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Tuesday, June 30, 2015

Terrorisme daéchien et ambivalence américaine

Beaucoup a été dit et écrit sur cette terrible journée du vendredi 26 juin. Le terrorisme a frappé simultanément en Tunisie, au Koweït, en France et en Somalie. Dans toute l’histoire de ce fléau, jamais autant d’attentats liés à la même nébuleuse islamiste n’ont été commis le même jour dans trois continents différents et dans quatre pays distants les uns des autres de milliers de kilomètres. Les plus sanglants et les plus meurtriers de ces attentats, à Sousse et à Koweït-City, ont été revendiqués par les terroristes daéchiens qui s’adonnent à un jeu de massacre terrifiant qu’ils ambitionnent d’étendre à tous les continents et à tous les pays. Car pour les quelques milliers d’illuminés de la centrale terroriste, l’humanité entière est impie et leur « mission divine » consiste à mettre les sept milliards d’êtres humains que compte la planète sur le « droit chemin », à moins qu’ils ne préfèrent la décapitation. Ces illuminés daéchiens croient dur comme fer à leur « mission divine ». L’une des vidéos les plus tragi-comiques dont pullulent les réseaux sociaux, et dont on sait trop si on doit en rire ou en pleurer, montre un terroriste visiblement crasseux et pouilleux, tenant son kalachnikov et assis à même le sol à côté de la grotte qui lui sert d’abri dans l’une des montagnes d’Afrique du nord, proférant cette menace à l’attention des « croisés » : « la conquête de la Maison blanche est pour bientôt »… Comment des terroristes vivant dans des grottes et rongés par la saleté et la gale arrivent-ils à se mettre en tête l’idée saugrenue qu’ils sont en mesure de transformer la plus grande puissance militaire et économique de tous les temps en colonie islamiste ? En fait, cette idée est saugrenue pour toute personne sensée, mais elle est parfaitement normale pour l’habitant des grottes des montagnes nord-africaines, pour le terroriste qui se fait exploser dans une mosquée chiite au Koweït, pour l’illuminé qui court comme un fou en Irak et en Syrie à la recherche d’ « ennemis de Dieu » à tuer ou encore pour le terroriste qui décapite de pauvres innocents sur les plages libyennes. Car pour ces gens qui, pour tout bagage religieux et doctrinal balbutient incorrectement quelques versets du Coran, qui ont subi un lavage de cerveau en règle et qui voient avec émerviellement l’étendue des terres conquises en Irak et en Syrie par une organisation terroriste auto-baptisée Etat islamique, les jeux sont faits. La deuxième conquête de New York et Washington (après celle du 11 septembre 2001) est pour bientôt et la grande machine militaire américaine ne tardera pas à passer sous les ordres du khalife Baghdadi ou de son successeur. La machine politico-sécuritaire américaine ne peut ignorer cette fantasmagorie délirante des terroristes islamistes. Des milliers de citoyens américains sont tombés victimes de cette fantasmagorie en août 1998 à Dar Essalem, à New-York et Washington en 2001, à Nairobi en 2011, à Benghazi en 2013 etc. Pourtant, la réaction américaine est toujours ambivalente et entourée de mystère, pour ne pas dire plus, quand il s’agit de confronter la nébuleuse terroriste. Si l’on prend le cas du groupe terroriste le plus cruel, le plus meurtrier et plus dangereux pour la paix de la planète, on reste pantois face au paradoxe saisissant entre l’activisme ravageur de Daech en Syrie, en Irak et en Libye d’une part et la passivité consternante américaine d’autre part. Tout le monde sait que les deux seules fois où l’aviation américaine est intervenue efficacement contre les terroristes de Daech, c’était pour les empêcher de pénétrer dans le Kurdistan irakien et Ain el Arab-Kobani, enclave kurde sur la frontière syro-turque. En