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Tuesday, December 30, 2008

L'alliance des contraires

On croyait que la violence terrifiante exercée par l’armée israélienne en avril 2002 contre la ville de Jénine et sa population ne serait pas surpassée parce que, croyions-nous, elle avait atteint des sommets dans la barbarie. Une armée équipée de bombardiers, d’hélicoptères de combat et de chars d’assaut s’était férocement déchaînée contre une population armée de fusils pour quelques uns et de pierres pour la plupart. Après avoir semé la mort et la destruction à Jénine, cette armée était rentrée chez elle, « fière » de sa réputation d’ « invincibilité ». Invincible, l’armée israélienne l’est forcément dans une guerre où les bombardiers F-16 et F-18 et les tanks Merkava n’ont pour adversaires que des civils armés de pierres ou, dans le meilleur des cas, de fusils archaïques.
Depuis samedi dernier, on assiste à un déchaînement de violence contre les Palestiniens de Gaza qui, selon tous les observateurs, est d’une intensité et d’une férocité sans précédent depuis la guerre de 1967. Pire, cette nième guerre israélienne contre les Palestiniens était précédée d’une véritable mise en scène destinée à anesthésier si l’on peut dire la méfiance du Hamas dans le but macabre de faire le maximum de victimes. En effet, Israël s’était livré à une véritable campagne de désinformation en affirmant publiquement que s’il y a une décision à prendre, elle ne le sera pas avant dimanche, jour habituel de réunion du conseil des ministres israélien.
Pourquoi cette désinformation alors que la guerre était déjà programmée pour samedi, jour de repos sacré des Juifs ? C’est simple, le tout était destiné à convaincre le Hamas que la guerre n’était pas imminente, et surtout pas le « shabbat », afin que les diverses administrations dirigées par le mouvement islamistes à Gaza ne soient pas vidées, par précaution, de leurs fonctionnaires, le but des stratèges israéliens étant d’ensevelir le maximum d’entre eux sous les décombres.
Toutes proportions gardées, l’assaut féroce lancé samedi sur Gaza s’inspirait clairement de la « Blitzkrieg » des Nazis. Comment peut-il en être autrement quand on sait que les 60 avions qui ont attaqué Gaza en même temps, ont détruit cinquante cibles en trois minutes et quarante secondes exactement ?
Lancer 60 avions en même temps sur un territoire de 300 km2 ne s’explique que par un instinct criminel de faire le maximum de victimes. Mais certains observateurs estiment aussi que cette « performance », consistant à détruire cinquante cibles en trois minutes et quarante secondes, vise à « rétablir le moral et la réputation » de l’armée israélienne gravement affectés dans la guerre contre le Liban de l’été 2006.
De quelle réputation l’armée israélienne peut-elle se targuer quand ses avions bombardent depuis des années les Palestiniens dans une sécurité absolue du fait de l’absence dans le ciel de Gaza et de Cisjordanie de tout chasseur-bombardier adverse et de toute défense anti-aérienne ? De quelle invincibilité et de quelle fierté cette armée parle-t-elle quand elle lance des tanks de 60 tonnes contre des adolescents lanceurs de pierres ? Le déséquilibre des forces en présence est tel que les roquettes palestiniennes ont fait 20 morts israéliens en huit ans et les missiles « Hellfire » lancés par les F-18 israéliens ont fait 200 morts palestiniens en huit heures, sans compter les destructions à grande échelle. A l’évidence, en Israël on continue à confondre les motifs de fierté et les motifs de honte.
Gaza a déjà été transformée en enfer par le blocus inhumain imposé à sa population. Depuis des mois, un million et demi de personnes vivent dans la misère, la faim et le froid, sans parler de l’absence d’électricité et d’eau courante. A cette situation catastrophique, Israël a choisi d’ajouter la guerre.
Le but officiel de cette guerre est de faire cesser le lancement de roquettes sur le territoire israélien. En fait, les roquettes Al Qassam sont plus un prétexte qu’un Casus belli. La plupart de ces roquettes ne font pas de mal à une mouche et certains tombent carrément sur la tête des Palestiniens. Israël aurait pu s’en accommoder donc du fait de leur inefficacité notoire. Certains évoquent des motivations électoralistes et la volonté des dirigeants actuels de barrer la route à Benyamin Netanyahu que les sondages donnent gagnant dans les prochaines élections du 10 février. Si cette considération n’est pas entièrement absente de l’esprit des deux Ehud (Olmert et Barak) et de Tzipi Livni, il est difficile de croire que, même s’ils ne se distinguent pas par une intelligence politique particulière, ces dirigeants puissent déclencher une guerre sur la base de simples sondages.
La vraie motivation de cette enième guerre israélienne se trouve ailleurs. Depuis la guerre de 1967 et l’occupation des territoires, Israël a toujours eu besoin de diaboliser un dirigeant ou un courant politique palestinien pour donner matière à sa campagne permanente de désinformation consistant à convaincre les grandes puissances en répétant jusqu’à la nausée la vieille chanson que tout le monde a déjà appris par cœur : les Palestiniens sont des terroristes qui veulent la mort de la fragile et gentille démocratie israélienne.
Yasser Arafat et l’OLP ont servi pendant des années de cibles parfaites pour la machine de propagande israélienne. Et le jour où ils ont accepté de négocier avec Israël, ils sont devenus inutiles pour les propagandistes israéliens, et même dangereux dans la mesure où les négociations mettent Israël en danger de paix.
Depuis les accords d’Oslo de 1993, l’intérêt d’Israël s’est porté sur le Hamas précisément parce que ce mouvement a refusé ces accords, refuse toujours de reconnaître Israël et ses démagogues continuent de claironner leur objectif de « libérer la Palestine de la rivière à la mer ». En ces temps de flexibilité arabe et palestinienne où se multiplient les initiatives de paix, le Hamas est l’oiseau rare que cherche Israël.
Le bras de fer sanglant entre Israël et le Hamas a toutes les caractéristiques d’une alliance involontaire des contraires qui oeuvrent chacun à sa manière de perpétuer un état de tension qui les arrange tous les deux. Car, il faut bien le dire, Israël et le Hamas ont le même intérêt à ce que les processus de paix n’aboutissent pas. L’un pour n’avoir jamais à affronter l’immense problème de décolonisation de la Cisjordanie, et l’autre pour attendre le miracle par lequel la Palestine sera libérée de la rivière à la mer.

