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Saturday, May 30, 2009

Base française à Abou Dhabi: Virage stratégique ou souci commercial?

Après avoir rejoint le commandement militaire intégré de l’Otan, que le général de Gaulle avait quitté il y a plus de quarante ans, la France vient de concrétiser une autre décision militaire d’importance : installer une base navale aux Emirats Arabes Unis. C’est la première fois depuis plus d’un demi siècle que Paris décide d’établir une présence militaire permanente en dehors de l’Afrique, sa zone d’influence traditionnelle.
Comme c’est le cas pour toute décision importante, la base d’Abou Dhabi, inaugurée le 25 mai par le président Sarkozy, ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique française. Si le ministre de la Défense, Hervé Morin, a défendu la décision en se félicitant de cette opportunité qui permet à la France de « retrouver toute sa place et toute son influence » dans la région du Moyen-Orient, François Bayrou, le chef du Modem (Mouvement Démocrate) a dénoncé lui « ce changement stratégique considérable » qui « signifie que la France peut se retrouver engagée dans un conflit sans l’avoir voulu ».
Mais au-delà des discours approbateurs ou désapprobateurs, la première base française dans le Golfe est déjà une réalité. Elle est le résultat logique, pourrait-on dire, de l’étroite coopération militaire entre les Emirats et la France qui dure depuis des années et qui a connu son apogée en 1995 avec la signature entre les deux pays d’un accord de partenariat stratégique.
Quatorze ans après cet accord, dont le contenu n’a jamais été rendu public, les deux pays ont signé, à l’occasion de l’inauguration de la base d’Abou Dhabi, baptisée « Camp de la paix », un nouvel accord dont l’une des clauses, selon le journal « Le Monde », engage la France « à porter secours aux Emirats Arabes Unis en cas d’agression ».
Pourquoi la France a-t-elle opté pour cette « réorientation stratégique majeure » qui l’a amenée à s’engager dans une zone désormais connue sous le vocable d’ « arc de crise » et qui s’étend de la Méditerranée au Hindu Kush, englobant des conflits multiformes majeurs d’une complexité telle que nul ne sait ni comment ils évolueront ni comment ils seront résolus ?
Un élément de réponse a été donné par le président Sarkozy pour qui la France est « une puissance globale », et par conséquent, elle ne peut se permettre de s’effacer face aux grandes convulsions qui secouent l’ « arc de crise » et dont les répercussions affectent la planète entière.
La question qui se pose ici est la suivante : « la puissance globale » qu’est la France a-t-elle mis en œuvre les moyens appropriés qu’exigent ses ambitions ? Plus concrètement, pour reprendre l’expression de M. Hervé Morin, la France a-t-elle retrouvé « toute sa présence et toute son influence » dans la région du Golfe-Moyen-Orient par le simple fait d’avoir établi une base de taille modeste et dont le nombre de soldats qui y seront affectés ne dépasse pas le demi millier ?
Il y a donc une disproportion entre le rôle que souhaite jouer la France, conformément à son statut de « puissance globale », et les petits moyens mis en œuvre dans le cadre de cette « réorientation stratégique majeure ». Certes, la France dispose d’une autre base à Djibouti, à l’embouchure de la mer rouge et de l’océan indien, et de deux autres à l’île de la Réunion et à Mayotte, plus au sud, au large de Madagascar. Mais même en les additionnant, ces moyens dispersés demeurent modestes par rapport aux grandes ambitions qu’affiche la France.
Compte tenu de cette inadéquation, il est donc difficile pour la France, en cas de crise majeure, de peser militairement sur le cours des événements. Dans un tel cas de figure, Paris est mieux armée, si l’on peut dire, pour s’engager dans des batailles diplomatiques que de participer dans des combats tendant à résoudre militairement les éventuelles crises majeures. N'oublions pas qu'en dépit de l'engagement de forces incomparablement massives, les Etats-Unis sont toujours englués dans les bourbiers irakien et afghan. Par conséquent, il est logique de dire que l’établissement d’une petite base navale à Abou Dhabi est plus le résultat d’une évolution normale de la longue et étroite coopération militaire entre la France et les Emirats Arabes Unis que d’ « un changement stratégique considérable ».
Mais par ces temps de vaches maigres, cette base du « Camp de la paix » pourrait jouer un autre rôle, vital pour l’industrie française d’armement, consistant à faire office de « vitrine » pour les produits de cette industrie. C’est ce qu’on apprend de « l’entourage du président Sarkozy », cité par l’Agence Reuters dans une dépêche datée du 26 mai dernier. En effet, selon l’entourage présidentiel, la base d’Abou Dhabi « a peut-être une vocation d’exposition de nos matériels ». On le croit volontiers quand on sait que le Golfe est l’une des régions où l’armement français se vend le mieux.
En fait, c’est cette vocation commerciale de la base qui intéresse au plus haut degré les fabricants français d’armement, à la tête desquels Dassault Aviation. Ces jours-ci, le célèbre fabriquant d’avions militaires doit vivre sous tension. Il sait que les Emirats s’apprêtent à remplacer leurs 63 vieux Mirage 2000. Dassault qui cherche encore désespérément à vendre à l’étranger le premier exemplaire de son nouvel avion de combat Rafale, désire évidemment rafler le marché. Si les négociations en cours sur ce sujet entre la France et les Emirats aboutissent, Dassault sera le premier grand bénéficiaire de cette vocation commerciale de la base d'Abou Dhabi.