Irak et en Syrie, les terroristes de Daech sillonnent en toute liberté les larges zones qu’ils occupent. Pire encore, ils se déplacent avec leurs chars, leurs tanks et leurs véhicules blindés et armés en files indiennes longues de plusieurs centaines de mètres, parfois en plein désert sans le moindre relief ou la moindre verdure pour se cacher en cas d’attaque. L’aviation américaine est parfaitement capable de les anéantir sur place, mais mystérieusement elle ne fait rien. Face à cette duplicité des Etats-Unis qui pataugent entre un discours anti-terroriste lénifiant et une passivité désastreuse vis-à-vis de la progression daéchienne, le monde doit exiger une explication. Les dirigeants turcs sont-ils plus courageux que leurs homologues américains ? Au moins les Turcs ont le mérite de la franchise en expliquant clairement que les terroristes daéchiens ne constituent aucun danger pour leur pays, contrairement aux Kurdes qui cherchent, selon eux, à fonder un Etat. Dès lors, on ne s’étonne plus de la politique pro-daech et antikurde du gouvernement islamiste de M. Erdogan. Compte tenu de l’ampleur de la menace de Daech qui pèse sur les cinq continents, L’ONU et toutes les instances influentes sur la scène mondiale doivent assumer leur responsabilité en exigeant une explication claire de la Maison blanche concernant la duplicité et l’ambivalence de leur politique. Clairement, les Etats-Unis n’ont aucune intention de détruire Daech. Pourquoi ? C’est la question que le monde doit leur poser avec insistance. En attendant l’improbable réponse, plusieurs pays au bord de l’épuisement et des millions de personnes continuent de subir dans leur chair les conséquences du déchainement sanguinaire de quelques milliers d’illuminés qui bénéficient du soutien actif de deux ou trois pays irresponsables de la région, et surtout de la passivité coupable de l’unique puissance capable de les écraser en quelques jours.

Regain d'intérêt pour la question palestinienne

Depuis l’entrée du monde arabe en ébullition en 2011, la cause palestinienne, qui était toujours au centre des préoccupations du Golfe à l’Atlantique, est soudain passée au second plan. Devant l’irruption spectaculaire de ce qui est appelé « Etat islamique » et face au déchainement meurtrier de ses milliers de terroristes, la question palestinienne, à la grande joie d’Israël, n’interpelle plus grand monde dans un monde arabe consterné par la tournure incroyablement tragique des événements d’Irak, de Syrie, de Libye et du Yémen. Certes, l’administration Obama, à l’instar de ses précédentes, a tenu à avoir elle aussi son initiative de paix au Proche-Orient. Mais elle n’a pas eu plus de succès que les administrations des Bush père et fils, Clinton, Reagan, Carter etc. Le désintérêt international et arabe de la dernière initiative de paix américaine était tel que quand John Kerry annonça en 2014 son échec, rares étaient les médias qui en avaient fait leur information principale. Mais voilà que la question palestinienne revient à la « Une » de l’actualité grâce à une nouvelle initiative de paix qui, cette fois, vient de la France. Depuis des semaines, la diplomatie française s’active à mesurer les chances de réussite de son plan de paix et à sonder les opinions des parties intéressées bien sûr, mais aussi des grandes puissances et de ses partenaires européens. Il semble même qu’avant que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, n’entreprenne sa tournée de 36 heures au Proche-Orient, il a contacté son homologue américain John Kerry pour s’assurer sinon du soutien, du moins de la neutralité bienveillante de Washington. L’idée française est que ce projet doit avoir pour base une résolution de l’ONU qui servirait de cadre pour un éventuel accord de paix entre Israël et les Palestiniens. Il semble