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Wednesday, February 25, 2009

Lire la page avant de la tourner

Cela ressemble à s’y méprendre à un discours sur l’état de l’Union. La réunion des deux chambres du Congrès, l’enthousiasme avec lequel le président Obama était reçu par le pouvoir législatif, la « standing ovation » à laquelle il a eu droit, l’ambiance solennelle et le ton grave, tout était mis en place pour faire du premier discours du nouveau président devant les élus de la nation américaine un véritable discours sur l’état de l’Union et les moyens de la sortir de la grave situation dans laquelle elle se trouve.
Le diagnostic, contrairement à ce qu’on était habitués d’entendre durant les huit dernières années, répondait aux impératifs de la vérité. Et la vérité, comme l’a dit mardi Obama, est que la crise profonde dans laquelle est plongée l’Amérique et qui s’est étendue rapidement au reste du monde, n’a pas commencé avec le scandale des subprimes, l’effondrement du marché de l’immobilier ou la chute du Dow Jones.
La crise est intimement liée au mode de vie des Américains et aux choix erronés en politique intérieure et étrangère, particulièrement durant les huit dernières années. Les causes profondes de la crise se trouvent dans l’addiction au pétrole, consommé de manière gargantuesque, désastreuse à la fois pour le budget familial et fédéral ainsi que pour l’environnement. Elles se trouvent, comme l’a si bien dit Obama, dans le fait que « les profits à court terme prenaient le pas sur la prospérité du long terme », dans l’ajournement continu au lendemain des décisions difficiles, dans la cupidité des banquiers et des spéculateurs dont les gains faramineux et injustifiés ne faisaient qu’aiguiser leur désir de gagner encore plus.
L’une des causes importantes de cette crise, passée entièrement sous silence par Obama dans son discours de mardi est l’implication depuis 2001 des Etats-Unis dans des guerres extrêmement coûteuses et que l’administration de George W. Bush a choisi de mener sur le compte des générations futures américaines. En effet, celles-ci, avant même qu’elles ne soient nées, se trouvent endettées jusqu’au cou auprès des générations futures chinoise, japonaise, sud coréenne, saoudienne etc.
Cette singularité économique, les Etats-Unis la doivent à George Bush qui a inventé la manière la plus déroutante de l’histoire de l’humanité en matière de financement des guerres. En effet, plus il dépensait sur ses guerres d’Afghanistan et d’Irak, plus il réduisait les impôts que devaient payer les riches, et plus il imprimait des bons de Trésor qu’il vendait frénétiquement aux détenteurs de grosses quantités de devise américaine. La moralité de l’histoire, ou plutôt l’immoralité de l’histoire, est que George Bush était certes un ennemi implacable des Irakiens et des Afghans, mais il était aussi une malédiction pour les générations futures américaines. Pour avoir une idée de ce qui attend celles-ci, il faut savoir que, jusqu’à ce jour, rien que dans les coffres des banques centrales chinoise et japonaise se trouve entreposée une masse faramineuse de bons de Trésor d’une valeur de plus 1200 milliards de dollars…
« Et bien, l’heure de vérité est arrivée et avec elle le moment de prendre en charge notre avenir » a dit Obama dans son discours de mardi, avant d’exhorter les Américains « à se rassembler pour affronter crânement les défis qui nous font face et assumer une fois de plus la responsabilité notre avenir. »
Si on lit entre les lignes, on comprendra qu’Obama voulait dire (sans trop vouloir le dire) que l’administration qui l’a précédé n’a pas pris en charge l’avenir du pays qu’elle a, au contraire, gravement compromis. Mais on constatera aussi, qu’il est animé du désir de tourner très vite la page et d’oublier le plus rapidement possible les désastres engendrés par les choix politiques de son prédécesseur.
Les questions qui se posent sont les suivantes : est-il sain pour l’Amérique d’ignorer les graves conséquences de la politique de George Bush ? Est-il juste de passer par pertes et profits les immenses souffrances endurées par des millions de personnes aux Etats-Unis et à l’étranger sans déterminer la responsabilité des uns et des autres ?
Beaucoup aux Etats-Unis répondent par « non » à ces deux questions. Parmi eux le sénateur démocrate de l’Etat du Vermont, Patrick Leahy, qui estime que les Etats-Unis ont besoin d’ « une Commission de vérité » qui se penchera sur les méfaits commis par l’administration Bush dans sa guerre contre le terrorisme. « Beaucoup d’Américains », affirme Leahy, « éprouvent le besoin d’aller au fond des choses pour comprendre les erreurs commises. On ne devrait pas tourner la page avant de l’avoir lue ».
Mais beaucoup aussi à Washington rejettent cette idée. Le sénateur républicain de Pennsylvanie, Arlen Specter, estime que « si chaque administration se met à réexaminer ce qu’a fait la précédente, on ne s’en sortira pas. Ici, on n’est pas en Amérique latine. »
Il a dû regretter sa comparaison puisque d’éminents juristes, dont James Cavallaro, professeur de droit à Harvard, lui ont répondu « justement, on n’est pas en Amérique latine, mais il y a des leçons à apprendre de l’expérience de nos voisins du sud. » (1)
C’est un fait que le Chili et l’Argentine, pour ne citer que ces deux pays, se sentent beaucoup mieux sur les plans moral, social et politique grâce aux « Commissions de vérité » qu’ils ont mises en place au lendemain de la chute des dictatures militaires de Pinochet et de Videla. Les Etats-Unis se sentiront beaucoup mieux aussi sans aucun doute sur tous les plans, y compris économique, s’ils mettaient en place une Commission de vérité sur les huit années de gouvernement de George Bush. Celui-ci n’est pas arrivé à la Maison blanche à travers un coup d’état, certes, mais ce qu’il a fait subir aux Etats-Unis et au monde n’est pas moins grave que ce qu’ont fait subir les dictatures militaires chilienne et argentine à leur pays.

