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Saturday, February 27, 2010

Quand Washington consolide l'alliance syro-iranienne

En 2005, George W. Bush rappela son ambassadeur à Damas à la suite de l’assassinat du Premier ministre libanais, Rafiq Hariri. Une décision un peu hâtive et irréfléchie visant à isoler la Syrie. Les tentatives d’isolement de ce pays, les accusations sans preuves qui pleuvaient sur lui de la part des pays occidentaux en général et des Etats-Unis en particulier, expliquent dans une large mesure le développement fulgurant des relations syro-iraniennes qui ont fini par prendre un aspect carrément stratégique.
Pourtant rien ne prédestinait la république islamique d’Iran et la république baathiste de Syrie à devenir un jour des amies intimes. L’une est chiite, l’autre est sunnite, l’une applique la loi islamique de manière stricte, l’autre penche plutôt pour la laïcité. Donc religieusement et idéologiquement tout sépare l’Iran de la Syrie. Ce qui les a poussés l’un vers l’autre, ce sont de fortes inimitiés communes.
Et tout d’abord l’inimitié avec l’Irak baathiste de Saddam Hussein. Elle était partagée par l’Iran de Khomeiny et la Syrie de Hafedh el Assad. Les divergences entre le Baath syrien et le Baath irakien étaient si profondes que Damas prenait systématiquement le parti des ennemis de l’Irak qu’il s’agisse de la guerre Iran-Irak (1980-1988) ou de la guerre déclenchée le 17 janvier 1991 par une coalition internationale pour sortir les troupes irakiennes du Koweït.
Il y a ensuite l’inimitié avec les Etats Unis d’Amérique que l’Iran et la Syrie partagent également et qui les a amenés à resserrer encore plus leurs liens. Un axe Damas-Téhéran était mis en place, autour duquel pivote une véritable alliance cimentée par les dangers communs auxquels les deux pays font face et non par de quelconques convictions idéologiques communes.
L’une des caractéristiques principales de la politique étrangère syrienne est le pragmatisme. Cela veut dire que les Syriens n’ont ni amis ni ennemis éternels, mais des intérêts durables qu’ils tentent de réaliser ou de défendre par les moyens dont ils disposent.
L’intérêt le plus vital de la Syrie et qui dicte depuis plus de 40 ans sa politique étrangère est la récupération du plateau du Golan perdu lors de la guerre de 1967. N’ayant pu le récupérer par la force des armes, la Syrie s’est résolue à chercher une solution du côté de la diplomatie. Mais cette voie s’est jusqu’à présent révélée sans issue, en grande partie à cause du parti pris américain en faveur d’Israël et de l’incapacité de Washington d’imposer à son protégé israélien la solution que le monde entier appelle de ses vœux, c'est-à-dire la paix en échange des territoires.
Mais en dépit du parti pris américain pour Israël, les autorités syriennes ont, par pragmatisme, toujours laissé la porte ouverte aux Etats-Unis qui, selon l’humeur et les circonstances, gèlent ou dégèlent leurs relations avec Damas, inscrivent la Syrie sur la liste noire du département d’Etat ou sollicitent sa coopération dans la lutte contre les réseaux terroristes d’Al Qaida.
Cet hiver, particulièrement glacial aux Etats-Unis, n’a pas empêché Washington d’opter pour le réchauffement des relations avec la Syrie. Les hauts fonctionnaires du département d’Etat se bousculaient dans la capitale syrienne, et, le 18 février, le président Obama a nommé Robert Ford nouvel ambassadeur US à Damas.
Le problème de la diplomatie américaine est qu’elle n’a jamais pris la peine de comprendre ou de se familiariser avec les complexités et les subtilités de la politique au Moyen-Orient. La naïveté dont cette diplomatie fait preuve contribue au blocage, et même à l’aggravation des crises qui minent la région.
L’exemple le plus récent de cette naïveté remonte au 24 février dernier quand Madame Hillary Clinton s’est cru autorisée à demander à la Syrie « de commencer par prendre ses distances avec l’Iran ». Mais ce n’est pas tout. S’adressant aux sénateurs américains, elle a ajouté : « Nous avons indiqué aux Syriens le besoin d’une plus grande coopération sur l’Irak, la fin des ingérences au Liban et du transport ou de la livraison d’armes au Hezbollah, une reprise des pourparlers israélo-syriens ».
Cette déclaration, qui ressemble à une série d’ordres donnés à Damas, n’a pas mis plus de 24 heures pour obtenir le résultat exactement inverse. En effet, le 25 février, le président Ahmadinejad était à Damas et, au cours d’une conférence de presse commune avec son homologue iranien, le président syrien Bachar el Assad a répondu avec humour aux exhortations de la secrétaire d’Etat américaine : « Nous avons dû mal comprendre Clinton, soit à cause d’une mauvaise traduction, soit parce que nos compétences sont limitées, alors au lieu d’un accord de séparation, nous avons signé un accord de suppression de visas. »
Mais, s’il a pris le parti d’en rire, le président syrien n’en a pas moins dit sérieusement le fond de sa pensée : « Je trouve étrange qu'ils (les Américains) parlent de la stabilité, de la paix et d'autres beaux principes au Moyen-Orient et qu'en même temps ils appellent deux pays à s'éloigner l'un de l'autre. Nous (l’Iran et la Syrie) avons les mêmes objectifs, les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. L'ampleur de notre coopération s'accroît de jour en jour. »
Une réponse claire, nette et précise qui devrait faire réfléchir les Américains et les pousser à se poser un certain nombre de questions. La question centrale est la suivante : pourquoi les Etats-Unis s’arrogent-ils le droit d’exiger que la Syrie change sa politique étrangère, alors qu’eux-mêmes maintiennent depuis 40 ans une politique de soutien inconditionnel et obstiné au pays qui occupe par la force les terres de ses voisins, dont le Golan syrien ?