Saturday, December 27, 2008

Les nobles batailles du citoyen Pinter

Il aurait pu finir sa vie en Lord, mais il avait refusé d’être anobli par la reine. Il avait sans doute peur que l’anoblissement ne compromette un demi siècle de labeur, de créativité et d’activisme politique en faveur de la vérité et de la justice. Il redoutait sûrement qu’un tel anoblissement ne le réconcilie avec l’ « establishment » et ne le mette en porte à faux avec les nobles principes qu’il a défendus sa vie durant. Harold Pinter est donc mort en simple citoyen, préférant la noblesse de l’âme aux titres de noblesse.
Harold Pinter n’est pas seulement un auteur prolifique et un dramaturge talentueux qui a marqué toute une génération et dont la notoriété a franchi depuis longtemps les frontières de la Grande Bretagne. Il est aussi un activiste politique qui a infatigablement pourfendu les « establishments » britannique et américain dont les politiques intérieures et extérieures dérangeaient sérieusement son sens profond de la justice et son respect infaillible de la vérité.
En 1958, il écrivait ceci : « Il n’y a pas de distinctions strictes entre ce qui réel et ce qui est irréel, ni entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n’est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être à la fois vraie et fausse. » Près d’un demi siècle plus tard, en recevant le Prix Nobel de littérature, Harold Pinter avait rappelé ces assertions en expliquant toutefois qu’il y croit encore en tant qu’écrivain « parce qu’elles s’appliquent à l’exploration de la vérité à travers l’art », mais qu’il n’y croit pas en tant que citoyen.
En tant que spectateur engagé, en tant que témoin actif des drames de son temps, Harold Pinter ne peut pas bien sûr soutenir que George Bush et Tony Blair ont à la fois tort et raison ou que Abou Ghraib et Gantanamo sont à la fois réels et irréels. Bien au contraire, il a qualifié Bush de « criminel de guerre » et Blair d’ « idiot plein d’illusions », et les drames de la prison irakienne et de celle des Caraïbes l’ont profondément affecté dans sa « dignité d’homme ».
L’activisme politique de Harold Pinter n’est pas né avec « la grande manipulation » qui a précédé l’invasion de l’Irak par les troupes américano-britanniques. Dans les années 1980, il était déjà un critique acerbe des politiques de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher en Grande Bretagne. En tant qu’écrivain et en tant que citoyen résolument engagé envers les causes justes, il ne pouvait pas se taire face au démantèlement systématique des acquis sociaux entrepris en étroite collaboration entre Washington et Londres à l’époque sous la houlette du vieil acteur hollywoodien et de l’intraitable « dame de fer ».
L’année 2002 est sans doute l’année la plus dure dans la vie du dramaturge britannique. C’était l’année où il a commencé ses deux ultimes batailles : la bataille personnelle contre le cancer de la gorge qu’il venait de découvrir et qui devait le tuer le 24 décembre 2008, et la bataille publique contre « la manipulation de la vérité » entamée cette même année par George Bush et Tony Blair en vue de mener leur guerre, décidée d’avance, contre l’Irak.
Dans les dernières années de la vie de l’auteur britannique, ces deux batailles étaient intimement liées dans la mesure où l’une était menée contre le cancer de la gorge qui mettait en danger l’intégrité physique de l’homme, et l’autre contre le cancer de la manipulation et de la tromperie qui s’attaquait sans vergogne aux principes qui nourrissaient l’âme assoiffée de justice et de vérité du citoyen Pinter.
En 2005, l’attribution du Prix Nobel de littérature à Harold Pinter était une petite consolation pour un homme qui vivait un double cauchemar : « le cauchemar personnel » de la chimiothérapie, comme il le qualifiait lui-même, et le cauchemar public qu’il partageait avec des millions d’autres, celui du désastre d’Abou Ghraib et de la destruction de l’Irak sur la base d’un mensonge.
Cette petite consolation, Harold Pinter l’a transformée en grande occasion pour pourfendre encore une fois les va-t-en guerre et dénoncer les vraies motivations qui se cachaient derrière la décision de détruire l’Irak.
A notre connaissance, aucun lauréat n’avait exploité l’occasion de réception du Prix Nobel à Stockholm ou à Oslo pour dénoncer l’injustice de manière aussi spectaculaire et aussi virulente que ne l’avait fait Harold Pinter en 2005. Bien que fortement diminué par la vieillesse et la maladie, et incapable de faire le voyage jusqu’à Stockholm, Harold Pinter avait tenu à enregistrer son discours de réception sur vidéo. Un discours mémorable qui s’apparentait à un cri de révolte contre la plus grande injustice du XXIeme siècle, la guerre d’Irak, et les mensonges et les manipulations qui l’avaient précédée.
Le 15 février 2003, quatre semaines avant l’invasion de l’Irak, plus d’un million de personnes avaient défilé à Londres pour exprimer leur opposition à la guerre. Harold Pinter était aussi dans la rue ce jour là. Son cancer de la gorge ne l’avait pas empêché de crier sa colère devant la foule. Il ne l’avait pas empêché de mettre en garde Bush et Blair contre les conséquences du désastre qu’ils se préparaient à déclencher.
Avec du recul, Bush et Blair devraient se mordre les doigts de n’avoir pas entendu les mises en garde de Harold Pinter le 15 février 2003. S’ils l’avaient fait, ils vivraient aujourd’hui avec une conscience beaucoup moins chargée dans un monde nettement moins dangereux.