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(1) Christian Science Monitor, 20 février 2009

Monday, February 23, 2009

Le juge et l'assassin

Imaginons une salle d’audience d’un tribunal où il y a deux personnes seulement, le juge et l’assassin. Imaginons que le juge écoute attentivement l’assassin développer un à un les éléments prouvant son « innocence ». Imaginons que le juge est convaincu et, ne trouvant nul besoin de confronter la version forcément mensongère de l’assassin à celle des témoins oculaires, rend un jugement acquittant le coupable.
Cette justice surréaliste et absurde n’existe même pas dans les dictatures les plus ubuesques. Pourtant, c’est ce modèle de justice surréaliste qu’a suivi Anthony Cordesman, un chercheur et stratège américain qui occupe un poste important dans une grande institution de recherche américaine : le Centre pour les études stratégiques internationales. Il a publié le 2 février dernier une étude intitulée : « The Gaza war, a strategic study » (La guerre de Gaza, une étude stratégique).
Cordesman est un chercheur respecté. Ses analyses sur la politique américaine au Moyen Orient, en Irak ou en Asie de l’ouest sont en général profondes et pertinentes, forçant souvent le respect même si on ne les partage pas.
Son dernier « rapport » sur la guerre de Gaza a étonné et déçu plus d’un observateur par son parti pris flagrant en faveur de l’agresseur israélien que Cordesman blanchit en concluant son « étude » en ces termes : « Israël n’a pas violé les lois de la guerre ».
Cette intime conviction, le juge Cordesman l’a eue grâce à un « voyage d’étude » en Israël financé par le Comité juif américain (information importante que Cordesman passe sous silence) et au cours duquel, il a « consulté des documents officiels de l’armée israélienne » et « interrogé plusieurs soldats et officiers » ayant participé à la guerre contre le peuple palestinien à Gaza.
L’étonnant est que le chercheur américain a pris pour argent comptant ce qu’il a lu et entendu en Israël alors que des journalistes et des chercheurs israéliens ne croient plus un mot de ce que disent les responsables politiques et militaires de leur pays. Par exemple, Uzi Benziman a écrit dans le journal « Haaretz » que « les autorités de l’Etat, y compris l’institution de la défense avec toutes ses branches, ont acquis une réputation de malhonnêteté qui a endommagé leur crédibilité. » De son côté, B. Michael a écrit dans le journal Yediot Ahronot : « Les communiqués officiels publiés par l’armée israélienne se sont progressivement libérés de la contrainte de la vérité, et le cœur de la structure du pouvoir (police, armée et renseignement) est infecté par la culture du mensonge. » Enfin, dernier exemple, l’un des responsables de Human Rights Watch, Marc Garlasco, était si ulcéré par les mensonges proférés par l’armée israélienne pendant les deux dernières guerres du Liban et de Gaza, qu’il s’est exclamé : « Qui pourra encore croire l’armée israélienne ? »
Réponse : Anthony Cordesman. Mieux encore (ou pire), ce chercheur nous invite à croire aussi l’armée israélienne puisque ses données sont « de loin plus crédibles » que les données de l’ONU par exemple que « beaucoup d’Israéliens estiment biaisées parce qu’en faveur des Palestiniens. »
La vraie question qui se pose maintenant est qu’un homme aussi intelligent et aussi bien informé qu’Anthony Cordesman peut-il en toute bonne foi croire les données officielles israéliennes et les utiliser exclusivement comme base d’une étude stratégique sérieuse ?
Pour prononcer un jugement juste, crédible et honnête, un juge ne peut se contenter des seules affirmations de l’assassin. Certes, il est tenu de lui donner la parole et lui assurer la possibilité de se défendre. Mais si le récit de l’assassin est en contradiction avec l’évidence, le juge est tenu de l’ignorer et de rendre son jugement conformément à la vérité basée sur des preuves matérielles indiscutables.
Quand Anthony Cordesman, utilisant son autorité morale et intellectuelle et la réputation de l’Institut qui l’emploie, conclut auprès du public occidental qu’ « Israël n’a pas violé les lois de la guerre », et donc n’a commis aucun crime de guerre, il joue le rôle d’un juge corrompu qui s’assoit sur la vérité et prend le parti du coupable pour des raisons inavouables.
Si Cordesman tenait à la vérité et à la crédibilité de son « étude stratégique », il serait allé non pas à Tel Aviv, mais à Gaza. Il n’aurait pas pris la grotesque décision d’interviewer les agresseurs et d’ignorer les victimes. D’ailleurs aurait-il eu besoin de se déplacer ? Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde ont pu observer trois semaines durant la sauvagerie avec laquelle les habitations, les hôpitaux, les écoles, les mosquées, les usines et les bâtiments administratifs ont été nivelés et les centaines de Palestiniens, dont une majorité de femmes et d’enfants, ensevelis. En dépit de ces preuves matérielles irréfutables observées quotidiennement et en direct par des centaines de millions de téléspectateurs, Cordesman trouve le moyen d’innocenter Israël en décrétant que ce pays « n’a pas violé les règles de la guerre » !
Cordesman n’est pas ce naïf qui se laisse facilement berner par les services de propagande de l’Etat israélien. Son comportement ne peut s’expliquer que par la peur du lobby. Contacté par le Comité juif américain qui lui a proposé de financer le voyage en Israël et l’« étude », Cordesman ne pouvait refuser sous peine de se voir traiter d’ « anti-sémite » avec les risques de mise en quarantaine et de destruction de carrière qui s’ensuivent.
Le lobby est toujours aussi actif et aussi prêt à terroriser quiconque, en Europe ou aux Etats-Unis, ose critiquer Israël. Dans son dernier sondage sur l’idée qu’ont les Européens des Juifs (1), l’ « Anti-Defamation League » a posé un certain nombre de questions dont celle-ci : « Les Juifs sont-ils plus loyaux à Israël qu’aux pays dont ils ont la nationalité ? » Une majorité d’Européens ont répondu « Oui, c’est probablement vrai ». C’était suffisant pour qu’Abraham Foxman, le chef du redoutable lobby, se déchaîne contre ces « Européens anti-sémites ». Jusqu’à quand des hommes de la valeur et de la réputation d’Anthony Cordesman vont-ils continuer à se mettre avec zèle et empressement au service du lobby et d’Israël rien que pour éviter d’être accusés d’ « anti-sémitisme » ?