aussi que le Quai d’Orsay travaille activement en vue de préparer ce projet de résolution qui sera présenté à l’Assemblée générale de l’ONU dans sa session annuelle de septembre, c'est-à-dire dans neuf ou dix semaines. D’après des sources bien informées, la France, tirant la leçon des échecs des innombrables initiatives et des interminables négociations qui ont précédé, est déterminée à mettre une limite dans le temps qui ne dépasserait pas dix huit mois. Toujours d’après ces sources bien informées, en cas d’échec provoqué comme d’habitude par l’intransigeance israélienne, la France reconnaitrait l’Etat palestinien, ce qui ne manquerait pas d’avoir d’immenses conséquences en faveur des Palestiniens en Europe et dans le monde. C’est donc pour présenter les grandes lignes de cette initiative que Laurent Fabius a entrepris une brève tournée de 36 heures au Moyen-Orient au cours de laquelle il a été reçu successivement au Caire, à Amman, à Ramallah et en Israël. Si, en dépit des priorités et des urgences stratégiques en relation avec la grande menace terroriste qui les interpelle les dirigeants arabes ont réservé un bon accueil au ministre français et à son initiative, le Premier ministre israélien en revanche a affiché une mine de quelqu’un qui vient de subir une catastrophe. La mine renfrognée, l’air maussade, Netanyahu, qui se tenait à côté de Laurent Fabius face à la presse, était dans un état de véritable panique. Il était visiblement terrorisé par la perspective de paix, lui qui, depuis son premier mandat en 1996, n’a rien fait d’autre qu’entretenir les crises et déclencher des guerres meurtrières contre un peuple désarmé. La panique de Netanyahu s’explique aussi par l’intérêt soudain de la France au problème israélo-arabe, un pays où il n’y a ni Congrès aux ordres de Tel Aviv, ni lobbies puissants qui prennent en charge l’étouffement des initiatives de paix. Habitué à la machine diplomatique américaine dont il a les commandes pour tout ce qui touche le contentieux israélo-palestinien, Netanyahu a eu la désagréable surprise de devoir travailler avec une autre machine diplomatique, celle de la France, dont il ne connaît ni le mode d’emploi, ni les règes de fonctionnement, ni les moyens de pression pour infléchir une tendance ou influencer une décision. La réaction de Netanyahu répétant nerveusement ses clichés éculés du genre « nous n’accepterons aucun diktat qui nous vient de l’étranger » ou encore « la sécurité d’Israël est au dessus de toute autre considération », n’augure rien de bon. Après avoir écouté attentivement la réaction nerveuse de Netanyahu, Laurent Fabius a cru bon de le rassurer en déclarant que la France n’a nullement l’intention de « jouer les Don Quichotte », une formule qui, il faut bien le dire n’a pas beaucoup de sens. Car au Moyen-Orient, on n’est pas en présence de moulins à vents à terrasser, mais d’une injustice monumentale à redresser. La diplomatie française ne peut pas ignorer que l’élaboration d’un projet de paix dans une région sinistrée par des décennies de guerre n’est pas une fanfaronnade donquichottesque, mais un devoir politique et moral que tout pays influent sur la scène mondiale et un peu impartial devrait entreprendre. La France est un pays puissant et, comparé aux Etats-Unis, impartial. Elle est dotée de moyens de pression substantiels sur Israël, dont le plus important est la perspective de reconnaissance de l’Etat palestinien. Enfin, la France ne peut pas ignorer que le vrai obstacle à son initiative n’est pas l’intransigeance de Netanyahu, mais le veto américain. Si Paris arrive à convaincre Washington d’adopter au moins une position abstentionniste, les capacités de nuisance de Netanyahu seront fortement réduites et les chances de réussite de l’initiative française seront substantielles.

