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Saturday, October 30, 2010

En attendant l'oiseau rare

Le Président syrien Bachar al Assad a donné une longue interview au journal saoudien basé à Londres, Al Hayat, parue au début de cette semaine et dans laquelle il a abordé un grand nombre de sujets régionaux et internationaux. Les réponses du Président syrien aux questions d’al Hayat ne comportaient pas de révélations particulières. Qu’il s’agisse du Liban, de la question de la paix dans la région ou de l’Iran, les positions de la Syrie, connues depuis que Feu Hafedh al Assad était au pouvoir, ont été réaffirmées encore une fois par son fils.
Toutefois, son évaluation de la politique américaine a quelque peu surpris. Non pas par son opposition à cette politique qui, du reste, a presque toujours distingué la Syrie, mais par la dureté inhabituelle dans le chois des mots pour évaluer cette politique. Qu’on en juge : « L’expérience des dernières décennies montre que là où vont les Etats-Unis, ils amènent avec eux le chaos. Les faits prouvent cela. La situation en Afghanistan est-elle stable ? La situation s’était-elle stabilisée en Somalie quand ils étaient intervenus dans ce pays ? Avaient-ils amené la stabilité au Liban en 1983 ? Ils ont provoqué le chaos partout où ils sont allés. » Voilà ce qu’a dit en substance le Président syrien en réponse à une question relative à la politique étrangère américaine.
Ce qui est surprenant, ce n’est pas tant le contenu de cette évaluation des interventions américaines à travers le monde, que la décision de dire les choses aussi franchement et aussi crûment, sans le recours aux acrobaties diplomatiques d’usage. La raison pourrait être que le président Assad a perdu tout espoir d’amélioration sérieuse des relations syro-américaines.
Il faut noter que la Syrie a toujours été intéressée par une amélioration de ses relations avec les Etats Unis, mais que les conditions posées par Washington ne pouvaient pas être acceptées par Damas, à moins d’un revirement brutal et d’un reniement des choix politiques et stratégiques qui caractérisent le pays depuis 1970, année où Hafedh al Assad accéda au pouvoir.
Les Etats-Unis ont dit et redit que pour normaliser leurs relations avec la Syrie, celle-ci devrait s’éloigner de l’Iran et couper tout lien avec le Hezbollah libanais. Ceci est évidemment inacceptable pour les dirigeants syriens pour différentes raisons. D’abord, les Syriens sont convaincus que même s’ils font toutes les concessions requises par les décideurs américains, ceux-ci ne feront jamais les pressions nécessaires pour amener Israël à se retirer des hauteurs du Golan.
Ensuite, l’Iran est un allié stratégique de la Syrie, et les dirigeants syriens sont loin d’être de piètres stratèges pour échanger leur meilleur ami contre une relation incertaine avec l’allié stratégique de leur pire ennemi. Les Syriens n’oublieront sans doute jamais leur participation à côté de Washington à la guerre de 1991 pour expulser les troupes de Saddam du Koweït, une participation que les Etats Unis avaient ignorée entièrement, puisqu’ils n’ont pas changé d’un iota leur politique anti-syrienne.
Enfin, la situation de la Syrie est aujourd’hui nettement meilleure de celle qui prévalait il y a quelques années quand elle était entourée de deux sérieux ennemis : l’Irak et la Turquie. Celui-là, en dépit de la persistance du chaos, ne constitue plus un danger ; et celle-ci, depuis l’arrivée au pouvoir du parti de Tayyip Erdogan, ses relations avec la Syrie se sont améliorées de manière spectaculaire. Il y a dix ans, Damas et Ankara étaient au bord de la guerre, aujourd’hui, ils sont presque alliés. Tout ça pour dire que la Syrie est aujourd’hui très à l’aise dans son environnement régional avec des relations stratégiques avec l’Iran et de bon voisinage avec la Turquie. Par conséquent, elle n’a aucune raison pressante de courir derrière la normalisation avec les Etats-Unis.
Si l’on examine de très près le ton et les mots choisis dans son évaluation des interventions américaines à travers le monde, on constatera que le Président Assad est assez irrité. Peut-être à cause de l’entêtement des Etats-Unis qui continuent de croire sérieusement que le simple fait d’envoyer leur ambassadeur à Damas est « un cadeau » fait aux syriens qui, en retour, doivent se soumettre aux conditions américaines.
Clairement, les Etats-Unis semblent incapables de comprendre les immenses changements intervenus dans la région depuis leur invasion désastreuse de l’Irak en 2003. Les décideurs américains ont visiblement beaucoup de mal à reconnaître l’énorme influence qu’ils ont fait gagner à l’Iran depuis qu’ils l’ont débarrassé de ses pires ennemis : Saddam à l’ouest et les talibans à l’est.
L’Iran est aujourd’hui beaucoup plus fort et beaucoup plus influent dans la région que les Etats-Unis dont l’armée a lamentablement échoué en Irak et en Afghanistan. Et la Syrie a d’autant plus de raisons de s’attacher à son alliance avec l’Iran, que ce pays n’a jamais été aussi fort qu’il ne l’est aujourd’hui, grâce justement aux erreurs monumentales commises par les responsables de la politique étrangère américaine.
Pour gagner du temps et de l’énergie, Washington devrait comprendre que l’envoi d’un ambassadeur à Damas, même après cinq ans d’absence, est très insuffisant pour convaincre la Syrie de changer radicalement de politique. Une seule chose pourrait peut-être convaincre les dirigeants syriens de franchir un tel pas : la certitude de récupérer les hauteurs du Golan. Pour résoudre ce problème et tous les autres en instance, la région a besoin d’un intermédiaire à la fois fort et honnête. On cherche toujours l’oiseau rare.