Wednesday, May 27, 2009

Les faux scoops du Spiegel

Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue une donnée importante : le magazine allemand « Der Spiegel » est inconditionnellement pro-israélien et incurablement anti-arabe. Les « scoops » liés aux turbulences politiques du Moyen-Orient qu’il sert à ses lecteurs sont empoisonnés, dangereux et pourraient engendrer des drames dont la région n’a nul besoin.
Dans son édition du 24 octobre 2005, ce magazine avait publié un article sous la signature du journaliste Erich Follath, accusant des officiels syriens d’être derrière l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri. Le signataire de l’article affirmait détenir les preuves de ses allégations, et citait notamment un rapport de l’ONU qui, selon lui, était accablant pour la Syrie.
A l’époque, le « scoop » du Spiegel avait été exploité par l’administration de George W. Bush et par Israël pour intensifier leur campagne contre la Syrie. Bush ne pouvait s’empêcher de sauter sur l’occasion pour accabler Damas et l’accuser de tous les maux. Sans doute avait-il un pressant besoin de se consoler de sa frustration de n’avoir pu envahir la Syrie après l’Irak pour cause d’engluement dans les sables mouvants mésopotamiens. Quant à Israël, c’est normal, toute information contre la Syrie, peu importe qu’elle soit vraie ou fausse, est bonne à prendre et à exploiter.
Seulement, ce « scoop » servi par le Spiegel à Bush et à Israël s’est révélé être une fausse information, de l’intox qui a largement couvert par son caractère propagandiste les protestations de Damas et ses tentatives de se disculper de la grave accusation portée contre elle par le magazine germanique. Finalement, le tribunal pénal international chargé du dossier Hariri n’avait trouvé aucun élément matériel corroborant les accusations du Spiegel et la Syrie et ses dirigeants furent blanchis. Il est vrai que le magazine allemand avait bénéficié d’un contexte anti-syrien à l’époque, fortement exacerbé par un enquêteur qui ne brillait pas par son impartialité, Detlev Mehlis, allemand lui aussi, et qui, après avoir accumulé les accusations sans preuves contre la Syrie, avait dû démissionner et quitter le Liban sur la pointe des pieds.
Non seulement « Der Spiegel » n’a fait aucun mea culpa, mais, sans transition aucune et près de quatre ans plus tard, il récidive en publiant un autre « scoop » signé par le même journaliste, Erich Follath, accusant cette fois le Hezbollah libanais. Dans l’édition du 24 mai 2009 du Spiegel, on lit la manchette suivante : « Percée dans l’enquête du tribunal : une nouvelle preuve met en cause le Hezbollah dans le meurtre de Hariri ». L’auteur de l’article, Erich Follath écrit : « Il y a des signes que l’enquête est arrivée à de nouveaux résultats explosifs. Le Spiegel a recueilli de sources proches du tribunal des informations, vérifiées à travers l’examen de documents internes, selon lesquelles l’affaire Hariri est sur le point de prendre un tour sensationnel. Les investigations intensives menées au Liban ont toutes abouti cette fois à une nouvelle conclusion : ce sont les forces spéciales du Hezbollah qui ont planifié et exécuté le meurtre de Hariri en février 2005 ».
On est donc édifié. Après nous avoir assuré en 2005 que « les forces spéciales syriennes étaient derrière l’assassinat de Rafik Hariri », le Spiegel change son fusil d’épaule et nous assure aujourd’hui que « ce sont les forces spéciales du Hezbollah qui ont planifié et exécuté le meurtre de Hariri. »
Il est irresponsable de publier un article d’une gravité telle qu’il pourrait plonger le Liban dans une guerre civile, sur la base de « signes », de mystérieux « documents internes » et de « sources proches du tribunal » non identifiées. Pas le moindre élément de preuve matérielle n’a été présenté par Erich Follath pour soutenir ses nouvelles accusations, et son article d’aujourd’hui n’est pas plus crédible que celui d’octobre 2005 accusant les « forces spéciales syriennes ».
La classe politique libanaise, toutes tendances confondues, a senti le coup fourré et a mis en garde contre les dangers que pourrait constituer pour le Liban ce genre de littérature douteuse que le Spiegel se permet de publier. Du gouvernement libanais, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Faouzi Salloukh, à Hassan Nasrallah en passant par Walid Joumblatt et Nabih Berri, tous ont dénoncé avec plus ou moins de virulence l’article du Spiegel.
Reste à savoir pourquoi le magazine allemand s’est-il permis de publier un tel article à ce moment précis ? Il y a tout d’abord les élections législatives libanaises prévues pour le 7 juin prochain. Il n’est pas exclu que toutes les parties qui se trouvent derrière la conception du « scoop » du Spiegel soient animées par le désir d’influer sur les résultats des élections libanaises qui s’annoncent aussi serrées que cruciales.
Ensuite la publication de l’article du Spiegel coïncide avec le démantèlement au Liban d’un réseau d’espionnage lié à Israël. Le très pro-israélien Spiegel pourrait aussi avoir été animé par le désir de détourner l’attention libanaise et internationale de ce scandale embarrassant pour Israël. Entre amis, on s’aide comme on peut.
Enfin, si l’article pouvait contribuer à déclencher une guerre civile au Liban, le Spiegel, en serviteur inconditionnel d’Israël, n’aurait sûrement pas de remords particuliers. Cette guerre civile, il faut le rappeler, est un objectif stratégique d’Israël. Un désordre continu au Liban et une discorde permanente entre les Libanais sont dans l’intérêt bien compris d’Israël qui, depuis des décennies, et en dépit des guerres atroces et des invasions sanglantes, n’a jamais pu et ne pourra jamais soumettre le Liban à sa volonté.

