : « - Ô Pharaon pourquoi tu sévis ? – Parce qu’il n’y a personne pour me retenir ! » La question qui se pose est pourquoi attend-on d’Israël, qui se trouve dans la même situation que le Pharaon de l’adage, un comportement différent, c'est-à-dire de s’auto-retenir ? Voilà un pays qui a l’inégalable privilège d’imposer tous ses caprices à la plus grande puissance du monde, tient tête à ses présidents, humilie un vice-président qui lui rend visite, fait trembler représentants et sénateurs, impose au contribuable américain ce qu’il faut bien appeler une taxe annuelle de 3 milliards dollars, bien qu’il ait un niveau de vie plus élevé que beaucoup de pays européens, récolte autant de veto qu’il veut au Conseil de sécurité, en un mot s’assure l’obéissance de la plus grande puissance du monde à tous ses ordres et refuse la plus banale des recommandations que celle-la lui adresse, par exemple geler pendant quelques temps la construction de colonies. Il faut être extrêmement naïf ou carrément fou pour attendre qu’Israël renonce de lui-même à un privilège aussi exorbitant et probablement sans précédent dans la longue histoire des relations internationales.
Pour revenir à la question de la normalisation des relations israélo-arabes, il faut dire que cette normalisation a échoué pour une raison très simple : nous avons mis la charrue avant le bœuf. En d’autres termes, nous avons cru possible une normalisation des relations entre Israël et le monde arabe avant la normalisation des relations entre les Etats-Unis et Israël. Aucune solution au Moyen-Orient n’est possible, aucune paix dans la région n’est réalisable tant que les relations entre Israël et les Etats-Unis sont affectées par de si grandes anomalies.
Car les anomalies n’affectent pas seulement les relations entre pays ennemis, mais aussi les pays amis où, comme dans le cas d’Israël et des Etats-Unis, l’amitié se transforme en amour pathologique où une partie devient l’esclave de l’autre, cédant à tous ses caprices et mettant en péril non seulement les intérêts des deux pays, mais la paix dans le monde. C’est cet amour pathologique entre les deux pays qui ternit depuis longtemps leur réputation et fait d’eux aux yeux de l’opinion internationale, y compris en Europe occidentale, les deux sources principales de l’instabilité et les deux causes fondamentales des malheurs bibliques du Moyen-Orient. Il est bien évident que sans cet amour pathologique qui fait que Washington soutienne depuis 43 ans Israël dans toutes ses folies, la face de cette région du monde serait très différente de celle d’aujourd’hui ; on aurait eu beaucoup moins de guerres et de destructions, beaucoup moins de haines et de rancoeurs, beaucoup moins de déplacés, de réfugiés, de morts, de blessés, de mutilés…
Une baisse significative de la tension dans la région du Moyen-Orient, condition sine qua non de toute négociation sérieuse et de toute solution durable, passe d’abord et avant tout par une normalisation des relations israélo-américaines. En d’autres termes, le traitement de cet amour pathologique, qui a pris des proportions démentielles en Israël à l’occasion de la visite du vice-président américain, est devenu une urgence stratégique mondiale et il n’est nullement exagéré de dire que la paix et la stabilité dans le monde dépendent dans une large mesure de la normalisation des relations entre Tel Aviv et Washington. Comment ? C’est simple : en traitant Israël comme n’importe quel autre pays ami des Etats-Unis et en mettant une fois pour toutes un terme à ce privilège exorbitant que la classe politique israélienne s’est auto-octroyé. Sans ce préalable, toutes les négociations directes et indirectes, tous les efforts déployés par les diplomates les plus chevronnés ne mèneront nulle part, comme le démontre amplement le gaspillage du temps et de l’énergie durant les quatre dernières décennies.
