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Wednesday, September 29, 2010

La cause palestinienne entre espoir et désespoir

En se rendant à l’esplanade des mosquées le 28 septembre 2000, Ariel Sharon ne comptait pas effectuer une visite de courtoisie, mais visait à mettre sur les rails un stratagème qui devait lui permettre de reprendre les rênes du pouvoir en Israël. Il ne restait plus alors que quelques semaines au lancement de la campagne électorale, et Sharon savait que sa chance résidait dans une explosion de violences dans les territoires occupés. D’où sa provocation calculée et étudiée minutieusement.
Il n’y avait absolument aucune autre raison qui expliquerait la promenade de Sharon sur l’esplanade des mosquées, sous la protection de dizaines de gardes du corps lourdement armés, sinon de provoquer une réaction violente de la part des Palestiniens, qui provoquerait une réaction plus violente de la part de l’armée israélienne, qui déclencherait une seconde intifada, qui, à quelques semaines des élections, mobiliserait les électeurs israéliens derrière leur « homme fort ».
Et de fait, le stratagème s’était révélé payant pour son concepteur. Sharon était élu le 5 février 2001 par 62,4% des voix contre seulement 37,6% pour son rival Ehud Barak. Etant devenu Premier ministre, il avait réussi au-delà de ce qu’il espérait à attirer la résistance palestinienne dans le piège de la violence, dans le cadre d’une confrontation trop déséquilibrée. En se laissant attirer dans le piège d’une confrontation armée dans laquelle ils étaient trop désavantagés par rapport à un adversaire dont la supériorité en nombre et en matériel de guerre était écrasante, la résistance palestinienne avait offert à Sharon le prétexte qui lui avait permis d’assouvir sa haine inextinguible contre les peuple palestinien. Rappelons-nous la destruction aussi gratuite qu’impitoyable de la ville de Jénine au printemps 2002, ordonnée par Sharon…
La première intifada, celle de la pierre, déclenchée en décembre 1987, avait abouti aux accords d’Oslo et à la poignée de mains historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin le 13 septembre 1993 à la Maison blanche. Nul ne peut dire quelle tournure aurait pris l’histoire au Proche-Orient, si Rabin n’avait pas été assassiné le 4 novembre 1995 par un extrémiste juif au cœur de Tel Aviv et sous les yeux de 150.000 personnes, venues soutenir le processus de paix.
L’assassinat de Rabin avait ouvert la voie à Netanyahu qui devint Premier ministre en 1996 avec la ferme intention d’enterrer les accords d’Oslo, dont il était l’un des plus fervents adversaires. Il avait réussi au-delà de ses rêves les plus délirants. Aujourd’hui, 23 ans après la première intifada, ce soulèvement emblématique qui avait suscité d’immenses espoirs, n’est plus qu’une page parmi d’autres de l’histoire tragique du peuple palestinien. Avec du recul, et si l’on veut parler franchement, ce premier soulèvement, où la pierre était l’arme de prédilection des Palestiniens, n’avait contribué ni à l’amélioration de leur situation matérielle ni, encore moins, à leur libération.
Dix ans après son déclenchement, la deuxième intifada, où le fusil, la ceinture d’explosifs et les missiles artisanaux ont remplacé la pierre, n’a pas eu de meilleurs résultats. Pire encore, si la première intifada avait suscité d’importants élans de soutien et de sympathie pour le peuple palestinien, la deuxième avait versé de l’eau au moulin de ses adversaires qui n’avaient pas raté l’occasion de dépoussiérer leurs théories usées du « terrorisme palestinien » et de « l’autodéfense israélienne », annulant du coup une bonne partie du capital de sympathie accumulé lors du soulèvement de décembre 1987.
Dix ans après le déclenchement de la deuxième intifada, le peuple palestinien se trouve confronté à un grand problème, ou plutôt à deux grands problèmes. Le premier est celui de l’inefficacité de la lutte armée qui n’a finalement servi qu’à verser surtout le sang palestinien, à accroître sa misère et à exacerber ses difficultés. Le second problème est celui de l’inutilité du processus de paix qui, jusqu’à présent, n’a servi à rien sinon d’alibi aux gouvernements successifs israéliens dans la mesure où il donnait l’impression au monde qu’Israël cherchait un accord de paix, alors que dans la réalité il était plutôt engagé frénétiquement dans l’entreprise de colonisation. Une entreprise qui, bien qu’illégale aux yeux du droit international, a été le principal cheval de bataille des Premiers ministres israéliens, de Menahem Begin à Benyamin Netanyahu. Tous sans exception se sont efforcés de changer la réalité sur le terrain dans le but évident de rendre matériellement impossible l’établissement d’un Etat palestinien.
Que conclure après un constat aussi désolant ? Après deux intifadas qui n’ont abouti à rien et l’échec aussi bien de la lutte armée que du processus de paix ? D’abord une évidence : Israël a jusqu’ici réussi à avoir tout ce qu’il veut, soit par la force en mobilisant son armée, soit par le chantage en mobilisant son lobby aux Etats-Unis. Quant aux Palestiniens, n’ayant ni les attributs de la force ni les moyens de faire chanter qui que ce soit, leurs revendications sont restées lettre morte, et cela dure depuis des décennies.
Mais il y a une autre évidence constituée de deux motifs contradictoires : un motif d’espoir et un motif de désespoir. Le premier est soutenu par l’idée qu’en dépit des innombrables échecs, le peuple palestinien n’a jamais jeté l’éponge. Il continue de s’accrocher à ses droits légitimes dont la revendication est transmise de génération en génération. Le second motif est réellement désespérant. Comment ne pas désespérer en effet face à cette faramineuse capacité de la « communauté internationale » à tolérer pendant si longtemps l’injustice et à se montrer si complaisante avec les oppresseurs ?