(1) www.adl.org/Public%20ADL%20Anti-Semitism%20Presentation%20February%202009%20 3 .pdf

Saturday, February 21, 2009

L'inéluctable confrontation

Les relations israélo-américaines ont atteint leur âge d’or pendant les huit années de règne de George W. Bush qui n’avait pratiquement rien refusé à Israël et à son fidèle serviteur aux Etats-Unis, l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee). Il est de notoriété publique que ce célèbre lobby joue un rôle déterminant dans l’élaboration de la politique moyen-orientale de Washington.
Ces relations ont donc atteint leur apogée durant les huit dernières années, et il est peu probable qu’elles puissent continuer à jouir d’un tel niveau d’intimité et de complicité sous la nouvelle administration, américaine en dépit de la mobilisation à outrance des lobbies pro-israéliens à Washington dans l’espoir de pousser Obama à poursuivre la politique moyen-orientale de Bush.
Tous les signes annoncent que ces relations seront troublées par les divergences qui ne manqueront pas de surgir entre Tel-Aviv et Washington dans les mois à venir. Les résultats des élections israéliennes du 10 février dernier rendront la mission des lobbies israéliens aux Etats-Unis ardue dans la mesure où le gouvernement qui se mettra en place dans les semaines à venir sera l’otage des extrémistes du Likoud, d’Israël Beitenou et des formations religieuses qui n’aiment pas entendre parler de gel de la colonisation ou de paix avec les Arabes.
La politique que mettra en place l’extrémiste Benyamin Netanyahu entrera inéluctablement en confrontation avec la nouvelle orientation et les nouvelles priorités de l’administration Obama. Celle-ci n’a pas perdu de temps pour nommer un représentant au Proche-Orient en la personne de George Mitchell, et n’a pas caché son intention de redorer son blason fortement terni dans le monde arabo-musulman.
Netanyahu, qui a été chargé vendredi dernier par Shimon Peres de former le prochain gouvernement israélien, se trouvera dans peu de temps face à deux choix aussi difficile l’un que l’autre. S’il choisit de contenter Washington, il perdra le soutien de Lieberman et des religieux et son gouvernement s’effondrera, et s’il choisit de maintenir l’unité de son gouvernement en poursuivant la colonisation et en refusant toute espèce de négociations avec les Palestiniens, il s’aliènera la nouvelle administration américaine avec laquelle il entrera inéluctablement en confrontation.
Mais ce ne sont pas les seules difficultés qui pointent à l’horizon des relations israélo-américaines. La question iranienne risque de devenir une vraie pomme de discorde entre les Etats-Unis et Israël parce que là aussi les divergences d’intérêts entre Washington et Tel-Aviv sont devenues flagrantes.
Avant le départ de George Bush, Israël et l’AIPAC avaient désespérément tenté de le convaincre de faire le travail à leur place en ordonnant à l’armée américaine de bombarder les installations nucléaires iraniennes. Essuyant un refus, Israël avait alors demandé des « buster-bombs » (bombes anti-béton), un avion ravitailleur et une autorisation de survoler l’espace irakien. Cette fois, c’est Robert Gates, le chef du Pentagone qui s’est opposé avec virulence à ces demandes, selon le dernier livre du journaliste du New York Times, David Sanger, intitulé « Inheritance » (Héritage). Le refus de Robert Gates s’expliquait bien sûr par la peur de voir les bombardements israéliens en Iran transformer à nouveau l’Irak en enfer pour les troupes américaines.
Dès sa prise de fonction, Obama a insisté sur sa disposition à négocier avec l’Iran en vue de normaliser les relations entre les deux pays fortement dégradées par trente ans de tension continue. Ce nouveau langage américain ne plaît pas à Israël, cela va de soi, et met sans doute mal à l’aise Benyamin Netanyahu pour qui l’Iran est « une menace existentielle pour Israël » et « le principal défi pour les dirigeants du XXIe siècle ». Dans une allocution prononcée vendredi devant le président israélien Peres après avoir été formellement chargé de former un gouvernement, Netanyahu a affirmé que l’Iran sera « à la tête des priorités » de son gouvernement. Inquiétant et significatif à la fois, Netanyahu n’a pas prononcé le mot « palestinien » et n’a pas fait la moindre allusion au conflit israélo-arabe, tellement il était obsédé par « le danger iranien ».
Le problème pour le prochain gouvernement israélien est que Washington semble prendre conscience de jour en jour de la nécessité de normaliser ses relations avec Téhéran. Avant, le principal souci américain était la stabilisation de l’Irak Maintenant le principal souci de Washington s’est déplacé un peu plus à l’est et concerne désormais l’Afghanistan et le Pakistan, deux problèmes si étroitement entremêlés que l’administration Obama a unifiés sous le vocable « AfPak ».
Pour stabiliser l’« AfPak », la coopération de l’Iran, pays frontalier de l’Afghanistan et du Pakistan, est indispensable. La nouvelle équipe au gouvernement à Washington est de plus en plus convaincue de cette réalité que l’administration Bush avait si imprudemment ignorée pendant huit ans. Au cours de sa visite la semaine dernière à Kaboul, l’émissaire américain Richard Holbrooke a affirmé qu’ « il est absolument clair que l’Iran joue un rôle important en Afghanistan ». Il est allé jusqu’à qualifier ce rôle de « légitime ».
Avant lui, John Brennan, le conseiller d’Obama pour la lutte anti-terroriste, a défendu l’idée que « la coopération de l’Iran rendrait l’effort américain de stabiliser la région et de défaire Al Qaida nettement plus facile. »
Il est clair que l’administration Obama et le gouvernement ultra que Netanyahu s’apprête à mettre en place ne seront pas sur la même longueur d’onde et ne parleront pas le même langage ni en ce qui concerne la question palestinienne, ni en ce qui concerne la question iranienne. Sauf miracle, leur confrontation est donc inéluctable.