Monday, May 25, 2009

Séismes

Deux événements tragiques ont eu lieu à quelques semaines d’intervalle et qui ont eu à peu près les mêmes effets : des milliers d’habitations, écoles, hôpitaux et administrations totalement ou partiellement détruites, des centaines de morts et des milliers de blessés, des images insoutenables de secouristes s’activant au milieu des gravats à la recherche de personnes ensevelies et encore en vie, des milliers de survivants entassés dans des tentes dans des conditions sanitaires effrayantes, bref deux événements que tout unit, sauf l’essentiel.
La première catastrophe a eu lieu du 28 décembre 2008 au 18 janvier 2009. La seconde a eu lieu dans la nuit du 5 au 6 avril 2009. La première a été un désastre pour des centaines de milliers de Palestiniens qui ont le malheur de vivre à un jet de pierre d’Israël. La seconde a été un désastre pour des centaines de milliers d’Italiens qui ont la malchance de vivre dans la région sismique des Abruzzes, et principalement dans la ville historique de L’Aquila. Ceci pour les similitudes.
Les différences tournent autour d’un point essentiel. La première catastrophe est d’origine humaine. La seconde est d’origine naturelle. La première a été provoquée par une classe politique israélienne instable politiquement et psychologiquement, refusant depuis un demi siècle la notion même de frontière qui constitue le pilier central des relations internationales. La seconde a été provoquée par des plaques tectoniques instables et qui, ignorant elles aussi le principe des frontières, se poussent et se bousculent mutuellement dans les entrailles de la terre, avec des conséquences désastreuses à la surface.
Seulement, l’expérience démontre qu’il est moins grave d’être victime de l’instabilité géologique de la planète Terre que de l’instabilité politique et psychologique d’Israël. L’expérience démontre aussi que, catastrophe pour catastrophe, celle provoquée par le mouvement des plaques tectoniques est, de loin, préférable à celle provoquée par le mouvement des troupes israéliennes.
D’abord, parce que le séisme géologique ne dure que quelques dizaines de secondes, alors que le séisme militaire israélien dure des dizaines de jours, voire des semaines, comme dans le cas des bombardements aveugles, intensifs et ininterrompus subis par le Liban durant l’été de l’année 2006.
Ensuite, quand on est frappé par un séisme géologique, le monde entier compatit, vole au secours des victimes et se montre généreux. Il arrive que des nuées de C130 venant d’un peu partout attendent leur tour dans le ciel pour atterrir et décharger leurs cargaisons de tentes, de nourriture et de médicaments. En revanche si vous êtes victimes de séisme militaire israélien, les puissances européennes et américaine, pourtant « allergiques » à toutes espèces d’injustices et promptes à les dénoncer et à demander des comptes à leur auteur, regardent ailleurs, car l’auteur de l’injustice ici est israélien. Du coup, les vociférateurs professionnels se font discrets et fixent leurs chaussures pour ne pas avoir à regarder la honteuse réalité en face.
Enfin, quand on est victime d’un séisme géologique, la reconstruction est entreprise dans les jours qui suivent la catastrophe. En revanche, si vous êtes victimes des bombardements de l’armée israélienne, et, pire encore, si vous êtes des Palestiniens et habitez la bande de Gaza, l’entreprise de reconstruction est renvoyée aux calendes grecques.
La catastrophe des Abruzzes est intervenue près de deux mois et demi après celle de Gaza. Pourtant en Italie, on travaille d’arrache-pied pour reconstruire ce que le séisme a détruit. A Gaza, la majorité de ceux qui ont perdu leur logement vivent encore sous les tentes, et les plus chanceux d’entre eux ont reconstruit des abris plutôt que des maisons au vrai sens du terme. Des abris fait de terre cuite. Une technique rudimentaire, utilisée par les ruraux indigents des pays pauvres et consistant à mélanger de la terre avec de l’eau pour construire un taudis.
Pourquoi les Palestiniens ont-ils recours à ce qu’il faut bien appeler de la boue pour se construire des abris afin de mieux se protéger du froid l’hiver et de la chaleur l’été ? Parce que jusqu’à ce jour, quatre mois et demi après la fin de la guerre, Israël n’a pas permis l’entrée à Gaza d’un seul sac de ciment, d’une seule barre de fer, d’un seul mètre cube de bois, d’une seule plaque de verre. Bref, ce pays interdit jusqu’à ce jour l’importation par les Palestiniens ou par l’UNRWA du moindre matériau et du moindre produit pouvant servir à la reconstruction de ce que son armée a détruit.
C’est un cas unique dans l’histoire qu’un pays détruit les infrastructures, les logements et les administrations d’un peuple et, dans le même temps, l’empêche par un strict blocus, d’importer ce qui est nécessaire à la reconstruction de ce que son armée a détruit. Mais est-ce si étonnant de la part d’un pays qui autorise son armée à tirer sur les ambulances pour empêcher les secouristes de sauver la vie des blessés qui se vident de leur sang ?
Le droit international humanitaire sanctionne une série de crimes de guerre, dont le bombardement de concentrations civiles et la destruction de leurs biens mobiliers et immobiliers. Mais il n’a pas prévu le cas où le pays qui détruit les biens immobiliers des civils les empêche après la guerre de se procurer les matériaux nécessaires à la reconstruction. Et c’est normal, parce qu’il ne viendrait jamais à l’idée du législateur le plus imaginatif de prévoir un cas aussi incroyable.
Mais si ce n’est pas étonnant de la part d’Israël, comment expliquer le silence assourdissant des puissances européennes et américaine face au sort terrible des Palestiniens qui, après avoir vu leurs maisons détruites dans l’indifférence, se voient, dans la même indifférence, refuser les matériaux pour les reconstruire. Pourquoi ce silence assourdissant à Washington, à Bruxelles, à Paris, à Londres et à Berlin ? Peut-être redoutent-ils de se faire traiter d’antisémites s’ils exigent qu’Israël ne laisse pas passer le ciment, le fer et le bois seulement pour la reconstruction illégale de colonies.

