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Sunday, August 23, 2015

Pourquoi les islamistes sont-ils angoissés par la femme?

Se lever le matin, puis lire une information brève dans un journal arabophone de Londres: le savant théologien saoudien, le cheikh Abd Errahman Ben Nasser El Barek, a annoncé que le droit de conduire pour les femmes "va ouvrir les portes de l'enfer pour le Royaume" qui lui donne son salaire. Que cela va conduire à la corruption, le mal, les maux et le désastre. Puis relire et réfléchir sur la question de fond: pourquoi les islamistes sont aussi angoissés par les femmes? D'où vient cette obsession? On peut creuser et dire que le rapport trouble avec les femmes est un produit dérivé des monothéismes en général: religions puritaines, nées dans les déserts désincarnés, à l'époque des rapts et des viols qui imposent de cacher les femmes et les voiler ou les enterrer. On peut aussi dire que c'est une idée qui persiste depuis la préhistoire: la femme n'est pas une force de guerre pour le clan et la horde, elle ne peut servir de soldat et donc elle est un poids mort, un poids ou une mort. Même avec l'avènement des monothéismes, l'idée est restée et revient dans la tête quand la préhistoire revient dans l'histoire. Les islamistes d'aujourd'hui ne font que se souvenir d'une histoire ancienne. A l'époque où se faire voler ses femmes était la preuve de sa faiblesse et donc la femme était la faiblesse de la horde et du nomade. On peut aussi creuser et parler de troubles: l'Islamiste n'aime pas la vie. Pour lui, il s'agit d'une perte de temps avant l'éternité, d'une tentation, d'une fécondation inutile, d'un éloignement de Dieu et du Ciel et d'un retard sur le Rendez-vous de l'éternité. La Vie est le produit d'une désobéissance et cette désobéissance est le produit d'une femme. L'islamiste en veut à celle qui donne la vie, perpétue l'épreuve et qui l'a éloigné du paradis par un murmure malsain et qui incarne la distance entre lui et Dieu. La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l'âme. L'islamiste est tout aussi angoissé par la femme parce qu'elle lui rappelle son corps à elle et son corps à lui. L'islamiste aime oublier son corps, le laver jusqu'à le dissoudre, le rejeter et en soupirer comme on soupire sous un gros cabas, l'ignorer ou le mépriser. En théorie seulement. Cela crée justement un effet de retour violent de l'instinct et la femme devient coupable non seulement d'avoir un corps mais d'obliger l'islamiste à en avoir et à s'y soumettre ou à composer avec la pesanteur et le désir. L'islamiste en veut à la femme parce qu'elle est nécessaire alors que lui déclare qu'elle est accessoire. L'islamiste se sent mal dans son corps et la femme le lui rappelle. Il a un rapport trouble avec le vivant et la femme qui donne la vie lui rappelle que lui l'islamiste donne la mort. L'islamiste veut voiler la femme pour l'oublier, la nier, la désincarner, l'enjamber. Et cela le piège car il trébuche et retombe sur terre et en veut à la femme pour cette impossibilité d'enjamber la vie pour étreindre le ciel. Elle est donc son ennemie et pour pouvoir la tuer, il la déclare ennemie de Dieu. L'islamiste est angoissé par la femme parce qu'il est aussi angoissé par la différence: lui, il rêve d'un monde uniforme, unanime; elle, elle incarne l'altérité nette et irréductible, la liberté de n'être pas un homme et la faculté de diversifier le monde. En dernier? La femme rappelle à l'islamiste sa profonde et plus forte faiblesse: le désir. Le désir de vivre, toucher, s'éterniser dans la vie. Le désir qu'il ne peut ignorer, qu'il veut ignorer et qu'il ne peut vaincre en lui-même sans tuer la femme en face de lui. Solution meurtrière à l'ancien verdict: Adam est "tombé" du paradis à cause de la femme qui lui a offert un fruit, dit le mythe. Selon l'islamiste, pour rejoindre à nouveau le paradis, il suffit de tuer/voiler/ignorer/chasser/lapider la femme, ce qui tuera le fruit. D'où ces obsessions surréalistes des islamistes sur la question de la femme, leurs maladies et leur guerres et leurs fatwas. Conduire pour une femme devient alors dans leurs mondes malades l'annonce des cataclysmes, des séismes et des mauvaises récoltes. Et cette idée est inculquée même aux femmes islamistes, les pires ennemies de la femme, justement. Tuer la femme est donc hâter la fin du monde, la fin de l'épreuve, la rencontre avec Dieu, l'éternité sans tarifs et le confort éternel. La femme nue est l'islamiste dévoilé. Le corps de la femme est la faiblesse qu'il veut effacer. La femme n'est pas la moitié de l'islamiste mais la totalité de ses problèmes. Kamel Daoud, Ecrivain et journaliste algérien