Saturday, September 25, 2010

A propos d'une "mort" annoncée de l'UE

Jean Monnet, Robert Shuman et Konrad Adenauer, les pères fondateurs de l’Europe, doivent se retourner dans leurs tombes et leur repos éternel doit être perturbé. Leur belle réalisation européenne, qui force l’admiration et l’envie un peu partout dans le monde, menace de prendre eau de toute part et de s’écrouler. C’est du moins ce que l’on comprend après la lecture de l’article de Charles Kupchan, publié dans le Washington Post le dimanche 29 août sous le titre : « As nationalism rises, will the European Union fall ? » (Avec la montée du nationalisme, l’Union européenne va-t-elle s’écrouler ? »
Charles Kupchan est un observateur assidu de la scène mondiale. Il enseigne les relations internationales à l’université Georgetown de Washington. Auteur de plusieurs livres et d’articles qui tournent pour la plupart autour de la politique étrangère américaine et des relations complexes entre les Etats-Unis et l’Europe.
Son dernier article, il le commence brutalement : « L’union européenne est en train de mourir. Non pas d’une mort dramatique ou subite, mais lente et certaine. Un jour pas très lointain, nous pourrons regarder à travers l’Atlantique et réaliser que le projet d’intégration européenne, que nous avons pris pour argent comptant durant un demi siècle, n’est plus. »
Son principal argument de cette mort annoncée de l’Union européenne est puisé dans la série des élections qui se sont déroulées ces derniers temps dans divers pays européens et qui ont abouti à des résultats assez substantiels réalisés par les partis d’extrême droite connus pour être d’un nationalisme à fleur de peau et viscéralement eurosceptiques. C’est ce qui a amené notre auteur à conclure que « de Londres à Berlin, en passant par Varsovie, l’Europe est en train d’expérimenter une renationalisation de la vie politique, avec des pays qui s’accrochent de nouveau à une souveraineté qu’ils avaient un jour volontairement sacrifiée au bénéfice d’un idéal commun. »
C’est un fait que depuis un certain temps, chaque fois qu’une élection a lieu dans un pays européen, l’extrême droite réalise des scores qui font rougir de jalousie (et de honte) la gauche et la droite classiques. Le dernier exploit de ce courant très nationaliste et excessivement xénophobe, a eu lieu en Suède, un pays pourtant connu pou sa tolérance et sa générosité.
C’est un fait aussi que le traité établissant une Constitution pour l’Europe, le plus important depuis le traité de Rome de 1957, a été rejeté par les Français et les Néerlandais en 2005, obligeant les technocrates européens à concocter en catastrophe un nouveau document beaucoup moins ambitieux, le traité de Lisbonne, lui-même rejeté par les Irlandais en 2008, avant d’être finalement accepté à leurs conditions un an plus tard.
C’est un fait également que la crise financière qui a secoué récemment l’Europe a mis à nu les instincts primaires de l’égoïsme et réveillé les sentiments refoulés du nationalisme parmi les peuples de l’Union européenne. Les Allemands ont dit « Nein » à toute aide à la Grèce, allant jusqu’à proposer aux Grecs de vendre quelques unes de leurs îles pour résoudre leurs problèmes financiers. Et si Mme Merkel a finalement accepté de signer un chèque, c’est moins par solidarité européenne que par peur que la crise grecque ne débouche sur de graves perturbations dans l’ensemble de la zone euro.
C’est un fait enfin que la génération qui a vécu dans sa chair les affres des guerres dévastatrices en Europe, est de moins en moins représentée dans les centres de décision. Beaucoup de ceux qui décident aujourd’hui et tous ceux qui s’apprêtent à prendre la relève très bientôt ont une idée plutôt théorique et livresque des antagonismes nationaux qui avaient ravagé l’Europe au XXe siècle, et dont le désir de s’en débarrasser était le principal mobile derrière la création de structures intégrationnistes européennes.
Cela dit, tous ces motifs, aussi pertinents soient-ils, sont-ils suffisants pour annoncer avec certitude la mort prochaine de l’Union européenne ? La notion d’éternité étant étrangère à ce monde, tout ouvrage créé par l’homme est par définition temporaire. Et si, comme n’importe quelle autre structure, l’UE n’est pas éternelle, il n’est pas sûr que sa disparition sera aussi rapide que ne le prévoit ou ne le souhaite le courant de pensée américain qui voit en l’Europe un continent rival économiquement, ingrat politiquement et lourd à porter stratégiquement.
L’idée d’ingratitude de l’Europe est assez répandue aux Etats-Unis. Elle a pris de l’ampleur avec les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Cette idée est entretenue par la supposition que les Etats-Unis avaient sauvé « la liberté et la démocratie » dans le continent européen en intervenant contre le nazisme et que les Européens n’avaient pas renvoyé l’ascenseur quand l’Amérique s’était engagée dans sa guerre contre l’Irak.
La vérité est que les Américains étaient intervenus seulement après que Hitler leur eût déclaré la guerre le 11 décembre 1945, qu’ils ont facturé toute l’aide militaire apportée à leurs alliés, y compris aux Britanniques qui ont payé à Washington leur dernière facture de la deuxième guerre mondiale en… 2006. Sans oublier le fait que tous les Européens, à l’exception de Tony Blair, avaient mis en garde Washington contre l’invasion de l’Irak, mise en garde traité avec mépris par Bush & Co.
Tout aussi répandue est l’idée que l’Europe est « un fardeau stratégique » pour les Etats-Unis du fait de la « démilitarisation » des pays européens et de leurs budgets de défense « insignifiants ». Une idée qui, à la limite, pouvait se défendre du temps de l’Union soviétique, mais qui relève aujourd’hui du fantasme, car l’unique menace qui pèse sur l’Europe, le terrorisme, ne peut être combattue par des moyens militaires développés et des budgets de défense gonflés, mais plutôt par des services de renseignements efficaces et des appareils de sécurité aguerris.
Visiblement, l’Union européenne n’est pas la même quand on la regarde de l’autre côté de l’Atlantique ou de ce côté-ci de la Méditerranée. De ce côté-ci, on voit un groupement toujours dynamique et prospère. Ceux qui n’y sont pas encore continuent de frapper obstinément à sa porte. L’auraient-ils fait si, comme nous l’expliquait le professeur Charles Kupchan, l’UE était agonisante ?

