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Saturday, January 30, 2010

Si c'était à refaire, il le referait

Un chauffeur fou s’amuse à rouler à contre sens sur l’autoroute tout en écoutant la musique diffusée par la radio. Soudain, la musique s’arrête et une voix grave prend le relais pour mettre en garde les automobilistes : « Attention, attention, il y a un fou qui roule à contre sens sur l’autoroute ! » Et notre chauffard qui lui répond du tac au tac : « Imbécile, il y a soixante mille fous qui roulent à contre sens. »
C’est cette blague qui vient tout de suite à l’esprit à la lecture des comptes rendus de l’événement qui a marqué vendredi dernier la Grande Bretagne : le témoignage de l’ancien Premier ministre Tony Blair devant la commission Chilcot, chargée de la recherche de la vérité sur l’entrée de l’armée britannique dans la guerre d’Irak, décidée par l’ancien président américain, George W. Bush.
Pourtant Tony Blair n’était pas un fou. Il a commencé une brillante carrière politique à la tête du parti travailliste britannique qu’il a mené à la victoire trois fois de suite. Il a redynamisé l’économie britannique, replâtré les systèmes éducatifs et de santé gravement malmenés par l’idéologie thatchérienne, il a apporté la paix à l’Irlande du nord etc…Mais toutes ces réalisations ont été enterrées sous les ruines engendrées par la guerre d’Irak dont les conséquences désastreuses hanteront sans doute Tony Blair, qu’il le veuille ou non, pour le restant de ses jours.
Ni les gens de la commission Chilcot, ni le public n’escomptaient de révélations fracassantes, mais beaucoup en Grande Bretagne, et surtout les parents des 179 soldats morts sur le champ de bataille, espéraient un petit geste de compassion envers les victimes, un petit mot d’excuse ou de regret. Rien. Blair était défiant, arrogant, agressif même, droit dans ses bottes et répétant haut et fort qu’il avait raison d’aller en guerre contre Saddam et que si c’était à refaire, il le referait !
Blair a donc raison de partir en guerre contre Saddam et s’étonne que des millions et des millions en Grande Bretagne et dans le monde ne soient pas de son avis. Un peu comme le chauffeur fou de l’autoroute qui s’étonne qu’il y’ait 60.000 automobilistes qui roulent à contre sens. L’air méprisant, arrogant et défiant qu’il affichait vendredi devant la commission Chilcot, sa manière de tourner obstinément le dos au public comme s’il n’existait pas, suggère qu’il en veut au monde entier pour son ingratitude envers celui qui a sauvé l’humanité entière du mal absolu représenté par Saddam et ses deux fils.
« Si on me demande si nous sommes mieux protégés aujourd’hui, si l’Irak se porte mieux, si notre sécurité est mieux assurée, alors ma réponse est oui en effet », disait Blair hier, avec la détermination du fanatique qui croit fermement posséder la vérité absolue. Les armes de destruction massive ? L’histoire de leur utilisation en moins de 45 minutes ? Sa rencontre avec Bush dans le ranch de celui-ci au Texas en avril 2002 pour mettre au point les derniers détails de la guerre ? Sa pression sur l’homme de loi, Lord Goldsmith, pour qu’il se rétracte après avoir souligné l’illégalité de la guerre sans une résolution claire des Nations-Unies ? Blair écarte toutes ces questions d’un revers de la main : « Il ne s’agit ni de mensonges, ni de conspiration, ni de manipulation, ni de tricherie. Il s’agit d’une décision. » La décision de faire la guerre quel que soit le degré de l’opposition manifestée par des millions de personnes, quel que soit le résultat de l’enquête des experts dépêchés par l’ONU en Irak.
Certes en 2002, il n’y avait pas que Blair pour croire que le monde serait meilleur sans Saddam Hussein. Le problème est que Blair continue d’afficher la même conviction après que sa guerre contre « Saddam et ses fils » ait tourné au cauchemar. Le problème est qu’il refuse de voir que des millions d’Irakiens ont perdu la vie ou sont handicapés jusqu’à la fin de leurs jours. Que des millions d’Irakiens ont tout perdu et qu’ils vivent désormais soit dans l’enfer irakien soit dans l’enfer de l’exil. Que sept ans après le déclenchement de la guerre, les attentats suicide à la voiture, au camion ou au bus piégés continuent d’ensanglanter Bagdad et de détruire bâtiments publics et maisons privées. Que les systèmes éducatif et de santé et le gros des infrastructures d’un pays de 25 millions d’habitants sont détruits. Que toute une génération d’Irakiens est perdue. Tous ces désastres provoqués par la guerre, Blair ne les voit pas. Il voit une seule et unique chose : il a débarrassé la planète de Saddam et de ses fils et que le monde doit lui être reconnaissant.
L’erreur est humaine. Tout le monde peut se tromper et ce n’est sans doute pas la première fois qu’on déclenche une guerre qu’on n’aurait pas dû déclencher. Mais persister dans l’erreur, se battre avec un tel acharnement pour dire qu’on a raison contre tout le monde, en dépit des évidences dévastatrices de l’Irak, cela dépasse l’entendement. Sir John Chilcot, le président de la commission d’enquête, sans doute par pitié pour ce pauvre Blair, lui tend une ultime perche : « Avez-vous des regrets ? » Non, Blair n’a pas de regrets. Arrogant, mais cohérent. On ne peut pas avoir raison contre tout le monde et dans le même temps éprouver des regrets.
D’aucuns se demandent comment se fait-il que ce poids léger de la guerre d’Irak soit convoqué par des commissions d’enquête alors que le poids lourd, le premier responsable de cette guerre, coule des jours heureux dans son ranch texan sans que la moindre commission ne songe à lui poser la moindre question ? C’est qu’au pays du puritanisme pur et dur, et pour prendre les exemples de Bill Clinton et de George W. Bush, il est nettement plus grave d’avoir une aventure sexuelle avec une adulte consentante au bureau ovale que de mettre le monde sens dessus dessous.