Saturday, August 22, 2015

Le président fauteur de troubles

Demain dimanche 23 août est le dernier délai donné par la Constitution au parti islamiste turc AKP pour former un gouvernement à la suite des élections législatives du 7 juin 2015. Rappelons que les résultats de ces élections ont été catastrophiques pour Erdogan et son parti qui misaient sur …75% des voix et n’ont eu que 40%. La mort dans l’âme, le président turc chargea son Premier ministre Ahmet Davutoglu de tenter de former un gouvernement de coalition. Pour ce faire, il n’avait d’autre choix que de convaincre l’un des trois partis d’opposition, le parti républicain du peuple (132 sièges), le parti d’action nationaliste (80 sièges) ou le parti démocratique des peuples (80 sièges) de se joindre au parti islamiste pour gouverner ensemble. La mission du Premier ministre turc était de l’ordre de l’impossible quand on sait l’ampleur des divergences qui séparent les trois partis d’opposition avec le parti islamiste. Alors qu’Ahmet Davutoglu était en pleine négociations, le président turc n’a pas hésité à accuser le parti démocratique des peuples (pro-kurde) de « trahison », allant jusqu’à demander la levée de l’immunité des 80 parlementaires fraichement élus pour leur soutien aux « terroristes » du PKK… Avec du recul, on peut dire sans grand risque d’erreur que dès l’annonce des résultats des législatives du 7 juin dernier, Erdogan avait opté pour de nouvelles élections plutôt que pour un gouvernement de coalition qui mettrait un terme au monopole du pouvoir auquel l’AKP s’est habitué depuis 2002. Croyant que dans un pays en guerre les citoyens voteraient automatiquement pour le gouvernement qui les défend contre l’ « ennemi », Erdogan provoque une grave crise avec les Kurdes de son pays et décide d’entrer en guerre contre le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sans qu’il y ait le moindre casus belli. La trêve décidée en 2013 entre le PKK et le gouvernement turc n’a pas été violée par les Kurdes, mais par Erdogan en personne sans la moindre raison objective. L’unique explication est que Erdogan et son entourage ont conçu un stratagème visant à alimenter l’insécurité dans le pays et à présenter l’AKP comme le défenseur du pays contre le terrorisme en prévision des nouvelles élections qui, espère-t-on dans les milieux islamistes et gouvernementaux en Turquie, donneraient de nouveau la majorité absolue au parti de la justice et du développement dont il a bénéficié durant les treize dernières années. En concevant leur stratagème, Erdogan et son entourage partent de l’idée qu’un gouvernement en guerre verra forcément les rangs se serrer autour de lui et remportera par conséquent haut la main les prochaines élections. Mais ce calcul risque de s’avérer faux et les espoirs que les islamistes ont bâti sur de telles assertions risquent de s’effondrer le premier novembre prochain, date proposée pour l’organisation des élections législatives. La Gezici Research Company, un Institut turc de sondages d’opinion, vient de rendre publics le mardi 18 août les résultats d’une enquête menée auprès d’échantillons d’électeurs. D’après cette enquête, le parti d’Erdogan recevrait aux prochaines élections 39,2%, enregistrant ainsi une baisse de 1,6% par rapport aux élections du 7 juin dernier. La même enquête montre que le parti républicain du peuple (CHP) recevrait 26,4% contre 24,95% le 7 juin, le parti du mouvement nationaliste (MHP) recevrait 16,2%, pratiquement inchangé, et le parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, recevrait 14,1% contre 13,12% le 7 juin dernier. (1) Si ce sondage d’opinion se vérifiait dans les prochaines élections, ce serait un coup fatal pour l’AKP et surtout pour son chef Erdogan qui verrait du coup s’effondrer son grand projet de présidentialiser le régime politique turc et de gouverner le pays en monarque. Il verrait aussi probablement son fantasme de ressusciter l’empire ottoman s’évanouir. Que lui resterait-il alors ? La réputation d’un apprenti sorcier qui, pour assouvir les besoins pathologiques d’un égo surdimensionné, n’a pas hésité à diviser les Turcs, à créer délibérément une crise de grande ampleur dans son pays, à déclencher au nom de l’anti-terrorisme une guerre contre les Kurdes alors qu’il est en réalité le plus grand soutien des vrais terroristes, les coupeurs de têtes et les violeurs des adolescentes, c’est-à-dire daech et compagnie qui ont juré de mettre le monde entier à feu et à sang… Il ne s’agit pas ici d’une analyse inspirée par un anti-erdoganisme primaire, mais de la traduction d’une réalité perceptible dans la société turque. Car, dans le même sondage dévoilé le 18 août dernier par la Gezici Research Company, 56% des personnes interrogées pensent que Recep Tayyip Erdogan est personnellement responsable de la crise qui secoue le pays et de la situation de guerre qui s’aggrave dangereusement. Car, dans ses discours avant et surtout après les élections du 7 juin, Erdogan se comporte en politicien écervelé œuvrant à diviser le peuple turc et à nourrir les sentiments de haine et de rancœur. Ce n’est donc pas sans raison qu’une bonne partie du peuple turc pense que le président qu’ils ont élu le 10 août 2014 dès le premier tour est devenu un facteur de division des citoyens et un véritable danger pour le pays. C’est dire l’énormité des enjeux liés aux élections générales de novembre prochain. Pour l’intérêt de leur pays, les Turcs ne doivent pas donner une majorité parlementaire à celui que le journal électronique américain « Counterpunch » appelle « le président fauteur de troubles ». -------------------------------------------------------------------------- (1) http://www.todayszaman.com/national_latest-poll-reveals-falling-support-for-ruling-ak-party_396796.html

