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Saturday, September 27, 2008

Spectre d'"afghanisation" du Pakistan

Beaucoup de responsables politiques et militaires à Washington ne cachent pas leur amertume face à ce qu’ils considèrent comme « le laxisme » du Pakistan à s’engager sérieusement dans la guerre contre le terrorisme. Ils sont d’autant plus amers que, depuis septembre 2001 et jusqu’à ce jour, plus de dix milliards de dollars en aide militaire ont été fournis à l’armée pakistanaise. Ils sont d’autant plus amers aussi que les escarmouches entre forces américaines et pakistanaises dans la zone frontalière avec le Pakistan font depuis quelques temps les grands titres de l’actualité internationale. Il y a trois ou quatre jours, des hélicoptères de reconnaissance de l’US Army ont essuyé des tirs de l’armée pakistanaise, déclenchant au sol des affrontements entre celle-ci et des soldats américains.
L’autre raison de cette amertume américaine est que le Pakistan, selon Washington, a utilisé les milliards de dollars d’aide pour acheter des avions de combat et de l’armement lourd qui « pourrait être utile dans une éventuelle confrontation avec l’Inde, mais en aucun cas dans la guerre contre le terrorisme. »
Evidemment, le Pakistan a une tout autre vue des choses que le nouveau président, Asif Ali Zardari, a clairement exprimé il y a quelques jours devant les délégués de l’actuelle session de l’Assemblée générale de l’ONU qui se tient à New York. Evoquant le terrible attentat de la semaine dernière contre l’hôtel ‘Marriot’ d’Islamabad, Zardari a affirmé : « Encore une fois, le Pakistan est la grande victime du terrorisme. Encore une fois, notre peuple se demande si nous ne sommes pas seuls dans cette bataille. Des milliers de soldats et de civils sont morts dans ce combat. Nous avons perdu plus de soldats que l’ensemble des 37 pays qui ont des forces en Afghanistan. Nous avons mené la guerre contre le terrorisme largement seuls. »
Les vues d’Islamabad et de Washington sur la guerre contre le terrorisme sont difficilement réconciliables, ce qui met en péril l’alliance entre les deux pays qui, depuis pratiquement la création du Pakistan en 1947, a toujours été exemplaire.
Nul ne peut nier que le Pakistan est obsédé par « la menace » venant de l’Inde plutôt que par celle venant de son petit voisin de l’ouest qui vit dans l’anarchie depuis 30 ans. Nul ne peut nier aussi que les services de renseignements de l’armée pakistanaise (ISI) ont massivement aidé les talibans à conquérir le pouvoir, et certains soutiennent même qu’ils continuent jusqu’à ce jour à entretenir des liens avec les hauts responsables du mouvement obscurantiste afghan. Nul ne peut nier enfin que les autorités pakistanaises sont déchirées entre la volonté de poursuivre les terroristes qui tentent d’ « afghaniser » le pays et la peur d’être perçues par le peuple comme faisant « le sale boulot » des Américains.
Face à cette réalité, les Etats-Unis ont commis tellement d’erreurs en Afghanistan que les problèmes de ce pays n’ont cessé de gagner en complexité et en gravité au point de menacer d’entraîner le Pakistan dans l’anarchie.
Passons sur le fait que Washington s’est désintéressé de l’Afghanistan avant de déraciner Al Qaida et le régime des talibans pour se pencher sur les préparatifs de sa guerre d’agression contre l’Irak. Mais quand les Américains sont revenus à la charge avec les forces de l’Otan pour terminer le travail, il était déjà un peu tard. Car, d’une part Al Qaida s’est solidement installée au Waziristan et a trouvé aide et protection chez les courants intégristes qui dominent cette région autonome. Et d’autre part, les talibans afghans se sont assurés une profondeur stratégique dans ce même Waziristan qui leur a permis non seulement de survivre, mais de reprendre leurs offensives contre les forces étrangères en Afghanistan.
Celles-ci, depuis qu’elles combattent le terrorisme en Afghanistan ont tué plus de civils que de terroristes. Les bavures répétitives et mortelles contre les concentrations de civils ont énormément aidé les talibans à bénéficier à nouveau du soutien d’un peuple qui, en octobre 2001, était pourtant soulagé de l’effondrement de leur régime.
L’explication principale de ces bavures réside dans la peur des troupes étrangères à s’engager dans les combats terrestres avec les talibans, préférant la sécurité des bombardements aériens. Cette stratégie a engendré de grands dommages collatéraux parmi les civils, une grande impopularité de l’Otan et des Etats-Unis et la possibilité pour les talibans de traduire la neutralité bienveillante pour ne pas dire la complicité des populations en attaques de plus en plus meurtrières contre les forces étrangères.
Les groupes terroristes liés à Al Qaida semblent déterminés à étendre au Pakistan l’anarchie qui sévit en Afghanistan. L’attaque gigantesque qui a détruit la semaine dernière l’hôtel ‘Marriot’ d’Islamabad en faisant un cratère de 8 mètres de profondeur s’inscrit clairement dans cette stratégie. Et à ce niveau, les bombardements américains du Waziristan ne sont pas une menace pour les groupes terroristes, mais un pain bénit. On imagine la joie d’Al Qaida et des talibans chaque fois que les Etats-Unis bombardent le Waziristan et tuent des civils. Chaque bombe américaine sur les concentrations de civils au Waziristan est un pas vers « l’afghanisation » du Pakistan. Il est étonnant que les décideurs à Washington n’entendent toujours pas les sonnettes d’alarme qui ne cessent de les mettre en garde contre le danger de voir un pays détenteur de l’arme nucléaire sombrer dans l’anarchie.