Wednesday, January 27, 2010

Israël, l'holocauste et le rapport Goldstone

Probablement depuis la création d’Israël, aucun document, aucun rapport aucune enquête d’ordre international n’a autant embarrassé les autorités de ce pays comme le rapport Goldstone sur la guerre de Gaza. Durant les longues décennies marquées par des guerres sanglantes, l’occupation incessante des terres, l’appropriation illicite des biens d’autrui et la violation permanente du droit international, Israël était si habitué aux résolutions et aux rapports mettant théoriquement en cause sa politique aberrante, qu’il recevait les condamnations continues avec un mépris qui ne s’est jamais démenti.
Israël a tenté au début la même chose avec le rapport Goldstone. A peine rendu public en septembre dernier, les autorités israéliennes ont traité comme d’habitude par le mépris les résultats de l’enquête du juge sud-africain, en espérant que le temps et la lassitude de l’opinion publique internationale finiront par enterrer ce rapport dans la fosse commune où reposent en paix les centaines de résolutions onusiennes et autres documents internationaux condamnant Israël.
Le Lobby israélien à Washington a même fait le nécessaire en donnant ses instructions habituelles, consistant à voter une résolution dans laquelle les représentants de la plus grande puissance du monde, comme d’habitude, ont conspué « les ennemis de la démocratie israélienne » et interpellé le chef de la Maison blanche pour qu’il fasse ce que « l’allié stratégique israélien » attend de lui. Et de fait, la Chambre des représentants a voté en novembre dernier une résolution par 344 voix contre 36, condamnant le rapport Goldstone et demandant au président américain de bloquer son examen par le Conseil de sécurité.
Cinq mois après sa publication, et en dépit des grands efforts déployés par Israël, son Lobby et le Congrès américain pour le faire oublier, le rapport Goldstone est toujours là, s’entêtant à ne pas se faire enterrer.
Les choses sont devenues d’autant plus embarrassantes et même inquiétantes pour les responsables politiques et militaires israéliens que l’arme classique de l’antisémitisme n’a cette fois dissuadé ni l’ONU ni le juge Richard Goldstone qui continuent d’exiger une « enquête sérieuse » sur les crimes commis à Gaza entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, sinon le dossier sera déposé sur le bureau des juges de la Cour pénale internationale de La Haye.
L’arme de l’antisémitisme a fait long feu cette fois, non seulement parce que le juge Goldstone est de confession juive, se réclamant l’ « ami d’Israël », mais parce qu’aussi et surtout cette arme est devenue grippée, rouillée et usée jusqu’à la corde à force d’être brandie pour un oui ou pour un non. A force d’être utilisée à tort et à travers. A force d’être mêlée à toutes les sauces. Les politiciens israéliens en ont fait une potion magique à laquelle ils font appel chaque fois qu’ils sont dans le pétrin.
Habitués à sortir rapidement du pétrin, les politiciens israéliens perdent cette fois les pédales et, ne sachant trop que faire, franchissent un pas de plus. L’accusation d’antisémitisme n’étant plus efficace, ils font appel à l’holocauste. Et c’est le ministre de l’information israélien, Yuli Edelstein, qui est chargé de la délicate besogne. S’adressant aux médias, Edelstein a étonné même ses compatriotes en affirmant sans rire qu’ « il y a un lien clair entre la critique de l’effort de guerre d’Israël et l’holocauste », et que la guerre de Gaza est « le plus récent conflit dans la bataille contre l’antisémitisme global ». En d’autres termes, ceux qui critiquent « l’effort de guerre » israélien ne sont pas seulement des antisémites, mais ils sont aussi pour « l’holocauste ». Et, si l’on en croit Edelstein, certains s’activent même à en créer d’autres en lançant « des milliers de missiles sur des civils israéliens »… Quant à la guerre contre Gaza, elle n’a rien à voir avec l’occupation et la violation incessante des droits de tout un peuple, mais relève de la « bataille contre l’antisémitisme global »…
De telles balivernes ne méritent même pas d’être commentées. Mais compte tenu du fait qu’Israël a choisi de les crier sur les toits en pleine commémoration de l’effroyable massacre des juifs à Auschwitz et autres camps nazis, des éclaircissements sont nécessaires.
Sans aucun doute l’holocauste est l’un des plus grands crimes commis dans l’histoire de l’humanité. Toute personne normalement constituée ne peut rester insensible au calvaire biblique infligé aux Juifs par une idéologie démoniaque. Seulement, ce crime effroyable fut commis contre les Juifs et non contre l’Etat d’Israël qui n’existait pas encore.
Il est immoral qu’Israël ait recours à l’utilisation de l’holocauste pour justifier des comportements politiques condamnés universellement. C’est une insulte à la mémoire des millions de victimes juives du nazisme quand les politiciens israéliens utilisent aujourd’hui leur effroyable calvaire pour justifier une politique d’occupation et de spoliation, et pour faire taire toute voix qui dénonce cette politique.
Israël s’est autoproclamé comme le gardien de la mémoire des victimes de l’holocauste et le défenseur de tous les Juifs dans le monde. Un tel statut ne s’autoproclame pas. Il se mérite.
Mais Israël ne mérite pas ce statut pour une raison très simple : On ne défend pas la mémoire des millions de victimes juives d’une tragédie effroyable en entretenant durant plus de 40 ans une tragédie terrifiante dont sont victimes des millions de Palestiniens.
Le fait que les nazis allemands aient produit dans les années trente du siècle dernier une idéologie inhumaine et l’aient mise en pratique, ne donne aucun droit à un Etat qui n’existe que depuis 1948 de confisquer par la force les territoires des autres. Pour mériter son statut autoproclamé de gardien de la mémoire des victimes de l’holocauste, Israël doit se reconvertir aux principes du droit et de la justice en acceptant de vivre dans les limites territoriales reconnues par la communauté internationale. Il n’est jamais trop tard de reconnaître sa faute. Les Palestiniens attendront le temps qu’il faut pour récupérer leurs terres, même si Netanyahu, après avoir planté lui-même symboliquement un arbre dans une colonie, a déclaré : « si nous plantons des arbres ici, cela veut dire que nous avons l’intention d’y vivre pour toujours. » La plantation d’un arbre ou même d’une forêt sur la terre d’autrui ne vaudra jamais titre de propriété.

Monday, January 25, 2010

La politique n'est pas un perpétuel règlement de comptes

Il y a des hommes qui sont une véritable malédiction pour leur propre pays. L’Irakien Ahmed Chalabi est de ceux là. Il est l’un des premiers responsables du désastre qui frappe l’Irak depuis près de sept ans, et il semble déterminé à déployer toute son énergie pour que les troubles et l’instabilité se perpétuent.
Pour ceux qui l’ont oublié, rappelons qu’Ahmad Chalabi était le chouchou de George W. Bush à qui il ne donnait que de fausses informations, notamment sur la prétendue possession par Saddam de redoutables armes de destruction massive, et qu’il encourageait à intervenir en Irak où les soldats américains seront, assurait-il, reçus avec des fleurs et des danses populaires dans les rues de Bagdad.
Sans revenir sur les conséquences catastrophiques des conseils de Chalabi à Bush aussi bien pour l’Irak que pour les Etats-Unis, rappelons qu’en 2007 ceux-ci ont découvert avec consternation que leur « homme » travaillait aussi pour l’Iran. Donc un agent double.
Le plus étonnant est qu’en dépit des trahisons dont il s’est rendu coupable à la fois contre son pays et contre ses bienfaiteurs américains qui, durant des années, finançaient ses activités douteuses à coups de millions de dollars, Ahmed Chalabi est toujours un homme politique influent en Irak.
Etre un homme politique influent n’a rien d’extraordinaire, et l’Irak en a sans doute besoin pour se stabiliser. Encore faut-il que cette influence s’exerce dans un sens constructif et positif. Dans le cas de Chalabi, cette influence s’exerce dans un sens destructif, totalement négatif et extrêmement dommageable pour l’Irak et les Irakiens.
Chalabi est actuellement le président d’une institution qui s’autoproclame « Commission justice et intégrité ». On reste pantois à l’idée qu’un homme qui a fait preuve d’autant d’irresponsabilité vis-à-vis de son pays, et qui a travaillé à la fois pour les Américains et pour leurs ennemis iraniens, préside aujourd’hui une telle institution. Peut-on être optimiste pour l’avenir de l’Irak quand un homme aussi irresponsable et aussi peu intègre que Chalabi se trouve à la tête d’une institution qui décide qui est innocent et intègre et qui ne l’est pas ?
Passe encore si la Commission présidée par Chalabi se cantonne dans un rôle de distribution de certificats symboliques d’innocence et d’intégrité ou de blâmes de culpabilité et de duplicité sans conséquences sur la situation politique dans le pays. Mais ce n’est pas le cas.
Cette Commission est aujourd’hui au centre d’une grande crise politique qui risque de plonger le pays à nouveau dans le chaos.
Les Irakiens se préparent depuis quelques temps aux deuxièmes élections législatives dans le pays depuis l’invasion américaine, après celles de 2005, boycottées par 90% des électeurs sunnites. 6592 candidats de diverses obédiences ont déposé leurs candidatures pour ces élections prévues le 7 mars prochain. Or voilà que la Commission de Chalabi, qui n’a même pas été votée par le parlement et ne dispose d’aucune légitimité, s’arroge le droit de refuser la candidature de 511 personnalités irakiennes, sous prétexte qu’elles étaient membres du parti Baath.
Rappelons que si l’Irak a sombré en 2003 dans le chaos et l’anarchie, c’est essentiellement à cause de la décision désastreuse prise par le représentant de Bush à l’époque, Paul Bremer, et qui consistait à renvoyer chez eux des centaines de milliers d’employés et de soldats irakiens, sous prétexte qu’ils ont servi le régime baathiste déchu.
Beaucoup de responsables irakiens ne semblent avoir tiré aucune leçon de cette erreur américaine monumentale, dont le Premier ministre Nouri al Maliki lui-même qui approuve la décision de la Commission Chalabi d’exclure les 511 candidats. Le parti de Nouri al-Malilki a certes été banni par le régime baathiste de Saddam Hussein et forcé de s’exiler en Iran pendant des années. Sa décision aujourd’hui de soutenir l’exclusion du scrutin législatif d’anciens baathistes s’explique par un désir de vengeance incompatible avec ses responsabilités gouvernementales et son devoir de servir les intérêts de l’Irak, et surtout le plus importants d’entre eux : la réconciliation nationale.
Mais au sein de l’Etat irakien, tout le monde ne partage pas l’ardeur vengeresse de Maliki et Chalabi. Bien qu’il ait souffert lui aussi des exactions du régime baathiste, le président Jalal Talabani a pris le contre-pied du Premier ministre en exprimant son désaccord, et surtout en saisissant la Cour suprême pour qu’elle se prononce sur la légalité et la légitimité de la Commission que préside Ahmed Chalabi.
Les Américains, eux, sont pris entre deux feux. Leur haine du parti Baath les pousse à soutenir l’exclusion des candidats ayant des liens avec ce parti, mais leur peur d’un regain de violence si le scrutin du 7 mars prochain est boycotté par une majorité de sunnites les pousse à privilégier un compromis. Ce déchirement a été perceptible dans les déclarations du vice président américain, Joe Biden, dépêché par Obama à Bagdad pour aider à la résolution de la crise.
Il est pour le moins surprenant que les Etats-Unis, après tant d’erreurs commises en Irak, hésitent encore à prendre une position claire contre une décision dangereuse prise par une Commission présidée par quelqu’un qui les a roulés pendant des années et qui s’est avéré être un agent double. Tous les baathistes n’ont pas les mains couvertes de sang. Pour la plupart d’entre eux, appartenir au Baath était un moyen comme un autre de gagner sa vie et de subvenir aux besoins de la famille.
Après sept ans de chaos, le désir des anciens baathistes de s’intégrer dans le processus politique est plutôt un bon signe et un atout pour la réconciliation nationale irakienne recherchée par tous, sauf par ceux dont la petitesse empêche de voir que la politique est autre chose qu’un perpétuel règlement de comptes.