Wednesday, August 19, 2015

L’épine paralysante au pied de la Libye

Kadhafi devrait se retourner dans sa tombe. Les terroristes islamistes contre lesquels il s’était dressé en barrage infranchissable occupent Sirte, sa ville natale, massacrent des centaines de ses habitants, brûlent son principal hôpital, réduisent ses femmes et ses filles en esclavage. En d’autres termes, les hordes fanatisées d’Abou Bakr Al Baghdadi sont en train de reproduire à Sirte ce qu’ils ont calamiteusement mis en œuvre à Raqqa en Syrie, et à Mossoul en Irak. Comment ces « dawaechs » sont-ils parvenus jusqu’à Sirte, c'est-à-dire à 400 kilomètres de Tripoli et à 600 kilomètres de la frontière tunisienne ? Avec l’aide de l’émirat minuscule de Qatar et du gouvernement islamiste de Turquie, deux pays parmi les adversaires les plus virulents de la levée de l’embargo sur la vente d’armements pour l’armée libyenne. Depuis l’entrée en ébullition du monde arabe en 2011, la politique de ces deux pays était claire et limpide : aider les terroristes partout où ils opèrent à s’armer, et bloquer autant que faire se peut les voies d’armement de ceux qui les combattent. La chose est désormais connue universellement : sans les politiques pro-terroristes du Qatar et du gouvernement islamiste de Turquie, la Syrie n’aurait jamais connu autant de ruines, l’Irak ne se serait pas dépossédé de deux de ses plus importantes provinces, Nainawa et Anbar, et la Libye n’aurait pas été le théâtre de ces bouleversements affolants. D’ailleurs ces deux pays ne s’en cachent même pas. La Turquie a ouvert au su et au vu de tous toutes grandes ses frontières pour le déferlement de dizaines de milliers de terroristes en Syrie et en Irak. Et le Qatar n’a même pas pu s’empêcher d’entre dans un état d’hystérie le jour où l’armée égyptienne a bombardé les terroristes de l’Etat islamique à Derna après la décapitation de plusieurs citoyens égyptiens de confession copte. Sans parler de son opposition persistante au sein de la Ligue arabe à toute initiative visant à aider l’armée libyenne à affronter les terroristes de ce qui est appelé « Etat islamique ». La Ligue arabe justement a été priée il y a quelques jours par le gouvernement légitime libyen, dit le gouvernement de Tobrouk, d’intervenir contre l’ « Etat islamique » en vue d’arrêter les massacres qu’il est en train de commettre contre les citoyens libyens à Sirte. C’est ce mardi 18 août que la Ligue se penchera sur cet appel de détresse du gouvernement légitime libyen, et il est certain que le petit émirat se dressera comme d’habitude contre toute initiative, geste ou décision qui menacerait la présence des hordes terroristes en Libye. En fait, Qatar ou pas, la Ligue arabe qui se réunit aujourd’hui pour discuter la demande libyenne de bombardement des positions de « Daech » à Sirte est, à l’image du monde qu’elle représente, divisée, impuissante et donc