Wednesday, October 27, 2010

Le grand déballage de WikiLeaks

A un certain moment, Jullian Assange, le citoyen australien, fondateur du fameux site WikiLeaks, était chouchouté dans les capitales occidentales, en particulier à Londres et Washington. Il était considéré comme l’un des principaux soutiens de « la cause démocratique » dans le monde. C’était quand il publiait sur son site des informations relatives à la situation en Chine, au Kenya ou dans d’autres pays non occidentaux.
Depuis juillet dernier, les choses ont changé, et Jullian Assange est devenu le mouton noir, un perturbateur qui empêche les responsables d’atrocités commises en Afghanistan et en Irak de dormir sereinement. Tout a commencé en effet au mois de juillet dernier quand WikiLeaks a mis en ligne 77 000 documents secrets du Pentagone relatif à la guerre en Afghanistan, mettant à nu ses excès, ses abus et ses atrocités. Les autorités américaines ont tout fait pour empêcher ce grand déballage, en vain.
WikiLeaks a récidivé samedi 23 octobre avec la publication de 391 832 documents secrets sur la guerre d’Irak cette fois, mettant à nu également les excès, les abus et les atrocités commis par la soldatesque américano-britannique, d’une part, et par des Irakiens d’autre part, autorités et milices confondues. Branle-bas de combat dans les cercles dirigeants américains et britanniques. On accuse WikiLeaks et son fondateur, Jullian Assange de mettre en danger la vie des soldats.
La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a eu la réaction la plus virulente contre WikiLeaks, et était la plus inquiète pour la vie des soldats américains en Irak. Mme Clinton se trouve dans une position peu enviable de par le déchirement intérieur qu’elle ne peut pas ne pas vivre du fait de sa double casquette. En tant que politicienne, Hillary Clinton s’en prend aux diffuseurs de secrets qui mettent à mal le gouvernement et l’armée américains. En tant qu’avocate, elle devrait avoir une tout autre opinion de WikiLeaks, dans la mesure où ce site rend justice à des centaines de milliers d’Irakiens en empêchant que les atrocités dont ils étaient victimes soient enterrées. Ce qui, en principe, ne devrait déplaire à l’avocate Hillary Clinton.
Cela dit, les 391 832 documents secrets mis en ligne par Jullian Assange, bien qu’ils relatent un nombre immense d’atrocités commises en Irak entre 2004 et 2009, ne comporte pas d’informations fracassantes, ni de scoop, comme ce fut le cas par exemple avec la diffusion des photographies sur les tortures dans la prison d’Abou Ghraib.
La question qui se pose est pourquoi les autorités américaines et britanniques sont-elles dans tout leurs états ? L’argument selon lequel WikiLeaks met la vie des soldats en danger est assez comique. Ce ne sont pas ces centaines de milliers d’informations, dont le contenu n’a étonné personne, qui mettent la vie des soldats en danger. Il est parfaitement normal que la vie des soldats américains et britanniques soit en danger puisqu’ils sont en guerre. Et si ces soldats ne veulent vraiment courir aucun danger, ils n’ont qu’à ne pas partir en guerre. Et si les autorités civiles qui les ont envoyés guerroyer à 10000 kilomètres de chez eux ont si peur pour leurs vies, elles n’ont qu’à ne pas déclencher de guerre. Car, si les hommes peuvent courir des dangers sans guerre, ils ne peuvent pas mener de guerres sans danger.
En fait, il y a autre chose qui explique la gêne et l’embarras ressentis tant à Washington qu’à Londres et les attaques virulentes contre WikiLeaks et Jullian Assange. La raison est que les autorités américaines et britanniques sont extrêmement conscientes de l’extraordinaire fiasco de la guerre d’Irak et des dégâts matériels, moraux, politiques et stratégiques monumentaux engendrées par ce fiasco.
Mais en dépit de ce fiasco, on continue de nous servir de temps en temps l’ennuyeuse litanie, tant répétée par Bush & Co., que le monde sans Saddam est mieux, que l’Irak est désormais un pays démocratique, que la mission des armées américaine et britannique ne consistait pas à envahir l’Irak, mais à sauver son peuple etc.
Il est vrai que, par peur du ridicule, ceux qui acceptent de répéter cette litanie sont de moins en moins nombreux aujourd’hui, et que, désormais, l’on préfère oublier et faire oublier le grand fiasco irakien. Mais cette volonté d’oublier est fortement perturbée par Jullian Assange et son site WikiLeaks qui se comportent un peu comme le trouble-fête qui s’amuse à éparpiller des saletés hâtivement cachées sous le tapis.
Le nœud du problème est là. A Washington et à Londres, on dénonce WikiLeaks en soulignant les prétendus dangers que courent les soldats, mais en cachant la vraie raison de la fureur des milieux dirigeants américano-britanniques. On en veut à WikiLeaks parce que ce site empêche que la page irakienne soit tournée. Il continue d’alerter l’opinion mondiale sur des atrocités que leurs auteurs directs et leurs chefs militaires et civils cherchent désespérément à oublier et à faire oublier.
Ce qui s’est passé en Irak est très grave pour qu’il soit oublié. Trop grave pour que la page soit tournée comme si de rien n’était. Tout un pays a été détruit sur la base d’un mensonge. 25 millions de personnes ont vu leur vie se transformer en véritable enfer du jour au lendemain, et les deux principaux responsables de leur calvaire biblique, Bush et Blair, filent le vrai bonheur et vivent sereinement comme s’ils avaient rendu des services inestimables à l’humanité. Pas une cour de justice, pas un procureur n’a pensé à leur demander des comptes ni à leur poser la moindre question.
En dépit des 391 832 documents secrets rendus publics par WikiLeaks, les hauts cadres de la justice internationale vont sans doute continuer à regarder ailleurs. Mais de plus en plus de gens dans le monde se demandent pourquoi cette justice a-t-elle demandé des comptes à Milosevic et à Al Bachir et ignoré Bush et Blair.

