airelibre

Friday, August 29, 2008

En attendant la seconde moitié du rêve

Le stade de Denver, construit au pied des montagnes Rocheuses dans l’Etat du Colorado, était jeudi après midi plein à craquer plusieurs heures avant l’arrivée de la vedette. Les 80.000 personnes qui devaient remplir le stade ont commencé à faire la queue devant les portes d’entrée huit heures avant l’heure prévue pour le discours de Barack Obama. Le New York Times a dépoussiéré ses archives pour informer ses lecteurs que même John Fitzgerad Kennedy n’a pas fait mieux qu’Obama. Loin de là. En Juin 1960, lors de la convention démocrate tenue au Memorial Coliseum de Los Angeles, où Kennedy avait fait son discours de candidat, « la moitié des sièges étaient vides ». Hier, le dernier des 80.000 sièges du stade de Denver était occupé à 17H15, alors qu’Obama ne devait prononcer son discours qu’après 20 heures…
Cet extraordinaire engouement du public américain ne s’explique pas seulement par la curiosité ou par le désir d’écouter en direct le discours d’un homme qui a séduit par son éloquence. Cet engouement s’explique surtout par le besoin pressant des Américains de changer de politique et par leur impatience d’enterrer les années Bush que beaucoup n’hésitent pas à qualifier d’« années noires ».
Conscient de cet état d’esprit, le candidat démocrate a enfoncé le clou dès les premières phrases de son discours : « Amérique, nous valons mieux que (ce qu’on a fait de nous) ces huit dernières années. Nous sommes un meilleur pays que ça », a-t-il martelé face à une foule en délire.
Le génie de Barack Obama est d’avoir, en un temps si court, donné un peu de son image au parti qui l’a choisi pour le représenter à la bataille pour la Maison blanche qui promet d’être dure cet automne. Parce qu’il est jeune, dynamique, éloquent et porteur d’une grande promesse de changement, Obama a réussi l’improbable pari de transformer rapidement l’image négative qu’on avait du parti démocrate. Du coup, on ne pense plus à ce parti comme une loque politique épuisée par les années Clinton et humilié par la double victoire de George W. Bush, mais comme une force capable de remettre l’Amérique sur les rails après huit ans de dévoiement, de choix désastreux et de politique chaotique.
Par un extraordinaire hasard de calendrier, Barack Obama a fait son discours d’acceptation de la candidature démocrate le jour du quarante cinquième anniversaire du fameux discours que Martin Luther King a prononcé dans le Mall de Washington et au cours duquel il a lancé l’Amérique et au monde sa phrase immortelle : « I have a dream » (J’ai un rêve). 45 ans après, jour pour jour, la moitié du rêve de Luther King est devenue réalité par le fait même que l’un des deux grands partis américains désigne avec un enthousiasme et une ferveur étonnants un candidat noir pour le représenter dans la course à la Maison blanche. La seconde moitié du rêve aura de fortes chances de se réaliser le 4 novembre prochain si Obama est élu.
Les atouts que le candidat noir a en main sont substantiels. Le principal atout, Obama a commencé à l’exploiter déjà. Il consiste à lier intimement McCain et Bush et à présenter une éventuelle victoire de celui-là comme « un troisième mandat » de celui-ci. C’est dans ce sens que s’inscrit l’un des principaux slogans de la campagne d’Obama : « Huit ans, c’est assez ». C’est plus qu’assez en effet.
C’est un fait que si par malheur McCain est élu, on aura douze ans de bushisme, car la différence entre le président sortant et le candidat républicain est à peu près la même que celle qui existe entre blanc bonnet et bonnet blanc. La semaine prochaine, Obama aura une belle occasion d’accentuer ses efforts consistant à lier intimement Bush et McCain et à les présenter comme deux clones. La convention républicaine se tiendra à partir de lundi à Saint Paul dans l’Etat du Minnesota et le président sortant et le candidat républicain se montreront ensemble. Quand on le verra côte à côte, la première idée qui viendra à l’esprit est que l’un a déclenché la désastreuse agression contre l’Irak, et l’autre a promis d’y rester …cent ans. Une belle occasion pour Obama de passer à l’attaque et de tourner en dérision la dernière trouvaille de McCain : «Parce que Obama a voté contre la guerre d’Irak, il sera incapable de défendre l’Amérique »…
Beaucoup de citoyens arabes, du Golfe à l’Atlantique, ont ressenti, à raison, une certaine amertume en juin dernier lorsque Barack Obama, dans son discours à la conférence de l’AIPAC (le puissant lobby juif américain), a rivalisé d’ardeur pro-israélienne avec ses concurrents politiques.
Il y a tout lieu de croire que sa « sortie » sur Jérusalem, par exemple, est moins l’expression d’une conviction profonde qu’une tentative maladroite de neutraliser le puissant lobby juif qui, tout le monde sait, est un obstacle majeur sur le chemin de la Maison blanche pour tout candidat dont l’ardeur pro-israélienne est jugée « modérée » par l’AIPAC.
Obama se présente de manière tout à fait crédible comme le candidat du changement. Pas seulement sur le plan de la politique intérieure, mais aussi étrangère. Et dans sens, il représente une chance pour que les Arabes se réconcilient avec l’Amérique qu’il ne détestent pas parce qu’elle est « riche et démocratique », comme ont désespérément tenté de le faire croire les propagandistes du régime de George Bush, mais parce que sa politique étrangère est biaisée, partiale et systématiquement, exagérément et inexplicablement anti-arabe et pro-israélienne.