incapable de prendre une décision et l’appliquer effectivement. Sans remonter des années ou des décennies en arrière, il suffit de rappeler que les quelques actions concrètes (l’intervention saoudienne au Yémen et le bref bombardement égyptien des positions terroristes à Derna) ont été décidées en dehors du cadre de la Ligue arabe. Le gouvernement légitime de Tobrouk est sans doute conscient de l’inefficacité de la Ligue et de son incapacité sur le double plan politique et militaire à prendre la décision d’intervenir contre les terroristes de l’Etat islamique à Sirte. Mais s’il l’a fait, c’est en désespoir de cause. L’ONU qui fut prompte à donner son feu vert pour la destruction du régime de Kadhafi, traîne toujours les pieds pour donner son accord à la levée de l’embargo sur la vente de l’armement à la Libye. On verra ce que la Ligue décidera après sa réunion d’aujourd’hui, mais on risquera une grande déception, si l’on attend une décision concrète et une action efficace. Le plus étonnant est que ceux qui ont les moyens d’agir, c'est-à-dire les pays européens, en particulier l’Italie, la France et l’Espagne, voient l’hydre terroriste progresser dangereusement en leur direction, mais continuent à vaquer à leurs occupations ordinaires comme si de rien n’était. Leur argument est que le dossier libyen est entre les mains des Nations Unies. Certes, mais alors que l’équipe onusienne chargée de forger un accord entre les parties en guerre fait du surplace, les hordes terroristes progressent dans toutes les directions. On ne fait pas preuve d’anti-islamisme primaire en disant que « Fajr Libya » constitue l’épine paralysante au pied du pays et l’empêche de se tenir debout et de marcher. Depuis le déclenchement en 2011 des troubles dans le monde arabe, l’islam politique a émergé comme un facteur hautement déstabilisant. Soutenu activement par le Qatar, la Turquie et le Soudan, « Fajr Libya » a pu impunément refuser les résultats des élections de l’été 2012 qui, en donnant 17 sièges sur 200 aux islamistes, ont montré le degré d’impopularité de ce courant politico-religieux. Rejetés par le peuple libyen, au lieu de se conformer au verdict des urnes et de contribuer à la construction d’institutions démocratiques, les islamistes ont choisi la stratégie de la terre brûlée, ouvrant la voie à l’extraordinaire amplification de l’anarchie et du chaos que l’on observe aujourd’hui. L’ONU qui a eu l’audace d’autoriser la force contre le régime du colonel Kadhafi, a lamentablement manqué d’audace en été 2012 pour obliger manu militari les ismalistes à se conformer au verdict des urnes. Pire, l’ONU continue de faire preuve d’une étonnante tolérance et d’une stupéfiante patience avec ce mouvement en le traitant sur le même pied d’égalité avec le gouvernement légitime de Tobrouk issu des élections de l’été 2012. Jusqu’à quand continuera-t-on à tolérer l’intolérable ?