Tuesday, December 23, 2008

Blanc bonnet, bonnet blanc et blanc bonnet

Entre les Etats-Unis et Israël il n’y a pas que des solidarités, il y a aussi des similitudes. L’alternance au pouvoir à Washington, quand elle se produit, ne change pratiquement rien en politique étrangère et les changements sont mineurs en politique intérieure. Si l’on considère les cinquante dernières années, on constatera que la politique étrangère américaine au Moyen-Orient a toujours été la même. Que les Républicains soient au pouvoir ou les Démocrates, cela n’a jamais influé sur les choix fondamentaux de Washington : alignement total sur la politique israélienne et partialité flagrante en défaveur des Arabes. Et quand Washington décide de jouer les médiateurs, son comportement fait penser au comportement de cet arbitre de boxe qui, sur le ring, immobilise l’un des boxeurs pour permettre à l’autre de cogner à volonté.
Le 4 novembre dernier, en élisant un Afro-Américain connu pour son intelligence et surtout pour ses critiques parfois acerbes de la politique de son pays au Moyen-Orient, les électeurs ont imposé un changement exceptionnel à la tête de l’Etat fédéral. L’élection de Barack Obama va-t-elle engendrer ce changement miraculeux que beaucoup souhaitent ? Disons simplement que, en politique, les calculs froids sont la règle et les miracles, quand ils se produisent, sont l’exception. Disons aussi qu’un événement exceptionnel ne génère pas nécessairement des conséquences exceptionnelles.
En Israël, l’alternance au pouvoir est tout aussi fréquente qu’aux Etats-Unis, sinon plus. Et tout comme aux Etats-Unis, cette alternance ne produit aucun changement en politique étrangère, et les changements sont mineurs en politique intérieure. Le morcellement excessif de la société israélienne fait que l’alternance en Israël a beaucoup moins de sens qu’à Washington dans la mesure où le parti « gagnant » ne peut pas gouverner sans le concours des partis « perdants ». En d’autres termes, aucun des grands partis ne peut former un gouvernement à lui tout seul et les petits partis extrémistes religieux, comme le « Shas », ou laïques, comme « Israël Beitinou », continueront probablement pour longtemps à tenir en otages la politique israélienne, l’empêchant de sortir de sa myopie et de prendre en compte les intérêts à long terme du pays avant que ce ne soit trop tard.
La campagne pour la nième élection législative anticipée a commencé en Israël. Le suspense tend vers zéro, car aussi bien pour les Israéliens que pour les Palestiniens, les changements escomptés sont insignifiants quel soit le vainqueur des trois principaux candidats aux élections du 10 février prochain. En effet, on a une idée tout à fait claire de ce que sera un gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahu ou par Ehud Barak, car l’un et l’autre ont déjà occupé le poste de Premier ministre et l’un et l’autre ont déjà fait preuve de leur inefficacité, de leur ineptie et de leur inaptitude à apporter la moindre idée originale de nature à libérer leur pays du cercle vicieux dans lequel il ne cesse de tourner depuis plus de quarante ans.
Benyamin Netanyahu, dans les années quatre-vingt-dix, avait méthodiquement détruit tous les espoirs engendrés par les accords d’Oslo de 1993 ; de son côté Ehud Barak avait fait rater à son pays et à la région entière une rare occasion de règlement du conflit en faisant capoter la conférence de Camp David d’août 2000, présidée alors par Bill Clinton, tout en criant sur les toits qu’ « il n’y avait pas de partenaire pour la paix ». En vérité, c’était Yasser Arafat qui n’avait pas alors de partenaire pour la paix, mais un facteur d’immobilisme en la personne d’Ehud Barak.
Sauf miracle donc, il n’y a aucun changement à attendre de l’élection de l’un ou l’autre de ces deux politiciens israéliens. Et comme on l’a dit plus haut, les miracles sont la chose la plus rare en politique. C’est plus vrai encore en Israël où la voie des politiciens semble tracée d’avance et a la forme d’un cercle. Un cercle vicieux, cela va sans dire.
Reste Madame Tzipi Livni, troisième candidate à avoir des chances de devenir Premier ministre, et seule parmi les trois à n’avoir pas occupé ce poste avant. Mais tout porte à croire que Mme Livni n’est en aucun cas faite dans un moule différent de celui qui nous a déjà donné Netanyahu, Barak et les autres avant eux. On a déjà une idée de ce qu’elle fera si elle est élue au poste de Premier ministre. Elle exclut d’inclure Jérusalem et les réfugiés dans le programme des négociations, et va plus loin que les autres, puisqu’elle compte proposer au cinquième de la population (les Arabes d’Israël) de se trouver un Etat d’adoption, car « Israël est pour les Juifs ». Une nouveauté à laquelle ni Netanyahu ni Barak n’ont pensé.
Pourtant, dans sa campagne électorale, Mme Livni insiste qu’elle continuera à négocier avec les Palestiniens. Négocier quoi si Jérusalem et les réfugiés restent des sujets tabous ? Négocier pour négocier. Parler pour parler. De toute évidence, Mme Livni ne diffère en rien des politiciens israéliens qui l’ont précédée ni de ceux qui sont en compétition actuellement avec elle. Elle possède les mêmes réflexes qu’eux. Le réflexe de tourner en rond dans le cadre désormais classique de la politique israélienne : le cercle vicieux. Et à ce niveau, on ne prend aucun risque en affirmant que Netanyahu, Barak et Livni, c’est blanc bonnet, bonnet blanc et blanc bonnet.

