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Monday, June 29, 2009

Israël et l'opinion publique américaine

L’un des motifs principaux qui expliquent l’alignement inconditionnel sur la politique israélienne des administrations américaines successives est …l’alignement tout aussi inconditionnel de l’opinion publique aux Etats-Unis et son approbation de toutes les initiatives agressives et violentes qu’entreprend Israël contre les Arabes. Il est donc logique que tout candidat qui vise la Maison blanche, le Congrès ou même un simple poste de gouverneur cherche à se positionner dans le sens du courant s’il veut accroître ses chances. D’où la surenchère entre les candidats qui, sous l’œil vigilant, et sans doute amusé, du Lobby, rivalisent de louanges obséquieuses envers Israël, frisant parfois le ridicule.
Ce n’est sûrement pas par amour pour Israël ni par conviction que la plupart des candidats à des postes politiques aux Etats-Unis développent un discours pro-israélien, mais par simple opportunisme. Israël joue ici le rôle de monture à enfourcher par quiconque voulant arriver à destination, c'est-à-dire à la Maison blanche ou au Congrès ou à quelque autre poste important aux Etats-Unis. L’exemple le plus édifiant à cet égard est celui de Barack Obama qui, en tant que candidat, n’a pas hésité à qualifier Jérusalem de « capitale indivisible » d’Israël, et, une fois à la Maison blanche, ne cesse d’exiger l’arrêt total de la construction dans les colonies, y compris à Jérusalem-Est.
Généralement on a une idée négative de l’opportunisme politique. Mais dans le cas de Barack Obama, c’est un opportunisme positif, et nul n’est en droit de lui jeter la pierre. Il a utilisé une formule contestée par les Arabes dans le but d’éloigner l’obstacle AIPAC de son chemin. Il a réussi haut la main et c’est tant mieux.
Contrairement à la classe politique, l’opinion publique américaine, elle, n’a ni une ambition affichée ni une compétition et des concurrents à affronter , et donc n’a aucune raison de craindre le Lobby ou de le ménager. Contrairement à la classe politique aussi qui, elle, ne peut ignorer la réalité douloureuse et fondamentalement injuste du conflit israélo-palestinien, l’opinion publique, séparée par d’immenses distances géographiques et culturelles de ce conflit, ne connaît de sa réalité que ce que les médias américains veulent bien qu’elle sache. Et comme les médias eux-mêmes ne peuvent publier que ce qui plaît au Lobby, l’opinion publique américaine a fini par intérioriser le cliché façonné à coups de matraquage médiatique.
Ce cliché se résume en peu de mots : Israël est une démocratie fragile entourée d’ennemis violents qui veulent sa mort. Toutes les guerres qu’il a menées lui ont été imposées par ses ennemis et il a dû s’y engager pour survivre. La classe politique américaine sait que ce cliché n’a aucun rapport ni de près ni de loin avec la réalité, mais feint d’y croire pour les raisons détaillées ci-dessus. En revanche, l’opinion publique, de par son incapacité de recourir à d’autres sources d’information, de par les obstacles infranchissables interdisant au point de vue arabe sur le conflit de parvenir aux citoyens américains, ceux-ci croient de bonne foi à la version tronquée des événements sur la longue période conflictuelle qui a ensanglanté les rapports israélo-arabes.
L’opinion publique américaine n’est pas butée et semble prête à changer d’avis pour peu qu’on lui serve la bonne information, ou qu’on lui corrige la version erronée des événements qui secouent le Moyen-Orient et à laquelle elle croit naïvement, mais de bonne foi.
Le discours de Barack Obama prononcé au Caire le 4 juin dernier a été l’une des très rares occasions qui se présentent au peuple américain pour qu’il prenne connaissance d’informations sensiblement différentes de celles auxquelles l’ont habitué le New York Times, le Washington Post, CNN ou encore Fox News. Obama a certes parlé d’Israël en des termes familiers pour l’oreille américaine, mais a parlé aussi des Palestiniens et de leur calvaire en des termes inhabituels pour le citoyen américain.
Mais déjà deux jours avant le discours d’Obama, un changement intéressant était remarqué au niveau de l’attitude de l’opinion publique américaine envers Israël. Si vous googlez « The Israel Project », vous aurez l’explication suivante : « The Israel Project est une organisation internationale à but non lucratif, oeuvrant à informer la presse et le grand public au sujet d’Israël et du Moyen-Orient ». The Israel Project donc a commandé début juin un sondage à Stanley Greenberg (*) visant à tester l’opinion publique américaine sur le conflit du Moyen-Orient. La surprise était grande.
Le résultat de ce sondage effectué les 2 et 3 juin 2009 est inquiétant pour Israël et pour le Lobby qui le défend aux Etats-Unis. En septembre 2008, ils étaient 69% à se considérer comme pro-israéliens. Aujourd’hui, ils sont 49%. Les mêmes 69% estimaient l’année dernière que les Etats-Unis doivent soutenir Israël. Ils ne sont plus que 44% aujourd’hui.
Il est important de noter que ce sondage a été effectué 24 heures seulement avant le discours d’Obama au Caire, très suivi dans le monde entier, et qui a eu sans aucun doute un effet amplificateur du changement enregistré depuis la guerre de Gaza dans l’attitude de l’opinion américaine vis-à-vis de la question palestinienne. Il y a tout lieu de croire que le pourcentage des Américains qui veulent que leur pays soutienne aujourd’hui Israël est au dessous de 44%.
En toute logique, la classe politique américaine devrait tirer les conclusions qui s’imposent en changeant elle aussi d’attitude. Elle a de moins en moins de raisons de prendre cet air effarouché vis-à-vis du Lobby et de soutenir inconditionnellement Israël.

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(*) http://jta.org/news/article/2009/06/15/1005902/poll-american-voters-suport-of-israel-drops

Sunday, June 28, 2009

Tienanmen 1989 – Téhéran 2009

Si l’Iran avait des relations normales avec les Etats-Unis et les pays européens, y aurait-il eu autant d’agitation médiatique et politique en Occident ? Probablement pas. C’est de bonne guerre. Quand quelque chose nous gêne, on souhaite sa disparition. Le régime iranien gêne le monde politique occidental, et celui-ci souhaite vivement le voir changé. L’excitation avec laquelle les reporters occidentaux ont couvert les événements iraniens et les réactions, rarement posées, des politiciens américains et européens cachent mal le désir intense de voir des hommes politiques plus modérés remplacer ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir en Iran.
A force de prendre leurs désirs pour de la réalité, journalistes et politiciens occidentaux étaient portés le plus naturellement du monde à exagérer la force du mouvement protestataire et à sous-estimer celle du régime iranien et sa détermination à mettre au pas les manifestants anti-Ahmadinejad et pro-Moussaoui. Il y a 20 ans, en juin 1989, on avait assisté à la même surexcitation occidentale à l’occasion des événements de Tienanmen qui avaient secoué la Chine. Là aussi, à lire la presse d’Occident et à entendre les responsables politiques américains et européens, on avait l’impression que le régime chinois était à bout du rouleau et que les étudiants qui le contestaient étaient à deux doigts du pouvoir.
Il faut dire qu’en 1989, l’Occident était euphorique. L’Union soviétique était vaincue en Afghanistan et s’apprêtait à rendre l’âme. Les fissures dans le mur de Berlin étaient béantes et l’Allemagne se préparait à sa réunification après 44 ans de division humiliante. Les Etats-Unis caracolaient en tête des nations, ivres d’être désormais l’unique superpuissance au monde. Bref, en cette année charnière de 1989, Européens et Américains, citoyens et Etats confondus, avaient des raisons objectives de considérer que leur modèle économique et social était le meilleur puisqu’il avait eu le dernier mot dans la bataille politico-idéologique qui l’opposait pendant des décennies au « monde communiste » en général et à l’Union soviétique et ses satellites de l’Europe de l’est en particulier.
C’est dans un tel contexte qu’étaient intervenus les événements de la place Tienanmen à Pékin. L’ivresse des Occidentaux les avait alors empêchés de voir que les protestations estudiantines pour plus de liberté n’étaient qu’un simple feu de paille que le puissant Etat chinois allait facilement et rapidement éteindre. Ils avaient pris le monde communiste comme un bloc unique qui repose sur deux piliers, l’un à Moscou et l’autre à Pékin, et que l’effondrement du pilier moscovite entraînerait l’écroulement du pilier pékinois. Et ils étaient d’autant plus assurés que les événements de Tienanmen étaient perçus comme des fissures irréversibles et des signes avant-coureurs de la fin prochaine du régime chinois.
Les applaudissements et les encouragements que recevaient il y a vingt ans les étudiants contestataires chinois de la part des politiciens et des médias occidentaux n’exprimaient qu’en apparence le désir de voir les Chinois vivre plus librement et plus démocratiquement. Au fond, ce que désiraient ardemment les Occidentaux était l’effondrement d’un régime idéologiquement ennemi et son remplacement par un régime pro-occidental, peu importe qu’il serve ou non les intérêts du peuple chinois.
A ce point de l’analyse, les similitudes entre les événements de Tienanmen de 1989 et ceux de Téhéran cette année sont évidentes. L’Occident en général et les Etats-Unis en particulier ont un problème lancinant avec l’Iran depuis la victoire de la révolution islamique en 1979. Les choses se sont aggravées depuis 2006 quand la question de « la bombe iranienne » a fait irruption sur la place internationale pour devenir la principale pomme de discorde opposant Téhéran d’une part et Washington et Bruxelles de l’autre.
Depuis, le bras de fer engagé prenait, selon les circonstances, la forme de pressions politiques, de sanctions économiques et de menaces d’interventions militaires. Dans cette confrontation, Israël jouait les « Free lance » et poussait de toutes ses forces vers des bombardements massifs des installations nucléaires iraniennes dans le but de maintenir son monopole de l’arme nucléaire au Moyen-Orient.
Puis vint l’élection présidentielle iranienne. Sa contestation par une partie des Iraniens était la bonne surprise d’un Occident qui a commencé à fantasmer sur l’écroulement de la république islamique sous les coups de boutoir qu’elle subirait de l’intérieur. C’est ce fantasme qui explique l’euphorie et la légèreté avec lesquelles médias et politiciens en Occident ont couvert et commenté les événements de Téhéran. L’absence de lucidité a fait que l’essentiel soit oublié : les manifestants de Téhéran n’ont pas plus de force que ceux de Tienanmen et, face à la contestation, le régime iranien de 2009 est aussi puissant que le régime chinois de 1989.
Autre point essentiel que l’euphorie semble avoir fait oublier aux commentateurs occidentaux : les chefs de la contestation iraniens ne sont pas des opposants au régime, mais en font partie intégrante. Et on peut même dire que si Moussaoui avait remporté l’élection, rien ne prouve que les divergences entre l’Iran et l’Occident sur l’arme nucléaire seraient moins aiguës.
En attendant la prochaine crise, la question qui se pose est la suivante : Tienanmen 1989 et Téhéran 2009 serviront-ils de leçons à l’avenir pour que l’Occident adopte des analyses un peu plus lucides et un peu moins euphoriques ?