Wednesday, September 22, 2010

Les obstacles aux objectifs du millénaire

Il y a dix ans, en septembre 2000, l’ONU avait réussi à faire adopter par la communauté internationale un important document appelé les objectifs du millénaire (ODM), qu’il faudrait réaliser en 15 ans. Ces objectifs au nombre de huit consistaient à réduire de moitié la pauvreté extrême dans le monde, à généraliser l’éducation primaire, à progresser au niveau de l’égalité des sexes, à promouvoir la santé maternelle, à combattre la mortalité infantile, le sida et le paludisme et, huitième objectif, à préserver l’environnement.
Plus de 140 dirigeants du monde entier s’étaient réunis au début de cette semaine pour évaluer les réalisations et voir si les deux tiers du temps écoulé étaient des années précieuses pour l’aide apportée aux pauvres ou, au contraire, du temps perdu.
Il faut dire que la décennie passée à tenter de réaliser les objectifs du millénaire n’était ni un modèle de générosité dont se souviendraient les générations futures, ni une décennie totalement perdue. Le bilan est très mitigé en fait. Et si les cinq années qui nous séparent de l’échéance de 2015 ressemblaient aux dix précédentes, les objectifs du millénaire ne seraient certainement pas réalisés à temps.
Cela dit, il y a des pays qui, durant les dix dernières années, ont fait de réels progrès sur la voie de la réalisation des objectifs fixés par l’ONU en 2000. La Chine a tiré des centaines de millions de ses citoyens de l’extrême pauvreté, et le niveau de vie du peuple chinois progresse assidûment. En Afrique, et bien que la guerre continue à faire des ravages dans plusieurs régions, des pays comme l’Ouganda, le Rwanda, le Malawi ont fait de réels progrès en termes de lutte contre le sida, le malaria et la tuberculose, ce qui s’est traduit par un substantiel accroissement de l’espérance de vie.
Au niveau économique, l’Afrique avait un taux de croissance négatif de moins 0,3% par an au cours de la décennie 1990-2000. Au cours de la décennie écoulée, 2000-2010, le taux était porté à 3,1% en moyenne grâce notamment à la demande massive de la Chine de matières premières africaines et de la grande implication de ce pays au niveau de la construction des infrastructures de base dans le continent noir.
Mais les quelques progrès enregistrés çà et là ne font pas oublier l’immensité de la tâche et les obstacles sérieux qui entravent la marche collective sur la voie de la réalisation des objectifs du millénaire.
Le premier obstacle est le taux de croissance démographique qui reste exagérément élevé dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Un taux ayant une relation de cause à effet évidente avec le niveau de pauvreté. Plus on est pauvre, plus on a d’enfants et moins on a de possibilités pour bien les nourrir, les soigner et les éduquer. C’est le piège de la pauvreté qui fait que tous les progrès réalisés dans les régions pauvres d’Asie et d’Afrique sont pratiquement annulés par un taux de croissance démographique galopant.
Le deuxième obstacle est celui des catastrophes naturelles, de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes. Le cas du Pakistan est particulièrement inquiétant. Voici un pays pauvre qui avait déjà beaucoup de peine à réaliser ne serait-ce qu’une modeste partie des objectifs du millénaire, quand il fut frappé par une catastrophe de proportions bibliques qui le ramena cinquante ans en arrière. Du coup, ses objectifs ne sont plus ceux du millénaire, mais consistent plutôt à réparer ce que les terrifiantes inondations ont détruit, ce qui prendrait des années et coûterait des centaines de milliards de dollars.
Ce genre d’obstacles, par définition imprévisible et contre lequel on ne peut rien, risque d’être plus fréquent et exacerbé par les changements qui affectent le climat et l’environnement dont la préservation est l’objet du huitième objectif du millénaire. Un objectif qui, jusqu’à maintenant, est un échec total, si l’on se réfère aux résultats désastreux du sommet de Copenhague de décembre 2009.
Le troisième obstacle est relatif aux difficultés de financement des objectifs du millénaire. La crise économique et financière qui a secoué les pays donateurs a constitué sans doute un frein à la réalisation de ces objectifs. Mais de par son caractère momentané, elle ne constitue pas à proprement un problème fondamental. Le vrai obstacle à ce niveau réside dans la cupidité incroyable des contribuables très riches des pays nantis.
Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, par exemple, laisse pantois les plus blasés d’entre nous. Ceux qui se plaignent aujourd’hui, se lamentent et s’arrachent les cheveux, ce ne sont pas les millions de chômeurs qui peinent à joindre les deux bouts, ce ne sont les centaines de milliers de familles qui se sont vus saisir leurs logements par les banques, mais les millionnaires et les milliardaires en dollars qui pestent et fulminent contre Obama.
Pourquoi cette « rage politique », comme l’appelle le Prix Nobel d’économie, Paul Krugman, des Américains les plus riches qui traitent Obama non seulement de « communiste », mais aussi de « Hitler » et de « traître à l’Amérique » ? Tout simplement parce que, face au déficit budgétaire vertigineux, il leur a demandé de faire un petit effort et d’accepter de payer un peu plus d’impôt…
Voilà où se trouve le plus grand obstacle à la réalisation des objectifs du millénaire. Il est dans cette cupidité des immensément riches qui, plus ils accumulent de l’argent, plus ils sont réticents à en donner. S’ils refusent de contribuer à combler le déficit budgétaire abyssal de leur pays, comment peut-on attendre d’eux qu’ils contribuent à la construction d’écoles en Afrique ou de conduites d’eau potable dans les coins reculées d’Asie ou d’Amérique latine ?
Certes, il y a les deux personnes les plus riches d’Amérique, Bill Gates et Warren Buffett, qui ont décidé de mettre le gros de leur fortune au service de la lutte contre la pauvreté et les épidémies dans le monde, mais elles demeurent deux exceptions dans un milieu foncièrement cupide, pas seulement aux Etats-Unis, cela va sans dire.