Wednesday, May 20, 2009

Netanyahu, l'arrogant

Dans ses mémoires, Dennis Ross, l’ancien envoyé spécial américain au Moyen-Orient citait le président Bill Clinton qui, dans les années 1990, se plaignait de l’arrogance de Benyamin Netanyahu. Celui-ci « se comportait comme si Israël était la superpuissance et non les Etats-Unis ». En effet, de 1996 à 1999 (période durant laquelle il avait dirigé le gouvernement israélien), son arrogance était telle qu’il se croyait l’homme le plus puissant du monde, ce qui lui avait valu le mépris non seulement dans les pays arabes, mais aussi dans de nombreuses capitales européennes, et même à Washington, si l’on en juge par l’agacement de Bill Clinton.
On croyait que l’homme a changé depuis et que, en vieillissant, il a gagné en sagesse et en ouverture d’esprit. Erreur. A l’arrogance et au fanatisme des années 1990, Netanyahu vient de nous donner la preuve de son manque total de savoir-vivre, puisqu’il a choisi le jour même de sa rencontre avec Obama pour narguer son hôte ou, pire, l’humilier.
L’ancien- nouveau Premier ministre israélien sait parfaitement bien la position du président américain concernant les colonies. Bien avant la rencontre, Obama a passé le message à Netanyahu, lui signifiant l’attachement des Etats-Unis à la solution des deux Etats et lui demandant de geler la construction des colonies, y compris l’extension « pour cause de progression démographique ».
Cela fait 26 ans qu’Israël n’a pas créé une seule nouvelle colonie. Les travaux de construction n’ont jamais cessé, certes, mais ils concernent l’extension de colonies existantes. Après 26 ans donc, Netanyahu a choisi le lundi 18 mai, jour de sa première rencontre avec Barack Obama, pour faire annoncer qu’Israël a décidé de créer une nouvelle colonie dans la Vallée du Jourdain. Les travaux commenceront incessamment et la colonie s’appellera « Maskiyot ».
Mais la provocation de Netanyahu ne s’arrête pas là. Il a choisi également le jour de sa rencontre avec le président américain, le lundi 18 mai, pour le lancement des travaux d’extension de la colonie de Nokdim en Cisjordanie, cette même colonie où habite Avigdor Lieberman, émigré de Moldavie à l’âge de 20 ans, et qui occupe maintenant le poste de ministre des Affaires étrangères.
Que la création d’une nouvelle colonie dans la Vallée du Jourdain et les travaux d’extension dans la colonie de Lieberman soient annoncés le même jour où le président américain s’apprêtait à accueillir Netanyahu à la Maison blanche, cela ne relève pas du hasard. Et la radio de l’armée israélienne qui a annoncé ces deux informations, ne pouvait pas choisir fortuitement le lundi 18 mai pour le faire. Le choix a été fait délibérément dans le but évident d’humilier la présidence américaine. Sinon pourquoi cette annonce n’a pas été faite plus tôt ou plus tard ?
Une telle « coïncidence » aussi flagrante ne peut pas échapper aux commentateurs américains du « Main Stream Media ». Pourtant aucun d’entre eux n’a commenté la double provocation que Netanyahu a présentée en cadeau à Obama. L’un d’entre eux aurait-il osé le faire, il se serait trouvé aussitôt sur la liste noire de l’Aipac (Americain israeli public affairs committee) en tant qu’ « antisémite », d’ « ami des terroristes » et autres balivernes que le public américain est de moins en moins disposé à avaler. Jusqu’à quand les commentateurs du New York Times, du Washington Post et des autres grands médias américains qui, soit dit en passant, ne ratent jamais une occasion pour donner des leçons de démocratie, de moralité et de déontologie, continueront-ils à se faire tout petits face à Israël au point d’ignorer des provocations grossières faites sciemment à l’intention du président élu par la majorité des citoyens des Etats-Unis ?!
Aucun commentateur des grands médias n’a osé commenter non plus l’incroyable mauvaise foi de Netanyahu qui a fait état sans rire, face au président Obama, de son désir de voir « le peuple palestinien se gouverner lui-même ». Netanyahu refuse la création d’un Etat palestinien, refuse le démantèlement des barrages de l’armée qui se comptent par centaines en Cisjordanie, refuse de desserrer l’étau étouffant qui affame les Palestiniens, poursuit la construction du mur de l’apartheid et des colonies, annonce même la création d’une nouvelle dans la Vallée du Jourdain, mais en même temps, déclare au monde entier qu’il aimerait voir le peuple palestinien se gouverner lui-même !
Le Premier ministre israélien se trouve dans la situation absurde et tragi-comique du geôlier qui enferme son prisonnier à double tour et, en même temps, lui demande de se comporter en homme libre.
Si l’on en juge par l’arrogance et la suffisance dont a fait preuve Netanyahu au cours de sa visite à Washington, la plainte de Bill Clinton dans les années 1990, que Dennis Ross a rapportée dans ses mémoires, est toujours d’actualité. En effet, quand on considère le contenu de ses déclarations, la manière de les prononcer et même sa manière de marcher, on ne peut s’empêcher de croire que c’est Netanyahu qui est le chef de la superpuissance, c’est lui qui prend sous son aile les Etats-Unis pour les protéger, c’est lui qui leur fournit les armes les plus sophistiquées pour se défendre, et c’est encore lui qui verse annuellement à chaque Américain 500 dollars…
Bill Clinton s’est contenté de se plaindre dans les coulisses de l’arrogance de Netanyahu et, pendant ses deux mandats, il n’a rien pu imposer à Israël. Barack Obama a fait des déclarations sur le conflit israélo-arabe que tout le monde approuve, sauf le Premier ministre israélien et son gouvernement. Mais au-delà des déclarations qui ne coûtent pas grand-chose, fera-t-il mieux que son prédécesseur démocrate ? Il y a des signes qui nous laissent sceptiques. Obama n’a pas formulé la moindre critique contre les affreux crimes de guerre israéliens commis pendant la dernière guerre de Gaza. Il n’a pas levé le petit doigt pour défendre Charles Freeman, nommé à un poste important dans la direction des renseignements, mais qui a dû démissionner sous l’intense pression du Lobby.

