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Wednesday, September 30, 2009

La solidarité ou la mort

Dans la chronique précédente, il était question notamment de l’insulte faite à Obama par le sénateur de la caroline de sud Joe Wilson. Alors que le président américain s’adressait aux deux Chambres réunis en Congrès pour défendre son projet de loi d’assurance-maladie, il fut traité de menteur par le sénateur Wilson. « You lie » avait lancé celui-ci au président américain, le plus haut symbole de l’Etat fédéral, alors qu’il s’efforçait de réfuter les rumeurs concernant la couverture médicale des immigrants illégaux.
Il serait intéressant ici d’aller au fond des choses pour voir comment les hommes politiques genre Joe Wilson provoquent les flux migratoires par leur politique erronée, ensuite se retrouvent dans l’obligation de recourir à des procédés inhumains pour chasser les « illégaux » ou de dépenser des sommes faramineuses pour construire des barrières en béton qui s’étendent sur des milliers de kilomètres sur la frontière méxico-américaine dans une vaine tentative d’empêcher les « wet backs » (les dos mouillés, c’est à dire ceux qui traversent le Rio Grande à la nage), de pénétrer dans le territoire américain.
La plupart des immigrants illégaux à qui Obama est accusé de vouloir fournir secrètement une couverture médicale proviennent de l’Amérique centrale, le Salvador, le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala etc. Or, en 2005, le Congrès a adopté, grâce entre autres à la voix du sénateur Wilson, un accord de libre échange avec l’Amérique centrale, Central American Free Trade Agreement (CAFTA). Cet accord élimina les taxes douanières sur 80% des biens et services made in USA et exportés vers les marchés centre-américains. Du coup, les produits agricoles et industriels ainsi que les services locaux, protégés avant par les barrières douanières, se trouvent dans l’incapacité de résister à la concurrence des produits américains que le CAFTA a rendus très compétitifs en les soulageant des taxes douanières.
Il n’est pas difficile d’imaginer les faillites, à cause du CAFTA, des entreprises agricoles et industrielles en Amérique centrale et l’augmentation du taux de chômage qui s’ensuit forcément. Il n’est pas sûr que tous les travailleurs agricoles ou industriels mis au chômage soient capables de faire le rapprochement entre leur malheur et le CAFTA, mais cette ignorance ne les a pas empêchés de prendre la route du nord et de tenter au risque de leur vie d’atteindre l’ « eldorado » américain.
Mieux encore, ou pire, après avoir voté le CAFTA qui, comme on l’a vu, est à l’origine de l’intensification de l’immigration illégale aux Etats-Unis, Joe Wilson a voté la loi qui autorise la construction de 1200 kilomètres supplémentaires de barrière de béton sur la frontière avec le Mexique pour rendre plus difficile encore l’entrée clandestine d’étrangers dans le pays.
Si, au lieu du CAFTA imposé à des pays qui ne peuvent pas dire non au grand frère américain, Washington avait proposé un autre accord qui favoriserait les exportations agricoles et industrielles centre-américaines, il y aurait sûrement moins de clandestins aux Etats-Unis et le sénateur Wilson aurait été moins inquiet de la présence étrangère illégale dans son pays. Car, quiconque trouve chez lui un travail lui assurant un salaire décent, n’aura aucune raison de quitter les siens et de mettre sa dignité et sa vie en danger.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut dire la même chose à propos des relations commerciales afro-européennes. Il ne se passe pas de jour sans qu’une embarcation ou deux chavirent en Méditerranée. Des milliers d’Africains meurent annuellement noyés en haute mer. La nature de l’échange inégal qui s’aggrave d’année en année entre les pays riches du Nord et les pays pauvres d’Afrique, les subventions à coups de milliards de dollars offerts généreusement aux agriculteurs européens et américains, et notamment aux producteurs de coton, ne sont pas sans rapport avec le désespoir des jeunes Africains qui traversent le désert jusqu’à la mer pour tomber dans les filets des trafiquants qui les jettent à l’eau au large de l’île italienne de Lampedusa, leur intimant l’ordre de continuer le voyage à la nage.
Pourtant, on aurait pu facilement épargner la vie de tous ces jeunes désespérés qui meurent noyés en Méditerranée ou au Rio Grande en leur donnant les raisons d’espérer et en les aidant à trouver du travail chez eux. Une infime partie de l’argent mobilisé pour sauver les grandes banques et les grandes compagnies d’assurances à la fin de l’année dernière aurait suffi.
Mais toute cette immigration pour raisons économiques qui donne des insomnies à Joe Wilson et ses semblables est un jeu d’enfant par rapport à ce qui attend le monde dans les décennies à venir : l’immigration pour raisons écologiques. Des dizaines d’îles surpeuplées dans les océans indien et pacifique se trouvent à quelques mètres seulement au dessus du niveau de la mer. Le changement climatique et la montée des eaux jetteront inéluctablement sur les routes de l’exil des millions d’êtres humains cherchant non pas un emploi, mais un mètre carré de terre situé au dessus de l’eau.
Au XXe siècle, compte tenu de l’ampleur des mouvements de libération et des révolutions, le slogan le plus souvent répété était « la liberté ou la mort ». Au XXIe siècle, compte tenu des conséquences terrifiantes que ne manqueront pas d’entraîner la combinaison explosive des mauvais choix politiques et du changement climatique, nous devrons commencer à nous familiariser dès maintenant avec un autre slogan : « la solidarité ou la mort ».

Monday, September 28, 2009

L'Amérique hier et aujourd'hui

On ne peut pas dire que le sénat américain a toujours été un endroit hautement civilisé. Il constitue, avec la Chambre des représentants, le pouvoir législatif de la République américaine certes, mais, des fois, il s’y passe des choses auxquelles les historiens ne peuvent tourner le dos. Par exemple cet événement, ou plutôt ce scandale qui, bien qu’il ait secoué le sénat américain en 1856, c'est-à-dire il y a plus d’un siècle et demi, il est loin d’être enterré puisque la presse américaine trouve toujours le besoin d’en parler en 2009.
Le 19 mai 1856, le sénateur Sumner, un républicain anti-esclavagiste, prononça un discours acerbe contre les sudistes qui encourageaient la violence dans l’Etat du Kansas de ceux qui voulaient perpétuer l’esclavage contre ceux qui voulaient l’abolir.
Le 22 mai 1856, le sénateur Brooks entra au sénat et s’approcha de son collègue Sumner qui occupait son siège et lui dit : « M. Sumner, j’ai lu attentivement à deux reprises votre discours dans lequel vous avez insulté à la fois la Caroline du sud et des proches à moi. » Et avant même que Sumner n’ait eu le temps de répondre, il fut battu à plate couture à coups de cannes. Les coups continuaient à pleuvoir alors même que le pauvre sénateur tentait de se cacher sous son pupitre. Son agresseur n’arrêta ses coups que parce que sa canne fut brisée et qu’il n’avait pas prévu de canne de secours. (1)
Pour prouver sa « magnanimité », le sénateur-agresseur avait juré qu’il n’avait aucune intention de tuer son collègue. L’événement était du goût de tous les esclavagistes de la Caroline du sud qui avaient inondé leur héros de cadeaux identiques : des cannes. L’une d’elle portait même l’inscription : « Hit him again » (Battez le encore).
La violence qui avait ensanglanté le parquet du sénat ce jour là était annonciatrice de la violence à grande échelle qui devait intervenir cinq ans plus tard : la guerre civile qui avait ruiné la jeune république américaine.
Le 16 septembre 2009, Barack Obama parlait devant les représentants et les sénateurs réunis en Congrès. Il défendait son projet d’assurance-maladie à travers lequel il voulait étendre la couverture sociale au plus grand nombre possible d’Américains. Obama s’évertuait aussi ce jour là à démentir les rumeurs malintentionnés diffusées par les ennemis du projet. L’une de ces rumeurs attribuait au président américain l’intention secrète d’étendre la couverture médicale aux immigrants illégaux.
Alors qu’Obama démentait la rumeur en assurant que les étrangers en situation irrégulière n’ont droit à aucune couverture sociale, il fut interrompu par un cri strident provenant de l’assistance : « Vous mentez!» Cette insulte faite à un président qui ne mentait pas justement provenait du sénateur Joe Wilson qui, tout comme son lointain prédécesseur, représente la Caroline du sud.
Mais même si, contrairement à son lointain prédécesseur, Joe Wilson n’a eu aucun soutien officiel de la part de ses collègues, et même s’il a appelé la Maison blanche pour présenter ses excuses, cette insulte gratuite adressée au plus haut symbole de l’Etat se répercutera nécessairement sur la réputation de celui qui l’a proférée ainsi que sur le sénat dans son ensemble et, au-delà, sur tout le corps législatif dont la réputation est déjà suffisamment ternie par les ravages causés par les lobbies à cette composante essentielle du pouvoir fédéral américain.
Ce qui est frappant, c’est que, en 1856 et en 2009, ces graves incidents ont été causés par des sénateurs représentant le même Etat, la Caroline du sud, et défendant des causes injustes, c’est à dire le maintien de l’esclavage dans un cas et, dans l’autre, la préservation d’un système d’assurance maladie archaïque qui livre à eux-mêmes des dizaines de millions d’Américains.
Ce qui est frappant, c’est que en 1856 et en 2009 le sénateur Sumner et le président Obama ont été l’un battu et l’autre insulté parce qu’ils voulaient tous deux améliorer les conditions de vie sociale dans leur pays et introduire une dose de solidarité entre les groupes sociaux et ethniques qui manquait lamentablement il y a un siècle et demi à cause de l’esclavage, et qui manque aujourd’hui à cause d’un système social où prédominent l’avidité, la cupidité et l’égoïsme.
Ce qui est frappant, c’est que en 1856 ceux qui luttaient contre l’esclavage étaient accusés d’être les ennemis de l’Amérique, et ceux qui luttent en 2009 pour étendre la couverture médicale aux couches sociales les plus démunies et les plus vulnérables subissent la même accusation puisqu’ils sont qualifiés par Joe Wilson et ses semblables de « socialistes » et de « communistes ». Obama est même devenu un « Lénine » noir qui complote contre l’Amérique avec pour objectif ultime et secret de la « soviétiser ».
La question fait débat aujourd’hui en Amérique : si Obama n’était pas noir, aurait-il été insulté et accusé de tous les maux pour avoir tenté de réparer une injustice qui non seulement empoisonne la vie de millions d’Américains, mais singularise les Etats-Unis et fait d’eux un objet d’étonnement dans le monde ? L’ancien président Jimmy Carter a répondu par l’affirmative. C’était une réponse plutôt spontanée d’un homme en colère contre l’injustice. Le sénateur Sumner était un WASP (White Anglo-Saxon Protestant), ce qui ne l’avait pas empêché d’être battu par les esclavagistes. Hier en 1856 et aujourd’hui en 2009, les mêmes forces qui veulent perpétuer l’injustice sont à l’œuvre.