Aux dernières nouvelles, le président Obama est « rouge de colère » et Mme Clinton était furieuse pendant 43 minutes au téléphone avec Benyamin Netanyahu qui, toujours arrogant, s’est excusé du « timing » de l’annonce de l’extension des colonies et non du problème de fond. Un autre président, Bill Clinton, était lui aussi une fois « rouge de colère » contre Netanyahu en 1996, et un autre secrétaire d’Etat, James Baker, était furieux contre Yitzhak Shamir en 1991. Mais c’était des colères et des fureurs passagères avant qu’Israël ne reprenne le dessus avec les conséquences désastreuses qu’on sait. La normalisation israélo-américaine ne se fera pas à coups de fureurs verbales, mais avec des décisions réfléchies prises à tête reposée. Elle ne se fera pas par des explosions de colère avec un effet de feu de paille, mais avec des actions raisonnables, justes et logiques dont dépendent la paix régionale et la stabilité mondiale.
Dans moins de deux semaines, nous saurons si les Etats-Unis sont disposés ou non à traiter cette anomalie maligne : l’American Israeli Public Affairs Committee (AIPAC) tiendra dans quelques jours sa conférence annuelle à Washington où Mme Hillary Clinton est invitée à prononcer un discours. Ce ne sera sûrement pas le discours le plus facile que les services du département d’Etat auront à rédiger.

Wednesday, March 10, 2010

Scènes du théâtre de l'absurde

Comment expliquer la chose sinon par une intention délibérée d’humilier leur bienfaiteur américain ? Juste une heure ou deux avant que Joe Biden, l’adjoint d’Obama, n’atterrisse à l’aéroport Ben Gourion, les Israéliens n’ont trouvé rien de mieux à faire que d’annoncer la construction de 112 logements dans une colonie ultraorthodoxe de Beitar Ilit près de Beit Lehm en Cisjordanie, et ce malgré le moratoire de dix mois décidé par Netanyahu. Quand on sait que l’objet principal de la visite du vice président américain en Israël consiste à encourager les deux parties en conflit d’entamer, même de manière indirecte, les « négociations de la dernière chance », le message israélien aux Américains est on ne peut plus clair : occupez-vous de vos problèmes là-bas en Amérique et laissez-nous nous occuper des nôtres. Ici, au Moyen-Orient, on sait ce qu’on a à faire.
Et quelle a été la réponse immédiate du visiteur à ce camouflet ? Une récitation de la leçon apprise par cœur par tout visiteur officiel américain devant les caméras : « La pierre angulaire de notre relation est notre engagement absolu, total et sans réserve en faveur de la sécurité d’Israël. » Le problème avec cette profession de foi américaine répétée ad nauseum, est qu’aucun responsable américain n’a un jour pris la peine d’expliquer au monde qui menace la sécurité d’Israël. L’Iran ? Les tirades enfiévrées du président Ahmadinejad, et les Américains ne peuvent l’ignorer, sont des réactions purement verbales et inoffensives à des agressions bien réelles de la part d’Israël contre le Liban et à une occupation dévastatrice de terres palestiniennes et syriennes qui dure depuis 43 ans. Le Hezbollah ? Depuis sa création, il n’a fait que de la légitime défense. Le Hamas ? Il a été créé et financé par Israël au milieu des années 1980 pour contrer l’OLP avant qu’Israël ne décide de l’étouffer à Gaza en compagnie d’un million et demi de Palestiniens. On aimerait par conséquent qu’au moins une fois les responsables américains, juste après avoir récité la profession de foi habituelle sur le soutien à la sécurité d’Israël, nous disent qui menace cette sécurité. Car, franchement, à part les dirigeants israéliens eux-mêmes, personne ne fait courir le moindre risque à l’existence de ce pays et à son peuple.
Peut-être le vice-président américain a-t-il cru pouvoir ramener Israël à de meilleurs sentiments en ajoutant l’adjectif « absolu » au soutien à la sécurité de ce pays. Non, juste après son arrivée, et après avoir récité la profession de foi convenue, mais de manière un peu plus appuyée que d’habitude, les autorités israéliennes répondent par une nouvelle gifle en annonçant la construction de 1600 nouveaux logements à Jérusalem-est, un territoire occupé depuis 1967 et où vivent déjà plus de 200.000 colons.