Entre la peste et le choléra, ils ont choisi

Il y a quelques jours, la chaine qatarie, « Al Jazeera », a diffusé une longue interview du chef du groupe terroriste, « Jabhat Annusra », Abou Mohamed Al Joulani, menée par le journaliste Ahmad Mansour, arrêté pendant trois jours à Berlin probablement pour lien avec le terrorisme. Le but de l’interview, on s’en doute, ne consiste pas à informer le téléspectateur ou à l’éclairer. Car enfin quelle information et quelle analyse peut-on attendre du chef d’un groupe terroriste dont le but dans la vie est de la faire perdre au maximum d’êtres humains à coups de voitures piégées, de décapitations et d’assassinats collectifs ? En fait, « Al Jazeera » étant ce qu’elle est, et les penchants pro-Qaida du journaliste-intervieweur étant ce qu’ils sont, on a très vite compris que l’interview n’a aucun autre objectif que de blanchir « Jabhat Annusra » et de la rendre acceptable pour les décideurs occidentaux. En d’autres termes, « Al Jazeera », l’instrument médiatique de la diplomatie belliqueuse du Qatar, est chargée de la mission de « normalisation » de l’organisation terroriste consistant à lui trouver une place au sein de l’opposition « modérée » au régime syrien que les Occidentaux tentent désespérément de mettre sur pied. D’un air qui ne convainc que ses amis turcs et qataris, le chef terroriste a essayé de se montrer modéré en assurant qu’il n’a aucune intention de s’en prendre ni à l’Amérique ni à l’Europe. L’inquiétant dans tout ça est que certains milieux influents en Occident ne sont nullement embarrassés à devoir choisir entre la peste et le choléra. Ils refusent la peste qui vient de l’Etat islamique, mais ils acceptent le choléra du côté d’Annusra. Et la campagne de « normalisation » de cette organisation terroriste se poursuit, même si, deux ou trois jours après la diffusion de l’interview, une vingtaine de Druzes syriens ont été froidement assassinés par les hommes de Joulani. En Syrie aujourd’hui, il y a trois forces en guerre : le régime syrien qui lutte pour sa survie, l’organisation de l’Etat islamique d’Abou Bakr Al Baghdadi et « Annusra » d’Abou Mohamed Al Joulani, l’un et l’autre partageant les mêmes convictions obscurantistes et les mêmes méthodes terroristes, la même férocité, mais nourrissant l’un vers l’autre une haine irréductible. Pour le petit émirat du Qatar et la Turquie d’Erdogan, le problème ne se pose pas. Etat Islamique, Annusra ou le diable en personne, peu importe. Quiconque a les moyens sinon de renverser le régime de Bashar Al Asad ou du moins de le maintenir dans un état de guerre perpétuelle, a droit à l’aide généreuse et multiforme turco-qatarie. Les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, partageaient avec Doha et Ankara le même désir de voir le régime syrien s’écrouler, même si ce désir est loin d’avoir le caractère obsessionnel observé dans les comportements de l’émir du Qatar et du président turc. Seulement, au vu des performances quasi-nulles sur le terrain de l’opposition dite modérée, largement dominée par l’extrémisme fanatiquement sanglant des organisations de Baghdadi et de Joulani, l’ardeur des Occidentaux de voir Bashar partir s’est quelque peu refroidie. C’est dans l’espoir de réchauffer cette ardeur si l’on peut dire que l’on assiste aujourd’hui à cette grande manœuvre manipulatrice consistant à faire d’un groupe de terroristes sanguinaires des hommes respectables. Mais en tentant de blanchir « Annusra », le Qatar et la Turquie prennent le risque de ternir encore plus leur réputation déjà fortement ternie dans le monde arabe et sur la scène internationale. Sur le dossier syrien, Erdogan et ses alliés du Qatar se trouvent dans une situation intenable. Ils ont dépensé trop d’argent, de temps et d’énergie pour renverser le régime de Bashar. En Vain. Quatre ans et quatre mois après le début de leur engagement agressif contre le régime syrien, le bilan est très en deçà de leur attente et la disproportion entre l’aide massive consentie aux groupes terroristes et les résultats obtenus est énorme. Quatre ans et quatre mois après le début de la guerre en Syrie, Bashar est toujours là et les terroristes de l’Etat islamique perdent leurs positions l’une après l’autre au profit des Kurdes syriens, une évolution cauchemardesque pour Erdogan. Quant au Qatar, sa réputation de financier généreux du terrorisme islamiste est de plus en plus lourde à porter, et l’arrestation récente à Berlin du journaliste d’Al Jazeera, Ahmed Mansour, la voix de son maître, est un signal inquiétant pour les cheikhs de l’émirat. Mais l’exercice de « Public Relations » entrepris par les parrains turcs et qataris en faveur de leurs protégés d’Annusra gagnerait en efficacité s’ils introduisaient dans cette campagne un élément important négligé volontairement ou involontairement, mais qui intéresserait beaucoup les Occidentaux, cible principale de la manœuvre : Annusra qui occupe la région limitrophe du plateau du Golan syrien non seulement n’a pas tiré une seule balle en direction de l’occupant israélien, mais ses blessés sont transportés par les ambulances de l’Etoile Rouge de David (Magen David Adom) pour se faire soigner dans les hôpitaux d’Israël. Un autre élément qui intéresserait l’Occident et aiderait beaucoup Erdogan et l’émir du Qatar dans leur mission : Jabhet Annusra est une organisation terroriste certes, mais elle ne tue que les musulmans.