Wednesday, February 24, 2010

Arabique ou persique? On le veut surtou pacifique

Le 5 mai 2008, Google Earth a commis un crime. Il a osé parler de Golfe arabique au lieu de Golfe persique. Branle-bas de combat en Iran où une pétition fut aussitôt rédigée. « Les signataires de cette lettre protestent contre les actions irresponsables et non scientifiques (des administrateurs de Google Earth) et exigent la suppression immédiate et inconditionnelle de l’expression Golfe arabique… ». Les SMS véhiculant le lien internet de la pétition (1) n’arrêtaient pas de circuler et Iraniens et étrangers étaient invités à signer « massivement » la dite pétition.
En novembre dernier, c’était au tour du célèbre magazine National Geographic de blasphémer en remplaçant persique par arabique. Nouveau branle-bas de combat en Iran d’où le magazine et ses journalistes étaient bannis. Une photographe du prestigieux magazine américain, Susan Welchman, a été exclue du jury du festival de la photographie organisé par les Iraniens « parce que le National Geographic a tordu le cou à la vérité et a changé le nom du Golfe persique », expliquait le plus sérieusement du monde la direction du festival dans un communiqué officiel…
Il y a deux ou trois jours, c’est l’Etat iranien lui-même qui est entré dans la danse par la voix de son ministre des routes et du transport, Hamid Bahbahani. L’avertissement du ministre aux compagnies aériennes est sans appel : toute compagnie qui ose utiliser dans ses cartes ou dans ses communiqués l’adjectif arabique au lieu de persique se verra refuser le survol de l’espace aérien iranien. « La première fois », explique le ministre, « la compagnie se verra refuser le survol de l’espace aérien iranien pour une durée d’un mois. Et en cas de récidive, l’appareil sera cloué au sol et le permis de survoler l’Iran annulé », ce qui équivaut à une confiscation pure et simple de l’appareil…
Mais tout d’abord, parlons un peu du Golfe. Ce fameux bras de mer a une superficie de 233000 km², une longueur d’un millier de kilomètres et une largeur de 200 à 300 kilomètres. Les pays riverains sont l’Iran à l’est et l’Iraq, le Koweït, l’Arabie saoudite, le Qatar, Bahrain, les Emirats arabes unis et Oman au nord et à l’ouest. C’est l’une des voies navigables les plus stratégiques au monde dans la mesure où une bonne partie du pétrole consommée dans le monde transite nécessairement par cette mer minuscule, avant d’arriver dans le grand espace maritime de l’océan indien.
La question qui se pose est pourquoi l’Iran, seul pays non arabe du Golfe, se comporte-t-il de manière si passionnée sur un détail futile au point d’exiger, menaces à l’appui, du monde entier, y compris des huit pays arabes riverains, de bannir l’adjectif arabique chaque fois qu’ils parlent du Golfe ? Pourquoi un seul pays riverain se fait-il un point d’honneur de s’approprier cette masse d’eau, excessivement salée du reste, et en déposséder les huit autres pays riverains? Si l’unique argument des Iraniens est que, dès l’origine, ils étaient habitués à l’appellation Golfe persique, les Arabes pourront répondre que pour eux, à l’origine, le bras de mer s’appelait Golfe de Basra, en référence à la ville irakienne située au sud de l’Irak et au nord du Golfe.
En fait l’avertissement du ministre iranien ne s’adresse pas aux compagnies européennes, américaines ou asiatiques. Rares sont celles qui utilisent l’adjectif « arabique » pour désigner le Golfe. Ce sont les compagnies arabes en général, et celles du Golfe en particulier, qui sont visées, puisque ce sont elles qui utilisent dans leurs cartes de vol et leurs communiqués l’expression « Golfe arabique ». Et elles ont raison, car, n’est-ce pas incongru qu’une compagnie arabe comme Gulf Air par exemple, fasse des communiqués du genre « Mesdames et Messieurs, nous vous informons que nous sommes en train de survoler le Golfe persique » !
Il est tout autant difficile de comprendre pourquoi les Iraniens sortent de leurs gonds chaque fois qu’un étranger se « trompe » sur « la bonne qualification » du Golfe que reposant de voir les Arabes indifférents face à l’usage quasi-exclusif du mot « persique » par les médias occidentaux. Il est tout aussi regrettable de voir le National Geographic et ses journalistes bannis d’Iran que remarquable de constater que pas un seul pays arabe n’a jamais critiqué CNN ou BBC World pour l’utilisation exclusive de l’expression « Golfe persique ».
Cela dit, comment ne pas être perplexe quand, avec tous les problèmes intérieurs et extérieurs qu’a l’Iran, on voit ce pays s’accrocher à un détail si insignifiant et le gonfler outre mesure au risque d’accroître la tension dans une région qui n’en manque pas. Car enfin, les pays arabes se tairont-ils si l’un de leurs avions est confisqué à Téhéran parce que le commandant de bord a donné des informations sur le survol du Golfe arabique?
L’Iran qui ne manque pas d’ennemis n’a pas besoin d’en créer d’autres pour des raisons futiles. Les autorités de ce pays sont les premières à savoir que la région du Golfe ressemble beaucoup plus à une poudrière qu’à un havre de paix. En trente ans plusieurs guerres ont ravagé le Golfe, dont la plus atroce est celle qui avait opposé l’Iran de Khomeiny à l’Irak de Saddam entre 1980 et 1988. Et nul ne sait sur quoi va déboucher l’actuel bras de fer nucléaire qui oppose l’Iran aux pays occidentaux.
Quand de si grands problèmes menacent de mettre à nouveau le feu aux poudres dans le Golfe, il y a beaucoup plus important et plus urgent à faire que de discuter du sexe des anges. Alors le Golfe est-il arabique ou persique ? Ce qui nous intéresse est qu’il soit avant tout pacifique.

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(1) http://www.petitiononline.com/sos02082/petition.html