Friday, December 19, 2008

La réalité et le fantasme

Le Premier ministre britannique, Gordon Brown, a fait au début de cette semaine un voyage, préparé secrètement bien sûr, en Irak où il a discuté avec les autorités irakiennes à Bagdad et rencontré les troupes britanniques à Basra. A cette occasion, il a annoncé une série de décisions : la mission britannique en Irak se terminera le 31 mai 2009 ; le dernier soldat britannique quittera l’Irak le 31 juillet de la même année ; 200 à 300 instructeurs militaires resteront « pour aider le gouvernement irakien ». M. Brown a rendu hommage aux 178 soldats britanniques qui ont perdu leur vie en Irak, oubliant que la guerre au déclenchement de laquelle il n’était pas totalement innocent en tant que bras droit de Tony Blair, a fait des centaines de milliers de morts irakiens, un million même selon certaines estimations.
Il est extrêmement étonnant que dans une grande démocratie comme la Grande Bretagne, la décision désastreuse de Tony Blair d’enter en guerre contre l’Irak sur la base de mensonges, de tromperie et de manipulation de l’opinion publique ne soit soumise à aucune enquête sérieuse pour déterminer les responsabilités et traîner en justice les coupables.
Admettons que pour cause de suffisance de grande puissance et d’indifférence de l’opinion publique, le malheur des Irakiens ne soit pas une raison suffisante pour traîner les responsables de la guerre en justice. Et les dommages subis par la Grande Bretagne ?
Le dommage moral tout d’abord est considérable. Un pays qui décide d’entrer en guerre sans raison contre un autre, le détruit et transforme la vie de ses habitants en enfer ne peut plus prétendre au respect de l’opinion publique internationale et traînera l’opprobre derrière lui pour longtemps.
Les pertes humaines sont bien sûr irréparables. Et il n’y a pas que les 178 morts auxquels M. Brown a rendu hommage. Il y a aussi les milliers de blessés qui traîneront leur handicap jusqu’à la fin de leurs jours et qui, ne pouvant plus se prendre en charge eux-mêmes, vivront aux frais du contribuable.
Les dommages matériels subis par la Grande Bretagne, même s’ils sont nettement moins importants que ceux subis par les Etats-Unis, pèsent tout de même sur les finances, particulièrement en ces temps de vaches maigres. Le coût total de l’intervention britannique est officiellement évalué à 7, 837 milliards de livres sterling (près de 20 milliards de dinars), c'est-à-dire 3,7 millions de livres par jour (chiffres contestés par l’opposition qui estime les pertes beaucoup plus élevés). Selon les critiques britanniques, cet argent aurait suffi à payer 25 200 enseignants pendant 10 ans ou à construire 107 hôpitaux, ce qui aurait remis sur pied le secteur de santé publique gravement malmené par les ravages de la politique de Margaret Thatcher.
N’y a-t-il pas là suffisamment de raisons pour déclencher une enquête sérieuse contre les responsables de ce désastre et convoquer le premier d’entre eux, Tony Blair ? Celui-ci, dont la conscience ne semble souffrir d’aucun remords, continue à sillonner joyeusement le monde pour accroître sa fortune. Il prétend même pouvoir assumer des responsabilités internationales en tant que médiateur pour la …paix entre Israéliens et Palestiniens.
M. Brown a affirmé devant ses troupes qu’elles quitteront l’Irak en le laissant mieux qu’elles ne l’avaient trouvé. On constate que la manipulation et la tromperie dans cette guerre ne s’étaient pas limitées à l’engagement des troupes, mais elles continuent de plus belle pendant leur désengagement. Prétendre que l’Irak d’aujourd’hui est mieux qu’il ne l’était du temps de Saddam est une tromperie et une manipulation de l’opinion. Tout comme George Bush, Gordon Brown s’accroche de toutes ses forces à l’idée fantaisiste que la guerre a amélioré la situation de l’Irak et le sort des Irakiens. On est en présence d’un cas classique bien connu des psychiatres et dont le développement est proportionnel à l’approfondissement du décalage entre le désir et la réalité.
Un rapport fédéral américain publié il y a quelques jours constate que 100 milliards de dollars consacrés à la reconstruction de l’Irak s’étaient évaporés Dieu sait comment, et que des années d’efforts de reconstruction n’avaient même pas pu réparer ce que la guerre avait détruit. En effet, qu’il s’agisse de l’électricité, de l’eau potable, des réseaux d’évacuation des eaux usées, des secteurs de santé et de l’éducation, sans parler bien sûr de la sécurité et de la paix civile, tous ces domaines vitaux à la vie sociale marchaient tant bien que mal du temps de Saddam et sont actuellement dans un état de délabrement avancé.
Il est vrai que quiconque organise ses visites en Irak à la sauvette et dans le secret le plus absolu, se déplaçant en hélicoptère entre l’aéroport et le « Zone verte », ne peut pas voir l’état de délabrement avancé du pays. Mais les troupes britanniques et américaines savent, elles, parfaitement l’état réel de l’Irak pour avoir contribué largement à la destruction de ses infrastructures, à la mort du vingtième de la population et au déracinement du cinquième. Elles savent, elles, que quand elles quitteront l’Irak les unes après les autres, elles laisseront derrière elles un pays ruiné. Contrairement à ce que disent Bush et Brown.

Tuesday, December 16, 2008

La corde et les chaussures

L’incident des « chaussures volantes » qui a troublé dimanche dernier la conférence de presse du président américain et du Premier ministre irakien à Bagdad s’inscrit dans la logique désastreuse de la mécanique infernale déclenchée par la décision de l’administration de George Bush d’envahir l’Irak le 19 mars 2003. Muntadhar Zaidi est entré dans la conférence de presse en journaliste quasi-anonyme et en était ressorti quelques minutes plus tard, sans ses chaussures, traîné dans ses chaussettes blanches par le service de sécurité, devenant en quelques secondes l’un des journalistes les plus célèbres de la planète. Probablement, depuis la création de la presse, aucun journaliste n’est devenu si brusquement célèbre et de manière si spectaculaire et si rapide que ne l’était dimanche Muntadhar Zaidi.
Muntadhar Zaidi n’a pas agi en tant que journaliste et son geste, contrairement à l’explication de George Bush, n’a rien à voir avec la liberté d’expression et de la démocratie. Muntadhar Zaidi n’a pas agi en tant que journaliste parce que le journaliste n’exprime pas sa liberté d’opinion en lançant ses chaussures à la tête de chefs d’Etat, mais en posant des questions, même les plus embarrassantes, et en commentant l’actualité en toute liberté. Il a agi en citoyen en colère, une colère qui, probablement, s’est transformée en fureur après qu’il ait entendu George Bush affirmer que « la guerre était nécessaire pour la sécurité des Etats-Unis et pour la stabilité de l’Irak ».
Muntadhar Zaidi, de par sa fonction de journaliste, est sans doute beaucoup plus au courant de l’étendue des dégâts subis par l’Irak que ne l’est le citoyen ordinaire. Il a couvert pendant les années de braise pour sa chaîne « Al Baghdadya » les événements dramatiques quotidiens d’une guerre absurde. Il a été le témoin de la destruction systématique de son pays, de la mort de centaines de milliers de ses concitoyens, de l’exil intérieur et extérieur du quart de la population. Il a été lui-même kidnappé, puis relâché et a été même arrêté par l’armée américaine pour des raisons inexpliquées. En se retrouvant dimanche à trois mètres de celui qu’il tient pour responsable de la destruction de son pays, en l’écoutant insister que cette guerre qui a transformé la vie de 20 millions de personnes en enfer « était nécessaire », Muntadhar Zaidi a perdu le contrôle de soi, a oublié sa qualité de journaliste et s’est transformé en citoyen furieux.
Les journalistes du monde entier n’ont aucune raison de se sentir concernés par l’incident des « chaussures volantes », car celui qui les a lancées ne s’est pas exprimé en tant que journaliste, mais en tant que citoyen qui vit de manière intense et intolérable le destruction gratuite de son pays. Et si des millions d’Irakiens sont en train d’exprimer leur joie et de vivre l’incident en tant que « grand soulagement », c’est parce qu’ils ressentent la même peine intense et intolérable que celle ressentie par celui qu’ils considèrent désormais comme leur « héros ». C’est parce que, tout comme Muntadhar Zaidi, ils ne peuvent pas ne pas ressentir comme une « ultime provocation » l’affirmation de George Bush pendant la conférence de presse que « la guerre était nécessaire ».
En toute franchise, si, à quatre semaines de la fin de son mandat, le but de la dernière visite de George Bush à Bagdad était de dire aux Irakiens que « la guerre était nécessaire pour la sécurité des Etats-Unis et pour la stabilité de l’Irak », il aurait pu alors s’abstenir de faire un si long voyage et de prendre de tels risques pour sa sécurité, rien que pour répéter une contre vérité que lui et ses collaborateurs ont remâché de 2002 jusqu’à ce jour. Il aurait pu s'abstenir et faire l'économie d'un grand scandale à lui-même et, travers sa fonction, à son pays.
Non, la guerre n’était pas nécessaire pour la sécurité des Etats-Unis, mais elle a mis en danger leur sécurité. Elle a saigné à blanc un pays si riche et l’a précipité, et le monde avec lui, dans une crise économique et financière inconnue depuis huit décennies. Non la guerre n’était pas nécessaire à la stabilité de l’Irak, parce que, avant que Bush ne décide d’envoyer son armée guerroyer à 10.000 kilomètres de chez elle, l’Irak était l’un des pays les plus stables du monde. Oui, c’est la guerre de Bush qui a rendu l’Irak l’un des pays les plus instables et les plus dangereux du monde.
Cela dit, force est de constater que le mois de décembre se révèle décidément fertile en événements dramatiquement spectaculaires. En termes de conséquences tragiques de cette guerre, nous avons vu pire que de simples godasses voler en direction du président américain en ce mois de décembre. C'est au mois de décembre aussi, n'est-ce pas, que nous avons vu le président irakien la corde au coup le jour le plus sacré du calendrier musulman. Il n’avait malheureusement pas la même agilité d’éviter la corde que George Bush les chaussures.