C’en était trop tout de même pour la Maison blanche qui a réagi par la voix de son porte-parole, Robert Gibbs : « Les Etats-Unis condamnent le décision prise aujourd’hui par le gouvernement israélien », ajoutant que « ni le contenu ni le moment choisis par les autorités israéliennes pour faire cette annonce n’étaient utiles ». Quant au vice-président américain qui a subi deux humiliations successives en deux jours, il n’a rien pu faire d’autre que déplorer « ce genre de mesures qui sapent la confiance »…
Mais on a presque oublié que Joe Biden était dans la région pour aider Israéliens et Palestiniens à faire renaître l’espoir en commençant le plus tôt possible les discussions indirectes. Les encouragements de l’adjoint d’Obama ont commencé par un vœu : que les discussions indirectes se transforment un jour en …discussions directes.
Il y a des situations au Moyen-Orient face auxquelles on est dans l’indécision totale : éclater d’un rire hilare ou verser toutes les larmes de son corps ? Difficile à prendre la décision appropriée quand on sait qu’Israéliens et Palestiniens ont mené des discussions directes mais absolument stériles de 1993 jusqu’à 2009 pour aboutir en 2010 à des discussions indirectes qui, avec l’aide de Dieu, aboutiraient peut-être à des discussions directes…
Voilà où on en est aujourd’hui. En dépit des moyens de pression faramineux dont disposent les Etats-Unis, en dépit des instituts de recherche et des universités réputées produisant dans ce pays des études de nature à montrer la voie aux plus aveugles et à faire entendre raison aux plus sourds, la « médiation » américaine a consisté toujours en un soutien financier et militaire à Israël et, accessoirement, en une condamnation purement verbale de la construction de colonies sur les terres palestiniennes. Washington n’a jamais eu le courage de menacer ne serait-ce qu’une fois de mettre un frein au flot d’argent qui circule des Etats-Unis vers Israël et qui sert entre autre à construire les colonies qui rendent chaque jour un peu plus irréelle la solution au conflit israélo-arabe.
Cela dit, il y a un autre but de la visite de Biden en Israël : calmer celui-ci et l’inciter à ne pas commettre de folie en attaquant l’Iran. Là aussi, la réponse d’Israël montre le peu de cas que ce pays fait des préoccupations et des craintes américaines concernant une éventuelle conflagration régionale qui serait allumée par cette combinaison d’inconscience, d’arrogance et d’incompétence des politiciens israéliens. Et justement la réponse est venue à travers le plus incompétent d’entre eux, Danny Ayalon qui a donné au monde « quatre à huit semaines » pour régler le problème avec l’Iran. Les pays ayant des représentations diplomatiques en Israël ont tort de prendre à la légère l’ultimatum de Danny Ayalon. Celui-ci peut convoquer à tout moment leurs ambassadeurs, les placer sur des chaises courtes et les gronder vertement du haut de son fauteuil sur la complaisance de leur pays vis-à-vis de l’Iran et leur coupable inaction qui met Israël en danger.

Monday, March 08, 2010

Les bonnes surprises du scrutin irakien

On ne peut pas ne pas applaudir le courage des Irakiens qui, malgré la violence, la menace terroriste et le « couvre feu » qu’ont tenté d’imposer ceux qui se sont arrogés le droit de parler au nom de Dieu, ont voté massivement dimanche dernier. La gifle donnée par le peuple irakien aux terroristes d’Al Qaida est magistrale. Défiant les menaces de mort, les électeurs ont pris d’assaut les 46 000 bureaux de vote, tournant ainsi en dérision les fanfaronnades des terroristes. Certes, ceux-ci ont réussi à tuer une quarantaine de personnes et à blesser quelques dizaines. Mais, ce nombre relativement peu élevé des victimes tranche avec l’ampleur de la menace d’ « utiliser tous les moyens pour empêcher le scrutin, y compris les moyens militaires » lancée par ce qui est appelé l’ « émirat islamique d’Irak » à la veille des élections. C’est donc un test grandeur nature qui démontre la marginalisation croissante du phénomène terroriste poussé de plus en plus dans ses derniers retranchements.