Saturday, September 18, 2010

La France, l'UE et les Roms

Ce n’est peut-être pas le meilleur moment choisi par le président français, Nicolas Sarkozy, pour « régler » la question des Roms, ces gitans « nomades », originaires d’Europe centrale. Il a des dossiers beaucoup plus importants à traiter, notamment le projet de réforme des retraites. Bien qu’il ait été voté mercredi denier par l’Assemblée nationale, ce projet reste impopulaire en France, si l’on en juge par la forte mobilisation du 7 septembre dernier qui a drainé dans les rues françaises un grand nombre de manifestants (1 million selon la police et près de 3 millions selon les syndicats). Les Français s’attendent à d’autres manifestations à l’occasion de l’examen du projet par le sénat à partir du 5 octobre.
Mais ce n’est pas la meilleure manière non plus, car Sarkozy aurait pu faire l’économie de la tempête médiatique et de la crise avec l’Union européenne en procédant, comme il est d’usage dans nombre de pays européens, à des rapatriements discrets de ce groupe ethnique que, pour être franc, personne n’aime et personne n’en veut en Europe.
Et à commencer par leur principal pays, la Roumanie, où les Roms sont toujours marginalisés et méprisés. Dans la Roumanie d’aujourd’hui, la communauté des gitans souffre d’un taux de pauvreté 3 fois supérieur à la moyenne nationale, une espérance de vie et un taux d’alphabétisation bien inférieurs à la moyenne nationale et un taux de chômage qui, des fois, atteint carrément 100%.
Depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, et sous la pression de celle-ci, une discrimination positive a, certes, été tentée par le gouvernement roumain en vue d’intégrer les Roms au sein de la communauté nationale et d’en faire des citoyens à part entière, actifs et honnêtes. Des programmes relatifs à l’éducation et à la santé pour les gitans ont bien été menés à grand renfort de publicité en Roumanie, mais peu de résultats concrets ont été enregistrés. La responsabilité est partagée : après des siècles d’oisiveté et de nomadisme, il est difficile pour la communauté des Roms de faire preuve d’enthousiasme à l’égard d’initiatives visant à les intégrer en changeant leur mode de vie. D’un autre côté, les sentiments de mépris vis-à-vis des Roms restent forts en Roumanie tant parmi le public que parmi les responsables politiques. Donc, si les Roms sont réticents à l’intégration dans leur propre pays, comment peuvent-ils s’intégrer chez les autres ? Et s’ils traînent le statut de pestiférés dans leur propre pays, comment peut-on en vouloir à ceux qui n’en veulent pas chez eux ?
La France évidemment n’est pas le seul pays où les Roms ont élu domicile. Ils sont un peu partout en Europe, et principalement dans trois grands pays européens : la France, l’Italie et l’Allemagne. Leur mode de vie un peu trop particulier, leur oisiveté, leur propension à vivre aux crochets des autres par la mendicité ou par le vol, la facilité avec laquelle ils s’adonnent à des activités illicites ou criminelles, autant d’éléments qui font que les Roms soient pointés du doigt, détestés et fortement impopulaires dans pratiquement tous les pays où ils sont établis.
Pour prendre le cas de l’Italie, le ministre de l’intérieur, Franco Maroni, déclarait en mai 2008 : « Tous les camps de Roms doivent être démantelés aussitôt et leurs occupants rapatriés ou incarcérés. » Deux jours plus tard, une foule de jeunes italiens incendia un camp de Roms à Naples. Commentaire du même ministre : « C’est ce qui arrive quand les gitans volent les bébés ou commettent des violences sexuelles »…
La Suède, l’un des pays les plus tolérants du monde, expulsa une cinquantaine de gitans au printemps dernier, et, en juillet de cette année, le Danemark expulsa à son tour un groupe de Roms que le maire de Copenhague qualifia de « criminels ». Quant à l’Allemagne, elle essaie le plus discrètement possible, passé nazi oblige, à renvoyer vers le Kosovo les Roms ayant fui ce territoire, chassés par les Kosovars albanophones qui les accusaient de collaboration avec les Serbes pendant la guerre civile de 1999.
Ces quelques exemples montrent clairement que l’expulsion des Roms n’est ni une spécialité typiquement française, ni une cause sérieuse de crises politiques opposant l’Union européenne à certains de ses membres. Pourquoi alors une pratique anodine d’expulsion de « résidents illégaux » indésirables, s’est-elle soudain transformée en une profonde crise politique entre le gouvernement français et les technocrates de l’UE, gardiens autoproclamés du temple et de la morale européens ?
La responsabilité est partagée et le tort se situe de part et d’autre. On ne peut pas ne pas relever une certaine hypocrisie chez les technocrates européens qui ont toujours regardé ailleurs, tant que les expulsions de Roms se faisaient discrètement, loin des feux de la rampe. Il faut rappeler aussi que la virulence exagérée de certaines réactions de responsables européens contre la France cache mal le fait que l’échec de l’intégration des Roms est avant tout l’échec de l’Union européenne qui, en dépit des immenses moyens économiques et financiers à sa disposition, n’arrive pas à tirer de la marginalisation « le plus grand groupe ethnique d’Europe ».
Le président Sarkozy, de son côté, assume une large part de responsabilité en médiatisant à l’excès une pratique à laquelle la France est habituée depuis près d’un siècle, c'est-à-dire depuis 1912, date de la promulgation des premières lois anti-Roms. L’expulsion des gitans a toujours bénéficié du soutien de la majorité des Français. Le dernier sondage publié il y a deux ou trois jours par « Le Figaro » montre que 56% des Français soutiennent la décision de leur gouvernement de rapatrier les gitans dans leurs pays d’origine, la Roumanie et la Bulgarie.
A moins de deux ans de la présidentielle de 2012, et à un moment où sa popularité est loin d’être au zénith, on peut comprendre que le président Sarkozy veuille tirer le maximum de profit politique d’une décision populaire. Mais au vu des développements dramatiques de cette affaire, et compte tenu des dommages subis par la France au sein de l’UE en termes de crédibilité et d’influence, il n’est pas sûr que le jeu vaille la chandelle.
Cela dit, il y a peu de chance qu’une telle crise franco-européenne se reproduise, car les uns et les autres auront tiré les leçons qui s’imposent. La France règlera la question de « ses » Roms comme elle l’a toujours fait, dans la discrétion, et les technocrates européens regarderont ailleurs comme d’habitude. Quant aux Roms, une fois expulsés, rien ne les empêche de revenir en France ou en Italie, leurs passeports roumains ou bulgares les dispensant des formalités de visas.