Saturday, October 23, 2010

La politique des nains

Le commentateur israélien Ari Shavit a écrit dans sa dernière chronique au journal « Haaretz » que « Benyamin Netanyahu pense qu’il était sorti du ventre de sa mère dans le but de sauver le peuple juif et la civilisation occidentale du danger iranien. » A voir l’obsession que fait le Premier ministre israélien du programme nucléaire de l’Iran, on est tenté de souscrire à l’allégorie d’Ari Shavit.
Cette obsession semble avoir un effet paralysant sur le gouvernement israélien dont le chef, Benyamin Netanyahu, à l’instar du lieutenant Drogo dans le roman de Dino Buzzati « Le désert des tartares », donne l’impression de se tenir immobile à la lisière du désert iranien, avec des jumelles braquées sur le complexe nucléaire de Natanz, attendant le lancement des premiers missiles iraniens vers Israël. Il risque d’attendre autant que le héros de Dino Buzzati.
Car, à supposer que les Iraniens arrivent d’ici un an ou une décennie à produire une bombe nucléaire, ils ne sont pas assez fous pour la lancer sur un pays qui en possède deux cents. La propagande israélienne, relayée par certains médias occidentaux, tente depuis longtemps d’accréditer l’idée que les mollahs iraniens sont des gens dangereux, irrationnels et que le monde commettrait une grave erreur s’il ne les surveillait pas étroitement et continuellement.
La vérité est que, depuis près d’un tiers de siècle qu’ils sont au pouvoir, les mollahs iraniens ont largement prouvé qu’ils sont des politiciens talentueux, des diplomates chevronnés et des négociateurs habiles. Les fanfaronnades d’Ahmadinejad, relèvent de la guerre des nerfs plutôt que des préparatifs de la guerre nucléaire. Et à supposer qu’il ait les moyens de rayer Israël de la carte comme il dit, il sait très bien que la moindre action entreprise dans ce sens ne peut pas ne pas provoquer la disparition de l’Iran de la carte.
La vérité aussi est, depuis près d’un demi siècle d’occupation des terres palestiniennes et syriennes, les gouvernants israéliens ont largement prouvé qu’ils sont de piètres politiciens qui, année après année, se sont appliqués avec un zèle incroyable à pousser leur pays dans l’impasse et la région au bord de l’explosion.
Depuis 1979, année de leur arrivée au pouvoir en Iran, les mollahs iraniens n’ont mené qu’une guerre, celle qui leur fut imposée par Saddam Hussein en septembre 1980, très probablement sous l’instigation de pays occidentaux qui avaient du mal à accepter l’idée que leur ami le Shah fût remplacé par un vieillard enturbanné. Cette guerre avait duré huit ans, et était d’autant plus dévastatrice pour les deux pays que le président américain, Ronald Reagan, avait estimé qu’il était de l’intérêt des Etats-Unis d’armer l’Irak ouvertement et l’Iran secrètement. Ce fut la première et la dernière guerre de l’Iran en près d’un tiers de siècle.
Il serait intéressant de passer en revue ici les drames les plus significatifs engendrés par le comportement d’Israël au cours du dernier tiers de siècle. Citons de mémoire la guerre de 1978 contre le Liban ; le bombardement du réacteur Osirak en 1981 ; la guerre dévastatrice contre le Liban en 1982, avec, en prime Sabra et Chatila et l’occupation du sud-Liban pendant 18 ans ; le bombardement de Hammam Chatt en 1985 avec des dizaines de victimes palestiniennes et tunisiennes ; la répression pendant près de 5 ans sur une base quotidienne de la première intifada déclenchée en décembre 1987 ; la répression, plus terrifiante encore, de la deuxième intifada en 2000 ; guerres dévastatrices contre la ville de Jénine en 2002, contre le Liban en 2006, contre Gaza en 2008, sans parler des centaines, peut-être des milliers de bombardements, de raids aériens et d’interventions terrestres de l’armée israélienne en Cisjordanie et Gaza depuis la signature des accords d’Oslo en 1993.
En dépit de ces trois décennies sanglantes, la propagande israélienne, relayée par des médias occidentaux, s’égosille à nous convaincre que le danger mortel qui guette les Arabes vient de l’Iran, que la route de Jérusalem ne passe plus par Bagdad maintenant mais par Téhéran, qu’Arabes et Israéliens ne goûteront aux délices de la paix qu’après la disparition du danger iranien et autres absurdités du même genre.
La vérité, enfin, est que le gouvernement israélien s’accroche à la fiction du danger iranien comme à une bouée de sauvetage. Depuis des années, les politiciens israéliens l’utilisent comme prétexte pour saborder toute initiative de paix. Netanyahu aujourd’hui, tout comme ses prédécesseurs hier, ne veut visiblement pas entrer dans l’histoire comme celui qui a fait la paix, car la paix est catastrophique pour lui, puisqu’elle veut dire la division de Jérusalem et la restitution des territoires occupés en 1967.
C’est pour maintenir cette perspective à distance que Netanyahu multiplie les prétextes consternants et pose les conditions déroutantes pour ne pas avoir à négocier une solution au problème israélo-palestinien. Sa dernière « sortie » est que « les Palestiniens ne sont pas prêts pour la paix parce qu’ils refusent de reconnaître la judaïté de l’Etat d’Israël. » Quand on entend de telles futilités, on ne peut qu’approuver encore une fois le collègue du « Haaretz », Ari Shavit, quand il affirme que « les politiciens israéliens sont des nains ». Et de fait, c’est parce qu’ils sont des nains qu’ils sont incapables de prendre à bras le corps les problèmes gigantesques du Moyen-Orient. Que fait un nain quand il est confronté à un problème gigantesque ? Il s’immobilise. C’est ce que fait aujourd’hui le gouvernement Netanyahu. Mais jusqu’à quand ?

