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Tuesday, September 08, 2015

Les courroux de l'oncle Sam et les calculs de l'ami Poutine

Les Etats-Unis ont des soucis ces jours-ci. En fait pas seulement ces jours-ci, mais cela fait presque un siècle maintenant que ces Russes, que Dieu les pardonne, empêchent la démocratie bienfaitrice américaine de vivre tranquillement et sereinement. De Vladimir Lénine en 1917 à Vladimir Poutine en 2015, en passant par les camarades Staline, Khrouchtchev et Brejnev, aucun de ces dirigeants n’a jamais pris la moindre petite décision qui plaise à l’oncle Sam. Celui-ci s’est toujours montré courroucé face à tous les dirigeants russes, à l’exception peut-être de ce pauvre Gorbatchev, le seul qui a trouvé grâce aux yeux de l’oncle Sam, et c’est normal puisqu’il l’a aidé à réaliser son rêve le plus cher : le démantèlement de l’Union soviétique. Mais ça, c’est de l’histoire ancienne, et ce qui nous intéresse c’est le bouillonnement historique que nous vivons aujourd’hui. Là aussi, l’oncle Sam est soucieux, mal à l’aise, ne cachant pas son courroux face à ce que fait Poutine en Ukraine, mais aussi et surtout face à ce qu’il projetterait de faire en Syrie. Les soucis américains relatifs à l’intention du président russe en Syrie ont été rendus publics par le New York Times dans son édition du 5 septembre. L’article en question porte le titre “US Government Fears That Russian Military Intervention In The Syrian Civil War Is Forthcoming” (Le gouvernement américain craint une intervention militaire russe dans la guerre civile syrienne). Les auteurs de l’article, Michael Gordon et Eric Shmitt, font état de trois informations qui, si elles sont exactes, pourront en effet servir d’indices d’une prochaine intervention militaire russe à côté des forces de Bashar Al Assad : 1- Les Russes ont envoyé en Syrie des maisons préfabriquées pouvant abriter des centaines de personnes ; 2- ils ont installé en Syrie une station mobile de contrôle du trafic aérien ; 3- Ils ont demandé en septembre à des pays voisins des autorisations de survol d’avions militaires…C’était suffisant pour que le département d’Etat se mette dans tous ses états. Si l’on considère, à juste titre, que la priorité mondiale aujourd’hui est la destruction de l’hydre terroriste, la question légitime qui se pose est pourquoi les Etats-Unis sont-ils soucieux d’une éventuelle intervention militaire russe en Syrie ? En toute logique, s’ils ont pour priorité la destruction du terrorisme dans la région, ils devront être soulagés plutôt que soucieux de la décision, réelle ou supposée, de la Russie de s’engager directement dans la guerre anti-terroriste. Le moins qu’on puisse dire est que les Etats-Unis ne sont pas sérieux dans la guerre contre le fléau du terrorisme à la propagation duquel ils portent une lourde responsabilité. Voici plus de deux ans que Daech ne cesse de se renforcer et d’étendre son expansion. Ses déplacements en Syrie et en Irak et entre les deux se font en colonnes de centaines de pick-up lourdement armés. Les faits et gestes des milliers de ses combattants sont observés par les grands yeux des Etats-Unis (drones et satellites), et écoutés par leurs grandes oreilles. Pourtant, voici deux ans depuis que le président Barack Obama a déclaré la guerre aux groupes terroristes, et ceux-ci sont aujourd’hui plus forts que deux ans en arrière… Tout le monde sait que les Etats-Unis ont parfaitement les moyens de détruire Daech, mais pas la volonté. Les terroristes de ce qui s’appelle l’Etat islamique se déplacent en files indiennes composées de matériel militaire roulant et de véhicules de transport dans des espaces découverts. N’oublions pas que les deux seules interventions efficaces des forces américaines contre Daech étaient quand les terroristes menaçaient de s’emparer d’Erbil, dans le Kurdistan