Monday, February 22, 2010

Le réflexe du scorpion

Il semble que les Israéliens se sont finalement rendus compte que leur image s’est beaucoup ternie, que cela ne peut plus durer et qu’il est temps d’agir en lançant une grande opération de relations publiques dans le monde. Les concepteurs de cette campagne sont loin d’être à court d’idées. Des idées pour redorer le blason du pays, ils en ont à revendre. Et tout d’abord, tout Israélien en voyage d’affaires à l’étranger ou pour faire du tourisme doit se transformer en diplomate pour promouvoir l’image de son pays avec les interlocuteurs étranger qui ont « une fausse idée » d’Israël.
La « fausse idée » est qu’Israël est un pays qui aime faire la guerre alors que la réalité qui crève les yeux est qu’il est un « pays pacifique » qui a « développé les tomates-cerises », qui a « remporté le prix de la meilleure chanson au concours de l’eurovision de 1998 » et qui aime tout le monde, même si tout le monde le déteste. Voici l’image que les hommes d’affaires-diplomates et les touristes-diplomates titulaires du passeport israélien sont appelés de toute urgence à faire circuler dans le monde.
Certains pourraient être tentés par un ouf de soulagement à l’idée que les Israéliens se sont enfin rendus compte que l’image de leur pays est gravement ternie et que, nonobstant le caractère risible de leur campagne de relations publiques, ils ont tout de même pris l’initiative de tenter de gagner la sympathie du monde.
Mais quelle est la raison qui, pour les Israéliens, explique le ternissement de la réputation de leur pays ? Leur politique de répression des Palestiniens et d’occupation de leurs terres? Leur mépris du droit international ? Leurs guerres contre des peuples plus faibles ou désarmés ? Non, pour les Israéliens aucune de ces raisons ne peut être derrière la mauvaise réputation de leur pays. Sans doute ont-ils vaguement entendu parler de ces raisons, mais elles n’expliquent rien du tout, puisqu’elles relèvent des calomnies dont sont coutumiers les ennemis d’Israël.
La vraie raison qui explique l’image négative dont souffre Israël est ailleurs. Les brillants stratèges israéliens des relations publiques expliquent à qui veut bien entendre que cette vraie raison se trouve dans la perception apparemment universelle qu’ « Israël est un pays arriéré ». Pour mieux comprendre, il faut voir le spot publicitaire que se relaient les différentes chaînes de télévision israéliennes. Un personnage mène un chameau en plein désert en le tirant par la bride. Le spot nous informe que « le chameau est l’animal israélien typique qui sert à transporter eau, marchandise et munition » à travers le désert du Néguev. Une voix off s’adresse en hébreu aux téléspectateurs : « Malades d’être vus ainsi dans le monde ? Changez l’image ! »
En psychologie, cela s’appelle une ruse de l’esprit. C'est-à-dire que quand on refuse une situation, ou quand on est montré du doigt suite à un comportement répréhensible, on tente de se disculper en rejetant la responsabilité sur les autres qui, du moment où ils nous en veulent, ont forcément de faux jugements ou des idées préconçues sur nous et sur nos comportements. Israël souffre précisément de cet état pathologique et son « esprit » n’hésite pas à inventer les raisons les plus débiles pour tenter de camoufler la réalité politique hideuse du pays.
Mais, comme par un fait exprès, plus Israël s’efforce de camoufler sa réalité politique hideuse, plus cette réalité est étalée au grand jour sur la scène planétaire. Car, Israël a un peu le réflexe du scorpion qui, à force d’utiliser son dard venimeux contre tout ce qui bouge, n’a pu s’empêcher de piquer la tortue qui l’aidait à traverser la rivière et a sombré avec elle. A force de tirer sur tous ceux qu’il considère comme ses ennemis, Israël a fini par se tirer dans les pattes. C’est ce réflexe de scorpion qui a poussé les responsables israéliens à envoyer à l’étranger, au lieu des « touristes-diplomates » censés redorer son blason, des touristes-tueurs qui ont donné le coup de grâce à la réputation chancelante du pays.
L’affaire de l’assassinat d’un responsable du Hamas à Dubaï par les touristes-tueurs a mis Israël dans le pétrin. Mais elle a aussi mis à nu l’incroyable inhumanité de ce que l’on nomme communément la communauté internationale. Il y a eu mort d’homme à Dubaï. Et ce qui est incroyable est que ce crime est effacé et seul subsiste le délit de falsification des passeports des tueurs. La Grande Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Irlande ont réagi vivement non pas parce que, avant tout, un homme a été tué, mais parce que leurs passeports ont été utilisés par les tueurs. Israël est pris à partie dans ces pays, non pas parce que, comme d’habitude, il tue qui il veut, mais parce que le Mossad a falsifié quelques documents de voyage. Il est vrai que le mort est un Arabe et les tueurs-falsificateurs sont des Israéliens. Le contraire aurait mis le monde sens dessus-dessous.