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(1) Cet événement tragique a été rapporté par le chroniqueur du Boston Globe, H.D.S. Greenway, dans un article publié dans l’International Herald Tribune du samedi-dimanche 19-20 septembre 2009.

Saturday, September 26, 2009

Les dessous de l'imbroglio nucléaire

Le président américain Barack Obama a de la suite dans les idées. A plusieurs reprises dans ses différents discours, notamment dans celui du Caire du 4 juin, il a appelé à un monde dénucléarisé. Le 24 septembre, en pleins travaux de l’Assemblée générale de l’ONU, il a présidé une réunion « exceptionnelle » du Conseil de sécurité consacré à ce sujet. Le Conseil a adopté à l’unanimité la résolution 1887 qui appelle à « prévenir la prolifération nucléaire en renforçant le régime multilatéral pertinent », à « promouvoir le désarmement nucléaire » et à « réduire le risque de terrorisme nucléaire. »
L’opinion publique mondiale ne peut pas ne pas constater qu’encore une fois, les débats au Conseil de sécurité sont biaisés, et encore une fois la règle des deux poids et deux mesures se révèle être l’instrument de prédilection de la plus haute instance internationale.
Les intervenants ont tapé fort sur les deux moutons noirs habituels de la communauté internationale, la Corée du nord et l’Iran, dont l’une possède une ou deux bombes et l’autre est encore très loin de l’enrichissement de l’uranium à 99,7% nécessaire à la bombe.
Un tintamarre assourdissant sur le « nouveau site nucléaire secret » annoncé en fanfare par Obama en Iran, mais toujours pas un mot sur Israël qui dort sur 200 têtes nucléaires. Un silence religieux continue à être observé sur ce dernier pays comme si la simple évocation des 200 têtes nucléaires israéliennes constitue un blasphème qui vaudrait l’enfer à celui qui le profère.
Celui qui a tapé le plus fort sur l’Iran est le président français, Nicolas Sarkozy, qui feint d’ignorer la responsabilité de la France dans la prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Au moment où le monde entier, y compris les Etats-Unis, ne voulait pas entendre parler d’un Israël nucléaire, la France avait fait cavalier seul dans les années 50 et 60 du siècle dernier pour aider Israël à se doter d’un arsenal nucléaire. Et si cet arsenal n’a pas été utilisé jusqu’ici, il a sans aucun doute accru démesurément l’arrogance de ce pays, et l’a fortement motivé à s’engager dans des aventures militaires dévastatrices et à refuser de rendre les territoires acquis par la force.
Il est bien évident que l’arsenal nucléaire israélien est, au moins autant que le soutien inconditionnel américain, un puissant stimulant qui fait qu’Israël perpétue l’une des plus grandes injustices de l’histoire au mépris de la loi internationale. Le raisonnement que font les décideurs israéliens est simple : « Nous avons 200 têtes nucléaires, des armes conventionnelles efficaces, une armée puissante et la plus grande puissance de tous les temps nous soutient inconditionnellement. Pourquoi alors répondre aux appels de la communauté des nations ou se plier au droit international ? » De Golda Meir à Benyamin Netanyahu, en passant par les autres Premiers ministres israéliens, tous ont été animés par ce même raisonnement.
Si les Etats-Unis portent une part de responsabilité dans tout ça par le soutien inconditionnel qu’ils ne peuvent toujours pas refuser à Israël, la France n’en est pas exempte de par l’aide apportée à ce pays au niveau de la technologie nucléaire. Dès lors, il est illogique que les Etats-Unis et la France concentrent leur artillerie diplomatique sur l’Iran (la France avec plus d’ardeur encore si l’on en croit le journal « Le Monde ») et continuent d’ignorer le principal proliférateur nucléaire du Moyen-Orient.
Concédons que les grandes puissances sont motivées beaucoup plus par leurs intérêts que par la logique. Quels intérêts ont les Etats-Unis et la France à se montrer si partiaux devant le monde entier en faisant une fixation exclusive sur le programme nucléaire iranien ? Et à supposer que les Iraniens arrivent à produire une ou deux bombes nucléaires et qu’ils aient aussi les fusées nécessaires pour les délivrer, pourquoi devraient-ils les lancer sur les Etats-Unis, l’Europe ou même Israël, sachant pertinemment que s’ils lancent une tête nucléaire sur n’importe quelle cible, ils en recevront 100 en retour ? Personne, y compris les Israéliens, ne pense sérieusement que l’Iran prendrait un jour le risque de provoquer un holocauste nucléaire pour son peuple pour le simple plaisir d’envoyer une bombe sur Tel Aviv.
Ici, on ne peut s’empêcher de penser à l’ancien président Jacques Chirac qui, sur le même sujet, déclarait : « Ce n'est pas tant le fait que l'Iran possède une bombe nucléaire qui serait dangereux. Où l'Iran enverrait-il cette bombe? Sur Israël? Elle n'aura pas fait 200 mètres dans l'atmosphère que Téhéran sera rasée. Mais, ce qui est dangereux, très dangereux (…) c’est la prolifération nucléaire». On mesure ici le changement vertigineux en faveur d’Israël intervenu dans la politique étrangère française.
Le jeu est trop flagrant pour passer inaperçu. Israël et ses lobbies à travers le monde ont su exploiter efficacement l’aubaine inespérée qu’ils ont su s’offrir à partir de quelques centrifugeuses achetées par l’Iran pour son programme nucléaire « légal » et par les fanfaronnades déplacées du président Ahmadinejad. Le but de la manœuvre est clair : faire flèche de tout bois pour créer un « danger existentiel » pour Israël, ce qui permettrait de focaliser l’attention internationale sur ce prétendu danger et la détournerait des vrais dangers engendrés par la politique israélienne. Et Israël a d’autant plus besoin que l’attention du monde soit focalisée sur l’Iran qu’il est engagé dans un bras de fer avec son principal allié sur l’épineuse question des colonies.
Du côté des grandes puissances, le jeu est tout aussi clair. Aucune d’elle ne peut démontrer pourquoi ni comment l’Iran constitue un danger pour elle. Mais l’occasion est trop bonne pour être ratée. Les sanctions imposées à l’Iran ne visent pas seulement à obliger Téhéran à renoncer à son programme nucléaire, mais aussi, l'idée est ouvertement exprimée par certains dirigeants occidentaux, à exacerber les tensions intérieures dans l’espoir de provoquer un changement de régime.