Wednesday, February 11, 2009

Tourner en rond pour ne pas avancer

Encore une fois, nous avons assisté au carnaval des élections israéliennes qui, comme les précédentes, vont aboutir à la constitution d’un gouvernement forcément instable qui chutera sans doute avant terme, compte tenu du fractionnement politique extrême de la société israélienne. Les électeurs israéliens seront alors invités dans quelques temps à de nouvelles élections anticipées et le monde invité à assister à un nouveau carnaval. On ne sait pas si les Israéliens le font exprès, mais, en revanche, tout le monde sait avec certitude que le moyen le plus sûr de ne pas avancer d’un iota, c’est de tourner en rond.
Le fractionnement de la société israélienne et l’instabilité gouvernementale endémique qui la caractérise ne déplaisent pas forcément à une classe politique tétanisée par la peur de la paix et incapable de produire un seul dirigeant charismatique et courageux qui sortirait le pays de l’impasse dans laquelle il ne cesse de s’enfoncer depuis sa création en 1948. A ce niveau, un gouvernement instable est un atout inespéré pour des politiciens qui ne veulent ou ne peuvent prendre aucune décision stratégique dans l’intérêt de leur pays et dont la compétition rituelle dans les carnavals électoraux ne vise en dernière analyse que la gestion des affaires courantes, l’extension des colonies étant devenue, cela va sans dire, une composante principale de ces affaires courantes et routinières.
Cette fois-ci, les électeurs israéliens n’ont pas changé de comportement dans le fond, mais ont compliqué un peu plus les choses en virant un peu plus à droite. Ils se sont assurés un gouvernement qui, tout en tournant en rond, tentera de dresser encore plus d’obstacles sur le chemin de la paix et de couper le peu d’herbe qui reste sous les pieds des partisans de la paix en Israël et dans le monde arabe.
En donnant au Likoud de Benyamin Netanyahu presque autant de sièges qu’à Kadima de Tzipi Livni, les électeurs israéliens ont permis à celui-là d’être en mesure de former un gouvernement avec l’aide des partis d’extrême droite. En tirant le parti raciste ‘Yisrael Beitenou’ de sa position marginale à celle de troisième parti du pays, les électeurs israéliens ont permis à son dirigeant Avigdor Lieberman, disciple du rabbin fasciste Meir Kahane, d’occuper la position de « faiseur de rois », c'est-à-dire de celui qui décide réellement qui sera Premier ministre.
La loi israélienne prévoit que le président d’Israël, Shimon Peres, désigne un Premier ministre et le charge de former un gouvernement. Etant donné que ni Netanyahu ni Livni n’ont une majorité indiscutable, Peres est obligé de sonder tous les membres élus du Knesset pour savoir qui ils préfèrent, et il nommera celui ou celle qui a la préférence de la majorité des députés. C’est ici qu’intervient Avigdor Lieberman dans le rôle de « faiseur de rois ». En tant que chef du troisième parti du pays, c’est lui et lui seul qui décidera avec qui il s’alliera pour former un gouvernement. Et dans son discours post électoral, il n’a pas caché sa préférence. « Notre cœur penche à droite » a-t-il dit à ses partisans, ce qui veut dire que Netanyahu sera le prochain Premier ministre.
Il n’est pas nouveau pour le poste évidemment. Il l’a occupé entre 1996 et 1999 à un moment où son sort ne dépendait pas d’un parti plus à droite que le sien. Aujourd’hui, quand il négociera la distribution des portefeuilles ministériels avec Lieberman, Netanyahu a une marge de manœuvre limitée par le fait même qu’il doit son poste à cet émigré moldave qui, jusqu’à l’âge de 20 ans, ne connaissait pas Israël et ne parlait pas un mot d’hébreu…
Mais Netanyahu a-t-il besoin de plus extrémiste que lui pour le pousser à plus d’intransigeance ? Son comportement de politicien irresponsable à la tête du gouvernement israélien à la fin des années 1990, a laissé des souvenirs amers chez tous ceux qui ont eu à négocier avec lui, les Palestiniens bien sûr, mais aussi les Américains. Bill Clinton, qui en sait quelque chose, ne manquerait sûrement pas de briefer sa femme sur le personnage et l’avertir qu’elle aura, en tant que secrétaire d’Etat, des moments difficiles à passer au contact de ce personnage buté qui « se prenait pour une super-puissance », selon les termes de Bill Clinton lui-même.
Le plus grand perdant de ces élections est incontestablement Ehud Barak, chef du parti travailliste et ministre de la défense. Avant le déclenchement des atrocités contre Gaza le 27 décembre dernier, Barak savait pertinemment que la position de sa formation politique en tant que troisième parti du pays était fortement menacée par le développement de parti extrémiste d’Avigdor Lieberman, ‘Yisrael Beitenou’.
Beaucoup de commentateurs israéliens et internationaux ont attribué la violence excessive de l’armée israélienne contre les civils palestiniens, entre autres, au désir du ministre de la défense, Ehud Barak, de séduire les électeurs israéliens afin qu’ils ne fassent pas subir une humiliation au parti travailliste qu’il dirige en le reléguant derrière un vulgaire parti russe. Il avait même tenté le tout pour le tout en se déchaînant contre Liberman qu’il a qualifié de « faux dur » et d’ « agneau avec des plumes de faucon ». Pire encore, il a poussé l’indécence jusqu’à poser cette question rapportée par le journal ‘Haaretz’ : « Lieberman a-t-il jamais tiré sur quelqu’un ? »
Comment comprendre cette question autrement que comme un clin d’œil de Barak aux électeurs israéliens signifiant que Lieberman n’a jamais tué un seul Arabe et que lui Barak en a tué des milliers ? Et pas plus tard que le mois dernier, il s’était déchaîné contre les civils désarmés à coups de missiles tirés par les F-16 et d’obus tirés par les tanks Merkava. Il a fait couler le sang de centaines d’enfants palestiniens dans l’espoir de voir son parti garder sa troisième place. Pour paraphraser Churchill, Ehud Barak a cherché la victoire et la gloire, il a eu la défaite et la honte.