Wednesday, June 24, 2009

Déferlante obscurantiste

Quatre hommes ont été condamnés lundi dernier à Mogadiscio à l’amputation de la main droite et de la jambe gauche. Leur crime ? Ils ont volé trois téléphones portables et deux fusils. En octobre 2008, une jeune fille de 13 ans a été enterrée jusqu’au cou et lapidée à mort à Kismayo, en Somalie, par 50 hommes. Son crime ? Elle a été se plaindre aux autorités du viol que trois hommes lui ont fait subir. Il y a une semaine ou deux, ordre a été donné au peuple somalien de ne plus regarder de films à la télévision. Les familles ont été averties qu’elles pourraient recevoir à tout moment la visite des gardiens de la morale publique, et si elles sont attrapées en flagrant délit de cinéphilie, elles seront « punies »…
Cela se passe dans la corne de l’Afrique, et ceux qui se trouvent derrière ces absurdités tragiques sont de jeunes barbus qui se font appeler les « Shebab ». Ces illuminés croient dur comme fer que c’est Dieu qui le a choisis pour sauver le monde, et ils s’y emploient donc en commençant par la Somalie, alors qu’ils auraient dû commencer d’abord par apprendre à écrire leur nom.
Le drame est que ces tragédies d’un genre nouveau que même les sociétés préislamiques n’ont pas connues, ne sont pas propres à la Somalie, un pays englouti dans l’anarchie depuis 1990. Plusieurs pays musulmans sont aujourd’hui frappés ou menacés par cette déferlante obscurantiste que l’histoire de l’islam n’a jamais connue en un millénaire et demi d’histoire. Le bref épisode de terrorisme aveugle des assassins (hachachines) et de leur chef Hassan Assabah au XIIIe siècle est un jeu d’enfants par rapport à cette déferlante.
Dans un siècle ou deux, les historiens seront sans aucun doute désorientés face à l’étrange paradoxe que le monde vit à l’aube de ce troisième millénaire. D’un côté, il y a cette vertigineuse accumulation des connaissances et cet extraordinaire développement de la technologie dans tous les domaines, et en particulier dans celui de la communication. Et de l’autre, il y a cette non moins vertigineuse accumulation de nuages noirs de l’ignorance et du fanatisme qui viennent obscurcir chaque jour un peu plus la vie sur terre.
Plus désorientant encore pour nos futurs historiens : l’utilisation par les obscurantistes des nouvelles technologies pour faire gagner du terrain à l’ignorance et au fanatisme. L’exemple le plus terrifiant est celui de certaines chaînes satellitaires du Golfe. L’une d’elles a diffusé récemment un programme dans lequel l’un de ces barbus illuminés parlait aux téléspectateurs en ces termes : « Une femme rentrait chez elle en taxi avec son nouveau né après avoir accouché dans un hôpital. Dès qu’elle a pris place dans le taxi avec son nouveau né dans les bras, celui-ci a dit :’Assalamou Alaikom’. Face à la mère et au chauffeur de taxi terrifiés, le nouveau né s’est montré rassurant :’N’ayez crainte, je suis le Messie (Al Mahdi al-Mountadhar).’. Le Messie a aussitôt été pris en charge par les personnes appropriées. Il est en lieu sûr et secret. Il sauvera le monde quand il atteindra l’âge de 20 ans »… Voilà où on en est aujourd’hui, 40 ans après la conquête de la lune.
Mais la déferlante obscurantiste a déjà traversé les frontières du monde islamique et tente de se frayer son chemin en Europe où les contrôleurs danois des transports publics ne savent pas trop à quel saint se vouer face à ces femmes qui leur présentent un abonnement alors qu’elles sont couvertes de tissu noir de la tête aux pieds et refusent de dévoiler le visage, ou encore en France où, après plus de deux siècles de laïcité triomphante, le parlement est saisi de la question du Niqab après avoir été forcé de légiférer quelques années plus tôt sur le voile à l’école.
Pour revenir à la Somalie, les « Shebab » ont l’avantage sur le terrain et, s’ils arrivent à renverser le gouvernement (ou ce qui en reste), ils établiront un régime genre taliban avec interdiction absolue pour les femmes de sortir, pour les jeunes filles de s’instruire et pour les hommes de faire autre chose que de mémoriser le Coran, sans bien sûr le comprendre, et prier. Et quiconque s’opposerait à leur fanatisme est forcément un ennemi de Dieu à éliminer de la surface de la terre.
Depuis le renversement de Mohamed Siad Barré en 1990, le peuple somalien n’a jamais été dans une situation aussi critique. Depuis le mois de mai, 100.000 personnes ont fui leurs foyers à Mogadiscio et errent dans les sentiers poussiéreux des villages fantômes de Somalie. Le peuple somalien est en danger. En droit, ne pas assister une personne en danger est passible de prison. Mais il n’y a pas de lois qui punissent la non-assistance de peuple en danger.
Sauver le peuple somalien d’un régime qui condamne un voleur de portable à l’amputation de la main droite et de la jambe gauche et les femmes violées à la lapidation est une obligation morale et un devoir politique impérieux face auxquels le principe de non ingérence doit s’éclipser.
Dans l’état désespéré où il se trouve, le président somalien a appelé ses voisins (Ethiopie, Kenya, Djibouti) à intervenir militairement pour sauver ce qui peut l’être encore de la Somalie. L’Union africaine est déjà sur place, mais ses forces sont sous équipées et ont elles-mêmes besoin de renforts.
Mais le défi ne se pose pas seulement pour la Somalie loin s’en faut. Toutes proportions gardées, les difficultés rencontrées par le président somalien dans l’exercice de ses fonctions ont la même origine que celles que rencontrent les contrôleurs des transports publics danois dans l’accomplissement de leur travail ou encore le parlement français qui a sans doute mieux à faire que de perdre son temps et son énergie à enquêter sur ces silhouettes noires de plus en plus nombreuses dans les rues des villes françaises. Par conséquent l’aide que le gouvernement somalien doit recevoir de toute urgence n’est pas seulement dans l’intérêt du Kenya et de l’Ethiopie, mais aussi du Danemark et de la France.