Wednesday, September 23, 2009

Une épine de moins dans le pied de l'Amérique

Le 17 septembre, Barack Obama a enterré le projet d’installation du bouclier antimissile en Europe de l’Est, cher à George W. Bush, provoquant déception en République tchèque et fureur en Pologne. L’enterrement du projet a provoqué également joie et soulagement en Russie, mais aussi en Allemagne, en France, en Grande Bretagne et d’autres membres de l’Union européenne pour qui les relations avec Moscou sont plus importantes que les calculs qui se font à Varsovie et à Prague.
Obama n’a pas pris sa décision sur un coup de tête ou à la suite d’un « chantage russe », comme tentent de le faire croire les défenseurs du projet. La décision a été plutôt prise après qu’Obama ait pris connaissance du dernier rapport du National Intelligence Estimate (un travail commun à toutes les agences de renseignement américaines) et selon lequel, l’Iran est encore loin de pouvoir fabriquer les missiles à longue portée de nature à menacer le territoire des Etats-Unis. Et comme le système en question n’a pas été conçu pour les beaux yeux des Polonais ou des Tchèques, mais pour détruire les missiles de longue portée que « lancerait l’Iran vers New York ou Washington », l’inexistence d’une telle menace, selon le dernier National Intelligence Estimate, rend superflu le déploiement du système de défense antimissile en Europe de l’Est.
Peut-être Barack Obama a-t-il été influencé aussi par l’avis de l’ancien conseiller de Jimmy Carter à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, qui, bien que d’origine polonaise et soucieux des intérêts de son pays d’origine, estime que « le système de Bush d’un bouclier antimissile est basé sur une technologie de défense inexistante et conçu contre une menace inexistante. »
Brzezinski n’a pas tort, car l’idée de Bush rappelle un peu l’idée de Reagan des années 1980, la fameuse guerre des étoiles. En effet, la « Star Wars » désignait le programme américain de défense antimissile que Reagan avait lancé en mars 1983 sous le nom d’ « Initiative de défense stratégique » (IDS). L’idée était de construire un réseau de satellites qui auraient pour fonction de détecter et de détruire dans l’espace les missiles balistiques lancés contre le territoire américain.
Le projet d’IDS de Reagan était mort-né parce qu’il consistait en une idée imaginaire sans rapport avec les moyens technologiques existants. Un quart de siècle plus tard, Bush reprend la même idée de Reagan qui est toujours basée sur « une technologie inexistante ». La seule différence entre les deux présidents est que le premier a conçu son idée contre une menace réelle (les missiles balistiques soviétiques dotés d’ogives nucléaires). Quant au second, il copié l’idée de son prédécesseur pour contrer une menace inexistante : l’Iran qui n’a ni missiles balistiques ni ogives nucléaires.
Mais si l’IDS de Reagan était compréhensible compte tenu du contexte de la guerre froide qui prévalait alors, l’idée de Bush est totalement hors sujet à l’aube du XXIe siècle où l’Amérique, étrangement, pouvait être atteinte au cœur par dix neufs terroristes armés de cutters et déterminés à mourir, mais est entièrement immunisée contre les menaces étatiques, y compris celles de la Chine et de la Russie qui ont des choses beaucoup plus importantes à faire chez elles que de comploter contre les Etats-Unis.
Le plus grand dommage infligé par George Bush aux intérêts de son pays est qu’il a renforcé la menace réelle qui guette l’Amérique en tournant le dos à l’Afghanistan, vivier du terrorisme, et en s’attaquant gratuitement à l’Irak, barrage contre le terrorisme. De plus, il a provoqué inutilement la Russie en voulant faire de la Pologne un désert des tartares moderne où seraient installées une technologie d’une fiabilité douteuse et des troupes chargées de contrer une menace dont elles ne savent ni de qui ni de quel côté elle viendrait.
Le projet de bouclier antimissile de George Bush a rempli d’aise la Pologne et la République tchèque, deux pays toujours prêts à applaudir n’importe quelle décision américaine de nature à renforcer leur conviction ou leur illusion qu’ils sont les alliés et les protégés de l’Occident. Mais il a réveillé les vieilles peurs de la Russie qui, rien que dans les deux derniers siècles, a souffert de trois invasions dévastatrices. Les troupes napoléoniennes en 1812, les forces étrangères intervenues en 1917 à côté des Ruuses blancs et les troupes nazies en 1941 avaient toutes utilisé le territoire polonais pour atteindre la Russie.
De là à penser que l’installation de troupes américaines en Pologne, c'est-à-dire à un jet de pierre de la Russie, est le prélude à une quatrième invasion, il y a un pas que beaucoup de Russes, Poutine et Medvedev les premiers, ont franchi. On imagine donc le soulagement de la Russie et on comprend sa prompte décision de permettre aux Etats-Unis d’utiliser le territoire russe pour acheminer matériel et provisions en Afghanistan, et d’annuler le déploiement de missiles balistiques à Kaliningrad, un avant poste situé dans la partie la plus occidentale de la Russie, et donc le plus proche de la Pologne.
L’enterrement du projet de bouclier antimissile par Obama s’apparente à la réparation d’une erreur parmi celles, innombrables, commises par son prédécesseur. Une épine de moins dans le pied de l’Amérique qui voit d’un coup ses relations avec la Russie se détendre. Quant à la Pologne et la Tchéquie, elles finiront par dépasser leur déception et par se convaincre que le projet de Bush ne répondait en rien à leur sécurité. Celle-ci est mieux assurée par une détente avec le grand voisin russe plutôt qu’avec des missiles balistiques installés en Pologne d’un côté et à Kaliningrad de l’autre.

