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Monday, August 31, 2009

"Elections révolutionnaires" au Japon

A part un bref intermède en 1993-94 qui n’avait duré que dix mois au cours desquels une opposition hétéroclite avait tenté vainement de laisser son empreinte, le Japon, depuis 1954, avait toujours été gouverné par les conservateurs unis au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD). Cette longue domination de la politique japonaise par ce parti n’est pas une incongruité quand on sait que le PLD qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale avait pris possession d’un pays exsangue, avait fait du Japon la deuxième puissance économique du monde.
Etant le principal artisan de ce miracle économique, il était donc normal que le PLD bénéficiât de la reconnaissance des Japonais, même si cette reconnaissance, de l’avis de certains, a été exagérément longue. Il y a tout lieu de croire que sans la profonde crise économique et financière qui a affecté le monde et qui n’avait pas épargné le Japon, le PLD n’aurait pas subi la cuisante défaite dans les élections législatives de dimanche dernier.
Depuis 1954, le Japon n’avait jamais connu un séisme politique aussi puissant que celui provoqué par les élections de dimanche. Ce séisme a engendré un véritable ras de marée, (tsunami disent les Japonais), en faveur de la principale formation de l’opposition, le Parti Démocratique du Japon (PDJ), dont le chef Yukio Hatoyama s’apprête à façonner « un nouveau Japon ».
L’écrasante majorité dont il dispose désormais dans la Chambre basse ( 308 députés sur 480) et au sénat lui permet de mener sans obstacles son ambitieux programme économique et politique.
En fait, pendant les 55 ans de règne du PLD, le Japon est passé par de nombreuses crises politiques et économiques sans que cela ne provoque une « révolte des électeurs ». Même pendant la « décennie perdue » (1990-2000) durant laquelle l’économie japonaise a stagné, le PLD s’est toujours arrangé pour s’assurer une majorité. Alors pourquoi maintenant assiste-t-on à ces « élections révolutionnaires », comme les a qualifiées le nouvel homme fort, Yukio Hatoyama ?
Il semble que les électeurs japonais ont finalement pris conscience de la profonde déstructuration de leur société : chômage, précarité du travail, évanouissement de la solidarité, inégalités sociales de plus en plus criantes, taux de suicide étonnamment élevé (30.000 par an), explosion du nombre des sans-abri, phénomène de la criminalité chez les plus de 60 ans dont beaucoup de ceux qui commettent leur forfait le font dans le but de se faire emprisonner et s’assurer ainsi toit et nourriture etc…
Pendant la campagne électorale, les responsables du PDJ ont su exploiter tous ces aspects négatifs qui ont rendu le Japon méconnaissable aux yeux de ses propres citoyens. Ils ont fait des promesses qui apparemment ont séduit l’écrasante majorité des électeurs : gel jusqu'en 2013 de toute hausse de la taxe sur la consommation ; diminution de 18 à 11% de l'impôt sur les petites et moyennes entreprises ; suppression des péages d'autoroutes et réduction des taxes sur l'essence ; gel de la réforme de la Poste (très impopulaire) ; augmentation du salaire minimum et création d’une retraite minimale garantie; création d'une allocation de 100.000 yens par mois (1400 dinars) pour les sans-emploi ayant épuisé leurs droits au chômage et suivant une formation ; interdiction de l'intérim, et donc de la précarité du travail, dans les usines et beaucoup d’autres promesses qui visent à rétablir la solidarité perdue et éliminer les tares engendrées par « les vents du fondamentalisme du marché », pour reprendre l’expression utilisée par M. Hatoyama au cours de sa campagne électorale. Il a répété sans arrêt pendant sa campagne que « l’économie globale a endommagé les activités économiques traditionnelles et détruit les communautés locales. » C’était suffisant pour séduire les électeurs qui ont finalement mis fin à ce que l’ancien président de l’université de Tokyo, Takeshi Sasaki n’a pas hésité à appeler « le système de parti unique ».
Mais le PDJ n’a pas séduit seulement par son programme de politique intérieure. Le parti vainqueur a promis également une refonte de la politique étrangère japonaise que beaucoup d’observateurs qualifient de « révolutionnaire ». Pendant les 55 ans de règne du PLD, Tokyo n’a jamais osé dire non à Washington sur quelque sujet que ce soit. Même sur le dossier de la présence militaire américaine à Okinawa, très impopulaire et très contestée par la population, le Japon a toujours gardé un profil bas.
La « révolution » en politique étrangère que le PDJ s’apprête à lancer consiste en deux axes essentiels : 1- « tenir tête » aux Etats-Unis sur le plan du l’ « unilatéralisme politique et du globalisme économique » ; 2- une approche intégrationniste avec les pays de l’Asie de l’est ( ASEAN, Chine, Corée du sud et Taïwan).
Ce changement important que le Japon s’apprête à introduire dans sa politique étrangère n’est pas sans danger pour le pays. Le futur Premier ministre semble en être pleinement conscient. Dans une tribune publiée le 27 août dernier dans l’International Herald Tribune, M. Yukio Hatoyama écrit : « Comment le Japon devrait-il maintenir son indépendance politique et économique et protéger ses intérêts nationaux quand il se trouve coincé entre les Etats-Unis, qui se battent pour garder leur position de pouvoir mondial dominant, et la Chine, qui cherche les moyens de devenir une puissance dominante ? » Par cette question, Yukio Hatoyama a résumé le principal défi auquel sera confronté le Japon et qui déterminera sa politique étrangère pour les décennies à venir.

Saturday, August 29, 2009

Etats en déliquescence

La rébellion houthiste du Yémen ne date pas d’hier. Ce mouvement, qui doit son nom à son fondateur Hussein Badreddine al Houthi, un chiite de tendance zaïdite, existe depuis au moins 1984. Son programme politique vise à créer un « imamat zaïdite » dans le nord du pays.
Cette rébellion pauvre dans un pays pauvre n’a pas suscité un intérêt excessif au-delà des frontières yéménites. Pendant des années, les forces gouvernementales tenaient à distance cette rébellion, l’empêchant de réaliser son objectif politique et la maintenant dans un état de faiblesse de manière à ce qu’elle ne puisse porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale du pays. En septembre 2004, le gouvernement yéménite revendiqua la victoire après avoir tué le chef des rebelles houthistes, Bdreddine al Houthi. C’est son père qui le remplaça à la tête du mouvement et la rébellion reprit en 2005 et dura jusqu’en 2007, date de la conclusion d’un accord qui, à cause des violations répétées de la part des Houthistes, resta lettre morte.
En février 2008, avec la médiation du Qatar, Houthistes et gouvernement signèrent à Doha un accord pour … appliquer l’accord de 2007. Peine perdue. Les rebelles se montraient déterminés à avoir leur imamat zaïdite, ce qui obligea le gouvernement du président Ali Abdallah Salah de frapper un grand coup militaire. L’armée pourchassa les rebelles et les repoussa dans leurs derniers retranchements.
Le gouvernement yéménite aurait été sans doute très heureux s’il n’avait que les Houthistes à combattre. Il est confronté également à diverses insurrections tribales, connues surtout par leurs prises d’otages de touristes occidentaux, au mouvement sécessionniste du sud qui, près de deux décennies après la réunification du pays, veut imposer de nouveau l’indépendance des provinces du sud vis-à-vis de Sanaa, ainsi qu’aux tentatives d’Al Qaida d’installer ses réseaux dans le pays. Des informations de source occidentale font état de l’arrivée de plusieurs membres de l’organisation terroriste déguisés en réfugiés somaliens. Ceux-ci, qui se comptent en dizaines de milliers, constituent un autre défi pour le gouvernement yéménite qui a déjà bien du mal à répondre aux besoins fondamentaux de ses propres citoyens.
Beaucoup d’observateurs s’étonnent que le gouvernement du président Abdallah Salah tienne toujours et que l’Etat yéménite n’a pas fait faillite compte tenu de la grande disproportion entre les petits moyens militaires, économiques et financiers du pays et les grands défis auxquels il est confronté.
Le Fonds pour la Paix (Fund for Peace) établit chaque année une liste de ce qu’il appelle « Failed States », ce que l’on peut traduire par Etats défaillants ou Etats en déliquescence. La liste de 2009 comporte une série de 60 pays défaillants ou menacés de déliquescence qui va de la Somalie (numéro un) à la Zambie (numéro 60) en passant par l’Irak (numéro 6) et l’Afghanistan (numéro 7). Le Yémen occupe la dix huitième place dans cette liste. Peut-être l’année prochaine le Yémen aura un meilleur classement, mais d’ici là, il a bien d’autres défis à relever pour qu’il vienne à bout du principal trait qui caractérise les Etats en déliquescence, à savoir l’incapacité d’imposer le monopole de la violence légitime sur tout le territoire.
Mais le Yémen n’est pas le seul dans cette situation difficile, tant s’en faut. Sur les 60 pays de la liste du Fonds pour la Paix, 13 sont arabes et musulmans et 23 appartiennent à l’Afrique subsaharienne. Tous sont atteints à des degrés divers de ce qu’on peut appeler le syndrome somalien, ce virus dévastateur qui, depuis 1990, tente d’infecter les structures étatiques de certains pays arabes et africains dans le but d’élargir le plus possible les zones où règne l’anarchie.
Il est incompréhensible que la communauté internationale puisse se permettre le risque de laisser sévir l’anarchie pendant vingt ans dans un pays comme la Somalie. Ce n’est pas un hasard si tous les voisins de la Somalie se trouvent sur la liste des Etats menacés de déliquescence, preuve que le virus somalien est à l’œuvre. Al Qaida s’est révélée être un agent d’infection efficace. Ne pouvant évoluer que dans les zones où règne l’anarchie, il est donc normal que cette organisation terroriste tente de s’infiltrer là où elle décèle la moindre petite brèche provoquée par l’instabilité politique. Ses déplacements entre le Soudan, la Somalie, l’Afghanistan, l’Irak ou encore le Yémen prouve que cette organisation est toujours à la recherche de pays où elle pourrait contribuer à la déliquescence de l’Etat et à la progression de l’anarchie.
Tous les pays qui figurent sur la liste du Fonds pour la Paix ne sont pas victimes de problèmes internes. Certes, les menaces qui pèsent sur l’intégrité de pays comme le Yémen ou le Soudan sont d’origine essentiellement internes (conflits tribaux, peu de richesses à se partager et beaucoup de prétendants etc…). Mais si l’on prend le cas de l’Irak, sixième sur la liste des Etats en déliquescence, on constatera que la déstabilisation avancée dans laquelle se trouve ce pays est d’origine externe. Voilà un pays qui, avant 2003, n’avait rien à envier, en termes de stabilité et de sécurité, à la Suède ou au Japon, est devenu, suite à une agression étrangère, l’un des endroits les plus violents de la terre. Une violence qui consume tout sur son passage, y compris les occupants.
Mais qu’elle soit d’origine interne ou externe, la violence illégitime , surtout quand elle se déclenche dans un pays pauvre ou l’Etat dispose de peu de moyens, finit pratiquement toujours par provoquer un vide politique propice à l’anarchie. L’Etat et ses institutions, qui s’évanouissent sous les coups de boutoir des groupes armés, seront difficiles à reconstituer, comme le prouve l’exemple somalien.