Monday, February 15, 2010

Le procureur Ocampo en flagrant délit

On se rappelle comment le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, s’est découvert soudain une vocation de défenseur de la veuve et de l’orphelin, comment il a remué ciel et terre pour alerter le monde entier sur le drame du Darfour et comment il a fini par convaincre les juges de la CPI d’inculper le président soudanais, Omar el Béchir, de « crimes de guerre », ce qu’ils ont fait en mars dernier.
Tout en prenant les précautions d’usage que tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire, on aurait tout de même applaudi ce désir de défendre les opprimés et de traîner les oppresseurs devant les tribunaux internationaux, si ce noble élan était motivé par les principes de justice et d’impartialité et non par la règle des deux poids et deux mesures. Or, on vient de prendre le procureur Luis Moreno Ocampo la main dans le sac, si l’on peut dire, c'est-à-dire en flagrant délit de manipulation des principes de justice et d’impartialité auxquels il préfère visiblement la règle des deux poids et deux mesures dans l’exercice de ses fonctions de procureur de la Cour pénale internationale.
Le 19 janvier 2010, le procureur Ocampo reçoit une plainte du professeur de droit à l’Université de l’Illinois, Francis Boyle, dans laquelle on y lit notamment : « J’ai l’honneur de m’adresser à vous et à la Cour pénale internationale pour porter plainte contre les citoyens américains George W. Bush, Richard Cheney, Donald Rumsfeld, Condoleeza Rice et Alberto Gonzales pour leur politique criminelle et la pratique du ‘’transfert extraordinaire’’ (extraordinary rendition). Ce terme est réellement un euphémisme qui désigne les disparitions forcées de personnes, leur sévère privation de liberté, leur violent abus sexuel et autres actes inhumains perpétrés à l’encontre de ces victimes… ». Le texte intégral de cette plainte peut être consulté sur internet (http://www.bushtothehague.org/2010/01/the-complaint/ ).
Mais tout d’abord qui est le professeur Francis Boyle ? A écouter l’interview qu’il a donnée il y a quelques jours au journaliste américain Scott Horton et diffusée sur une radio américaine, on sent que l’homme est très en colère. Une colère née avec la guerre du Vietnam et exacerbée avec la guerre d’Irak. « 58 000 Américains de ma génération et 2 millions de Vietnamiens sont morts dans la guerre du Vietnam. Et que aucun responsable n’a été inquiété. Henry Kissinger, qui devrait être en prison depuis longtemps, continue de mener une vie normale… » Et le professeur Boyle est tout aussi amer en parlant de la guerre d’Irak.
Mais pourquoi ne s’est-il résolu que cette année à porter plainte contre les responsables du désastre irakien ? Une plainte en rapport direct avec la guerre d’Irak « n’est pas recevable », car, explique-t-il, les Etats-Unis ne sont pas membres de la CPI. C’est pour cela que la plainte concerne « les transferts extraordinaires » avec les kidnappings, les emprisonnements et les tortures qui leur sont liés. Pour le professeur Boyle, cette plainte est recevable, parce que « les transferts extraordinaires » ont été décidés par des Américains, certes, mais ils ont eu lieu dans des pays européens et asiatiques membres de la CPI.
Peut-être la plainte du professeur Boyle n’a pas beaucoup de chance d’être acceptée par la CPI. Peut-être, en rédigeant sa plainte, Francis Boyle ne se faisait pas trop d’illusions sur la recevabilité de sa requête auprès de l’instance pénale internationale. Mais son initiative est importante à plus d’un titre.
D’abord, dans une Amérique qui ne demande des comptes à ses dirigeants que quand ils ont des aventures extraconjugales, il est lénifiant qu’une voix se fasse enfin entendre pour dénoncer des décisions ayant engendré des crimes graves contre d’autres peuples, et surtout de demander que les responsables soient traînés en justice.
Ensuite, cette initiative est un pavé jeté dans la mare de l’impunité américaine qui ne manquera pas de troubler la quiétude des responsables de crimes de guerre américains qui, après avoir détruit la vie de dizaines de millions de personnes, bénéficient d’une retraite dorée au frais du contribuable.
Enfin, l’initiative de Francis Boyle met sans aucun doute dans l’embarras la Cour pénale internationale et son célèbre procureur qui n’ont trouvé aucune difficulté à mettre à l’index un « coupable » de la situation extrêmement complexe du Darfour, mais qui tournent le dos à la situation parfaitement claire de l’Irak, dont les responsables de tant de crimes de guerre sont universellement connus.
Cela fait un mois maintenant que la plainte de Francis Boyle est sur le bureau du procureur Ocampo. Pas la moindre réponse de sa part, et il est peu probable qu’il en parlera publiquement un jour. Il est vrai qu’il est fortement aidé par l’extraordinaire mutisme médiatique que les grands médias américains et européens gardent inexplicablement vis-à-vis de la plainte de Boyle contre Bush et compagnie. Ces médias préfèrent nous parler des « efforts humanitaires » que déploie George W. Bush en faveur de Haïti plutôt que de la plainte de Francis Boyle contre les crimes de guerre de cet ancien président américain.
Mais le procureur Ocampo, s’il peut ignorer la plainte arrivée sur son bureau le 19 janvier 2010, il ne peut échapper à l’accusation de flagrant délit d’utilisation de la règle des deux poids et deux mesures. Car il ne pourra jamais donner une explication convaincante sur son acharnement à chercher à tout prix un coupable pour les crimes du Darfour d’une part, et sur son extraordinaire indifférence vis-à-vis des dizaines de millions de victimes irakiennes d’autre part.

Saturday, February 13, 2010

Test du 11 février: Téhéran renforce sa position

Dans la chronique du 3 février intitulée « Iran : le test du 11 février », nous avons écrit ceci : « Les jours qui viennent, et en particulier le 11 février, sont d’une importance cruciale pour l’avenir de l’Iran. Si les festivités célébrant le 31eme anniversaire de la révolution khomeyniste se déroulent dans le calme, les autorités iraniennes renforceront leur position à la fois sur le plan intérieur vis-à-vis de l’opposition, et sur le plan extérieur au niveau des négociations relatives au dossier nucléaire. Si, au contraire, cette célébration tourne mal, les difficultés du régime iranien seront multipliées, et les pays occidentaux seront tentés d’enfoncer le clou en faisant preuve de plus d’intransigeance. »
Le test du 11 février a été plutôt favorable pour les autorités de Téhéran qui ont réussi à mobiliser massivement le peuple iranien et à le pousser à manifester bruyamment son soutien aux dirigeants de la République islamique. Ceux-ci ont parlé de manifestations ayant rassemblé « des dizaines de millions » d’Iraniens à travers le pays. Quand on sait que l’Iran compte 70 millions d’habitants, le chiffre avancé paraît fortement exagéré, mais il n’en demeure pas moins que le soutien au régime en place était substantiel, à en juger par les centaines de milliers de personnes présentes le 11 février à la place Azadi (Liberté en persan), agitant les drapeaux iraniens ainsi que les photos de Khomeiny et de Khamenei.
Il est vrai que l’opposition était réprimée, les journalistes étrangers empêchés de couvrir ses manifestations et les radios étrangères brouillées, mais il est tout aussi vrai que la grande capacité du régime de mobiliser ses partisans tranche avec la faible capacité de l’opposition de mobiliser les siens. Il y a trente et un ans, quand l’opposition iranienne était décidée à renverser le régime du Chah, ni la police, ni la Savak, ni encore l’armée, alors la plus puissante de la région, n’avaient pu l’empêcher de mener sa révolution jusqu’au bout. Aujourd’hui, le régime iranien est certes contesté, mais le test du 11 février a montré qu’il bénéficie d’un large soutien auprès du peuple et que sa fin, que certains ont imprudemment jugé proche, n’est pas pour demain.
Les dirigeants iraniens n’ont pas perdu de temps pour exploiter le succès des manifestations de soutien qu’ils ont organisées dans tout la pays. Le président Ahmadinejad, visiblement enchanté par la position de force dans laquelle il s’est brusquement trouvé et souriant à la foule qui l’acclamait, ne pouvait pas avoir une meilleure occasion pour annoncer que « les scientifiques iraniens commenceront dans les heures qui viennent à enrichir l’uranium à 20% ». Et s’adressant aux pays occidentaux, il leur a affirmé : « Je vous prie de prendre note et de comprendre que le peuple iranien est suffisamment courageux. S’il veut fabriquer une bombe, il l’annoncera clairement et la fabriquera. Il n’a pas peur de vous. Mais nous n’avons pas l’intention de fabriquer une bombe. »
Apparemment, l’Iran a un besoin urgent de l’uranium enrichi à 20% pour ses réacteurs expérimentaux et pour le traitement des « 850.000 patients » dans les hôpitaux et les cliniques iraniennes. Avant de décider de le faire lui-même, l’Iran a accepté que son uranium soit enrichi à l’étranger. Le désaccord n’était donc pas sur le principe, mais sur un détail : les Iraniens veulent donner leur uranium par petites quantités et au fur et à mesure de leur enrichissement. Les Occidentaux veulent tout l’uranium d’un coup. Quiconque à la place des Iraniens aurait nourri des doutes sur les véritables intentions occidentales. Pourquoi cette exigence suspecte de vouloir tout l’uranium d’un coup au lieu de l’enrichir par petites quantités successives ? Et si les pays occidentaux n’ont aucune idée derrière la tête, comment expliquer alors cet entêtement d’exiger que leur soit livrée d’un coup la totalité de l’uranium iranien ?
Maintenant, examinons de plus près la réaction américaine à la décision des autorités iraniennes d’enrichir elles-mêmes l’uranium dont elles ont besoin. Le porte-parole de la Maison blanche, Robert Gibbs a affirmé que les déclarations d’Ahmadinejad relevaient de la politique et non de la physique nucléaire : « Soyons francs, en ce qui concerne ce que dit M. Ahmadinejad, il dit beaucoup de choses dont une grande partie ne sont jamais confirmées par les faits. Nous pensons que l'Iran n'a pas la capacité d'enrichir (l'uranium) à ce degré ». Voilà ce qu’a dit textuellement le porte parole de la Maison blanche dont les propos ont été rapportés, entre autres, par l’Agence américaine Associated Press.
Selon la règle qui veut que celui qui ne peut pas le moins ne peut pas le plus, les Etats-Unis, forcément, ne peuvent pas croire non plus que les Iraniens aient la capacité d’enrichir l’uranium à 90%, condition indispensable à la fabrication des armes nucléaires, et donc ils n’ont pas la capacité de fabriquer de telles armes. Et si, selon la Maison blanche, les Iraniens n’ont pas la capacité de fabriquer des armes nucléaires, pourquoi tout ce tintamarre, toute cette énergie gaspillée et toute cette mobilisation occidentale pour s’opposer à quelque chose qui n’existe pas ?
Mais, en dépit de cela, les Etats-Unis, comme si de rien n’était, continuent de remuer ciel et terre pour durcir les sanctions contre l’Iran. On sait que les sanctions ne sont rien d’autre qu’une arme entre les mains des pays puissants pour obliger les pays faibles à se soumettre à leur volonté. Mais on sait aussi que ces sanctions n’ont jamais réussi à faire changer d’attitude les régimes visés, mais seulement à punir les peuples. Le cas de Cuba de 1960 à nos jours et le cas de l’Irak de 1991 à 2003 prouvent le caractère à la fois futile et impitoyable de ces sanctions. En dernière analyse, c’est le peuple cubain qui est toujours puni pour ne s’être pas révolté contre le régime de Fidel Castro. C’est le peuple irakien qui fut impitoyablement puni pour ne s’être pas révolté contre le régime de Saddam Hussein. Et c’est le peuple iranien qu’on s’apprête à punir plus sévèrement encore pour son soutien au régime en place.