Monday, August 17, 2015

"Vous la brisez, elle est à vous"

Bien malin celui qui comprend quelque chose aux interminables négociations entre les frères ennemis libyens. Il n’est même sûr que le « moteur » de ces négociations, l’émissaire de l’ONU en Libye, Bernardino Léon, ait une claire vision de la très complexe situation dans laquelle se trouvent les Libyens aujourd’hui, quatre ans après la chute du régime du colonel Kadhafi. Entre Skhirat et Genève, les négociateurs libyens n’arrêtent pas de conclure des accords vite reniés ou laissés lettre morte. Ceci prouve que les politiciens libyens chargés de trouver une solution pour leur pays ont très peu d’influence sur le terrain dominé exclusivement par des groupes armés motivés par des considérations confessionnelles ou ethniques et menant une guerre totale les uns contre les autres. L’histoire pullule d’exemples où l’Occident intervenait militairement ou pernicieusement dans les affaires d’autres pays. Mais on a rarement vu une intervention aux conséquences aussi désastreuses que celle de l’Otan en Libye en 2011, si l’on exclut celle des Etats-Unis en Irak en 2003. Il y a un adage anglo-saxon qui dit « You break it, you own it », ce que l’on peut traduire grossièrement par « vous la brisez, elle est à vous ». Cela veut dire que si par maladresse vous brisez une pile d’assiettes de porcelaine dans une grande surface, vous passez à la caisse et vous réglez la note. Ce principe qui s’applique aux choses anodines, s’applique a fortiori aux choses sérieuses, précieuses et vitales pour la vie des peuples, par exemple l’institution étatique. En 2011, l’ONU et l’Otan n’ont pas aidé le peuple libyen à se débarrasser d’une dictature, mais lui ont ouvert les portes de l’enfer. Imaginez une famille qui vit dans une maison inconfortable, peu aérée, peu ensoleillée et dont l’air confiné et l’absence de lumière font subir aux membres de cette famille un stress permanent. Imaginons que cette famille qui n’a pas les moyens de reconstruire une maison confortable et moins stressante se voit proposer l’aide d’un entrepreneur. Imaginons que pour toute aide, l’entrepreneur envoie un bulldozer pour détruire la maison avant de s’évaporer dans la nature. Et la pauvre famille qui avait un toit pour s’abriter se retrouve assise sur les ruines de sa maison exposée au soleil brûlant et aux pluies diluviennes. L’ONU et l’Otan ont « aidé » le peuple libyen à la manière de cet entrepreneur satanique. Rappelons ici que le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 18 mars 2011 par dix voix contre cinq la résolution 1973 autorisant le recours à la force contre le régime du colonel Kadhafi. Rappelons également que l’Otan, se basant sur ce texte onusien, envoya ses bombardiers détruire un régime qui, en dépit de ses innombrables défauts, assura pendant plus de quatre décennies stabilité et sécurité pour le peuple libyen. Le régime libyen, malgré tous les abus commis contre les droits élémentaires des citoyens, se dressait comme un barrage infranchissable contre l’anarchie, la violence interethnique et interconfessionnelle et contre le terrorisme. A voir ce qui se passe depuis la chute de Kadhafi, on peut même dire que le régime libyen était une pièce maitresse dans le système sécuritaire nord-africain. Comment l’Otan, qui se considère comme le principal pilier du système sécuritaire mondial, peut-elle se permettre un comportement aussi irresponsable ? Un comportement qui a non seulement condamné le peuple libyen à une descente aux enfers, mais aidé à la déstabilisation de toute une région ? Comment l’ONU, qui se considère comme garante de la paix pour tous les peuples de planète peut-elle garder un tel silence face à tant d’irresponsabilité ? Si l’Otan ne pouvait s’empêcher d’intervenir contre le régime dictatorial du colonel Kadhafi, la moindre des choses est qu’elle prenne les dispositions nécessaires pour assurer la stabilité et la sécurité des Libyens jusqu’à ce qu’un autre régime soit mis en place. Au lieu de cela, l’Organisation atlantiste a chois de s’évaporer dans la nature dès la fin de sa mission destructrice. La Tunisie est le voisin le plus touché par la mission destructrice de l’Otan. Il serait fastidieux de citer ici tous les dommages économiques, sociaux et sécuritaires subis par ce petit pays du fait de la transformation de la Libye par l’irresponsabilité de l’Otan à en un paradis pour les terroristes et en un enfer pour les citoyens libyens. Citons seulement les deux actes terroristes les plus catastrophiques pour l’image et l’économie du pays : les attentats du Bardo et de Sousse qui ont fait des dizaines de victimes étrangères. Tout ce qui a trait aux préparatifs de ces attentats (entrainement des terroristes, armes et planification) ont été entrepris en Libye. Il n’est pas absurde d’affirmer ici que l’ONU par sa résolution 1973 et l’Otan par sa mission destructrice assument un certain degré de responsabilité dans la mort de dizaines de touristes étrangers en Tunisie. Dans un monde qui se respecte, ces deux grandes institutions internationales seraient trainées en justice et forcées de payer des dommages et intérêts pour le peuple libyen, pour les familles des touristes assassinés et pour le secteur touristique tunisien. Mais depuis quand vit-on dans un monde qui se respecte ?