Wednesday, August 26, 2009

D'un apartheid, l'autre

Soixante ans après l’édification de l’Etat d’Israël, la population de ce pays a eu largement le temps de se rendre à l’évidence que les rivières qui sillonnent la « terre promise » ne sont pas faites de lait et de miel mais de sang et de larmes. Tout le monde sait, y compris ceux qui le nient hypocritement, que les tragédies innombrables qui ne cessent d’ensanglanter depuis six décennies cette portion de terre moyen-orientale comprise entre le Jourdain et la Méditerranée, sont dues à l’idéologie expansionniste du sionisme. Celui-ci a dépoussiéré pour les besoins de la cause les mythes de la « terre promise » et du « don de Dieu au peuple élu » pour justifier la judaïsation, depuis 1967, de la ville sainte de Jérusalem, d’une bonne partie de la ville d’Hébron, et la colonisation du peu qui reste aux Palestiniens, c'est-à-dire 22% de la Palestine historique.
Maintenant l’impasse est totale parce qu’Israël refuse depuis 42 ans les deux seules solutions qui existent à cette tragédie historique : Un Etat binational réunissant Israéliens et Palestiniens au sein d’une même structure gouvernementale et administrative, ou deux Etats côte à côte gérant indépendamment l’un de l’autre les affaires des deux peuples.
Le statu quo étant par définition provisoire, Israël a toujours cherché à le perpétuer à travers la diversion, c'est-à-dire en s’attaquant régulièrement à ses voisins et en s’inventant des dangers (« terrorisme », Iran, menace nucléaire) pour justifier l’agressivité et l’armement excessifs de son armée.
Les deux dernières diversions qui visaient à donner un nouveau souffle au statu quo étaient les guerres contre le Liban (été 2006) et contre les Palestiniens de Gaza (fin 2008-début 2009). Dans sa guerre contre l’ « ennemi du nord », Israël visait, outre le renforcement du statu quo, l’affaiblissement du Hezbollah. Celui-ci est aujourd’hui plus fort et plus armé qu’en 2006, mais ceci n’a pas l’air de déprimer Israël dont les stratèges affichent toujours une mine de « gagnant » quel que soit le résultat. En d’autres termes, si le Hezbollah était détruit ou affaibli, Israël serait naturellement gagnant. Mais maintenant que le Hezbollah est renforcé, Israël a « gagné » un ennemi plus dangereux, et donc plus d’aide, plus de sympathie et moins d’opposition à sa politique anti-arabe et anti-palestinienne. Nous ne sommes pas là en présence d’une nouveauté. Depuis qu’il existe, Israël a toujours opté pour ce jeu truqué « gagnant-gagnant » qui lui permet de tirer avantage, selon les circonstances, de l’affaiblissement ou du renforcement de ses ennemis.
Mais trucage ou pas, aucun jeu n’assure des gains en permanence. Diversion ou pas, aucun statu quo ne peut être permanent et Israël ne peut indéfiniment bénéficier des avantages de la supériorité militaire, de la complicité des milieux influents américains et de la complaisance de l’Europe.
C’est que le statu quo qu’Israël tente désespérément de perpétuer est en train de tourner, en l’absence de solution, en un véritable apartheid qui rappelle en tous points la défunte Afrique du sud des Boers racistes. Certains analystes vont plus loin encore et suggèrent l’idée que l’apartheid sud africain était « moins inhumain » que l’apartheid israélien. De fait, les habitants des bantoustans sud africains avaient eux au moins la possibilité de sortir pour travailler et ne subissaient pas de bombardements massifs, pou un oui ou pour un non, de la part de l’aviation sud africaine.
Les Palestiniens d’aujourd’hui sont bien moins lotis que les Sud-Africains d’hier. Le cas de Gaza est éloquent à cet égard. Qualifiée souvent de prison en plein air, Gaza, par les guerres destructrices et les blocus étouffants a été réduite à un bantoustan comportant une différence majeure par rapport aux anciens bantoustans sud-africains : ses habitants palestiniens ne peuvent ni sortir pour travailler ni même recevoir les matériaux de construction pour reconstruire ce que la guerre a détruit. Et cette asphyxie à petit feu, les plus extrémistes du régime raciste d’Afrique du sud ne l’avaient jamais fait subir à aucun de leurs bantoustans. N’est-il donc pas clair que l’apartheid israélien est pire que celui institué par les colons néerlandais en Afrique du sud ?
L’histoire récente démontre que le monde peut venir à bout de l’apartheid en le boycottant, en l’étouffant par des sanctions strictes. L’universitaire israélien Neve Gordon de l’université Ben Gourion du Neguev ne voit aucune autre solution pour venir à bout de l’apartheid israélien. Neve Gordon appelle à des sanctions contre son pays pour « sauver Israël de lui-même », comme il dit. Mais aussi parce qu’il est inquiet pour l’avenir de ses enfants.
Dans un article publié le 24 août par le site américain Conterpunch.com, intitulé « Arrêtons l’apartheid d’Etat, boycottons Israël », Neve Gordon écrit : « Il est clair pour moi que des pressions internationales massives sont le seul moyen de contrer l’apartheid en Israël. Les mots et les condamnations de la part de l’administration Obama et de l’Union européenne n’ont eu aucun résultat, pas même un gel de la colonisation, sans parler du retrait des territoires occupés. (…) En conséquence, j’ai décidé de soutenir le mouvement qui appelle au boycottage. (…) Imposer des sanctions internationales massives contre Israël est le seul moyen d’assurer que la prochaine génération d’Israéliens et de Palestiniens- y compris mes deux enfants- ne vive pas dans un régime d’apartheid. »
Sans doute la voix de Neve Gordon est loin d’être majoritaire en Israël où il est classé dans la catégorie des Juifs « traîtres qui versent de l’eau au moulin des antisémites ». Une raison supplémentaire pour l’aider à diffuser son message le plus loin possible.

Monday, August 24, 2009

Afghanistan, "cimetière des empires"?

