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Monday, December 07, 2009

USA-Turquie: quelques convergences, mais beaucoup de divergences

La rencontre qu’ont eu hier, lundi, le président américain, Barak Obama, et le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, devait être l’occasion d’une longue explication entre les deux hommes, tant les sujets à débattre sont nombreux. Généralement, les communiqués livrés à la presse à l’issue de telles rencontres sont superficiels et reflètent rarement le contenu réel des discussions, surtout quand il y a des différences dans les approches qu’on veut escamoter ou des divergences au niveau des politiques à suivre qu’on veut voiler.
En dépit des assurances données par les dirigeants turcs que leur pays est « toujours dans le camp occidental », et bien que la Turquie soit « le deuxième pilier de l’Otan » après les Etats-Unis, les différences dans les approches et les divergences au niveau des politiques à suivre entre Ankara et l’Occident sont chaque jour un peu plus évidentes. Il est peu probable que le président Obama arrive à convaincre Erdogan de répondre positivement aux souhaits de Washington de voir la politique turque vis-à-vis de l’Afghanistan, de l’Iran ou d’Israël suivre les voies indiquées par la Maison blanche.
Au niveau de l’Afghanistan, les Etats-Unis souhaitent qu’Ankara envoie des renforts et s’engage plus activement aux côtés de ses alliés de l’Otan. Pour le moment, la Turquie dispose de 1700 soldats dont la mission se limite à des patrouilles à Kaboul et à la formation de militaires afghans. Ils ne participent pas aux combats « pour ne pas heurter les sentiments des musulmans afghans ». Il est peu probable qu’Erdogan accède au désir d’Obama de voir plus de troupes turques en Afghanistan. D’ailleurs juste avant de prendre l’avion dimanche pour Washington, Erdogan a été catégorique face aux journalistes qui lui posaient la question : il n’y aura pas de renforts turcs en Afghanistan. Et si un jour il est amené à faire un geste symbolique, ce sera en reconnaissance de l’aide des Etats-Unis dans le nord de l’Irak qui, apparemment depuis 2007, donnent des « informations en temps réel » à l’armée turque sur les mouvements des insurgés du PKK.
Les divergences sur le dossier iranien sont plus marquées encore. Washington doit regarder avec beaucoup d’appréhension le rapprochement entre Téhéran et Ankara, scellé le 27 octobre dernier par la visite d’Erdogan en Iran à la tête d’une forte délégation composée de ministres et de nombreux hommes d’affaires. La Maison blanche et le département d’Etat n’ont sûrement pas apprécié les déclarations du Premier ministre turc sur « l’hypocrisie » de l’Occident qui s’en prend au programme nucléaire « pacifique » de l’Iran et garde le silence sur les fusées nucléaires entreposées en Israël.
L’ouverture de la Turquie sur son grand voisin de l’est est un signe adressé à ses partenaires américains et européens qui signifie qu’Ankara est déterminé à jouer un rôle politique central dans la région du grand Moyen-Orient et que, par conséquent, les autorités turques ne sont plus tenues de s’aligner systématiquement, comme elles le faisaient par le passé, sur les positions occidentales.
Quand Erdogan dit que le programme nucléaire iranien est pacifique, cela veut dire qu’il entérine la version iranienne et rejette l’alarmisme américano-israélo-européen. Cela veut dire aussi que la Turquie est contre les sanctions, non seulement par principe, mais aussi et surtout par intérêt. Les hommes d’affaires turcs qui ont accompagné Erdogan en Iran n’ont-ils pas signé des contrats commerciaux d’une valeur de 14 milliards de dollars ?
Enfin, dernier sujet de divergences entre les Etats-Unis et la Turquie concerne la crise entre Ankara et Tel Aviv qui ne cesse de s’aggraver depuis la guerre de Gaza de l’hiver dernier. Washington suit avec un malaise croissant l’approfondissement du fossé qui sépare ses deux principaux alliés de la région et qui, depuis des décennies, constituaient les deux pièces maîtresses du dispositif stratégique américain au Moyen-Orient.
Le problème pour les Etats-Unis est que non seulement ils n’ont pu étouffer à temps la crise qui s’est développée entre leurs deux alliés, mais, plus grave encore, le refroidissement des relations turco-israéliennes s’est traduit automatiquement par un réchauffement des relations turco-iraniennes, sans parler de la nette amélioration des relations turco-syriennes.
Un sujet d’une telle importance ne peut être escamoté par Obama qui a dû l’aborder avec son hôte turc. Toutefois, il est peu probable que le président américain puisse convaincre le Premier ministre turc d’inverser la vapeur en s’éloignant de Téhéran et de se rapprocher à nouveau de Tel Aviv. Le développement économique fulgurant de la Turquie lui a fait prendre conscience de sa force et de sa capacité de concevoir sa propre stratégie régionale, plutôt que d’être l’un des instruments d’une stratégie globale conçue à Washington.
Cela dit, les efforts des Etats-Unis consistant à pousser vers un nouveau rapprochement entre Ankara et Tel Aviv sont entravés par les Israéliens eux-mêmes qui mènent une campagne virulente contre la Turquie. L’un des sites de propagande israélienne (www.jss.com) écrit dans un éditorial daté du 7 décembre : « Il serait temps qu’Israël donne une leçon de diplomatie à Ankara. Il serait temps qu’Israël admette enfin le génocide arménien. Deux raisons: Israël à le devoir moral de l’admettre. Israël doit apprendre un certain savoir vivre à (Erdogan) cet islamiste négationniste. » Visiblement, l’hystérie dans ces milieux propagandistes est telle que ceux qui les animent voient des négationnistes partout…
Mais il n’y a pas que des divergences entre les Etats-Unis et la Turquie. Il y a bien des terrains d’entente, principalement dans le domaine de la lutte anti-terroriste et l’échange de renseignements pour traquer Al Qaida, sans oublier le domaine économique où les échanges entre les deux pays ont dépassé les 11 milliards de dollars en 2008.

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