Monday, June 22, 2009

Iran: de la fracture au schisme

La fissure est évidente aujourd’hui en Iran. Ceux qui défient le pouvoir à Téhéran ne sont pas des ennemis traditionnels de la république islamique, ni des nostalgiques du règne des Pahlavi, ni encore des « terroristes » du mouvement Moujahidine Khalq, mais des fils de la révolution ayant joué un rôle majeur dans le renversement du régime du Chah en 1979. Parmi les plus connus, il y a Mir Hussein Moussaoui, Premier ministre pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), l’ayatollah Montazeri, favori pour succéder à l’imam Khomeiny mais avait perdu face à l’ayatollah Khamenei, Hachemi Rafsanjani, président de la puissante assemblée des experts, Mehdi Karroubi, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2005 remporté par Ahmadinejad etc…
En fait la contestation à l’intérieur de l’establishment politico-religieux iranien ne date pas d’aujourd’hui. Déjà lors de l’élection de 2005 remportée par Mahmoud Ahmadinejad au second tour, le candidat Karroubi s’était plaint qu’ « réseau de mosquées, de pasdaran et de basij avait mobilisé illégalement le soutien à Ahmadinejad. Karroubi était même allé jusqu’à accuser Mojtaba Khamenei (le fils de guide) de faire partie des « conspirateurs », ce qui lui avait valu les remontrances du guide suprême et le soutien de Hachemi Rafsanjani.
Déjà en 2005, la ligne de fracture était claire entre les réformateurs et les conservateurs, entre ceux qui voulaient sortir l’Iran de son isolement international et ceux qui se méfiaient de toute ouverture sur l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier. Aujourd’hui, cette fracture a les propriétés de ce qu’on peut appeler un véritable schisme au sein de l’establishment puisque la bataille s’est déplacée dans la rue et, compte tenu des centaines de victimes (entre morts et blessés), la rupture semble consommée.
Les plus optimistes en Iran ont imaginé que le guide Khamenei, dans le discours qu’il avait prononcé vendredi dernier, trouverait les mots magiques qui réconcilieraient tout le monde et rétabliraient la paix civile qui régnait en Iran depuis trente ans. Mais le discours était clair, net et précis. Le guide s’est aligné sur Ahmadinejad qui, a-t-il insisté, a remporté les élections avec plus de 63% des voix, qu’il est le président que le peuple a choisi, que les troubles doivent cesser immédiatement et que ceux qui continueront à appeler les gens à descendre dans la rue assumeront les conséquences du sang versé et du chaos.
Le suspense n’a pas duré longtemps. Moins de vingt quatre heures après le discours de Khamenei, et en dépit de la stricte interdiction des rassemblements publics, des milliers de manifestants ont défilé dans le circuit traditionnel des manifestations à Téhéran, de la place Enguelab (Révolution en persan) à la place Azadi (Liberté). Le clash avec les forces de l’ordre était inévitable et, encore une fois, des dizaines de victimes sont tombées. Pour la seule journée de samedi, on parle d’une dizaine de morts et d’une centaine de blessés.
Le bras de fer qui s’est engagé entre les compagnons d’armes iraniens n’a rien d’étonnant. Toutes les révolutions sans exception ont abouti à des fractures irréversibles entre ceux qui ont œuvré main dans la main au succès du changement de régime. Aucune révolution n’a échappé à cette règle, et si l’on doit s’étonner de quelque chose, c’est plutôt du fait que le consensus ait duré, du moins en apparence, pendant pratiquement trois décennies avant que le schisme n’éclate au grand jour.
Ce bras de fer tourne autour de deux convictions contradictoires, celle du pouvoir qui estime que l’élection présidentielle a été régulière et que le nombre de 24 millions d’électeurs ayant voté pour Ahmadinejad est indiscutable, et celle de l’opposition qui refuse cette élection « trafiquée ». Mais au-delà de l’élection et indépendamment du fait qu’elle soit trafiquée ou non, la réalité est que la société iranienne n’est plus soudée comme avant contre les « dangers extérieurs ». La dynamique qui la traverse aujourd’hui la rend transparente, et le monde entier peut voir cette ligne de démarcation qui partage les deux camps qui s’affrontent et dont l’un estime que le danger pour le pays provient de l’extérieur, et l’autre considère que ce danger provient plutôt de l’intérieur, c'est-à-dire de la rigidité du pouvoir, de sa propension aux discours « inutilement provocateurs » et de sa pratique politique qui fait toujours de l’Iran un pays « paria » aux yeux des puissances influentes dans le monde.
Les forts soupçons qui pèsent sur les résultats de l’élection présidentielle de juin 2009 ont brusquement mis au devant de la scène la nouvelle réalité de l’Iran divisé entre une opposition de plus en plus hardie qui pousse de toutes ses forces vers le changement, et un pouvoir de plus en plus crispé qui utilise ses forces policières et militaires pour maintenir les choses dans un état statique.
En dépit de certaines similitudes avec les événements de 1978-79 qui avaient emporté la dictature du Chah (manifestations violentes, incendies de bâtiments publics, manifestants de nuit sur les toits criant ‘Mort au dictateur’ et ‘Allahou Akbar’ ), il ne faut pas croire que le régime des mollahs est prêt de s’effondrer. Suite à ces événements, il a sans doute perdu en crédibilité et en légitimité aux yeux de millions d’Iraniens, mais les structures qui le défendent (police, armée, basij, gardiens de la révolution) sont encore assez solides et assez homogènes pour relever le défi posé par le développement de la contestation réformiste.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr que les commentaires des responsables occidentaux (Barack Obama et Angela Merkel en tête) soient de nature à aider les contestataires dans leur lutte ou à convaincre le pouvoir iranien de s’ouvrir à la négociation sur le double plan intérieur et international. Au contraire, ces commentaires, considérées comme une « ingérence intolérable » par Téhéran, versent de l’eau au moulin des conservateurs qui accusent les réformateurs d’être « à la solde des ennemis de l’Iran ». M. Obama et Mme Merkel sont sûrement soumis à des pressions politiques internes qui les poussent à prendre position en faveur des manifestants. Ils ont pourtant un argument de poids pour justifier la non ingérence : éviter d’occasionner une gêne aux chefs des réformateurs par un soutien plutôt embarrassant et qui risque de leur causer plus de dommages que de bénéfices, et ne pas donner des raisons supplémentaires au pouvoir iranien de se raidir encore plus.

Wednesday, June 17, 2009

Une bonne question au président Obama

Il y a un cliché largement répandu en Occident selon lequel les Arabes sont des peuples amers, sous développés et jouissant de peu de droits. Par conséquent leur attitude envers les pays développés est déterminée par la jalousie, et ils détestent l’Amérique parce qu’ils envient sa richesse et la liberté dont jouissent ses citoyens. Les huit ans de règne de George Bush étaient pour beaucoup dans la consolidation de ce cliché.
On ne peut pas nier qu’il y a de l’amertume et de la frustration dans le monde arabe. Mais elles ne sont pas dues à la jalousie et à l’envie, mais au sentiment déstabilisant d’injustice que les Arabes éprouvent jour après jour et année après année à cause de la politique occidentale en général et américaine en particulier à l’égard du monde arabe. Une politique trop déséquilibrée, trop biaisée, systématiquement anti-arabe et obstinément pro-israélienne.
Au temps de Bush, la Maison blanche, qui ne brillait pas alors par les analyses sérieuses et percutantes, expliquait l’anti-américanisme du public arabe par l’ « incompétence » des responsables des relations publiques (public relations) qui ne savaient comment s’y prendre avec ce public pour lui expliquer les efforts titanesques que déploient les Etats-Unis pour le bien et la prospérité du monde, et donc du monde arabe aussi. On ne sait pas si c’était par naïveté ou par machiavélisme, mais Bush croyait à cette histoire de père Noël puisqu’il n’arrêtait pas de changer les responsables des relations publiques.
Cette histoire d’incompétence attribuée à de hauts fonctionnaires chargés des relations publiques était commode dans la mesure où elle évitait aux administrations américaines successives d’aller aux racines du problème qui sont l’injustice, le soutien systématique apporté à Israël, la mort de milliers d’innocents en Palestine, au Liban et ailleurs par des mains israéliennes utilisant des armes, des munitions, des hélicoptères et des bombardiers made in USA. C’est là où se trouve le nœud du problème.
L’Amérique sait parfaitement bien qu’une simple condamnation faite par un fonctionnaire subalterne de la Maison blanche ou du département d’Etat condamnant la destruction de maisons palestiniennes par des soldats israéliens à l’aide de bulldozers américains, aurait plus d’impact sur le public arabe qu’une armée d’experts en relations publiques.
Tous ceux qui dans le monde arabe ont suivi mardi dernier la visite de l’ancien président Jimmy Carter à Gaza, auraient certainement apprécié sa remarque sur « la part de responsabilité » qu’il ressent face à l’ampleur des destructions résultant de la guerre de décembre 2008-janvier 2009, du fait de l’utilisation par les Israéliens de l’armement américain.
Mais le problème, c’est que cette reconnaissance d’une part de responsabilité par le citoyen Carter ne va rien changer sur le terrain parce qu’il n’a aucune influence ni sur les décisions prises en Israël ni sur celles prises aux Etats-Unis. Quand il était président (1976-1980) il n’avait rien fait pour arrêter l’élan expansionniste du gouvernement de Menahem Begin, alors chef du gouvernement le plus à droite qu’ait connu Israël, et qui était arrivé au pouvoir en 1977.
C’est à croire qu’il y a une règle politique non écrite aux Etats-Unis qui veut que celui qui détient le pouvoir doit se mettre au service d’Israël, et celui qui le perd peut se permettre quelques gentillesses vis-à-vis des Arabes. A un certain moment on a cru qu’Obama allait transgresser cette règle, car dès son entrée à la Maison blanche, il a donné son premier coup de téléphone à Mahmoud Abbas, sa première interview à la chaîne « Al Arabya », et a même esquissé tout récemment une attitude objective dans le traitement du dossier israélo-arabe, en exigeant un gel total des constructions dans les colonies. Mais visiblement cette règle semble difficile à transgresser.
D’après des diplomates occidentaux non identifiés, cités mardi par les agences de presse, « Washington a fait preuve de compréhension à l’égard de l’argumentation israélienne sur les colonies ». Netanyahu a, semble-t-il, changé de musique en envoyant ses collaborateurs expliquer aux Américains que, en fait, ce n’est pas que le gouvernement israélien ne veut pas, mais ne peut pas geler les colonies. La raison est simple comme bonjour d’après les démagogues d’Israël : les colonies ne sont pas un problème politique, mais un problème d’appel d’offres et de contrats signés entre promoteurs et acheteurs face auxquels le gouvernement Netanyahu se tient impuissant. Et à supposer que ce gouvernement prenne la décision de s’opposer à ces appels d’offres et à ces contrats signés, il aurait été traîné en justice par les colons devant la Cour suprême israélienne qui l’aurait débouté pour abus de pouvoir…
Quand la Maison blanche se tait face à de telles absurdités qui transforment le plus grand problème politique du Moyen-Orient en une simple question d’appel d’offres et de contrats de vente, quand elle juge positivement le discours de Netanyahu qui ne fait qu’enfoncer encore plus toute la région dans l’impasse, on se demande ce que signifie la main tendue d’Obama au monde musulman et de quelle crédibilité ses discours d’Istanbul et du Caire peuvent se prévaloir ?
En 1960, le président John Kennedy a promis aux Américains la lune en une décennie. Beaucoup à l’époque avaient arboré un sourire incrédule. Ils avaient tort. En moins d’une décennie, la bannière étoilée était plantée par Neil Armstrong sur le sol lunaire.
Depuis des décennies, pratiquement les présidents américains successifs ne cessent de promettre leur aide à la création d’un Etat palestinien, et même de fixer des échéances pour cela, la dernière étant fixée pour 2005 par la feuille de route…
Une bonne question à méditer par le président Obama : pourquoi est-il plus facile pour les Etats-Unis de conquérir la lune que de résoudre une injustice commise à l’aide d’armes américaines contre un peuple sans défense ?