Tuesday, February 10, 2009

De père en fils

Quelques jours avant la guerre destructrice lancée contre Gaza, le patron du Shin Beth (sécurité intérieure israélienne), Yuval Diskin, informait le gouvernement israélien que «le Hamas serait prêt à reconduire la trêve si Israël levait le blocus de Gaza et déclarait un cessez-le-feu en Cisjordanie».
De son côté, l’ancien chef du Mossad, Ephraim Halevy, expliquait au même gouvernement que «le Hamas suivrait un chemin qui l’éloignerait de ses objectifs initiaux, si seulement Israël s’engageait dans la voie du compromis. Cela affaiblirait les extrémistes comme Ben Laden et Ahmadinejad et faciliterait la constitution d’alliances internationales».
Le 27 décembre dernier, le gouvernement israélien s’était assis sur les avis du Shin Beth et du Mossad et avait choisi d’engager la guerre la plus destructrice et la plus violente depuis 1967. Et ce gouvernement qui n’a pas hésité à massacrer des centaines d’enfants, de femmes et de vieillards et à faire des dizaines de milliers de sans-abri en plein hiver, va probablement être remercié aujourd’hui par les électeurs israéliens qui, dans leur majorité, estiment que ce qui a été fait à Gaza «n’est pas assez».
Le citoyen israélien ordinaire n’a ni les données ni la capacité d’analyse nécessaires pour pouvoir dire si c’est assez ou pas. Ce sont les politiciens extrémistes, genre Benyamin Netanyahu, qui, à coups de discours démagogiques, enflamment les électeurs et les poussent à répéter des absurdités du genre, ce qu’a subi Gaza pendant trois semaines de bombardements intensifs «n’est pas assez». Précisément, cette idée a été suggérée aux électeurs par Benyamin Netanyahu qui n’a pas cessé de crier sur les toits que «le problème avec la guerre de Gaza est que l’armée n’a pas été jusqu’au bout».
Le problème avec Netanyahu est qu’il risque de devenir, ou plutôt redevenir, dès ce soir Premier ministre d’Israël avec toutes les conséquences catastrophiques qu’engendrerait sa politique vis-à-vis des Palestiniens en particulier et des Arabes en général. Il s’était fait élire en 1996 (avec l’aide des attentats-suicide perpétrés par le Hamas), et avait parfaitement réussi à étouffer tous les espoirs qu’avait fait naître la signature des accords d’Oslo par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin le 13 septembre 1993.
Netanyahu n’a pas découvert l’extrémisme le jour où il a mis les pieds dans l’arène politique israélienne, mais il lui a été instillé dès son jeune âge par son père, Benzion Netanyahu. Benzion Netanyahu était l’un de ces illuminés juifs qui, dès son débarquement en Palestine, alors sous mandat britannique, s’en était pris à «la naïveté» et à «l’idéalisme» de ses coreligionnaires qui s’apprêtaient à partager «la terre biblique d’Israël» avec les Arabes. Pour le père Netanyahu, les Juifs ne devraient pas seulement se contenter de l’espace situé entre la Méditerranée et le Jourdain. Ils devraient aussi y inclure l’actuel territoire jordanien…
Spécialiste de l’histoire du Moyen-Age et collaborateur de Vladimir Jabotinsky, le théoricien le plus extrémiste du sionisme, Benzion Netanyahu résumait l’histoire de l’humanité en une «série de génocides antisémites». Pour lui, quiconque s’oppose au projet sioniste tel que conçu par son patron Jabotinsky, est un antisémite et un génocidaire en puissance.
Voici donc le genre de soupe intellectuelle qui a été servie à Benyamin Netanyahu pendant son enfance et qui a continué à le nourrir pendant l’adolescence et à lui servir de référence dans les combats politiques qu’il menait depuis le début des années 1980, quand il a fait son entrée pour la première fois à la Knesset.
Dès lors, il n’est guère étonnant d’entendre Benyamin Netanyahu comparer les compromis avec les Palestiniens à «des compromis avec les Nazis»; de l’entendre refuser aux Palestiniens tout droit de partager la terre qu’«ils ont volée en 636» (date de la conquête de Jérusalem par les Arabes); de l’entendre traiter de «traître» Yitzhak Rabin parce qu’il a signé les accords d’Oslo, ce qui a amené la foule fanatisée qui l’écoutait à demander la tête de Rabin et la veuve de celui-ci d’accuser Netanyahu de l’assassinat de son mari.
Voici donc le genre de personnages que les Israéliens pourraient avoir la stupidité d’élire comme leur Premier ministre. S’ils le faisaient, cela veut dire qu’ils acceptent son programme politique qui se résume à une série de «non». Non au dialogue avec les Palestiniens, non au dialogue avec les Syriens, non à l’arrêt de la colonisation de la Cisjordanie, non au partage de Jérusalem, en un mot, non à un quelconque compromis avec les Arabes.
Netanyahu a été déjà élu en 1996. Il a été si inflexible, si rigide et si arrogant que même les Américains, pourtant si complaisants envers les dirigeants israéliens, ne voulaient plus avoir affaire à lui. Bill Clinton, alors locataire de la Maison-Blanche, parlait de lui en ces termes : «Netanyahu pensait être la superpuissance et nous étions là pour accomplir ce qu’il exigeait de nous».
S’il est élu encore une fois aujourd’hui, on peut prédire, sans risque d’erreur, que Barack Obama et son émissaire dans la région, George Mitchell, ne mettront pas longtemps pour s’apercevoir qu’ils sont face à un fanatique intraitable et qu’ils commenceront très tôt à scruter l’horizon israélien pour voir si de nouvelles élections anticipées se profilent déjà.