Wednesday, February 10, 2010

"Vol d'Etat"

Un nouveau rapport sera publié prochainement en Israël. Encore un qui risque de faire du bruit et qui ne manquera pas d’étonner les plus blasés et les plus flegmatiques parmi les observateurs de la scène moyen-orientale. On sait que l’occupation des territoires palestiniens qui se poursuit depuis 43 ans est un vol à grande échelle par la force des biens d’autrui. On sait que ce vol se poursuit jusqu’à ce jour par les mesures d’expropriation décrétées par l’administration militaire israélienne, et par l’expulsion de familles palestiniennes de leurs maisons dans divers quartiers de Jérusalem, dont celui de Cheikh Jarrah, pour y faire habiter des colons.
Mais on vient d’apprendre qu’un autre genre de vol consistant en un détournement massif de fonds aux dépens des travailleurs palestiniens. Il a commencé en 1970 et se poursuit jusqu’à ce jour.
Pendant quarante ans les travailleurs palestiniens ont vendu leur force de travail aux employeurs israéliens. Ils n’avaient pas le choix. Quand on a une famille à nourrir, on doit travailler sans se poser trop de questions. C’est ce que les Palestiniens ont fait et font depuis des décennies, mais cela ne les empêche pas d’exprimer leur opposition et leur hostilité à l’occupation de diverses manières. Durant la première intifadha, déclenchée en décembre 1987, beaucoup d’ouvriers palestiniens travaillaient le matin dans les chantiers de construction des colonies sur les hauteurs de Cisjordanie et manifestaient l’après midi contre l’occupation et la colonisation.
Deux organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, l’Alternative Information Centre et Kav La’Oved, s’apprêtent à publier un rapport intitulé « Vol d’Etat », détaillant les divers détournements de fonds dont sont victimes les travailleurs palestiniens depuis 1970 jusqu’à ce jour et qui s’élèvent, d’après les calculs d’économistes israéliens, à 2,25 milliards de dollars.
Selon le rapport, les travailleurs palestiniens perdent le un cinquième de leurs salaires en diverses déductions : retraite, assurance d’incapacité, allocations familiales, fonds de pension et assurance maladie. Mais en pratique, les travailleurs palestiniens ne sont indemnisés qu’en cas d’incapacité résultant d’un accident de travail et dans le cas où leur employeur fait faillite. Où va l’argent ? Au ministère israélien des finances.
D’après la directrice de Kav La’Oved, Hannah Zohar, le ministre israélien des finances a reconnu que l’argent a été utilisé dans la construction d’ « infrastructures » dans le territoires palestiniens, c'est-à-dire clairement dans l’édification des colonies illégales et des routes de contournement pour les colons qui charcutent la Cisjordanie. Donc, si l’on comprend bien, ce ne sont pas seulement les terres palestiniennes qui sont volées, mais aussi la sueur des travailleurs palestiniens qui, sans s’en rendre compte, ont contribué au financement des colonies qu’ils n’ont pas le droit de s’en approcher, et des routes de contournement qu’ils n’ont le droit d’utiliser.
Mais on n’est pas au bout de nos surprises. La centrale syndicale israélienne, la Histadrut, a eu sa part du gâteau. Les travailleurs palestiniens payaient malgré eux une cotisation, bien qu’ils n’eussent pas le droit d’adhérer et encore moins de militer au sein de ce syndicat. Il est vrai que la Histadrut a accepté en 2008 de verser les sommes encaissées illégalement à la centrale syndicale palestinienne. Mais seulement 20% ont été transférés. 30 millions de dollars sont toujours dans les caisses de la Histadrut.
Une autre exigence de la Histadrut à la fois dramatique et cocasse. Il s’agit d’une taxe supplémentaire de 2% imposée à tous les travailleurs palestiniens du secteur du bâtiment pour « la formation » des nouveaux immigrants juifs en provenance de l’ancienne Union soviétique. Obliger les travailleurs palestiniens à contribuer au financement de la formation de ceux qui devraient prendre leur place sur les chantiers, c’est difficile en effet d’être plus cynique.
Cette enquête sur le vol institutionnalisé des travailleurs palestiniens pendant des décennies fait honneur aux organisations israéliennes de défense des droits de l’homme. Elle vient s’ajouter aux autres enquêtes faites régulièrement sur les exactions et les abus de toutes sortes dont sont victimes les Palestiniens de la part de l’armée, de la police et du Shin Beth. Le juge Richard Goldstone lui-même n’aurait pas pu mener à bien son rapport accablant sur la Guerre de Gaza sans les précieux témoignages des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme.
Mais ces organisations sont en train de payer le prix de leur courage et de leur intégrité. Elles se plaignent des « campagnes maccarthystes » orchestrées par l’extrême droite. Leurs chefs et leurs porte-parole sont convoqués par le Shin Beth et surveillés par la police.
La porte-parole de l'Association des droits civils en Israël (ACRI), Nirit Moskowitz, s’est confiée à l’Agence France Presse en ces termes : « Nous faisons de plus en plus figure de pestiférés dans le climat qui s'est instauré à la suite de l'offensive à Gaza il y a un an et des protestations internationales qu'elle a provoquées. Nous nous retrouvons accusés de collaboration avec l'ennemi pour avoir fourni des témoignages à la commission Goldstone de l'ONU. »
La réponse officielle du gouvernement israélien a été livrée par l’intermédiaire de l’un de ses représentants, le ministre des affaires stratégiques, Moshé Ayalon : « Ils (les défenseurs des droits de l’homme) sont en train de détruire Israël de l’intérieur. » Une réponse qui prouve encore une fois l’extrême indigence politique et intellectuelle des responsables israéliens qui, n’ayant aucun argument à opposer, s’empressent d’accuser ceux qui les critiquent de vouloir détruire Israël, et mettent dans le même sac Ahmadinejad, le nationalisme palestinien, Richard Goldstone et les organisations israéliennes des droits de l’homme.