Monday, June 15, 2009

Retour à la case départ

Beaucoup de ceux qui ont pris la peine de suivre en direct le chef du Likoud développer ses vues sur l’avenir des relations israélo-palestiniennes, regrettent d’avoir perdu leur temps à écouter des propositions dont on ne sait trop si on doit en rire ou en pleurer.
A écouter le Premier ministre israélien parler, on ne peut s’empêcher d’être frappé par le paradoxe effarant entre le caractère dramatique du conflit israélo-arabe et les propositions comiques faites pour le résoudre. La mine grave et sérieuse qu’affichait Netanyahu n’affectait en rien le caractère comique de son discours.
Après plus de 60 ans de conflit larvé, après plus de 40 ans d’occupation, de répression et de souffrances bibliques endurées par les Palestiniens, Benyamin Netanyahu a trouvé la parade : Un Etat palestinien sans frontières définies et qui ne contrôle ni son espace aérien ni ses eaux territoriales ; il sera démilitarisé (« Le territoire alloué aux Palestiniens sera sans armée, sans contrôle de l'espace aérien, sans entrée d'armes, sans la possibilité de nouer des alliances avec l'Iran ou le Hezbollah », dit-il en substance) ; les Palestiniens doivent reconnaître la caractère juif de l’Etat israélien ; la question des réfugiés doit être résolue en dehors d’Israël ; Jérusalem, est et ouest réunis, sera la capitale d’Israël ; last but not least, il n’y aura pas de gel de la construction dans les colonies, car « les colons ont le droit de vivre normalement », c'est-à-dire d’étendre leurs colonies avec de nouvelles constructions chaque fois que la « progression démographique » l’impose.
Plus comique encore, Netanyahu s’est dit « prêt à aller à Ryadh, Beyrouth ou Damas pour discuter de paix ». Si c’est pour répéter les inepties contenues dans son discours de dimanche, il y a peu de chance de voir les Saoudiens, les Libanais ou les Syriens se ruer vers le bureau de poste le plus proche pour lui envoyer une invitation sous pli recommandé.
En fait, ce discours netanyahuesque ne peut décevoir que ceux qui imaginaient que l’actuel Premier ministre israélien puisse un jour se transformer en homme politique sérieux, capable de faire la paix. L’homme est connu pour son fanatisme, son étroitesse d’esprit et son incapacité congénitale à proposer une politique constructive. Au cours de son premier mandat à la tête du gouvernement israélien (1996-1999), il s’était employé pendant ces trois années à détruire systématiquement les accords d’Oslo, conclus en septembre 1993 après de longues et laborieuses négociations. Et il avait largement réussi sa mission destructrice.
Après une décennie de traversée de désert, Netanyahu s’est trouvé à nouveau à la tête du gouvernement israélien. Sa mission était claire dès le départ : perpétuer le statu quo. Toutefois, s’étant trouvé sous une pression intense de la part de l’actuel président américain, il a eu l’idée de faire un discours dans lequel il donnerait l’impression d’accéder à la principale demande d’Obama, la reconnaissance de la solution de deux Etats, mais en posant toutes les conditions inacceptables par les Arabes, de manière à vider aussitôt cette reconnaissance de toute substance.
En apprenant par le journal israélien « Haaretz » qu’Obama jouait au golf au moment où Netanyahu prononçait son discours, il y en a qui ont interprété cela comme une position en elle-même exprimant le mécontentement de la Maison blanche face aux propositions du Premier ministre israélien. Mais c’était une erreur, car, aussi étonnant que cela puisse paraître, la Maison blanche a bien réagi, décrivant les absurdités débitées par Netanyahu comme « un pas important en avant ».
On se demande ici s’il ne s’agit pas plutôt d’un pas en arrière de la part de la Maison blanche qui, après avoir donné l’impression d’exercer des pressions sérieuses sur Israël, semble maintenant prête à prendre la monnaie de singe de Netanyahu pour moyen de paiement acceptable. La Maison blanche et le département d’Etat ne peuvent pas être naïfs au point de ne voir dans le discours de Netanyahu ni ses positions racistes sur le caractère juif d’Israël, ni son refus de partager Jérusalem, ni sa détermination à poursuivre l’élargissement des colonies, ni son mépris du dossier des réfugiés, mais seulement sa prononciation du mot « Etat palestinien ».
La Maison blanche feint de croire qu’il suffit que Netanyahu prononce le terme « Etat palestinien » pour qu’on ait entre les mains ce mot magique, ce sésame qui ouvrirait les portes du paradis et fermerait celles de l’enfer palestinien. Dans sa précipitation de réagir positivement à cette fausse concession de Netanyahu, la Maison blanche n’a même pas pris le soin d’écouter attentivement la suite : « un Etat palestinien sans armée, sans contrôle de l'espace aérien, sans entrée d'armes, sans la possibilité de nouer des alliances... »
Mais Netanyahu ne peut pas être naïf non plus au point d’imaginer un seul instant que ses propositions puissent être acceptées par la partie palestinienne. Il sait d’avance que ses propositions seront rejetées par l’ensemble du monde arabe et, visiblement, il a pris trop de précautions pour qu’elles le soient. Car en fait, ce qui intéresse Netanyahu, ce n’est pas d’œuvrer pour une paix à laquelle il n’a jamais cru, mais d’assurer la pérennité du statu quo tout en jetant un os en direction de la Maison blanche.
Mustapha Barghouthi, un député palestinien mesuré et raisonnable a eu le mot juste : « Netanyahu n’a pas endossé un Etat palestinien, mais un ghetto. Il a endossé un Etat qui serait soumis au contrôle israélien. Il a prouvé qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix en Israël. Tout son discours concernait la consolidation de l’apartheid. Ceci ne mènera pas à la paix. » Gageons que cette réaction palestinienne ainsi que celle de la Maison blanche sont de nature à remplir d’aise Netanyahu. Il les utilisera comme argument pour confronter sa droite furieuse que son chef ait blasphémé en prononçant le mot tabou. Il pourra répondre à ceux qui, en Israël, l’accusent d’ « essayer de manger du cochon après l’avoir égorgé de manière casher », qu’il n’en est rien, qu’il a amorcé le retour à la case départ et que le statu quo a encore de beaux jours devant lui.