Tuesday, September 23, 2008

Une décision urgente s'impose

Pendant les 21 mois qu’elle a déjà passés à la tête du département d’Etat, Mme Condoleezza Rice s’est rendue 16 fois au Moyen-Orient et a préparé à grands frais et à grand renfort de publicité la conférence d’Annapolis dans l’Etat du Maryland à laquelle tous les protagonistes étaient conviés. Mais ni les voyages quasi-mensuels de la secrétaire d’Etat de George Bush chez les Israéliens et les Palestiniens, ni le grand show d’Annapolis n’ont eu la moindre utilité ni engendré le moindre résultat concret. Tel est le cas aussi des dizaines, peut-être des centaines, de réunions israélo-palestiniennes que ce soit entre Ehud Olmert et Mahmoud Abbas, ou entre les membres des multiples « commissions techniques » israélo-palestiniennes qui ont perdu leur temps à discuter des questions de l’eau, des frontières et de la sécurité.
On reste pantois face à un tel gaspillage d’argent, de temps et d’énergie. Pantois aussi face au paradoxe pathétique qui singularise les Etats-Unis, un pays qui a pu conquérir la lune en 1969, mais qui fait preuve d’une incapacité déroutante à jouer simplement les intermédiaires honnêtes et amener Arabes et Israéliens à signer enfin la paix. Il faut dire que si le lobby s’était opposé à la conquête de la lune avec le zèle et l’énergie utilisés à défendre l’occupation des territoires palestiniens, Neil Armstrong n’aurait probablement jamais marché sur la lune…
On se retrouve au point de départ après seize voyages stériles de Mme Rice au Moyen-Orient, une conférence qui a fait grand bruit mais qui a accouché d’une souris et des rencontres à n’en plus finir avec un Premier ministre qui s’est révélé corrompu et qui a fini par démissionner.
Encore une fois, les Palestiniens se retrouvent en train de tourner en rond. Encore une fois ils attendent la formation d’un nouveau gouvernement israélien. Et si Tzipi Livni n’arrive pas à s’entendre avec les travaillistes ni avec les partis orthodoxes, les Palestiniens se retrouveront encore une fois à attendre l’issue d’élections législatives anticipées qui, comme chacun sait, ne résoudront pas le problème chronique de l’instabilité gouvernementale en Israël.
La politique en Israël se joue presque à pile ou face. Tzipi Livni a gagné la présidence du parti Kadima avec une marge si mince que personne n’aurait été étonné de voir son rival Shaul Mofaz l’emporter. Sur les quelque 72. 000 membres de Kadima, seulement 39.331 ont pris la peine d’aller élire leur nouveau chef, et la nouvelle présidente élue ne l’a emporté que par la maigre marge de 431 voix.
Les Palestiniens préfèrent sans doute négocier avec Tzipi Livni plutôt qu’avec Shaul Mofaz. Celui-ci s’est montré tout au long de sa campagne intéressé uniquement par la sécurité d’Israël, comme un faucon de la pure tradition de la droite israélienne. Il ne veut entendre parler ni de paix avec les Palestiniens, ni de normalisation avec la Syrie et ne voit nul inconvénient à former une coalition avec l’extrême droite israélienne dont la principale caractéristique est l’hystérie anti-arabe. Il voue une passion pour la guerre et pousse de toutes ses forces vers une « attaque préventive » contre l’Iran, le pays où il est né et où il a vécu les premières années de son enfance.
Tzipi Livni, pour sa part, s’est présentée aux militants de Kadima comme une femme compétente et paisible qui a conduit plusieurs négociations avec les Palestiniens, une colombe qui préfère la paix à la guerre, la diplomatie à la violence et qui souhaite arriver à un accord définitif avec les Palestiniens.
L’expérience montre qu’en Israël les élections ne changent pratiquement rien. Une fois élu, le candidat se trouve dans l’impossibilité de réaliser ses promesses électorales parce qu’il découvre un système bloqué à la fois par la nature du système institutionnel israélien et par l’excessive fragmentation de la société politique israélienne, deux facteurs qui font qu’Israël ne peut être gouverné que dans le cadre d’une coalition. Celle-ci est forcément disparate où il n’est pas rare de voir le travailliste, l’orthodoxe et le représentant de la droite pure et dure occuper des fonctions dans le même gouvernement avec des vues fortement nuancées, voire contradictoires, sur des sujets vitaux pour le pays et pour la région.
Cette singularité qui caractérise la politique israélienne empêche la prise de grandes décisions, telle que l’évacuation des territoires arabes occupés et la signature d’accords de paix avec les Palestiniens et les Syriens. Mais cette singularité n’empêche pas les grandes décisions relatives à la guerre. Ce n’est pas étonnant quand on a en tête la tradition guerrière du pays, et surtout le fait que la guerre est un facteur d’unité en Israël, et la paix un facteur de division.
Mais les Palestiniens ne peuvent pas continuer éternellement à tourner en rond discutant stérilement avec le premier ministre en place en attendant que l’instabilité gouvernementale l’emporte et en amène un autre. Déjà dans l’entourage du patient président Mahmoud Abbas, des voix s’élèvent pour appeler à la dissolution de l’Autorité palestinienne et du retour au temps de l’administration israélienne afin que celle-ci, aux termes du droit international, assume ses responsabilités de puissance occupante.
Face au blocage qui s’éternise, il n’y a aucune raison pour que l’Autorité palestinienne continue à aider Israël à tromper le monde en lui faisant croire qu’il négocie pour la paix alors qu’en réalité il renforce chaque jour un peu plus son emprise sur les terres palestiniennes. Une décision vitale doit être prise de toute urgence. L’option d’obliger Israël à choisir entre un régime d’apartheid, un Etat binational laïque et démocratique ou la paix sur la base des résolutions 242 et 338 du conseil de sécurité de l’ONU apparaît de plus en plus inévitable pour briser le statut quo qu’Israël tente de perpétuer et que les Palestiniens veulent briser.

Friday, September 19, 2008

L'Occident lâche-t-il Saakashvili ?