La seconde bonne surprise est la participation massive des Irakiens aux élections, et en particulier les sunnites dont le taux de participation a atteint 90% dans la province de Diyala et 82% dans la ville de Samarra. Entre le boycottage du scrutin de 2005 et la participation massive au scrutin de dimanche dernier, les sunnites, tirant les leçons des conséquences désastreuses du boycottage, ont, semble-t-il, beaucoup gagné en maturité politique. Cette évolution qui les a amenés à abhorrer la violence et à s’engager massivement dans le processus électoral est de bon augure pour l’avenir de l’Irak.
La troisième bonne surprise est que, contrairement au scrutin de 2005, dont l’aspect fondamental était le confessionnalisme, celui de dimanche dernier est largement « déconfessionnalisé » si l’on peut dire. La rivalité confessionnelle a cédé la place à la rivalité des programmes politiques. La meilleure preuve est la présence de listes chiites rivales et de listes laïques où des candidats chiites et sunnites faisaient front et défendaient un programme politique commun.
Si ces quelques bonnes surprises sont de nature à faire renaître l’espoir que tout n’est pas perdu en Irak, que le pays a pratiquement échappé à la partition, le plus grand danger qui le menaçait, les défis qui attendent toujours d’être relevés sont immenses et les Irakiens ont encore de longs chemins tortueux et épineux à parcourir avant de retrouver l’indépendance politique et la stabilité sociale.
C’est sans doute pour atteindre ces deux objectifs fondamentaux que des millions d’électeurs ont pris des risques pour leur vie afin d’accomplir leur devoir électoral. Ils ont accompli avec courage et bravoure ce que leur pays attend d’eux, et la balle est actuellement dans le camp de la classe politique. Saura-t-elle faire preuve d’autant de courage et de bravoure que le peuple q’elle entend représenter dans les instances gouvernementales ? Les mois qui viennent apporteront la réponse.
Les mois qui viennent, car en effet il faut des mois et non des semaines pour que le prochain gouvernement issu des élections de dimanche s’installe et prenne en charge les affaires du pays. Après les élections de 2005, il a fallu cinq mois de tractations et de luttes politiques larvées pour que la classe politique s’entende sur un gouvernement de coalition. Aujourd’hui, les choses sont à la fois plus simples et plus compliquées. Plus simples, car il n’y a pas eu de boycottage massif excluant le quart de la population. Plus compliquées, car ce n’est pas une mince affaire que de choisir dans une première étape 325 députés sur plus de 6000 candidats représentant 86 partis politiques et, dans une seconde étape, de former un gouvernement qui soit à la fois représentatif de la volonté du peuple et puissant pour obtenir l’indépendance du pays, assurer sa stabilité et entamer les grands travaux de reconstruction.
En fait, s’il y a 86 formations politiques en lice, la plupart sont petites et quelques unes sont même un peu folkloriques. Cependant, il y’en a deux qui émergent du lot et qui peuvent prétendre à gouverner l’Irak : la coalition laïque « Irakia » comprenant des chiites et des sunnites et dirigée par l’ancien Premier ministre Iyad Allaoui, et la coalition de partis religieux chiites « Etat de droit » dirigée par l’actuel Premier ministre Nouri al-Maliki. Il y a tout lieu de croire que l’une de ces deux coalitions sera l’axe central autour duquel tournera le prochain gouvernement.
Le problème avec la coalition « Etat de droit », est qu’elle peut apparaître aux yeux de beaucoup d’Irakiens comme sectaire dans la mesure où elle est composée quasi-exclusivement de chiites. La coalition « Irakia », quant à elle, a le double avantage d’être à la fois laïque et composée d’Irakiens de diverses confessions. Elle est donc plus à même d’assumer l’une des tâches principales qui incombent à tout gouvernement irakien : la réconciliation nationale.