Le carnage promis n’a pas eu lieu et les talibans ont été incapables d’empêcher le déroulement du scrutin jeudi dernier en Afghanistan. Certes il y a eu une trentaine de morts, un chiffre tout à fait banal pour un pays aussi violent que l’Afghanistan, et deux doigts coupés au sud de Kandahar, trahis par l’encre violette indélébile utilisée comme moyen d’éviter la fraude des votes multiples. Mais, pour une première élection organisé par un gouvernement afghan dans un contexte de haute instabilité, le résultat est jugé encourageant, même si le taux de participation, qui n’a pas dépassé les 50%, est bien en deçà de celui de la présidentielle de 2004, organisée par l’ONU, et qui avait drainé alors dans les bureaux de vote 70% des inscrits .
Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Otan ont exprimé leur soulagement, et le président Obama a été prompt à commenter l’événement en ces termes : « C’est un important pas en avant dans l’effort du peuple afghan de prendre le contrôle de son avenir, même si les violents extrémistes essayent de se mettre en travers. »
Les forces étrangères en Afghanistan semblent s’accrocher au moindre petit signe d’espoir pour se convaincre d’abord que la bataille menée dans ce pays depuis des années n’est pas vaine, et de persuader ensuite leurs opinions publiques, de plus en plus hostiles à cette guerre, que les sacrifices consentis en sang et en argent sont en train d’apporter les fruits escomptés. C’est ce qui explique l’exagération des responsables et des médias occidentaux de la « réussite » et du « succès » d’un scrutin où la moitié des électeurs sont restés terrés chez eux et l’autre moitié a voté à la sauvette.
Mais si le danger ne s’est pas matérialisé lors du déroulement du scrutin, il demeure plus que jamais menaçant, et il est même amplifié par les revendications contradictoires de victoire de la part des deux principaux candidats, Hamid Karzai et Abdullah Abdullah. Ces deux candidats n’ont pas dérogé à la coutume si répandue qui veut que, dans plusieurs pays, les candidats sont si impatients de vaincre qu’ils se déclarent vainqueurs bien avant la fin du dépouillement. Sur quelle base Karzai et Abdullah ont revendiqué chacun la victoire juste quelques heures après la fermeture des bureaux de vote ? Dieu seul le sait.
Même si Abdullah Abdullah était pendant quelques temps le ministre des Affaires étrangères de Hamid Karzai, rien au fond n’unit les deux hommes. Ni l’âge ni l’ethnie ni les choix politiques. Le premier est relativement jeune, le second a gagné beaucoup de rides pendant son premier mandat (2004-2009) ; le premier est un tadjik du nord de l’Afghanistan, le second un pachtoune du sud ; le premier refuse par principe tout dialogue avec les rebelles, le second est ouvert à une négociation avec les talibans « modérés ».
Les forces étrangères en Afghanistan et beaucoup d’Afghans regardent avec inquiétude cette rivalité entre les deux hommes. Ils redoutent une aggravation de la tension entre les partisans de Karzai et ceux d’Abdullalh qui risque de déboucher sur une guerre civile opposant Pachtounes et Tadjiks, gens du nord et gens du sud, au grand bonheur des talibans qui regarderaient en se frottant les mains leurs ennemis s’entretuer.
Cette perspective inquiétante n’étonnera personne si des fois elle se matérialise. Sur les trente dernières années, l’Afghanistan a été incontestablement le pays le plus violent de la terre et il n’est pas à une guerre près ni à une tragédie près. Beaucoup attribuent superficiellement cette histoire sanglante du pays au caractère belliqueux et à la nature montagnarde des Afghans. Ceux-ci ne sont pas plus violents ni plus belliqueux que les autres peuples. Leur malheur vient de la position géographique de leur patrie, coincée entre plusieurs pays beaucoup plus puissants (ex-Union soviétique, Pakistan et, dans une moindre mesure l’Iran). En décembre 1979, avec l’invasion soviétique, l’Afghanistan était victime d’un séisme géostratégique majeur dont les réverbérations continuent de secouer le pays vingt ans après l’effondrement de l’Union soviétique.
La violence en Afghanistan n’est pas une caractéristique de l’histoire récente du pays. Les Afghans ont toujours bataillé contre les envahisseurs étrangers au point que leur pays a été baptisé un peu pompeusement « cimetière des empires ». Les Etats-Unis, la grande Bretagne et l’Otan ne peuvent pas ignorer cette vérité. D’ailleurs des voix commencent à s’élever au sein de leurs hiérarchies militaires pour dire que la guerre est « ingagnable » et qu’il faudrait se retirer pour laisser les Afghans régler leurs problèmes.
C’est un fait que, pendant les rares périodes de paix et de stabilité qu’a connues le pays, les Afghans avaient institué leurs propres mécanismes de régulation des conflits, notamment la « Loya Jirga » (la grande assemblée), une sorte de conseil des sages représentatifs de toutes les ethnies qui discutent les différends qui se posent et leur trouvent des solutions dans le cadre d’un compromis. Ce sont les étrangers (Britanniques, Russes, Américains et Pakistanais notamment) qui sont responsables de la destruction des mécanismes traditionnels de régulation des différends et de l’introduction de la violence comme unique moyen de résoudre les conflits. La politique des talibans par exemple est étrangère à la culture et aux traditions du peuple afghan. Ce groupe aussi violent que fanatique a été inventé, entraîné et financé par les forces étrangères qui l’ont greffé en septembre 1996 sur le corps afghan. La greffe saigne toujours.
Peut-être les voix qui se lèvent en Occident demandant le retrait des forces étrangères ont-elles raison. De toute évidence, la paix en Afghanistan aura bien plus de chance de régner à travers un retour aux mécanismes traditionnels de résolution des conflits qu’à travers une élection présidentielle où les deux principaux candidats ont revendiqué chacun la victoire avant même que le dépouillement ne commence.

Thursday, August 20, 2009

Un Américain trop particulier

Très peu se rappellent encore de ce candidat à la candidature républicaine de la dernière élection présidentielle américaine qui s’appelle Mike Huckabee. Ayant pour exemples à suivre des télévangélistes genre Jerry Falwell, violemment anti-arabe et passionnément pro-israélien, Huckabee a des idées religieuses extrémistes. Pour lui la politique doit être conforme à la foi religieuse et l’action politique, y compris la lutte contre le réchauffement climatique, doit revêtir l’aspect d’un « devoir biblique ». Bref, Huckabee a une structure mentale intégriste qui, apparemment, a rebuté les électeurs de base du parti républicain. En 2008, ils lui ont préféré John Mc Cain pour les représenter dans la course à la Maison blanche.
Huckabee a-t-il du mal à oublier ce camouflet ? Commence-t-il dès maintenant à se préparer pour la présidentielle de 2012 ? Sa visite, il y a quelques jours, en Israël a toutes les caractéristiques d’une campagne électorale avant l’heure par les innombrables clins d’œil qu’il a adressés à partir d’Israël à la communauté juive américaine. Cette visite a dû le remplir d’aise dans la mesure où elle lui a permis à la fois d’exprimer ses profondes convictions religieuses et de préparer le terrain pour 2012.
Mais il a été un peu trop loin. Ce qu’il a dit, aucun responsable politique américain ou étranger n’a dit avant lui. Mike Huckabee s’est transformé instantanément en coqueluche des colons en affirmant qu’ « il ne devrait pas y avoir d’Etat palestinien en Cisjordanie ». Pour Huckabee, le problème n’est pas celui d’Israël, mais de la communauté internationale qui « devrait s’occuper de l’établissement d’un Etat palestinien quelque part ailleurs. » Où ? Il n’a dit. Mais il est hors de question que « la communauté internationale » choisisse l’Arkansas, Etat natal de Huchabee et dont il était le gouverneur pendant des années. Il serait sans doute le premier à mener le combat contre l’occupant palestinien…
Parlant à un groupe de journalistes à Jérusalem, Huckabee posait les questions et apportait les réponses : « La question qui se pose est : les Palestiniens devraient-ils avoir un endroit qu’ils appelleraint leur terre ? Oui, je n’ai pas de problème avec ça. Cet endroit devrait-il être au beau milieu de la patrie juive ? Honnêtement, je pense que c’est irréaliste » !
Mieux encore, Mike Huckabee a fait l’éloge d’Israël pour sa « générosité » et sa « magnanimité » de permettre l’accès des Palestiniens au Dôme du Rocher et à la Mosquée al Aqsa « bien que la présence d’une mosquée sur d’anciens temples juifs puisse être considérée comme un affront ».
Depuis la création d’Israël, il y a toujours eu des Américains qui soutiennent aveuglément et passionnément Israël. Mais jamais on n’a entendu de telles absurdités. Même les politiciens israéliens les plus extrémistes n’ont pas réclamé à la communauté internationale d’installer les Palestiniens « quelque part ailleurs ». Même Menahem Begin, Itzhak Shamir ou Ariel Sharon n’ont eu l’idée de considérer la présence du Dôme du Rocher et de la Mosquée al Aqsa comme « un affront ».
Huckabee ne se contente pas de réclamer l’expulsion des Palestiniens « quelque part ailleurs » pour qu’ils établissent leur Etat n’importe où sauf chez eux. Il suggère insidieusement aux Israéliens de remettre en cause la présence même les lieux saints de Jérusalem-est, chose que les Israéliens les plus fanatiques ont encore quelques scrupules à proposer ouvertement.
L’ancien gouverneur de l’Arkansas se met aux antipodes de toutes les lois internationales et se place en obstacle aux efforts de la communauté des nations de trouver une solution au conflit israélo-arabe et à la politique officielle de son pays d’obtenir un arrêt de la construction des colonies. Et il n’est même pas sûr qu’en proposant de telles idées il obtienne le soutien de l’AIPAC qu’il cherche désespérément à avoir, car même les revendications du puissant lobby pro-israélien aux Etats-Unis sont encore trop timides par rapport à celles de cet Américain un peu trop particulier.
En affirmant haut et fort au centre même de la ville sainte de Jérusalem que les Palestiniens n’ont aucun droit sur la terre de leurs ancêtres, en qualifiant d’ « affront » la présence de l’esplanade des mosquées « sur d’anciens temples juifs », Mike Huckabee, consciemment ou inconsciemment, tente d’allumer une véritable guerre des civilisations. Car, si en septembre 2000, une simple visite de l’esplanade des mosquées effectuée par Ariel Sharon a déclenché une intifada particulièrement sanglante, qu’en sera-t-il si le gouvernement israélien, prenant au mot Huckabee, décide de laver l’ « affront » en rasant les lieux saints musulmans ou encore en expulsant massivement les Palestiniens de chez eux ? Ce sera la guerre évidemment. La guerre généralisée telle que la souhaitent ardemment les extrémistes de tous bords.
Il est difficile de croire que Huckabee ait débité de telles absurdités à Jérusalem rien que pour accroître ses chances pour la présidentielle de 2012. En fait, il est l’un de ces évangélistes américains surexcités et anxieux que le Messie ait si tardé à revenir sur terre. Ses propositions sont si absurdes qu’elles ne peuvent pas s’expliquer par des considérations politiques, mais par des motivations irrationnelles comme celle qui consiste à « accélérer le retour du Messie ». Voilà où on en est en ce début de XXIe siècle.
De telles idées ont coûté très cher, en sang et en argent, au peuple américain. Celui-ci a déjà élu pour deux mandats successifs George W. Bush, un autre évangéliste, qui se croyait choisi par Dieu pour terrasser les « Gog et Magog ». Il y a mille raisons à méditer et mille leçons à tirer des huit années cauchemardesques de George Bush. La moindre des leçons est de se méfier de tout évangéliste qui fait de la politique.

