airelibre

Thursday, September 05, 2013

Addiction aux guerres asymétriques

Dans une interview accordée il y a deux jours au journal français ‘Le Figaro’, le président syrien Bashar al Assad a affirmé notamment : « Le Moyen-Orient est un baril de poudre, et le feu s'en approche aujourd'hui. Il ne faut pas seulement parler de la riposte syrienne, mais bien de ce qui pourrait se produire après la première frappe. Or personne ne peut savoir ce qui se passera. Tout le monde perdra le contrôle de la situation lorsque le baril de poudre explosera. Le chaos et l'extrémisme se répandront. Le risque d'une guerre régionale existe. » Le président syrien n’exagère nullement. La situation est explosive, le risque d’une guerre régionale existe et ceux qui s’impatientent d’allumer la mèche du baril de poudre sur lequel repose le Moyen-Orient font preuve d’une grande irresponsabilité dans la mesure où, s’ils savent comment faire pour déclencher une guerre, n’ont pas la moindre idée comment la finir ni jusqu’où le feu ira. Pourquoi cette fixation des Etats-Unis sur la guerre ? Pourquoi sont –ils secoués par cet état de bellicisme permanent ? Peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, les Américains se sont engagés dans la dramatique guerre de Corée. Quelques années après, c’était la tragédie cataclysmique de la guerre d’Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos) qui a duré plus d’une décennie. Moins de cinq ans après la fin de cette tragédie, les Américains ont mis le nez en Afghanistan où, trente ans après, ils ne savent pas encore comment s’en sortir. Sans parler des deux guerres du Golfe par lesquelles l’Amérique a détruit gratuitement l’Irak et infligé à sa population des souffrances bibliques. Guerroyer sans répit pendant soixante ans ça désaxe non seulement les hommes, mais les Etats aussi. A force de mener des guerres non stop contre des adversaires faibles et sans moyens de se défendre, les Etats-Unis sont devenus des intoxiqués de la guerre, des accrocs des conflits asymétriques qu’ils sont sûrs de remporter sans trop de pertes pour eux. Ce qui est, tout le monde en convient, loin d’être synonyme de courage et de grandeur d’âme. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis n’ont agressé que les pays faibles et sous développés. De 1917 à 1990, ils n’ont pas tiré une seule cartouche contre l’Union soviétique, qu’ils qualifiaient pourtant d’ « empire du mal » et qu’ils considéraient comme le pire ennemi qu’ils ont eu dans leur histoire. Mais ils foncent volontiers sur le Vietnam, déjà exsangue après sa guerre contre la France, ou sur un Irak à genoux par 13 ans de sanctions internationales inhumaines. Maintenant les démangeaisons que provoque cette addiction aux guerres asymétriques semble s’emparer de nouveau du locataire de la Maison blanche. Obama ne tient plus en place à cause de ces démangeaisons, et c’est d’autant plus stupéfiant si l’on peut dire que le type est un lauréat du Prix Nobel de la paix qui lui a été décerné en 2010 à la stupéfaction du monde entier et en premier lieu du lauréat lui-même. Car jusqu’à ce jour personne ne sait ni pourquoi ni comment cet honneur a échu à ce président alors fraichement élu. Avec du recul, on peut se demander si le Comité d’attribution du prix Noble de la paix ne l’avait pas attribué à Obama rien que pour le dissuader d’imiter son prédécesseur va-t-en-guerre. Si telle est la raison, c’est raté si l’on en juge par la quantité de drones envoyés chasser les « terroristes » au Waziristan, par son incapacité à sortir son pays du guêpier afghan ou maintenant par sa décision de s’en prendre à la Syrie sans la moindre preuve concrète des accusations qui pleuvent sur ce pays. Par cette dernière décision, Obama vient de se mettre dans le pétrin. Il ne sait plus ce qu’il dit ni ce qu’il fait. Annonçant dans une conférence de presse qu’il a décidé de « punir » le régime syrien par des frappes aériennes « limitées » qui peuvent intervenir « demain, dan une semaine ou un mois », il ajoute aussitôt qu’il demande la permission du Congrès qui ne peut pas se réunir avant le 9 septembre… Une confusion qui reflète l’état d’indécision, d’hésitation et de panique même qui règne à la Maison blanche. Seul le Congrès est capable de le sortir du pétrin dans lequel s’est mis lui-même par sa fanfaronnade inutile des « lignes rouges » tracées à l’attention de Damas. Un vote négatif du Congrès rendrait un service immense à Obama qui, tout comme ses prédécesseurs d’ailleurs, n’a pas l’étoffe et l’envergure d’un homme d’Etat en mesure de museler les instincts agressifs d’une superpuissance qui a succombé depuis longtemps à l’addiction des guerres asymétriques. Et la France dans tout ça. Si Obama s’est mis dans le pétrin, le président français s’est mis dans une situation où il risque d’être ridicule. En effet, après le « choc » qu’était pour lui le vote négatif du parlement britannique, le voilà sur ses nerfs, attendant dans une anxiété certaine le vote des parlementaires américains. Si ceux-ci suivent l’exemple de leurs collègues britanniques, il ne restera plus à Hollande que deux choses à faire : se terrer à l’Elysée avec un bonnet d’âne ou convaincre les pays du Golfe et la Turquie de le suivre dans ce que l’on pourrait imaginer déjà comme une version française de la chevauchée fantastique.

Dieu protège-moi de moi-même...