Sunday, February 08, 2009

Le Moldave déchaîné

On est pratiquement sûr maintenant que les élections de mardi prochain, 10 février, en Israël aboutiront à la constitution d’un gouvernement beaucoup plus à droite que celui d’Olmert ou même de Sharon avant lui. Tous les sondages donnent Benyamin Netanyahu et Avigdor Lieberman, deux politiciens parmi les plus extrémistes d’Israël, comme les principaux gagnants. Celui-là a même promis de donner, en cas de victoire, à celui-ci « un important ministère ».
Avigdor Lieberman ne se contentera sûrement pas de la promesse de Netanyahu si, comme le prévoient les sondages, il caracolera à la tête du ce qui serait le « troisième parti » du pays, « Yisrael Beitenu » (Israël notre maison). Il semble que ce parti extrémiste, qui était marginal pendant des années, gagnerait au cours des prochaines élections 18 sièges dépassant le parti travailliste. Qui aurait cru un jour que ce grand parti israélien serait dépassé un jour par un parti extrémiste créé par un ancien videur de boite de nuit qui, jusqu’à l’âge de vingt ans, ne connaissait Israël que sur la mappemonde.
De tels développements, s’ils se produisaient, ne seraient nullement étonnants, compte tenu de l’état d’âme de la population israélienne. Celle-ci, plus à droite et plus intransigeante que jamais, est en train de mettre toute la pression sur les politiciens israéliens, ce qui les amène à entrer dans le jeu de la surenchère et à rivaliser de menaces plus terrifiantes les unes que les autres contre les Palestiniens et contre « quiconque s’attaque à la sécurité d’Israël ».
La population israélienne est saisie d’une frénésie guerrière telle, qu’elle semble préférer, et de loin, les politiciens qui font l’apologie de la guerre et de la violence et se détourner de ceux qui osent encore parler de négociations et de compromis avec les Arabes. Le phénomène prend des proportions si hallucinantes que, d’après certains reportages de presse, des juifs séfarades d’origine nord-africaine s’apprêtent à voter pour le « facho » Liberman.
L’histoire de cet homme est étonnante. Âgé aujourd’hui de 51 ans, il a émigré en Israël en 1978 venant d’une obscure « Région autonome soviétique moldave » que l’Armée rouge avait confisquée en 1924 à la Roumanie et rattachée à la République soviétique d’Ukraine. Il a fait alors comme beaucoup d’Européens de l’Est avant lui et après lui et qui, profitant de leur statut de juif ou ayant tout simplement acheté un certificat de judaïté à un rabbin corrompu, ont fui l’ancienne URSS à la recherche de meilleures conditions de vie.
Avigdor Lieberman symbolise à lui tout seul l’Etat d’Israël. Il concentre en lui toute l’injustice, l’arrogance et l’absurdité qui constituent les trois piliers sur lesquels s’est érigé Israël et qui continuent, jusqu’à ce jour de lui servir de base fondamentale dans ses relations avec ses voisins palestiniens et arabes. Toutefois, si Israël s’est accommodé tant bien que mal pendant soixante ans des Arabes qu’il n’avait pu expulser en 1948 et qui vivent toujours là où eux et leurs ancêtres étaient nés, le Moldave Avigdor Lieberman ne l’entend pas de cette oreille. A un certain moment, il a fait de l’expulsion des Arabes israéliens son principal cheval de bataille. Il faut dire qu’il y a là un peu de déformation professionnelle si l’on peut dire, puisque ce Lieberman a commencé sa vie active en tant que videur de boite de nuit.
Mais, se rendant compte qu’Israël n’est pas une boite de nuit et les Arabes israéliens ne sont pas des danseurs indésirables, le Moldave a changé de stratégie dans l’espoir de les voir, à force de harcèlements, quitter d’eux-mêmes le pays. Il a d’abord tenté de jeter la suspicion sur eux en les traitant de « cinquième colonne » avant d’enchaîner les exigences qu’il ne manquera sans doute pas à mettre en œuvre, si les électeurs israéliens lui assurent mardi prochain suffisamment de députés et font de son parti une force incontournable de la coalition gouvernementale.
Il y a trois ans, ce Moldave, pris sans doute d’un accès de folie, a réclamé tout simplement la peine capitale pour les députés arabes qui soutiennent le Hamas et qui célèbrent la « Nakba » au lieu de l’ « indépendance d’Israël ». Mais ce n’est pas tout. Elargissant sa stratégie de harcèlement à l’ensemble des Arabes israéliens, il s’est adressé à eux en ces termes : « Lorsque vous demandez votre carte d’identité, vous devez signer une déclaration de loyauté à l’Etat d’Israël, à son drapeau, à son hymne national, à sa déclaration d’indépendance et reconnaître qu’Israël est un Etat juif et sioniste. » (1)
Ces gesticulations ridicules de cet ancien videur de boite de nuit font de lui un clown qui aurait fait rire de bon cœur les Palestiniens si la situation n’était pas dramatique. En effet, les Palestiniens n’ont pas le cœur à rire et on les comprend. Comment retenir sa colère quand un étranger que vous ne savez même pas d’où il vient vous impose une série de règles plus absurdes les unes que les autres et vous force à les observer durant votre vie sur la terre de vos ancêtres ?
Les prisons israéliennes regorgent d’émigrants russes qui, ayant falsifié des certificats de judaïté, s’étaient révélés être des bandits de grand chemin mettant en danger la paix civile en Israël. Mais en aucun cas ils ne peuvent être plus dangereux que le premier d’entre eux, Avigdor Lieberman. Ce moldave déchaîné, en poussant Israël à adopter des politiques que beaucoup d’Israéliens qualifient de fascistes, met en danger non pas la paix civile, mais l’existence même d’Israël. En publiant il y a deux ou trois ans un rapport dans lequel elle doutait de l’idée qu’Israël puisse fêter son centième anniversaire, la CIA avait probablement en tête, entre autres, le comportement irresponsable des politiciens extrémistes israéliens genre Lieberman qui, dans leur stupidité sans bornes, continuent inlassablement à scier la branche sur laquelle ils sont assis.