Tuesday, September 22, 2009

Le conseil de Zbigniew Brzezinski

En 2007, alors qu’il se préparait à une longue et éprouvante campagne présidentielle, Barack Obama était décrit par ses détracteurs comme étant « trop jeune et trop inexpérimenté pour diriger une grande puissance dans un monde dangereux. » En août de la même année, le candidat Obama reçut son premier « cadeau électoral » : le soutien d’un poids lourd de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter (1976-1980).
Même s’il n’a pas été pris comme conseiller à la Maison blanche, Brzezinski continue de soutenir Obama et de lui prodiguer des conseils sur la meilleure manière de servir les intérêts du pays. A 81 ans, Brzezinski n’a rien perdu de sa perspicacité. Il se veut la voix de la sagesse dans un pays qui perd un peu la boussole sous le poids énorme des problèmes intérieurs et extérieurs.
Le dernier conseil, par presse interposée, qu’a donné Brzezinski à Obama est trop franc et trop hardi pour passer inaperçu. Difficile de savoir ce qu’en pense au fond de lui Obama, mais on sait qu’un tel conseil ne peut pas ne pas enrager le lobby pro-israélien qui a sans doute du mal à réaliser que de tels conseils puissent être donnés publiquement au chef de la Maison blanche.
Zbigniew Brzezinski, même s’il ne le dit pas ouvertement, est un homme visiblement hanté par les conséquences désastreuses que ne manqueraient pas de subir, selon lui, les Etats-Unis en cas de frappes israéliennes contre l’Iran. Cette hantise transparaît clairement dans l’entretien qu’il a eu il y a quelques jours avec le journal américain « The Daily Beast ».
Le journaliste qui l’interviewait voulait savoir comment Obama pourrait empêcher une attaque contre l’Iran si Israël était déterminé à le faire ? L’ancien conseiller de Carter a étonné plus d’un dans sa réponse : « Nous ne sommes pas exactement de petits bébés impotents. Ils (les Israéliens) doivent survoler l’espace aérien irakien. Resterons-nous alors les bras croisés à les regarder passer ? » Le journaliste insiste. Oui, et s’ils survolent quand même l’espace aérien irakien ? « Bon, répond Brzezinski, nous devons être sérieux en leur refusant ce droit. Cela veut dire que ce refus ne doit pas être seulement verbal. S’ils survolent l’espace irakien, il faudra monter là haut et les confronter. Ils ont le choix de faire demi tour ou non. Personne ne le souhaite, mais cela pourrait être le USS Liberty à l’envers. » (2)
Personne ne le souhaite, peut-être, mais personne aux Etats-Unis n’a été aussi loin dans l’attaque des tabous qui paralysent depuis des décennies la politique étrangère américaine envers Israël en particulier et le Moyen-Orient en général. La force de ces tabous est telle que la puissance américaine n’a même pas pu demander des comptes à Israël lors de l’attaque délibérée contre l’USS Liberty. Le gouvernement des Etats-Unis, si intraitable quand il s’agit de la vie de ses citoyens, a fait profil bas, accepté très vite la version israélienne de l’« erreur tragique » et renvoyé l’affaire aux calendes grecques.
On pourrait objecter pourquoi Brzezinski n’avait rien dit et rien fait pour changer les choses quand il était l’un de piliers de l’administration Carter ? Il était sans doute happé par un système qui, face au tabou israélien, ne tolère aucun écart de la part des responsables. Et puis la liberté d’action et de parole fluctue énormément selon qu’on est à l’intérieur du système ou à l’extérieur.
La « sortie » de Brzezinski nous éclaire sur un point très important : aux Etats-Unis, la perception des intérêts américains diffère radicalement selon que l’interlocuteur soit un représentant officiel de l’administration en place ou un électron libre comme l’ancien conseiller de Carter ou même Jimmy Carter lui-même.
Pour le représentant officiel, la perception des intérêts américains au Moyen-Orient est forcément déformée par le tabou israélien qui s’interpose immanquablement. Pour les personnalités en dehors du système, cette perception est claire et limpide parce que la lucidité n’est obscurcie par aucun tabou ni aucune peur du lobby.
Le fait que la Maison blanche n’ait pas jugé utile de commenter les propos de Zbigniew Brzezinski, en dépit de l’insistance du journal qui les a publiés, est significatif de l’embarras dans lequel se trouve l’administration de Barack Obama. Peut-être a-t-elle la même perception des intérêts américains que Carter ou Brzezinski, mais elle n’a pas encore le courage de le proclamer ouvertement.
Les futurs historiens ne manqueront peut-être pas de relever cette incongruité du ce début du XXIe siècle : La plus grande puissance du monde a manqué de courage pendant des décennies pour signifier à un petit pays de sept millions d’habitants que leurs intérêts ne coïncident pas et qu’elle a tardé si longtemps à défendre, par la force si nécessaire, ses intérêts que ce petit pays a pris l’habitude de mettre souvent en danger. Impunément. Peut-être faudrait-il « un autre USS Liberty » d’une manière ou d’une autre, comme le suggère implicitement Brzezinski, pour mettre fin à cette incongruité.

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(1) http://www.thedailybeast.com/blogs-and-stories/2009-09-18/how-obama-flubbed-his-missile-message/
(2) Le USS Liberty, un navire américain, croisait dans les eaux internationales à 23 kilomètres des côtes du Sinaï, quand il fut attaqué le 8 juin 1967 par l’aviation israélienne. 34 morts et 170 blessés parmi les soldats américains. Ce fut l’attaque la plus meurtrière contre un navire américain depuis la seconde guerre mondiale.

Monday, September 21, 2009

Un signal fort dangereux

Le vendredi 18 septembre 2009 n’était pas une journée banale à l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Pour les uns, c’est une journée glorieuse, pour d’autres une journée honteuse. La ligne de fracture est la même que dans pratiquement tous les forums internationaux où il est question des problèmes épineux du Moyen-Orient. Comme d’habitude, elle sépare ceux qui défendent la justice contre Israël et ceux qui défendent celui-ci contre celle-là.
Cette journée a fait le bonheur d’au moins une personne : le président de l’AIEA, Mohamed Elbaradei, qui, deux mois avant la fin de son mandat, a réussi à faire voter une résolution dans laquelle les pays membres appellent Israël « à signer le traité de non prolifération nucléaire (TNP) et de soumettre ses installations nucléaires au contrôle de l’AIEA comme le reste du monde ».
Cela fait presque deux décennies maintenant que, chaque année, l’AIEA tente de faire passer une telle résolution. Les échecs répétés étaient dus à l’opposition des Etats-Unis et des pays européens qui, contre toute logique et au risque d’exacerber les rancoeurs, défendaient bec et ongles le « droit » d’Israël de se placer au dessus des lois, c'est-à-dire, dans le cas d’espèce, de posséder un programme et des armes nucléaires et d’en refuser l’accès à l’AIEA.
Il est vrai que la résolution est passée de justesse (49 voix contre 45), mais c’est tout de même une petite victoire, même si Israël, de toute évidence, va continuer à jouir de son statut d’Etat auquel le droit international ne s’applique pas, contrairement au reste du monde. Une petite victoire de voir Israël exprimer son « choc » et son « indignation » parce qu’on a osé lui demander de rentrer dans les rangs et de se soumettre à la loi comme tout le monde. Une petite victoire de voir le grand embarras des grands pays qui, comme les Etats-Unis et le Canada, se présentent comme les gardiens de la loi internationale en théorie, et comme ses fossoyeurs en pratique. Car quiconque se proclame défenseur de la loi internationale mais, en même temps, ignore le principe fondamental que la loi est la même pour tous, devient ipso facto un danger pour cette même loi qu’il prétend promouvoir.
Les Etats-Unis n’arrêtent pas d’étonner le monde. En mai dernier, beaucoup ont applaudi le discours prononcé par la sous-secrétaire d’Etat américaine, Mme Rose Gottemoeller, à une conférence sur le traité de non prolifération nucléaire. Mme Gottemoeller avait dit textuellement : « L’adhésion universelle au TNP, y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du nord, demeure un objectif fondamental. »
Quatre mois plus tard, le représentant américain à la réunion de l’AIEA, Glyn Davies, frustré de n’avoir pu bloquer comme d’habitude le vote, rejeta la résolution aussitôt après son adoption, la qualifiant de « redondante ». Récapitulons : le 5 mai 2009 Washington considérait l’adhésion au TNP d’Israël entre autres « un objectif fondamental ». Le 18 septembre 2009, l’AIEA votait une résolution en complète harmonie avec cet « objectif fondamental ». Washington la rejette et la qualifie de « redondante ». Comprenne qui pourra.
Avant le 18 septembre 2009, l’unique fois où l’AIEA avait réussi à adopter une résolution assez dure contre Israël exigeant que ce pays soumette ses installations nucléaires au contrôle international, c’était en 1991. A l’époque, les Etats-Unis avaient laissé passer la résolution non pas parce qu’ils étaient convaincus de la justesse de la demande de l’AIEA, mais parce qu’ils étaient en pleine guerre contre l’Irak et avaient besoin de l’engagement de certains pays arabes à leur côté. Un blocage du vote à ce moment là en faveur d’Israël aurait pu avoir des conséquences négatives sur la coalition anti-Saddam, un risque que Washington ne voulait en aucun cas courir.
Depuis le vote de 1991, et tout au long des 18 années qui suivirent, les Etats arabes et islamiques ont systématiquement renouvelé, à chaque réunion de l’AIEA, leur exigence qu’Israël ouvre ses installations nucléaires aux inspecteurs de l’Agence. Mais les Etats-Unis et leurs alliés européens s’étaient tout aussi systématiquement placés du côté d’Israël, usant de pressions de toutes sortes, avouables et non avouables, pour bloquer le vote sur ce sujet brûlant. L’argument classique avancé rituellement par les amis d’Israël est qu’un tel vote « risque d’endommager les espoirs de paix ».
Il est tout de même extraordinaire qu’en dépit des immenses capacités intellectuelles en Europe et aux Etats-Unis, en dépit des instituts de recherche financés à coups de centaines de millions de dollars, Washington et ses alliés européens tardent toujours à s’apercevoir que les espoirs de paix ont été détruits non pas par les demandes répétées d’appliquer la loi internationale à tout le monde, mais par le refus obstiné de rendre les terres arabes occupés par la force depuis 42 ans, par l’incessante construction de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, par les agressions régulières d’Israël contre ses voisins, par les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ce pays, comme l’a démontré récemment le rapport Gladstone etc. etc.
Enfin, on ne peut pas ne pas relever les contradictions de la diplomatie américaine qui se tire elle-même dans les pattes au grand bonheur d’Israël. Dire un jour que ce pays doit rejoindre le TNP et se rétracter quelques mois après est un signal fort dangereux adressé volontairement ou involontairement à Israël. Celui-ci, on peut lui faire confiance, ne manquera pas de tirer la conclusion qui s’impose : rien ne sert de céder aux pressions des Etats-Unis puisque, par expérience, ils ne sont jamais allés jusqu’au bout dans leurs exigences envers l’«allié stratégique».