Saturday, December 13, 2008

Mme Livni et le grand paradoxe

Tzipi Livni, une ancienne du Mossad, a fait irruption sur la scène politique israélienne avec l’idée d’occuper la seconde place que l’histoire d’Israël réserve aux femmes, la première étant occupée par Golda Meir. Cette dernière, rappelons-le, était Premier ministre pendant la guerre israélo-arabe de 1967 et, jusqu’à sa mort, elle avait obstinément nié l’existence même du peuple palestinien. Elle désignait les Palestiniens comme « des gens qui occupent Judée et Samarie (Cisjordanie) et dont le pays se trouve de l’autre côté du Jourdain. »
Ayant Golda Meir pour idéal, Tzipi Livni est en train de mener un combat politique dans l’espoir de lui succéder au poste de Premier ministre et de devenir ainsi la seconde femme à occuper ce poste en Israël. Après la mort clinique d’Ariel Sharon et la démission d’Ehud Olmert du poste de chef du parti Kadima, la voie était ouverte à Mme Livni pour jouer les premiers rôles sur la scène politique israélienne. Sa courte victoire pendant l’élection du chef du parti Kadima a fait d’elle une prétendante sérieuse au poste de Premier ministre, et elle le serait sans doute si elle gagnait les élections législatives anticipées du 10 février prochain.
Ayant en tête l’idée de devenir la seconde femme à occuper le poste de Premier ministre, Mme Livni est en train de faire flèche de tout bois pour arriver à ses fins. Elle a deux sérieux rivaux, Benyamin Netanyahu et Ehud Barack. Pour vaincre ces deux poids lourds de la politique israélienne, elle ne recule devant rien et n’éprouve visiblement aucune gêne à inclure dans sa stratégie électorale les idées les plus saugrenues.
La scène se passait jeudi dernier dans un lycée de Tel Aviv. Au cours de son face-à-face avec les lycéens, Mme Livni a affirmé : « Une fois un Etat palestinien établi, je peux aller vers les citoyens palestiniens, que nous appelons les Arabes d’Israël, et leur dire ‘vous êtes des citoyens avec des droits égaux, mais la solution nationale pour vous se trouve ailleurs’ ». Cette fois, l’idée est exprimée avec plus de clarté que le mois dernier quand Mme Livni a provoqué un tollé parmi les députés arabes israéliens après avoir affirmé que « les choses doivent être claires pour tout le monde : l’Etat d’Israël est le foyer national du peuple juif. »
Selon Mme Livni, ne peuvent vivre dans l’Etat d’Israël que les quatre cinquièmes de la population actuelle. Les Arabes israéliens qui constituent le un cinquième de la population, et bien que, toujours selon Tzipi Livni, ils jouissent de l’ « égalité des droits », ils doivent penser dès maintenant à préparer leur exode et suivre les traces des 700.000 Palestiniens qui, plus de 60 ans auparavant, avaient fui les attaques meurtrières des organisations terroristes juives, Irgoun et Stern notamment, et dont l’un des chefs était justement le propre père de Mme Livni…
Tout d’abord, et contrairement à ce que prétend Tzipi Livni, les Arabes israéliens ne jouissent d’aucune égalité des droits. Ils souffrent d’une discrimination qui les frappe pratiquement sur tous les plans : le travail, le logement, l’éducation, les salaires, la sécurité sociale etc. Les postes que cette dame a occupés au Mossad et dans les structures étatiques israéliennes lui permettaient sans aucun doute de connaître dans les moindres détails la honteuse discrimination dont sont victimes les Arabes israéliens. Par conséquent, quand elle leur dit « vous êtes des citoyens avec des droits égaux », elle se livre à un exercice de pure démagogie électoraliste.
Mais le plus grave est ailleurs. Il est dans cette invitation lancée à un million et demi de personnes à se préparer à quitter leur terre sur laquelle ils vivaient de génération en génération depuis des siècles. Si l’on suit la logique de Mme Livni, les juifs éthiopiens, américains, argentins, et même les Russes avec de faux certificats de judaïté émigrés en Israël ou établis dans les colonies de Cisjordanie depuis quelques années ont tous les droits sur la terre palestinienne. En revanche, ceux dont les ancêtres y vivaient depuis des siècles, doivent se préparer à aller grossir les rangs des réfugiés de 1948 et de 1967 qui, depuis 60 ans pour les uns et 40 ans pour les autres, croupissent dans des camps de réfugiés dépourvus des éléments essentiels nécessaires à la vie et la dignité humaines.
On ne sait pas si c’est un calcul cynique ou si c’est un pur hasard, mais Mme Livni a annoncé son projet pour ses concitoyens arabes à un moment où le monde fête le 60eme anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Palestiniens commémorent le 60eme anniversaire de la Nakba qui a vu la transformation de centaines de milliers d’entre eux en réfugiés.
Le grand paradoxe de notre temps est que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le statut de réfugiés d’une grande partie du peuple palestinien sont nés la même année et ont coexisté pendant 60 ans, la première s’étant révélée entièrement impuissante à secourir ces réfugiés du piège infernal qui s’est refermé sur eux. Se confiant récemment au quotidien libanais « The Daily Star », Karen Abuzayd, commissaire général de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees) a tout dit en une phrase : « Des 28 droits humains fondamentaux contenus dans la Déclaration universelle, pas un seul n’est appliqué dans les territoires palestiniens occupés, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. »
On souhaitait un De Gaulle à la tête du gouvernement israélien, on risque fort de se trouver avec une ancienne espionne qui, loin de chercher à appliquer un ou deux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, compte apporter sa propre solution au grand paradoxe en multipliant par deux le nombre des réfugiés et par dix le nombre des obstacles à la paix israélo-arabe.