Saturday, June 13, 2009

La réélection d'Ahmadinejad et le contentieux USA-Iran

L’élection présidentielle iranienne a, pour la première fois depuis la révolution islamique de 1979, mobilisé massivement les électeurs et suscité plus d’intérêt que d’habitude à l’étranger, en particulier dans les pays occidentaux. Il est vrai que les débats entre les candidats conservateur et réformiste, Mahmoud Ahmadinejad et Mir Hussein Moussaoui ont été passionnés, parfois excessifs au point que le président candidat, furieux d’avoir été accusé de mensonges, a lui-même versé dans l’excès en menaçant carrément de prison ses rivaux. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter les deux tiers des voix des Iraniens.
Ahmadinejad a donc été reconduit pour un nouveau mandat. Cela démontre l’aspect encore foncièrement conservateur de l’Iran. Mais supposons que c’est son rival Moussaoui qui a remporté le scrutin présidentiel, les choses changeront-elles fondamentalement ? Il est permis d’en douter. Avant Ahmadinejad, les Iraniens avaient bien élu un président réformateur en la personne de Mohamed Khatami. Il avait eu très peu d’influence et ce qu’il préconisait était systématiquement contré par les politiciens conservateurs qui bénéficiaient du soutien tacite ou ouvert du guide Ali Khamenei.
Le système politique iranien est particulier. Il repose sur un pilier fondamental : le principe du Wilayet el Faqih, l’un de principes clés de l’islam chiite selon lequel le clergé chiite a la primauté sur le pouvoir politique, c'est-à-dire que celui-ci doit nécessairement être soumis à celui-là. Plus concrètement, depuis 1979 jusqu’à ce jour, il n’y a eu que deux véritables détenteurs du pouvoir en Iran : Khomeiny et, après sa mort, son successeur Khamnei.
Beaucoup aujourd’hui en Occident, et principalement aux Etats-Unis, se lamentent sur la défaite de la laïcité en Iran et, en désespoir de cause, en viennent à souhaiter l’élection à la présidence du candidat le plus ouvert, tout en feignant d’ignorer que, conservateur ou réformateur, le président élu ne pourra imposer aucune décision si elle n’a pas l’aval du guide suprême, c'est-à-dire du Wali el-Faqih.
S’il avait été laissé tranquille par les puissances étrangères, le peuple iranien n’aurait probablement jamais eu l’idée de répudier la laïcité et d’imposer par le bais d’un mouvement violent un régime basé sur la confusion entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Par conséquent, on peut dire sans risque d’erreur que les graines de la défaite de la laïcité et de la démocratie en Iran ont été semées par le président Eisenhower lui-même qui avait décidé en 1953 de renverser par la force le régime démocratiquement élu du Premier ministre iranien Mohamed Mosaddeq.
Maintenant on sait que la CIA avait envoyé secrètement en Iran son agent Kermit Roosevelt (le petit fils du président Theodore Roosevelt) avec l’argent et la carte blanche nécessaires à l’instigation du complot. Il avait été généreux avec les militaires soudoyés pour mener le coup, avec les journaux achetés pour publier des mensonges, avec les mercenaires payés pour fomenter les troubles insurrectionnels. En un mot, le petit fils du président Roosevelt avait mené à bien l’ordre donné à la CIA par le président Eisenhower qui croyait ainsi servir les intérêts américains.
Cette décision d’Eisenhower allait s’avérer être l’une des décisions les plus désastreuses pour les intérêts américains. Peut-être pas aussi désastreuse que celle de George Bush quand il a tourné le dos à l’Afghanistan pour aller guerroyer en Irak, mais suffisamment grave pour altérer sérieusement ces intérêts dans le long terme au Golfe et au Moyen-Orient. La décision d’Eisenhower est pour beaucoup dans la perte totale de crédibilité du credo américain selon lequel « les Etats-Unis ont été choisi par le destin pour apporter au monde la liberté, la démocratie et la prospérité ».
Dans son discours au Caire, le président Obama a surpris plus d’un en se référant à ces événements et en reconnaissant la responsabilité des Etats-Unis en ces termes : « Pendant de nombreuses années, l'Iran s'est défini en partie par son opposition à mon pays et il existe en effet un passé tumultueux entre nos deux pays. En pleine Guerre froide, les États-Unis ont joué un rôle dans le renversement d'un gouvernement iranien démocratiquement élu. Depuis la révolution islamique, l'Iran a joué un rôle dans la prise d'otages et dans des actes de violence à l'encontre des troupes et des civils américains. Cette histoire est bien connue. »
Cette histoire est bien connue certes, mais chacun des deux protagonistes, les Etats-Unis et l’Iran, la connaît à sa manière et en fonction de ce qu’il a subi de l’autre et non en fonction de ce qui lui a fait subir.
Les Américains ne voient leurs relations avec l’Iran qu’à travers la prise d’otages des diplomates américains pendant 444 jours, la rhétorique anti-américaine et anti-israélienne des dirigeants iraniens, l’aide apportée par l’Iran aux mouvements que Washington considère comme « terroristes ». Quant aux Iraniens, ils se considèrent comme les victimes de la politique impériale américaine et appréhendent leurs relations avec les Américains à travers le coup d’état de 1953, l’aide politique et militaire apportée par Washington à l’Irak durant sa guerre avec la république islamique (1980-1988), ou encore à travers les menaces de changement de régime par la force proférées de temps à autre, notamment par le régime de George W. Bush.
Maintenant Ahmadinejad est réélu triomphalement par les Iraniens en dépit, ou peut-être à cause, de ses diatribes anti-américaines et anti-israéliennes. Mais, comme on l’a analysé plus haut, l’issue de l’élection présidentielle en Iran a très peu d’influence sur la résolution du contentieux qui oppose Washington à Téhéran. Celui-ci est si lourd et si complexe que sa résolution nécessite un changement radical d’attitude, peut-être même une révolution dans les mentalités des deux protagonistes. La logique veut que pour parcourir la longue distance qui les sépare, Américains et Iraniens doivent commencer par un pas. Pour les Iraniens, ce pas consisterait à arrêter de chanter à tout bout de champ « Mort à l’Amérique ». Pour les Américains, il consisterait à s’abstenir de pointer du doigt vers Téhéran chaque fois qu’ils entendent prononcer le mot terrorisme.

Wednesday, June 10, 2009

La maison de verre israélienne

Cela fait penser à un trafiquant de drogue notoire qui peste contre la police et l’accuse de ne pas faire son travail en laissant la bride sur le cou aux vendeurs de cigarettes qui mettent en danger la santé des citoyens. Absurde ? Incroyable ? Tragi-comique ? On peut aligner tous les adjectifs qu’on veut. Cela ne change rien au fait qu’un tel comportement existe sur la scène internationale et que la communauté des nations ne semble pas s’en offusquer outre mesure.
Tout le monde sait qu’il y a pléonasme quand on dit qu’Israël est un pays arrogant. Depuis sa création, ce pays s’est révélé être atteint d’une incapacité congénitale à respecter les lois internationales, les normes morales, le droit de propriété, les règles de bon voisinage et autres civilités dont la classe politique israélienne ignore l’existence. Ce pays s’est toujours comporté vis-à-vis des Arabes en général et des Palestiniens en particulier avec une arrogance telle que quoi qu’il fasse, il lui est impossible de pouvoir nous étonner.
Pourtant, cette semaine il a réussi l’exploit de nous ébahir. Ce pays qui a toujours refusé de signer le traité de non prolifération nucléaire (TNP) et qui croule sous des centaines de bombes atomiques, s’en prend au « laxisme » de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) et lui intime l’ordre de demander des comptes à l’Iran et à la Syrie dont « les programmes nucléaires comportent plusieurs questions restées sans réponse ».
Ici l’arrogance ou la mauvaise foi deviennent impropres pour qualifier le comportement de l’Etat israélien. Inutile de chercher dans le dictionnaire, cela n’existe pas. Car, Pierre Larousse et Claude Augé, même avec une imagination débordante, n’auraient jamais imaginé le scénario du trafiquant de drogue qui, soucieux de la bonne santé des citoyens, appelle la police à arrêter les vendeurs de cigarettes.
C’est peut-être par devoir de réserve que les fonctionnaires de l’AIEA n’ont pas commenté la « sortie » israélienne. Mais il est certain que derrière les portes closes des locaux de l’Agence à Vienne, le sujet a dû être commenté en long et en large. Peut-être a-t-il suscité colère et sarcasme. Peut-être le directeur général Mohamed Elbradei, dont Israël attend avec impatience la fin du mandat, a-t-il puisé dans le réservoir humoristique égyptien pour commenter la demande israélienne à sa manière et susciter quelques éclats de rire chez ses collaborateurs.
Mais à supposer que les gens de l’AIEA aient ri de cette incongruité israélienne, ils n’auraient sûrement pas ri de bon cœur. Le rire, dans ces conditions ne peut être que jaune, couleur du « yellowcake », ce concentré d’uranium qui, traité dans une centrifugeuse, devient de l’uranium enrichi, propre à la production d’armes nucléaires.
Voici une occasion de rappeler encore une fois le secret de polichinelle de la bombe atomique israélienne qui remonte à près d’un demi siècle. La décision de se doter de la bombe nucléaire a été prise par David Ben Gourion lui-même en 1952. Les physiciens nucléaires israéliens avaient alors développé une nouvelle méthode d’extraire l’eau lourde de l’eau ordinaire, une méthode qui leur avait permis de transformer l’uranium solide en uranium gazeux et de l’enrichir.
De leur côté, les politiciens israéliens avaient réussi à intéresser la France à leur projet nucléaire. Une véritable coopération s’est alors engagée. Des physiciens nucléaires israéliens, dirigés par le plus célèbre d’entre eux, Amos de Shalit, avaient séjourné pendant des mois au centre du programme nucléaire français à Saclay, en banlieue parisienne.
Vers la fin des années 1950, Israël, avec l’assistance de la France, a lancé la construction d’un grand réacteur nucléaire dans le désert du Néguev, et plus précisément dans la localité de Dimona. En 1959, De Gaulle devint Président. Il lia aussitôt la continuation de l’assistance nucléaire française à une promesse publique de Ben Gourion que le réacteur de Dimona servirait seulement «les objectifs pacifiques».
Evidemment, le premier Premier ministre d’Israël ne trouva aucun scrupule à faire la promesse exigée par De Gaulle, tout en sachant pertinemment que le réacteur de Dimona était conçu pour fabriquer les armes nucléaires. En 1963, les travaux à Dimona étaient achevés et le réacteur avait commencé à fonctionner non pour produire l’électricité, comme Ben Gourion l’avait promis à De Gaulle, mais les bombes nucléaires qu’Israël avait commencé à entreposer dans ses dépôts depuis le début des années 1960, c’est-à-dire il y a près d’un demi siècle. Maintenant, on parle de 150 à 200 bombes atomiques entreposées quelque part en Israël, les seules qui existent au moyen-Orient.
Imaginions un autre pays dans la même situation qu’Israël et faisant les mêmes demandes incongrues à l’AIEA, sans toutefois bénéficier du soutien et de la complaisance de l’Amérique et de l’Europe. Le déchaînement des médias et des cercles politiques et intellectuels occidentaux aurait été tel que le monde serait mis sens dessus dessous. On aurait protesté, écumé, fulminé contre l’insolence, l’arrogance, le cynisme, le banditisme nucléaire. On aurait voté résolution sur résolution au Conseil de sécurité, intimant l’ordre au pays insolent d’ouvrir immédiatement ses propres installations nucléaires aux inspecteurs de l’AIEA avant de les envoyer chez les autres. On aurait…mais bon, puisqu’il s’agit d’Israël et non d’un autre pays, tout le monde regarde ailleurs.
Les amis américains et européens d’Israël, tout en regardant ailleurs, pourraient tout de même lui chuchoter à l’oreille le proverbe universel selon lequel la décence la plus élémentaire veut que celui qui habite une maison de verre s’abstienne de bombarder de pierres celles des autres.

