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Tuesday, January 29, 2013

Afghanistan: l'histoire dans tous ses états

Il y a longtemps, les Américains étaient englués dans le bourbier vietnamien et ne savaient pas comment s’en sortir. Un congressiste de l’époque avait eu une idée géniale qui aurait pu, si elle avait été suivie, faire l’économie de plusieurs centaines de milliers de morts. Ce représentant américain avait proposé au président Johnson de « déclarer la victoire et partir ». Le fort lobby militariste aux Etats-Unis et la détermination des « faucons » de la Maison blanche, du Pentagone et du département d’Etat avaient fait en sorte que la guerre aille jusqu’au bout. Jusqu’à la défaite humiliante des Etats-Unis, le jour de la chute de Saigon le 30 avril 1975. Les Etats-Unis faisaient assumer la responsabilité de leur défaite et du traumatisme qui s’en était suivi à l’Union soviétique, leur grande rivale de l’époque, pour l’aide massive dont elle faisait bénéficier le Vietnam du nord. La rancune de Washington vis-à-vis de Moscou était si forte que la Maison blanche ne pouvait s’empêcher de se fixer pour objectif de rendre la pareille à l’Union soviétique. Celle-ci n’avait pas tardé à fournir elle-même l’occasion pour les Etats-Unis de se venger. Quatre ans et huit mois exactement après la défaite américaine au Vietnam, et alors que l’Amérique n’avait pas encore été guérie de son traumatisme, l’URSS envahit l’Afghanistan fin décembre 1979. Pour Leonid Brejnev et ses amis du bureau politique du Pati communiste de l’Union soviétique, il s’agissait d’une petite ballade militaire tendant à soutenir le communiste Babrak Karmal, alors au pouvoir en Afghanistan, contre « les forces réactionnaires soutenues par les forces impérialistes », pour reprendre le jargon très en vogue à l’époque. Mais c’était compter sans le désir ardent de Washington d’ « aider » l’Union soviétique à avoir son propre Vietnam. Pendant neuf ans, de 1980 à 1989, les Etats-Unis avaient eu largement le temps de prendre leur revanche en rendant la pareille à l’Union soviétique. Pendant neuf ans, Washington avait fait preuve d’une grande générosité avec la résistance afghane. L’aide en argent et en matériel militaire était évaluée en milliards de dollars. Si l’armée américaine était battue par les combattants vietnamiens grâce à l’aide massive de Moscou, l’Union soviétique était battue par les combattants afghans grâce à l’aide massive de Washington. La retraite soviétique d’Afghanistan était certes moins spectaculaire et moins humiliante que la retraite américaine du Vietnam, mais elle était plus désastreuse dans le sens où elle avait accéléré substantiellement le processus de désintégration de l’Union soviétique. Le problème avec la grande puissance américaine est que, en dépit du nombre incalculable d’Instituts d’études stratégiques, de Fondations et de Think-Tanks à la disposition des décideurs de Washington, elle n’arrive pas à tirer les leçons de l’amère expérience soviétique en Afghanistan et se laisse si facilement happer par ce même piège afghan qu’elle avait laborieusement tendu à l’ennemi soviétique. Le 7 octobre 2001, c'est-à-dire 26 jours exactement après les attaques terroristes du 11 septembre contre New York et Washington, l’armée américaine entama ses bombardements contre le régime des talibans dont le chef, le Mollah Omar, refusait de livrer son ami Oussama Ben Laden aux Etats-Unis qui le réclamaient. Les B-52 qui avaient servi au Vietnam étaient remis en service et envoyés en Afghanistan où ils avaient massivement bombardé les montagnes de Tora-Bora, refuge des terroristes d’Al Qaida. Il est bien évident que le régime moyenâgeux des talibans ne pouvait pas résister aux tapis de bombes des B-52. En quelques jours, leur régime s’est écroulé et les talibans, arrivés au pouvoir en 1996 avec l’aide du Pakistan, se sont retrouvés de nouveau réfugiés chez leur bienfaiteur. Les Etats-Unis, enivrés par l’extraordinaire facilité avec laquelle ils ont balayé le régime des talibans, avaient aussitôt commencé à rechercher un autre ennemi à terrasser, et ce fut l’Irak. Et ce fut l’erreur fatale de Washington. En se détournant aussi vite du théâtre afghan et en déclarant la guerre à l’Irak, les Américains s’étaient tendus eux-mêmes deux pièges inutiles qui se sont avérés désastreux pour l’armée et le Trésor américains, mais surtout pour les peuples irakien et afghan qui, jusqu’à ce jour, ne connaissent aucun répit. Si, après un drame biblique qui avait fait des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés, et un trillion de dollars partis en fumée, les