Wednesday, June 17, 2015

Menace factice et menaces réelles

Dans son édition du 13 juin, le New York Times a publié un article avec un titre peu banal : « U.S. Is Poised to Put Heavy Weaponry in Eastern Europe » (Les Etats-Unis s’apprêtent à entasser de l’armement lourd en Europe de l’Est). Le ton est donné dès les premières lignes de l’article : « Dans un geste significatif consistant à décourager une éventuelle agression russe en Europe, le Pentagone s’apprête à envoyer aux pays de l’Europe de l’Est, dont les pays baltes, des chars de combat, des véhicules blindés et autres armements lourds, de quoi équiper 5000 soldats américains. » En décidant de déployer 5000 soldats lourdement armés en Pologne et aux pays baltes, les Etats-Unis restent fidèles à leur réputation de pays en guerre perpétuelle par ses propres moyens ou en coopération avec l’OTAN, une organisation qui, depuis sa création, n’a jamais contesté ou discuté un ordre venant de Washington. D’ailleurs avant la décision du Pentagone de déployer une si grande quantité d’armements lourds aux frontières de la Russie, l’OTAN a devancé les désirs de son membre dominant en poussant son rouleau compresseur à l’est de l’Europe où près de 30.000 soldats armés jusqu’aux dents sont installés dans les anciens satellites de l’Union soviétique, et même dans les pays baltes qui faisaient partie de l’ancienne superpuissance communiste. Malgré les évidences corroborées par les services de renseignements de pays occidentaux, dont les services français, que la Russie n’a aucune intention d’occuper l’Ukraine, les Etats-Unis et l’OTAN s’agitent comme des diables pour convaincre le monde du contraire en promouvant l’idée qu’une « agression russe » contre ses voisins n’est pas à exclure. Recourant à la manœuvre classique, éculée et usée jusqu’à la corde, Washington et l’OTAN tentent de démoniser le président Poutine décrit par l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton comme étant le nouveau Hitler. Il est vrai que depuis la pendaison de Saddam Hussein le jour de l’Aid, le poste du « Hitler de service » est resté vacant. Le problème avec la démonisation de Poutine est que l’opinion mondiale n’a pas mordu à l’hameçon tendu par la machine de propagande américano-atlantiste. Il y a bien une quinzaine d’années depuis que Poutine a pris en main les affaires de la Russie. Tout observateur honnête ne peut pas ne pas reconnaitre les progrès accomplis par l’économie russe depuis que le pays s’est débarrassé du président- catastrophe, Boris Eltsine. La Russie était à genoux dans les années 90 du siècle dernier. Aujourd’hui, grâce à la gestion efficace de Poutine dont la popularité est toujours au zénith, le pays est en bonne santé et se permet même le luxe d’envoyer chaque année des millions de ses hommes et femmes sillonner le monde en touristes. Les responsables américains et atlantistes feignent l’insomnie par peur de voir la machine de guerre russe écraser les pacifiques européens de l’Est. Il convient ici de rappeler qu’outre le fait que la préoccupation première des responsables russes est de développer leur pays et d’élever le niveau de vie de leur peuple, la dernière agression dont la Russie s’était rendue coupable remonte à près de trente six ans quand les troupes soviétiques envahirent l’Afghanistan en décembre 1979. D’aucuns rétorquent que Poutine a envoyé ses troupes en Géorgie en août 2008. Oui, c’est vrai. Mais c’était en réaction à la provocation du président géorgien Saakachvili qui, par amateurisme politique et se croyant soutenu par l’Otan et par Washington, envoya ses troupes en Ossétie du sud dans le but de l’annexer. Quant à ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui, la Russie est elle-même victime d’une manœuvre de déstabilisation à grande échelle planifiée par les stratèges américano-atlantistes. Les