irakien, et de Ain El Arab-Kobani dans le Kurdistan syrien. Autant de preuves donc que les Etats-Unis ne jouent pas franc jeu dans cette guerre contre le terrorisme et leurs intentions sont obscures et douteuses. A ce niveau, la Russie et le président Poutine se trouvent aux antipodes des Etats-Unis et du président Obama. Dans cette région bouillonnante, la Russie n’a pas les grands moyens militaires des Etats-Unis pour décapiter rapidement l’hydre terroriste, mais elle en a la volonté. Quant à Poutine, contrairement à Obama, ses discours ne sont pas des paroles en l’air et ses engagements envers les alliés de la Russie obéissent à une éthique de la fidélité inconnue aux Etats-Unis. L’attitude de la Russie dans la guerre syrienne est déterminée par deux éléments d’une importance capitale. 1 : la défaite du terrorisme en Syrie est vitale pour la sécurité nationale de la Russie. La paix et la stabilité en Tchétchénie et dans les républiques d’Asie centrale dépendent largement, sinon exclusivement, de l’écrasement de l’hydre terroriste en Syrie, en Irak et ailleurs. 2 : Le régime syrien est un allié de longue date de la Russie, et cette alliance a résisté aux violentes turbulences qui avaient accompagné l’effondrement de l’Union soviétique et continue de résister à la guerre qui déchire le pays depuis près de cinq ans. Poutine a donc de bonne raisons de soutenir le régime syrien. Le président russe est suffisamment intelligent pour savoir que mener aujourd’hui la guerre contre le terrorisme à côté du régime syrien lui éviterait de la mener demain tout seul aux portes de la Russie, c'est-à-dire en Tchétchénie et dans les républiques d’Asie centrale. Il n’est donc pas étonnant que d’ici quelque temps les « inquiétudes » de l’oncle Sam se concrétisent et l’engagement de l’ami Poutine à côté du régime syrien s’amplifie. Il y a très peu de chance que le courroux de l’oncle Sam influe sur les calculs de l’ami Poutine, car celui-ci sait très bien que plus la Russie est assaillie par les dangers, plus les Etats-Unis sont à l’aise et vice-versa.

Saturday, September 05, 2015

Les plus grands perdants

Le grand perdant de l’anarchie qui, depuis près de cinq ans met le monde arabe à feu et à sang, est incontestablement le peuple palestinien. L’émergence d’une force terroriste extraordinaire avec des moyens militaires et financiers qui dépassent ceux de certains Etats constitue une menace pour plusieurs pays arabes dont l’unique priorité est de chercher à se prémunir contre un tel danger afin d’éviter le sort dramatique de la Syrie et de l’Irak où Daech, tel un cancer, tente de métastaser. Dans un tel contexte, quel pays, quel dirigeant, que parti politique dans le monde arabe a le temps, le loisir ou le désir de se pencher sur la cause palestinienne. C’est dans ce sens que l’on peut dire en toute objectivité que le plus grand perdant de l’anarchie destructrice qui s’est emparée du monde arabe est le peuple palestinien. Certes, on peut estimer que, comparé aux sorts des Syriens, des Irakiens, des Libyens ou des Yéménites, le sort des Palestiniens de la Cisjordanie sur les plans économique et sécuritaire est nettement mieux, en dépit des exactions quotidiennes de l’armée israélienne et des colons. Seulement, ce « mieux » ne veut pas dire grand-chose pour les Palestiniens. Pour eux, les irakiens, les Syriens et les Libyens ont un pays dont les frontières sont connues et reconnues, et que dès la fin de la guerre et la destruction inéluctable de Daech, ils reconstruiront leur pays et reprendront une vie normale. Cette lueur d’espoir présente dans les horizons des pays arabes en guerre, est dramatiquement absente dans l’horizon de la Cisjordanie, sans parler de la Bande de Gaza qui, d’après l’Agence de développement des Nations Unies, serait tout simplement inhabitable dans cinq ans, c'est-à-dire