Par réflexe anti-russe, hérité sans doute de la longue tradition de l’anti-soviétisme qui avait marqué l’Occident pendant des décennies, aussi bien la presse que les responsables politiques en Europe et aux Etats-Unis ont adopté, sans prendre la peine de la vérifier, la version géorgienne des événements du mois d’août dernier. Cette version livrée dès les premiers jours du conflit aux médias américains et européens par le président géorgien, Mikheil Saakashvili, est la suivante : « La guerre a commencé le jeudi 7 août à 11 : 30 du soir après que le gouvernement géorgien a reçu divers rapports d’agences de renseignement faisant état de 150 véhicules militaires russes qui ont fait leur entrée dans le territoire géorgien, en Ossétie du sud, à travers le tunnel Roki (qui passe sous les montagnes du Caucase et relie l’Ossétie du nord à celle du sud.) Le gouvernement géorgien n’avait donc guère le choix que d’envoyer son armée s’opposer à l’envahisseur et l’empêcher d’atteindre les villages géorgiens. Et puis quand les tanks géorgiens ont fait mouvement vers Tskhinvali, les Russes étaient déjà en train de bombarder la ville. Ce sont eux qui ont réduit Tskhinvali en ruine et non les Géorgiens. » Voilà en substance la version défendue bec et ongles par Saakashvili quasi-quotidiennement sur CNN, BBC world et d’autres chaînes encore.
Adoptant cette version des événements, les médias occidentaux ont fait les portraits de Poutine dans l’habit du dictateur-agresseur et de Saakashvili dans l’habit du démocrate-agressé. Les gouvernements des Etats-Unis, de Grande Bretagne, de Suède, des pays baltes, de Pologne etc. ont tiré à boulets rouges en direction de Moscou, accusant les autorités russes de vouloir ressusciter l’empire soviétique. L’intellectuel américain, Robert Kagan, a comparé « l’agression russe » contre la Géorgie à l’agression hitlérienne de 1938 contre la région de Sudètes en Tchécoslovaquie, et l’intellectuel français, Bernard Henri Lévy s’est envolé de toute urgence vers la Géorgie dans le but « d’éclairer » l’opinion française (1) sur « les atrocités » commises par les troupes russes contre la pacifique armée géorgienne etc…
Mais le vent est en train de tourner et la version géorgienne est de plus en plus contestée après que les agences de renseignement occidentales ont rendu publiques des informations donnant une tout autre version des événements. Selon les services secrets occidentaux, le 7 août de bonne heure, les Géorgiens ont amassé 12000 soldats le long de la frontière avec l’Ossétie du sud. 75 tanks et des véhicules blindés de transport de troupes (le tiers de l’arsenal militaire géorgien) étaient prêts au combat près de la ville de Gori. Toujours selon les services secrets occidentaux, Saakashvili avait planifié une guerre éclair de 15 heures visant en premier lieu à fermer le tunnel Roki afin d’isoler l’Ossétie du sud de la Russie, avant de soumettre par les armes la province réticente au pouvoir central de Tbilissi.
Les agences de renseignement occidentales avaient enregistré les appels à l’aide lancés à la Russie à partir de l’Ossétie du sud. Elles ont également constaté que la 58ème armée russe, basée en Ossétie du nord n’était pas prête au combat au moment où elle a reçu les appels à l’aide. Le premier missile SS 21 a été tiré le 8 août à 7 : 30 du matin par l’armée russe contre l’armée géorgienne, et l’aviation russe est entrée en action un peu plus tard et les premiers soldats russes n’ont traversé le tunnel de Roki que le 8 août à 11 : 30 du matin alors que l’armée géorgienne était à l’œuvre depuis plus de 24 heures déjà. Qu’était arrivé au projet de Blitzkrieg et de blocage du tunnel de Roki planifiés par Saakashvili ? D’après les services de renseignements occidentaux, l’armée géorgienne s’était empêtrée dans des problèmes relatifs à l’utilisation de l’armement sophistiqué fourni par Israël et les Etats-Unis. En d’autres termes, les compétences de cette armée étaient bien en deçà du degré de sophistication de l’armement à sa disposition, c’est ce qui explique sa rapide déconfiture et la facilité avec laquelle les Russes l’ont écrasée en si peu de temps. Conclusion fondamentale des services de renseignement occidentaux : la Russie n’avait pas agi de manière offensive, mais elle a réagi à l’agression décidée par le téméraire Saakashvili.
Face à de telles évidences fournies par leurs services de renseignement, les pays occidentaux ne pouvaient pas continuer à soutenir aveuglément la Géorgie et s’en prendre férocement à la Russie. Saakashvili est de plus en plus montré du doigt par ceux-là même qui, jusqu’à une date récente, l’ont dépeint en victime et les clichés anti-russes (l’ours revanchard veut ressusciter l’empire) sont, du moins momentanément, rangés dans les tiroirs.
On imagine le désarroi du président géorgien quand il a entendu l’un des représentants de l’administration Bush, Daniel Fried, secrétaire d’Etat adjoint aux affaires européennes et eurasiennes, déclarer que « la Géorgie a marché sur la capitale de l’Ossétie du sud ». On imagine son désespoir quand il a entendu le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, exiger « des clarifications sur la question des responsabilités relatives au déclenchement de la guerre du Caucase » et soutenir fermement les appels à une enquête internationale à ce sujet. On imagine enfin sa frustration que ne manquera pas de provoquer la visite médiatisée du Premier ministre français, François Fillon, entamée hier à Moscou à la tête d’une importante délégation, pour discuter avec son homologue russe Vladimir Poutine de la crise financière internationale et de l’intensification des échanges commerciaux franco-russes et non de la crise du Caucase.
Mais le plus grave et le plus inquiétant pour Saakashvili, ce sont les appels de plus en plus insistants de l’opposition géorgienne qui exige son départ après le désastre que son incompétence a infligé au pays. Le mélange d’arrogance, d’incompétence et d’impulsivité qui caractérise la personnalité du président géorgien finira par lui être fatal. Il devra peut-être se préparer à quitter le monde politique à un âge où d’autres se préparent à y entrer.