Wednesday, January 20, 2010

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient

Il y a un an exactement, Barack Obama entrait à la Maison blanche. Evénement routinier dans la longue histoire constitutionnelle américaine, l’élection le 4 novembre 2008 d’un président noir aux Etats-Unis et son installation avec sa famille à la Maison blanche le 20 janvier 2009, avaient largement dépassé le cadre de la politique intérieure américaine pour revêtir l’aspect d’un événement planétaire.
En effet, en ce 20 janvier 2009, les yeux du monde entier étaient braqués sur Washington où un jeune président de 48 ans, de mère américaine blanche et de père kényan noir, prêtait serment et s’apprêtait à prendre en charge la plus haute responsabilité de la plus grande puissance de la planète. On avait assisté en direct à l’infirmation spectaculaire d’une idée préconçue selon laquelle nul ne peut accéder à la magistrature suprême aux Etats-Unis s’il n’est pas White Anglo-Saxon Protestant (WASP). Mais on avait assisté aussi en direct à la confirmation tout aussi spectaculaire de l’idée que tout est possible en Amérique, y compris pour le fils d’un Kényan de confession musulmane de se faire élire président.
A son entrée à la Maison blanche, Obama était fort de plus de 70% d’opinions favorables. Aujourd’hui, il en a perdu plus de 20% puisque sa cote de popularité se situe autour de 50%. Il est vrai qu’il s’est retrouvé avec trois gros problèmes sur les bras : la crise financière et économique la plus grave depuis 1929, la guerre d’Afghanistan et la guerre d’Irak.
Pour la crise, il s’en est sorti avec le moins de dégâts possible. Bien que le taux de chômage soit toujours à deux chiffres (10%), la décision d’Obama de mobiliser massivement les ressources de l’Etat fédéral pour sauver le système financier américain de l’effondrement a eu des résultats plutôt positifs, même si, contrairement à ses convictions économiques, il a creusé encore plus le déficit qui s’élève maintenant à 1400 milliards de dollars, soit 10% du PNB américain.
Pour la guerre en Irak, il a décidé de ramener tous les soldats chez eux d’ici à la fin de l’année 2011, et une bonne partie d’entre eux d’ici au mois d’août 2010. Mais Obama sait très bien que l’exécution de cette décision dépend beaucoup moins de sa détermination et de sa volonté que de la situation sur le terrain.
Quant à l’Afghanistan, les choses se sont aggravées depuis l’entrée en fonction d’Obama qui a triplé le nombre des soldats américains guerroyant dans les montagnes afghanes. Ce triplement des troupes affectées à la lutte contre les talibans a coïncidé avec des statistiques qui montrent que l’année 2009 a été la plus mortelle, depuis le déclenchement de la guerre en 2001, pour les soldats américains et ceux de l’Otan.
Mais si la guerre d’Afghanistan a contribué à la baisse de popularité d’Obama durant l’année écoulée, elle ne l’a pas empêché de recevoir, contre toute attente, le prix Nobel de la paix. Le 10 décembre 2009, on a eu droit au spectacle surréaliste d’un président qui, ne sachant trop pourquoi il était gratifié de ce prix, a dû prononcer un discours de réception du Nobel de la paix à Oslo et dans lequel il n’a pas pu s’empêcher de défendre le choix « des guerres qui sont parfois nécessaires »…
Concernant le problème central qui intéresse les Arabes et les Musulmans, pas le moindre petit progrès n’a été enregistré. Les grands espoirs soulevés par l’arrivée de Barack Obama au pouvoir concernant une médiation moins partiale dans le conflit israélo-arabe, se sont évaporés. Et le discours du Caire qui était salué unanimement du Golfe à l’Atlantique s’est révélé être des paroles en l’air. Qu’il s’agisse de la question palestinienne ou du dossier iranien, aucune des idées exposées en grande pompe au Caire par le président américain n’a eu la chance d’être appliquée. Ce qui n’est guère étonnant quand on sait qu’il n’a même pas pu concrétiser sa promesse de fermer la prison de Guantanamo dont il a fait l’un de ses chevaux de bataille lors de sa campagne électorale de 2008.
Depuis qu’il a lamentablement échoué dans son bref bras de fer avec Netanyahu sur la question du gel des colonies, Obama se comporte comme s’il n’y a aucun problème au Moyen-Orient et comme s’il n’a rien promis dans ses innombrables discours avant et après son élection. Certes, on a toujours droit à ces visites aussi rituelles que stériles dans la région de George Mitchell. Mais celui-ci, tout comme Condoleeza Rice avant lui, contribue beaucoup plus au réchauffement climatique par les tonnes de kérosène brûlées par son avion dans l’atmosphère qu’au réchauffement des relations israélo-arabes.
Mardi dernier, il y a eu un vote dans l’Etat du Massachusetts pour remplacer un sénateur disparu. Les démocrates, qui étaient sûrs de gagner, ont perdu et c’est un républicain qui a remporté le siège. Un mauvais présage pour les élections de mi-mandat de novembre prochain qui auront pour objet le renouvellement partiel du Congrès.
Il y a fort à parier que le revers de mardi dernier aura un effet plus inhibiteur encore sur l’attitude d’Obama vis-à-vis du conflit du Moyen-Orient. Il a sans doute les yeux fixés sur l’échéance de novembre prochain, et il est hautement improbable qu’il entreprenne quoi que ce soit de nature à provoquer la fureur d’Israël et de son Lobby à Washington.
Après 365 jours d’exercice du pouvoir à Washington, le président Obama a eu quelques petits succès intérieurs sur le plan économique ou sur celui de la réforme de la sécurité sociale. Il a réussi à badigeonner un peu la réputation du pays fortement entachée par la politique désastreuse de son prédécesseur. Mais aucun succès notable sur le plan de la politique internationale n’est à mettre à son actif.
En attendant la suite de ce mandat présidentiel pas comme les autres, tous ceux qui, de par le monde, se sont laissés grisés il y a un an par le vent de l’espoir en provenance de l’Amérique, méditent aujourd’hui la célèbre formule d’un célèbre politicien français : les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Monday, January 18, 2010