Mais en attendant, les mois qui viennent ne seront pas de tout repos en Irak. Pour prévenir les risques de dérapages, le gouvernement qui reste en place pour expédier les affaires courantes a deux lourdes responsabilités qui pèsent sur ses épaules. La première est d’assurer la sécurité des Irakiens vis-à-vis des terroristes suicidaires qui sont toujours à la recherche de la moindre faille à exploiter. Et la deuxième consiste à s’autocontrôler afin d’éviter tout abus de pouvoir et toute tentation de se servir dans une période aussi sensible que cette période post-électorale.

Wednesday, March 03, 2010

Le bulletin de vote et les besoins élémentaires des Irakiens

« Ces dernières années, l'Irak a reçu 300 milliards de dollars, obtenu la suppression d'une partie de sa dette extérieure et reçu un soutien international sans précédent à travers un gouvernement que nous avons appelé le gouvernement d'union nationale. Mais au bout de quatre ans, nous constatons que l'Irak est triste, pauvre et misérable et que sa sécurité et sa souveraineté sont manipulées par d'autres pays. » Ce n’est pas un opposant au pouvoir en place à Bagdad qui parle ainsi, mais le vice-président irakien en personne qui dénonce la « triste » réalité irakienne face à 3000 de ses compatriotes dans la capitale jordanienne.
C’est probablement une première dans les annales de la politique qu’un vice-président en exercice parle en des termes si virulents d’un pouvoir dont il est partie prenante. Mais d’un autre côté, on ne devrait pas s’étonner outre mesure, car Tarek al-Hachémi était en meeting électoral pour exhorter les centaines de milliers d’Irakiens exilés en Jordanie et ailleurs de voter massivement, car, dit-il, « l’heure du changement est arrivée et la décision est entre vos mains. » Pour Tarek al-Hachémi, qui se présente sur la liste du « Bloc irakien », la principale
liste laïque en lice pour le scrutin, il est vital que soit mis fin à « la corruption » et au « confessionnalisme politique » du cabinet de Nouri al-Maliki qui « détruisent l'Etat irakien et ses institutions. »
Le premier ministre Nouri al-Maliki, lui, voit les choses évidemment d’un angle tout à fait différent. Pour lui, le danger qui menace l’Etat irakien c’est plutôt le Baath et les baathistes qui veulent rétablir l’ancien régime. A cet égard, les affiches électorales de la coalition chiite au pouvoir qui fleurissent sur les murs des villes irakiennes sont éloquentes : « Non au retour des baathistes criminels », « Prenez votre revanche sur les baathistes qui vous ont opprimés ». Quant aux affiches qui mettent en avant l’emploi des Irakiens, la rénovation du réseau électrique ou encore la reconstruction des infrastructures détruites, elles ne sont pas légion, si l’on se fie aux reportages sur place faits par la presse internationale.
Le problème avec les élections de dimanche prochain est que la coalition au pouvoir n’a pratiquement aucune réalisation concrète à faire valoir aux yeux des électeurs dont les deux soucis majeurs sont la sécurité et l’emploi, et les partis et les coalitions opposés au gouvernement Maliki n’ont pas les moyens politiques de concevoir un programme électoral crédible qui convaincrait les électeurs qu’ils seront capables de faire mieux que le pouvoir en place. Par conséquent, il y a tout lieu de penser que le comportement électoral sera déterminé par les appartenances confessionnelles plutôt que par des choix politiques lucides et des programmes électoraux, du reste inexistants.
Sept ans après l’invasion, la force occupante se retrouve dans la situation désespérante de souhaiter l’installation d’un pouvoir fort capable de contrôler la situation afin de permettre le retrait des troupes dans les délais fixés par le président Obama. Un proverbe chinois dit peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris. Il va sans dire que pour les Américains aujourd’hui, l’important ce n’est pas la couleur du pouvoir qui sortira des urnes le 7 mars, mais sa capacité de prendre en charge la responsabilité sécuritaire du pays, car ils n’ont ni le temps ni les moyens d’attendre l’installation à Bagdad d’un pouvoir qui soit à la fois fort, démocratique et laïc, comme ils le souhaitent sans doute vivement, pour retirer leurs troupes.