d’ici à 2020… Le plus grand perdant des drames qui secouent le monde arabe est incontestablement le peuple palestinien forcé à vivre en huis-clos avec l’armée israélienne et les colons qu’elle protège. Les plus grands perdants sont les Palestiniens qui, quotidiennement, assistent impuissants au « vol à main armé » de leurs terres. En fait les Palestiniens n’ont pas attendu la crise sans précédent du monde arabe pour se faire « auréoler » du statut de grands perdants. Sans doute les conditions internationales n’ont pratiquement jamais été favorables pour ce peuple qui, pendant des décennies, observe impuissant ses intérêts partir en fumée par l’alliance stratégique entre Israël et les Etats-Unis dans laquelle le militarisme israélien puise sa force et son impunité. Mais il y a une autre raison qui explique pourquoi les Palestiniens trainent le privilège douteux de grands perdants : leur division. Rien ne sert de nier que depuis l’émergence de mouvements de la résistance palestinienne contre le militarisme expansionniste d’Israël, l’unité palestinienne a toujours été la grande absente. Cette désunion est telle qu’il n’est pas certain que l’énergie déployée par les Palestiniens pour lutter contre l’occupant israélien est plus grande que celle gaspillée dans les guerres et les déchirements inter-palestiniens. L’apogée de cette désunion déchirante a été atteinte il y a plus de huit ans, en 2007, quand le Mouvement islamiste Hamas s’empara du pouvoir dans la bande de Gaza. Il est vrai que les chefs islamistes ont été élus démocratiquement. Mais en dépit de leur incapacité congénitale d’assurer les conditions minimales d’existence pour le peuple de Gaza, ils continuent de s’accrocher pathologiquement au pouvoir. En huit ans de pouvoir, on ne compte plus le nombre de guerres et les tonnes de bombes déversés sur Gaza, sans parler des effets catastrophiques sur la population du blocus imposé par Israël. Si, comme l’a annoncé l’ONU, cette bande de terre maudite sera « inhabitable » en 2020, le « mérite » revient à Israël bien sûr, mais aussi aux gens du Hamas, à leur fanatisme aveugle et à leur attachement pathologique à un pouvoir dont ils ont fait le pire des usages. Mais la folie du Hamas ne s’arrête pas là. Après avoir contribué à rendre Gaza pratiquement inhabitable, après huit ans d’amateurisme politique désastreux, les chefs du Hamas croient maintenant que le temps est arrivé d’entamer ders négociations indirectes avec Israël. Et avec quel intermédiaire ? Le sinistrement célèbre, Tony Blair. En effet, l’ancien Premier ministre britannique multiplie les rencontres dans la capitale du Qatar avec les chefs du Hamas, dont Khaled Meshaal. Tout d’abord, ses positions pro-israéliennes et anti-palestiniennes durant son règne à Londres, le disqualifient pour jouer les intermédiaires. Mais passe encore si ce n’était que ça. Le drame est que les gens du Hamas s’assoient, discutent et négocient avec l’un des principaux responsables de la catastrophe de proportions bibliques que vivent les centaines de millions d’Arabes aujourd’hui. Est-il normal que celui qui a échoué lamentablement dans son rôle d’émissaire du quartet au Proche-Orient soit choisi pour une autre mission de paix ?! Pire encore, est-il normal que celui qui assume une responsabilité de premier ordre dans la destruction de l’Irak et dans l’expansion de l’anarchie et des guerres dans le monde arabe soit chargé de jouer le rôle d’honnête intermédiaire et de missionnaire de la paix ?! Celui avec qui Hamas négocie à Doha est l’un des deux plus grands criminels de guerre de ce début de siècle et de millénaire, l’autre étant son ami George W. Bush. Dans un monde juste ces deux criminels devraient être trainés en justice plutôt que de jouir d’une retraite dorée au Texas ou de se déguiser en honnête courtier et de feindre un amour pour la paix.