Haïti: un désastre partiellement naturel

Les Haïtiens ne se sont pas relevés encore des ravages occasionnés par le terrible ouragan qui a frappé le pays en 2008, et voilà qu’un séisme d’une ampleur inconnue dans la région transforme la quasi-totalité des villes haïtiennes en ruines. Pour la plupart des habitants de ce pays meurtri, il n’y a qu’une explication et une seule : Dieu est furieux contre les Haïtiens et est en train de les punir.
A côté de cette explication métaphysique, il y a des explications climatiques et géologiques qui permettent de comprendre l’acharnement de la nature contre ce pays, l’un des plus pauvres de la planète. La région des Caraïbes est connue pour ses ouragans, et celui qui a frappé Haïti en 2008 n’avait rien d’extraordinaire. Il en est de même des séismes. L’île Hispaniola dans les Caraïbes a la particularité politique peu commune d’être partagée par deux Etats indépendants : Haïti et la République dominicaine. Mais elle a aussi la particularité géologique d’être située sur une faille où « l’affrontement » des plaques tectoniques Caraïbe et Amérique produit une intense activité sismique.
Les catastrophes provoquées par l’ouragan du 7 septembre 2008 et par le séisme du 12 janvier 2010 sont des phénomènes naturels, mais leur ampleur terrifiante observée à Haïti n’est pas naturelle. La première question qui vient à l’esprit est pourquoi l’ouragan qui a frappé Cuba et Haïti avec la même violence a fait 8 morts chez les Cubains et 800 morts chez les Haïtiens ? La deuxième question qui nous interpelle est pourquoi des séismes plus violents ailleurs font-ils nettement moins de dégâts que ceux qu’on observe maintenant avec consternation et incrédulité à Haïti ?
La réponse se trouve dans l’histoire chaotique de ce pays, né de la révolution des esclaves originaires de l’Afrique de l’ouest et déracinés massivement par le colonialisme français. Cette révolution menée en 1804 avait abouti à la création d’un Etat indépendant géré par les descendants des esclaves africains. Mais il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin dans l’histoire pour comprendre les malheurs actuels de Haïti.
Une succession de régimes corrompus et incompétents, dont le plus tristement célèbre, celui de « Papa Doc » et « Baby Doc » Duvalier, ont empêché Haïti de se doter du minimum d’infrastructures et d’engager un processus minimal de développement qui aurait permis au peuple haïtien de sortir de l’extrême dénuement dans lequel il vit depuis deux siècles. A cela s’ajoute l’ingérence américaine dans les affaires haïtiennes, consistant à soutenir fermement les Duvalier père et fils et leurs sinistres milices les « Tontons macoutes » dans le but d’empêcher Haïti de suivre l’exemple de Cuba. Cette ingérence s’est poursuivie avec l’aide apportée aux instigateurs du coup d’état contre le président Jean Bertrand Aristide en 1991.
Sans véritable appareil de production, Haïti a été littéralement happé par le piège du dumping de l’ « aide » alimentaire qui a ruiné les paysans. Ceux-ci n’avaient d’autre choix que d’abandonner leurs terres et de s’engager dans un mouvement d’exode rural massif qui a fait passer la population de la capitale Port-au-prince de 50.000 dans les années 1960 à plus de deux millions aujourd’hui.
Cet exode massif des campagnes vers les villes a engendré tout naturellement le développement anarchique d’immenses bidonvilles où les critères les plus élémentaires de sécurité et les règles les plus simples relatives à la composition et au dosage des matériaux de construction ne sont pas pris en compte.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant qu’un même ouragan fait 800 morts à Haïti et seulement 8 victimes à Cuba. On comprend aussi que le séisme, très violent certes, détruise la quasi-totalité du pays en quinze secondes, « comme s’il avait subi des bombardements continus pendant quinze ans », selon la formule du président haïtien René Préval.
Le désastre de Haïti n’est donc que partiellement naturel. Car s’il a été provoqué par des convulsions géologiques qui caractérisent le sous-sol haïtien, il a été amplifié par les convulsions sociales et politiques qui n’ont cessé de secouer le pays depuis sa création et l’ont empêché de se doter des moyens économiques et infrastructurels adéquats de nature à limiter les dégâts des séismes.
L’aspect positif, si l’on peut dire, de cette tragédie biblique haïtienne est qu’elle a suscité un élan de solidarité internationale rarement observé. Tout le monde semble affecté par cette tragédie et les pays font la queue pour aider les Haïtiens. Tout le problème est de savoir comment faire parvenir cette aide aux nécessiteux avec des hélicoptères pour seul moyen de transport ? Tout le problème est de savoir comment empêcher que la colère légitime des survivants n’engendre des batailles rangées pour une miche de pain ou une bouteille d’eau. Des journalistes présents sur place ont décrit comment les machettes ont été tirées pour s’approprier le premier colis lancé par un hélicoptère.
Deux pays doivent assumer la plus grande responsabilité dans cette phase tragique de l’histoire de Haïti, de par leurs relations historiques avec ce pays : l’Amérique et la France. La première a engagé la plus grande opération de secours humanitaire de son histoire en envoyant des milliers d’hommes et en allouant des sommes d’argent substantielles. La seconde n’est pas restée les bras croisés. Elle s’est aussi engagée dans un processus d’aide massive pour les survivants haïtiens, et s’efforce de réunir une conférence internationale en mars pour la reconstruction de Haïti.
Il n’est pas encore temps de penser à la reconstruction tant les secouristes et les bulldozers ont encore des tâches titanesques à accomplir. Mais, il faut d’ores et déjà souligner que si la destruction d’un pays engendre nécessairement des millions de tragédies personnelles et familiales, il faut transformer cette destruction à grande échelle en une opportunité de reconstruction à grande échelle, mais une reconstruction sur des bases solides avec une idée directrice : ne jamais permettre à nouveau qu’un grand désastre naturel se transforme en une catastrophe sociale plus grande encore.