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(1) Le Monde du 4 février 2009

Wednesday, February 04, 2009

Le géant docile et le nain arrogant

Quelques semaines avant le vote de la résolution 181 des Nations-Unies le 29 novembre 1947, le département d’Etat et le Pentagone avaient tout fait pour convaincre le président Harry Truman de voter contre la création de l’Etat d’Israël. Il leur avait répondu : « Je suis désolé Messieurs, j’ai des comptes à rendre aux centaines de milliers de personnes impatientes de voir la victoire du sionisme. Je n’ai pas des centaines de milliers d’électeurs arabes dans mes circonscriptions. »
On ne sait pas si cette opposition des experts du département d’Etat et du Pentagone à la création d’un Etat sioniste au Moyen-Orient était due à un pressentiment superstitieux ou à une analyse lucide sur les dangers que courraient les intérêts américains et la région du Moyen Orient à la suite d’un bouleversement gigantesque qu’engendrerait la confiscation du territoire d’un peuple et son attribution arbitraire à un autre.
Quelles que fussent leurs motivations, ces experts avaient parfaitement raison de s’opposer à la création de l’Etat d’Israël qui, pendant soixante ans d’existence, s’est révélé être un désastre politique et humanitaire pour le monde arabe, et pour les Palestiniens en particulier, et une catastrophe financière et politique pour les Etats-Unis d’Amérique.
De 1948 à 2009, le monde arabe a subi une série de guerres d’agression menées par Israël dont la nature sioniste du régime ne pouvait se satisfaire des 52% de la Palestine historique. Aujourd’hui, et contre la volonté du monde entier, ce pays refuse toujours la création d’un Etat palestinien sur 22% de la Palestine représentés par la Cisjordanie, Jérusalem-est et Gaza. Les Palestiniens et les Libanais, qui ont le malheur d’être les voisins immédiats de cet Etat agressif, continuent de payer le prix fort en vies humaines, en infrastructures et en habitations pour la destruction desquelles Israël n’a jamais rendu aucun compte et n’a jamais été tenu pour responsable par une quelconque institution judiciaire internationale.
Depuis pratiquement la création d’Israël, les Etats-Unis se trouvent dans une situation kafkaïenne. Voici une super puissance qui se laisse tenir en laisse par un pays qui a la taille de l’Etat du New jersey et qui lui impose de payer, de se taire quand l’armée israélienne massacre les civils palestiniens et libanais et détruit leurs maisons et leurs infrastructures à coups de missiles tirés par des F-16, et de condamner quand les victimes ripostent avec des moyens, souvent rudimentaires.
Payer ? Oui, depuis des décennies, le contribuable américain verse chaque jour que Dieu fait à l’Etat israélien plus de 8 millions de dollars. Cet argent a toujours été utilisé pour financer la guerre, l’agression et la construction de colonies sur des terres confisquées par la force militaire. Peu de citoyens américains savent réellement à quoi servent les trois milliards de dollars versés chaque année à l’Etat d’Israël. Auraient-ils accepté de les verser, s’ils savaient que leur argent n’a fait durant de longues décennies que contribuer à perpétuer la guerre, l’agression et le calvaire de millions de Palestiniens et de Libanais ? Pas si sûr.
Les Israéliens rétorqueront que les Arabes reçoivent eux aussi de l’argent américain. Sans doute. Mais, per capita, les Egyptiens et les Jordaniens reçoivent le 1/20eme de ce que reçoivent les Israéliens, et les Palestiniens pas plus que le 1/23eme. Et encore, l’argent qu’ils reçoivent n’a jamais servi à autre chose qu’à réparer ce qu’Israël détruit ou à secourir les sinistrés des désastres humanitaires que laisse invariablement l’armée israélienne derrière elle chaque fois qu’elle déclenche sa machine de guerre meurtrière contre les civils.
Se taire ? Oui, ça a toujours été l’attitude de la diplomatie américaine chaque fois qu’Israël se déchaîne contre les civils. L’armée israélienne peut tuer les Palestiniens et les Libanais par milliers, elle peut détruire autant de maisons, de routes, de ponts et autres infrastructures qu’elle veut, pas une seule condamnation n’a jamais été prononcée à Washington. Mieux encore, ou pire, chaque fois que l’ONU, excédée par tant d’arrogance, se réunit pour crier son indignation et condamner, le veto américain est là pour faire foirer les réunions. Et quand le silence américain est rompu, et il l’est souvent en fait, c’est pour condamner les victimes, les lanceurs de pierres et les lanceurs de fusées artisanales et inoffensives.
Les Etats-Unis se sont mis dans une situation qui ressemble à celle d’un géant ligoté par un nain et à qui il ne peut rien refuser. Ce qui est étonnant, c’est que cette situation absurde soit acceptée comme un état normal par les différentes administrations. Plus étonnant encore, certaines, comme celle de George W. Bush, ont tout fait pour que le géant soit plus ligoté encore, encourageant ainsi le nain à être plus exigeant et plus arrogant. Ehud Olmert n’a-t-il pas exigé que l’ex-président interrompe son discours pour venir lui parler au téléphone, ce que Bush, quittant son audience, s’est empressé de faire ? Et son prédécesseur Sharon n’a-t-il pas fixé avec insistance les yeux de Bush jusqu’à ce que celui-ci « baisse la tête ». Peut-être Sharon voulait-il vérifier que le géant est toujours docile face au nain.
Beaucoup à travers le monde ont nourri l’espoir que l’élection de Barack Obama va enfin aider le géant à se débarrasser de ses entraves et se révolter contre les innombrables crimes commis par le nain. Cette élection a coïncidé avec l’un des plus grands crimes commis par Israël : une campagne destructrice que Gaza n’a jamais connue dans son histoire, pas même pendant la guerre de 1967. C’était une belle occasion pour la nouvelle administration de changer enfin la nature de sa relation avec Israël et de redonner à l’Amérique sa liberté d’action diplomatique et politique dans la région du Moyen-Orient. Occasion ratée. Visiblement, l’argument opposé par Harry Truman en 1948 aux gens du département d’Etat et du Pentagone, (« Je n’ai pas des centaines de milliers d’électeurs arabes dans mes circonscriptions »), tient toujours.