Monday, February 08, 2010

Le budget de la défense US: pourquoi tant d'argent?

Le budget pour l’année fiscale 2011 présenté par l’administration Obama est faramineux : 3800 milliards de dollars, soit 10,5 milliards de dollars par jour. Sur ce total, le contribuable américain ne pourra payer que les deux tiers. Le tiers restant, 1300 milliards de dollars, soit 8,3% du produit national brut des Etats-Unis, sera financé par les bons de trésor que Washington vendra aux Chinois, aux Japonais, aux pays pétroliers et à quiconque possédant un bon matelas de dollars qu’il veut fructifier, à condition d’accepter de se faire rembourser après sa mort, c'est-à-dire à travers ses enfants ou ses petits-enfants.
Des déficits de cette ampleur, les Etats-Unis en ont eu, mais seulement par temps de grandes crises, comme la guerre de sécession ou la première et la deuxième guerres mondiales.
Environ 20% de ce budget, soit 708,3 milliards de dollars, vont dans les caisses du ministère de la Défense. Ce budget a une double particularité : il est plus élevé que les budgets combinés de tous les autres ministères de l’Etat fédéral américain, et il est plus élevé que les budgets combinés réservés par le reste des pays du monde à la défense.
Au plus fort de la guerre froide, quand une réelle menace existentielle pesait sur eux par les milliers d’armes nucléaires stratégiques que pointait sur le territoire américain leur ennemi irréductible, l’Union soviétique, les Etats-Unis n’avaient pas réservé autant d’argent à leur défense que ne le propose aujourd’hui l’administration Obama.
La vraie menace qui pèse aujourd’hui sur l’Amérique est celle du terrorisme. Or, comme tout le monde sait, le terrorisme par définition ne peut pas être combattu par les moyens militaires. Ceux-ci, comme le démontrent amplement les exemples irakien et afghan, par les bombardements indiscriminés et par le nombre élevé des victimes civiles qu’ils produisent, donnent aux organisations terroristes les motifs, les raisons et les atouts qu’elles cherchent désespérément pour attirer de nouvelles recrues, gonfler leurs rangs et élargir leur champ d’action.
Il faut rappeler ici que ni l’Irak, ni l’Afghanistan n’ont jamais été une menace pour les Etats-Unis. Si, après les attentats du 11 septembre, les gouvernants américains s’étaient contentés de poursuivre ceux qui ont attaqué leur pays, sans se laisser distraire ou obséder par l’Irak, il est fort probable que le phénomène terroriste n’aurait jamais atteint les proportions inquiétantes qu’il a aujourd’hui.
Mais le fait est là, rien ne peut visiblement faire changer d’avis les stratèges américains qui continuent d’utiliser les gros moyens militaires contre un ennemi dont le principal atout est de se dissoudre au sein des populations civiles. Et bien que l’attention mondiale soit focalisée sur les guerres d’Irak, d’Afghanistan et, de plus en plus, sur la guerre des drones au Pakistan, le budget réservé à tous ces engagements militaires américains est de 159 milliards de dollars. Où va donc le gros du budget, c'est-à-dire les 549 milliards de dollars qui restent ? Certes il y a les frais de fonctionnement de l’immense machine du Pentagone, les salaires du personnel civil et militaire etc. Mais ce n’est rien en comparaison avec la part du gâteau qui revient au complexe militaro-industriel dont le président clairvoyant, Dwight Eisenhower, en avait déjà mis en garde il y a plus d’un demi siècle.
Le complexe militaro-industriel était très inquiet de l’élection d’Obama .Un an après, ses représentants se frottent les mains et ne cachent pas leur satisfaction. Le Lexington Institute est l’une des nombreuses institutions américaines qui défendent les intérêts du complexe militaro-industriel. Ecoutons ce que son patron, Loren Thompson, a dit mardi dernier au New York Times : « L’industrie d’armement est satisfaite et stupéfaite… Pendant des années on ne cessait de se répéter que quand les démocrates arrivent au pouvoir, ce sera un mauvais jour pour les programmes d’armements. Mais il n’en est rien. Les dépenses continuent. »
Les responsables du complexe militaro-industriel américain ont d’autant plus de raisons d’être « satisfaits et stupéfaits » que le président Obama est allé jusqu’à presser discrètement le Congrès pour réserver 7 milliards de dollars sur cinq ans pour la production de … nouvelles armes nucléaires. Quand on se rappelle les discours électoraux du candidat Obama et les premières promesses du président Obama d’œuvrer pour « un monde dénucléarisé », on ne peut que partager la stupéfaction du complexe militaro-industriel, même si on ne partage pas sa satisfaction.
Il y’en a même qui partagent la stupéfaction du complexe militaro-industriel, mais à la place de la satisfaction, ils doivent ressentir un profond embarras : le Comité d’Oslo qui a octroyé en décembre dernier le prix Nobel de la paix au président américain. Celui-ci n’a rien fait alors pour mériter le prix, mais il a fait beaucoup depuis pour ne pas le mériter. Après tout, les gens du Comité d’Oslo sont des hommes, et l’une des principales caractéristiques des hommes est de commettre des erreurs, mais aussi, au moins pour certains d’entre eux, de tirer les leçons des erreurs commises. Gageons que pour les années à venir, le Comité d’Oslo pensera à sept reprises avant de décerner le Nobel de la paix à un homme politique sur la base de ce qu’on suppose qu’il fera dans l’avenir.
Demandez à n’importe quel responsable américain pourquoi son pays réserve-t-il tant d’argent au département de la défense et il vous répondra : « c’est simple, c’est pour assurer notre sécurité ». Précisément, l’exemple des Etats-Unis et leur réputation dans le monde montrent sans l’ombre d’un doute que la sécurité d’un pays dépend beaucoup moins de la taille de son armée et de la qualité de ses armements que d’une politique étrangère intelligente qui allie les intérêts du pays et le respect des principes de justice et d’intégrité. La Suisse, la Suède, la Norvège, le Danemark et d’autres encore n’ont-ils pas des budgets de défense dont le volume est inversement proportionnel au niveau de sécurité dont ils jouissent ?