Thursday, September 18, 2008

Du cynisme en politique

Le cynisme a toujours fait partie de la politique internationale. On est habitué à voir ce trait de caractère à la moralité douteuse surgir assez souvent dans les négociations, les déclarations ou les commentaires ayant trait aux événements et crises qui marquent continuellement les relations internationales.
Le cynisme politique trouve son terrain fertile quand il y a contentieux entre deux Etats ou deux groupes régionaux de puissance inégale en termes économiques et militaires. Il y a cynisme quand, dans une négociation pour sortir d’une crise par exemple, le droit international est du côté du faible, mais que le fort ignore ce droit ou le transfigure ou le vide de sa substance de manière àle rendre lettre morte et donc d’aucun secours pour le faible.
Il y a cynisme quand la «règle» des deux poids et deux mesures remplace la règle de l’universalité du droit. En d’autres termes, le droit s’applique dans un cas seulement: quand il n’est pas en opposition avec les intérêts de la partie la plus forte.
Il y a cynisme quand une puissance commet impunément tous les forfaits possibles et imaginables sur la scène internationale, mais s’offusque du moindre écart commis par d’autres pays, se lamente sur le droit et la morale bafoués et alerte à cor et à cri l’opinion internationale sur les dangers que court la paix mondiale…
La crise géorgienne a été l’occasion de voir fleurir des cas de cynisme exceptionnel devant lesquels on reste dans l’indécision la plus totale, ne sachant trop s’il faut en rire ou en pleurer.
Commençons d’abord par cette déclaration:«Ce qui s’est passé en Géorgie, suite à l’invasion militaire russe, est contraire à quelques uns de nos principes les plus solides. Les forces russes ont traversé une frontière internationalement reconnue et ont envahi un pays souverain. Elles ont provoqué un conflit interne et conduit des actes de guerre au mépris de la vie des innocents, tuant des civils et déplaçant des dizaines de milliers de personnes.»
C’est en Italie, au cours de sa récente tournée à l’étranger, que le vice-Président américain, Dick Cheney, a fait cette déclaration tonitruante. Normalement, une personne comme lui, qui traîne derrière elle la lourde responsabilité du plus grand drame et de la plus grande injustice du XXIe siècle, devrait éviter de telles déclarations et ne rien dire qui puisse pousser les gens à faire le parallèle avec le drame de l’Irak.
En Géorgie, la Russie a réagi à une attaque meurtrière, contre ses soldats et les citoyens en Ossétie du Sud, menée par les troupes du Président géorgien Mikheil Saakashvili. En Irak, les Etats-Unis, pour utiliser les mêmes termes que Dick Cheney, ont traversé une frontière internationalement reconnue (loin de chez eux de 10.000 kilomètres), envahi un pays souverain, provoqué un conflit interne, conduit des actes de guerre au mépris de la vie des innocents, tuant un nombre incalculable de civils et provoquant le déplacement de millions d’autres. Et tout cela non pas en réponse à une attaque irakienne, mais sur la base d’un mensonge à l’invention duquel Dick Cheney a eu le rôle central…
L’autre cas de cynisme non moins époustouflant et révélé par la crise géorgienne met en scène Israël dans sa relation triangulaire avec la Russie et la Géorgie. On est habitué depuis plus de 60 ans au cynisme israélien avec le peuple palestinien. Mais, et c’est pour le moins étonnant, alors qu’il s’est engagé très loin dans une relation douteuse avec la Géorgie, Israël n’ait pas choisi de faire profil bas et d’attendre que l’orage passe au lieu de se distinguer, par des déclarations inappropriées, par un cynisme que la Russie n’acceptera sûrement pas passivement.
En effet, c’est un secret de polichinelle qu’Israël coopère étroitement sur le plan militaire depuis des années avec la Géorgie. Elle aide ce pays généreusement en termes de fourniture d’armements et d’entraînement de l’armée géorgienne. Dans une interview donnée à la radio de l’armée israélienne, le ministre géorgien de la Réintégration, Temur Yakobashvili, a fait l’apologie en hébreu de l’armée d’Israël en ces termes :«Israël devrait être fier de son armée qui a entraîné les soldats géorgiens. Cet entraînement a donné à la Géorgie le savoir-faire nécessaire pour qu’elle se défende contre les forces russes dans les affrontements qui se sont déclenchés en Ossétie du Sud.» Une confirmation gouvernementale géorgienne de ce que tout le monde sait déjà. Et pendant toutes ces années d’intense coopération israélo-géorgienne qui a vu même la construction de bases militaires israéliennes dans le Caucase, la Russie n’a pas mené la moindre campagne contre Israël ni ne l’a critiqué publiquement.
En dépit de cela, et en pleine crise géorgienne, Israël n’a pu se retenir de demander à la Russie d’arrêter ses «livraisons d’armes à la Syrie et à l’Iran». Dans une interview au Washington Times publiée il y a quelques jours, l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Sallai Meridor, a «averti la Russie que la vente d’armements à la Syrie et à l’Iran est déstabilisant et dangereux pour Israël et pour la paix dans la région.»
Pourquoi Israël s’est-il exprimé à travers son ambassadeur à Washington? Sans doute parce que les deux Ehud, Olmert et Barak, ont jugé qu’il serait trop grotesque que l’un ou l’autre, avec les casseroles bruyantes qu’ils traînent derrière eux, donne publiquement des leçons ou lance des avertissements à la Russie. Mais dans le même temps, ils ont des démangeaisons et ne peuvent pas se taire sur le réchauffement des relations russo-syriennes ou la perspective de vente de matériel anti-aérien russe sophistiqué à l’Iran. Mais cela ne change rien au cynisme israélien. L’ambassadeur s’est exprimé non pas en son propre nom, mais au nom du gouvernement qu’il représente aux Etats-Unis.
A en juger par les réactions de la presse américaine et israélienne, le cynisme de Cheney et d’Israël n’a pas choqué seulement en Russie ou dans le monde arabe, mais aux Etats-Unis même et en Israël ou plusieurs voix se sont exprimées pour dénoncer «l’arrogance, la suffisance et la stupidité» qui nourrissent tant de cynisme.