Monday, June 08, 2009

USA-Israël: le tournant

Chaque jour qui passe apporte son lot de révélations sur la politique hautement dommageable suivie par le prédécesseur de Barack Obama. On sait qu’au cours des huit années passées par George Bush à la Maison blanche, la crise que vit le processus de paix au Moyen-Orient depuis la signature des accords d’Oslo en 1993 s’est énormément approfondie. Comment pouvait-il en être autrement quand le président de la plus grande puissance du monde, censée jouer les intermédiaires impartiaux, encourageait les Israéliens à garder les territoires occupés palestiniens en affirmant qu’ « il est irréaliste de demander à Israël de revenir aux frontières de 1967 » et qu’ « il faut tenir compte des faits accomplis sur le terrain. »
Maintenant on vient d’apprendre l’existence d’ « un accord secret » entre Israël et les Etats-Unis en 2003, suivant lequel les Israéliens « peuvent ignorer les clauses de la feuille de route » et donc continuer l’extension à volonté des colonies à Jérusalem-est et en Cisjordanie. Ce feu vert donné aux Israéliens d’agir comme bon leur semble aurait été donné par deux hauts fonctionnaires de l’administration Bush, Elliot Abrams et Stephen Hadley, deux pro-israéliens notoires connus non seulement pour leur soutien aveugle à Israël, mais aussi pour leur alignement sur les positions les plus extrémistes de la classe politique israélienne. A titre d’exemple, les positions d’Elliot Abrams concernant le conflit israélo-arabe étaient si extrémistes que, par comparaison, celles d’Ariel Sharon paraissaient modérées…
Mais le plus étonnant est qu’aujourd’hui les collaborateurs de Netanyahu, frustrés de l’intransigeance d’Obama, lui reprochent publiquement de ne pas reconnaître cet « accord secret » et de se soucier comme d’une guigne du feu vert donné par Abrams et Hadley à la poursuite de la colonisation.
Des deux choses l’une. Ou bien Netanyahu et ses collaborateurs sont d’une naïveté si infantile qu’ils n’hésitent pas à sortir cette histoire d’ « accord secret » dans l’espoir de la faire avaler à Obama et l’amener à accepter au moins l’extension des colonies pour cause de « croissance naturelle ». Ou alors ils sont si désespérés face à ce changement « brutal » de la politique américaine à leur égard qu’ils fouillent furieusement dans leurs archives, n’hésitant pas à y puiser n’importe quel argument, y compris les plus ridicules.
Le plus désespéré des Israéliens est sans doute Netanyahu qui doit se rappeler avec amertume le bon vieux temps des années 1990 et son premier mandat de Premier ministre (1996-1999) au cours duquel, faisant face à une administration Clinton complaisante pour ne pas dire complice, avait carte blanche et pouvait construire autant de colonies qu’il voulait, tuer autant de Palestiniens qu’il pouvait, le tout avec l’aide inconditionnelle, financière et militaire, du contribuable américain et la bénédiction du tout puissant lobby.
Pris de panique, Ehud Barak a fait le voyage à Washington pour expliquer à la nouvelle équipe de la Maison blanche le plus sérieusement du monde que les intérêts israéliens et américains sont indissociables, que la sécurité d’Israël dépend de l’occupation des territoires palestiniens et qu’il est illogique de condamner les pauvres colons à la promiscuité en leur interdisant de construire de nouvelles maisons alors qu’ils se reproduisent à un rythme assez soutenu.
D’après l’homme politique et commentateur américain Patrick Buchanan, au moment où Ehud Barak tentait de convaincre le conseiller à la sécurité nationale, le général Jim Jones, Barack Obama fit irruption dans le bureau du général Jones pour dire deux mots au ministre israélien de la défense : le gouvernement Netanyahu doit préparer un plan de paix d’ici juillet. Buchanan n’a pas dit quel était l’état d’esprit de Barak lorsque le président américain lui a transmis ce qu’il faut bien appeler un ultimatum. Mais on peut facilement imaginer l’état désespéré dans lequel il se trouvait. Il était venu demander le permis de construire pour les colons de Cisjordanie, il est rentré avec un ultimatum en poche.
Le plus grand désastre qui puisse frapper la classe politique israélienne est que les Américains prennent conscience de l’évidence longtemps ignorée que leurs intérêts et ceux d’Israël ne coïncident pas forcément, ne se rencontrent pas à tous les coups et peuvent même diverger et être contradictoires. Et cette évidence est de moins en moins ignorée grâce à l’excellent livre de John Mearsheimer et Stephen Walt (*) ; grâce aussi aux guerres d’une violence inouïe contre les Libanais et les Palestiniens et qui ont fini par choquer bon nombre d’Américains ; grâce enfin aux excès et abus du Lobby pro-israélien qui agit aux Etats-Unis comme en pays conquis et qui, pour la première fois de son existence, se trouve sur la défensive. La preuve est que ses dirigeants n’ont pas émis la moindre critique contre le discours d’Obama au Caire, bien qu’ils fussent estomaqués par son contenu.
La classe politique israélienne vit donc un désastre. Mais un désastre salvateur qui pourrait être une chance pour Israël dont les intérêts réels à long terme sont enfin reconnus par la Maison blanche. Tout le monde sait, sauf les politiciens qui ont gouverné Israël depuis 1967, le Lobby et les administrations américaines précédentes, que les intérêts à long terme d’Israël ne sont ni dans la colonisation, ni dans la militarisation à outrance de la société israélienne, mais dans l’intégration dans l’environnement moyen-oriental. Et cette intégration ne se fera jamais tant que la colonisation rampante se poursuit, tant que l’armée israélienne s’arroge le droit de tuer et d’infliger des destructions quand bon lui semble aux peuples qui l’entourent.
Depuis le déclenchement du conflit israélo-arabe, les conditions n’ont jamais été aussi favorables qu’aujourd’hui pour que Washington tienne enfin le taureau par les cornes, libère Israël du joug des extrémistes orthodoxes et des colons et force la classe politique israélienne à prendre en considération les intérêts réels et à long terme de leur pays, plutôt que celui des illuminés perchés sur les collines de Cisjordanie et qui attendent avec impatience le retour du messie.

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(*) « Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine » a été publié en 2007 simultanément par les éditions Farrar Strauss & Giroux (Etats-Unis), Campus (Allemagne), Kodansha (Japon), Atlas (Hollande), Penguin (Royaume-Uni), Mondadori (Italie) et La Découverte (France).