Richesse matérielle et indigence intellectuelle

Qu’est-ce qu’une bonne politique pour un Etat quelconque ? C’est d’assurer la prospérité et la stabilité sur l plan intérieur et, sur le plan extérieur, de s’entourer du maximum d’amis et du minimum d’ennemis. Pour cela, deux conditions sont essentielles : les ressources matérielles permettant au peuple de vivre sinon somptueusement du moins correctement, et les ressources humaines (intelligence, capacités intellectuelles) permettant de concevoir les bonnes décisions et de les appliquer. Si l’on assiste aujourd’hui dans la plupart des pays du monde à des problèmes inextricables, à des désordres de grande ampleur ou à des menaces existentielles guettant des peuples et des Etats, c’est parce que l’une ou l’autre de ces conditions ou les deux à la fois font défaut. Quelques rares pays sont dotés à la fois des ressources matérielles et humaines adéquates, ce qui permet à leurs peuples de vivre tranquillement, comme c’est le cas par exemple de la Suisse, de la Suède, de la Norvège, du Danemark, de la Finlande ou encore de la Hollande. Les peuples de ces pays ont la chance d’être gouvernés par des classes politiques suffisamment intelligentes pour assurer une vie prospère et sereine pour leurs citoyens, tout en s’interdisant de s’immiscer dans les affaires intérieures des autres. Ces quelques rares exemples mis à part, le reste des pays du monde font face à des problèmes plus ou moins graves ou vivent des désordres de plus ou moins grande ampleur à cause de la modestie excessive de leurs ressources matérielles et humaines, mais aussi de l’immixtion des puissants de ce monde dans leurs affaires intérieures. Des pays comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne ont les ressources matérielles suffisantes pour faire vivre leurs peuples correctement, mais manquent cruellement des ressources humaines adéquates capables de contribuer au bonheur des autres plutôt qu’à leur malheur. La propension pathologique de ces deux pays à s’immiscer dans les affaires des autres, à piller leurs richesses et à leur imposer des politiques désastreuses ont contribué pendant des décennies et même des siècles au malheur des centaines de millions d’êtres humains en Asie, en Afrique, en Amérique latine et, bien sûr, dans la région du Golfe-Moyen-Orient. A ce niveau, l’Irak est un cas d’école. Ce pays est doté de richesses pétrolières et agricoles exceptionnelles qui auraient pu faire du peuple irakien l’un des peuples les plus prospères et les plus heureux du monde. Si ce peuple est aujourd’hui le plus malheureux du monde, c’est par ce qu’il a eu la malchance d’être gouverné avant, pendant et après le « Baath » par des classes politiques exceptionnellement stupides, ceci d’une part. D’autre part, compte tenu de ses substantielles richesses naturelles, le peuple irakien a suscité depuis le début du siècle dernier la convoitise de puissants pays dont les classes politiques ne sont pas mieux favorisées en termes de matière grise que les classes politiques irakiennes. A titre d’exemple, il serait pratiquement impossible de déterminer avec certitude qui de Saddam Hussein ou de George W. Bush est le plus stupide… L’Arabie saoudite est un autre cas d’école. Voici un pays avec des richesses pétrolières immenses et une population très modeste pour les partager. Avec de tels atouts, l’Arabie saoudite aurait pu non seulement assurer le bonheur et la prospérité chez elle, mais les exporter aussi dans plusieurs régions du monde arabo-musulman. Mais malheureusement, ce qui nous vient aujourd’hui d’Arabie saoudite c’est le fanatisme, le terrorisme, l’intolérance, la haine de l’Autre, de celui qui est différent et réticent à suivre la voie tracée par Ahmad Ibn Hanbal et Mohamed Ibn Abdelwahab. Le monde arabo-musulman est victime dans une large mesure de ce mélange explosif d’une richesse matérielle excessive et d’une indigence intellectuelle non moins excessive. C’est l’indigence intellectuelle et le fanatisme aveugle qui ont fait que l’argent saoudien aille financer les terroristes d’Al Qaida hier en Afghanistan et aujourd’hui en Syrie, plutôt que d’aller s’investir dans des projets de développement au Yémen, au Soudan ou en Mauritanie. Mais la politique saoudienne n’est pas dommageable seulement pour les étrangers. Le pays lui-même est maintenant victime du terrorisme qu’il a implanté chez les autres. Il se brûle aujourd’hui par ceux-là même qu’il a créés et financés pendant des décennies. De l’Afghanistan dans les années 1980 à la Syrie et l’Irak aujourd’hui en passant par de nombreux autres pays, une multitude d’organisations terroristes ont largement bénéficié des pétrodollars saoudiens. Il suffit d’exprimer une haine implacable pour les chiites, de prendre pour maitres à penser Ibn Hanbal et Ibn Abdelwahab et de faire preuve de dextérité dans le maniement des explosifs pour que les pétrodollars commencent à pleuvoir. Beaucoup d’intellectuels pensent aujourd’hui que le pétrole est une malédiction pour le monde arabe. C’est vrai, mais cette affirmation mérite d’être nuancée. Le pétrole est devenu une malédiction pour le monde arabe parce que cette immense richesse d’or noir a toujours été gérée par des classes politiques très indigentes en termes de matière grise. Le philosophe français Descartes a dit, avec ironie sans doute, que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». On ne peut en dire autant de la matière grise qui, très visiblement, est la chose la moins partagée dans ce bas monde.