Monday, May 18, 2009

Mearsheimer met en garde Israël: Deux Etats ou l'apartheid

Cette fois, il était seul. Sans son ami Stephen Walt avec qui il a écrit le fameux livre dénonçant l’influence désastreuse du lobby pro-israélien sur la politique américaine au Moyen-Orient et sur les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le monde. Cette fois, John Mearsheimer a pris la plume pour tenter, à son modeste niveau, d’aider à « sauver Israël de lui-même ». C’est d’ailleurs le titre qu’il a choisi pour son article publié par le magazine américain « The American Conservative » dans son édition du 18 mai 2009 (1).
Après la lecture du long article de Mearsheimer (3080 mots), l’image qui surgit est la suivante : Israël est un bateau ivre piloté par un capitaine téméraire. L’arrogance excessive du capitaine et sa confiance sans bornes en la capacité de son embarcation de traverser victorieusement toutes les tempêtes, l’amènent à rire au nez de tous ceux qui le mettent en garde contre les vagues furieuses au milieu desquelles il navigue.
Aucun navire, quelle que soit sa puissance, et aucun capitaine, quels que soient ses talents ne peuvent naviguer indéfiniment dans des eaux houleuses sans une stratégie de sortie. Le navire israélien n’en a aucune. Il continue de naviguer contre vents et marais, ignorant les dangers mortels qui le guettent. Et c’est pour attirer l’attention d’Israël et de ses défenseurs aux Etats-Unis que John Mearsheimer a pris la peine d’écrire son long article.
Il part d’un événement et d’un constat. L’événement, c’est la rencontre Obama-Netanyahu à Washington le 18 mai. Le constat, c’est la divergence entre les deux dirigeants sur la solution des deux Etats, refusée explicitement par le Premier ministre israélien, et défendue tout aussi explicitement par le président américain.
Mearsheimer doute de la capacité du président américain d’imposer ses vues à Israël: « C’est un combat qu’Obama ne semble pas pouvoir gagner, même si les Etats-Unis sont plus puissants qu’Israël et que la majorité des Américains sont en faveur de la création d’un Etat palestinien. » La preuve ? « Depuis 1967, chaque président américain s’est opposé à la colonisation des territoires palestiniens. Pourtant aucun n’a pu mettre suffisamment de pression pour arrêter la construction des colonies, et encore moins les démanteler. Peut-être la meilleure évidence de cette impotence américaine est ce qui s’est passé pendant le processus d’Oslo durant les années 1990. Israël avait confisqué 40.000 acres de terres palestiniennes, construit 400 kilomètres de routes de contournement, doublé le nombre des colons et édifié 30 nouvelles colonies. Bill Clinton n’avait rien pu faire pour arrêter cette expansion. »
Pourquoi Clinton n’a-t-il rien pu faire contre la déferlante israélienne ? La réponse que donne Mearsheimer est la même que celle développée dans le livre qu’il a coécrit avec son collègue Stephen Walt : le Lobby israélien. En d’autres termes, l’impotence américaine s’explique par le fait que « ce puissant groupe de pression a poussé le gouvernement américain à établir une relation spéciale avec Israël qu’Itzhak Rabin avait une fois qualifiée de ‘relation sans équivalent dans l’histoire moderne’. »