Friday, June 05, 2009

Le plus dur reste à faire

Le discours du président américain jeudi dernier au Caire a été l’un des discours les plus attendus et les plus suivis dans l’histoire. On attendait ce discours et on voulait l’écouter tout en étant sûr qu’il n’y aurait pas de révélations fracassantes et tout en sachant d’avance les thèmes qui seront abordés et la nouvelle position de la Maison blanche concernant chaque thème.
Des millions de téléspectateurs à travers le monde étaient attirés au moins autant par l’éloquence, le charisme et le charme de l’orateur que par le contenu du discours du 4 juin. En termes d’éloquence, nous n’étions pas déçus. L’homme a les idées claires et est doté d’une capacité exceptionnelle de les synthétiser et de les communiquer à ses auditeurs. Beaucoup de ceux qui ont suivi le discours d’Obama au Caire ont eu d’autant plus de plaisir qu’ils étaient habitués à des crampes d’estomac quand ils écoutaient son prédécesseur.
Au niveau du contenu, Barack Obama ne nous a pas surpris. Il avait déjà tendu sa main aux musulmans bien avant son discours à l’université du Caire. Il a déjà parlé à maintes reprises de son respect pour l’islam et les musulmans et de sa disposition à engager un nouveau départ avec eux où la confrontation cèderait la place à la coopération. Tout ce qu’il a dit sur le conflit israélo-arabe, sur les deux Etats, sur la nécessité de l’arrêt total de la colonisation, sur l’Iran, sur son désir de voir la région dépourvue d’armes nucléaires, sans toutefois évoquer explicitement celles que possède Israël, tous ces sujets donc, Obama avait eu, au cours des quatre mois et demi de sa présidence, l’occasion d’en parler à plusieurs reprises.
La nouveauté est donc moins dans les idées contenues dans le discours que dans le cadre solennel dans lequel il les a directement exprimées aux centaines de millions d’Arabes et de musulmans. Par sa bonne foi évidente qui tranche avec la mauvaise foi de son prédécesseur, par sa vaste culture et sa connaissance substantielle de l’islam qui tranchent avec la pitoyable ignorance de son prédécesseur, par son évidente impartialité dans le dossier israélo-palestinien qui tranche avec la partialité de son prédécesseur, par son analyse rationnelle des questions irakienne et afghane qui tranche avec les fanfaronnades désastreuses de son prédécesseur, Barack Obama a incontestablement réussi à donner une autre image de l’Amérique, une image positive.
A aucun moment le président américain n’a parlé de guerre globale contre le terrorisme, ni même de terrorisme tout court, mettant l’accent sur des thèmes que l’Amérique avait mis en veilleuse pendant huit ans : paix, coopération, complémentarité, entraide, tolérance etc. Et à ce niveau, Obama, contrairement à George W. Bush, s’est révélé être l’ennemi mortel des terroristes d’Al Qaida. Il les a privés de l’arrogance et des discours bellicistes qui leur servaient de carburant à leur activisme destructeur et que Bush leur fournissait généreusement. Obama s’est révélé être leur ennemi mortel parce qu’il est allé, sans doute volontairement et consciemment, aux sources d’Al Qaida, non pas pour les renflouer, comme le faisait son prédécesseur, mais pour les assécher.
Mais Obama a frappé aussi du côté des néoconservateurs américains. Les mêmes thèmes qui servent à assécher les sources des terroristes d’Al Qaida, servent également à assécher les sources des partisans du clash des civilisations et autres idéologues du « Nouveau Siècle Américain » pour qui tous les problèmes de la planète, aussi variés soient-ils, n’ont qu’une seule solution : la solution militaire.
Obama est un homme brillant qui a le sens des symboles. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi la date du 4 juin pour aller au Moyen-Orient prononcer son discours de paix et de réconciliation. C’est un clin d’œil adressé aux peuples de la région, et surtout aux Israéliens. Un clin d’œil qui veut dire que seule la géographie du 4 juin 1967 est de nature à ramener la paix au Moyen-Orient. Le gouvernement israélien ne peut pas ne pas comprendre un tel symbolisme, et il a dû d’autant moins apprécier qu’Obama n’a même pas prévu une toute petite escale à Israël qui se trouve à un jet de pierre du Caire.
Obama est un homme suffisamment intelligent pour comprendre que tous les problèmes de la région gravitent autour d’un problème central : le conflit israélo-arabe. Il est suffisamment intelligent pour comprendre que ce problème ne relève plus de la politique étrangère de Washington, mais de sa politique intérieure pour une raison très simple : la sécurité des Etats-Unis dépend dans une large mesure de la résolution de la question palestinienne.
Le gouvernement israélien a senti le « danger » venir et a souhaité même, si l’on en croit le journal « Haaretz », que la crise économique et financière détournerait l’attention d’Obama et l’empêcherait de s’occuper du Moyen-Orient. On comprend la déception israélienne face à la détermination affichée par le président américain. Si l’on en croit le même journal qui cite « des sources arabes », Obama s’est fixé une échéance pour venir à bout du problème israélo-palestinien : novembre 2010, c'est-à-dire deux ans avant la prochaine élection américaine. C’est une échéance qui demande beaucoup d’optimisme, compte tenu de la grande complexité du problème.
Quand les israéliens paniquent, c’est un bon signe. Signe qu’il y a un changement substantiel dans la politique moyen-orientale de Washington. Des Israéliens commencent même à organiser des manifestations anti-américaines, du jamais vu de mémoire d’homme. Mercredi, jour d’arrivée du président américain à Ryadh, des colons israéliens ont bruyamment manifesté devant le consulat américain à Jérusalem, conspuant Obama et arborant des pancartes sur lesquelles on lit « Obama, no you can’t » (Obama, non vous ne pouvez pas). Sous entendu, « vous ne pouvez nous forcer à évacuer les colonies et à faire la paix ». Il devrait leur répondre : « Yes, I can » (Oui, je peux), en le prouvant sur le terrain. Autrement, le beau discours du Caire rejoindrait dans les archives les innombrables discours sur la justice au Moyen-Orient restés lettre morte. On sait que la tâche est gigantesque, on sait que le plus dur reste à faire, mais on sait aussi qu’Obama est le genre d’homme à se battre pour ses idées. Il a déjà, à force de détermination et de persévérance, réussi le miracle de devenir le premier président noir américain. Réussira-t-il un second miracle, celui de la paix au Proche-Orient ?