Wednesday, October 20, 2010

Une société à deux vitesses

Après plus de 62 ans d’existence, Israël est non seulement dépourvu de frontières fixes et reconnues, mais ne s’est toujours pas doté de Constitution. Ces deux incongruités font de lui un pays singulier avec un statut particulier dans le monde, un statut qui ne semble pas déranger outre mesure les citoyens israéliens et qui, de toute évidence, arrange bien les politiciens d’Israël, toutes tendances confondues.
Les frontières, Israël ne les fixera jamais de son propre chef en ayant pour référence la résolution 181 de l’ONU du 29 novembre 1947, dite résolution de partage. Les droites laïque et religieuse, largement majoritaires, défendent toutes deux le concept irrationnel d’ « Eretz Israël » selon lequel, en Palestine, il y a bien des territoires occupés, mais ce sont des territoires israéliens occupés par les Arabes. En Palestine, il y a bien une injustice, mais c’est une injustice subie par les Israéliens, empêchés d’hériter la terre de leurs ancêtres dont le titre de propriété est vieux de quelque 4000 ans.
Ce concept d’ « Eretz Israël », n’est pas nouveau et n’est pas né avec l’Etat israélien, mais il lui est antérieur. Déjà dans les années 1930-1940, des groupes politiques juifs en Palestine nourrissaient des projets grandioses. Les « Canaanites » souhaitaient établir un « Pays Hébreu » avec pour frontières naturelles la Méditerranée à l’ouest et l’Euphrate à l’Est. D’autres groupes de droite, dirigés par des activistes du genre Ben-Zion Netanyahu, le père de Benyamin, avaient pour objectif d’établir un « Royaume d’Israël » avec des frontières s’étendant du Nil à l’Euphrate
Il est à rappeler ici que Ben-Zion Netanyahu, aujourd’hui âgé de 100 ans est « en pleine possession de ses facultés mentales ». Apparemment, il n’est pas très content de son fils à cause des « concessions » que celui-ci ne cesse de faire aux Palestiniens… En 1947, Ben-Zion Netanyahu avait rédigé une pétition, publiée dans le New York Times, dans laquelle il dénonçait, dans les termes les plus virulents, la résolution du partage de la Palestine. Benyamin est bel et bien le fils de son père. Il a enterré les accords d’Oslo, se dresse aujourd’hui comme un barrage contre tout traité de paix qui amènerait Israël à évacuer la Cisjordanie et Jérusalem-Est, et ne rate pas une occasion pour rappeler l’ « ingratitude » des Arabes qui, bien qu’Israël ait « renoncé à son droit sur la Jordanie », continuent de réclamer d’autres territoires.
Tout ça pour dire que, sans l’intervention d’une force étrangère contraignante, Israël continuera à refuser tout tracé de frontières qui écarterait de ses considérations le concept irrationnel de la terre promise et les titres de propriété bibliques.
Mais Israël n’a pas de Constitution non plus, ce qui ouvre la voie à toutes sortes d’abus législatifs. N’importe quel parti peut proposer n’importe quoi sous forme de projet de loi, et s’il a le soutien de 61 membres du Knesset, ce n’importe quoi pourra devenir une loi. C’est le cas du projet de loi adopté par le gouvernement Netanyahu et qui sera discuté bientôt par le Knesset avant d’être soumis au vote. Selon ce projet, toute personne désirant obtenir la nationalité israélienne sera tenue de prêter un serment d’allégeance à « l’Etat d’Israël, l’Etat-nation du peuple juif ».
Mais ce projet n’est rien par rapport à ce que prépare Avigdor Lieberman et son parti russe Israël Beitenou. Depuis des mois, ils font campagne pour un projet de loi qui exigerait un serment d’allégeance à l’ « Etat-nation du peuple juif » que prêteraient les citoyens israéliens eux-mêmes. Il est bien évident que personne en Israël, y compris Lieberman, le chef d’orchestre de cette campagne, n’osera jamais exiger un tel serment des citoyens juifs, et encore moins des extrémistes religieux qui abhorrent l’Etat laïc israélien, même s’ils bénéficient de ses services, de sa protection et de ses subventions. Il est clair que les vraies cibles de ce projet en gestation sont le million et demi d’Arabes israéliens.
L’absence de Constitution en Israël a d’autres conséquences plus graves encore : elle rend possible l’instauration d’un système administratif et judiciaire à deux vitesses, avantageant les Juifs et désavantageant les autres citoyens de confession musulmane et chrétienne. Ces avantages pour les uns et désavantages pour les autres embrassent tous les secteurs d’activité économique et sociale en Israël et s’étendent aux droits les plus élémentaires tels ceux à l’emploi, à l’éducation, à la propriété et, bien sûr, à l’égalité devant la loi.
Les absurdités juridiques en Israël sont telles aujourd’hui que l’attribution de la nationalité, par exemple, est régie par deux lois différentes : une loi pour les Juifs, dite « la loi du Retour », et une autre pour les non Juifs. « La loi du Retour » donne droit à tout Juif de quelque nationalité et de quelque origine qu’il soit de bénéficier automatiquement et sans restriction aucune de la nationalité israélienne et du droit de s’établir et de travailler en Israël. L’autre loi, déjà très draconienne, s’apprête à s’alourdir de nouvelles difficultés, comme celles qui consistent pour le postulant à prêter serment pour l’ « Etat-nation du peuple juif ».
Israël n’a pas de Constitution, mais a un document qu’il fête chaque année avec fanfare : la « Déclaration d’indépendance ». Dans ce document, on peut lire notamment qu’ Israël « veillera au développement du pays au bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix ainsi que cela avait été conçu par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité sociale et politique à tous ses citoyens, sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de culte, de conscience, d’éducation et de culture ; il assurera la protection des Lieux saints de toutes les religions, et respectera les principes de la Charte des Nations unies. » Difficile de trouver une dichotomie aussi absolue entre le texte fondateur d’un Etat et la pratique de ce même Etat.