Saturday, September 13, 2008

Frustration en Israël, défaite pour le lobby

Dans un article publié dans cet espace le 19 juillet 2008, nous avions pris le risque d’affirmer que « la guerre d’Iran n’aura pas lieu ». Ce n’était pas une intuition, mais une conviction basée sur l’analyse de la situation difficile dans laquelle se trouvent les Etats-Unis et des informations dont nous disposions alors.
Depuis, il y a eu de nouveaux développements et de nouvelles informations qui renforcent cette conviction qu’il n’y aura pas de guerre contre l’Iran, et sûrement pas avant le départ de George Bush et d’Ehud Olmert, deux canards boiteux sans crédibilité ni pouvoir effectif de prendre de graves décisions et qui se contentent actuellement de gérer les affaires courantes de leurs pays en attendant la retraite au Texas pour l’un et peut-être la prison pour l’autre pour corruption et trafic d’influence.
Un développement spectaculaire a eu lieu entre le 7 et le 15 août dernier en Géorgie. Les troupes russes qui avaient réagi à l’incompréhensible provocation du président géorgien, Mikheil Saakashvili, n’ont pas seulement détruit les capacités militaires géorgiennes, au développement desquelles Washington et Tel Aviv ont massivement contribué, mais aussi, selon des informations concordantes, des bases militaires israéliennes à partir desquelles Israël s’apprêterait à mener son attaque contre les installations nucléaires iraniennes. Et si Israël ne l’avait pas fait avant la destruction de ses bases en Géorgie, c’est parce qu’il n’avait reçu ni les fameuses bombes anti-bunker (bunker-buster bombs) qu’il réclamait avec insistance des Etats-Unis, ni le feu vert que Washington refuse jusqu’à maintenant de donner.
On imagine l’immense frustration des Israéliens à la suite de l’intervention des troupes russes en Géorgie qui ont non seulement détruit des années d’efforts des conseillers et des entraîneurs militaires israéliens, mais aussi la quantité énorme d’armements fournis à Saakashvili par les Etats-Unis et Israël et les bases militaires d’une haute importance stratégique que ce dernier a construites à un jet de pierre de l’Iran. En effet, il n’y a qu’à voir la carte pour se rendre compte qu’avec ses bases en Géorgie, Israël n’était plus qu’à quelques centaines de kilomètres de l’Iran et que, pour y aller, ses bombardiers n’avaient plus besoin de ravitaillement en vol et n’avaient plus qu’à survoler soit l’Arménie soit l’Azerbaïdjan pour se retrouver aussitôt dans l’espace aérien iranien.
Mais ce n’est pas la seule mauvaise nouvelle pour Israël. Dans son édition électronique du 11 septembre 2008, le quotidien israélien « Haaretz » a fait état de l’un des rares et peut-être même l’unique refus de l’administration Bush aux demandes israéliennes. D’après ce journal, Israël a fait à l’administration Bush trois principales demandes : 1- « Un grand nombre » de bombes anti-bunker , dont le nom technique est « Bunker-Buster GBU-28 », pesant 2,2 tonnes l’unité et pouvant percer une épaisseur de six mètres de ciment armé ; 2- « Un corridor aérien au dessus de l’Irak » que les bombardiers israéliens pourraient emprunter sur leur chemin pour l’Iran ; 3- « Des avions ravitailleurs Boeing 767 dernier cri », permettant à Israël de ravitailler en vol ses bombardiers sur le chemin du retour.
D’après le « Haaretz », aucune de ces demandes n’a été acceptée par l’administration Bush. Concernant la demande de corridor aérien sur l’Irak, les responsables américains se sont même permis un peu d’humour, sans doute involontaire, en proposant aux Israéliens de « coordonner cette demande avec le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki…
Ces trois demandes israéliennes, qui prouvent clairement la détermination d’Israël à prendre tous les risques pour aller agresser l’Iran chez lui, ont été formulées lors de la visite de Bush en mai dernier en Israël et reformulées lors de la visite du ministre israélien de la défense, Ehud Barak, en juillet à Washington. Il semble que pendant toutes les réunions américano- israéliennes « de très haut niveau » pour discuter de ces trois demandes, les Américains avaient signifié clairement que, sur la question du nucléaire iranien, ils continuent à opter pour une solution diplomatique du problème, et, par conséquent, il n’y aura ni matériel militaire offensif ni feu vert en provenance des Etats-Unis.
Pour réduire l’intensité de la frustration israélienne, les Etats-Unis ont tout de même accepté de « renforcer la sécurité » d’Israël. Pendant la visite d’Ehud Barak à Washington en juillet dernier, l’administration Bush a décidé de livrer à Israël « le système radar américain le plus évolué ». Ce système, qui sera installé bientôt dans le désert du Néguev, « doublera à 2000 kilomètres la portée d’indentification des missiles lancés en direction d’Israël ».
Mince consolation pour Israël qui sait pertinemment que ce radar peut ne pas servir à grand-chose car, et Israël le sait tout aussi pertinemment, l’Iran ne lancera jamais de missiles en direction de ce pays tant que les Israéliens le laissent tranquille.
Frustration en Israël, défaite pour l’AIPAC. Ce lobby qui a toujours mis les intérêts d’Israël au dessus de tout, y compris au dessus des intérêts américains, a tout fait pour que ce pays reçoive les bombes anti-bunker, les avions ravitailleurs, le couloir aérien et le feu vert de Washington, a apparemment échoué cette fois à avoir gain de cause et d’imposer ses vues aux décideurs américains. Difficile à dire si c’est un incident dans le parcours dangereusement victorieux de l’AIPAC aux Etats-Unis ou une défaite annonciatrice d’un déclin de l’influence de ce lobby sur la politique étrangère américaine.