Tuesday, August 18, 2009

Le Pakistan a évité le pire

Les talibans pakistanais de la région du Swat doivent se mordre les doigts et maudire l’heure où ils ont décidé de pousser encore loin leur sphère d’influence au point qu’ils n’étaient plus qu’à une centaine de kilomètres de la capitale Islamabad. La soumission du gouvernement pakistanais à leur exigence d’appliquer la Charia dans la région touristique du Swat leur a fait tourner la tête et leur a fait oublier leur promesse faite au gouvernement d’assurer la paix civile dans cette région.
Depuis le mois d’avril dernier, le gouvernement pakistanais est en guerre contre les talibans. Après les avoir écrasés et détruit leurs réseaux et infrastructures dans la région du Swat, il se tourne maintenant vers le sud Waziristan où il vient de remporter une grande victoire avec la mort quasi-certaine du chef taliban, Baitullah Mehsud, même si ce n’est pas l’armée pakistanaise qui l’a tué, mais un missile lancé par un drone américain.
Beaucoup d’observateurs et d’analystes avaient perdu espoir qu’un jour le gouvernement pakistanais prendrait le taureau par les cornes et mettrait un terme à la menace existentielle que faisait peser les groupes intégristes sur le pakistan. Le désir d’en finir avec eux une fois pour toutes a sans doute toujours existé chez une partie au moins du gouvernement pakistanais. Mais une partie de l’armée, et surtout l’ISI (Inter Service Intelligence) a toujours bloqué toute initiative gouvernementale d’attaquer militairement les réseaux terroristes. Et ce blocage continuait en dépit des innombrables attentats meurtriers, dont celui perpétré le 27 décembre 2007 et qui avait emporté celle qui se préparait alors à un troisième mandat de Premier ministre, Benazir Bhutto.
Que c’est-il donc passé pour que le gouvernement pakistanais puisse enfin surmonter le blocage qui le paralysait et passer à l’offensive ?
Tout d’abord, il faut dire que l’arrivée d’un nouveau chef d’état major, le général Ashfaq Kayani, à la tête de l’armée pakistanaise s’est révélé être d’une grande importance psychologique pour une armée inhibée et impuissante face au développement dangereux du terrorisme dans le pays. Et ici, il ne faut pas perdre de vue le fait que, pendant longtemps, l’armée pakistanaise a tenu en laisse les groupes jihadistes et les a utilisés comme un atout de taille dans la stratégie pakistanaise vis-à-vis de l’Afghanistan, mais aussi vis-à-vis de l’Inde. Dès son arrivée donc, le général Kayani est allé droit au but. Il a changé en septembre 2008 le directeur de la puissante ISI et poussé à la retraite anticipée des dizaines de ses hommes qui ont été remplacés par de nouveaux cadres sans relation ni sympathie particulière avec les talibans. Du coup les renseignements militaires pakistanais, qui étaient un corps protecteur des talibans, sont devenus un corps hostile.
Ensuite les attentats de Bombay qui, en novembre 2008, ont fait des centaines de victimes entre morts et blessés et gravement endommagé plusieurs cibles dans la capitale économique indienne. Quand l’enquête a démontré que les terroristes étaient partis de Karachi et avaient des liens avec l’organisation pakistanaise Lashkar-e-Taiba, la tension entre New Delhi et Islamabad avait atteint un niveau inquiétant. Le gouvernement indien était soumis à une pression populaire intense et la guerre contre le Pakistan était exigée non seulement par les milieux politiques extrémistes de l’Inde, mais aussi par les manifestations populaires qui s’étaient déclenchées dans plusieurs villes indiennes.
Enfin, le non respect par les talibans de Swat de l’accord Charia contre paix civile, conclu avec le gouvernement pakistanais. Faisant une appréciation erronée de leur force et de la faiblesse du gouvernement, les talibans du Swat ont commis la faute qui devait leur être fatale : exiger l’application de la Charia dans tout le Pakistan. Et cette faute était d’autant plus fatale que le soutien dont bénéficiaient les talibans au sein de la société pakistanaise se réduisait au rythme de leurs attentats sanglants et de leur indifférence à l’égard des victimes innocentes.
Il ne faut pas oublier aussi les pressions américaines constantes sur les gouvernements pakistanais successifs pour les pousser à faire preuve de plus d’audace et d’agressivité dans l’affrontement de la menace terroriste.
Toutes ces raisons combinées ont convaincu le gouvernement et l’armée pakistanais que ce qui est jeu n’est plus tel ou tel choix politique, mais tout simplement la survie du Pakistan. En se lançant dans une guerre à outrance contre les groupes terroristes, les autorités pakistanaises ont éloigné deux dangers majeurs qui guettaient leur pays : la guerre contre l’Inde que, de toute manière, l’économie chancelante du Pakistan n’aurait pas pu soutenir, et l’ « afghanisation » du pays avec des conséquences imprévisibles non seulement pour l’Asie du sud, mais pour le monde entier.
Reste à savoir si l’action militaire seule est suffisante pour venir à bout des groupes terroristes pakistanais ? La réponse est négative si l’on se réfère à l’Afghanistan. Cent mille soldats étrangers sont aujourd’hui à l’œuvre dans ce pays, sans parler des forces militaires et de sécurité locales. En dépit de cela, le pays est toujours mis à feu et à sang.
Si la confrontation militaire avec ces groupes terroristes est inévitable, le retour aux sources qui les alimentent pour les assécher est indispensable. Dans le court terme, les autorités pakistanaises doivent se pencher sur les programmes des medersas et les réviser de fond en comble. Des mesures législatives sont aussi nécessaires pour interdire la transformation des prières du Vendredi en forums politiques où les appels à la violence et au meurtre des « infidèles » sont désormais la règle. Mais les groupes terroristes ne seront jamais vaincus sans une réforme économique en profondeur de nature à ouvrir aux jeunes les portes de l’espoir. Le pire ennemi des terroristes, ce ne sont pas les armées, aussi puissantes soient-elles, mais l’espoir des jeunes.