Etats-Unis et l’OTAN ont donc peur d’une « éventuelle agression » d’un pays dont la dernière attaque contre un pays étranger remonte à trente six quand la Russie était déjà la seconde superpuissance du monde et du temps où elle était gérée par un régime politique totalitaire. Mais voyons les choses de plus près. Auteur de best sellers sur la politique étrangère américaine, William Blum parle de son pays en ces termes : « Les Etats-Unis ont utilisé régulièrement la force contre leurs ennemis depuis deux siècles. Depuis 1946, les Etats-Unis ont tenté de renverser plus de 50 gouvernements étrangers. Dans la même période, ils ont tenté d’assassiner plus de 50 dirigeants étrangers et ils ont bombardé plus de 30 pays. Un bilan sans commune mesure dans l’histoire de l’humanité, et il n’y a aucune raison que cela change, sauf si une puissance supérieure capable de nous défaire entre en scène. » La conjoncture internationale actuelle et la réalité des menaces dans le monde sont bien différentes de ce que veut nous faire croire la propagande américano-atlantiste. Le budget militaire américain est plus élevé que les budgets cumulés du reste du monde. Et alors que les Russes ont démantelé leur base militaire à Cuba, les sous-marins américains sillonnent les côtes de la Norvège et leurs missiles ne mettent pas plus de 17 minutes pour atteindre le cœur de Moscou. Sans parler de la responsabilité de Washington et de l’OTAN dans le développement sans précédent de la menace terroriste dans le monde grâce à leurs performances en Irak, en Syrie, en Libye et ailleurs. En d’autres termes, nul besoin d’être un expert chevronné en politique internationale pour se rendre compte que les dangers mortels encourus aujourd’hui proviennent non pas de la menace factice attribuée à la Russie mais des menaces bien réelles que pose l’aventurisme militaire américano-atlantiste qui a déjà gratifié le monde d’un cadeau inoubliable : le plus grand fléau terroriste de tous les temps.

Sunday, June 14, 2015

Le rêve brisé d'Erdogan

L’homme le plus frustré aujourd’hui en Turquie est incontestablement Recep Tayyip Erdogan. Le président de la république turque et du parti islamo-conservateur (AKP) a placé très haut la barre de ses ambitions, allant jusqu’à exprimer son désir de voir les électeurs lui accorder les trois quarts des sièges du parlement afin de pouvoir modifier la Constitution, présidentialiser le régime et élargir ainsi la sphère de ses prérogatives. Erdogan n’a pas eu ce qu’il désire, loin s’en faut. Au lieu du score de 75% ardemment désiré par son président, le Parti de la justice et du développement n’a eu que 40%. Pour la première fois depuis 2002, date de sa première victoire, le parti islamo-conservateur se trouve dans l’incapacité de former un gouvernement par ses propres moyens, faute de majorité absolue. Après trois victoires successives de son parti dans les législatives de 2002, 2006 et 2011, et après sa victoire dès le premier tour dans la première élection présidentielle au suffrage universel d’août 2014, Erdogan n’a pu, semble-t-il, éviter la pire des conséquences de l’ivresse du pouvoir : la mégalomanie. La mégalomanie engendre ce qu’on pourrait appeler la cécité politique dans la mesure où le politicien qui en est atteint considère que le monde tourne autour de lui et se trouve dans l’incapacité de voir autre chose que ses ambitions mégalomaniaques. Sans l’ivresse du pouvoir et sans la mégalomanie subséquente, Erdogan aurait mis beaucoup d’eau dans son vin si l’on peut dire pour plusieurs raisons. Avec un peu de lucidité, il aurait pu se dire que le pouvoir use et qu’il serait présomptueux, après 13 ans de gouvernement sans partage, de demander aux électeurs une majorité de 75% rien que pour servir un égo insatiable. Avec un peu de lucidité, il aurait pu se dire qu’avec une économie qui