Monday, February 02, 2009

Il était une fois la révolution

Il y a trente ans, le 1er février 1979 plus exactement, l‘ayatollah Khomeiny atterrit à Téhéran après un long exil. Il rentra chez lui en héros adulé et fut accueilli par une foule en délire qui se comptait en millions. Cette même foule qui, durant des années, s’était passée clandestinement les cassettes incendiaires de Khomeiny, et qui avait fini par vaincre l’une des dictatures les plus sanglantes, celle du Chah d’Iran. Celui-ci, abandonné par tous ceux qu’il avait servis pendant les longues années de son règne, y compris et surtout les Etats-Unis, n’avait trouvé que le président égyptien, Anouar Essadate, pour le recevoir au Caire. Il ne devait survivre à l’écroulement de son régime que quelques mois.
Trente après son édification, le régime établi par les mollahs iraniens est toujours solide et jouit encore d’une assise populaire assez large. Le régime du Chah, qui n’a duré que 26 ans (1953-1979), n’a jamais su bâtir une base populaire. Il a choisi la voie de la répression comme unique moyen de gouvernement, et ça lui a été fatal. Cela ne veut pas dire que le régime des mollahs n’a pas recouru à la répression. Il y a recouru pour éliminer des adversaires politiques, mais ne l’a pas érigé en système de gouvernement comme ce fut le cas au temps du Chah.
L’autre raison qui explique la popularité persistante du régime des mollahs est que le pétrole et le gaz, principales richesses du pays, n’étaient plus contrôlés par les grandes sociétés américaines et britanniques, comme au temps du Chah, mais par l’Etat iranien. Cette décision capitale, prise dès les premières heures de la révolution a non seulement rendu aux Iraniens leur fierté perdue, mais elle a aussi amélioré les conditions de vie des couches sociales démunies, celles-là même qui ont été ignorées économiquement et réprimées politiquement par le régime des Pahlavi.
En fait les mollahs n’ont pas été les premiers à prendre cette décision stratégique. Vingt six ans avant eux, en 1953, le docteur Mohammed Mosaddeq, Premier ministre élu démocratiquement par les Iraniens, avait nationalisé le pétrole et remercié les grandes sociétés pétrolières anglo-américaines. Il fut renversé par un coup d’état fomenté par la CIA. Le Chah prit aussitôt les rênes du pouvoir et son premier décret fut d’annuler la décision de Mosaddeq.
En renversant un régime démocratiquement élu pour la simple raison qu’il a pris en compte les intérêts du peuple iranien plutôt que ceux de compagnies étrangères, en aidant le Chah à s’emparer du pouvoir et en faisant de lui le « gendarme » du Golfe, les Etats-Unis ont commis une erreur stratégique monumentale dont ils continuent jusqu’à ce jour à payer le prix.
En renversant Mosaddeq, un homme intègre, modéré et nullement anti-occidental, les Américains ont certes rétabli momentanément les intérêts de leurs grandes compagnies pétrolières, mais, en même temps, ils ont balisé la voie à une radicalisation de la société iranienne qui devait aboutir, un quart de siècle plus tard, à la révolution islamique et à l’extirpation de toute présence économique et de toute influence politique américaines.
La révolution des mollahs est, à ce niveau, le premier changement politique d’envergure dans la région dont les causes fondamentales sont à rechercher dans le comportement irresponsable d’une puissance étrangère plutôt que dans les contradictions internes propres à la société iranienne. Car si le processus démocratique et les choix économiques engagés par Mosaddeq n’avaient pas été interrompus, le khomeinisme n’aurait pas trouvé les conditions sociales nécessaires à son développement et à sa victoire, et les intérêts américains en Iran n’auraient pas été minés de manière aussi radicale pendant un tiers de siècle. Car le compromis qui était possible avec le modéré Mosaddeq ne l’était plus avec les mollahs radicaux qui avaient inauguré leurs « nouvelles relations » avec Washington par une prise d’otages d’une cinquantaine de diplomates américains pendant 444 jours.
Il faut dire que le radicalisme des mollahs n’est pas resté constant pendant les trente ans d’existence de la révolution iranienne. Celle-ci s’était reconverti progressivement à la realpolitik en mettant assez tôt un terme à sa rhétorique d’exportation de la révolution et en normalisant ses relations avec le monde arabe et avec l’Europe.
Cette normalisation tarde toujours à englober les relations avec Washington, et pour être honnête, disons que les obstacles n’étaient pas toujours dressés par Téhéran. Le refus des présidents américains successifs de se pencher sérieusement sur le contentieux irano-américain est pour beaucoup dans le gel prolongé des relations entre les deux pays. Pire encore, le radicalisme de George W. Bush et sa futile trouvaille de l’ « axe du mal » dans lequel il incluait l’Iran, a radicalisé de nouveau la société iranienne en la poussant à élire le président Ahmadinejad dont la rhétorique rappelle les premiers jours de la révolution iranienne.
Israël, poussant comme d’habitude vers la politique du pire, a tout fait pour provoquer une confrontation armée que Téhéran et Washington ont heureusement réussi à éviter pendant trente ans. Bush fils a résisté aux injonctions israéliennes non pas parce qu’il est devenu raisonnable à la fin de son règne chaotique, mais parce qu’il n’avait plus les moyens politiques, militaires et financiers d’engager les Etats-Unis dans une nouvelle aventure désastreuse. Les avait-il eus, il n’aurait pas hésité un instant.
Si l’on en croit ses promesses électorales, le nouveau président américain semble prêt à adopter un comportement différent de celui de ses prédécesseurs vis-à-vis de la question iranienne en se disant prêt à négocier directement avec les Iraniens. Trente ans de rupture entre deux pays qui étaient les meilleurs amis du monde, c’est un peu trop. En politique, les meilleures amitiés ne sont pas éternelles et les pires inimitiés ne sont pas définitives. L’amitié entre Washington et le régime du Chah n’a pas duré plus d’un quart de siècle. L’inimitié entre Washington et le régime des mollahs ne devrait pas durer plus d’un tiers de siècle. Il y va des intérêts des deux pays et de la paix dans le monde.