Saturday, August 15, 2009

Les Gog, les Magog et le démagogue

Bien malin celui qui dira pourquoi exactement George W. Bush est entré en guerre contre l’Irak au printemps de 2003. Evidemment, son histoire d’armes de destruction massive lui-même n’y croyait pas. Restaient alors les trois raisons plausibles : le pétrole irakien, servir Israël en le débarrassant d’un ennemi « dangereux » et, enfin, sa relation compliquée avec son père, George H. Bush qu’il voulait à la fois venger de la tentative d’assassinat qu’aurait tramé contre lui Saddam Hussein, et surtout prouver qu’il était plus « hardi » que son père qui, se plaignait-on dans les milieux néoconservateurs, n’avait pas eu « assez de cran » pendant le guerre de 1991 pour mettre fin au régime irakien avant de retirer ses troupes.
Une quatrième raison vient s’ajouter aux trois sus-mentionnées. On l’a sue grâce au président Jacques Chirac qui, après la fin de son double mandat présidentiel, en a parlé à la presse. Pendant l’hiver 2002-2003, alors qu’il était en train de mobiliser ses forces et celles de ses amis britanniques pour attaquer l’Irak, Bush appela Chirac pour l’inviter à joindre la coalition formée par les Etats-Unis, la Grande Bretagne et quelques autres, car disait-il le plus sérieusement du monde « Gog et Magog sont à l’œuvre au Moyen-Orient… Les prophéties de la bible sont en train d’être concrétisées… Cette confrontation est voulue par Dieu qui veut utiliser ce conflit pour éliminer les ennemis de son peuple avant qu’une nouvelle ère ne commence. »
Ainsi parlait celui qui, pendant huit ans, était l’homme le plus puissant de la terre, celui qui dirigeait la plus grande puissance de tous les temps… Jamais dans l’histoire moderne, et peut-être même ancienne, un argument aussi démagogique n’a été invoqué pour engager une guerre.
On imagine aisément la stupéfaction de l’ex-président français après avoir écouté ces sornettes. Ne sachant trop de quoi son collègue américain parlait, Chirac appela à son secours un spécialiste suisse, Thomas Romer, théologien à l’université de Lausanne, qui lui expliqua la chose en ces termes : « Dans l’Ancien Testament, le livre d’Ezkiel parle dans ses chapitres 38 et 39 de la fureur divine contre Gog et Magog, forces sinistres et mystérieuses, qui menaçaient Israël. Jéhovah promit de les détruire impitoyablement. De son côté, le Nouveau Testament, dans son livre mystique de la révélation, décrit les préparatifs des Gog et Magog pour la guerre. Alors qu’ils se préparaient à attaquer Israël, un déluge de feu descendit du ciel et les détruisit. »
Visiblement Chirac n’était pas impressionné outre mesure par l’histoire des Gog et Magog, ni par le démagogue qui en faisait un argument de guerre au XXIe siècle, puisqu’il avait maintenu jusqu’au bout son refus de se joindre à la guerre d’agression contre l’Irak.
Ce sont donc ces arguments qui varient du plus cynique au plus débile qui ont été utilisés pour détruire un pays et condamner un peuple de 25 millions d’habitants à un enfer dont on ne sait ni quand ni comment il en sortira.
A un certain moment, le niveau de la violence en Irak est descendu si bas qu’on s’était pris à espérer la fin du calvaire irakien. On avait cru entrevoir le bout du tunnel. L’espoir a été vite déçu et le bout du tunnel s’est révélé un mirage. La violence a repris de plus belle, et ceux qui se trouvent derrière, en s’en prenant systématiquement à des cibles chiites, ont une idée bien précise derrière la tête : déclencher une nouvelle guerre confessionnelle comme celle provoquée en 2006 au lendemain de l’attaque contre la mosquée chiite au dôme doré de Samarra. Si, à Dieu ne plaise, les Chiites répondaient aux attaques subies aujourd’hui comme ils l’avaient fait en 2006, l’Irak échapperait difficilement cette fois à la partition.
Et l’armée américaine dans tout ça ? Elle vient de retirer ses 132.000 soldats des centres urbains irakiens et les a cantonnés dans des baraquements en attendant leur retrait que le président Obama a fixé pour fin 2011.
Si l’échéance fixée par Obama est respectée, l’armée américaine aura resté en Irak neuf ans avec un bilan terrifiant pour le peuple irakien et honteux pour le peuple américain. Neuf ans au cours desquels il a été procédé au massacre de centaines de milliers d’innocents, à la destruction systématique du pays, de ses infrastructures, de sa paix confessionnelle séculaire, de son tissu social, de son système éducatif, de son système de santé qui était parmi les meilleurs du monde arabe, et la liste des malédictions qui se sont abattues sur le peuple irakien est encore longue.
Neuf ans de guerre et d’occupation, neuf ans de drames subis quotidiennement par des millions d’êtres humains parce qu’un homme s’est retrouvé, après d’extraordinaires tribulations, à la tête du pays le plus puissant de la terre avec le pouvoir d’utiliser à sa guise une puissance de feu sans précédent. Neuf ans de catastrophes discontinues parce que George W. Bush, dans ses moments d’intense hallucination politico-religieuse, avait cru entendre Dieu le désigner comme son bras armé pour aller terrasser les Gog et Magog avant qu’ils ne mettent le Moyen-Orient à feu et à sang.
Mais ça fait longtemps que le Moyen-Orient est mis à feu et à sang : 1967, 1973, 1978, 1982, 1991, 2003, 2006, 2008, pour ne citer que les guerres les plus terrifiantes. Depuis des décennies donc, « les Gog et Magog sont à l’œuvre au Moyen-Orient », pour reprendre textuellement l’expression de George W. Bush. Toute la question est de savoir qui sont les Gog et Magog et qui sont les victimes ? La réponse est claire dans tous les esprits.

Wednesday, August 12, 2009

Le CICR gardien des Conventions de Genève: Trop discret, trop timide

C’est aujourd'hui que le Comité International de la Croix Rouge (CICR) fête le soixantième anniversaire des Conventions de Genève signées le 12 août 1949. Avant d’en arriver là, il a fallu près d’un siècle et demi d’efforts acharnés de la part d’hommes déterminés à réduire au maximum les souffrances endurées par leurs semblables en temps de guerre.
En 1859, Henry Dunant, un riche homme d’affaires genevois, voulait se lancer dans l’agriculture en Algérie, et plus précisément dans la région de Sétif. Mais il lui fallait l’accord des autorités françaises. Or Napoléon III était à l’époque en train de guerroyer dans le nord de l’Italie pour aider les Piémontais italiens à expulser les occupants autrichiens. Dunant fit donc le voyage en Italie pour rencontrer Napoléon III et lui demander l’autorisation de devenir agriculteur en Algérie.
Au lieu d’une rencontre avec Napoléon III dans quelque palace italien comme il l’imaginait, Henry Dunant se trouva au milieu des combats deux jours après la terrifiante bataille de Solférino qui, le 24 juin 1859, avait fait 40.000 victimes en une journée. Des milliers de soldats agonisaient dans de terribles souffrances. Dunant mobilisa la population locale, organisa les secours autant que faire se pouvait, oublia ses projets en Algérie et revint à Genève, décidé à tout mettre en œuvre pour développer « les soins aux militaires blessés ».
En 1862, Dunant avait publié à ses frais « Un souvenir de Solférino » et avait fait une proposition aux Etats, les invitant « à formuler quelque principe international, conventionnel et sacré lequel, une fois agréé, servirait de base à des sociétés de secours pour les blessés. »
En 1863, un « Comité des cinq » est créé qui devient plus tard le Comité International de la Croix Rouge (CICR). La même année, le Comité des cinq organisa une conférence internationale et, un an plus tard, une conférence diplomatique. Les deux conférences aboutiront aussitôt à la signature d’une « Convention pour l’amélioration du sort de militaires blessés dans les armées en campagne ».
Depuis, la voie ouverte par Henry Dunant n’a cessé de s’élargir jusqu’au 12 août 1949, jour où furent signées les quatre Conventions de Genève. La première concerne « l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne » ; la seconde concerne « l’amélioration du sort des blessés et des naufragés des forces armées sur mer » ; la troisième est relative au « traitement des prisonniers de guerre » ; la quatrième est relative à « la protection des personnes civiles en temps de guerre ».
Henry Dunant peut donc, à juste titre, être considéré comme le père de ce qui qu’on appelle aujourd’hui le droit international humanitaire. Il mérite pleinement le premier Prix Nobel de la paix décerné en 1901, qu’il avait partagé avec l’humaniste français, Gustave passy.
Soixante ans après leur signature, et en dépit de leur adoption par 194 Etats, les Conventions de Genève rencontrent toujours des problèmes d’application. Les choses se sont nettement aggravées depuis le début de ce vingt et unième siècle. Le droit international humanitaire a été poussé ces dernières années dans ses derniers retranchements à la fois par des acteurs étatiques qui ne respectent pas leur signature des Conventions de Genève, et par des acteurs non étatiques qui se soucient comme d’une guigne du contenu de ces Conventions quand ils n’ignorent pas leur existence même.
Les Conventions de Genève continuent jusqu’à ce jour de subir des violations flagrantes de la part d’acteurs différents et variés. Mais les violations les plus graves ont été commises par un acteur étatique, le régime de George Bush aux Etats-Unis (janvier 2001-janvier 2009), et par un acteur non étatique dont le nihilisme et la cruauté qui dépassent l’entendement ne pouvaient pas être prévus par les rédacteurs des Conventions de Genève : Al Qaida.
L’incompétence et l’irresponsabilité du régime de George Bush étaient telles qu’il n’avait pas hésité à s’auto-libérer des obligations de ces Conventions que les Etats-Unis avaient signées il y a plus d’un demi siècle. Bush avait mobilisé les juristes de son ministère de la justice pour convaincre le monde que les Conventions de Genève sont « caduques » et qu’elles ne s’appliquent pas aux « combattants illégaux » détenus par l’armée américaine. Sans parler bien sûr de l’agression gratuite et insensée commise par Bush contre l’Irak en violation des principes les plus élémentaires du droit international et du droit international humanitaire.
Plus graves encore sont les violations commises par l’organisation terroriste Al Qaida. Alors que les Conventions de Genève interdisent expressément de s’en prendre aux populations civiles ou de les prendre pour cibles, Al Qaida, depuis sa création, a fait des civils sa cible privilégiée, les massacrant à grande échelle en recourant essentiellement à sa macabre invention des ceintures d’explosifs qu’elle attache à la taille de jeunes adolescents, après un lavage de cerveau en règle, et auxquels elle ordonne d’aller se faire exploser dans les marchés et les mosquées.
Il est bien évident que dans leurs prévisions les plus pessimistes, les esprits humanistes, grâce auxquels les Conventions de Genève sont devenues une réalité, ne pouvaient supposer qu’un jour un président de la plus grande puissance du monde s’arrogerait le droit de déclarer ces Conventions « caduques », ni que des organisations souterraines procèderaient un jour au massacre massif et gratuit de civils.
On comprend que dans ces conditions, le 60eme anniversaire des conventions de Genève ne soit pas célébré dans une ambiance où prédomine la joie et la satisfaction. Récemment, et à diverses reprises, le président du CICR, Jakob Kellenberger, a exprimé à la presse son inquiétude face à l’intensification des violations subies par le droit international humanitaire. Il a aussi réaffirmé que la préoccupation constante du CICR consiste et consistera toujours à assurer une meilleure application du droit international humanitaire. Mais le CICR y parviendra-t-il en continuant à pousser la discrétion et la timidité chaque jour un peu loin au point de refuser même de désigner par leurs noms les deux principaux criminels de guerre de ce début de 21eme siècle : George Bush et Ousama Ben Laden ? Quant à demander leur jugement, même par contumace, on risque d’attendre longtemps avant de voir le CICR franchir ce pas.