Wednesday, December 10, 2008

Ultimes manipulations

Huit ans de présidence désastreuse de George W. Bush ne lui ont visiblement rien appris. Il a commencé sa présidence avec une série de déformations de la réalité et de manipulations pour servir ses objectifs inavoués, et il termine son double mandat en ayant recours aux mêmes procédés dans une vaine tentative de se laver de toute responsabilité des désastres que sa politique a fait subir au monde en général, et à son pays et à l’Irak en particulier.
Lundi 1er décembre, le bientôt-ex-président des Etats-Unis était interviewé sur la chaîne américaine ABC par le journaliste Charlie Gibson. Il était inévitable que certaines questions portassent sur la décision la plus dommageable de sa présidence : la guerre contre l’Irak. « J’aurais souhaité que les renseignements (relatifs aux armes de destruction massive irakiennes) fussent différents », a affirmé le président américain en prenant soin d’afficher l’air de celui qui fut victime d’une grande manipulation de la part des services de renseignement. Quelqu’un qui n’est au courant de rien aurait pu croire que ce président s’était trouvé dans une situation où il n’avait guère le choix que de prendre une décision qui n’était ni prévue ni désirable par la Maison blanche…
Le « souhait » exprimé par George W. Bush sur ABC comporte une double tentative de manipulation. Il a essayé de faire croire d’abord qu’il était un receveur passif de renseignements qui, en se révélant faux, l’ont induit en erreur et l’ont poussé à prendre une mauvaise décision en toute bonne foi. D’autre part, il a tenté de faire passer comme une évidence que les armes de destruction massive irakiennes étaient le casus belli qui avait ouvert la voie à l’invasion de l’Irak.
La problème pour le bientôt-ex-président américain est que tout le monde est au courant des détails et des circonstances dans lesquelles son administration a exploité les dramatiques attentats du 11 septembre pour déclencher la guerre contre l’Irak dont le projet, antérieur à ces attentats, était l’une des priorités stratégiques des néo-conservateurs.
Tout le monde sait que le président George W. Bush, le vice-président Dick Cheney et l’ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld n’étaient pas des consommateurs passifs de renseignements en provenance de la CIA ou de la DIA, loin de là. Ils n’ont jamais caché aux responsables de la CIA le genre de renseignements qu’ils désiraient recevoir. Ils ne prenaient en compte aucune information qui doutait de la présence des armes de destruction massive en Irak, et faisaient grand cas des informations fantaisistes qui accablaient le régime de Saddam Hussein.
Tout le monde sait que la CIA était massivement présente en Irak parmi les milliers d’employés de l’ONU qui avaient sillonné le pays quotidiennement entre 1991 et 1998, et par conséquent, cette Agence savait parfaitement la quantité et la nature exactes des armements irakiens détruits par les inspecteurs de l’ONU. La CIA ne pouvait ignorer non plus que l’Irak de Saddam Hussein ne disposait au début du millénaire ni des moyens humains ni des moyens matériels pour refabriquer ce qui avait été détruit.
Pourtant, George Tenet, l’ancien patron de la CIA avait fourni en 2002 un rapport à l’exécutif américain contenant des renseignements effrayants, suggérant que Saddam Hussein était massivement armé et qu’il s’apprêtait à mettre le monde à feu et à sang. Ces informations n’étaient pas conformes à la réalité, comme on a pu en avoir amplement la preuve, mais conformes plutôt aux désirs de trio Bush-Cheney-Rumsfeld. Dans les mois précédant la guerre, Cheney avait fait pas moins de huit déplacements au siège de la CIA à Langley. Ce n’était sûrement pas pour le simple plaisir de siroter un café avec George Tenet.
Mais dans son ultime tentative de manipulation, George Bush a essayé de nous faire croire que le but de la guerre était les armes de destruction massive. Faux. Celles-ci n’étaient que le prétexte que la CIA était forcée de fournir. Le vrai objectif de la guerre était de créer une immense base militaro-pétrolière en Irak qui serait mise au service des intérêts économiques et stratégiques américains tels que se les représentaient les néo-conservateurs. George Tenet, celui-là même qui avait fourni le prétexte à George Bush, avait affirmé en avril dernier au journaliste Scott Pelley au cours de l’émission télévisée « 60 Minutes » qu’au lendemain des attaques du 11 septembre la Maison blanche avait commencé à utiliser la tragédie pour justifier ce qu’elle avait déjà planifié pour l’Irak. Tenet avait rapporté au cours de l’émission ce que lui avait dit Richard Perle, alors conseiller au Pentagone, le 12 septembre 2001 : « L’Irak doit payer le prix de ce qui est arrivé hier. Ils assument la responsabilité. » Sans parler de Rumsfeld qui, alors qu’une aile du Pentagone était encore en feu le 11 septembre, affirmait sans ambages qu’ « il n’y avait rien à bombarder en Afghanistan » et que les « vraies cibles » se trouvaient en Irak.
Deux ou trois jours après George Bush, Condoleezza Rice entra dans la danse en regrettant de son côté que les « renseignements sur l’Irak fussent faux ». Cette ultime tentative de manipulation par la secrétaire d’Etat fait surgir de mauvais souvenirs. Son regret actuel ne devrait pas être plus crédible que sa mise en garde lancée en 2002 quand elle avait affirmé que « la preuve des armes de destruction massive risque de prendre la forme d’un champignon », un clin d’œil manipulatoire à l’arme nucléaire destiné à affaiblir l’opposition universelle à la guerre.
Trois semaines avant leur départ, Bush et son équipe s’efforcent de convaincre les Américains qu’ils leur laissent un « meilleur Moyen-Orient » puisque « le dictateur Saddam était renversé » et que l’Irak est désormais « démocratique ». Nul ne nie que Saddam était un dictateur impitoyable, mais il faut une bonne dose de mauvaise foi pour pouvoir dire que le monde était devenu plus sûr après son renversement. La vérité est que le monde est devenu nettement plus dangereux depuis que George Bush a commencé, au lendemain des attentats du 11 septembre, à déstabiliser le système international en remplaçant le règne du droit par le règne de la force brutale.