Wednesday, September 15, 2010

De la première place à la onzième

On comprend les soucis de Barack Obama. Il a été élu président de la plus grande puissance de la planète, c'est-à-dire du pays numéro 1 dans le monde, il ne veut pas terminer son mandat (ou ses deux mandats) en laissant les Etats-Unis dans un autre classement. C’est pour cela qu’au début du mois d’août, pendant un grand meeting politique, il s’est égosillé devant la foule en répétant que « les Américains ne s’accommoderont pas avec la deuxième place » (Americans won’t settle for number 2 !).
Quelques jours plus tard, dans son édition du 12 août, le magazine « Newsweek » publie son classement des cents premiers pays du monde. Les Etats-Unis ne sont ni numéro un ni numéro deux. Pas même numéro dix. Ils sont classés 11eme pays du monde où il fait bon vivre. L’article de Michael Hirsh, journaliste de « Newsweek » qui commentait ce classement, a fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis, relançant un débat entamé depuis quelques années sur « le déclin » de l’Amérique entre deux écoles, celle qui rejette l’idée de la dégringolade de la première puissance du monde, et celle qui estime qu’elle s’est placée déjà sur la pente descendante.
Plusieurs signes objectifs montrent que la deuxième école a raison, c'est-à-dire que les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient et que, comme le soutient le Washington Post, les années 2000s sont « une décennie perdue ». En effet, qu’il s’agisse des indicateurs de l’économie, de l’éducation, de la santé, ou de la recherche, les Etats-Unis sont maintenant dépassés par d’autres pays. Le seul indice de puissance dont ils se prévalent encore est d’ordre militaire. Avec un millier de bases disséminées à travers le monde, et un budget de défense égal à celui de tous les autres pays de la planète, les Etats-Unis continuent d’exercer une influence inégalée bien au-delà de leurs frontières qu’aucun autre pays au monde ne peut la leur disputer.
Beaucoup de penseurs et d’historiens, et le premier d’entre eux Ibn Khaldoun, nous ont enseigné que les puissances et les empires suivent le processus évolutif du corps humain : ils naissent, grandissent, évoluent, atteignent l’apogée et entament le processus de vieillissement jusqu’à la mort et la disparition. Cette thèse s’est vérifiée à maintes reprises au cours de la courte histoire humaine et elle continuera à se vérifier, car si l’Homme n’est pas éternel, les empires qu’il crée sont à son image.
Si les puissances et les empires sont par définition temporaires, les hommes qui les dirigent interviennent de deux manières : soit ils retardent le processus de vieillissement, soit ils l’accélèrent. Tout dépend des politiques qu’ils suivent et des erreurs fatales qu’ils commettent ou qu’ils évitent.
Dans le cas de l’empire américain, que beaucoup d’historiens et d’analystes qualifient de « Rome moderne », si l’on considère la série de présidences américaines de Franklin D. Roosevelt à George W. Bush, on distinguera en gros deux sortes de générations. Une « grande génération », celle des Roosevelt et des Eisenhower qui ont retardé le processus de vieillissement de la puissance américaine, et « la génération des baby-boomers », pour reprendre l’expression de Thomas Friedman du New York Times, les Clinton et les Bush, qui a accéléré ce processus de vieillissement.
La « grande génération » était confrontée à des dangers réels, l’Allemagne nazie, l’URSS et le mouvement communiste international notamment, et les a surmontés victorieusement. Les Etats-Unis ne s’étaient jamais sentis aussi revigorés et aussi admirés qu’en 1945 et 1991, c'est-à-dire aux lendemains de la deuxième guerre mondiale et de l’effondrement de l’URSS. Les secrets de ces deux grands succès américains étaient la sagesse politique de la « grande génération » et sa capacité à convaincre le peuple américain de la nécessité de faire des sacrifices.
La « génération des baby-boomers » était, elle, confrontée à des dangers imaginaires inventés et amplifiés par des courants d’idées qui relevaient plus de la pollution politique que de la stratégie digne des grandes puissances. Pire encore, l’extraordinaire mobilisation militaire contre ces dangers imaginaires était financée non pas par les sacrifices consentis par le peuple américain, mais par les emprunts à l’étranger.
Cette décision d’engager des guerres destructrices à crédit pour confronter des dangers imaginaires est révélatrice de la frivolité et de l’immaturité de la « génération des baby-boomers » qui, en se trouvant accidentellement aux commandes de la plus grande puissance du monde (George Bush a été « élu » par cinq juges de la Cour suprême contre quatre), a fortement contribué à l’accélération du processus de déclin de la puissance américaine. Les Etats-Unis ne s’étaient jamais sentis aussi affaiblis et aussi détestés qu’en 2003, c'est-à-dire au lendemain de l’agression gratuite contre l’Irak.
Une autre différence fondamentale sépare la « grande génération » de celle des « baby-boomers ». Celle-là travaillait en étroite collaboration avec de vrais capitaines d’industrie et de réels créateurs de richesses. Celle-ci a aidé et encouragé l’émergence d’une espèce de spéculateurs qui, au lieu de créer des richesses et des emplois, préfèrent jouer au poker menteur à Wall Street. Un jeu dangereux qui explique dans une large mesure la grave crise financière de l’automne 2008 et dont les Etats-Unis ne se sont pas encore remis.
Il est bien évident que tous ces éléments ne peuvent échapper à un homme aussi brillant que Barack Obama. Son accès d’éloquence concernant le refus des Américains de s’accommoder avec la deuxième place relève plus de la politique politicienne si l’on peut dire que d’une volonté sérieuse de remettre l’Amérique sur la pente ascendante. En d’autres termes, Obama a un besoin impérieux de gagner les élections de mi-mandat de novembre prochain. Et il est normal qu’il dise aux Américains tout ce qu’ils aiment entendre. Qu’ils sont toujours « number 1 » alors qu’ils sont « number 11 ».