L’article de John Mearsheimer est une vraie sonnette d’alarme qui vise à alerter les Israéliens et à secouer le Lobby dans l’espoir de leur faire prendre comprendre que « la solution des deux Etats est le seul moyen de garantir à la fois les intérêts d’Israël et ceux des Etats-Unis dans le long terme. » Toutes les autres solutions, assure l’auteur, analyse à l’appui, sont désastreuses pour l’Etat d’Israël.
Combien y a-t-il d’autres solutions, à part celle des deux Etats ? Pour Mearsheimer, il y a seulement « trois alternatives » à l’absence d’Etat palestinien. Il prend la peine de les détailler.
Le premier scénario consiste à voir « le grand Israël (la Palestine historique) se transformer en un Etat démocratique binational où Israéliens et Palestiniens jouiraient de droits égaux. Or, compte tenu de l’évolution démographique à l’avantage des Palestiniens, il n’y a aucune chance que le public israélien de cette génération ou de la suivante accepte de vivre en minorité dans un même Etat que les Palestiniens ».
Le second scénario, « les Israéliens expulsent la plupart des Palestiniens du grand Israël, préservant ainsi le caractère juif de leur Etat à travers un acte d’épuration ethnique. » Mearsheimer pense qu’un tel scénario « semble invraisemblable, non seulement parce qu’il constituerait un crime contre l’humanité, mais parce qu’il y a 5,5 millions de Palestiniens qui résisteront férocement contre quiconque viendrait les expulser de chez eux. »
Enfin, troisième scénario, « le plus probable » selon Mearsheimer, est « l’instauration d’une forme d’apartheid à travers laquelle, Israël accroît son contrôle des territoires occupés, mais accorde aux Palestiniens une certaine autonomie dans des enclaves discontinues et économiquement non viables. » Mearsheimer a utilisé le mot d’enclaves, mais il s’agit ici de bantoustans à la sud-africaine qui n’attireraient à Israël que plus de haine et plus de mépris dans le monde arabe et musulman.
En Occident, les perspectives ne seraient pas plus réjouissantes, car quel pays, y compris les Etats-Unis, oserait soutenir une classe politique qui ressusciterait la défunte Afrique du sud raciste au Moyen-Orient ?
Plus inquiétant encore pour Israël, non seulement l’immigration vers ce pays est en train de tarir, mais l’émigration des Israéliens vers l’Europe et les Etats-Unis est en constante augmentation. Mearsheimer rapporte qu’ « en 2007, ceux qui ont quitté Israël étaient plus nombreux que ceux qui s’y sont installés. » Selon une enquête des académiciens John Mueller et Ian Lustick, « 69% des juifs israéliens disent vouloir quitter le pays. » Mearsheimer cite une autre enquête effectuée en 2007 et selon laquelle « le quart des Israéliens envisagent de quitter le pays, y compris la moitié des jeunes. » Enfin une troisième enquête montre que « 44% des Israéliens seraient prêts à quitter s’ils trouvaient de meilleures conditions de vie ailleurs », et « plus de 100.000 Israéliens ont acquis des passeports européens. »
Il n’y a aucun doute que c’est l’incapacité de la classe politique israélienne de sortir le pays de l’impasse qui pousse les Israéliens à envisager sérieusement de partir. Mearsheimer a averti Israël qu’il n’a guère le choix qu’entre deux Etats ou l’apartheid. A voir les chiffres des enquêtes, l’alternative pourrait ne pas être l’apartheid, mais la disparition pure et simple d’Israël pour cause de …fuite des citoyens.