Friday, December 05, 2008

La haine, mode de vie des colons

Si l’on se fie à la logique des chiffres, il est difficile de concevoir que 800 personnes peuvent terroriser impunément pendant des années 200.000 personnes. On sait que dans plusieurs endroits sur terre, les minorités souffrent des exactions infligées par les majorités. En Cisjordanie, et à Hébron (Al Khalil) en particulier, on assiste à ce qu’il faut bien appeler le règne de la terreur imposé par une poignée de colons fanatisés à l’extrême aux 200.000 Palestiniens au milieu desquels ils vivent depuis de longues années.
Au fil des ans, cette terreur a fini par se banaliser grâce à la conjonction de trois facteurs : la fréquence des actes de hooliganisme juif ; la partialité de l’armée israélienne qui intervient quand un Palestinien excédé jette une pierre à des colons et regarde de l’autre côté quand ceux-ci se livrent à des actes de lynchage contre des civils palestiniens ; l’indifférence de la communauté internationale, et des instances de l’ONU en particulier, qui n’ont jamais demandé le moindre compte à Israël sur les actes de terrorisme perpétrés quasi-quotidiennement par les colons installés au cœur de la ville de Hébron et par ceux des colonies de Kiryat Arbaa ou d’Itzhar, pour ne citer que les plus fanatisés.
Venus de divers coins du monde, principalement des Etats-Unis, les colons de Hébron se sont arrogés le droit de s’installer au milieu de 200.000 Palestiniens sur la base de l’idée mythique qu’Abraham, Jacob, Itzhak et leurs épouses sont enterrées dans cette ville dans ce qu’ils appellent le « caveau des patriarches ». La protection dont ils bénéficient de la part de l’armée israélienne les a confortés dans leur « droit » et les a encouragés à développer une agressivité qui, au fil des ans a évolué impunément en véritable terrorisme anti-palestinien.
Ces colons ont développé une culture de la haine qui a évolué de sentiment négatif en un véritable mode de vie qui détermine le comportement des petits et des grands vis-à-vis des Palestiniens. Il faut avoir visité Hébron et s’être promené dans les quartiers adjacents au « caveau des patriarches » pour comprendre pleinement cette transformation de la haine en mode de vie. Cette haine a été si insidieusement instillée dans l’âme des enfants des colons qu’il est très fréquent de voir des gamins de six à dix ans cracher au passage d’un vieillard palestinien ou se pencher pour ramasser une pierre et la lui lancer dans le dos.
Le mélange de fanatisme, d’impunité et de complaisance de l’armée israélienne vis-à-vis des exactions des colons a développé en eux la conviction que les lois, les règlements et les décisions de justice terrestre ne les concernent pas. Ils sont là par une sorte de « décision divine » qui transcende toutes les autres décisions et, par conséquent, quiconque s’oppose à leur hooliganisme, à leur vandalisme et à la sauvagerie avec laquelle ils sèment la terreur parmi la population palestinienne commet un « péché » contre la « volonté divine » qui a accordé « Eretz Israël » aux Juifs et dont les colons sont bien évidemment « les grands défenseurs ».
Le réveil des autorités israéliennes, vendredi dernier, a été brutal. Elles ont pu mesurer ce jour-là l’étendue des dégâts causés par une politique d’encouragement de la colonisation et de protection systématique des hordes de colons dans leurs violentes expéditions anti-palestiniennes menée pendant des décennies. Pour ces colons fanatiques, la protection dont ils ont toujours bénéficié de la part de l’Etat israélien est un devoir. Mais il a fallu qu’une fois cet Etat décide d’appliquer une décision de justice relative à l’évacuation d’une maison palestinienne occupée par la force pour qu’il devienne « un Etat nazi » et les soldats chargés de déloger les occupants soient qualifiés de « troupes SS » (référence aux troupes hitlériennes). Plus ridicule encore, ces colons déchaînés n’ont pas hésité à accrocher l’étoile jaune sur leur poitrine, histoire de rappeler l’un des épisodes les plus humiliants de l’histoire juive, dans une vaine tentative de rallier à eux les soldats chargés de les expulser de leur squat.
L’évacuation de la maison palestinienne n’a pas résolu le problème, bien au contraire. Les deux cents colons évacués par la force se sont déchaînés contre la population palestinienne, endommageant des dizaines de maisons et de voitures, mettant le feu à des oliveraies et terrorisant femmes et enfants. Des journalistes israéliens présents ont décrit de manière pathétique l’effroi sur le visage des enfants palestiniens qui « se voyaient déjà morts par lynchage ».
Pourquoi l’armée israélienne se montre-t-elle si impuissante face à une poignée de colons et si puissante quand elle fait face au peuple palestinien ? Parce que contre les colons, même les bâtons sont interdits et contre les Palestiniens même les bombes d’une tonne pièce sont permises. Le président Mahmoud Abbas a parfaitement raison d’en appeler au Conseil de sécurité. Celui-ci a souvent pris des décisions urgentes suivies de l’envoi de casques bleus pour protéger des minorités menacées dans leurs vies par des majorités. Il devrait se pencher sans délai sur cette situation unique dans l’histoire humaine où une immense majorité de 200.000 personnes est quotidiennement harcelée et menacée dans la vie de ses membres et de leurs biens par une infime minorité de 800 colons fanatiques et haineux.

