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Wednesday, December 02, 2009

Stratégies similaires pour contextes différents

Il a fallu trois mois de concertation, de dialogue souvent animé et de réflexion au sein de l’establishment politico-militaire à Washington sur la manière de gérer la guerre en Afghanistan pour qu’une stratégie émerge enfin et que le président américain l’annonce mardi dernier dans un discours solennel à l’académie de Westpoint.
Le président Barack Obama a, volontairement et intentionnellement, fait de l’annonce de sa nouvelle stratégie pour l’Afghanistan un événement planétaire. Avant même d’en parler au peuple américain, il a appelé pour leur donner la primeur le Premier ministre britannique, Gordon Brown, le président français, Nicolas Sarkozy, le Premier ministre danois, Lars Loekke Rasmussen, le président russe, Dmitri Medvedev, et, en le recevant à la Maison blanche, il a briefé le Premier ministre australien, Kevin Rudd. Mais ce n’est pas tout. Avant de prononcer son discours de West Point, Obama a informé de sa nouvelle stratégie les autorités afghanes, pakistanaises, hindoues, chinoises et polonaises. Le monde entier ou presque.
Si le président Obama n’a étonné personne en décidant l’envoi d’un renfort de 30000 soldats supplémentaires sur une période de six mois, ce qui fera passer d’ici mai prochain le nombre des forces américaines à 100.000 GI’s, il a en revanche surpris son peuple et ses alliés en limitant l’engagement américain dans le temps, de sorte que, selon la nouvelle stratégie, le retrait des troupes commencera en juillet 2011.
Il y a de quoi s’étonner en effet quand on compare l’énormité de la tâche que les forces étrangères ont à accomplir en Afghanistan et le peu de temps que leur alloue désormais la nouvelle stratégie, c'est-à-dire deux ans ou trois maximum, puisque le président Obama a promis de ramener la totalité de ses troupes à la maison avant la fin de son premier mandat qui se termine le 20 janvier 2013.
La mission des 30000 soldats supplémentaires est de jouer un rôle crucial dans l’affaiblissement des talibans et la prise en charge en termes d’entraînement et d’équipement, des forces militaires et de police afghanes auxquelles sera confiée la sécurité de leur pays. Le nouveau contingent sera déployé dans les zones où les talibans sont massivement présents, y compris et surtout Kandahar dans le sud et Khost dans l’est. Et apparemment les renforts ne seront pas chargés seulement de missions de combat, mais aussi d’un « travail de sape » qui consistera à attirer les éléments les moins convaincus des talibans et de les enrôler dans des milices locales dirigées par des chefs tribaux.
Cette stratégie d’Obama rappelle celle de Bush à la fin de son mandat quand il a accordé au général Petraeus 30000 soldats supplémentaires et plusieurs valises pleines à craquer de billets verts pour financer des milices tribales sunnites irakiennes qui ont joué un rôle vital dans la destruction des structures d’Al Qaida.
Mais cette stratégie qui a réussi à couper les ailes d’Al Qaida en Irak réussira-t-elle à étouffer les talibans en Afghanistan ? Les stratégies de Bush et d’Obama, très similaires, ont été conçues pour des contextes très différents. Les tribus irakiennes sont plus structurées, plus fortes et plus déterminées que les tribus afghanes, ceci d’une part. D’autre part, Al Qaida en Irak est un corps étranger, alors que les talibans font partie intégrante de la société et de la culture afghanes. En Irak, il suffit qu’un membre d’Al Qaida parle pour qu’il se dénonce comme étant étranger. En Afghanistan, il suffit qu’un taliban se rase la barbe pour qu’il se transforme en quelques minutes en civil sans qu’il attire le moindre soupçon. Plus encore, une fois traqués par les milices tribales sunnites, les membres d’Al Qaida avaient toutes les peines du monde à trouver un refuge où se terrer. Les talibans sont passés maîtres dans le jeu du chat et de la souris avec les forces étrangères : la porosité des frontières avec le Pakistan leur a toujours permis de s’évader quand la pression militaire se fait pesante et de revenir quand elle faiblit.
On arrive ici au problème fondamental posé par la nouvelle stratégie d’Obama qui, du point de vue du gouvernement pakistanais, « ne résoudra pas le conflit afghan, mais aggravera la situation au Pakistan. » L’armée pakistanaise, en pleine guerre contre ses propres talibans, redoute fortement que la pression sur les insurgés afghans, que ne manquera pas de provoquer l’arrivée de 30000 soldats américains supplémentaires, n’engendre une fuite massive des talibans afghans vers le Pakistan, compliquant encore plus la situation au Waziristan.
En écoutant attentivement le discours d’Obama, on sent que le président américain est conscient de cette menace qui pèse sur le Pakistan qu’il a tenté de rassurer en ces termes : « Dans le passé, nous avons souvent défini notre relation avec le Pakistan de manière étroite. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maintenant nous sommes engagés dans une relation de partenariat avec le Pakistan basée sur les intérêts mutuels, le respect mutuel et la confiance mutuelle. »
Réagissant à chaud sur les ondes de la BBC, un journaliste pakistanais a affirmé que « le Pakistan a un besoin urgent d’action et non de discours. » En attendant les résultats de la stratégie d’Obama, deux questions fondamentales restent posées : les 30000 soldats supplémentaires pourront-ils aider à réaliser en dix huit mois ce qui n’a pu l’être en huit ans ? L’armée américaine peut-elle résoudre la question afghane sans aggraver la situation déjà explosive au Pakistan ?

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