Les choses se compliquent encore quand on pense aux puissances régionales dont chacune a ses propres intérêts en Irak et sa propre idée de ce que devrait être le pouvoir dans ce pays. A l’est, la puissance régionale la plus avantagée est bien sûr l’Iran qui, comptant sur la loyauté de la forte majorité chiite, poursuit inlassablement depuis 2003 un objectif stratégique qui consiste à installer à Bagdad un pouvoir chiite fort, qui soit à la fois allié de Téhéran et ennemi de Washington.
Au nord, la Turquie a un intérêt évident dans la stabilité et l’intégrité de l’Irak, car pour elle il est hors de question de permettre l’établissement d’un Etat kurde indépendant comme le souhaitent ardemment les Kurdes irakiens qui tentent déjà d’annexer Kirkuk à leur zone d’influence. Son second souci étant de protéger et de promouvoir les intérêts de la minorité turkmène de l’Irak.
A l’ouest, la Syrie n’a aucun intérêt de voir les terroristes traverser dans les deux sens la frontière syro-irakienne dans le but de perpétuer l’état d’instabilité qui semble être l’unique but de leur activisme sanglant. L’intérêt de Damas est plutôt du côté d’un Irak stable, nationaliste et laïc et qui soit mieux disposé envers la Syrie que ne l’était le régime de Saddam Hussein.
Et les besoins élémentaires des Irakiens dans tout ça ? Ils sont à des années lumières des soucis de la puissance occupante et des calculs des voisins immédiats de l’Irak. Ils consistent principalement en un emploi pour vivre décemment et en un peu de sécurité pour se promener sans cette peur au ventre de passer à tout moment à proximité d’un kamikaze. Et ces besoins si simples et si élémentaires ne dépendent malheureusement pas dans l’Irak d’aujourd’hui du seul bulletin de vote.

Monday, March 01, 2010

Si les Américains savaient...

D’après le « sondage annuel » effectué par Gallup aux Etats Unis pour mesurer le degré de soutien dont bénéficie Israël auprès de l’opinion publique américaine, 63% des Américains adoptent le point de vue israélien contre 15% celui des Palestiniens, 22% étant indifférents ou n’ont aucune opinion sur le conflit israélo-arabe. Le bureau de Netanyahu a aussitôt exprimé sa « satisfaction » pour ce résultat inespéré, d’autant que les Israéliens n’ont pas connu de résultats aussi élevés depuis 1991…
Le gouvernement israélien que dirige Benyamin Netanyahu a toutes les raisons d’être satisfait en effet. Comment ne le serait-il pas quand, en dépit de toutes les atrocités découlant de la politique israélienne, de son refus de faire la moindre concession demandée par la superpuissance qui le finance et l’arme et de son désintérêt pour tout ce qui touche de près ou de loin à la paix, plus de six sur dix Américains le soutiennent ?
Déjà quand beaucoup moins d’Américains soutenaient Israël, les dirigeants de ce pays faisaient très peu de cas des demandes de concessions symboliques, genre un arrêt temporaire de la colonisation, que leur faisaient timidement les responsables américains. Il est vrai que, sondage ou pas, soutien large ou limité de la part de l’opinion occidentale, les dirigeants israéliens ont toujours fait ce qu’ils veulent. Le problème avec de tels sondages n’est pas qu’Israël va se déchaîner davantage, il l’a toujours été sans que personne n’ose le retenir, mais que les responsables américains vont être plus inhibés et plus timides encore dans le traitement du dossier moyen-oriental. Surtout que tous les deux ans, il y a des élections aux Etats-Unis avec des campagnes hyper médiatisées où les candidats se livrent à des spectacles sidérants autour du thème « Moi j’aime Israël plus que vous ne l’aimez ».