Saturday, January 16, 2010

L'inévitable entente du dragon et de l'éléphant

En 1962, la tension entre la Chine et l’Inde avait atteint des proportions telles que la guerre était devenue inévitable. Et de fait, elle éclata entre les deux pays, à la fois très peuplés et très pauvres, et qui, tous deux, passèrent à la fin des années 1940 par de grandes convulsions politiques et sociales : la partition de l’Inde qui aboutit à la création du Pakistan, et la guerre civile en Chine qui aboutit au triomphe de la révolution maoïste.
Il n’était pas très rationnel que deux pays voisins, déjà les plus peuplés de la terre, et excessivement pauvres, perdissent autant d’énergies et de ressources dans une guerre autour d’un contentieux frontalier qui aurait pu être gelé en attendant des jours meilleurs pour être réglé pacifiquement. Mais, à ce niveau, la psychologie des Etats n’est pas très différente de celle des hommes. Quand deux individus sont en litige et perdent leur sang froid, ils en viennent le plus souvent aux mains. Et quand deux Etats sont en litige et perdent leur sang froid, ils entrent le plus souvent en guerre. Et c’est ce qui s’est passé entre la Chine et l’Inde en 1962. Les deux voisins s’étaient affrontés militairement pendant 32 jours, et le conflit s’était conclu par la défaite de l’Inde.
Depuis, le dragon chinois et l’éléphant indien se sont tournés le dos, appliquant à la lettre l’adage : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Le Pakistan étant l’ennemi de l’Inde, devint un allié de Pékin, et l’Union soviétique étant l’ennemi idéologique juré de la Chine, devint une amie très proche de New Delhi.
Après l’effondrement de l’Union soviétique, le potentiel d’amitié et de sympathie qu’avait l’Inde pour Moscou s’est progressivement déplacé vers Washington, atteignant son apogée en 2006 avec la signature entre les Etats-Unis et l’Inde d’un important accord nucléaire. La Chine avait très mal pris cet accord et avait manifesté sa mauvaise humeur en permettant à son ambassadeur à New Delhi d’utiliser l’appellation « Sud Tibet » pour désigner l’Etat indien d’Arunachal Pradesh, un langage jamais utilisé par un officiel chinois depuis la guerre de 1962.
Pour l’heure, bien que gelé, le contentieux territorial entre les deux pays reste entier. La Chine continue de soutenir que l’Etat indien d’Arunachal Pradesh fait partie du Tibet, donc de son territoire, et l’Inde continue de revendiquer son droit de souveraineté sur une large partie du Cachemire contrôlée par Pékin.
Mais en dépit de ces vicissitudes de l’histoire et de la géographie, le dragon chinois et l’éléphant indien ont, depuis des années, cessé de se regarder en chiens de faïence parce qu’ils ont compris l’immense intérêt qu’ils ont à coopérer plutôt qu’à s’ignorer.
Bien que Pékin continue de regarder d’un mauvais œil les bonnes relations qu’entretiennent New Delhi et Washington, bien qu’une bonne partie des Indiens continue de considérer la Chine comme le plus grand danger, et, selon une récente étude, 40% des Chinois considèrent l’Inde comme le plus grand danger, les deux géants asiatiques semblent s’être rendus à l’évidence que les défis communs qui nécessitent leur coopération sont beaucoup plus importants que les désaccords qui les séparent.
A eux deux, ces deux pays comptent le un tiers de l’humanité, et peut-être même un peu plus. Quand une masse humaine d’une telle taille vit sous la responsabilité de deux Etats seulement, quand ceux-ci sont appelés à eux seuls à résoudre les problèmes d’eau, de nourriture et d’environnement du tiers de l’humanité, pour ne citer que les problèmes les plus urgents, ce ne sont plus les deux pays qui constituent un danger l’un pour l’autre, mais leur rivalité qui constituent un danger pour les peuples chinois et indien.
Le développement spectaculaire des deux économies semble avoir transformé l’ancienne rivalité en une sorte d’émulation qui a permis d’accroître les échanges commerciaux entre les deux pays à un niveau qui a dépassé les prévisions les plus optimistes. Le volume des échanges qui était de 15 milliards de dollars en 2005 a atteint 40 milliards de dollars en 2009, et l’on parle de 60 milliards de dollars cette année…
Cette tendance à la coopération a toutes les chances de se poursuivre, d’autant que les craintes chinoises d’une alliance stratégique entre New Delhi et Washington semblent s’être éclipsées après le départ de George W. Bush de la Maison blanche. D’ailleurs les craintes ont même changé de camp après la visite d’Obama en Chine suivie d’une visite du Premier ministre indien à Washington. Les résultats de ces visites ont suscité une blague que l’on se raconte à New Delhi : « La Chine signe des accords, le Pakistan reçoit les fonds et l’Inde a droit à un bon dîner » (allusion au dîner officiel donné par Obama en l’honneur du premier ministre indien).
Dans les années à venir, et tant qu’ils dépendent financièrement de leur banquier chinois, les Etats-Unis ont un intérêt objectif à maintenir de bonnes relations avec les deux puissances asiatiques et de s’abstenir de favoriser l’une d’elles par rapport à l’autre. Cela dit, l’influence de Washington en Asie se réduit au rythme de la montée en puissance de la Chine et de l’Inde. Pour la première fois dans l’histoire moderne, l’avenir de l’Asie est entre les mains des Asiatiques et non des Occidentaux.

Wednesday, January 13, 2010

la ridicule trouvaille de Lieberman

On sait que le ministre israélien des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, est aussi diplomate dans la gestion de la politique extérieure de son pays qu’un videur de boite de nuit vis-à-vis des clients dont les têtes ne lui reviennent pas. Mais traiter l’ambassadeur turc à Tel Aviv d’une manière si humiliante pour une histoire de série télévisée qui ne plaît pas aux Israéliens, cela dépasse l’entendement.
Cette histoire ridicule a commencé avec la diffusion d’un film par la télévision turque, où l’on voit des hommes habillés en agent du Shin Beth israélien kidnapper des bébés. L’ambassadeur turc, Ahmet Oguz Celikkol, est aussitôt convoqué. Il ne sera même pas reçu au ministère des affaires étrangères, mais au bureau de Danny Ayalon, l’adjoint de Lieberman, situé à la Knesset. Les cameramen des chaînes israéliennes 2 et 10 étaient là. Ayalon leur a donné en hébreu l’ordre de ne pas faire démarrer leurs caméras avant que tout ne soit en place, c'est-à-dire que l’ambassadeur soit assis sur « une chaise basse » faisant face à « trois chaises hautes » réservées à Ayalon et à deux de ses collaborateurs, et qu’il n’y’ait que le drapeau israélien sur la table.
Et de fait, cette scène étrange qui a fait l’ouverture des journaux télévisés israéliens du soir, montrait l’ambassadeur turc sourire très inconfortablement sur sa petite chaise, faisant face à trois Israéliens la mine très sombre qui, du haut de leurs grandes chaises, dominaient nettement leur interlocuteur.
Selon les médias israéliens, cette mise en scène destinée à humilier publiquement la Turquie a été ordonnée par Lieberman en personne dans le but de « défendre l’honneur d’Israël ». On sait que Lieberman, depuis qu’il est à la tête de la diplomatie israélienne, n’a pas produit une seule idée qui s’approche du bon sens, n’a pas pris une seule initiative qui ne soit pas accueillie avec mépris de la part de la communauté internationale. On découvre maintenant que même pour les idées les plus débiles, il a recours au plagiat. Car, il est clair que ce qui a été fait avec l’ambassadeur turc n’a rien d’original. Le ministre israélien des affaires étrangères a volé l’idée dans le film de Charles Chaplin « Le dictateur », et plus précisément, dans la scène où Hiter, assis sur une chaise immense, dominait Mussolini, assis sur une chaise minuscule. Lieberman mimant une caricature d’Hitler pour « défendre l’honneur » de son pays, voilà jusqu’où est tombée la diplomatie israélienne.
Cela dit, examinons maintenant d’un peu plus près cette histoire de l’honneur d’Israël. A part Lieberman et ses amis, nul ne peut sérieusement soutenir l’idée que l’honneur d’Israël a été gravement atteint par une simple fiction diffusée par la télévision turque. C’est un fait que l’honneur d’Israël est gravement atteint et il est normal que les Israéliens s’en émeuvent, et il est normal aussi qu’ils cherchent à le défendre. Toute la question est de savoir qui a ruiné cet honneur et contre qui les accusations israéliennes doivent s’orienter.
A en croire Lieberman, l’honneur d’Israël était intact et volait très haut avant qu’il ne soit écorné par la fiction turque, « La vallée des loups ». La vérité est que l’honneur d’Israël était déjà gravement atteint depuis des années non pas par des fictions étrangères, mais par les choix politiques désastreux des générations successives de politiciens israéliens.
L’honneur d’Israël souffre gravement depuis plus de 40 ans de l’occupation des terres palestiniennes. Il souffre de l’interminable construction de colonies sur des terres confisquées par la force à leurs propriétaires. Il souffre du mépris par lequel sont traitées plus de 100 résolutions du Conseil de sécurité. Il souffre des bombardiers lâchés par l’armée israélienne pour un oui ou pour un non contre les civils palestiniens et libanais. Il souffre des massacres perpétrés à Sabra et Chatila, à Jénine, à Qana, à Gaza et la liste est longue. Il souffre du blocus impitoyable imposé depuis un an à un million et demi de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza, transformée par Israël en enfer. Il souffre de la réputation qu’a Israël aux yeux de l’opinion publique internationale qui considère ce pays comme le danger numéro un pour la paix mondiale…
La liste des catastrophes engendrées par les décisions des politiciens israéliens est si longue, qu’Israël traîne depuis des décennies une réputation en lambeaux, et que son honneur en a tellement souffert qu’il a fini par rendre l’âme. Par conséquent, on ne comprend pas trop de quoi parle Lieberman quand il affirme vouloir défendre l’honneur d’Israël.
En fait, Lieberman est sorti de ses gonds parce qu’il ne supporte pas les vérités assénées par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, sur la politique israélienne concernant la guerre de Gaza, les agressions contre le Liban, l’usage excessif de la force contre des civils désarmés, le non respect des résolutions de l’ONU ou encore le refus d’Israël de soumettre ses sites nucléaires de Dimona au contrôle international.
Ce sont ces vérités répétées par Erdogan qui ont fait perdre les pédales à Lieberman qui, pour se venger, a eu recours à des procédés enfantins qui n’ont fait que noircir encore plus la réputation d’Israël, déjà exagérément noircie. L’ambassadeur turc à Tel Aviv a affirmé qu’il n’a jamais vécu une expérience aussi honteuse en 35 ans de carrière diplomatique, et un responsable turc a regretté que la diplomatie israélienne soit dirigée par « des adolescents ».
Voulant humilier et ridiculiser la Turquie, Lieberman et son adjoint Ayalon n’ont fait que se ridiculiser eux-mêmes et aggraver encore plus l’état désastreux de la réputation de leur pays. La Turquie s’en sort la tête haute, et la défense sans relâche par le gouvernement Erdogan des victimes du militarisme israélien, fait d’elle un pays de plus en plus honoré et respecté dans le monde.
HBR