Tel grand-père, tel petit-fils

En Tunisie le 18 mars et le 26 juin de cette année, nous n’avons pas eu la chance qu’ont eue les voyageurs du Thalys reliant Amsterdam à Paris en ce jour de grâce, le vendredi 21 août 2015. Le 18 mars au Bardo et le 26 juin à Sousse, il n’y a eu personne pour arrêter, neutraliser ou tuer les terroristes avant qu’ils ne perpétuent leur horrible carnage, ce qui aurait pu sauver des dizaines de vies et la réputation du pays. Ce qui aurait pu aussi éviter à des dizaines de milliers de familles tunisiennes, qui vivent du tourisme, de s’enfoncer encore plus dans la dèche, et à l’économie du pays de tomber encore plus bas. Le 21 août 2015, les 500 passagers du train Thalys ont eu la chance de compter parmi eux quatre héros qui, en neutralisant un terroriste armé jusqu’aux dents, ont pris le risque évident pour leur vie en vue de sauver celle des autres. Les trois jeunes américains (Spencer Stone, Alek Skarlatos et Anthony Sadler) et l’adulte britannique (Chris Norman) méritent bien la Légion d’honneur qui leur a été remise par le président français, François Hollande. Ils méritent bien la pluie d’éloges qui les couvrent dans leur pays et au-delà. On ne peut qu’applaudir ces personnes courageuses et souhaiter que leur exemple soit massivement suivi en ces temps follement dangereux où les terroristes prennent indistinctement pour cibles des innocents où qu’ils se trouvent sur cette planète. On imagine la frustration des terroristes de tous bords quand ils voient l’un des leurs se faire assommer et livrer à la police par ceux là-même qui ont failli être ses victimes. On imagine leur frustration aussi quand leur plan de tuer des gens qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam échoue. Mais il se trouve que ce ne sont pas seulement les terroristes qui éprouvent de la frustration quand l’attentat programmé du Thalys a tourné à la déconfiture. Hani Ramadan, frère de Tariq Ramadan et petit fils d’Hassan Al Banna, semble aussi frustré que les terroristes. Il fulmine contre ceux qui traitent de héros les trois Américains et le Britannique qui ont empêché le tueur de massacrer des innocents. Hani Ramadan, le petit-fils du théoricien de l’islam politique, est le directeur du Centre islamique de Genève. Ce poste officiel qu’il tient dans l’un des pays les plus démocratiques et les plus tolérants au monde ne l’a pas empêché de se déchaîner contre ceux qui célèbrent l’échec de l’opération terroriste contre les passagers du Thalys. Dans un article publié dans son blog hébergé par « La Tribune de Genève », ce type déplore que les trois américains qui ont empêché le massacre aient été «décorés avant la fin de l'enquête». Il fustige les médias et leur précipitation à lyncher le terroriste «avant toute enquête, et avant même que les interrogatoires mettent à jour les intentions réelles du coupable ». En effet, les intentions du terroriste sont extrêmement difficiles à déchiffrer, car, après tout, à part l’arme de guerre et les centaines de cartouches qu’il trimbale dans le train, il ressemble à n’importe quel autre voyageur. Mais c’est déjà bien que le petit fils du père spirituel du terrorisme islamiste n’ait pas exigé l’arrestation des trois Américains pour avoir assommé le terroriste avant même qu’il n’entame son carnage. Il va sans dire que le petit fils d’Hassan Al Banna n’est pas à son premier commentaire. Le 26 juin dernier il voyait dans les trois attentats simultanés en Tunisie, au Koweït et en France « la volonté des sionistes de provoquer des soulèvements contre les musulmans». Quant à l'attaque de Charlie Hebdo, elle se réduit pour lui à «un vaste processus de diabolisation de l'islam, savamment programmé au cours des années». C’est vrai qu’on assiste à un vaste processus de diabolisation de l’islam. Seulement la question qui se pose est qui se trouve derrière ce processus de diabolisation ? Pour le petit-fils, ce sont évidemment les « impérialistes et les sionistes » qui sont les initiateurs de ce processus. Hani Al-Banna n’est pas le premier ni le dernier à s’accrocher à cette théorie du complot, une théorie très convenable puisqu’elle permet aux Arabes de se décharger de toute responsabilité des malheurs qui les frappent. A croire les défenseurs de la « complotite », dont le petit-fils, les musulmans sont des anges poursuivis inlassablement par les diables impérialistes et sionistes en vue de leur rendre la vie infernale. La vérité est que, dans les temps modernes, le processus de diabolisation de l’islam a commencé il y a plus de 80 ans, quand le grand-père, Hassan Al-Banna, a infecté l’islam par le virus destructeur de la politique. Notre malheur aujourd’hui, que les petits-fils, Hani et Tariq, tentent désespérément d’expliquer en recourant à la démagogie et à la « complotite », nous vient en fait tout droit des idées désastreuses produites par le grand-père. Notre malheur aujourd’hui vient directement de la décision de Hassan Al-Banna de s’autoproclamer interprète exclusif des « intentions divines », et donc quiconque n’accepte pas ses idées ou prend la peine de les discuter est une personne « impie » dont le devoir de tout « bon musulman » est de la tuer. Voici l’origine du malheur que le petit-fils et tous les défenseurs de l’islam politique refusent de reconnaître. Il est à peine nécessaire de préciser que l’assassin qui a tué le Premier ministre égyptien, Nokrachi Pacha le 28 décembre 1948, les tueurs qui ont commis des massacres au Bardo et à Sousse les 18 mars et 26 juin 2015 et le terroriste assommé par les trois Américains le 21 août 2015 dans le train Thalys ont tous été motivés par les idées destructrices du grand-père que le petit-fils continue à défendre insidieusement aujourd’hui.