Saturday, September 11, 2010

Le 11 septembre, 9 ans après

Neuf ans après, les attentats dramatiques du 11 septembre 2001 continuent de faire des ravages en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, pour ne citer que les endroits où leurs conséquences sont les plus désastreuses. Neuf après, le principal commanditaire de ces attentats, Ousama Ben Laden, continue de narguer ses traqueurs depuis les montagnes du Waziristan pakistanais, en dépit de la grosse somme, 50 millions de dollars, que les Américains avaient promis à quiconque le leur livrerait mort ou vif. Neuf ans après, les événements tragiques du 11 septembre sont toujours exploités par les extrémistes aux Etats-Unis. Le dernier épisode de cette exploitation est l’initiative (avortée ?) d’une secte américaine de brûler 200 copies du Coran, projet condamné universellement.
Il y a neuf ans donc, étaient perpétrés une série d’attentats contre des symboles économiques et militaires de la puissance américaine à New York et Washington. Par leur caractère spectaculaire et inédit, par le niveau terrifiant de violence, par le nombre de morts (plus de trois mille innocents y ont laissé la vie), ces attentats ont provoqué un séisme politique majeur qui ne pouvait pas ne pas dérégler l’axe stratégique autour duquel tournait la puissance américaine.
La profonde perturbation de la ligne stratégique suivie par les Etats-Unis était visible dès le lendemain, 12 septembre. Le malheur de l’Amérique est qu’à un moment aussi crucial, elle était dirigée par un président inexpérimenté, influençable et atteint de myopie politique, pour ne pas dire cécité.
Le grave déficit en termes d’expérience, d’intelligence et de flair politique qui caractérisait alors le centre de décision à Washington a fait qu’un groupe de néoconservateurs, obsédés par l’Irak et déterminés à le détruire, puisse exploiter les événements dramatiques du 11 septembre pour obtenir ce qu’ils n’ont pu obtenir depuis des années : la guerre contre l’Irak.
L’erreur originelle commise par les Etats-Unis est qu’ils ont négligé de se pencher sérieusement sur les attentats eux-mêmes pour faire en sorte qu’ils ne se répètent plus et que leurs commanditaires soient mis hors d’état de nuire, mais ils les ont exploités pour suivre des objectifs n’ayant rien à voir avec les attentats et leurs commanditaires. En d’autres termes, ils ont conçu un remède sans relation aucune avec le mal.
Au moment où les Etats-Unis ont déclenché leur guerre contre le régime taliban en Afghanistan le 7 octobre 2001, personne n’avait levé le petit doigt pour défendre le régime moyen-âgeux qui sévissait en Afghanistan depuis 1996. George W. Bush, alors président de l’Etat fédéral américain, bénéficiait d’un large soutien au sein de la communauté internationale. Après avoir déchiqueté le régime des talibans, protecteur des commanditaires des attentats contre New York et Washington, l’armée américaine avait la capacité de déraciner Al Qaida d’Afghanistan et de l’empêcher de s’enfuir vers les montagnes du Waziristan pakistanais.
La réussite des néoconservateurs à influencer George Bush et à le persuader des « avantages » que cueillerait l’Amérique de la destruction du régime de Saddam Hussein allait s’avérer extrêmement coûteuse. La décision d’abandonner l’Afghanistan dans un état anarchique et de « s’occuper » du régime baathiste de l’Irak allait s’avérer fatale. Elle est déjà considérée par des historiens américains comme la décision la plus désastreuse dans l’histoire de la politique étrangère américaine.
En lâchant dans le relief escarpé de la frontière afghano-pakistanaise les vrais responsables des actes terroristes spectaculaires contre New York et Washington, et en détruisant le régime baathiste irakien, dictatorial certes, mais un barrage infranchissable contre le terrorisme, George Bush et son cercle de néoconservateurs ont ouvert les portes de l’enfer non seulement pour l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan et Yémen, mais aussi pour leur propre pays. Par leur décision insensée d’envahir un pays qui ne leur a rien fait, les Etats Unis ont alimenté pour plusieurs années un genre de terrorisme nihiliste et suicidaire inconnu jusqu’alors et contre lequel les armées les plus puissantes du monde ne peuvent pas grand-chose. Résultat : partis en 2001 en grande fanfare pour « terrasser le terrorisme » dans le cadre d’une « guerre globale », Bush et ses amis l’ont, au contraire, nourri et entretenu par une série de décisions erronées.
C’est un fait indiscutable que les malheurs qui s’abattent sur les Irakiens, les Afghans, les Pakistanais et les Yéménites ont un lien direct avec les attentats du 11 septembre 2001. Le calvaire biblique enduré par les millions de victimes (morts, blessés, déplacés, réfugiés) n’aurait certainement pas eu lieu si ces attentats avaient été évités, ou si l’Amérique était dotée de politiciens intelligents capables de gérer positivement l’après-11 septembre.
Le plus terrifiant est que les erreurs monumentales commises et les millions de victimes qu’elles ont engendrées ne semblent pas avoir ému outre mesure les responsables américains actuels qui continuent de couvrir d’éloges celui par qui tous ces malheurs sont arrivés. En effet, le 31 août dernier, à l’occasion du départ des « troupes de combat » d’Irak, Barack Obama a affirmé que « personne ne doute de l’amour du président Bush pour son pays et de son engagement pour sa sécurité », ajoutant que la guerre d’Irak constitue « un chapitre remarquable dans l’histoire de l’engagement de l’Amérique envers la liberté ».
Quelques jours plus tard, c’était autour du vice-président Joe Biden de lancer des fleurs au responsable de la mort de milliers d’Américains et de centaines de milliers d’Irakiens : « M. le président merci. Nous avons divergé sur la politique à suivre, mais on vous doit beaucoup. » En quinze mots, Biden a réussi à glisser deux contre-vérités. Il n’a pas divergé avec Bush au niveau de la politique à suivre, puisqu’il était un fervent promoteur de la guerre d’Irak. Et personne ne doit quoi que ce soit à George Bush. C’est plutôt lui qui doit aux Américains et au monde une explication sur les crimes de guerre qu’il a commis et sur la délapidation du formidable crédit international que l’Amérique avait accumulé au lendemain des attentats du 11 septembre.
Quant à « l’engagement de l’Amérique envers la liberté », l’écrasante majorité des Irakiens aurait été heureuse de ne pas en bénéficier. Car, quitte à choquer quelques âmes occidentales sensibles, la dictature de Saddam Hussein est de loin préférable à l’anarchie et au terrorisme suicidaire qui ensanglantent l’Irak depuis 2003 et que certains Américains s’obstinent toujours à appeler liberté.