Avec les expériences désastreuses d’Ennahdha et des « Frères » d’Egypte au pouvoir, on peut dire sans exagération que l’adage « Dieu protège-moi des mes amis, mes ennemis je m’en charge » est entièrement dépassé. Il ne s’applique plus à cette catégorie de politiciens qui ont sévi en Egypte et qui s’accrochent désespérément au pouvoir en Tunisie. En toute logique, leur adage ne peut être désormais que celui-là : « Dieu protège-moi de moi-même, mes amis et mes ennemis je m’en charge ». Le mal que les « Frères » égyptiens se sont auto-infligés est d’une ampleur qui dépasse les imaginations les plus portées sur le pessimisme. Cela fait plus de 80 ans qu’ils désirent ardemment le pouvoir et rêvent de le conquérir par n’importe quel moyen. A peine s’y sont-ils installés qu’ils ont commencé à scier la branche sur laquelle ils s’étaient assis. Ils ont mis un an à la scier ardemment et méthodiquement jusqu’au jour où ils se sont trouvés par terre sans le moindre secours ni du peuple qu’ils n’ont pas pu attirer ni des pays étrangers qu’ils n’ont pas su rassurer. Toutes proportions gardées, le mal fait à la Tunisie par le gouvernement d’Ennahdha n’est pas moindre que celui infligé à l’Egypte par les « Frères ». Les erreurs et les bourdes commises ici ne sont pas moindres que celles commises là-bas, et l’impopularité des islamistes sous nos cieux n’est pas moins étendue que celle qui fait bouillonner les foules sur les bords du Nil. Pourtant les dirigeants islamistes en Egypte sont dans les prisons et s’apprêtent à endurer des procès, et leurs frères en Tunisie continuent de s’accrocher à leurs privilèges illégitimes en dépit du fait qu’une large partie de la population, de la société civile ainsi que de nombreux partis politiques désirent les voir à mille lieux du pouvoir. Si les islamistes d’Ennahdha n’ont pas subi le sort des « Frères » égyptiens, c’est parce qu’ils bénéficient d’un certain nombre d’avantages en Tunisie. Tout d’abord, nécessité oblige il est vrai, ils ont eu la présence d’esprit d’engager avec eux dans l’aventure du pouvoir deux partis « laïques » qu’ils ont rapidement transformé en décor, un décor semblable à celui mis en place par Ben Ali pour faire croire aux Tunisiens et au monde à un pluralisme que tous savaient factice. En d’autres termes, Ennahdha tente de nous fait croire à une vraie coalition avec une prise de décision collective, mais en fait, comme chacun sait, la prise de décision est un monopole islamiste et la responsabilité des décisions est partagée entre les trois partis. Ce jeu politique habile adopté dès le début par Ennahdha a eu le mérite de réduire un peu la pression sur le parti islamiste, un peu comme les vannes qu’on ouvre pour soulager le barrage de la pression des eaux et lui permettre de résister. Le CPR et Ettakattol, en acceptant en contre partie de quelques postes ministériels insignifiants le rôle vannes pour Ennahdha, ont permis à ce parti de résister aux pressions de la rue et de l’opposition et de se maintenir au pouvoir en dépit des résultats désastreux de sa politique qui a fortement fragilisé le pays sur les plans sécuritaire, économique, financier, diplomatique etc. Le second avantage qui a permis à Ennahdha de se maintenir au pouvoir est la léthargie qui caractérise de larges franges de la population tunisienne dont la capacité à supporter les abus de leurs gouvernants est assez substantielle. En effet, l’autoritarisme de Bourguiba et la dictature de Ben Ali ont été supportés respectivement pendant 30 et 23 ans. Le troisième avantage, de loin le plus important, est que l’armée tunisienne, contrairement à l’égyptienne, n’est pas politisée. Si celle-ci est fortement impliquée depuis plus de 60 ans dans la, gestion des affaires politiques et économiques de l’Egypte, celle-là est maintenue depuis sa création et jusqu’à ce jour sous le strict contrôle de l’autorité civile. Sa discipline est telle qu’elle se soumet même aux décisions, parfois incompréhensibles, d’un président de la république dont les pouvoirs ne dépassent guère ceux de la reine d’Angleterre. Mais si les responsables d’Ennahdha ont la chance de bénéficier d’autant d’avantages qui leur ont permis d’éviter d’être éjectés du pouvoir, ils n’ont rien fait, eux, pour s’aider et aider leur parti à s’assurer le minimum de popularité indispensable sans lequel l’exercice du pouvoir se transforme en cauchemar collectif. Il serait fastidieux de revenir en détail sur le nombre et l’énormité des erreurs commises par Ennahdha dans le cadre de ce qu’il faut bien appeler une course effrénée vers l’abîme. Le problème est que cette course ne met pas seulement en danger le parti islamiste, mais le pays entier dont les piliers économiques et sociaux patiemment construits pendant 60 ans sont en train de céder l’un après l’autre, menaçant la Tunisie d’effondrement. En Egypte, comme en Tunisie, dès leur installation au pouvoir, les islamistes semblent avoir été saisis par ce qu’il faut bien appeler une frénésie suicidaire. Les résultats tragiques en Egypte n’ont pas été lus correctement par le pouvoir en Tunisie. Au lieu de tirer les leçons qui s’imposent pour préserver son avenir et éviter au pays des drames de grande ampleur, Ennahdha a préféré poursuivre sa politique de fuite en avant. Il est pathétique de voir ses adversaires dans l’opposition lui tendre des filets de sécurité pour lui éviter la chute brutale des « Frères » égyptiens, mais les « Frères » tunisiens s’obstinent à refuser tout ce qui peut les aider et à s’accrocher à désespérément à une politique qui finira, sauf miracle de dernière heure, par les mener à leur perte. Prions Dieu pour qu’Il les protège d’eux-mêmes et protège d’eux ce pays.