Il y a soixante dix ans, Hiroshima et Nagasaki

Le 6 août 1945 à 8h15 précises, les États-Unis larguent une bombe nucléaire appelée « Little Boy » sur Hiroshima. Cette bombe à l’uranium est un unique exemplaire, utilisé pour la première fois. Rien que par l’impact, Hiroshima est détruite à 92 %. En deux semaines, 150 000 des 350 000 habitants de la ville japonaise meurent de brûlures et de blessures causées par l’irradiation. Trois jours après, le 9 août, une seconde bombe atomique au plutonium appelée cette fois-ci « Fat Man » explose au-dessus de Nagasaki. L’explosion tue 70 000 des 250 000 habitants de la ville et détruit le tiers de ses bâtiments. Ces deux explosions meurtrières annoncent la véritable fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 15 août 1945, l’empereur japonais Hirohito annonce la capitulation du Japon et la fin des combats. Les deux bombes de destruction massive avaient massivement détruit les deux villes japonaises, provoqué la mort instantané de près d’un quart de million de personnes et condamné plusieurs dizaines de milliers d’autres à une mort lente précédée de souffrances insoutenables. Le principal responsable, en tant que décideur, de cette destruction massive de vies humaines est le président américain Harry Truman. Face à un tel cataclysme que sa décision d’utiliser l’ « arme absolue » avait provoqué, il était normal que Truman cherchât des raisons pour se justifier face à son peuple, face à la communauté internationale et face à sa conscience. L’argument fondamental était que les deux bombes avaient permis de sauver « 500.000 » soldats américains qui auraient perdu la vie si l’invasion de l’île japonaise de Kyushu avait eu lieu comme prévu en décembre 1945. Mais Truman avait donné l’impression qu’il avait agi aussi par esprit de vengeance en faisant cette réponse à un homme d’église qui critiquait sa décision: « Personne n’est plus troublé que moi par l’utilisation de la bombe atomique, mais je suis profondément troublé par l’attaque injustifiée par les Japonais contre Pearl Harbour et le massacre de nos prisonniers de guerre. Le seul langage qu’ils semblent comprendre est celui que nous avons utilisé en les bombardant. » Ces deux arguments sont peu convaincants. Commençons par le second par lequel Truman a dévoilé son désir de vengeance. Le 7 décembre 1941, les Japonais étaient en guerre contre les Etats-Unis. Ce jour là ils avaient attaqué par surprise la base navale américaine de Pearl Habour dans l’île de Hawaï, détruisant plusieurs navires US et tuant plusieurs soldats. Pearl Harbour était une cible militaire et, dans les conflits armés, ce genre d’attaque est banal et ne constitue pas un crime de guerre. En revanche, les attaques américaines sur le sol japonais avaient pris pour cibles essentiellement les concentrations de civils. Tokyo, qui était déjà une mégapole, avait subi des bombardements intensifs engendrant de larges destructions et la mort de centaines de milliers d’habitants sous les décombres. Puis vinrent les deux bombes atomiques qui avaient pris pour cibles aussi les concentrations de populations civiles. La vengeance n’a pas d sens dans ces conditions parce qu’aucune loi, aucune règle morale, aucune logique ne permet de se venger contre des centaines de milliers de