Wednesday, September 08, 2010

Les horloges de la Maison blanche

Qui aurait pensé qu’un jour c’est l’heure qu’il est à Bagdad, Islamabad, Kaboul, Sanaa et Téhéran qui sera affichée dans les horloges de la Maison blanche, après avoir longtemps affiché celle relatives aux fuseaux horaires de Londres, Moscou, Paris et Tokyo ? Des journalistes habitués à arpenter les couloirs du centre du pouvoir de l’empire américain l’ont constaté et n’ont pas manqué de relever le désintérêt croissant qu’affiche Washington vis-à-vis de « la vieille Europe ».
Les horloges de la Maison blanche n’affichent pas seulement l’heure dans les foyers de tension où les Etats-Unis se sont laissés imprudemment entraîner, mais elles affichent également, pour qui sait lire correctement l’heure qu’il est et le temps qu’il fait, le virement stratégique d’un pays qui, pendant trois siècles a fait de l’Europe le centre de son intérêt, ce qui était dans la logique des choses, étant lui-même une ex-croissance européenne à l’autre bout de l’océan atlantique.
Aujourd’hui, les Etats-Unis sont si absorbés par les troubles qui sévissent au Moyen-Orient, au Golfe, en Afghanistan et au Pakistan qu’ils n’ont plus le temps d’accorder la moindre attention à l’Europe. Le flot quotidien de mauvaises informations relatant les dégâts occasionnés par les attentats suicide est tel qu’il est parfaitement normal que les fonctionnaires de la Maison blanche, du département d’Etat et du Pentagone raccordent leurs horloges avec les fuseaux horaires de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Irak, du Yémen ou encore de l’Iran.
Pourtant, ce ne sont pas les appels du pied en provenance de l’Europe qui manquent. La France qui, pendant un demi siècle, a eu des relations plutôt difficiles avec les Etats-Unis, est, depuis l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence, aux petits soins de Washington. Sarkozy est le président le plus pro-américain et le plus atlantiste que les Français aient jamais élu. Il a sauté sur beaucoup d’occasions pour faire l’éloge de la puissance américaine, lui exprimer son admiration et défendre les choix de Washington, y compris les plus contestables.
Les déclarations d’amour enflammées du numéro un français envers l’ami américain n’ont pas eu l’effet escompté par Nicolas Sarkozy. Pire encore, lors du voyage d’Obama en France, en juin 2009, celui-ci a préféré aller dîner avec sa famille dans un restaurant des beaux quartiers parisiens, après avoir décliné une invitation à dîner à l’Elysée.
Le cas de la Grande Bretagne est plus significatif encore. Il n’y a pas si longtemps, Britanniques et Américains célébraient à tout bout de champ « la relation spéciale » liant les deux pays et les deux peuples. Les relations se sont nettement distendues à cause des problèmes entre les deux armées et les deux classes politiques causés par les guerres d’Irak et d’Afghanistan, surtout après la disparition de la scène de George W. Bush et de Tony Blair. Il y a quelques semaines, le nouveau Premier ministre britannique, David Cameron, s’est rendu à Washington pour tenter de donner un nouveau souffle à « la relation spéciale ». Peine perdue. Obama a de si nombreux chats à fouetter qu’il n’a visiblement pas le temps de se pencher sur la tiédeur inhabituelle qui caractérise les relations entre Londres et Washington. Aujourd’hui, cette « relation spéciale rencontre de réelles difficultés », comme l’a souligné un expert européen, Julian Lindley-French, de l’académie militaire des Pays-Bas.
Les Américains devraient considérer avec quelque nostalgie le bon vieux temps quand les horloges de la Maison blanche étaient raccordées aux fuseaux horaires de Londres, P aris, et Moscou. C’était le bon vieux temps en effet, car, même au plus fort de la guerre froide, les Etats-Unis ne s’étaient jamais trouvés dans une si mauvaise posture qu’aujourd’hui. Même au plus fort de la guerre du Vietnam, ils ne s’étaient jamais senti désorientés et saignés à blanc financièrement et militairement comme ils le sont aujourd’hui par les guerres insensées d’Irak et d’Afghanistan.
Les Etats-Unis se trouvent aujourd’hui dans la situation peu enviable d’un pays qui n’a plus de temps à consacrer à ses amis parce qu’il est mobilisé 24 heures sur 24 pour faire face à ses ennemis. Parce que tout son temps et toute son énergie sont absorbés par des batailles perdues les unes après les autres.
Le problème, c’est que les Etats-Unis semblent toujours réticents à accepter l’idée que leurs ennemis ne se sont pas réveillés un jour pour dire « voilà, nous sommes maintenant les ennemis des Américains parce que nous détestons leur liberté, leur démocratie et leur mode de vie », comme l’a soutenu malhonnêtement George W. Bush. Les Etats-Unis ont créé leurs propres ennemis par les politiques erronées suivies depuis la chute du Mur de Berlin, et surtout depuis les attentats du 11 septembre.
Ces deux événements qui ont bouleversé le cours de l’histoire auraient pu être exploités par la puissance américaine pour combattre les vraies forces du mal qui sont l’injustice, la cupidité, l’arrogance et l’ignorance, et contribuer à créer un monde où prédominent la coopération et la confiance. Mais pour cela, il aurait fallu de grands hommes à la Maison blanche en 1989 et en 2001 pour influer sur le cours de l’histoire et lui éviter les turbulences vertigineuses que l’on est en train de vivre. Au lieu des grands hommes nécessaires pour gérer ces deux séismes majeurs, l’Amérique a eu la malchance de confier la gestion des conséquences de la chute du Mur de Berlin à Bush père en 1989 et des attentats du 11 septembre à Bush fils en 2001. Une famille d’incompétents qui ne croule pas sous les honneurs pour services rendus à la patrie.