Monday, January 11, 2010

George, Omar et les ADM

Quelle différence y a-t-il entre George W. Bush, l’ancien président américain, et Omar Farouk Abdelmottalib, le jeune terroriste nigérian ? Le premier avait l’arme de destruction massive dans son imagination, le second l’avait dans ses sous-vêtements (1). Mais s’ils ont cette différence qui les sépare, les deux hommes ont beaucoup de points communs qui les unit.
Rappelons tout d’abord qu’en 2002, lorsque George tentait désespérément de convaincre le monde que Saddam Hussein dormait sur une quantité terrifiante d’armes de destruction massive, Omar était un jeune lycéen de 14 ans. Depuis, chacun a fait son chemin pour se retrouver l’un à la retraite en train de méditer sur les catastrophes engendrées par ses décisions désastreuses, l’autre en prison en train de méditer sur son malheur engendré par les dérapages qui l’avaient poussé dans les bras des illuminés d’Al Qaida.
George n’a pas eu la gloire qu’il escomptait pour ses « faits d’armes » dans la bataille qu’il a livrée contre « le mal », et Omar n’a pas eu les vierges promises par ceux qui lui avaient fixé une arme de destruction massive dans les sous-vêtements.
Cela dit, George et Omar ont un point commun fondamental : l’un et l’autre, toutes proportions gardées et chacun selon ses moyens, ont mis en danger la sécurité des Etats-Unis et du monde ainsi que la vie de plusieurs êtres humains. Sauf que le premier a malheureusement réussi sa mission destructrice au-delà des prévisions les plus cauchemardesques, et le second a heureusement échoué à faire exploser en vol un aéronef civil transportant d’Amsterdam à Detroit quelques 300 personnes.
Avant de s’engager dans sa politique désastreuse, George a entendu de ses propres oreilles Dieu lui dire textuellement : « George, je t’ai fait élire président pour que tu combattes le mal. » Et avant de s’engager dans sa mission suicide, Omar a sans doute entendu la même chose de la part de ceux qui se sont arrogés le droit de parler au nom de Dieu pour le convaincre qu’il a été choisi pour combattre « le mal », et que son combat consiste à détruire un avion appartenant à l’ « ennemi américain ».
Convaincus l’un et l’autre que Dieu les a choisis pour combattre « le mal », George de par sa position de chef de l’Exécutif, a mis l’armée la plus puissante du monde en branle et l’a envoyée à des milliers de kilomètres de Washington à la recherche de « monstres » à abattre. Quant à Omar, de par sa position de simple recrue d’Al Qaida, il a mis une arme de destruction massive dans ses sous-vêtements et est parti à des milliers de kilomètres des camps d’Al Qaida avec la détermination de massacrer quelques centaines d’innocents qu’il prenait sans doute pour des monstres.
A ce niveau, George et Omar, toutes proportions gardées, ont agi l’un et l’autre sans état d’âme et sans le moindre égard pour les innocents. En provoquant, par ses décisions erronées, la mort de centaines de milliers d’êtres humains, George n’avait pas l’air affecté et a continué jusqu’au bout à croire qu’il avait raison. Ayant failli provoquer la mort de 300 êtres humains, Omar ne semble pas affecté outre mesure, et, si l’on juge par sa décision de plaider non coupable après son inculpation par la justice américaine, il doit être sûrement convaincu d’avoir fait le choix juste.
George et Omar partagent le même mode de fonctionnement mental, le même fanatisme. Le premier pense que dans la bataille contre « le mal », le sacrifice de millions d’innocents est tout à fait naturel et est dans l’ordre des choses. Pour le second, la vie de 300 personnes ne doit pas peser lourd face à la bataille contre « le mal ». Les deux mènent le même combat, mais à chacun son « mal », si l’on peut dire.
George a beaucoup fait pour l’expansion de la haine et des rancoeurs dans le monde. Il a passé le clair des huit années de sa présidence à verser de l’huile sur le feu, à multiplier les foyers de tension dans le monde et à nourrir, par ses discours et par ses décisions, l’intolérance, l’extrémisme et le fanatisme. Il n’a épargné aucun effort pour élargir dramatiquement le fossé qui sépare l’Occident du monde musulman.
Si Omar avait réussi son entreprise terroriste le jour de Noël, outre les centaines d’innocents qui auraient perdu la vie, le résultat le plus grave aurait été plus de haine, plus de rancoeurs, en un mot, le fossé entamé par George aurait gagné quelques mètres de profondeur. La règle qui veut que tous les extrémismes se rejoignent se vérifie encore une fois. Omar, même en échouant, a tout de même eu sa petite contribution dans le creusement du fossé dans l’approfondissement duquel George a joué un rôle majeur.
George et Omar symbolisent deux réalités antagonistes. Deux réalités si antagonistes et si contradictoires qu’elles ont fini par se rejoindre pour se nourrir mutuellement. Tout bombardement de civils dans quelque théâtre d’affrontement que ce soit, est un bienfait pour Al Qaida et les talibans qui en profitent pour recruter et pour commettre des attentats. Et tout attentat commis appelle de nouveaux bombardements etc. Ainsi va cette mécanique infernale qui consume tout sur son passage.
Au fait, si George n’avait pas eu ces armes de destruction massives dans son imagination, Omar aurait-il eu une dans ses sous-vêtements ?

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(1) La justice américaine a inculpé le 6 janvier dernier le jeune Nigérian de « tentative d’utilisation d’une arme de destruction massive ».