Wednesday, September 16, 2009

Israël dans le pétrin

Les dirigeants israéliens ne pouvaient ignorer la gravité des crimes commis lors de l’agression contre Gaza de décembre 2008-janvier 2009, et c’est pour cette raison qu’ils ont mobilisé leur appareil de propagande pour tenter de discréditer la Commission Goldstone. Celle-ci fut chargée en avril dernier par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’enquêter sur les crimes commis pendant la guerre de Gaza.
La Commission ne pouvait pas avoir de préjugés anti-israéliens qui auraient pu jeter le discrédit sur ses conclusions de par sa composition même : Richard Goldstone, un juge sud africain unanimement respecté et juif de surcroît, Christine Chinkin, universitaire britannique qui enseigne le droit international à London School of Economics, Hina Jilani, avocate près la Cour suprême du Pakistan et le colonel Desmond Travers, ancien officier des forces de défense irlandaises et membre du conseil des directeurs de l’Institut international des investigations criminelles.
Le rapport de 575 pages produit par la Commission Goldstone est accablant pour Israël et dépasse ses pires appréhensions. Ce pays qui a fait des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par le IIIe Reich allemand son fond de commerce, n’a sans doute jamais imaginé qu’un jour il sera lui-même accusé de crimes semblables.
En refusant de coopérer et en empêchant la Commission d’entrer dans les territoires occupés pour faire son travail, Israël espérait entraver les enquêteurs et les amener à jeter l’éponge. L’indispensable déplacement à Gaza a été rendu possible grâce à la coopération du gouvernement égyptien qui a autorisé la Commission d’entrer par la frontière égyptienne.
Pendant les cinq mois de travail, la Commission a conduit 188 interviews, lu 10.000 pages de documents et visionné 30 vidéos et 1200 photographies. Elle a étudié 36 « incidents » dont le massacre de 22 membres de la famille Samouni qui étaient enfermés dans leur maison par les soldats israéliens, le bombardement d’une école des Nations-Unies dans le camp des réfugiés de Jabalia (35 morts et 40 blessés), l’ « attaque directe et intentionnelle » contre l’hôpital Al Qods dans le sud de Gaza, le bombardement d’une mosquée au moment de la prière avec 300 fidèles dedans (15 morts) etc…
Pour la Commission, il était clair que tous les « incidents » étudiés comportaient de « graves violations des conventions de Genève », d’où l’accusation de crimes de guerre. La Commission a également porté cette accusation contre le mouvement islamiste Hamas pour avoir lancé quelques roquettes contre des civils israéliens. Mais il était clair que pour les enquêteurs, les deux accusations ne peuvent avoir le même poids ni la même gravité, car une simple opération arithmétique montre que pour une victime israélienne, il y a plus de cent victimes palestiniennes.
Le mérite de la Commission est qu’elle ne s’est pas limitée aux crimes commis pendant la guerre. Elle a étendu ses investigations aux crimes commis avant et après la guerre à travers le blocus étouffant imposé à Gaza et à ses habitants. Le gouvernement israélien a dû s’arracher les cheveux en lisant le paragraphe suivant du rapport, sans doute le plus grave et le plus accablant pour Israël : « La Commission, écrivent les enquêteurs, s’est demandée si les séries de mesures qui privent les Palestiniens de la bande de Gaza de leurs moyens de subsistance, de l’emploi, du logement, de l’eau ; qui leur dénie la liberté de mouvement et leur droit de quitter et d’entrer dans leur propre pays et qui limitent leur accès aux cours de justice ne s’apparentent pas à de la persécution, à un crime contre l’humanité » ? La Commission ne s’est pas contentée de poser la question. Elle répond et recommande : « De par les faits étudiés, la Commission est d’avis que quelques une des actions entreprises par le gouvernement israélien pourraient justifier l’institution d’une cour de justice compétente en matière de jugement des crimes contre l’humanité. »
Il est bien évident qu’Israël n’est pas seul à s’opposer à une telle recommandation. Une fois devant le Conseil de sécurité, le rapport passera du niveau juridique au niveau politique. Et là, les Etats-Unis, sauf miracle hautement improbable, ne laisseront pas passer un rapport d’une telle gravité contre leur « allié stratégique ». Le droit de veto est là pour protéger Israël qui peut être assuré que ses puissants alliés ne permettront jamais l’institution d’une cour internationale qui le condamnerait pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Mais le mal n’est-il pas fait déjà et Israël ne traîne-t-il pas depuis mardi dernier une casserole supplémentaire, plus grosse et plus bruyante que celles qu’il traîne depuis des décennies ? Une casserole qui, au moindre incident provoqué par Israël, rappelle à l’opinion mondiale que ce pays est coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ? Quant à ceux qui s’apprêtent protéger Israël contre toute poursuite judiciaire, ils ne peuvent ignorer que les principes élémentaires du droit dans tous les pays du monde stipulent que quiconque aide un criminel à échapper à la justice devient ipso facto complice. Ceci au niveau juridique.
Sur le plan politique, ceux qui s’apprêtent à voler au secours d’Israël ne doivent pas perdre de vue le fait que les gesticulations d’Israël sont futiles et ses protestations grotesques. Et même s’ils le veulent, il ne pourront pas au fond d’eux-mêmes ne penser au culot des dirigeants israéliens qui invoquent sérieusement l’ « auto-défense » après les bombardements massifs de civils et les attaques intentionnelles contre les écoles, les hôpitaux et les mosquées.
La lecture d’un rapport accablant de 575 pages est sans doute très dure pour les dirigeants israéliens. Leur colère et leur frustration sont d’autant plus grandes que le principal responsable du rapport, Richard Goldstone, est juif. Ils ne peuvent pas, cette fois, utiliser leur arme de choix : crier à l’antisémitisme.

Monday, September 14, 2009

Mauvais film, vieille rengaine

Il y a des obsessions qui ont la peau dure. Elles hantent jour et nuit ceux qui en sont atteints, les empêchent de penser à autre chose, de voir autre chose, de faire autre chose avant que le désastre ne les submerge. L’exemple qui vient tout de suite en tête est celui de l’obsession fatale qui s’était emparée de George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et quelques autres qui, en 2002-2003, ne pensaient qu’à l’Irak, ne voyaient que Saddam Hussein et ne rêvaient que des armes de destruction massive. Cette obsession a coûté et continue de coûter très cher aux Etats-Unis en sang, argent et réputation, même si ceux qui sont responsables du désastre continuent de vaquer tranquillement à leurs occupations quotidiennes. Certains d’entre eux, comme l’ex-vice président Dick Cheney, se permettent même de critiquer de temps en temps ceux qui s’efforcent de réparer les dégâts et même de leur donner des conseils sur la manière de mieux servir les intérêts de l’Amérique…
Tout le monde sait que la presse américaine porte une grande responsabilité dans la diffusion de l’obsession anti-irakienne au sein de l’opinion de manière à saper d’avance toute éventuelle opposition à la guerre que Bush et son équipe étaient décidés à mener. Mais en dépit de son mea culpa, il semble que cette presse s’efforce de remettre ça en entretenant une autre obsession, contre l’Iran cette fois, et en donnant l’impression qu’elle voudrait bien préparer l’opinion à une éventuelle attaque des installations nucléaires de ce pays.
On a l’impression de revoir un mauvais film avec les mêmes acteurs, le même sujet (armes de destruction massive) et la même rengaine (Israël est en danger, il faut le sauver). Seule la cible change : l’Iran remplace l’Irak. Le Wall Street Journal, par exemple, qui menait la croisade avec des éditoriaux incendiaires contre Bagdad, se déchaîne aujourd’hui contre Téhéran tout en multipliant les mises en garde au président Obama que « s’il ne mettait pas rapidement un terme au programme nucléaire iranien, Israël bombarderait les installations en question ».
Toutefois, le mauvais film qui se déroule à nouveau sous nos yeux comporte une différence fondamentale : la frustration semble avoir changé de camp. En 2002, c’est l’opinion mondiale qui était frustrée parce que la Maison blanche était le porte-étendard de la croisade anti-irakienne. Aujourd’hui, à Washington, ce sont les éditorialistes et les politiciens boutefeux qui cachent mal leur frustration parce que la Maison blanche a mis beaucoup d’eau dans son vin et appelle tous ceux qui s’agitent autour d’elle au calme. C’est le premier motif de soulagement.
Le second motif de soulagement est que, selon le quotidien « Haaretz », tous les officiels israéliens qui ont visité récemment Washington, sont rentrés avec l’impression que « le président Obama est en train de renoncer graduellement à la principale demande de l’administration Bush qui exigeait que l’Iran cessât tout enrichissement d’uranium avant de commencer le dialogue. » Les visiteurs israéliens rentraient chez eux l’air abattu, car, toujours selon le « Haaretz », « les Etats-Unis s’apprêtent à proposer le compromis suivant : l’Iran sera autorisé à enrichir l’uranium à des fins pacifiques (sous contrôle international strict), les sanctions imposées à l’Iran seront levées et les deux parties arriveront à des arrangements concernant les intérêts iraniens dans un certain nombre de domaines, notamment en Irak, à la lumière du retrait planifié des troupes américaines. »
Si un tel compromis venait à voir le jour, cela signifierait un changement radical de la politique de la Maison blanche et un affranchissement spectaculaire des décideurs américains du joug du lobby pro-israélien aux Etats-Unis. Cela voudrait dire aussi que les jérémiades d’Israël qui voie des ennemis partout sont désormais considérées à leur juste valeur, c'est-à-dire qu’on ne leur accorde pas plus d’importance qu’à celles du soldat israélien armé jusqu’aux dents et qui jure ses grands dieux que sa vie est mise en danger par le gamin palestinien qui lui fait face avec une pierre à la main.
Si un tel compromis venait à voir le jour, cela signifierait que les Etats-Unis ont enfin commencé à comprendre que leurs intérêts sont plus importants que les lubies d’un « allié stratégique » qui, de toute évidence, ils traînent comme un boulet au pied depuis des décennies. On n’a pas besoin d’être un stratège chevronné pour comprendre que l’urgence de conclure au plus vite les drames irakien et afghan sont mille fois plus importants pour les Etats-Unis que les craintes irrationnelles d’une classe de politiciens israéliens fanatiques qui crient aujourd’hui au loup iranien après avoir crié hier au loup irakien.
Le président Obama a tout intérêt à arriver à un compromis avec l’Iran, car, il est suffisamment intelligent pour savoir que pour sortir son pays des guêpiers irakien et afghan, il a besoin beaucoup plus de la bonne volonté et de la coopération de l’Iran que des jérémiades ridicules d’Israël.