Saturday, October 16, 2010

Une solution alternative à méditer

Le Ligue arabe, qui s’est réunie la semaine dernière à Syrte, en Libye, a donné un mois aux Etats-Unis pour qu’ils tentent de sauver le processus de paix ou ce qu’il en reste. Il est hautement improbable, pour ne pas dire impossible, que les Américains parviennent en l’espace d’un mois ou d’un an à convaincre le gouvernement Netanyahu de prolonger le moratoire sur la construction dans les colonies de Cisjordanie.
Jeudi dernier, Netanyahu a donné son feu vert à la construction de 238 unités d’habitation dans les colonies de Ramot et de Pisgat Ze’ev, situées dans la région de Jérusalem-Est. Le message, adressé en premier lieu au Américains par le Premier ministre d’Israël, est clair : « Epargnez vos efforts et vos énergies. Vous ne pouvez rien faire contre notre volonté de construire dans les colonies. » Et de fait, depuis plus de quatre décennies, aucune force au monde n’a été en mesure de s’opposer à la voracité coloniale d’Israël !
Le ministre du logement israélien, Ariel Attias, membre du Shas, un parti religieux extrémiste, n’a pas pu garder plus longtemps le secret, tellement il était impatient d’enterrer le moratoire et les négociations avec : « Ces 238 logements s’inscrivent dans le cadre d’un plan plus vaste de 1700 logements à Jérusalem-Est non rendu public pour le moment pour éviter de saboter les tractations avec Washington », a dit Attias, dont les propos ont été rapportés par la presse israélienne et internationale.
Rien d’étonnant à cela, puisqu’on est habitué à ce genre de pied de nez israéliens aux Américains, aux Européens, aux Palestiniens et à tous ceux qui refusent le credo sioniste de l’ « Eretz Israël ». Aux propositions sérieuses des Arabes et des Palestiniens, Netanyahu répond par des contre-propositions dont la futilité suscite le mépris et le dégoût. Comment continuer à croire en l’utilité des négociations isrélo-palestiniennes quand on entend Netanyahu réclamer la reconnaissance du caractère juif de l’Etat d’Israël en contrepartie de la prolongation du moratoire sur la construction dans les colonies de deux mois ? En proposant une renonciation au droit de retour des Palestiniens, l’un de leurs droits fondamentaux, en contre partie d’une prolongation de deux mois d’un moratoire qui n’inclut pas Jérusalem-Est, Netanyahu choisit de narguer le monde plutôt que de négocier sérieusement avec les Palestiniens.
Il est certain que la Ligue arabe, qui connaît bien Netanyahu depuis 1996, ne nourrit aucun espoir et n’escompte aucun progrès de son côté. Netanyahu, qui était un fervent opposant aux accords d’Oslo de 1993, avait pour principal objectif, lors de son premier mandat de Premier ministre en 1996, d’enterrer ces accords durement négociés pendant des années, et il avait réussi. Les Palestiniens, et Mahmoud Abbas le premier, savent depuis le début que c’est une perte de temps de négocier un règlement avec le fossoyeur des accords d’Oslo. Ils étaient poussés vers ces négociations stériles par les Américains qui, eux, avaient besoin, pour des raisons de politique intérieure, de maintenir l’illusion que le processus de paix est toujours en marche.
C’est un grand pas que la Ligue arabe et les Palestiniens en sont arrivés à la conclusion qu’il n’y a plus rien à attendre d’un simulacre de négociations. Celles-ci, pendant des années, n’avaient servi à rien, sinon à fournir une couverture pour l’activisme colonial débordant d’Israël.
Dans trois semaines prendra fin le délai d’un mois que la Ligue arabe a donné à Washington pour convaincre Israël de prolonger le moratoire. Au lieu du moratoire, on aura plus sûrement d’ici là les fondations des nouveaux logements annoncés dans les colonies de Ramot et Pisgat Ze’ev. On ne voit pas alors ce que pourraient inventer les Américains pour dissuader la Ligue arabe et les Palestiniens d’explorer d’autres alternatives à ces négociations de paix qui n’ont mené nulle part.
En visite à Bruxelles, vendredi dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a averti que la Ligue arabe pourrait être amenée à demander au Conseil de sécurité de l’ONU à reconnaître un Etat palestinien. C’est une solution alternative, certes, mais qui pourrait être bloquée par le traditionnel veto américain.
La meilleure solution alternative serait peut-être l’exemple du Kosovo que la Ligue arabe et les Palestiniens gagneraient à étudier sérieusement. Le Kosovo avait de sérieux opposants à son indépendance, notamment la Russie et la Chine, deux membres permanents au Conseil de sécurité avec droit de veto, sans parler de la Serbie qui le considère toujours comme l’une de ses provinces, et même l’Espagne qui craint que cela ne ravive les ardeurs séparatistes de ses Basques.
En dépit de cela, le parlement kosovar, réuni à Pristina, avait proclamé son indépendance le 17 février 2008. Le 18 février, la Russie saisit le Conseil de sécurité et le somme de déclarer « nulle et non avenue » la déclaration d’indépendance du Kosovo. Elle ne sera pas suivie, mais la question de la reconnaissance par l’ONU est toujours en suspens. Elle sera résolue le jour où le Kosovo sera reconnu par la majorité des 192 pays membres. Signalons au passage qu’au 3 septembre 2010, 70 pays ont déjà reconnu le Kosovo. Par ailleurs, une bonne nouvelle pour les Kosovars est arrivée le 22 juillet dernier de La Haye : Dans un avis consultatif, la Cour internationale de justice a estimé que la déclaration d'indépendance du Kosovo n'a pas violé le droit international.
Les Palestiniens ne violeront donc aucune loi internationale en proclamant unilatéralement leur indépendance. Une telle perspective comporte à la fois un avantage et un inconvénient par rapport à l’exemple kosovar. L’avantage est que les Palestiniens sont pratiquement assurés de la reconnaissance de l’écrasante majorité des 192 membres de la communauté internationale, fatiguée du statut hors-la-loi d’Israël. L’inconvénient est que celui-ci n’est pas la Serbie qui, du 23 mars 1999 au 10 juin de la même année, fut bombardée jour et nuit par l’Otan pour avoir fait subir aux Kosovars le millième de ce que fait subir Israël aux Palestiniens. Avantage pour inconvénient, la piste kosovare vaut la peine d’être explorée.

Tuesday, October 12, 2010

Un dîner mémorable

Bernard Kouchner et Miguel Angel Moratinos, les ministres français et espagnol des Affaires étrangères, doivent regretter amèrement de s’être abaissés au niveau d’Avigdor Lieberman, leur homologue israélien, de l’avoir considéré comme collègue et d’avoir accepté de dîner avec lui.
Le dîner a eu lieu dimanche lors de la visite effectuée par les deux responsables européens en Israël, destinée à « revigorer » le rôle de l’UE dans les interminables tractations pour la solution introuvable au conflit du Moyen-Orient. Au menu : une série de remontrances et d’attaques en règle administrées aux deux ministres européens par l’émigré moldave. Il est hautement improbable, au vu de la tension qui avait régné au cours du dîner, que Kouchner et Moratinos aient eu l’envie de terminer la soirée dans l’une des boîtes de nuit où leur hôte avait commencé sa première carrière de videur.
« Réglez vos propres problèmes en Europe avant de venir chez nous vous plaindre. Peut-être à ce moment là je serai ouvert à vos suggestions », a affirmé Lieberman aux deux ministres interloqués. Il leur a même donné des exemples de ces « problèmes en Europe » à résoudre avant de proposer leurs services à Israël : « Je ne m’attend pas à ce que l’Europe résolve tous les problème du monde, mais j’attends d’elle qu’elle règle au moins quelques uns de ses problèmes, comme la crise au Kosovo ou le conflit à Chypre. »
Au cours de ce dîner, que Kouchner et Moratinos n’oublieront pas de sitôt, Lieberman a, à un certain moment, élargi le champ de ses attaques en s’en prenant à la communauté internationale. Celle-ci, d’après lui, est en train de maquiller ses échecs en Afghanistan, au Soudan et en Corée du Nord, en voulant atteindre un accord entre Israéliens et Palestiniens en une année. »
La cerise sur le gâteau-dessert de ce dîner est cette trouvaille de Lieberman : « En 1938, la communauté européenne a décidé d’être conciliante avec Hitler au lieu de soutenir sa fidèle alliée, la Tchécoslovaquie, la sacrifiant sans rien y gagner. Nous espérons ne pas être la Tchécoslovaquie de 2010 et nous assurerons la sécurité d’Israël. »
Lundi dernier, c'est-à-dire au lendemain du fameux dîner, les deux ministres européens ont exprimé leur « fureur », non pas pour les positions déroutantes du ministre israélien, mais parce qu’il a « violé toutes les règles de la diplomatie » en rendant public le contenu des « discussions ».
Cette « fureur » européenne aurait eu un sens, si elle était exprimée pour dénoncer les absurdités et les inepties débitées par Lieberman plutôt que pour son manque de discrétion. Nul ne s’étonne de ce que dit ou fait le ministre israélien des Affaires étrangères, et personne, y compris en Israël, ne s’attend à écouter quelque chose de censé quand il fait un discours ou rend publique une déclaration.
Tout le monde s’étonne, en revanche, quand deux brillants ministres européens se contentent d’écouter Lieberman comparer Abbas à Hitler, les Palestiniens aux Allemands sous le IIIe Reich et Israël à la Tchécoslovaquie de 1938, sans réagir. Les politiciens israéliens sont habitués à faire ce genre de comparaisons. Mais ils les font toujours à l’envers. Car tout le monde sait, qu’en termes de puissance de feu, de répression de tout un peuple, de calvaire imposé à un groupe social sans défense, Sharon et Netanyahu ressemblent à Hitler beaucoup plus que ne lui ressemblent Arafat et Abbas, et qu’en termes de propagande mensongère et de défense de la « pureté ethnique », Lieberman ressemble à Goebbels beaucoup plus que ne lui ressemble Saeb Erekat.
Quant à la comparaison avec la Tchécoslovaquie, ce n’est pas Israël qui risque de subir son sort en 2010, mais c’est la Cisjordanie et Jérusalem-Est qui le subissent chaque jour un peu plus, et cela dure depuis quatre décennies.
Evidemment, on ne peut pas en vouloir à deux ministres de deux grands pays européens de taire ces vérités si évidentes. Ils sont tenus d’observer les règles diplomatiques en usage dans le monde, la principale de ces règles étant que toutes les vérités ne sont pas forcément bonnes à dire.
En revanche, MM. Kouchner et Moratinos auraient pu crier haut et fort que l’Union européenne a non seulement le droit, mais aussi le devoir de jouer un rôle au Moyen-Orient et de contribuer à la recherche d’une solution à son conflit. D’abord parce que l’UE est un géant économique dans le monde, même si son influence politique n’est pas encore proportionnelle à son poids économique. Ensuite, parce que l’UE contribue à elle seule au tiers du budget de l’Autorité palestinienne, ce qui arrange parfaitement Israël qui a depuis longtemps refusé ses obligations de puissance occupante que lui impose le droit international, dont la prise en charge totale des besoins de la population occupée. Enfin, compte tenu de l’impartialité et de l’inefficacité de la puissance qui a monopolisé la médiation depuis des décennies, il est peut-être temps que des intermédiaires plus neutres et plus impartiaux fassent leur entrée sur la scène moyen-orientale.
On ne sait pas si les ministres français et espagnol ont présenté ces arguments au cours du dîner avec Lieberman. S’ils ne l’ont pas fait, ils ont tort. S’ils l’ont fait, pourquoi ne pas le dire publiquement ? Le ministre israélien s’est bien permis lui de rendre publiques des absurdités et des inepties, pourquoi les ministres européens ont-ils des scrupules à rendre public le contenu de leurs réponses ?