Saturday, September 04, 2010

En attendant le miracle

Palestiniens et Israéliens ont finalement repris les négociations directes abandonnées depuis deux ans et que ni les premiers ni les seconds ne voulaient reprendre. Il a fallu tout le poids des pressions américaines pour que le Premier ministre israélien et le président palestinien s’assoient à la même table et se penchent sur un processus de paix moribond.
Cette reprise de contact direct entre les parties ennemies ne suscite ni optimisme ni enthousiasme. Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahu ont fait le voyage de Washington non pas parce qu’ils portent en eux l’espoir du règlement d’un conflit qui s’éternise, mais parce que les Etats-Unis veulent de ce dialogue et ont poussé les intéressés à l’entamer malgré eux.
La double question qui se pose est pourquoi les Américains tiennent-ils tant à ce dialogue direct et pourquoi les Palestiniens et les Israéliens n’en veulent pas ?
C’est devenu une tradition aux Etats-Unis. Chaque administration veut avoir sa contribution au processus de paix, chaque nouveau président veut tenter d’entrer dans l’histoire en aidant à résoudre l’un des conflits les plus complexes que les hommes ont eu à gérer. Bush père était en 1991 derrière l’ouverture de la conférence de Madrid qui a vu pour la première fois Israéliens et Palestiniens réunis à la même table. Clinton a eu sa conférence de Camp David en juillet 2000 qui avait réuni pendant deux ou trois jours Yasser Arafat et Ehud Barak avant d’échouer lamentablement. Bush fils a eu sa conférence d’Annapolis en novembre 2007 préparée dans la précipitation et dont les signes de l’échec étaient évidents avant même qu’elle ne commence. Et aujourd’hui Barak Obama a traîné presque de force les protagonistes du conflit dans l’espoir de les voir signer un accord de paix avant la prochaine élection présidentielle de novembre 2012.
C’est devenu aussi une tradition aux Etats-Unis, chaque président voulant donner l’impression au monde en général, et aux Arabes et aux Musulmans en particulier, que la grande puissance américaine est soucieuse de paix et de stabilité dans la région du Moyen-Orient. Chaque président tente de voiler autant que faire se peut le soutien inconditionnel que les Etats-Unis accordent à Israël en se créant des occasions qui montreraient les Etats-Unis dans le rôle d’arbitre et feraient oublier pendant quelques temps sa complicité flagrante avec l’occupant israélien. Obama, plus que tout autre président, a un besoin brûlant d’un accord de paix israélo-palestinien qui le montrerait aux yeux du monde comme un homme de principe qui tient ses promesses.
Il va sans dire qu’il y a beaucoup plus de chance qu’Obama rejoigne le groupe de présidents américains qui ont échoué face à la complexité du conflit que d’entrer de plain pied dans l’histoire. Il y a peu de chance de le voir réussir à maîtriser les formidables forces pro-israéliennes aux Etats-Unis et de faire jouer à la puissance américaine le rôle qu’elle n’a pu jouer jusqu’à présent, c’est à dire le rôle d’arbitre objectif et honnête.
On en vient à l’autre aspect de la question : pourquoi Israéliens et Palestiniens ont-ils fait preuve de si peu d’empressement face aux exhortations d’Obama de les voir reprendre le dialogue ? Pourquoi ont-ils traîné les pieds avant de céder et de prendre la route pour Washington ?
Aussi bien le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahu que l’Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas, sont confrontés à des oppositions intérieures virulentes déterminées à dérailler toute espèce d’accord que les parties en négociation arriveraient à conclure. Les négociateurs israéliens et palestiniens sont conscients des difficultés qui les attendent et ne peuvent ignorer une donnée fondamentale : tout accord nécessite des concessions des deux côtés, et toute concession porte en elle un risque de guerre civile aussi bien pour la société palestinienne que pour la société israélienne.
D’ailleurs les négociations n’ont pas encore commencé que le Hamas d’un côté et les colons de l’autre se sont appliqués à mettre les bâtons dans les roues. Le mouvement islamiste palestinien a organisé, à deux ou trois jours de la reprise des négociations, une attaque contre les colons qui a fait quatre morts. L’attaque, c’est évident, visait à provoquer une réaction violente de l’armée israélienne qui rendrait difficile toute négociation.
De leur côté les colons de Cisjordanie ont brisé le moratoire sur la construction dans les colonies en entamant des travaux de terrassement le jour même où Netanyahu arrivait à Washington. La manœuvre, c’est tout aussi évident, visait à provoquer la fureur des négociateurs palestiniens et de les pousser à tourner le dos aux négociations. C’est dans ce sens que les deux parties, en traînant les pieds avant d’accepter les négociations, semblaient animées par l’idée que le statu quo est préférable au risque de déstabilisation.
Cela dit, la journée du 26 septembre qui marquera la fin du moratoire de dix mois sur la construction dans les colonies, sera cruciale pour cette énième série de négociations que les Américains souhaitent voir aboutir à une solution de deux Etats d’ici un an. Dans trois semaines donc, Netanyahu sera confronté à un dilemme : ou il prolonge le moratoire et fera face à la fureur des colons et de leurs représentants au gouvernement, soit il ne le prolonge pas et fera face à quelques critiques mesurées de l’administration américaine et à la fureur des Palestiniens qui quitteront les négociations.
Si l’on se réfère à la longue histoire des échecs répétés des négociations, la probabilité de succès de ce nouveau round de palabres israélo-palestiniennes est bien mince. En cas de nouvel échec, personne ne s’étonnera, cela va sans dire. En revanche, tout le monde sera étonné en cas de succès et l’on parlera de miracle. Pour cela, il faut que, comme le souhaite la presse israélienne de gauche, que Netanyahu se transforme en un « Gorbatchev israélien ». Mais les miracles, depuis le temps des prophètes, le Moyen-Orient n’en a connu aucun.