Saturday, September 12, 2009

Présidents pères et fils

Les Américains ont célébré hier dans la tristesse le huitième anniversaire du drame des attentats du 11 septembre dont les conséquences continuent de marquer non seulement les Etats-Unis, mais le monde entier. La malchance était double en ce 11 septembre 2001. D’abord les terroristes ont réussi des coups spectaculaires dont les effets et l’impact ont dépassé leurs rêves les plus fous. Ensuite le drame a eu lieu sous la présidence d’un homme, George W. Bush, qui s’est révélé être, de l’avis de la plupart des historiens, le président le plus incompétent dans l’histoire du pays.
L’incompétence de ce président a joué un rôle amplificateur des effets tragiques des attentats. L’extraordinaire capital de sympathie, y compris dans le monde musulman, dont a bénéficié l’Amérique au lendemain des événements a été peu à peu dilapidé. Même les ennemis irréductibles des Etats-Unis, comme l’Iran ou la Russie, se sont alignés derrière Washington dans sa terrible épreuve, et Téhéran est allé jusqu’à coopérer étroitement, sur le plans des renseignements notamment, pour aider l’armée américaine à venir à bout rapidement du régime des talibans.
L’incompétence de George W. Bush a forcé les Etats-Unis à s’engager dans une impasse et à mener pendant des années une politique paradoxale consistant à livrer une « guerre globale contre le terrorisme » tout en servant ce même terrorisme, rendant ainsi des services inestimables à Al Qaida, une divine surprise pour la nébuleuse de Ben Laden. Celui-ci n’avait sûrement pas imaginé, même dans ses rêves les plus délirants, un tel service en contre partie des attaques perpétrées contre le World Trade Center à New York et le Pentagone dans la banlieue de Washington.
Quand le 7 octobre 2001 l’armée américaine avait engagé ses bombardiers contre le régime des talibans qui avait refusé de livrer Ben Laden à Washington, il y avait une quasi-unanimité universelle sur le droit des Etats-Unis de se défendre et de pourchasser ceux qui avaient massacré 3000 citoyens américains en quelques minutes.
Mais très vite il était devenu évident que ce qui intéressait l’équipe de Bush ce n’était pas de défendre le pays contre le terrorisme et de tuer ou capturer les responsables des attentats du 11 septembre, mais de les utiliser comme prétexte pour régler de vieux comptes avec le régime de Saddam Hussein qui non seulement n’avait rien à voir avec Al Qaida, mais était un barrage que les terroristes n’avaient jamais pu franchir, barrage qui, il faut le rappeler, faisait de l’Irak jusqu’au 20 mars 2003 l’un des pays les plus sûrs et les plus stables de la
planète.
Bush père a commis une erreur stratégique monumentale en tournant le dos à l’Afghanistan après la défaite de l’Union soviétique. Le vide soudain a été très mal exploité par les factions afghanes qui n’avaient pu s’empêcher de s’entretuer pour le pouvoir. L’anarchie provoquée par la guerre inter-afghane a ouvert la porte aux terroristes de tout acabit qui convergeaient vers le pays pour y établir leurs camps d’entraînement et y tisser leurs réseaux.
Bush fils avait commis une erreur plus monumentale encore que celle de son père en changeant la nature du 11 septembre de motif légitime de poursuivre les terroristes et de les éliminer en un prétexte de régler des comptes avec un pays qui n’avait rien à voir avec l’agression terroriste spectaculaire subie par les Américains.
Si l’erreur de Bush père a fait de l’Afghanistan un pays durablement instable et anarchique, celle du fils a élargi la zone d’instabilité et d’anarchie vers l’ouest en agressant gratuitement l’Irak. Le fils a eu l’occasion de réparer l’erreur du père en nettoyant le pays du régime moyen-âgeux des talibans et des terroristes d’Al Qaida, et en aidant les Afghans à reconstruire leur pays. Il a préféré tourner le dos au bourbier créé par l’erreur de son père et créer son propre bourbier autrement plus coûteux pour les intérêts américains.
Les erreurs combinées des Bush père et fils font que depuis des années l’armée américaine, aidée par ses alliés de l’Otan, est engagée dans une guerre sur deux fronts qui continuent de saigner à blanc les Etats-Unis, sans parler du calvaire sans fin enduré par les millions d’Irakiens et d’Afghans.
A défaut d’être interpellés par la justice pour rendre compte des dommages occasionnés eux intérêts stratégiques de leur pays, George H. Bush et George W. Bush seront sans doute interpellés par l’histoire qui ne manquera pas de les clouer au pilori.
L’histoire américaine a connu deux autres présidents père et fils. John Adams était le deuxième président (1797-1801) et son fils John Quincy Adams, sixième président (1825-1829). Les Adams père et fils sont vénérés par les Américains et encensés par l’histoire, car ils sont classés parmi les « pères fondateurs ». Leurs principes et leurs conseils n’ont pas été toujours pris en compte. Par exemple ce conseil mémorable donné par John Quincy Adams à ses concitoyens : « L’Amérique ne s’aventure pas à l’étranger en quête de monstres à détruire. Elle souhaite la liberté et l’indépendance de tous ; elle n’est le champion que de la sienne propre. Elle sait bien que si jamais elle se rangeait, ne serait-ce qu’une fois, sous d’autres bannières que la sienne, fussent-elles celles de l’indépendance d’autres peuples, elle s’impliquerait sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, d’avarice individuelle, d’envie et d’ambition, qui adopteraient les couleurs et usurperaient l’étendard de la liberté. Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maîtresse de son esprit. »
Si le fils Bush avait suivi ce sage conseil du fils Adams, l’Amérique serait dans de bien meilleures conditions.

Wednesday, September 09, 2009

Pourquoi Netanyahu nargue-t-il la Maison blanche?