La hideuse vérité des deux lobbies

A première vue et en toute logique, quiconque chercherait à comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe, pointerait du doigt « les échecs faramineux » de la politique étrangère américaine et la « stupidité » des stratèges de la Maison blanche et du Pentagone. Si l’on va plus loin dans la recherche et plus profondément dans l’analyse, on se rendra compte qu’il n’y a là ni échecs faramineux, ni stratèges stupides, mais une réussite éclatante de la politique étrangère américaine tracée par des stratèges qui, loin d’être stupides, sont dotés plutôt d’une intelligence et d’un savoir-faire diaboliques. On entend souvent çà et là que la politique étrangère américaine est une copropriété que se partagent le lobby militaro-industriel d’une part, et le lobby sioniste, défenseur du « Grand Israël » d’autre part. Aux yeux de beaucoup de monde de telles affirmations sont la reproduction de « clichés éculés » répétés inlassablement par les « ennemis » des Etats-Unis et d’Israël. Si l’on va plus loin dans la recherche et plus profondément dans l’analyse, on se rendra bien compte qu’il ne s’agit là ni de clichés ni de propos démagogiques, mais d’une réalité consternante. Car si le monde arabe aujourd’hui est déchiré par des drames de grande ampleur, si l’anarchie est quasi-générale, si les morts se comptent en centaines de milliers et les réfugiés et les déplacés en dizaines de millions, c’est parce que le complexe militaro-industriel et le lobby sioniste qui rêve d’ « Eretz Israël » ont gagné la partie et ont imposé à l’establishment washingtonien leur vue de la politique étrangère et leur conception de l’intérêt américain qui, soit dit en passant, est loin d’être celui du peuple américain. Pour comprendre les racines de la terrible anarchie qui règne aujourd’hui, il faut revenir un quart de siècle en arrière, et plus précisément à la fatale destruction du mur de Berlin qui mit fin à la guerre froide et provoqua alors une grande vague d’espoir parmi les peuples, et en particulier le peuple américain, le premier intéressé par ces changements gigantesques. Les citoyens américains célébraient l’événement avec allégresse, car ils croyaient que cela allait se traduire par une nouvelle ère de paix, par la fin du militarisme et, par conséquent, par des coupes substantielles dans le budget gigantesque du Pentagone. Bon nombre de citoyens croyaient qu’en toute logique ces coupes substantielles devraient normalement bénéficier aux programmes sociaux dont des dizaines de millions d’Américains, noirs et hispaniques surtout, en avaient bien besoin. Que nenni ! C’était sans compter avec la réaction des deux lobbies qui se trouvaient soudain en danger de paix, c'est-à-dire en danger de mort. Pour le complexe militaro-industriel, la paix dans le monde est la pire des choses qui puisse lui arriver, car cela signifie chute de la demande, marasme du marché de l’armement, fermeture d’usines, chute du chiffre d’affaires et des bénéfices. Bref, pour ce lobby la paix mondiale est un désastre à éviter à tout prix. Pour le lobby sioniste, la généralisation de la paix dans le monde n’est pas moins dangereuse. Une telle perspective laisse craindre une paix forcée entre Israéliens et Palestiniens et donc le retour d’Israël aux frontières du 4 juin 1967. Bref une telle paix signifierait la mort du sionisme et la fin du rêve du « Grand Israël ». Que faire alors face à ce danger mortel de la paix qui pointait à l’horizon des années 1990 ? Deux choses importantes : l’union sacrée des deux lobbies et la création en toute urgence de nouveaux ennemis. Pour la première chose, aucun problème. Ceux qui se ressemblent s’assemblent, a fortiori quand les deux intéressés sont menacés par le même « fléau ». Pour la seconde chose, aucun problème non plus. Un ennemi de perdu (l’URSS), dix de