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Monday, December 28, 2009

L'impasse iranienne

La disparition à 87 ans de la figure emblématique de l’opposition, le grand ayatollah Hossein Ali Montazeri, n’a pas découragé les opposants qui continuent de descendre dans les rues de Téhéran et d’autres villes iraniennes et de s’affronter avec les forces de police. Dimanche était la journée la plus sanglante depuis le début des troubles en juin dernier. Quinze personnes ont été tuées dans des affrontements, dont le neveu de l’un des chefs de l’opposition, Mirhossein Moussavi.
L’Iran se prépare-t-il à de grandes secousses politiques, semblables à celles qui, il y a trente ans déjà, ont mis fin au régime impitoyable du Chah Mohamed Reza Pahlavi ? Bien malin celui qui pourra prédire l’évolution de cette crise iranienne, la plus grave depuis la révolution de 1979.
Il était déjà difficile de prévoir en juin dernier qu’une simple contestation de résultats électoraux allait évoluer en une crise politique profonde, élargissant chaque jour un peu plus le hiatus qui sépare les conservateurs, à la tête desquels le président Ahmadinejad, soutenu par le « Guide suprême », Ali Khamnei, et les réformateurs dirigés par nombre de personnalités, dont la plus connue est Mirhossein Moussavi.
Pendant les bouleversements de 1979, les deux forces antagonistes (le régime du Chah et le clergé chiite) étaient si montées l’une contre l’autre que la contradiction ne pouvait se résoudre que par la destruction de l’une d’elle. Ce n’est pas le cas la crise de 2009 qui est née des contradictions ayant pris naissance au sein de la même classe politique, celle-là même qui avait pris en charge le destin de l’Iran il y a trente ans. Mirhossein Moussavi, le principal dirigeant des réformateurs, était l’un des personnages clés de la République islamique dont il avait dirigé le gouvernement dans les années les plus difficiles, celles de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988.
Le mouvement réformateur n’était pas porté par une autre idéologie. Il n’était pas porteur d’un autre modèle de société. Il a pris naissance au sein de la classe politique iranienne. A un certain moment, ce mouvement avait même réussi à porter l’un de ses représentants, Mohamed Khatami, au poste de président de la république. En d’autres termes, ni le modèle de la république islamique, ni le concept de « Wilayet Faqih », incarné par le Guide Ali Khamenei, n’étaient en cause. Ce que demandent les réformateurs, c’est un assouplissement des règles sociales strictes qui prévalaient depuis la révolution de 1979 d’une part, et la normalisation des relations de l’Iran avec le monde extérieur, et notamment avec les Etats-Unis, d’autre part. Mais les conservateurs, inquiets de ne pouvoir contrôler l’évolution des réformes, ont mis un terme à l’expérience réformatrice du gouvernement Khatami.
L’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad s’est traduite aussitôt par un durcissement du régime aussi bien sur le plan intérieur, qu’au niveau des relations de l’Iran avec l’étranger. Le premier mandat d’Ahamdinejad a surtout servi à aiguiser les tensions avec l’opposition à l’intérieur et avec les Etats-Unis et leurs alliés à l’extérieur. La réélection d’Ahmadinejad le 12 juin dernier, largement contestée, et le programme nucléaire iranien ont servi de catalyseurs de la crise profonde que vit l’Iran depuis six mois.
L’erreur stratégique commise par les autorités conservatrices de la république islamique est qu’elles ont choisi de se battre sur deux fronts, en adoptant deux positions intransigeantes dans le cadre de leur gestion des deux crises intérieure et extérieure. Par cette politique de fuite en avant, les autorités iraniennes ont, elles mêmes, versé de l’eau au moulin de leurs adversaires à l’intérieur de l’Iran et à l’extérieur. Elles ont rendu possible une sorte de dynamique entre les deux crises. Cela veut dire que les réformateurs sont encouragés dans leurs exigences en pensant aux difficultés du régime iranien avec les pays occidentaux, et ceux-ci sont naturellement enclins à plus d’intransigeance, à mesure que les difficultés intérieures du régime s’approfondissent.
Le pouvoir conservateur en place à Téhéran aurait pu éviter l’enclenchement de cette mécanique infernale en économisant ses forces, au lieu de les gaspiller dans des batailles donquichottesques. Car aucun pouvoir au monde, quels que soient ses moyens et sa confiance en soi, ne peut remporter en même temps deux batailles contre des adversaires intérieurs et extérieurs. Une analyse lucide de la situation aurait pu permettre aux décideurs iraniens d’établir une hiérarchisation des adversaires et des dangers à affronter. Ils ont choisi la voie la plus difficile, celle de vouloir résoudre toutes les crises en même temps au risque de les exacerber toutes.
Pourtant les autorités iraniennes ont eu l’occasion de désamorcer la crise intérieure au début de la contestation des résultats des élections présidentielles de juin dernier. Cette contestation, il est important de le rappeler, n’avait pas pris la forme de communiqués de presse ou de déclarations de responsables en colère, mais de mouvements massifs de protestation et de confrontation violente avec les forces de l’ordre. Le « Guide suprême », Ali Khamenei, avait les moyens d’absorber la fureur de l’opposition en adoptant une position plus équilibrée, plutôt que de prendre fait et cause pour Ahmadinejad. En agissant de la sorte, il s’est déconsidéré aux yeux de l’opposition dont les troupes, plus furieuses encore, ont écorné un tabou en criant : « Mort à Khamenei ».
Après les affrontements de l’Achoura, les plus violents depuis le début du mouvement protestataire, les autorités iraniennes se trouvent dans l’impasse. Elles ne peuvent continuer à réprimer l’opposition sans risquer de la radicaliser ; et elles ne peuvent continuer à adopter une approche intransigeante dans leurs négociations avec les pays occidentaux sans risquer de provoquer l’intensification des sanctions.
Mais comme toutes impasses, l’impasse iranienne pourrait se résoudre par des initiatives spectaculaires basées sur des approches conciliatrices aussi bien avec l’opposition intérieure qu’avec les « 5+1 ». Il faut rappeler ici que les semaines prochaines seront difficiles pour les autorités iraniennes. Elles ont jusqu’au 15 janvier 2010 pour donner leur réponse définitive sur leur programme nucléaire et, en février, la célébration du 31eme anniversaire de la révolution risque d’être encore plus sanglante que la célébration de l’Achoura dimanche dernier.

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