Encore une fois, Benyamin Netanyahu défie son principal allié, les Etats-Unis d’Amérique, en autorisant la construction de plusieurs centaines de maisons pour colons en Cisjordanie. Pourquoi cette arrogance ? Pourquoi ce mépris affiché par le gouvernement israélien à l’égard de tous ceux, Américains et Européens, qui le suppliaient non pas de démanteler les colonies, on en est loin, mais simplement de les geler pour un certain temps ?
Les Israéliens, citoyens et gouvernants confondus, ont eu largement le temps d’intérioriser l’idée qu’ils sont sérieusement « le peuple élu », donc au dessus des autres peuples. Dans leurs prêches, des rabbins vont même jusqu’à insister auprès de leurs fidèles que le versement du sang juif est un « sacrilège » qu’ils opposent à la banalité que revêt selon eux le versement du sang des gentils, c'est-à-dire des non juifs. Cette conviction est à l’origine de tous les abus, au premier rang desquels la volonté, manifestée par tous les gouvernements d’Israël de 1948 jusqu’à ce jour, de se mettre au dessus de la loi internationale. En d’autres termes, celle-ci, qui qualifie de crime de guerre la construction de colonies dans les territoires occupés, est valable pour tous les membres de l’ONU sauf Israël.
Le fait qu’aucune juridiction internationale n’a jamais osé inculper Israël de crimes de guerre, qu’aucune puissance influente dans le monde n’a jamais eu l’idée de frapper du point sur la table et dire « maintenant assez », est pour beaucoup dans le développement du sentiment d’impunité chez les Israéliens. Israël est un peu un diplomate mondial qui bénéficie d’une immunité mondiale qui le protège, quoiqu’il fasse, contre toute espèce de sanction.
Les vetos opposés systématiquement par Washington pour protéger son allié contre d’éventuelles sanctions, et même contre une simple condamnation verbale, ont alimenté à longueur d’années le sentiment d’impunité des Israéliens qui, en déclenchant des guerres, en dévastant des villes, en massacrant des civils ou en colonisant des territoires qu’ils ont occupés par la force militaire, savent pertinemment qu’ils ne seront jamais condamnés ni punis.
Pour perpétuer ce privilège de pays immunisé dont il est le seul à bénéficier dans le monde, Israël travaille sur deux fronts. A l’intérieur, l’épée de Damoclès est toujours bien aiguisée et prête à tomber sur la tête de quiconque dénonçant les crimes de guerre d’Israël ou demandant à ce que ce pays soit traité comme les autres au regard de la loi internationale. En effet, l’accusation d’antisémitisme, bien qu’éculée et usée jusqu’à la corde, constitue toujours un élément dissuasif important contre toute tentative de remise en cause du privilège de l’immunité.
Le second front se trouve à Washington, et plus précisément à K Street où l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) a pignon sur rue. On sait que ce puissant lobby joue parfaitement bien son rôle d’épouvantail face aux politiciens américains. On sait que nombre de politiciens américains ne peuvent rien contre l’obligation de voir leurs carrières passer par le filtre aipacien si l’on peut dire, qui favorise les pro- israéliens et barre la route à ceux dont l’intégrité empêche de cacher la tête dans le sable pour ne pas avoir à appeler un chat un chat.
Cependant, il se trouve qu’aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, la Maison blanche est occupée par quelqu’un qui, s’il ne remet pas en cause le privilège d’immunité, demande un simple gel de la colonisation, mais avec une insistance qui déplait aux Israéliens et à leurs lobbies. Le président Barack Obama n’est ni anti-israélien ni pro-arabe. Son insistance sur le gel de la colonisation s’explique plutôt par sa conviction que le conflit israélo-arabe a trop duré, a assez menacé la sécurité internationale, qu’il est temps de résoudre ce drame et que le moindre préalable à toute tentative de règlement de ce conflit est le gel de la colonisation.
Israël et l’Aipac ne l’entendent pas de cette oreille évidement et le travail de sape a aussitôt commencé. Cette fois ils ont joué une carte maîtresse : dresser les deux composantes essentielles de l’establishment américain, la législative et l’exécutive, l’une contre l’autre.
On est habitué à voir les délégations du Congrès américain défiler en Israël. C’est devenu si banal que la plupart des médias ignorent l’information ou, dans le meilleur des cas, l’enterrent sous forme d’entrefilet en pages intérieures. Toutefois, en août dernier, la taille de la délégation du Congrès envoyée en Israël était telle qu’on a encore du mal à digérer l’information. La taille de cette délégation était si massive qu’elle ne peut avoir d’autre but qu’un étalage face à la Maison blanche de la puissance politique dont dispose Israël aux Etats-Unis.
Aucune autre explication n’est possible quand 13% de l’ensemble du Congrès, c'est-à-dire 56 de ses membres, accompagnés de leurs épouses, ne trouvaient rien d’autre à faire que d’aller sillonner Israël pendant près d’un mois. 25 congressistes républicains y ont séjourné du 2 au 13 août suivis par 31 démocrates à partir du 14 août. L’Aipac qui a organisé et payé les voyages est allé jusqu’à exiger que les deux délégations soient dirigées par les chefs des groupes républicain et démocrate au congrès, respectivement Eric Cantor et Steny Hoyer.
Quand 56 membres du pouvoir législatif, c'est-à-dire le principal pilier de la puissance américaine, font 20.000 kilomètres aller-retour rien que pour rassurer Israël et l’assurer que son immunité est intouchable, quelle réaction attendre de ce pays sinon plus d’arrogance et moins de flexibilité pour tout ce qui touche le conflit israélo-arabe. Qui peut s’étonner dès lors que Netanyahu nargue la Maison blanche et autorise la construction de milliers de maisons pour ses colons sur des terres qui n’appartiennent pas à Israël ?

Monday, September 07, 2009

Les dinosaures des temps modernes

Dans son livre fascinant « Patience dans l’azur » (1), l’astrophysicien canadien Hubert Reeves nous apprend que le soleil a déjà consommé la moitié de son carburant, c'est-à-dire qu’il ne lui reste plus que quatre ou cinq milliards d’années à vivre. Exagérément optimiste, Reeves pense sérieusement que nos lointains descendants vivront les ultimes convulsions du soleil avant sa disparition. Plus optimiste encore, notre astrophysicien pense que d’ici là, l’humanité aura les moyens techniques de ne pas succomber à cette fatalité …en transportant la planète Terre vers une autre étoile plus jeune où elle sera mise en orbite et pourra ainsi recevoir de nouveau chaleur et lumière pour quelques milliards d’années supplémentaires.
Cette belle fanfaronnade typiquement humaine, Hubert Reeves l’a peut-être conçue suite à un excès de frustration face au caractère fondamentalement éphémère de la vie. L’homme n’étant pas éternel, alors faisons en sorte que l’humanité, elle, puisse l’être. Et si l’on pousse encore plus loin et l’on considère que l’humanité, après tout, n’est qu’un seul homme qui ne cesse d’apprendre et de découvrir, en entrant de temps en temps en guerre contre lui-même, alors la question de l’éternité est résolue et notre astrophysicien peut être satisfait.
Le problème est que Hubert Reeves a conçu son plan d’éternité humaine à un moment où les questions du changement climatique et du réchauffement de la planète ne se posaient pas. Dans les années soixante et soixante dix du siècle dernier, l’humanité avait d’autres soucis et était à mille lieux de penser qu’un jour elle serait confrontée à un défi existentiel qui ferait peser sur les hommes le risque de devenir les dinosaures des temps modernes.
Aujourd’hui, l’astrophysicien canadien, qui vit toujours dans son Montréal natal, devrait être l’un de hommes les plus perplexes de la terre. Trente ans après avoir rêvé d’une humanité qui survivrait à la mort de son étoile, le voilà qui se rend à l’évidence que cette humanité si fragile est confrontée à un danger existentiel suite à un simple grondement du soleil qui fait monter les températures terrestres de quelques degrés. Et que le principal défi aujourd’hui n’est plus si l’on peut survivre à l’extinction du soleil, mais si l’on peut atteindre sans trop de dégâts l’horizon de l’an 2100 ?...
En fait, pour être plus précis, l’élévation des températures n’est pas causée par un accès de fureur de l’astre qui nous éclaire et nous réchauffe, mais par l’effet de serre résultant du rejet continue dans l’atmosphère du gaz carbonique depuis l’invention du premier moteur à explosion jusqu’à ce jour.
Les dinosaures des temps antiques n’avaient aucune responsabilité dans leur extinction. Un jour, alors qu’ils vaquaient tranquillement à leurs occupations quotidiennes, une météorite leur tomba dessus, provoquant un épais nuage de poussière qui voila le soleil pendant plusieurs années.
S’il s’avérait que nous sommes les dinosaures des temps modernes, nous serions alors les principaux responsables de notre extinction et de celles de plusieurs espèces animales et végétales. Cette possibilité n’est plus à exclure quand on sait que, de l’avis de la plupart des spécialistes, les dés sont jetés et que, même si on arrêtait aujourd’hui toute émission de gaz carbonique, le processus de réchauffement est désormais irréversible.
Les dangers qui nous guettent son multiples et variés. Ban Ki-moon, le patron de l’organisation qui regroupe toute l’humanité est allé la semaine dernière au Grand Nord où il a pu vérifier de ses propres yeux que la calotte polaire est bel et bien entamée et que le processus d’élévation des niveaux des mers est en marche. Des îles entières seront submergées et plusieurs villes côtières, dont Tokyo, Shanghai, New York ou encore la Nouvelle Orléans, seront dévastées. Plus graves sont les dangers qui pèsent sur l’agriculture, donc sur la nourriture de l’humanité. Le climat est devenu nettement plus violent qu’avant et les excès sur lesquels il semble désormais porté sont inquiétants dans la mesure où personne ne sait s’il y a une agriculture qui peut supporter à la fois inondations et sècheresses.
Les grands pays pollueurs, c'est-à-dire essentiellement ceux du Nord industrialisé, responsables en premier lieu du désastre à venir, ont d’autres inquiétudes : les migrations massives des multitudes affamées que les stratèges américains et européens considèrent comme la principale source d’insécurité des décennies à venir et à laquelle ils comptent se préparer militairement.
Au sud, il y a de grands pays pollueurs aussi (Chine, Inde, Brésil etc…). Mais ceux-ci n’ont pas entièrement tort de considérer comme une injustice leur mise à l’index au même titre que les pays du Nord qui, eux, polluent depuis des siècles. Ce genre de débats sur qui a fait quoi n’a pas trop de sens. Nous sommes tous embarqués sur le même navire. Et quand un navire prend l’eau pour cause de surcharge, il est fatal de perdre un temps précieux à conspuer ceux qui ont les bagages les plus lourds.
Tout comme les passagers d’un navire en danger n’ont d’autre choix que de confier leur sort à l’équipage, les habitants de la planète Terre n’ont d’autre choix que de confier leur sort au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le fameux GIEC qui, depuis 1988, souffle le chaud et le froid, si l’on peut dire. La prochaine grande réunion internationale sur le climat est prévue en décembre prochain à Copenhague. Elle n'aura probablement pas plus d'impact que celle de Kyoto. Que peut-on faire d’autre sinon attendre le prochain rapport du GIEC tout espérant quelques bonnes nouvelles qui relèveraient le moral en berne d’une humanité angoissée.
En attendant, le soleil, assuré désormais que jamais l’un de nos lointains descendants n’assistera à son agonie, continue imperturbablement de nous réchauffer chaque jour un peu plus que le précédent.