Wednesday, January 06, 2010

La vraie drôle de guerre

Les historiens désignent le laps de temps s’étendant entre le 1er septembre 1939 et le 10 mai 1940 par la curieuse appellation de « Drôle de guerre ». Le 3 septembre 1939, les troupes allemandes envahirent la Pologne. Le 10 mai 1940, elles envahirent la Belgique et les Pays-Bas. L’expression « Drôle de guerre » a été inspirée au journaliste français, Roland Dorgeles, correspondant de guerre, par l’inaction des troupes alliées face à l’écrasement de la Pologne par les Nazis. Apparemment, la « drôle de guerre » était redevenue une guerre « normale » quand les alliés n’avaient plus le choix que de passer à l’action après l’invasion de la Belgique et la Hollande.
Si Roland Dorgeles vivait encore, il se serait senti un peu confus, et même un peu drôle, si l’on peut dire, d’avoir donné un tel nom au début de la deuxième guerre mondiale, au vu de la « Guerre globale contre le terrorisme » (Global War On Terror) déclenchée par George W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre, et héritée par Barack Obama. C’est cette « Global War on terror » (GWOT) qui est la vraie drôle de guerre. Et Roland Dorgeles n’aurait sans doute trouvé aucune objection à ce transfert d’adjectif d’une guerre à l’autre.
La GWOT n’est pas drôle seulement par le nom. Elle l’est aussi par la durée (on « fêtera » l’année prochaine le dixième anniversaire de son déclenchement), par les moyens mis en œuvre par les uns et les autres, par les forces en présence dont les unes sont connues et les autres fantomatiques, par les résultats, ou plutôt par l’absence de résultats, par l’impossibilité pour quiconque de dire si cette GWOT a une issue ni si elle peut être un jour gagnée ou perdue et par qui ?
N’est-ce pas drôle de voir une guerre durer depuis plus de huit ans sans que les adversaires ne se soient rencontrés sur le terrain pour en découdre entre hommes une fois pour toutes. Bombardements par ci, explosions de bombes humaines ou de voitures piégées par là, voilà ce à quoi on assiste depuis octobre 2001 jusqu’à ce jour.
N’est-ce pas drôle de voir que dans cette guerre qui dure depuis plus de huit ans, ce sont les civils qui sont ciblés, soit volontairement par les kamikazes, soit involontairement par les bombardements aveugles des forces alliées. Les historiens peuvent fouiller autant qu’ils veulent, ils ne trouveront pas de précédent où les victimes civiles sont cent fois plus nombreuses que celles que comptent les combattants dans leurs rangs. Que l’on se tourne vers l’Irak, vers l’Afghanistan ou vers le Pakistan, le constat est le même : les populations civiles paient le tribut le plus lourd.
N’est-ce pas drôle de voir que dans cette guerre qui dure depuis plus de huit ans, aucun objectif n’a été atteint ni d’un côté ni de l’autre. Pire encore, plus elle dure, plus elle s’éloigne des objectifs qu’elle s’est tracée, et plus les combattants se transforment en robots obéissant à des automatismes macabres. Les uns procèdent quotidiennement à un certain nombre de bombardements, les autres font exploser un certain nombre de bombes humaines ou de voitures piégées conduites par des kamikazes qui choisissant de préférence les endroits les plus fréquentés par les civils.
Si l’on excepte l’Irak, dont le cas relève de l’agression caractérisée contre un pays souverain et non de la guerre contre le terrorisme, tous les autres champs de bataille où un large nombre de soldats surarmés ont été envoyés n’offraient pour cibles à bombarder que des montagnes poussiéreuses et des civils sans défense.
Il était clair dès le départ que le danger posé par le terrorisme dans ces contrées lointaines ne pouvait être combattu par des armées suréquipées ni par aucune sorte d’armement aussi sophistiqué soit-il.
Beaucoup de voix s’étaient élevées dès le départ, y compris aux Etats-Unis, pour dire que le vrai remède réside dans une combinaison de deux actions parallèles : d’une part une implication exclusive des services de renseignements et de police, et d’autre part des investissements massifs pour tirer les populations civiles d’Afghanistan et du Pakistan du dénuement et de l’ignorance. On n’a qu’à imaginer que pourrait être la situation aujourd’hui si les centaines de milliards de dollars qui n’ont servi jusqu’à présent qu’à bombarder les montagnes poussiéreuses et à tuer les civils, étaient investis dans la construction d’écoles et d’usines, assurant éducation et travail aux millions de déshérités ?
On a préféré la drôle de guerre, et on est en train de récolter de drôles de résultats. Les victimes ne se comptent pas seulement parmi les civils, tant s’en faut. L’armée américaine elle-même est l’une des grandes victimes de ce choix désastreux. Enfoncée jusqu’au genou dans un bourbier dont elle ne sait trop comment s’en dégager, elle a trop perdu en efficacité et en réputation, sans compter les pertes matérielles faramineuses qui se comptent en centaines de milliards de dollars.
Les services de renseignement américain sont une autre victime de la drôle de guerre. Ils semblent si désarticulés qu’en une semaine ils ont subi deux graves revers, ayant nécessité l’intervention personnelle du président américain qui a réuni en urgence leurs chefs. Le jour de Noël, un Nigérian a failli causer un désastre sur la ville de Detroit en tentant de faire exploser un avion. Heureusement, il n’a réussi qu’à se faire brûler lui-même. Et le jour de l’an, un agent double que la CIA croyait être son homme, s’est révélé être celui d’Al Qaida. Il s’est fait exploser dans une base de l’Agence américaine de renseignement à Khost, tuant sept parmi ses cadres les plus expérimentés.
Le plus drôle est que les Etats-Unis ne semblent avoir aucun autre choix que de continuer cette drôle de guerre qui coûte annuellement au contribuable américain un million de dollars par soldat.

Monday, January 04, 2010

Un "troisième front" au Yémen?

Si, comme le pensent les Américains, l’Irak est « le premier front de la guerre contre le terrorisme » et l’Afghanistan « le second front », alors si tout va bien, ou plutôt si tout va mal, on aura droit dans pas très longtemps à un « troisième front » de la guerre contre le terrorisme : le Yémen.
Comme pour les premier et second fronts, le troisième, s’il était ouvert, il serait la conséquence d’une série d’erreurs commises par les décideurs à Washington durant la décennie écoulée.
La première erreur commise par les Etats-Unis est la légèreté avec laquelle ils ont traité l’attaque terroriste contre l’USS Cole au Yémen le 12 octobre 2000. L’ancien Premier ministre yéménite, Abdul Karim al Iriyani, a raison de remarquer que « l’attaque contre l’USS Cole aurait dû être considéré comme le plus grand signal d’alarme devant attirer l’attention sur le danger d’Al Qaida. » Aucun effort sérieux ne fut déployé pour poursuivre les auteurs de l’attaque et de démanteler leurs structures organisationnelles.
La deuxième erreur commise par les Etats-Unis est qu’ils n’ont rien trouvé de plus urgent à faire au Yémen que de « promouvoir la démocratie » et de « lutter contre la corruption ». Un pays déchiré par une guerre civile au nord et une guerre de sécession au sud, miné par une pauvreté endémique et croulant sous un taux de chômage de 40% a sans doute besoin beaucoup plus d’aide économique que de leçons de démocratie. Au même titre qu’un étudiant affamé a besoin beaucoup plus de nourriture que de leçons sur la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu.
La troisième erreur commise par les Etats-Unis est d’avoir réduit progressivement leur aide à un pays qui en a désespérément besoin. Selon les chiffres de l’OCDE, l’aide américaine au Yémen est passée de 56, 5 millions de dollars en 2000 à 25, 5 millions en 2008. La raison avancée officiellement par Washington est le « peu de progrès en matière de lutte contre la corruption ». Mais l’aide consiste-t-elle seulement à donner de l’argent cash ? La méthode japonaise d’aide pour l’Afrique a permis d’éviter le piège de la corruption. Ils construisent eux-mêmes les infrastructures, les logements et les écoles et donnent les clefs aux bénéficiaires.
Le gouvernement yéménite serait sûrement dans une meilleure situation, si les Etats-Unis avaient pris la peine de fournir les moyens économiques et militaires qui auraient permis à l’Etat yéménite de faire face aux énormes défis qui le guettent (terrorisme, rébellion chiite au nord, mouvement sécessionniste au sud). Mais les Etats-Unis ont continué à tourner le dos au Yémen, même après le second grand signal d’alarme de 2006. En effet, cette année là, pas moins de 23 terroristes d’Al Qaida s’évadèrent d’une prison de haute sécurité à Sanaa. Parmi eux, se trouvaient des personnes impliquées dans l’attaque de l’USS Cole et Nasser al-Wuhayshi, qui devait devenir le chef d’Al Qaida dans la péninsule arabique.
Il est vrai qu’à l’époque, les Etats-Unis étaient empêtrés dans la guerre d’Irak qu’ils avaient déclenchée trois ans plutôt et grâce à laquelle ils ont fourni une aide appréciable à Al Qaida en la dotant des atouts inespérés qui lui ont permis d’élargir sa base et le champ de son action.
Alors que le premier signal d’alarme du danger terroriste en provenance du Yémen a retenti avec force le 12 octobre 2000, les Etats-Unis ont attendu l’incident de la tentative avorté de faire sauter un avion reliant Amsterdam à Detroit le 25 décembre 2009, pour se rendre compte que, finalement, ce qui se passe au Yémen constitue « un problème pour la sécurité américaine ».
Reste à savoir à quoi va aboutir cette prise de conscience tardive ? L’administration Obama va-t-elle ouvrir « un troisième front » dans le cadre de ce que les Américains appellent Global War on terror (GWOT) ? Si oui, comment compte-t-elle le gérer ? L’armée américaine est certes puissante, mais pas omnipotente. Fortement engluée en Irak et en Afghanistan, elle n’a ni les moyens militaires ni humains pour s’engager dans une troisième guerre terrestre au Yémen pour démanteler les camps d’entraînement d’Al Qaida.
L’engagement direct étant exclu, les Etats-Unis pourraient recourir aux bombardements « ciblés » en utilisant des drones ou des bombardiers décollant de l’une de leurs bases dans la région. Le problème avec ces bombardements est qu’ils ne sont pas aussi « ciblés » que ne le croient les stratèges américains. L’expérience dans certaines régions d’Afghanistan et du Waziristan pakistanais montrent qu’ils font plus de victimes parmi les civils innocents que parmi les terroristes et, par conséquent, aboutissent à l’inverse de l’effet recherché.
Les stratèges américains ne peuvent ignorer, comme le prouve le réveil spectaculaire des talibans afghans, que les terroristes se nourrissent des bombardements qui manquent leurs cibles, causant la fureur légitime des victimes. Qui peut honnêtement reprocher à quelqu’un qui a perdu sa maison et ses proches dans un bombardement « ciblé » de vouloir, par désir de vengeance, aider les terroristes ou même rejoindre leurs rangs ?
L’administration Obama doit être consciente d’une chose : si elle recourt aux bombardements « ciblés » au Yémen, elle rendra le meilleur service aux terroristes d’Al Qaida qui appellent de leurs vœux la répétition des erreurs catastrophiques commises en Irak et en Afghanistan.
Reste l’aide massive que les Etats-Unis peuvent toujours offrir à l’Etat yéménite pour éviter au Yémen le sort de l’Afghanistan ou de la Somalie. Mais là encore, une aide militaire pure ne résoudra pas le problème. Une aide économique massive est indispensable pour ce pays classé comme l’un des plus pauvres de la planète. Car si les bombardements non ciblés sont des bienfaits pour les terroristes d’Al Qaida, les investissements économiques ciblés sont un désastre pour eux parce qu’ils sont le seul moyen efficace de nature à leur couper l’herbe sous les pieds.