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(1) http://www.amconmag.com/article/2009/may/18/00014/

Saturday, May 16, 2009

L'alibi de la "menace existentielle"

Dans son édition électronique du 2 mai dernier, le magazine français « L’Express » a publié l’information suivante : « Des avions de l’armée de l’air israélienne auraient procédé à des exercices de ravitaillement en l’air entre l’Etat hébreu et Gibraltar. L’amplitude -3800 kilomètres- de ce champ de manœuvres confirmerait que l’armée d’Israël se préparerait concrètement à des frappes aériennes sur l’Iran. »
Le 14 mai dernier, le journaliste américain Jason Ditz a publié un article dans le site antiwar.com dans lequel on apprend que « le directeur de la CIA, Leon Panetta, a été envoyé en mission secrète il y a deux semaines en Israël pour s’assurer que Netanyahu et son ministre de la défense Ehud Barak ne lanceraient pas d’attaques contre l’Iran sans alerter les Etats Unis. » Peut-être Obama a-t-il envoyé son espion en chef en Israël après avoir pris connaissance de l’exercice de ravitaillement en l’air rapporté par « L’Express ».
Mais peut-être aussi que le président américain a-t-il d’autres informations qui l’ont poussé à envoyer un autre message à Netanyahu pour l’avertir qu’il doit s’abstenir de lancer ses bombardiers contre l’Iran et mettre les Etats-Unis devant un fait accompli aux conséquences désastreuses. Il serait pour le moins étrange qu’à trois ou quatre jours de sa rencontre avec Netanyahu à la Maison blanche, le président Obama éprouve le besoin de lui envoyer un autre avertissement, s’il n’avait pas de raisons sérieuses de le faire. Autrement, il aurait pu attendre le 18 mai pour le mettre en garde de vive voix.
La Maison blanche est visiblement inquiète qu’Israël ne réédite le coup qu’il avait fait 28 ans auparavant, en juin 1981 plus précisément, quand il avait envoyé ses bombardiers en Irak détruire le réacteur nucléaire Osirak. Apparemment, les Israéliens avaient frappé sans informer l’administration Reagan qui soutenait alors le régime de Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran. Ronald Reagan était hors de lui et, se confiant à son conseiller à la sécurité nationale, Richard Allen, il lui avait dit : « les enfants resteront toujours des enfants ». Il parlait des Israéliens bien sûr. Des enfants dangereux qui jouaient et jouent toujours avec des allumettes à proximité d’un dépôt de carburant.
Obama ne peut pas ne pas avoir en tête le précédent d’Osirak et le commentaire de Ronald Reagan qui, rappelons le, avait ordonné alors à son ambassadeur aux Nations-Unies de voter pour la résolution du conseil de sécurité qui condamnait à l’unanimité l’attaque israélienne contre l’Irak.
Obama ne peut pas ignorer non plus qu’au temps de Reagan, l’Amérique ne se trouvait pas dans une situation aussi dangereuse. Le coup israélien contre Osirak avait certes embarrassé la Maison blanche qui avait réagi avec agacement, mais n’avait pas mis en danger les intérêts nationaux américains. Aujourd’hui, la situation est autrement plus grave et dangereuse, et les Etats-Unis ne peuvent donc pas se permettre de se retrouver face un incendie gigantesque que déclencherait une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes.
Une éventualité d’autant plus intolérable qu’Obama sait pertinemment que le monde entier tiendrait les Américains pour complices, même si les Israéliens faisaient cavalier seul et maintenaient Washington dans l’ignorance.
Concernant la question nucléaire iranienne, tout le monde sait qu’Israël se livre à un tintamarre assourdissant depuis trois ou quatre ans. Il est vrai qu’à un certain moment, surtout pendant les deux dernières années du mandat de George Bush, les Etats-Unis et l’Europe avaient suivi Israël dans sa campagne anti-iranienne, mais, il faut le dire, sans trop de conviction. La preuve est que après la disparition de Bush et des néoconservateurs de la scène, les israéliens se sont retrouvés seuls à pointer le doigt avec autant de virulence du côté de l’Iran. Leur insistance est telle que la chose devient suspecte.
Nul besoin d’être un grand stratège pour savoir que la « menace existentielle » qu’Israël prétend subir de la part de l’Iran relève de la pure propagande, car tout le monde sait, et les Israéliens les premiers, que l’Iran ne prendra jamais le risque de se faire rayer de la carte pour le simple plaisir d’envoyer une arme de destruction massive sur Israël. Cela dit, cette histoire de « menace existentielle » vient à point nommé remplir une précieuse fonction de diversion dont Israël a un besoin évident.
Tout d’abord cela aide énormément les propagandistes israéliens dans leur effort consistant à perpétuer la fiction du monopole de la souffrance du peuple juif, en rappelant à tout bout de champ l’holocauste passé et en agitant constamment la menace d’un autre holocauste qui prépareraient les ennemis d’Israël.
Ensuite, cette histoire de « menace existentielle » est un alibi parfait que la classe politique israélienne met en avant pour signifier à l’Europe et aux Etats-Unis que l’urgence ne consiste pas à se pencher sur le processus de paix, mais de sauver Israël du « danger mortel » qui le guette.
Enfin la « menace existentielle » est l’épouvantail qu’Israël s’est fabriqué sur mesure pour être agité chaque fois que cela s’avère nécessaire, le but étant d’ajourner ad vitam aeternam l’évacuation des territoires palestiniens et du Golan syrien.
Lundi 18 mai, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu sera reçu à la Maison blanche par le président américain Barack Obama. Les deux hommes risquent de se retrouver sur deux ondes différentes, l’un parlant de « menace existentielle », l’autre de processus de paix israélo-arabe. Le monde entier aura les yeux braqués sur cette rencontre qui risque de se transformer en une partie de bras de fer dont l’issue est d’une importance capitale pour la paix ou la guerre dans la région. Obama tiendra-t-il bon ou succombera-t-il, comme bon nombre de ses prédécesseurs, à l’intense pression des lobbies pro-israéliens ?