Saturday, October 09, 2010

Guerres sans fin

Jeudi dernier, la guerre, déclenchée par George W. Bush le 7 octobre 2001 contre le régime des talibans en Afghanistan, est entrée dans sa dixième année, et ni Washington, ni l’Otan n’ont la moindre idée sur la manière de conclure ce conflit insensé. Jusqu’à présent, les stratèges occidentaux, qu’ils soient à Kaboul, à Washington ou à Bruxelles (où l’Otan a son siège) se sont avérés incapables d’imaginer une stratégie de sortie qui mettrait fin à ce qu’il est devenu le cauchemar des troupes étrangères, confrontées à une insurrection talibane de plus en plus hardie et de plus en plus agressive.
Les attaques quotidiennes effectuées au nord-ouest du Pakistan à coups de missiles lancés par des drones américains, visaient à tuer les cadres de la nébuleuse terroriste d’Al Qaida, réfugiés dans les montagnes surplombant la frontière pakistano-afghane. Presque tous les jours, des communiqués d’origine américaine font état de la mort de nombreux « terroristes », information que personne ne peut vérifier. En revanche, ce qui est parfaitement vérifiable, c’est que les attaques des drones ont accru de manière dramatique les difficultés des troupes étrangères en Afghanistan.
Les talibans pakistanais, voulant se venger des attaques américaines, se sont mis à attaquer quotidiennement les convois de carburant, de nourriture et de matériel destinés aux troupes de l’Otan avant même qu’ils ne franchissent la frontière afghano-pakistanaise du côté de Peshawar ou, plus au sud, du côté de Quetta. Les camions incendiés à proximité de ces deux villes pakistanaises se comptent par centaines, posant un véritable problème d’approvisionnement pour les troupes étrangères en Afghanistan qui s’élèvent actuellement à plus de 150.000 soldats.
On peut légitimement s’étonner qu’avec un nombre si élevé de soldats dotés d’armes, de tanks, d’hélicoptères et d’avions de combat des plus sophistiqués, les Etats-Unis et l’Otan peinent à venir à bout d’une insurrection dont la pauvreté, l’ignorance et le sous-équipement sont les caractéristiques principales de ses combattants !
Il est vrai que les talibans sont chez eux, connaissent les montagnes afghanes comme leurs poches et peuvent en un clin d’œil fondre parmi les civils, laissant l’armée la plus puissante du monde désorientée. Il est vrai aussi que les forces étrangères, qui ont souvent la gâchette trop facile, ont servi beaucoup plus les talibans que la « cause » pour laquelle elles combattent.
En faisant un nombre élevé de victimes civiles, les forces américano-atlantistes ont involontairement accru la popularité des talibans, en dépit de leur cruauté et de leur obscurantisme, et accru en même temps le ressentiment et la haine des forces étrangères parmi la population afghane, qui ne croit plus beaucoup aux promesses d’un avenir démocratique et prospère.
Mais les Afghans ont-ils jamais cru en un avenir démocratique et prospère ? Il est permis d’en douter quand on sait l’histoire de l’Afghanistan, un pays ensanglanté tour à tour par des conflits fratricides et des guerres contre l’occupation étrangère. Avant l’invasion du pays par les troupes soviétiques en décembre 1979, les Afghans s’étaient entredéchirés pendant des années durant lesquelles se succédaient coups d’état et révolutions de palais.
L’invasion soviétique avait unifié des factions et des tribus dont la plupart étaient à couteaux tirés. Pendant les 10 ans de guerre contre l’occupant soviétique (1979-1989), les Afghans n’ont jamais été aussi unis. Une unité qui a vite fait de voler en éclats dès le départ du dernier soldat russe.
Les Etats-Unis qui, durant cette décennie, étaient excessivement généreux en argent et en armes avec la résistance hétéroclite afghane, avaient tourné le dos à l’Afghanistan aussitôt les soviétiques défaits. Une erreur stratégique monumentale qu’ils sont en train de payer jusqu’à ce jour.
Pendant sept ans (1989-1996), les Afghans s’étaient entretués dans l’indifférence quasi-totale, détruisant le peu d’infrastructures qui avaient échappé à la guerre avec les Soviétiques. Le régime obscurantiste des talibans, qui avait fini par s’imposer en 1996, avait un seul point positif : il a avait apporté une stabilité que le pays n’avait pas connu depuis des décennies.
Le régime des talibans se serait probablement maintenu jusqu’à ce jour, si son chef, le Mollah Omar, avait accepté de remettre Oussama Ben Laden aux Américains, comme ils le lui avaient demandé au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre New York et Washington. Il faut dire aussi que l’Afghanistan en particulier et le monde en général se seraient portés aujourd’hui beaucoup mieux, si George Bush n’avait pas décidé en 2003 d’abandonner le travail inachevé en Afghanistan pour aller tirer le diable par la queue en Irak.
Ce sont ces erreurs stratégiques monumentales commises par les politiciens américains qui font que malgré 100.000 GI’s et 52000 soldats de l’Otan, les Etats Unis se trouvent encore embourbés dans ce qui est devenu la plus longue guerre étrangère de l’histoire américaine.
Cette guerre coûte aujourd’hui au contribuable américain plus de 100 milliards de dollars par an, soit sept fois le produit national brut afghan. Nous avons là l’une des énigmes que les futurs historiens auront du mal à élucider : la plus grande puissance du monde, aidée par la plus grande alliance militaire de la planète, a échoué, en dépit de dépenses illimitées, à stabiliser un pays pauvre et arriéré.
Le plus terrifiant est que la métastase du cancer afghan n’a pas l’air de se limiter aux frontières afghanes. Les zones tribales du nord-ouest du Pakistan semblent succomber de jour en jour au modèle afghan, combinant anarchie et violence. Ce que tout le monde redoute, c’est que les clones pakistanais des talibans afghans arrivent à leur fin qui consiste à « afghaniser » le Pakistan. Et si, à Dieu ne plaise, ils arrivent à menacer les structures étatiques à Islamabad et à généraliser l’anarchie et la violence au « pays des purs » qui, de surcroît, est détenteur d’un arsenal d’armes nucléaires, les conséquences désastreuses ne se limiteront sûrement pas à l’Asie du sud.