Saturday, January 02, 2010

Les droits des criminels avant ceux des victimes

Dans les cas d’injustice flagrante, on ne peut pas s’empêcher de raisonner par analogie. Supposons qu’un groupe de cinq Irakiens lourdement armés protégeaient un convoi qui roulait à vive allure à Washington. Supposons que ces cinq Irakiens, se sentant menacés, s’étaient mis à tirer à l’arme automatique et au lance-grenade sur de paisibles automobilistes américains dans un grand carrefour de Washington, laissant derrière eux 17 morts et 24 blessés, dont certains paralysés à vie. Supposons que les cinq criminels s’étaient arrangés pour quitter les Etats-Unis afin de se faire juger en Irak. Supposons enfin qu’un juge Irakien disculpait les cinq criminels sous le motif que « les enquêteurs avaient tiré les aveux des tueurs après leur avoir promis l’immunité », et les libérait la veille du jour de l’an, leur permettant d’aller faire la fête. Quelle aurait été la réaction de ce qu’on appelle la Communauté internationale ? On n’ose même pas l’imaginer tellement la réaction aurait été effrayante.
Les faits décrits dans ces suppositions se sont réellement déroulés, sauf que le lieu du drame est Bagdad, les victimes irakiennes, les tueurs et le juge qui les a libérés américains. Cela change tout, y compris et surtout la réaction de ce qu’on appelle la communauté internationale qui ne semble pas avoir été choquée outre mesure par la décision du juge Ricardo Urbina.
Le motif mis en avant par ce juge pour justifier sa décision est pour le moins étonnant. Le juge Urbina veut paraître si honnête et si moralement pur qu’il interdit même le plus innocent des stratagèmes utilisés par les enquêteurs pour arriver à la vérité. Selon cette conception particulière de la justice, il a suffi que les enquêteurs promettent l’immunité aux meurtriers pour les encourager à dire la vérité, pour que cette vérité soit invalide et les criminels qui travaillaient pour la société Blackwater lavés du sang des 17 morts et des 24 blessés qu’ils ont versé à coup de mitrailleuses et de lance-grenade le 16 septembre 2007 à la place Nisour à Bagdad.
Nul besoin d’être un juriste chevronné pour comprendre que le raisonnement du juge Ricardo Urbina ne relève pas de l’argumentation juridique, mais du prétexte qui cache des motivations politiques, trahissant elles-mêmes clairement un parti pris anti-irakien. L’honnêteté et la pureté morale, n’en déplaise au juge Urbina, ne consistent pas à invalider une enquête sur un crime particulièrement grave parce que les enquêteurs ont eu recours à un stratagème banal, mais de mettre la vérité obtenue au service de la justice en envoyant les criminels devant le tribunal approprié. En libérant les responsables du massacre de la place Nisour, ce juge a failli à sa mission de serviteur de la justice. Il l’a dit lui-même, il se soucie « des droits constitutionnels » des cinq gardes de la société de Blackwater qui ont commis un véritable massacre. Et les droits des dizaines de victimes irakiennes ? Visiblement, ce n’est pas le problème du juge Urbina.
Peut-être ce juge pense-t-il, comme beaucoup d’Américains, que les soldats de l’US Army et les employés des sociétés de sécurité, dont ceux de Blackwater, sont des combattants de la liberté qui traquent les terroristes et aident le peuple américain à construire une démocratie jeffersonienne. Le problème est qu’en ce 16 septembre 2007, selon les enquêteurs du FBI, il n’y avait pas l’ombre d’un terroriste irakien ou autre dans la place Nisour, et que les gardiens de Blackwater avaient tiré avec une violence féroce sur des civils qui vaquaient à leurs occupations sans qu’ils ne fussent menacés par qui que ce soit.
La définition du terroriste est celui qui fait sauter des engins explosifs ou qui tire sur des civils qu’il ne connaît ni d’Eve ni d’Adam dans le but de provoquer le maximum de morts. Selon cette définition, les cinq tueurs de Blackwater s’étaient comportés en terroristes, même s’ils n’en avaient pas les motivations politiques. Par conséquent, le juge Urbina a fait libérer des terroristes qu’il prenait sans doute pour des bienfaiteurs au service du peuple irakien. Et de fait, dans un communiqué diffusé par Blackwater (devenue entre temps Xe Services pour échapper à sa mauvaise réputation), le président de cette compagnie de sécurité, Joseph Yorio, se félicitant de la décision du juge Urbina, a affirmé sans rire que les auteurs de la tuerie de la place Nisour « étaien au service du peuple irakien qu’ils aidaient à construire un Irak libre, sécurisé et démocratique »…
Aux Etats-Unis, c’est connu, les juges sont généralement très motivés politiquement. Leurs convictions politiques sont au moins aussi déterminantes pour la nature de la décision que le texte de loi qu’ils sont censés appliquer. Les citoyens américains accusés de crimes ou délits, particulièrement ceux d’origine africaine, savent que la punition qui les attend sera moins lourde, s’ils ont la chance de tomber sur un juge aux idées libérales plutôt que conservatrices. Plus significatif encore, les décisions rendues par la Cour suprême sont très différentes, pour ne pas dire contradictoires, selon que la majorité des neuf juges soit libérale ou conservatrice. Les gardes de Blackwater ont donc eu la chance de tomber sur un juge qui les considère comme des combattants de la liberté plutôt que comme des tueurs. D’une manière plus générale, ils ont bénéficié d’un système judiciaire américain très sensible aux convictions politiques des juges.
On comprend l’embarras du gouvernement américain pour qui une telle décision ne va sûrement pas contribuer à améliorer sa réputation auprès du monde arabe et musulman. La question qui se pose est pourquoi s’est-il acharné à refuser le jugement des auteurs du crime en Irak et d’exiger leur rapatriement pour qu’ils soient jugés aux Etats-Unis ? On comprend également l’embarras du gouvernement irakien pour qui une telle décision ne va sûrement pas contribuer à améliorer sa crédibilité et sa popularité. Mais la question qui se pose est pourquoi s’est-il soumis facilement au diktat américain et n’a rien fait pour interdire aux criminels de Blackwater de quitter le territoire irakien ?
En attendant les réponses, les survivants irakiens du massacre et les parents des morts continueront longtemps à ruminer leur amertume.