Wednesday, September 10, 2008

Il était une fois le 11 septembre

Sept ans déjà. Sept ans de guerre, de destruction, de destabilisation d’une partie de la planète. Il faut dire que les attaques du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York et le Pentagone dans la banlieue de Washington n’étaient pas une mince affaire. C’était un acte terroriste tout simplement gigantesque à la mesure du gigantisme américain.
La lente victoire remportée par l’Amérique sur ce qui était convenu d’appeler le bloc socialiste, consacrée par l’effondrement de l’Union soviétique, avait considérablement accru le double sentiment de supériorité et d’invulnérabilité chez les Américains.
La plus grande attaque terroriste de l’histoire était intervenue alors que l’Amérique se délectait encore de sa victoire sur la super-puissance soviétique sans avoir tiré une cartouche. L’Amérique était en ce début d’automne 2001 fort bien installée dans le bien-être que procure le confort psychologique et matériel et le sentiment de sécurité quasi-absolue engendrée par la double chance d’être surprotégé par les deux immenses « barrières liquides » (Le Pacifique et l’Atlantique) d’une part, et par l’armée la plus puissante du monde d’autre part.
Le réveil du mardi 11 septembre 2001 était donc d’une extrême brutalité et ce qui s’était passé ce jour là dépassait de très loin les appréhensions des responsables de sécurité les plus pessimistes et les souhaits des terroristes les plus fous.
Dans « La Presse » du samedi 15 septembre 2001 nous avions écrit ceci : « Si la piste de Ben Laden se confirme, comme semble le suggérer les enquêteurs, il est plus que probable que les Etats-Unis réagiront avec plus de fermeté que d’habitude, compte tenu du nombre dramatiquement élevé des victimes encore sous les décombres des deux tours jumelles du World Trade Center et du Pentagone. Ils iront jusqu’au bout du monde pour venger leurs morts. Ils ont les moyens logistiques et militaires pour cela. La machine militaire se mettra sûrement en branle avec probablement la participation de l’Otan. »
La suite des événements a démontré que les Etats-Unis de 2001 étaient moins intéressés par la vengeance de leurs morts que par la réalisation du rêve fou de quelques écervelés qui, considérant les attaques comme une divine surprise, ont commencé à mettre au point leur plan désastreux contre l’Irak alors que la poussière et la fumée enveloppaient encore les décombres du World Trade Center.
Certes, la machine militaire américaine s’était mise en branle trois semaines après les attaques. Certes, le régime moyen-âgeux des talibans pakistanais avait été détruit et les terroristes d’Al Qaida mis en déroute par les tapis de bombes déversées par les B-52 sur les montagnes de Tora Bora. Mais ce n’était qu’une déroute provisoire. La pression mortelle qui s’était exercée pendant quelques semaines sur les responsables des attentats du 11 septembre allait vite de desserrer. Les talibans et Al Qaida allaient respirer et reprendre leurs forces grâce au groupe des néoconservateurs (Paul Wolfowitz, Richard Perle, Elliot Abrams etc.) qui ont trouvé chez le président Bush, le vice président Cheney et le secrétaire à la défense Rumsfeld, une prédisposition à mettre les immenses moyens militaires et financiers de l’Amérique au service d’une lubie, appelée « le nouveau siècle américain ».
Selon cette fantaisie extravagante, l’Amérique étant l’unique super-puissance et son action dans le monde étant « bienfaitrice », celui-ci devrait donc se plier à la volonté américaine, au besoin par la force. Aussitôt le concept politico-religieux d’ « axe du mal » fut mis en place et la machine de propagande tendant à diaboliser l’Irak fut mise en marche.
Inutile de revenir ici sur le grand mensonge des armes de destruction massive irakiennes, ni sur les tragédies bibliques endurées par les 25 millions d’Irakiens. Inutile de s’étendre sur les conséquences désastreuses en termes de pertes humaines et matérielles faramineuses pour l’Irak et les Etats-Unis. Notons simplement l’extraordinaire ironie de l’histoire : à quelques mois de son départ de la Maison blanche, et plus de cinq ans après avoir déplacé ses troupes d’Afghanistan vers l’Irak, George Bush est en train de faire le chemin inverse maintenant : déplacer ses troupes d’Irak vers l’Afghanistan pour tenter de vaincre les talibans et Al Qaida auxquels il avait tourné le dos pour aller s’engluer dans les sables mouvants mésopotamiens.
Sept ans après la catastrophe du 11 septembre 2001, il n’est pas inutile de poser encore une fois la question fondamentale : qu’aurait dû faire l’Amérique après les attentats ? Personne n’avait trouvé à redire et les Etats-Unis bénéficiaient alors de la sympathie et du soutien d’une bonne partie du monde quand, le 7 octobre 2001, le président américain avait envoyé ses troupes détruire les régime des talibans qui avaient non seulement hébergé les terroristes d’Al Qaida, mais refusé aussi de les livrer à Washington comme l’exigeaient les autorités américaines. Le monde entier aurait applaudi et Bush serait entré dans l’histoire s’il avait pris le temps de déraciner l’arbre terroriste avant qu’il ne recommence à fleurir des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise. Comment ? Dans l’article publié dans « La Presse » du 15 septembre 2001, nous avions fait la réponse suivante : « La solution, la vraie, ne consiste pas seulement à traquer les terroristes et leurs commanditaires, mais à assécher les sources qui les alimentent, les entretiennent et les légitiment même aux yeux des victimes impuissantes. Les deux sources principales qui alimentent le terrorisme sont incontestablement la misère et l’injustice. Ce sont les deux mamelles qui allaitent le phénomène terroriste ».
Malheureusement, par sa décision désastreuse d’envahir l’Irak, le président Bush a alimenté le terrorisme au lieu d’assécher ses sources. Il a fourni eau et fertilisant à l’arbre maléfique, et ce n’est pas seulement l’Amérique qui est en train de payer le prix.