Monday, August 25, 2008

Une bourde stratégique

Tous les observateurs s’accordent à dire que sans le feu vert de Washington, son principal allié, l’imprudent président géorgien,Mikheil Saakashvili n’aurait jamais pris le risque de provoquer inutilement les Russes en lançant ses troupes à l’assaut de la capitale de l’Ossétie du sud, Tskhinvali.
Si tel est le cas, l’administration Bush aura commis une autre grosse erreur stratégique dont les conséquences seront forcément gérées par la prochaine administration qui s’installera au pouvoir à Washington le 20 janvier prochain.
Mais à supposer que, comme l’affirment avec insistance certains membres de l’administration Bush, que Saakashvili est allé de son propre chef tirer le diable par la queue, il n’en est pas moins vrai que depuis des années l’armée géorgienne est entraînée et équipée par les Etats-Unis d’Amérique et Israël, et pas seulement par gratitude pour Saakashvili qui a envoyé 900 soldats en Irak pour aider son ami George Bush.
Quelques mois après que la Russie ait avalé la couleuvre du Kosovo, le président géorgien se lance dans une agression contre l’Ossétie du sud où vivent des citoyens russes et une majorité d’habitants qui refuse de vivre sous la tutelle de Tbilissi. La sauvagerie de l’agression perpétrée par les troupes géorgiennes contre les civils est telle que l’on ne peut exclure l’idée que la décision désastreuse de Saakashvili vise entre autres raisons de soumettre la Russie à un test et de voir jusqu’où elle peut aller dans ses réactions aux provocations.
Saakashvili et ses alliés n’ont pas besoin d’un tel test, parce que même un politicien très moyen aurait dû savoir qu’après l’humiliation du Kosovo, la couleuvre de l’Ossétie du sud est trop grosse à avaler et que Moscou ne laisserait personne, et encore moins son ennemi juré Mikheil Saakashvili, bouleverser le statu- quo qui prévaut en Ossétie du sud et en Abkhazie depuis la guerre de 1990-1992 sans réagir.
L’histoire abracadabrante racontée par le président géorgien à l’intellectuel français Bernard Henri Lévy (« J’étais en vacances en Italie pour une cure d’amaigrissement lorsque j’ai lu dans les journaux italiens que la Géorgie se prépare à la guerre… »), cette histoire donc ne trompe personne, car même la presse américaine et des responsables américains et européens admettent que celui qui a ouvert la boite de pandores dans le Caucase c’est Saakasvili en personne.
Cependant, en dépit de cette conviction, une large partie de la presse américaine et européenne et nombre d’intellectuels des deux côtés de l’atlantique ont adopté des attitudes hystériques qui rappellent les pires moments de la guerre froide. Ils continuent de dépeindre le Kremlin en « agresseur » et la Géorgie en « victime » et mettent en garde le monde que s’il n’arrête pas à temps la Russie, demain ce sera le tour de l’Ukraine, des pays baltes et même de la Pologne qui, en pleine crise du Caucase, vient de signer avec les Etats-Unis l’accord d’installation sur son territoire du système anti-missiles américain. Encore une provocation gratuite.