retrouvés (l’Irak, la Syrie, la Libye, la Corée du nord, le terrorisme international etc.). Reste à faire tourner la machine de propagande, et là aucune difficulté n’a été rencontrée par les lobbies qui ont à leur disposition des moyens financiers quasi-illimités et de grands médias internationaux qui obéissent au doigt et l’œil …et au dollar. Il n’a donc été guère difficile d’occulter la vérité qui veut que les deux lobbies sont en danger de paix et que, pour continuer à vivre, il leur faut des guerres à tout prix. Il n’a donc été guère difficile non plus d’exploiter la naïveté et l’ignorance de tout ce qui a trait à l’étranger des citoyens américains pour leur faire croire que leur mode de vie, leur liberté et leur prospérité sont en danger de mort. Il faut préciser ici que les deux lobbies ont reçu l’aide précieuse qui leur fut assurée par la stupidité immense et le fanatisme aveugle largement présents, il faut bien le dire, dans le monde arabe. La première aide décisive leur fut présentée sur un plateau d’argent par Saddam Hussein qui tomba tête première dans le piège tendu en envahissant le Koweït en août 1990, c'est-à-dire juste quelques mois après la chute du mur de Berlin. La seconde aide plus décisive encore fut présentée aux lobbies sur un plateau en or par la nébuleuse terroriste d’Al Qaida le 11 septembre 2001. La suite est connue. Si le monde arabe est aujourd’hui à feu et à sang, ce n’est pas à cause des « fautes commises » par les responsables de la politique étrangère américaine, mais parce que les plans et les politiques tracés par les stratèges au service des deux lobbies ont réussi au-delà de leurs rêves les plus fous. Les résultats sont bien là. Les ventes d’armes et les bénéfices financiers du complexe militaro-industriel n’ont jamais été aussi élevés. Quant au lobby sioniste, la question palestinienne qui lui a tant fait perdre le sommeil n’a jamais été aussi ignorée, négligée et marginalisée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Trio infernal

Cent quarante cinq réfugiés africains n’ont pas pu atteindre l’Europe et ont failli mourir noyés, n’eût été l’intervention des gardes-côtes tunisiens qui les ont sauvés. Rassemblés quelque part dans la ville de Benguerdane, sur leur visage est inscrite la misère dans son sens le plus hideux et leur regard trahit une détresse telle que l’on ne peut s’empêcher de se demander si leur sort de rescapés est meilleur que celui des milliers de réfugiés happés par les flots furieux de la Méditerranée. Mais à supposer que l’embarcation des rescapés de Benguerdane n’a pas échoué dans les eaux territoriales tunisiennes et a poursuivi sa route jusqu’aux côtes européennes, leur sort aurait-il été meilleur ? Les rescapés de Benguerdane sont, de toute évidence, moins malchanceux que les milliers de noyés dans les eaux méditerranéennes, mais on ne peut pas les plaindre de n’avoir pas pu rejoindre le flot des dizaines de milliers d’autres bloqués dans les frontières de pays occidentaux ou parqués dans des conditions infrahumaines. On peut comprendre les efforts désespérés des réfugiés syriens de fuir leur pays devenu invivable. Il est certain qu’en acceptant de s’entasser dans des camps insalubres et d’errer d’une frontière à l’autre, ces réfugiés ne sont pas dans la situation de celui qui cherche de meilleures conditions de vie. Ils ne sont même pas dans la situation de celui qui fuit la répression politique ou la torture, mais de celui qui tente désespérément de protéger sa vie et celle de ses enfants. Et dans ce cas, il est parfaitement normal que les citoyens syriens en danger de mort fassent l’impossible pour fuir l’enfer qu’est devenu leur pays. En revanche, ce qui n’est pas normal que les pays de « transit », comme la Grèce et la Macédoine, mobilisent leurs polices et leurs armées pour barrer la route à ces pauvres