Monday, September 08, 2008

La mission difficile de la France

L’automne 2008 semble être la saison la plus propice pour la France qui cherche depuis longtemps à reprendre pied au Moyen-Orient. Elle a actuellement la présidence du Conseil européen et, si elle réussit, c’est l’Union européenne dans son ensemble qui gagnera en influence dans une région d’où les Etats-Unis et Israël ont depuis longtemps évincé toute puissance qui n’épouserait pas les vues américano-israéliennes sur les causes et les solutions du conflit israélo-arabe.
Pratiquement durant les quatre dernières décennies, Washington et Tel Aviv, excluant tout autre acteur majeur dans la région, ont fait du Proche Orient leur zone d’influence exclusive à travers « l’alliance stratégique » entre les deux pays. Israël, financé, armé et protégé diplomatiquement à l’ONU par les Etats-Unis, s’est comporté en Etat-bandit n’hésitant jamais à utiliser dans l’impunité la plus totale les armes américaines les plus meurtrières contre les civils palestiniens. Washington, de son côté, à travers un système d’alliance et de clientélisme dans la région Golfe-Moyen-Orient a réussi, malgré la grande inimitié avec l’Iran, à assurer stabilité et écoulement régulier du pétrole.
Le paradoxe majeur dans cette « alliance stratégique » israélo-américaine est qu’Israël, force destabilisatrice par excellence, est financé et armé par une puissance dont les intérêts dépendent fortement de la stabilité régionale. Il faut dire que ce paradoxe a disparu avec l’arrivée de George W. Bush dont le régime s’est révélé être particulièrement destabilisateur.
L’automne qui s’annonce va connaître pour quelques mois une sorte de vacance de pouvoir à la fois à Washington et à Tel Aviv. Aux Etats-Unis, les Américains n’ont d’autre préoccupation que d’élire leur prochain président, et l’administration Bush, qui vit ses derniers jours, ne dispose désormais que du pouvoir qui lui permet de gérer les affaires courantes en attendant la mise en place de la prochaine administration le 20 janvier prochain. En Israël, le départ annoncé du Premier ministre Olmert et les élections anticipées qui devraient suivre mettent ce pays dans une situation similaire à celle des Etats-Unis, c'est-à-dire dans une position où les politiciens gèrent les affaires courantes mais n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions importantes.
Le président français, Nicolas Sarkozy, a eu l’intelligence de ne pas rater cette occasion pour tenter de préparer le terrain à la France, et éventuellement à l’Europe (si la Grande Bretagne et les Européens de l’Est jouent le jeu) de s’impliquer dans les grands marchandages politiques et diplomatiques qui s’annoncent.
En recevant le président syrien à Paris en juillet et en se rendant lui-même à Damas en septembre, Sarkozy a fait preuve de courage, car, même s’il se préoccupait peu des critiques en provenance d’Israël et des Etats-Unis, il ne pouvait ignorer que sa double initiative ne manquerait pas de faire des vagues en France, et, surtout, de ne pas bénéficier de l’unanimité européenne. Il faut dire que le président syrien, Bachar al Asad lui a énormément facilité la tâche en ne s’opposant plus à l’élection du président libanais, en acceptant d’établir pour la première fois des relations diplomatiques avec le Liban et en entament des négociations pour le traçage définitif des frontières avec ce pays.
En se rendant en Syrie, Sarkozy savait qu’il froisserait quelque peu les relations de la France avec l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Mais il savait aussi que la France n’aurait aucune chance de jouer le moindre rôle au Moyen-Orient si elle persistait à geler ses relations avec Damas.
Si la France a réussi à obtenir ce qu’elle veut au Liban de la part des Syriens, les deux autres objectifs qu’elle vise à travers son ouverture sur la Syrie ne sont pas faciles à réaliser. Sarkozy a pu mesurer lors de son voyage la difficulté d’éloigner Damas de Téhéran. Visiblement il a échoué à transmettre au président syrien sa « conviction » que l’Iran poursuivait un programme nucléaire à des fins militaires. Asad a continué à défendre face à Sarkozy sa propre « conviction » que le programme nucléaire iranien est purement civil. Mais cette divergence de taille n’a pas entravé la nouvelle entente qui se dessine entre les deux présidents.
L’autre objectif (parrainer le processus de paix syro-israélien) ne dépend pas seulement de la bonne volonté de Damas. Certes le président syrien a invité la France à jouer les intermédiaires dans ce processus de paix, mais il a fait savoir aussi, ce que tout le monde sait par ailleurs, que rien ne se fera sans l’implication de la prochaine administration américaine.
Le problème, c’est que la prochaine administration américaine, qu’elle soit celle d’Obama ou de McCain, si elle continue à vouloir agir seule au Moyen-Orient et à soutenir Israël dans tout ce que ce pays entreprend, le statu quo intenable risque de se poursuivre avec au bout du chemin une conflagration inévitable aux conséquences imprévisibles. Pour briser le statu quo qui prévaut depuis des décennies au Proche-Orient, il faut miner le pouvoir de blocage que continuent d’exercer les Etats-Unis et Israël à l’égard de tout progrès dans la résolution de l’immense contentieux qui continue d’opposer Arabes et Israéliens.
Si la France est déterminée à jouer un rôle positif au Proche-Orient, elle doit d’abord tirer les leçons de l’amère expérience américaine qui n’a pas contribué à faire avancer le processus de paix d’un iota à cause de l’incapacité congénitale de Washington de se comporter en intermédiaire impartial et honnête. Ensuite, bénéficiant côté arabe du soutien des principaux intéressés, Palestiniens et Syriens en particulier, Sarkozy a la difficile tâche de convaincre ses amis israéliens d’accepter un rôle de la France qui serait fondamentalement différent de celui des Etats-Unis. Enfin, si la France veut impliquer l’Union européenne dans son ensemble dans une mission de paix au Proche-Orient, une autre tâche difficile l’attend : convaincre de son projet non seulement une Grande Bretagne fondamentalement pro-américaine, mais aussi les pays de « la nouvelle Europe » qui regardent vers Washington avec l’admiration et le zèle des nouveaux convertis.