Comment se fait-il qu’après de nombreuses guerres d’agression contre les Palestiniens et les Libanais, après des décennies d’occupation et de répression, il y a encore plus de six Américains sur dix pour soutenir un pays dont la politique repose essentiellement sur l’injustice et le mépris du droit international, c'est-à-dire sur des « valeurs » aux antipodes de celles inscrites dans la Constitution américaine ?
On évoque souvent l’ignorance des Américains de tout ce qui se passe en dehors de leurs frontières, leur éloignement géographique du Moyen-Orient, l’alignement systématique des Main Stream Media aux Etats-Unis sur la position israélienne, l’activisme débordant des lobbies pro-israéliens à Washington, la réputation des Arabes et des musulmans aux Etats-Unis fortement ternie après les attentats du 11 septembre 2001 etc… Mais tout cela ne justifie en aucun cas le fait qu’une proportion si importante de la population américaine se place du côté de l’injustice et se montre d’une insensibilité étonnante vis-à-vis du calvaire quotidien vécu depuis des décennies par les Palestiniens.
De toutes les explications qu’on vient d’évoquer, l’ignorance des Américains de la réalité moyen-orientale est sans doute celle qui nous éclaire le plus si l’on peut dire sur le fait que plus de six sur dix d’entre eux adoptent le point de vue israélien. S’ils étaient conscients des graves conséquences pour leur pays de la politique israélienne, s’ils savaient que l’engluement de leur armée dans les sables mouvants de la Mésopotamie s’expliquait entre autres par le désir de Washington de soulager Israël d’un « ennemi dangereux », s’ils avaient une idée des sommes faramineuses déboursées annuellement par le contribuable américain non seulement pour financer et armer Israël, mais aussi pour le « protéger des dangers qui l’entourent » en déclenchant ou en menaçant de déclencher des guerres ruineuses dans la région, il y aurait sans aucun doute beaucoup moins d’Américains qui se rangeraient derrière Israël.
Dans leur ferveur de soutenir Israël sans chercher à comprendre, les Américains ne se rendent même pas compte de l’ingratitude des dirigeants israéliens vis-à-vis de leur pays. La semaine dernière, le ministre israélien de la défense, Ehud Barak, était à Washington pour parler devant le Washington Institute for Near East Policy (WINEP), un think tank créé et financé par l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee). Il a commencé son discours par une remarque d’une arrogance et d’un ingratitude à peine croyable : « Nous en Israël, nous nous sentons très fiers parce que nous n’avons jamais demandé aux Américains de venir se battre pour nous. » Il est clair pour tout le monde que toutes les guerres dévastatrices menées par Israël contre des populations désarmées et des infrastructures civiles, l’ont été par des avions, des missiles et de l’argent cent pour cent israéliens.
Mais le plus grave est ce qu’a dit Barak sur l’Iran : « Il y a bien sûr une différence de perspective, une différence de jugement, une différence de timing et une différence de capacités et, à cet égard, nous n’avons pas besoin de coordination (avec les Etats-Unis). Nous devons échanger nos points de vue, mais il n’est pas nécessaire de tout coordonner. »
Après avoir pressé depuis 2006 au moins les Etats-Unis de faire la guerre pour eux contre l’Iran, les Israéliens semblent perdre espoir d’attirer l’armée américaine vers une troisième guerre dans la région, d’où la mauvaise humeur d’Ehud Barak qui ne veut plus coordonner avec la puissance sans le soutien de laquelle lui et son armée ne pèseront pas très lourd dans le rapport de forces de la région Golfe-Moyen-Orient.
Est-ce là un signe qu’Israël est déterminé à faire cavalier seul en attaquant l’Iran et à mettre les Etats-Unis devant le fait accompli face à un nouvel incendie régional ? En tout cas, si Netanyahu et Barak sont déterminés à commettre une telle folie, ce ne sont pas les résultats du dernier sondage Gallup qui va les décourager.