Etats-Unis étaient parvenus tant bien que mal à quitter le piège irakien, ils n’arrivent toujours pas à s’extraire du piège afghan. Onze ans après leur débandade sous le tapis de bombes des B-52, les talibans, grâce à la « diversion irakienne », ont eu largement le temps et le loisir de se regrouper et de mener la vie dure à l’armée américaine, à un point tel que beaucoup d’observateurs commencent à trouver en Afghanistan des similitudes entre l’embourbement des Soviétiques hier et celui des Américains aujourd’hui. C’est à un retournement extraordinaire de l’histoire qu’on assiste maintenant en Afghanistan. Hier les Américains étaient euphoriques d’avoir balayé le régime des talibans en quelques semaines, aujourd’hui, les talibans sont euphoriques à l’idée, loin d’être saugrenue, d’infliger à la fin aux Etats-Unis la même défaite que celle essuyée en 1989 par l’Union soviétique. Cette euphorie est clairement lisible dans un document publié le mercredi 2 janvier par les talibans, intitulé « Quick glance at 2012 » (Rapide coup d’œil à 2012). Dans ce document, les talibans affirment que « les forces de la coalition ont perdu toute volonté de se battre et ont pratiquement entamé le processus de retrait et de retraite. » Les talibans ajoutent : « Nous pouvons affirmer sans risque d’erreur que l’année 2012 en Afghanistan pour l’occupation actuelle est exactement la même que l’année 1986 pour l’occupation précédente. » En effet, il est communément admis que l’année 1986 constituait un tournant dans la guerre de la résistance afghane contre l’occupant soviétique. C’était l’année où les attaques de la résistance s’étaient fortement intensifiées, prenant un rythme croissant, et mettant l’armée soviétique sur la défensive jusqu’au retrait de 1989. Le retrait des forces de la coalition, qui comptent plus de 100.000 hommes, est prévu pour la fin de l’année 2014. Onze ans après le début de la guerre, l’échec des Américains et de leurs alliés est patent. Leur retrait prévu d’ici à deux ans sonnera très probablement comme une retraite. Le malheur est que, comme le retrait soviétique en 1989 avait ouvert la voie à une guerre civile atroce qui n’avait pris fin qu’en 1996 avec la victoire des talibans, le retrait américain de 2014 risquera d’engendrer une autre guerre civile. Ces craintes sont réelles au regard de l’histoire tumultueuse de cette terre maudite. Cette terre afghane où, depuis des siècles, l’histoire n’a pas connu de répit. Ce pays étrange où l’histoire a toujours été agitée et dans tous ses états.

D'In Amenas à l'université d'Alep

Ils étaient des centaines d’Algériens et des douzaines d’étrangers à travailler sereinement dans le complexe gazier d’In Amenas, ce mercredi 16 janvier, quand les terroristes surgirent. Ceux-ci étaient une quarantaine, dont « 11 Tunisiens », selon les sources officielles algériennes. Cette prise d’otages spectaculaire est à la mesure de la frustration et des pertes subies par les jihadistes au Mali qui, avec l’intervention de l’armée française, voient leur rêve de bâtir dans ce pauvre pays africain « le premier noyau de l’Etat du Khalifa » s’effondrer. L’attaque contre l’un des centres névralgiques de l’économie algérienne par une quarantaine de terroristes vise un triple objectif. Elle vise d’abord à « punir » les autorités algériennes d’avoir permis le survol du territoire par les avions militaires français qui se dirigeaient vers le Mali. Elle vise ensuite à se doter des moyens de faire des pressions sur l’armée française pour l’amener, par le biais du chantage à mettre fin à son intervention auprès des Maliens. Elle vise enfin à s’emparer du maximum d’otages originaires des pays riches afin de monnayer leur libération au prix fort, comme le fait, du reste, depuis des années Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Aucun de ces objectifs n’a été atteint et tous terroristes ont été liquidés, à part trois quatre qui ont été arrêtés par l’armée algérienne. Des arrestations que les Algériens jugent « extrêmement importantes » puisqu’elles peuvent générer des informations précieuses sur les activités secrètes des groupes terroristes dans le Sahel africain. Mais l’aspect le plus dramatique de cette prise d’otages est qu’elle a engendré la mort d’une trentaine de personnes innocentes de différentes nationalités. Au début, et sous le choc causé par l’ampleur du nombre des victimes, certains gouvernements, notamment à Londres et à Tokyo, ont émis certaines critiques sur la manière suivie par les Algériens de libérer les otages. Mais très vite les critiques se sont tues et les témoignages d’approbation et