Monday, August 10, 2009

Réveils tardifs

Il est, dit-on, un diplomate chevronné, largement respecté et que ses vues ont « une influence considérable » sur le processus de décision politique en Israël. Il n’avait peut-être pas l’intention de faire parler de lui, ni de mettre en difficulté le gouvernement israélien et son chef, mais son « mémo interne » a trouvé sa voie vers la presse israélienne, et de là vers la presse internationale.
Lui, c’est Nadal Tamir, consul général israélien à Boston. Son « mémo interne » était destiné à son patron, Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères, lui-même censé le transmettre à son patron, Benyamin Netanyahu. On ne sait pas si celui-ci a reçu le mémo de Tamir avant qu’il ne tombe entre les mains des journalistes, ou il a pris connaissance de son contenu comme tout le monde à travers la presse. Une chose est sûre, en lisant le texte rédigé par son consul à Boston, Netanyahu a dû piquer l’une de ces colères noires qui vous transforme un homme en une boule de nerfs.
« La manière dont nous sommes en train de gérer nos relations avec l’administration américaine provoque un dégât stratégique pour Israël. La distance entre nous et l’administration américaine a des conséquences claires sur le pouvoir de dissuasion d’Israël (…). Il y a des éléments politiques israéliens et américains qui s’opposent à Obama sur une base idéologique et qui sont prêts à sacrifier la relation spéciale entre les deux pays au profit de leur propre programme politique. (…) Il y a toujours eu des différences entre les deux Etats sur la question des colonies, mais il y avait toujours un degré de coordination entre les gouvernements. Maintenant, aux Etats-Unis, on sent qu’Obama est forcé de faire face à l’obstination de l’Iran, de la Corée du nord et d’Israël. »
Ces quelques idées exprimées par le consul israélien à Boston ont dû secouer profondément Lieberman et Netanyahu. Ces deux là devaient s’attendre à tout sauf à ce que l’un des leurs mette dans le même paquet Israël, l’Iran et la Corée du nord. Mette dans le même sac Mahmoud Ahmadinejad, Kim jong il et Benyamin Netanyahu.
On comprend l’empressement d’Avigdor Lieberman de convoquer Nadal Tamir pour qu’il s’explique sur son mémo. Les choses sont pourtant d’une clarté indiscutable. Tamir inclue visiblement Lieberman et Netanyahu parmi « les éléments politiques israéliens et américains qui s’opposent à Obama sur une base idéologique et qui sont prêts à sacrifier la relation spéciale entre les deux pays au profit de leur propre programme politique. »
En fait, Nadal Tamir d’un côté et le couple Liberman-Netanyahu de l’autre, représentent le dilemme d’Israël, divisé entre réalistes et fanatiques, entre ceux qui sont de vrais patriotes israéliens et cherchent l’intérêt immédiat et à long terme de leur pays et ceux qui se croient patriotes, qui croient servir l’intérêt immédiat et à long terme de leur pays, mais qui sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Les fanatiques israéliens et américains dont parle Tamir dans son mémo et qui sont en train de provoquer des dégâts stratégiques à la relation Israël-USA sont de deux sortes. Il y a les anonymes, ceux qui travaillent dans les coulisses, c'est-à-dire en gros les gens de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) dont la défense inconditionnelle et aveugle d’Israël a fini par les transformer de défenseurs acharnés en fossoyeurs tout aussi acharnés de ce pays.
La deuxième catégorie est composée de gens qu’on connaît bien, qu’on voit s’agiter sur les plateaux de télévision et sur les ondes et pour qui Israël est un ange en danger entouré de diables qui veulent sa peau. Ces gens se trouvent en Israël au sein et autour du gouvernement extrémiste de Benyamin Netanyahu. Ils se trouvent aussi aux Etats-Unis et travaillent soit en « défenseurs » organisés d’Israël, comme c’est le cas au Congrès, soit en « défenseurs » free-lance, comme c’est le cas de John Bolton et de beaucoup de ses semblables. Il est pathétique de voir John Bolton s’égosiller sur les plateaux de télévision, qualifiant d’ami des terroristes quiconque ose dénoncer les exactions de la politique colonialiste israélienne. Il est tout aussi pathétique de voir ce groupe de 25 congressistes américains sillonner Israël, répétant à l’envi que « le problème n’est pas les colonies mais l’Iran ».
Ce sont ces gens que vise Nadal Tamir dans son mémo et qui, par fanatisme, par intérêt électoraliste ou par dessein politique inavoué sont en train de pousser Israël vers le précipice.
Nadal Tamir n’est pas un novice qui vient de rejoindre le corps diplomatique israélien. C’est un diplomate de carrière qui, depuis des décennies avait défendu la politique de son pays à l’étranger, y compris la colonisation à outrance de Jérusalem-est et de la Cisjordanie. C’est seulement maintenant qu’il vient de tirer la sonnette d’alarme. Pourquoi ? Parce qu’il a vu le précipice vers lequel avance Israël et, pris de vertige, il a commencé à tirer vers l’arrière.
Son cas ressemble au cas de Thomas friedman, le célèbre chroniqueur du New York Times. Lui aussi, depuis des décennies a défendu bec et ongles la politique israélienne, y compris la colonisation. Lui aussi a vu le précipice vers lequel avance Israël et, pris de vertige, il a écrit ceci dans l’édition du 2 août dernier du New York Times : « L’incapacité de résoudre ce conflit (du Moyen-Orient) est dû au pouvoir du Lobby israélien qui est utilisé pour protéger déraisonnablement Israël contre les pressions américaines et pour dissuader les responsables politiques et les diplomates américains de critiquer la colonisation. Tout le monde connaît cela à Washington, et beaucoup de gens, tous ceux qui ont à cœur Israël, en sont malades. »
Mieux vaut tard que jamais est-on tenté de dire. Les Arabes, eux, en sont malades depuis un demi siècle.