Wednesday, February 03, 2010

Iran: le test du 11 février

L’année dernière, l’Iran a dit oui à une proposition franco-russe d’enrichissement de l’uranium iranien à l’étranger. Quelques jours après, les Iraniens font marche arrière sous le prétexte qu’ils n’ont aucune assurance que cet uranium, une fois enrichi, reviendrait en Iran. Hier, le président Ahmadinejad, à la surprise générale, annonça que l’Iran n’a aucun problème pour envoyer son uranium se faire enrichir à 20% à l’étranger, et que l’Occident en a fait « un problème pour rien ». Mais alors si cet uranium envoyé par l’Iran à l’étranger ne revient pas ? « Ce ne sera pas un problème », assure Ahmadinejad, « nous aurons prouvé au monde que nous avons raison, que l’AIEA n’est pas digne de confiance et que nous devons compter sur nous-mêmes. »
Ce changement brusque d’attitude de la part des autorités iraniennes s’explique à la fois par des raisons internes et externes. L’Iran a déjà lancé les festivités du 31eme anniversaire de la révolution islamique, mais redoute que la journée du 11 février ne soit exploitée par l’opposition pour mobiliser ses troupes et organiser des manifestations qui risquent de déraper.
En effet les risques de dérapage sont très probables compte tenu du fait que les deux parties, autorités et opposition, sont déterminées l’une à empêcher coûte que coûte les manifestations hostiles, et l’autre à crier coûte que coûte sa colère contre « la dictature » dans les rues des villes iraniennes. Les commentaires virulents de Moussavi sur les « échecs » de la révolution islamique et sur « les racines de la dictature » qui, 31 ans après la révolution, « sont toujours là », n’augurent rien de bon pour les jours à venir et ont de quoi inquiéter les autorités iraniennes.
Sur le plan extérieur, la décision américaine, prise cette semaine, d’installer des systèmes de défense anti-missiles au Koweït, aux Emirats Arabes Unis, au Qatar et à Bahreïn pour contrer « la menace iranienne », est perçue comme un signe de l’impatience de Washington de voir l’Iran traîner les pieds. Pour souligner encore plus leur détermination à passer du stade du discours à celui de l’action, les Etats-Unis ont également décidé de placer des missiles Patriot sur leurs navires de guerre dans le Golfe qui font face aux côtes iraniennes.
Partant de l’idée que l’Iran n’a strictement aucun intérêt ni aucune raison d’envoyer ses missiles sur le tête de ses voisins arabes, certains commentateurs et chercheurs, y compris dans les instituts américains, n’excluent pas l’idée que la vraie motivation de Washington est d’ « effrayer » les pays pétroliers du Golfe pour les inciter à commander plus d’armements encore.
Mais quelle que soit l’idée que les Américains ont derrière la tête, le constat qui s’impose est que deux ou trois jours après l’annonce par Washington de l’installation de ses systèmes de défense anti-missiles dans les quatre émirats du Golfe, Ahmadinejad rend public l’accord de son pays de céder à la principale exigence de l’Occident, et donc la relation de cause à effet ne peut pas être exclue.
Cela dit, on ne peut pas exclure non plus l’idée que l’Iran aurait quand même cédé sur la question de l’enrichissement de l’uranium à l’étranger même sans les missiles Patriot à ses portes, parce que pour Téhéran, actuellement, et c’est là une évidence, la priorité des priorités n’est pas le succès dans le bras de fer qui l’oppose depuis des années aux pays occidentaux, mais la maîtrise de la situation intérieure qui, avec la double radicalisation de la répression et des manifestations, semble évoluer d’une simple menace à l’ordre public à une menace aux fondements de la République islamique.
Si les autorités iraniennes, après avoir longtemps tergiversé, ont accepté que leur uranium soit enrichi dans les centrifugeuses françaises ou russes, c’est parce qu’elles se sont rendues à l’évidence que la double pression intérieure et extérieure qu’elles subissaient depuis un certain temps est devenue intenable, et qu’il fallait donc alléger la pression extérieure pour se concentrer en priorité sur la pression intérieure.
Les jours qui viennent, et en particulier le 11 février, sont d’une importance cruciale pour l’avenir de l’Iran. Si les festivités célébrant le 31eme anniversaire de la révolution khomeyniste se déroulent dans le calme, les autorités iraniennes renforceront leur position à la fois sur le plan intérieur vis-à-vis de l’opposition, et sur le plan extérieur au niveau des négociations relatives au dossier nucléaire. Si, au contraire, cette célébration tourne mal, les difficultés du régime iranien seront multipliées, et les pays occidentaux seront tentés d’enfoncer le clou en faisant preuve de plus d’intransigeance et en multipliant les exigences.