réfugiés comme s’il s’agissait de hordes barbares s’apprêtant à les envahir. Si les Grecs et les Macédoniens se comportent anormalement envers les réfugiés syriens, il ne faut pas non plus leur faire assumer la responsabilité de ces événements tragiques à l’évolution desquels ils n’ont contribué ni de près ni de loin. Le plus dramatique est que les vrais responsables de ces événements tragiques, le trio Etats-Unis-Grande Bretagne-France se lavent les mains et se regardent ailleurs, comme s’ils n’ont rien à voir avec les tragédies de proportion biblique qui frappent l’Irak, la Syrie et la Libye. Or tout le monde sait que sans les malheurs qui s’abattent sur l’Irak depuis 2003 et sur la Syrie et la Libye depuis 2011, non seulement il n’y aurait pas de crise de réfugiés, mais la vie de centaines de millions de terriens serait meilleure et nettement moins dangereuse. Il va sans dire que le trio susmentionné n’est pas l’unique responsable de ces drames. Il y a aussi quelques acteurs subalternes, comme l’Arabie saoudite ou le Qatar, qui assument une part de responsabilité. Toutefois sans l’aval de leurs protecteurs américains, ils se seraient certainement tenus tranquilles. Mais revenons aux vrais responsables du drame, le trio américano-anglo-français. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne assument une responsabilité de premier plan dans la multitude d’événements dramatiques en Irak, de la chute de Bagdad en avril 2003 à l’invasion de Mossoul par les hordes de Daech en juin 2014. Mais le trio au complet assume la plus grande part de responsabilité dans la destruction de la Syrie et de la Libye et, par conséquent, dans l’éclatement d’une crise de réfugiés sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Washington, Londres et Paris ont non seulement été incapables de se comporter en acteurs acceptant d’assumer la responsabilité de leurs actes vis-à-vis des drames irakien, syrien et libyen, mais ils se sont avérés dépourvus du moindre sens moral qui les aurait poussés à voler au secours des milliers de réfugiés, victimes collatérales de leurs politiques désastreuses. Pourtant, un simple engagement dans l’effort humanitaire en faveur de ces réfugiés n’est pas au delà des moyens de ces pays. Pendant la crise des boat-people vietnamiens de 1978-1979, la France avait bien pu affréter des bateaux et les envoyer à des milliers de kilomètres recueillir les réfugiés asiatiques. Aujourd’hui, alors que des réfugiés sont noyés à proximité de ses eaux territoriales, tout ce que la France a jugé nécessaire de faire c’est de « coopérer » avec la Grande Bretagne en vue de « stopper le flux de réfugiés ». Les Etats-Unis qui ont les moyens de débourser deux milliards de dollars par jour pour leur armée observent sans broncher la terrible amplification du drame des réfugiés à l’éclatement duquel ils ont largement contribué. On n’a pas besoin de lire « Le prince » de Machiavel pour savoir que les Etats sont des monstres froids pour lesquels il n’y a qu’une seule chose sacrée au monde : leur intérêt bassement matériel. C’est le doit de chaque Etat de se comporter en entité égoïste cherchant avant toute chose à garantir ses intérêts. Mais a-t-on jamais lu ou entendu une critique à l’encontre des Etats suisse, suédois, danois, norvégien ou finlandais par exemple. Ils ne sont responsables d’aucun drame dans le monde, et pourtant ils sont plus généreux et plus prompts à voler au secours des victimes de ces drames que les vrais responsables. Si l’un des dirigeants du tiers monde avait provoqué le millième des tragédies engendrées par les politiques désastreuses du trio susmentionné, on aurait assisté à la prompte mobilisation de la justice internationale. Mais qui trainera en justice des dirigeants occidentaux coupables d’avoir transformé la vie de centaines de millions d’êtres humains en enfer ?