Tuesday, October 05, 2010

Le stratagème naïf d'Obama

On sait qu’Israël n’a pas de politique étrangère, mais seulement une politique intérieure. Les trois piliers de l’Etat israélien, le politicien, le soldat et le diplomate, sont mobilisés pour la concrétisation de deux objectifs : maintenir au pouvoir le plus longtemps possible la coalition qui gouverne le pays d’une part, et absorber arpent après arpent les terres palestiniennes à travers le programme commun à tous les gouvernements israéliens, c'est-à-dire la colonisation, d’autre part.
Israël n’a pas besoin de politique étrangère parce qu’il ne demande l’approbation de personne avant de décider ce qu’il a à faire, et ne cherche à convaincre personne du « bien fondé » de ses actions ni avant d’agir ni après. C’est un pays qui a toujours agi comme bon lui semble, faisant peu de cas des réactions de la communauté internationale, y compris de son membre le plus puissant, qui se trouve être en même temps le plus grand allié de l’Etat hébreu. D’ailleurs qu’un Moldave ayant émigré en Israël à l’âge de 20 ans et qui, après une carrière de videur de boîte de nuit, arrive à décrocher le poste de ministre des Affaires étrangères, en dit long sur l’importance de ce secteur aux yeux du public et des politiciens israéliens.
Qu’Israël mène des guerres dévastatrices contre les Palestiniens ou s’engage avec eux dans un processus de négociations stériles, en ayant en tête seulement des considérations de politique intérieure, cela n’étonne personne, puisque c’est la nature même du régime israélien. C’est tout autre chose quand les Etats-Unis, puissance qui se veut médiatrice dans le conflit du Proche-Orient, interviennent dans le processus de paix pour des raisons de politique intérieure. On vient d’en avoir la preuve, bien que la Maison blanche, très embarrassée après les « fuites », multiplie les démentis.
La bombe a été lancée par un certain David Makovsky du Washington Institute for Near East Policy, proche collaborateur de Dennis Ross, lui-même conseiller en chef du président Obama pour les affaires du Moyen-Orient. Il s’agit d’une lettre qu’Obama aurait écrite à Netanyahu dans laquelle il lui fait des propositions époustouflantes dans le vrai sens du terme, au regard de ce qu’offre la Maison blanche et ce qu’elle demande en retour.
Commençons par l’offre. Netanyahu se voit proposer un veto américain au Conseil de sécurité de l’ONU contre toute résolution relative au conflit du Proche-Orient qui ne plairait pas à Israël ; celui-ci serait autorisé à rester dans la Vallée du Jourdain, même après la création de l’Etat palestinien et à contrôler les frontières de celui-ci pour empêcher le trafic d’armes ; Washington fournirait à Israël un système d’armement sophistiqué et augmenterait son aide annuelle qui s’élève déjà à trois milliards de dollars ; last but not least, un pacte régional de sécurité contre l’Iran serait créé.
Que demande Washington en contrepartie de tout ça ? Une prolongation du moratoire israélien sur la construction des colonies de deux mois seulement. On aurait pensé à un canular si la lettre et son contenu n’avaient pas été confirmés par des sénateurs juifs américains avec lesquels Dennis Ross s’était réuni mercredi dernier, probablement pour le informer de cette offre extravagante et de les exhorter à utiliser leurs bonnes relations avec les Israéliens pour les convaincre d’accepter le marché.
Le contenu de cette lettre ne fait pas honneur à la Maison blanche, et il n’est pas étonnant que l’administration Obama soit profondément embarrassée et multiplie les démentis.
L’offre d’Obama à Netanyahu n’est pas motivée par une détermination américaine à faire tout, y compris les choses les plus extravagantes, pour résoudre le conflit israélo-arabe. Celui-ci est la dernière chose à laquelle pensaient Obama et ses collaborateurs au moment où ils rédigeaient leur lettre au Premier ministre israélien. Le motif fondamental de la démarche américaine est de faire en sorte que le moratoire sur la construction des colonies dans les territoires occupés se prolonge jusqu’à la tenue des élections législatives du 2 novembre prochain qui verraient le renouvellement de l’ensemble de la Chambre des représentants et du tiers du sénat.
Avec une baisse record de popularité jamais atteinte par aucun président au terme de deux ans d’exercice, avec la perspective de perdre la majorité au Congrès, l’équipe Obama semble déterminée à faire flèche de tout bois, y compris utiliser la tragédie biblique des Palestiniens à des fins de politique intérieure, dans l’espoir de limiter les dégâts électoraux que les démocrates s’apprêtent à subir le 2 novembre prochain.
L’offre extravagante faite à Netanyahu qui, du reste l’a ignorée, montre le degré de panique et de naïveté de l’administration Obama qui, à deux mois d’une échéance électorale cruciale, ne sait plus à quel saint se vouer. Une chose est certaine : les électeurs américains se soucient comme d’une guigne du fait que les colons israéliens continuent de construire sur les terres palestiniennes ou font une pause temporelle ou définitive. Ce qui les intéresse les ménages modestes, c’est de garder leurs emplois et leurs maisons, et ce qui intéresse les riches, c’est de garder les avantages fiscaux que Bush leur avait offerts gracieusement. Obama n’a aucune chance de détourner l’attention des uns et des autres de leurs principales préoccupations en recourant à des stratagèmes qui ne trompent personne.