Saturday, August 08, 2009

Hiroshima, Nagasaki et l'opinion américaine

Cela fait soixante quatre ans maintenant que la majorité des Américains sont convaincus que la plus terrifiante action militaire entreprise par leur armée n’était pas condamnable et continuent à l’approuver. Le mot action militaire n’est pas très approprié. C’est de crimes de guerre à une large échelle qu’il faut plutôt parler.
Cela fait soixante quatre ans jour pour jour, le 9 août 1945 à 11H02 qu’une bombe à base de plutonium fut lancée sur la ville japonaise de Nagasaki. Elle était plus meurtrière que la première, à base d’uranium, lancée trois jours plus tôt, le 6 août à 8H15, sur Hiroshima. Les deux bombes de destruction massive avaient massivement détruit les deux villes japonaises, provoqué la mort instantané de quelque 200.000 personnes et condamné plusieurs dizaines de milliers d’autres à une mort lente précédée de souffrances insoutenables.
Le principal responsable, en tant que décideur, de cette destruction massive de vies humaines est le président américain Harry Truman. Face à un tel cataclysme que sa décision d’utiliser l’ « arme absolue » avait provoqué, il était normal que Truman cherchât des raisons pour se justifier face à son peuple, face à la communauté internationale et face à sa conscience. L’argument fondamental était que les deux bombes avaient permis de sauver « 500.000 » soldats américains qui auraient perdu la vie si l’invasion de l’île japonaise de Kyushu avait eu lieu comme prévu en décembre 1945.
Mais Truman avait donné l’impression qu’il avait agi aussi par esprit de vengeance en faisant cette réponse à un homme d’église qui critiquait sa décision: « Personne n’est plus troublé que moi par l’utilisation de la bombe atomique, mais je suis profondément troublé par l’attaque injustifiée par les Japonais contre Pearl Harbour et le massacre de nos prisonniers de guerre. Le seul langage qu’ils semblent comprendre est celui que nous avons utilisé en les bombardant. »
Ces deux arguments sont peu convaincants. Commençons par le second par lequel Truman a dévoilé son désir de vengeance. Le 7 décembre 1941, les Japonais étaient en guerre contre les Etats-Unis. Ce jour là ils avaient attaqué par surprise la base navale américaine de Pearl Habour dans l’île de Hawaï, détruisant plusieurs navires US et tuant plusieurs soldats. Pearl Harbour était une cible militaire et, dans les conflits armés, ce genre d’attaque est banal et ne constitue pas un crime de guerre.
En revanche, les attaques américaines sur le sol japonais avaient pris pour cibles essentiellement les concentrations de civils. Tokyo, qui était déjà une mégapole, avait subi des bombardements intensifs engendrant de larges destructions et la mort de centaines de milliers d’habitants sous les décombres. Puis vinrent les deux bombes atomiques qui avaient pris pour cibles aussi les concentrations de populations civiles. La vengeance n’a pas d sens dans ces conditions parce qu’aucune loi, aucune règle morale, aucune logique ne permet de se venger contre des centaines de milliers de civils d’une simple attaque contre une cible militaire en temps de guerre.
L’argument consistant à épargner la vie d’un demi million de soldats américains n’est pas plus convaincant. L’idée d’abréger la guerre en rasant deux villes de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne tient pas la route parce que le Japon était à bout de forces, se savait défait et cherchait un arrêt des hostilités dans un cadre qui ne fût pas trop humiliant et surtout qui ne s’attaquât pas à ce qu’il avait de plus sacré : l’institution impériale.
Le « jusqu’au boutisme » de certains généraux japonais, dont le général Hideki Tojo, s’expliquait plus par l’exigence des alliés d’une « capitulation inconditionnelle » que par le « patriotisme excessif » ou le « fanatisme militaire » qu’on leur attribuait. Les généraux japonais étaient terrorisés à l’idée d’une destruction de l’institution impériale et du jugement et peut-être même l’exécution de l’empereur Hiro-Hito. C’était une terreur religieuse si l’on peut dire, car, pour les Japonais, Hiro-Hito n’est pas d’essence humaine, mais divine. Il a une relation parentale avec le Dieu Soleil, relation certifiée pour ainsi dire par le principal symbole du Japon : le drapeau. Pour des intellectuels américains, comme G.E.M. Anscombe, « c’est l’insistance sur la capitulation inconditionnelle qui est à l’origine de tout le mal. » En d’autres termes, si les Etats-Unis avaient donné l’assurance au Japon que son empereur ne serait pas jugé et condamné, les soldats n’auraient eu aucune raison d’adopter le comportement suicidaire de l’été 1945.
Mais il faut se rendre à l’évidence que le lancement de deux bombes atomiques sur le Japon en l’espace de trois jours avait d’autres raisons inavouables. Le lobby des scientifiques et des militaires, pour des raisons évidentes, ne voulait pas rater l’occasion pour tester ses bombes en grandeur nature et sur des cibles réelles. Il avait poussé dans cette direction et avait réussi à arracher le feu vert à Truman. Le 6 août 1945, une bombe à base d’uranium était lancée sur Hiroshima, et le 9 une bombe à base de plutonium sur Nagasaki. Les effets dévastateurs sur les êtres humains, les animaux, les infrastructures et les bâtiments étaient observés à la loupe et soumis à une étude comparative pour savoir si l’uranium est plus « efficace » que le plutonium ou le contraire…
Une autre raison avancée par les historiens est d’ordre géopolitique. Les troupes soviétiques qui avaient participé à l’écrasement de l’Allemagne nazie, avaient soumis une bonne partie de l’Europe de l’est à l’occupation. Staline avait ensuite entrepris un mouvement de troupes en direction de l’Extrême-Orient, histoire d’être là au moment de la capitulation du Japon et de partager le gâteau avec les Américains. Pour ceux-ci, il était de la plus haute importance que le Japon capitulât avant l’arrivée des troupes soviétiques afin d’éviter sa partition entre un Japon du nord communiste et un autre du sud capitaliste, comme ce fut le cas entre l’est et l’ouest de l’Allemagne.
Soixante quatre ans après, la majorité des américains ignorent toujours les vraies raisons et s’accrochent à l’idée fallacieuse que les deux bombes avaient sauvé des centaines de milliers de vies américaines. Le dernier sondage d’opinion sur la question date du 4 août dernier. Commandé par l’université du Connecticut, il montre que jusqu’à ce jour 61% des Américains approuvent le largage des deux bombes sur Hiroshima et Nagasaki.