périclite, un taux de chômage en constante progression et un endettement sans précédent des ménages turcs, beaucoup d’électeurs pourraient recourir au vote sanction contre l’AKP, ce qui fut fait. Avec un peu de lucidité, il aurait pu tirer la leçon de l’impitoyable répression des manifestations pacifiques de 2013 à la place Taksim à Istanbul. Ces événements qui constituent l’apogée de la dérive autoritaire d’Erdogan, ont accru les rancœurs d’une bonne partie des Turcs contre l’AKP et son président. Avec un peu de lucidité enfin, Erdogan se serait abstenu de se déchaîner contre ses adversaires durant la campagne électorale au point de transformer les élections législatives du 7 juin 2015 en un référendum sur sa propre personne. En un mot, avec un peu de lucidité, Erdogan se serait épargné le passage brutal et douloureux de l’ambition démesurée à la frustration déséquilibrante. En fait, cette frustration aurait été anodine et banale s’il ne s’agissait que d’un simple échec électoral, comme en subissent régulièrement des milliers de politiciens dans le monde. Pour Erdogan, c’est différent, car depuis sa première victoire en 2002, il n‘ a cessé de nourrir le rêve insensé de rétablir un jour le califat islamique et le « glorieux » empire ottoman détruits militairement pas les alliés de la guerre de 14-18 et enterrés politiquement et juridiquement par Ataturk en 1923. En islamiste irréductible, Erdogan s’accroche obstinément à son rêve. Il contribue activement à mettre ses voisins à feu et à sang en aidant militairement, matériellement et politiquement les coupeurs de têtes de ‘Daech’ à étendre leur domination destructrice en Syrie et en Irak. Quand on voit la liberté excessive de mouvement autorisée par Erdogan du côté de la frontière syro-turque dominée par les terroristes daéchiens et la fermeture hermétique de la portion de frontière contrôlée par les Kurdes syriens, on est édifié sur la solidité des liens entre le gouvernement turc et l’ « Etat islamique ». D’ailleurs Recep Tayyip Erdogan et Abou Bakr Al Baghdadi partagent la même doctrine théologique et le même objectif stratégique, sauf que le premier rêve de rétablir le califat islamique petit à petit en utilisant les moyens économiques et militaires de la Turquie, et le second est pressé d’y arriver à coups de voitures piégés, de décapitations, d’assassinats collectifs et de nettoyage ethnique. Avec 60% du peuple turc qui lui tourne le dos, il est difficile pour Erdogan de continuer de rêver. S’il consacre un peu de temps à la réflexion honnête, il se rendra compte que son projet stratégique n’était en fait qu’un projet chimérique, que l’islam politique dont il est le défenseur le plus puissant est en régression partout, et que le rôle joué dans la déstabilisation à grande échelle de la Syrie ne fera honneur ni à lui ni à son parti et ne servira ni le peuple turc ni le peuple syrien qui poursuit sa descente aux enfers pour la cinquième année consécutive. Cela dit, pour former un gouvernement, Erdogan n’a guère le choix qu’entre s’allier à l’un des trois partis d’opposition, le parti républicain du peuple (132 sièges), le parti d’action nationaliste (80 sièges) ou le parti démocratique des peuples (80 sièges). Si dans un délai de 45 jours le parti islamo-conservateur n’arrive à convaincre aucun de ces trois partis, de nouvelles élections seront organisées et, dans ce cas de figure, il n’est pas exclu que le parti d’Erdogan laisse encore des plumes. Ce ne sera pas une si mauvaise chose. Un tel scénario est même dans l’intérêt de la Turquie qui, au lieu de perdre son temps et son énergie à aider les partis islamistes dans le monde arabe et les groupes terroristes chez ses voisins du sud, s’occupera enfin de ses problèmes intérieurs dont la résolution est pour le peuple turc beaucoup plus urgente que le renversement du régime syrien.