même de félicitation ont afflué de toutes parts vers l’Algérie. Le monde a compris que les autorités algériennes ne pouvaient pas agir autrement pour deux raisons fondamentales. D’abord, le site attaqué est un complexe gazier que les terroristes n’auraient pas beaucoup de difficultés à faire exploser, une perspective effrayante qui a poussé les autorités algériennes à mettre au point « une stratégie très complexe » afin de sauver à la fois le site industriel et ceux qui y travaillent. Ensuite, les blessures de la « décennie sanglante » sont encore vives en Algérie pour que les autorités de ce pays changent de stratégie et envisagent une quelconque négociation avec les terroristes. Pour leur protection et pour la réussite de leur opération, les terroristes comptaient sur le nombre d’étrangers qu’ils comptaient capturer pour s’en servir, dans leur fuite planifiée, comme bouclier contre les attaques attendues de l’armée algérienne. Mais, avec le bombardement des premières voitures chargées d’otages, il était évident dès le début que la priorité des priorités pour les autorités algériennes était de ne laisser aucun terroriste fuir avec des otages. Face à cette détermination des autorités algériennes, il y a celle des terroristes qui, après s’être convaincus qu’ils ne sortiront pas vivants du piège qu’ils se sont eux-mêmes tendu, et fidèles à l’inhumanité intrinsèque qui les caractérise, ces « signataires dans le sang » ont décidé d’emporter avec eux dans l’au-delà les otages qu’ils n’ont pu amener loin dans désert africain. C’est ce qui explique le nombre élevé des victimes innocentes. Le site gazier d’In Amenas était la semaine dernière le théâtre d’une nouvelle bataille de la guerre larvée qui oppose depuis plus deux décennies les autorités algériennes au terrorisme. Encore une fois une bataille gagnée par les autorités algériennes, et encore une fois une bataille perdue par les terroristes. Au-delà des quarante preneurs d’otages, des voitures et de l’arsenal d’armements perdus par les organisations terroristes actives dans le désert africain, la bataille d’In Amenas, en termes de stratégie, pourrait engendrer des répercussions désastreuses pour les jihadistes du Sahel. Ayant entrepris leur prise d’otages spectaculaire dans l’objectif immédiat et urgent d’alléger la pression exercée sur les combattants islamistes au Mali par l’entré en action de l’armée française, c’est l’effet contraire qui risque de se produire. La France ne sera que plus déterminée à libérer « la totalité du territoire malien », et ses alliés allemand, britannique, américain et autres, après le drame d’In Amenas, seront très probablement plus motivés encore à apporter leur aide Mais le drame d’In Amenas ne risque-t-il pas d’avoir des réverbérations sur des milliers de kilomètres, jusqu’en Syrie où les mêmes jihadistes avec les même objectifs et le même drapeau noir sont en train de combattre depuis près de deux ans le régime de Bachar Al Assad ? En effet, la prise d’otages spectaculaire du site gazier algérien ne peut pas ne pas mettre dans l’embarras la France, la Grande Bretagne, les Etats-Unis et quelques autres qui soutiennent l’opposition syrienne, hétéroclite certes, mais dont la composante essentielle est Jibhat Annusra. En termes de cruauté et d’inhumanité, ce front de jihadistes en Syrie n’a rien à envier aux combattants d’AQMI et d’Ansar Eddine dans le Sahara africain. Il y a quelques jours, une opération terroriste menée en Syrie contre l’université d’Alep était plus dramatique encore que le drame d’In Amenas, même si elle était nettement moins médiatisée : un véhicule piégé a explosé au sein de l’université au moment où les étudiants passaient l’examen. Bilan, 80 morts parmi les étudiants et leurs professeurs, sans compter les blessés. Au-delà des contextes très différents des drames d’In Amenas et de l’université d’Alep, les responsables appartiennent à la même nébuleuse terroriste qui, en Afghanistan, en Irak, en Algérie ou en Syrie, pour ne citer que ces pays, a largement démontré son mépris pour la vie humaine et sa haine pour toutes les valeurs qui font la grandeur de l’homme. Peut-être la France et ses alliés européens et américain devraient repenser leur stratégie en Syrie en cherchant d’autres moyens de convaincre Bachar Al Assad de quitter le pouvoir, plutôt que de continuer à soutenir directement ou indirectement les terroristes de Jibhat Annusra, dont la bataille contre le dictature syrienne se résume à faire exploser des voitures piégées n’importe où, peu importe l’identité des morts, pourvu qu’ils tombent en grand nombre. Comme à l’université d’Alep.