Wednesday, September 03, 2008

Deuxième guerre froide

Nous avons eu la première guerre mondiale, ensuite la seconde. Nous avons vécu la première guerre froide et nous vivons actuellement une intensification des événements annonciateurs de la deuxième guerre froide qui risque dans les mois et les années à venir de devenir l’axe principal autour duquel tournera la politique internationale.
Aussitôt après la fin de la première guerre froide, intervenue avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les premières graines de la deuxième guerre froide ont été semées par une administration Clinton malavisée et poursuivant une politique futile et dangereuse. Pour satisfaire un désir d’une insoutenable légèreté consistant à montrer au monde qui est le plus fort, le numéro un et le maître, l’administration Clinton et, après elle, celle de Bush II, ont systématiquement mis au point non pas une politique de coopération et d’amitié avec la Russie, mais d’encerclement systématique de ce pays.
Les administrations Clinton et Bush II ont travaillé dur pour attirer dans le giron occidental non seulement les Européens de l’Est, anciens membres du Pacte de Varsovie, mais aussi plusieurs nouveaux pays qui faisaient partie de l’Union soviétique et qui ont émergé en tant que pays indépendants sur la scène internationale.
La Pologne, la Tchécoslovaquie ( qui s’est divisée elle-même en deux pays : la Tchéquie et le la Slovaquie), la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie sont devenus les meilleurs clients de Washington, baptisés par un certain Donald Rumsfeld « la nouvelle Europe ». Ont suivi aussitôt les trois pays baltes, l’Ukraine et la Géorgie.
Tout ce beau monde a subitement découvert qu’il a un « déficit démocratique » à combler et un « besoin de sécurité » à satisfaire. Le déficit démocratique a été résolu par les « révolutions colorées », activement encouragées par « la vieille Europe » et par Washington, bien sûr. Quand au besoin de sécurité, ces pays se sont laissés convaincre que le plus sûr parapluie est celui de l’OTAN et qu’ils seraient les bienvenus s’ils voulaient y adhérer et tirer profit de l’article 5 de la Charte de l’Organisation atlantique qui stipule : « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties (…) ».
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, aucun signe n’a jamais été décelé suggérant l’idée que la Russie voulait récupérer par la force les anciennes provinces des empires tsariste et soviétique. En dépit de cette réalité incontestable, les nouveaux clients est-européens de Washington plus la Géorgie ont, avec la complicité de la propagande occidentale, inventé de toutes pièces la « menace russe » qu’ils servent matin, midi et soir afin de tirer les avantages économiques, militaires et stratégiques qu’engendre leur alliance avec les Etats-Unis et l’Europe occidentale.
Le cas de la Géorgie est tragique à plus d’un titre. Voici un pays « démocratique » dirigé par le président Mikheil Saakashvili dont la formation dans les universités américaines n’a pas empêché de réprimer en novembre dernier férocement les manifestations populaires contre son gouvernement, ni de poursuivre impitoyablement ses opposants. Un pays « démocratique » qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de s’attaquer aux Ossétiens du sud avec ses chars et son armement lourd généreusement fourni par les Etats-Unis et Israël. Et ici il est utile de rappeler que les ministres géorgiens de la défense, Davit Kezerashvili, et de la réintégration, Temur Yakobashvili, sont des citoyens israéliens qui ont « réintégré » la Géorgie pour faire de la politique. Voici un pays enfin qui se dit menacé par la Russie et qui se lance dans une attaque en règle contre les soldats russes qui se trouvent en Ossétie du sud depuis seize ans dans le cadre d’un mandat international de maintien de la paix après une première tentative géorgienne en 1990 d’annexer par la force ces deux provinces qui faisaient partie de la Russie depuis 1810.
Le plus extraordinaire est que après la réaction russe d’autodéfense, l’agresseur Saakashvili s’est transformé en victime agressée criant hystériquement « Où est l’Amérique ? Où est le monde libre ? » (1). Le plus extraordinaire aussi est que la presse occidentale a pris fait et cause pour l’agresseur pointant un doigt accusateur vers le Kremlin où, à les croire, « les vieux démons soviétiques » seraient déjà à l’œuvre.
Il y’a trois jours, le Premier ministre russe Vladimir Poutine est entré dans une fureur noire après qu’un journaliste de CNN lui a posé une question qui pue la mauvaise foi : « Maintenant que les choses se sont calmées, la Russie va-t-elle arrêter de menacer ses voisins ? » Poutine avait raison de s’emporter contre la mauvaise foi et la manipulation de l’opinion mondiale auxquelles s’adonnent depuis le déclenchement de la crise les médias occidentaux. L’enjeu est de taille en effet. La deuxième guerre froide est là et il s’agit de déterminer qui est le responsable de son déclenchement. La question biaisée de CNN n’avait pas besoin de réponse et n’en cherchait pas une. Son but est de suggérer sournoisement que si l’on est revenu au temps de la guerre froide, c’est parce que la Russie « n’arrête pas de menacer ses voisins ».
La réalité est tout autre en effet. La responsabilité du déclenchement de la deuxième guerre froide revient aux administrations Clinton et Bush II qui lui ont préparé le terrain depuis des années. La responsabilité de cette première grande crise internationale revient aux responsables géorgiens à qui l’on a fait croire que « le monde libre » est derrière eux et qu’ils peuvent bénéficier de l’article 5 de la Charte de l’OTAN avant même qu’ils n’intègrent les structures politico-militaires de l’Alliance atlantique. C’est ce qui explique qu’après le désastre qu’il a lui-même infligé à son pouvoir et à son pays, Mikheil Saakashvili demandait hystériquement : « Où est l’Amérique ? Où est le monde libre ? »