Wednesday, June 03, 2009

Il faut arrêter le citoyen Cheney

Ancien secrétaire à la Défense, ancien Président Directeur Général de Halliburton et ancien vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, bien qu’il soit devenu le citoyen Cheney depuis le 20 janvier dernier, ne perd pas un jour sans qu’il ne vilipende la politique du président Obama. Il est à lui seul un parti d’opposition tellement il est actif, plein d’énergie, avec toujours une leçon en poche prête à être livrée à la nouvelle administration.
Le citoyen Cheney est un homme capable d’être au four et au moulin. Il négocie dur avec les éditeurs l’avance en millions de dollars qu’il réclame avant d’avoir écrit un seul mot de ses mémoires ; il enregistre la moindre parole prononcée par le nouveau président qu’il ne porte visiblement pas dans son cœur ; analyse minutieusement la moindre des décisions de la nouvelle administration ; commente sur Fox News « la capitulation » d’Obama face au terrorisme international ; se lamente sur le bon vieux temps du couple Bush-Cheney, et trouve même le temps d’aller partager un déjeuner au Club national de la presse avec les journalistes.
Justement le 31 mai, le citoyen Cheney est allé déjeuner au Club national de la presse où il a fait un discours et répondu aux questions des journalistes. De quoi a-t-il parlé ? De ce qui l’obsède évidemment : la guerre contre le terrorisme international, Guantanamo et la décision de le fermer, sans oublier le « danger » pour la sécurité des Etats-Unis que représente la décision d’Obama de relâcher les hôtes de la désormais célèbre prison des Caraïbes.
« Si vous allez vous engager dans ce conflit mondial qu’est la guerre globale contre le terrorisme, si vous n’avez pas d’endroit où retenir ces gens, (les détenus de Guantanamo), l’unique option qui vous reste est de les tuer »(*). Oui, vous avez bien lu, le citoyen Cheney préconise que, en cas de fermeture de Guantanamo, il ne faut ni relâcher les détenus dans la nature ni les renvoyer dans leur pays respectifs, mais « les tuer ». Certains journalistes pensaient à une mauvaise plaisanterie, à de l’humour noir. Mais non, le type était sérieux et, concernant le sort des détenus de Guantanamo, il ne croyait qu’en deux options et deux seulement : soit ne pas fermer la prison et les y détenir indéfiniment, soit alors la fermer, mais les tuer tous…
L’air naturel avec lequel il a fait sa macabre recommandation en dit long sur la personnalité du citoyen Cheney. Envoyer des gens à la mort, c’est un peu sa spécialité. Il porte une lourde responsabilité dans la mort de centaines de milliers d’Irakiens et d’Américains dans la guerre insensée qu’il a avait déclenchée, avec Bush et Rumsfeld, au printemps de 2003. Non seulement il n’a pas exprimé le moindre regret ou la moindre compassion pour les atrocités commises gratuitement, mais s’il a la possibilité d’en déclencher de nouvelles dans le cadre de sa « guerre mondiale contre le terrorisme », il n’hésitera pas un instant, à en juger par sa verve belliqueuse en permanence.
Le citoyen Cheney aime les guerres, mais quand elles sont faites par les enfants des autres. Quand la guerre du Vietnam battait son plein, il avait battu le record en nombre de sursis militaires obtenus par un jeune Américain. Ses pistons lui avaient permis d’obtenir cinq sursis militaires et d’échapper ainsi à l’enfer vietnamien.
A peu près au même moment, le fils à papa George W. Bush était envoyé à la Garde civile du Texas pour y accomplir le service militaire que les jeunes Américains non pistonnés accomplissaient dans les jungles vietnamiennes. L’histoire a parfois de ces ironies qui laissent rêveur : les deux hommes qui avaient une peur bleue des combats sur le terrain, s’étaient montrés de fervents guerriers quand il s’agissait de mener la guerre à partir des bureaux confortables et sécurisés de la Maison blanche. Les deux hommes qui avaient fui la guerre du Vietnam avaient engagé leur pays dans les deux guerres les plus désastreuses de l’histoire récente américaine.
Mais si l’ex-président cherche discrètement à se faire écrire ses mémoires et à empocher quelques millions de dollars en récompense des crimes de guerre commis, l’ex-vice président n’arrête pas de faire du tapage diurne et nocturne au point de perdre le contrôle de soi en recommandant l’exécution pure et simple de détenus.
Ce genre de crime de guerre n’est pas inédit. Il fut commis par de nombreux dictateurs. Il fut commis par les Israéliens contre des centaines de prisonniers de guerre arabes en 1967. Mais généralement ces crimes sont commis dans le feu de l’action. Ce que propose Cheney est sans précédent : des assassinats de sang froid de centaines de personnes détenus depuis des années à Guantanamo.
L’aspect tragi-comique de l’affaire est que cette recommandation vient de quelqu’un qui avait déclenché ses guerres parce que, entre autres prétextes, les régimes irakien et taliban commettaient trop de crimes contre leurs peuples. Cheney-le-libérateur avait alors envoyé ses troupes pour un travail de sauvetage en leur promettant des fleurs et des danses populaires dans les rues de Bagdad…
C’est incompréhensible. La démocratie américaine non seulement ne demande aucun compte à des criminels de guerre de la trempe de Dick Cheney, mais elle lui permet, sous le prétexte de la liberté d’expression, de recommander en toute impunité d’autres crimes de guerre. Obama au moins devrait réagir et remettre à sa place le dangereux citoyen Cheney qui, depuis le 20 janvier dernier, ne cesse d’entraver son travail de réconciliation de l’Amérique avec le reste du monde.


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(*)http://washingtontimes.com/news/2009/jun/01/cheney-death-option-detainees-guantanamo-closed/

Monday, June 01, 2009

Quand Israël accuse Washington de ...partialité

On savait que les Israéliens étaient très mal à l’aise face à cette intransigeance américaine à laquelle ils ne sont pas habitués, mais on était à mille lieux de penser qu’un jour ils iront jusqu’à accuser les Etats-Unis d’être « injustes » à leur égard et de « prendre le parti des Palestiniens »
Oui, ils l’ont dit, et on imagine les efforts qu’ils ont dû déployer pour se retenir d’accuser d’ « antisémitisme » l’équipe de négociateurs envoyés mardi dernier à Londres par le président Obama. Ceux-ci avaient pour mission de signifier à leurs homologues israéliens qu’ils doivent arrêter toute espèce de construction dans les colonies.
Les deux équipes qui s’étaient rencontrées à Londres étaient composées de négociateurs de haut rang qui, visiblement, avaient des instructions précises de ne pas céder aux pressions. Côté américain, outre le principal négociateurs, George Mitchell, il y avait son adjoint, David Hale, le chef du desk Moyen-Orient au Conseil National de sécurité, Daniel Shapiro, et le conseiller juridique du département d’Etat, Jonathan Schwartz. Quant à l’équipe israélienne, elle était composée du conseiller à la sécurité nationale, Uzi Arad, de l’envoyé diplomatique de Netanyahu, Yitzhak Molcho, du représentant du Ministère de la Défense, Mike Herzog et du vice Premier ministre, Dan Meridor.
La composition des deux équipes prouve la détermination de Washington et de Tel Aviv de remporter la partie de négociations de mardi dernier à Londres. Les Israéliens ont faussé le jeu dès le départ puisque, pour une fois que l’arbitre américain montre des signes d’impartialité, il a été accusé de …partialité.
Cela n’étonne personne, car le monde n’a pas seulement un problème politique avec Israël, mais aussi un problème psychologique. Le comportement de ce pays peut être éclairé par celui de l’enfant gâté qui, habitué depuis sa naissance à avoir tout ce qu’il demande, ne comprend pas qu’on puisse un jour lui refuser le moindre de ses caprices. Et quand ça arrive, il pleure, crie, proteste et se plaint de l’injustice qu’on lui inflige en le privant de son droit à avoir tout ce qu’il veut.
Israël, c’est cet enfant gâté qui, habitué pendant si longtemps à la complaisance, la partialité et la collusion même des administrations américaines successives, ne comprend pas qu’aujourd’hui l’administration de Barack Obama puisse tenir bon sérieusement sur cette question de colonisation et exiger l’arrêt total des constructions.
A ce niveau, les administrations américaines successives sont au moins autant coupables que les gouvernements israéliens successifs de ce désastre de grande ampleur qu’est la colonisation à outrance de la Cisjordanie. Le président Jimmy Carter devrait maintenant se mordre les doigts de ne s’être pas opposé sérieusement au projet de colonisation, initié par Menahem Begin dès la victoire du Likoud en 1977. Pendant trente deux ans de construction non stop de colonies et d’encouragement des colons à s’installer en Cisjordanie, les Etats-Unis et l’Europe regardaient ailleurs et laissaient se développer ce qui est aujourd’hui le plus grand obstacle à la paix dans la région du Moyen-Orient. Pendant un tiers de siècle donc, les Israéliens étaient non seulement habitués à la complaisance ou, dans le pire des cas, aux protestations très théoriques des Etats-Unis et de l’Europe, mais l’argent provenant de l’aide annuelle américaine a servi pendant tout ce temps à la construction d’une bonne partie des colonies de Cisjordanie. Mieux encore, ou pire, l’armement américain, livré aussi dans le cadre de l’aide annuelle, a servi à mater les protestations massives palestiniennes contre la colonisation durant les intifadas de 1987 et de 2000. Comment après tout cela, les Israéliens ne ressentent-ils pas ce sentiment d’ « injustice » qui déstabilise l’enfant gâté qui se voit refuser pour la première fois un caprice ?
Et de fait, l’équipe de négociateurs dépêchée par Netanyahu à Londres a été déstabilisée par l’intransigeance inhabituelle des représentants de l’administration américaine. Voici quelques uns des commentaires amers des négociateurs israéliens rapportés par la presse : « Nous sommes déçus, car tous les accords que nous avons eus avec l’administration Bush ne servent plus à rien ». « Les Etats-Unis veulent obtenir des concessions en faveur des Palestiniens, ce qui est injuste envers Israël ». « Ils nous demandent à nous d’arrêter la construction de colonies et ne demandent pas aux Palestiniens de démanteler les réseaux terroristes. Il n’y a pas de réciprocité, c’est injuste ». Enfin, et là c’est le comble : « Nous voulons atteindre un accord avec les Etats-Unis de manière à faire avancer le processus de paix. Mais cette position américaine est en train d’entraver ce processus et d’engendrer tension et stagnation, ce qui est dommageable à la fois pour Israël et pour les Etats-Unis ».
Le conseil des ministres israéliens, réuni dimanche dernier, a répondu à l’intransigeance américaine par l’arrogance : rejet total de la demande américaine de geler les travaux de construction dans les colonies de Cisjordanie. Le monde entier attend avec un rare suspense la réaction d’Obama face à ce qu’il faut bien appeler une rebuffade israélienne infligée à la Maison blanche.
En 1990, Bush père et son secrétaire d’Etat, James Baker, avaient échoué face à une rebuffade similaire de la part du Premier ministre israélien d’alors, Itzhak Shamir. Bush père et Baker avaient alors cédé face à l’intraitable Shamir. Obama et sa secrétaire d’Etat Clinton ne peuvent pas ne pas avoir ce précédent en tête. Si, face à l’arrogance du gouvernement Netanyahu, ils décident eux aussi de baisser la tête, personne ne les prendra au sérieux ni n’accordera plus le moindre crédit à leur discours, et la région entrera dans de nouvelles turbulences aux conséquences imprévisibles.