civils d’une simple attaque contre une cible militaire en temps de guerre. L’argument consistant à épargner la vie d’un demi million de soldats américains n’est pas plus convaincant. L’idée d’abréger la guerre en rasant deux villes de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne tient pas la route parce que le Japon était à bout de forces, se savait défait et cherchait un arrêt des hostilités dans un cadre qui ne fût pas trop humiliant et surtout qui ne s’attaquât pas à ce qu’il avait de plus sacré : l’institution impériale. Le « jusqu’au boutisme » de certains généraux japonais, dont le général Hideki Tojo, s’expliquait plus par l’exigence des alliés d’une « capitulation inconditionnelle » que par le « patriotisme excessif » ou le « fanatisme militaire » qu’on leur attribuait. Les généraux japonais étaient terrorisés à l’idée d’une destruction de l’institution impériale et du jugement et peut-être même l’exécution de l’empereur Hiro-Hito. C’était une terreur religieuse si l’on peut dire, car, pour les Japonais, Hiro-Hito n’est pas d’essence humaine, mais divine. Il a une relation parentale avec le Dieu Soleil, relation certifiée pour ainsi dire par le principal symbole du Japon : le drapeau. Pour des intellectuels américains, comme G.E.M. Anscombe, « c’est l’insistance sur la capitulation inconditionnelle qui est à l’origine de tout le mal. » En d’autres termes, si les Etats-Unis avaient donné l’assurance au Japon que son empereur ne serait pas jugé et condamné, les soldats n’auraient eu aucune raison d’adopter le comportement suicidaire de l’été 1945. Mais il faut se rendre à l’évidence que le lancement de deux bombes atomiques sur le Japon en l’espace de trois jours avait d’autres raisons inavouables. Le lobby des scientifiques et des militaires, pour des raisons évidentes, ne voulait pas rater l’occasion pour tester ses bombes en grandeur nature et sur des cibles réelles. Il avait poussé dans cette direction et avait réussi à arracher le feu vert à Truman. Le 6 août 1945, une bombe à base d’uranium était lancée sur Hiroshima, et le 9 une bombe à base de plutonium sur Nagasaki. Les effets dévastateurs sur les êtres humains, les animaux, les infrastructures et les bâtiments étaient observés à la loupe et soumis à une étude comparative pour savoir si l’uranium est plus « efficace » que le plutonium ou le contraire… Une autre raison avancée par les historiens est d’ordre géopolitique. Les troupes soviétiques qui avaient participé à l’écrasement de l’Allemagne nazie, avaient soumis une bonne partie de l’Europe de l’est à l’occupation. Staline avait ensuite entrepris un mouvement de troupes en direction de l’Extrême-Orient, histoire d’être là au moment de la capitulation du Japon et de partager le gâteau avec les Américains. Pour ceux-ci, il était de la plus haute importance que le Japon capitulât avant l’arrivée des troupes soviétiques afin d’éviter sa partition entre un Japon du nord communiste et un autre du sud capitaliste, comme ce fut le cas entre l’est et l’ouest de l’Allemagne. Soixante dix ans après, la majorité des Américains ignorent toujours les vraies raisons du largage des deux bombes de destruction massive et s’accrochent à l’idée fallacieuse qu’elles avaient sauvé des centaines de milliers de vies américaines.