Monday, February 01, 2010

Renonciation implicite

Sur un discours de 7500 mots, quelque 800 mots seulement ont été réservés à la politique étrangère, ce qui est un peu court pour une puissance qui assume des responsabilités mondiales, mène des guerres à des milliers de kilomètres du territoire américain et entretient des centaines de bases militaires à travers le monde. Même quand l’idéologie isolationniste était à son apogée, les présidents américains réservaient plus de place à leur politique étrangère dans leurs discours sur l’état de l’union que n’avait réservé le 27 janvier dernier Barack Obama dans le sien.
Les neuf dixièmes du discours d’Obama devant le Congrès ont traité des problèmes intérieurs des Etats-Unis, et ils sont nombreux : Crise économique grave, chômage à deux chiffres, dette faramineuse, déficits vertigineux et difficultés de faire adopter un système de sécurité sociale qui couvrirait les couches modestes de la société. Toutes ces questions ont été brillamment analysées et des solutions ont été proposées par un président dont la loquacité a suscité de nombreux applaudissements de la part des représentants du peuple américain.
La situation intérieure américaine n’est pas de tout repos pour Obama qui, dès son arrivée à la Maison blanche, n’a fait que colmater les brèches béantes provoquées par une crise économique et financière inconnue depuis 1929. Le taux de sa popularité est passé en un an de 70 à 50%, et le poste vacant de sénateur du Massachusetts a été remporté il y a quelques jours par le candidat républicain, ce qui est de mauvais augure pour les élections législatives partielles de novembre prochain. Ce sont sans doute ces raisons qui ont amené le président américain à réserver les neuf dixièmes de son discours à la politique intérieure.
Seulement, pour la superpuissance américaine qui n’a jamais fait mystère de ses ambitions planétaires et qui revendique haut et fort des responsabilités mondiales, la politique étrangère est au moins aussi importante que la politique intérieure, sinon plus. En effet, compte tenu du fait que de très larges secteurs de la politique intérieure relèvent de la responsabilité des Etats fédérés et des pouvoirs régionaux, on peut s’étonner que la politique étrangère, qui relève de la responsabilité exclusive du pouvoir fédéral, trouve aussi peu d’importance dans le discours du chef du président américain sur l’état de l’Union.
Expédier des problèmes aussi complexes que ceux des guerres d’Irak et d’Afghanistan, du terrorisme, des relations avec les pays amis et ennemis en 800 mots est une gageure. Ignorer totalement le plus important d’entre eux qui est la source de bien des problèmes, c'est-à-dire le conflit israélo-arabe, et ne pas l’aborder ne serait-ce que de manière allusive, équivaut à une renonciation, à une reconnaissance implicite de l’incapacité des Etats-Unis à faire avancer le processus de paix.
Il y a des signes multiples de cette reconnaissance implicite de l’impuissance des Etats-Unis face à la rigidité et à l’intransigeance d’Israël et de leur incapacité à faire entendre raison à ses gouvernants. D’abord le silence assourdissant gardé par Obama au sujet du gel des colonies après son entrevue avec Benyamin Netanyahu à Washington. Quelle conclusion peut-on tirer sinon que quand le Premier ministre israélien dit non, le président américain fait marche arrière. Ensuite, dans une récente interview au magazine « Time », Obama a dit : « C’est vraiment dur… et si nous avions anticipé quelques uns de ces problèmes politiques qui divisent les deux parties, nous n’aurions pas suscité d’aussi grandes attentes. » Enfin, ce problème étant « vraiment dur », Obama l’évacue tout simplement du discours annuel le plus important qu’un président américain puisse prononcer.
En d’autres termes, au lieu d’assumer ses responsabilités de chef de la plus grande puissance du monde, au lieu de tenir bon et faire les pressions nécessaires pour faire entendre raison aux Israéliens et servir ainsi les intérêts de son pays et ceux de la paix dans le monde, Obama fait marche arrière et jette l’éponge que nombre de ses prédécesseurs, confrontés à la même intransigeance israélienne, ont jeté avant lui.
Mais le problème avec les Etats-Unis est qu’ils reconnaissent implicitement qu’ils sont totalement impuissants de faire avancer le processus de paix, mais en même temps ils exigent qu’on les croit quand ils disent qu’ils sont en train de déployer tous leurs efforts pour faire régner la paix dans la région. Ils continuent donc d’envoyer Mitchell discuter avec les Israéliens, mais surtout avec les Palestiniens pour les obliger à revenir à la table des négociations.
Face au refus des Palestiniens, on parle maintenant de « menaces voilées » américaines de couper leur aide financière si les Palestiniens continuent à « s’entêter » dans leur refus de s’asseoir avec les Israéliens et discuter avec eux. Discuter de quoi si, comme l’a bien expliqué Saeb Erekat, « Netanyahu a dit ‘Non’ au gel des colonies, ‘Non’ au partage de Jérusalem, ‘Non’ aux frontières de 1967, ‘Non’ au retour des réfugiés. Et maintenant, il veut garder le contrôle de la vallée du Jourdain. »
Si face à ses « niet », les Etats-Unis baissent la tête et laissent faire, comment s’étonne-t-on que Netanyahu multiplie les « non » à toutes les demandes palestiniennes ? Pire, le Premier ministre israélien est arrivé à se convaincre qu’il a tout donné aux Palestiniens, mais que ceux-ci demeurent inflexibles et intransigeants. S’adressant mercredi dernier à la presse étrangère, Netanyahu a affirmé : « Les Palestiniens ont grimpé sur un arbre et ils aiment être là haut. Nous leur avons amené une échelle pour qu’ils descendent. Mais plus l’échelle est haute, plus ils montent encore. » Chef d’œuvre de mauvaise foi, mais vaine tentative de manipulation de l’opinion internationale qui sait parfaitement, et les nombreux sondages le prouvent, qui est la source de tous les maux au Moyen-Orient.