En fait, la Géorgie et l’Ukraine ont fait partie de la Russie bien avant la naissance de l’Union soviétique. L’Ukraine en particulier continue, linguistiquement et culturellement du moins, de dépendre de la Russie et une bonne partie de la population ukrainienne, notamment dans les régions situées à l’est regardent vers Moscou avec nostalgie. En dépit de cela, la Russie a accepté leur indépendance sans poser de problème. Un accord signé entre George Bush père et Mikhaïl Gorbatchev au moment de l’effondrement de l’URSS précise que Washington s’abstiendrait de toute action de nature à transformer ces deux pays en forces hostiles à Moscou et surtout de ne pas chercher à les intégrer au sein de l’Otan.
Cet accord a été vite enterré par les successeurs de George Bush père qui ont soutenu fermement les « révolutions démocratiques » colorées en Ukraine et en Géorgie, et l’administration américaine actuelle est en train de déployer des efforts monumentaux pour intégrer ces deux pays au sein de l’Otan. Il est naturel dans ces conditions que la Russie se sente menacée par l’encerclement qui, visiblement, s’avère être une idée fixe américaine.
Quel intérêt a Washington d’encercler la Russie ? Aucun. Quel intérêt a l’Otan à intégrer deux pays problématiques (la Géorgie et l’Ukraine) en son sein ? Aucun. Il faut reconnaître que la Russie d’aujourd’hui, contrairement à l’Union soviétique d’hier, ne cherche qu’à développer son économie et à élever le niveau de vie de ses citoyens. Elle ne menace personne et n’a aucune visée territoriale ni sur la Géorgie ni sur l’Ukraine. Dans ces conditions, la politique américaine consistant à encercler la Russie, à armer ses voisins et à tenter de les imposer au sein de l’alliance atlantique ressemble à l’étrange attitude de celui qui se casse la tête à trouver des solutions à des problèmes inexistants.
Durant les décennies de la guerre froide, la propagande occidentale s’était déchaînée contre l’ « ours polaire », animal dont elle avait réussi à en faire le symbole de l’Union soviétique. Il est vrai que la défunte superpuissance avait défrayé la chronique par ses incursions militaires en Hongrie (1956), en Tchécoslovaquie (1968) et en Afghanistan (1979). Aujourd’hui, la même machine de propagande se déchaîne contre « l’ours russe » contre lequel elle nous met en garde. Le problème est que « l’ours russe » vaque tranquillement à ses occupations chez lui quand des provocateurs professionnels ont choisi de lui marcher sur les pieds. Après on s’étonne qu’il se défende et on crie à l’agresseur. Pourtant nul n’ignore que rares sont ceux qui acceptent passivement qu’on leur marche sur les pieds. Surtout pas les ours.
Aujourd’hui la Géorgie se trouve dans une situation politique et humanitaire peu enviable et la tension internationale qui prévaut actuellement ressemble à celle qu’on a connue du temps où les Etats-Unis et l’Union soviétique s’affrontaient par pays interposés. Les responsables de cette nouvelle situation se trouvent à Tbilissi et non à Moscou.