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(1) Le Seuil, Collection « Sciences ouvertes », Paris, 1981

Wednesday, September 02, 2009

Les bizarreries de la démocratie américaine

Il n’est pas du tout aisé de comprendre le fonctionnement de la démocratie américaine ni l’attitude de la majorité des citoyens dans les moments cruciaux de l’histoire des Etats-Unis. Voici un pays qui vous déboulonne impitoyablement un président, Richard Nixon pour ne pas le nommer, parce qu’il avait eu la curiosité d’écouter ce qui se disait chez ses rivaux démocrates dans le siège de leur parti dans la tour Watergate, mais qui laisse un autre couler des jours heureux au Texas, malgré les terrifiants crimes de guerre commis en Irak, et en dépit du gaspillage éhonté des vies et des finances américaines.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi la justice américaine se montre-t-elle si vigilante et si intraitable quand elle attrape dans ses filets un pauvre bougre qui a volé une paire de chaussures par exemple dans une grande surface, mais regarde ailleurs quand il s’agit d’un président responsable de la mort de centaines de milliers d’Irakiens et de milliers de soldats américains tués dans une guerre déclenchée sur la base d’un mensonge.
On dit que les Américains ont horreur du mensonge. Richard Nixon fut forcé de démissionner moins parce qu’il espionnait les démocrates que parce qu’il avait menti en clamant pendant des mois son innocence et en défendant la thèse de la « machination » et du « complot ». S’il avait reconnu sa responsabilité dès le départ et présenté des excuses, il serait probablement allé jusqu’au bout de son second mandat.
Richard Nixon avait menti certes, mais son mensonge était si inoffensif que l’Amérique en était sortie indemne. Pas un soldat n’a été tué. Pas un dollar n’a été gaspillé. Pas la moindre atteinte à la dignité ou à la réputation ou aux intérêts vitaux du pays. Pourtant, les Etats-Unis, toutes catégories sociales confondues, étaient entrés en ébullition et ne s’étaient calmés que le jour où Nixon avait démissionné.
George W. Bush avait menti et son mensonge était dévastateur. Laissons de côté l’Irak dont le calvaire biblique, qui se poursuit jusqu’à ce jour, peut ne pas intéresser beaucoup d’Américains. Le mensonge de Bush a provoqué un désastre que les Etats-Unis ont rarement vu dans leur histoire : une armée de 130.000 hommes engluée dans les sables mouvants mésopotamiens, 5000 soldats tués, 30.000 blessés, 1000 milliards de dollars gaspillés, une réputation internationale fortement écornée. Et personne ne sait si le plan d’Obama qui consiste à retirer tous les soldats d’Irak d’ici à fin 2011 sera respecté ou non.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi, en dépit de l’ampleur de cette catastrophe, les citoyens américains n’ont pas bougé le petit doigt ni demandé le moindre compte au premier responsable de cette guerre insensée. Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi le peuple américain, qui n’avait pas toléré le mensonge futile de Richard Nixon, est aujourd’hui si indifférent vis-à-vis d’un mensonge aussi dévastateur que celui qui avait servi de prétexte à l’invasion de l’Irak au printemps de 2003.
Mais peut-être y a-t-il une explication à cette étonnante indifférence. Dans un article publié dans le New York Times du 24 août dernier et intitulé « The ultimate burden » (le fardeau ultime), le journaliste Bob Herbert écrit : « Si on avait la conscription –ou même la menace de conscription-, on ne serait probablement pas en Irak et en Afghanistan. Mais nous n’avons pas de conscription, et donc cela ne pose pas de problèmes pour la majorité des Américains d’être indifférents au déclenchement de la guerre. Ce sont les enfants des autres qui vont à la mort. »
Bob Herbert a mis le doigt sur l’essentiel. Tous ceux qui étaient en âge de suivre les événements tragiques de la guerre du Vietnam se rappellent des violentes manifestations qui étaient organisées un peu partout aux Etats-Unis. Les citoyens américains exigeaient l’arrêt de la guerre et le retour des soldats. C’est que ceux-ci n’étaient pas alors des volontaires mais des conscrits.
Dans le conscient collectif américain, les soldats qui servent en Irak et en Afghanistan, contrairement à ceux qui servaient au Vietnam, sont des volontaires. Aucune loi ne les a obligés à s’incorporer et aucun appel sous les drapeaux ne leur a été adressé. Ils sont allés vers l’armée de leur propre chef, ont signé un contrat avec elle et ont accepté ses conditions en contre partie d’un salaire. Par conséquent, ils sont responsables de tout ce qui leur arrive : mort ou blessure, folie ou suicide. C’est cet état d’esprit de l’Américain moyen qui explique cette indifférence à l’égard de la guerre d’Irak, aussi insensée et aussi absurde soit-elle. C’est ce qui explique aussi l’indifférence à l’égard des mensonges proférées pour la justifier et l’absence totale de volonté de demander des comptes aux responsables.
Mais il y a autre chose aussi. On parle déjà aux Etats-Unis du « One trillion dollar war » ( la guerre du trillion de dollars). Une somme faramineuse qui aurait sans doute fait mal au contribuable américain si Bush avait mené sa guerre d’agression en faisant payer ses concitoyens, c'est-à-dire en levant l’impôt approprié exigé par toute guerre. Le financement de la guerre d’Irak a été fait en vendant des bons de trésor aux Chinois, aux Japonais, aux pays pétroliers et à tous ceux qui ont un surplus d’argent à fructifier. En d’autres termes, Bush a fait payer les Américains qui ne sont pas encore nés, puisque ce sont eux qui rembourseront. C’est la seconde raison qui lui a permis d’échapper à l’ire des Américains et de se payer une retraite tranquille comme si de rien n’était.
En refusant de demander des comptes à George W. Bush, la démocratie américaine aura ainsi démontré qu’elle n’est pas seulement indifférente vis-à-vis de l’enfer que vivent les 25 millions d’Irakiens, mais aussi à l’égard des générations futures des Etats-Unis.