Monday, August 03, 2009

Ils se trompent d'adresse

N’ayant pu obtenir d’Israël un simple gel de la colonisation des territoires palestiniens, les Etats-Unis se tournent maintenant vers les Arabes pour les presser de « faire un geste spectaculaire envers Israël ». Ils se sont mis dans l’étonnante situation de ce médiateur qui, n’ayant pu convaincre l’agresseur d’arrêter ne serait-ce que momentanément ses agressions, se tourne vers l’agressé et le presse de sourire et de faire quelques courbettes qui pourraient peut-être attendrir l’agresseur et le rendre moins belliqueux.
Depuis la mi-juillet, nous assistons à une véritable campagne à laquelle participent le département d’Etat, la Maison blanche et le Congrès et dont le but consiste à multiplier les pressions sur les pays arabes pour les amener à faire plus de concessions encore à Israël. Car visiblement les innombrables et substantielles concessions faites par les Arabes à Israël depuis le Congrès de l’OLP à Alger en 1989 ne semblent suffisantes ni pour le pays qui occupe les terres palestiniennes et syriennes depuis plus de 42 ans, ni pour celui qui veut jouer les médiateurs impartiaux mais n’arrive toujours pas à s’affranchir de son penchant exagérément prononcé pour la partie israélienne.
Cette campagne de pressions qui vise le monde arabe a été inaugurée par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton le 15 juillet dernier quand elle a appelé de Washington les Arabes à « prendre des mesures pour améliorer les relations avec Israël et de préparer leur opinion à embrasser la paix et accepter la place d'Israël dans la région ». A cette occasion, la secrétaire d’Etat a gardé un silence assourdissant sur le refus d’Israël d’arrêter de construire des maisons pour ses colons sur les terres palestiniennes occupées, renouant ainsi très vite avec la complaisance et la partialité habituelles avec l’occupant : « Nous attendons des actes de la part d'Israël, mais nous reconnaissons que ces décisions sont difficiles politiquement", a déclaré Mme Clinton. "Et nous savons que les progrès vers la paix ne sont pas de la seule responsabilité des Etats-Unis ou d'Israël » !
A un certain moment, le président Obama a donné l’impression de vouloir presser sérieusement Israël pour l’amener à accepter sa demande de gel de la colonisation. Les protestations virulentes exprimées en Israël par la classe politique, les colons et les ultra-orthodoxes ont apparemment intimidé la Maison blanche au point que son envoyé spécial au Proche-Orient, George Mitchell, lors de sa dernière tournée dans la région a changé de registre et de langage. En effet le lundi 27 juillet, après sa rencontre avec le président égyptien Hosni Moubarak, George Mitchell, oubliant les colonies et le refus israélien d’arrêter leur extension a jugé utile d’exhorter les pays arabes à « faire des gestes positifs envers Israël ». L’objectif étant, selon l’envoyé spécial de la Maison blanche, de « créer l’environnement propice à des négociations de paix générales »…
Le pouvoir législatif américain n’est pas resté à l’écart de cette campagne de pressions sur les pays arabes, loin de là. Le Congrès des Etats-Unis est entré en force dans la danse en mobilisant pas moins de 200 de ses membres pour cette campagne. Dirigés par le démocrate Brad Sherman et le républicain Ed Royce, ce nombre impressionnant d’élus américains a concentré ses pressions sur l’Arabie Saoudite. Dans une lettre au roi Abdallah datée du 31 juillet, les 200 signataires ont écrit ceci : « Nous vous exhortons à exercer un rôle dirigeant fort et à contribuer à mener le Proche-Orient vers une nouvelle ère de paix et de réconciliation en faisant un geste spectaculaire envers Israël »…
Il faut rappeler ici que le « geste spectaculaire », le roi saoudien l’a fait en 2002 en mettant sur la table des négociations sa fameuse initiative de paix qui préconise une restitution des terres occupées par Israël, et en contre partie le monde arabe et musulman normalisera ses relations avec ce pays. Tout Etat normal et doté d’une intelligence politique élémentaire aurait sauté sur l’occasion pour s’engouffrer dans la brèche afin de permettre à son peuple et à son armée d’enterrer la hache de guerre et de goûter enfin aux délices de la paix. Israël, lui, n’a même pas daigné répondre à l’initiative saoudienne. Il l’a ignorée et les Etats-Unis le savent.
Mais au lieu de presser sérieusement Israël et de le contraindre à ne pas rater la belle occasion offerte par l’initiative saoudienne, l’Amérique se tourne vers les pays arabes et leur demande encore des « gestes spectaculaires ». Les pays arabes n’ont plus la moindre concession à faire parce qu’ils sont allés déjà très loin dans cette voie. Mais, de toute évidence la partie israélienne est insatiable et rien ne semble la satisfaire sinon le beurre et l’argent du beurre.
Les pressions exercées sur les pays arabes sont inutiles parce que, il faut bien insister ici, ils ont fait toutes les concessions possibles et tous les gestes imaginables. En vain. Mais ces pressions sont surtout dangereuses, car elles ne servent finalement qu’à encourager l’intransigeance d’Israël et à nourrir ses illusions qu’avec l’aide de l’Amérique, les Arabes finiront par accepter de donner le beurre et l’argent du beurre, c'est-à-dire renoncer à réclamer les territoires occupés et s‘engager dans le processus de normalisation politique, diplomatique et économique avec leur ennemi.
Dernière observation : l’exhortation faite par Mme Clinton aux gouvernements arabes de « préparer leurs peuples à embrasser la paix » est pour le moins surprenante. Là aussi, elle se trompe d’adresse, car le monde entier sait parfaitement bien quel peuple doit être préparé à embrasser la paix. Les Arabes qui, depuis des décennies, proposent la paix en contre partie de la restitution de leurs terres occupées, ou les Israéliens qui depuis décennies ne font qu’élire des gouvernements agressifs et belliqueux, et ont même assassiné Yitzhak Rabin quand ils ont vu qu’il était déterminé à enterrer la hache de guerre ?

Saturday, August 01, 2009

En attendant le réveil de la Raison

Pour oser prendre en exemple les talibans afghans, il faudrait être d’un niveau bien plus lamentable. Le groupe de terroristes nigerians qui se réclame des talibans s’est donné un drôle de nom : « Boko haram », ce qui veut dire en langue haoussa l’enseignement de la culture occidentale est illicite. Il est clair que leur chef Mohamed Yusuf ne connaît ni la culture occidentale ni la culture musulmane, autrement, il n’aurait pas ridiculisé son mouvement et ses partisans en les affublant d’une telle appellation et n’aurait pas bêtement provoqué leur écrasement après cinq jours de violence inouîe.
Le drame de la fin du mois de juillet qui a ensanglanté le Nigeria, le plus grand pays d’Afrique par la population, trouve son origine dans cette combinaison de fanatisme messianique et d’ignorance aveugle d’un groupe de jeunes qui se croient choisis par Dieu pour mettre les gens sur la bonne voie.
Si le chef des talibans nigerians avait pris la peine d’étudier les civilisations occidentale et musulmane, s’il en avait les moyens intellectuels, il aurait su que ces deux grandes civilisations s’étaient largement influencées l’une l’autre et avaient largement contribué toutes deux à l’accumulation du savoir humain et au développement des sciences et des techniques, y compris les armes que l’illuminé Mohamed Yusuf et ses partisans utilisaient pour massacrer quiconque ne partageait pas leur fanatisme et leur ignorance.
Le drame provoqué par les talibans nigerians a causé en cinq jours seulement la mort de 600 personnes et des destructions à grande échelle, sans parler des blessés et des déplacés. Un drame gratuit auquel aucun sens politique ou stratégique ne peut être attribué. C’est une orgie de violence nihiliste à travers laquelle ses initiateurs imaginaient être en mesure de réaliser des objectifs politiques, mais qu’en réalité ils ne faisaient que commettre un suicide collectif.
Fanatisés à l’extrême, ils estimaient pouvoir affronter victorieusement n’importe quelle force militaire puisqu’ils croyaient dur comme fer que le Dieu qui les a choisis pour servir ses desseins sur terre ne peut pas ne pas leur assurer la victoire contre les « infidèles ». Car pour les talibans afghans, pakistanais ou nigerians, tout comme pour Ousama Ben Laden et les gens d’Al Qaida, quiconque mettrait en cause cette violence nihiliste ou se scandaliserait face aux attentats suicide commis dans les mosquées ou sur des marchés bondés est un … « infidèle ».
Ce qui vient de se passer au Nigeria cette semaine est une répétition en accéléré du drame qu’avait connu durant 105 jours le Liban pendant l’été 2007 dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el Bared et qu’avait provoqué le mystérieux groupe terroriste Fateh el Islam et son chef Chaker el Absi. Seuls le contexte, l’ethnie et la durée des événements diffèrent. Tout le reste est d’une similitude étonnante.
Illustres inconnus avant le déclenchement des drames, le terroriste arabe Chaker el Absi et son alter ego nigerian Mohamed Yusuf, étaient aussi fanatiques et aussi illuminés l’un que l’autre. L’un et l’autre avaient cette capacité qu’ont les grands démagogues d’influencer les simples d’esprit et de les traîner dans des activités suicidaires dont ils ne connaissaient ni les tenants ni les aboutissants si ce n’est qu’ils étaient investis d’une « mission divine » et que des vierges les attendaient impatiemment là haut en cas de mort dans la bataille contre les « infidèles ».
Mais le plus important à noter est que Chaker el Absi et Mohamed Yusuf avaient tous deux bénéficié d’un contexte de pauvreté, d’ignorance et de désespoir, l’un à Nahr el Bared au Liban, l’autre au nord est du Nigeria, deux endroits où la vie quotidienne du commun des mortels n’est pas de tout repos. Pour entraîner les milliers de jeunes désespérés dans leurs missions suicidaires, ils avaient profité des conditions de vie infernales dans le camp de réfugiés palestiniens au Liban et dans les provinces désolées du Nigeria en leur promettant un au-delà paradisiaque, accessible seulement à ceux qui s’engagent dans la « bataille décisive » contre les « ennemis de Dieu » en Occident bien sûr, mais aussi contre tous ceux qui s’opposent à leur nihilisme violent parmi les musulmans.
Le problème est que les émules de Chaker el Absi et de Mohamed Yusuf sont frappés d’une incapacité congénitale de tirer les leçons des échecs de Fateh el Islam et de Boko Haram parce que leur activisme n’est pas basé sur une logique politique classique, mais sur des paramètres propres au fanatisme religieux et des impulsions irrationnelles qui rendent impossible toute réflexion objective sur l’opportunité et les conséquences d’une action violente d’envergure qui entraînerait forcément la mort d’innocents.
Les irruptions soudaines de violence à Nahr el Bared et dans les provinces du nord-est du Nigeria pendant les étés de 2007 et de 2009 ne seront sans doute pas les dernières auxquelles nous assistons en ces temps où la Raison sommeille et où l’irrationnel a le vent en poupe. D’autres illuminés mèneront d’autres missions suicidaires. Ils ne menaceront pas d’effondrement l’environnement social et politique dans lequel ils évoluent de par la méfiance et le mépris qu’ils inspirent aux larges couches des populations, mais ils entraîneront dans leur suicide collectif la mort de dizaines ou de centaines d’innocents.
Que faire en attendant le réveil de la Raison ? Dans l’immédiat rien sinon la mobilisation des moyens de défense classique (armée, police et services de renseignements). C’est dans le long terme que tout travail favorisant le réveil de la Raison doit se faire suivant deux axes principaux : l’éducation et la lutte contre la pauvreté et l’injustice. Le problème avec ce travail de longue haleine est que tous les gouvernements du monde reconnaissent son importance vitale, mais peu y consacrent les efforts et les moyens nécessaires.