Saturday, October 02, 2010

Les bons comptes font les bons amis

Les Etats ont toutes les caractéristiques d’Harpagon, le fameux avare de Molière, quand il s’agit de sous. On ne parle pas ici de l’Etat collecteur, mais de l’Etat créancier. On ne parle pas de l’argent de l’impôt que l’Etat a le devoir d’exiger et le citoyen l’obligation de s’en acquitter, ni du montant des amendes ou des contraventions que les contrevenants doivent aux autorités publiques, mais plutôt de gros sous que les membres de la communauté internationales prêtent et empruntent les uns aux autres.
Un Etat créancier, l’histoire pullule de preuves, ne peut pas avoir de trous de mémoires, ne devient jamais amnésique et ne connaît pas le sens du mot amnistie. Un Etat créancier peut vous poursuivre un Etat débiteur pendant des années, des décennies, et même un siècle, pour se faire rembourser une dette accordée deux, trois ou quatre générations avant.
Même si, après avoir mené des guerres destructrices, l’Etat créancier et l’Etat endetté deviennent des amis intimes, entrent dans une alliance indéfectible et entretiennent des relations d’une cordialité exemplaire, cela ne change rien à la nature de la dette et n’influe nullement sur le taux d’intérêt de son service. L’Etat créancier gardera toujours la main tendue pour récupérer la dette, même si ceux qui ont prêté et ceux qui ont emprunté, au nom de l’Etat il est vrai, sont morts depuis longtemps.
L’un des exemples les plus étonnants est celui des Etats-Unis d’Amérique et de la Grande Bretagne. Pendant le deuxième conflit mondial, l’Etat britannique avait besoin de beaucoup d’argent pour acheter les armes et résister à Hitler. Qui d’autre pouvait le lui prêter sinon les Etats-Unis d’Amérique ? On aurait pu naïvement penser que, compte tenu de la « relation spéciale » qui lie les deux pays, même si leur histoire était un peu tumultueuse au temps de la jeune république américaine, Washington aurait pu faire passer la dette britannique par pertes et profits, ou l’intégrer dans le chapitre « dépenses de guerre », surtout que les deux pays avaient combattu les troupes nazies côte à côte pendant trois ans au moins, avant de triompher et imposer ensemble leurs conditions draconiennes de puissances victorieuses aux vaincus.
Visiblement, les Américains ont appliqué textuellement et jusqu’au bout l’adage « les bons comptes font les bons amis », puisque Londres a continué à payer sa dette de la deuxième guerre mondiale, (principal et intérêts), jusqu’en 2006, c'est-à-dire plus de 60 ans après la fin de la catastrophe provoquée par Hitler. Ni l’amitié euphorique entre Winston Churchill et Franklin Roosevelt, ni la relation presque amoureuse entre Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ni la participation de Tony Blair à la guerre d’Irak aux côtés de son ami Bush, ni l’envoi de troupes britanniques en Afghanistan n’ont constitué de motifs sérieux aux yeux de Washington qui justifieraient l’annulation du reliquat.
L’autre exemple est plus étonnant encore. C’est aujourd’hui, dimanche 3 octobre, que l’Allemagne paie le dernier chèque relatif à sa dette en rapport avec les péripéties de la première guerre mondiale qui s’est terminée il y a près d’un siècle. L’histoire de cette dette est abracadabrante. Elle remonte au traité de Versailles qui, en 1919, imposa aux vaincus des réparations d’un montant faramineux : 132 milliards de marks-or, beaucoup d’argent, ce que l’Allemagne, ruinée à l’époque, ne pouvait pas payer. Le recours à l’emprunt était donc nécessaire pour payer les sommes prévues dans la liste des sanctions du traité de Versailles.
La deuxième guerre mondiale et la division de l’Allemagne qui s’en était suivie avaient perturbé le remboursement pendant quelques décennies, mais n’avaient pas annulé la dette. En 1953, un accord signé à Londres entre la République fédérale d’Allemagne et les pays créanciers ajournait le remboursement de la dette à l’ « après-réunification » du pays, divisé entre RFA, dans le camp occidental, et RDA (République démocratique d’Allemagne), dans le camp soviétique.
Il faut dire qu’au moment de la signature de l’accord de Londres, le monde était entré dans une période où les incertitudes étaient telles que personne n’était prêt à payer un kopek pour parier sur la réunification de l’Allemagne ou sur la reprise des remboursements de la dette de la première guerre par les Allemands.
Aujourd’hui, le peuple allemand célèbre deux événements. Des festivités sont organisées un peu partout en Allemagne pour fêter le 20eme anniversaire de la réunification intervenue le 3 octobre 1990. Un événement d’autant plus marquant que cette réunification avait la caractéristique d’une divine surprise dans la mesure où, seulement quelques mois plus tôt, nul ne savait avec certitude si l’Allemagne sera réunifiée un jour.
Le second événement, célébré aussi ce dimanche 3 octobre, n’est pas aussi important, mais a une valeur hautement symbolique. En payant la dernière tranche d’une dette vieille de 92 ans, l’Allemagne tourne définitivement l’une des pages les plus douloureuses de son histoire et se débarrasse définitivement du fardeau humiliant du traité de Versailles dont les conditions étouffantes, visant à réparer les conséquences d’une catastrophe, avaient largement contribué à déclencher, 20 ans plus tard, une catastrophe plus grande encore.