Tuesday, December 02, 2008

Inde-Pakistan: l'intérêt des extrémistes et celui des Etats

Les « fuites » parvenues à la presse concernant l’interrogatoire de Azam Amir Qasab, seul terroriste capturé vivant, vous font dresser les cheveux sur la tête. D’après ces révélations, les terroristes et ceux qui les ont entraînés et envoyés à Mumbai (l’ancienne Bombay) avaient espéré « tuer jusqu’à 5000 personnes »…2000 de plus que les attentas du 11 septembre 2001.
C’est à croire qu’il y a une sorte de compétition macabre entre les différents groupes terroristes à qui tue le plus d’innocents. Une preuve irréfutable de cette course terrifiante au massacre d’innocents est le choix de la gare de Mumbai comme première cible. Les terroristes savaient qu’au moment de leur attaque, des milliers de voyageurs devaient être massées sur les quais et attendaient les trains de banlieues et des grandes lignes. En ouvrant le feu à l’arme automatique sur des milliers de personnes massées sur des endroits aussi étroits que les quais d’une gare, donne une grande crédibilité à l’information arrachée à Azam Amir Qasam que lui et ses amis étaient venus à Mumbai pour « tuer jusqu’à 5000 personnes ».
Toujours d’après des sources indiennes, le terroriste survivant interrogé par les enquêteurs hindous a affirmé que lui et ses amis, tous pakistanais, faisaient partie de l’organisation terroriste « Lashkar-e-taiba » (l’armée des pieux), et étaient entraînés dans ses camps au Cachemire. Cette organisation était créée en 1981 par Hafiz Mohammad Saeed dans la province du Kunar en Afghanistan pour lutter contre le régime communiste qui régnait alors à Kabul. Au fil des ans, elle a développé des liens très étroits avec Al Qaida et les talibans. Quand « Lashkar-e-taiba » a déménagé au Cachemire pour s’engager dans « la guerre de libération » de la province que se disputent l’Inde et le Pakistan, elle a bénéficié de l’aide d’Al Qaida et des talibans pour « services rendus » en Afghanistan.
La guerre de libération a ses règles et son éthique. Quand celles-ci sont respectées, les guérilleros ou l’armée de libération bénéficient souvent du respect et de l’aide de l’opinion internationale. Il se trouve que, par fanatisme idéologique ou par inadéquation entre l’objectif tracé et les moyens mis en œuvre pour le réaliser, « Lashkar-e-taiba » a déraillé pour sombrer dans le terrorisme aveugle et contre productif. On voit mal en quoi les innombrables opérations terroristes menées par cette organisation en Inde pourraient aider à « la libération » du Cachemire. L’organisation est devenue dangereuse pour le Pakistan, et même pour le monde, puisqu’elle a failli déclencher une guerre entre deux pays détenteurs de l’arme nucléaire après l’attaque perpétrée contre le parlement indien à New Delhi en 2001.
Il est hautement improbable que l’un ou l’autre des dix terroristes envoyés à Mumbai pour y semer la mort et le destruction aient la moindre idée ou puissent donner la moindre justification rationnelle de leur action insensée. Leur jeune âge (le terroriste capturé a 21 ans) prouve amplement que, comme les jeunes suicidaires en Irak et en Afghanistan, les terroristes de Mumbai ont subi un lavage de cerveau destiné à les fanatiser, les débarrasser de toute lucidité et de tout esprit critique et de les transformer en monstres avant de les envoyer perpétrer leur effroyable crime.
Mais ce n’est pas le cas des chefs de « Lashkar-e-taiba » qui, eux, devraient avoir une idée derrière la tête. Il est difficile de croire que Maulana Abdelwahid kashmiri, le commandant militaire de l’organisation terroriste, ou son chef spirituel, Hafiz Mohammad Saeed, aient envoyé les dix jeunes terroristes à Mumbai pour le simple plaisir pervers de voir le sang d’innocents couler à flot.
Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les Etats-Unis n’ont pas arrêté d’exercer de fortes pressions sur les gouvernements pakistanais successifs pour qu’ils jugulent le terrorisme dans leur pays avec ses trois principales composantes : la variante pakistanaise des talibans au Waziristan, « Lashkar-e-taiba » et « Jaish Mohammad » au Cachemire. Les pressions américaines que le gouvernement pakistanais ne pouvait ignorer sont un élément déterminant dans la dégradation des rapports entre l’Etat et les groupes terroristes pakistanais. Cette dégradation a atteint son apogée en septembre dernier avec l’attaque dévastatrice de l’hôtel « Marriot » à Islamabad, un établissement de luxe où se relaxaient les riches étrangers et l’élite pakistanaise. L’attaque qui porte la marque de « Lashkar-e-taiba » indique que rien ne va plus entre l’organisation terroriste et l’Etat pakistanais qui l’a soutenue pendant de longues années.
Celle-la reproche à celui-ci à la fois sa soumission aux pressions américaines et son ouverture vers l’Inde avec qui un processus de paix était déjà engagé. Le second grief surtout est intolérable pour une organisation comme « Lashkar-e-taiba » qui ne conçoit son existence que par opposition à l’Inde. De là à penser que ses chefs ont préparé le « coup » de Mumbai pour mettre fin à cette ouverture, il n’y a qu’un pas que beaucoup de commentateurs ont franchi.
Cette hypothèse est loin d’être absurde. Le groupe terroriste basé au Cachemire a une idéologie basée sur une « inimitié éternelle » avec l’Inde. Par conséquent, il a dû voir forcément d’un très mauvais œil les récentes déclarations du président pakistanais Asif Ali Zardari relatives à l’Inde qualifiée d’ « amie qui n’a jamais menacé le Pakistan », traitant au passage « Lashkar-e-taiba » d’ « organisation terroriste ».
Perpétrées par la même organisation terroriste, l’attentat contre le « Mariott » et les attaques contre Mumbai font partie d’un projet global consistant à semer le chaos au Pakistan et en Inde et maintenir ces deux pays dans un état de suspicion et de méfiance permanentes. Le drame est que, après avoir réussi ses attentats à Islamabad et à Mumbai, « Lashkar-e-taiba » est en train d’engranger les bénéfices politiques au fur et à mesure que la tension croît entre l’Inde et le Pakistan.
Comme tous les extrêmes se rejoignent, les attentats de Mumbai sont un pain béni pour les organisations terroristes hindoues, telle « Abinav Bharat », responsables d’attaques mortelles contre les musulmans et les chrétiens, puisqu’elles aussi ne conçoivent leur existence que par opposition au Pakistan, et donc voient d’un très mauvais œil l’amélioration des relations indo-pakistanaises. Par conséquent, les organisations extrémistes des deux côtés de la frontière qui se vouent une haine implacable ont un intérêt commun à ce que les rapports indo-pakistanais soient imprégnés par une tension permanente.
Les pouvoirs en place à New Delhi et à Islamabad ont aussi un intérêt commun qui consiste à éloigner le spectre de la guerre et à promouvoir une coopération mutuellement bénéfique. Et un tel intérêt ne peut se réaliser tant que les extrémistes des deux côtés ont pignon sur rue et disposent de l’armement et des moyens logistiques par lesquels ils continuent de dérailler toute tentative de normalisation indo-pakistanaise.