Wednesday, May 13, 2009

Polarisation à Washington

La question est encore loin d’être résolue dans la capitale américaine où le débat fait rage entre les défenseurs de deux priorités diamétralement opposées. Il y a ceux qui estiment que les Etats-Unis doivent concentrer tous leurs efforts en Asie du sud pour stopper l’avance de l’obscurantisme taliban en Afghanistan et, plus dangereusement encore, au Pakistan. Et il y a ceux qui estiment que l’Etat fédéral américain doit mobiliser toutes ses ressources pour stopper le programme nucléaire iranien qui pose une « menace existentielle » pour Israël.
La semaine dernière, Washington a accueilli deux événements concomitants qui ont exacerbé ce débat et polarisé encore plus les acteurs politiques américains sur ces deux questions : la tenue de la conférence annuelle de l’AIPAC (American Public Affairs Committee), le puissant Lobby pro-israélien, et la visite officielle effectuée par les présidents afghan, Hamid Karzai, et pakistanais, Asif Ali Zardari, venus discuter la grave situation qui prévaut dans leurs pays respectifs avec leur homologue américain, Barak Obama.
Le premier événement a souligné que les Etats-Unis n’ont aucune autre priorité que celle de débarrasser l’Iran de son programme nucléaire. Tous les intervenants qui se sont succédés à la tribune de l’AIPAC n’ont parlé d’aucun autre sujet, et la question afghano-pakistanaise n’a pratiquement pas été évoquée. Intervenant à partir d’Israël via satellite, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a même livré une « bonne nouvelle » à l’audience aipacienne que « le programme nucléaire iranien a unifié Israël et les pays arabes modérés ».
On ne sait pas où Netanyahu a été chercher cette « bonne nouvelle », mais, il est clair qu’on est là en présence d’un cas d’école du politicien qui prend ses désirs pour de la réalité. Lors de sa visite de lundi dernier à Charm el Cheikh, Netanyahu a, sans doute, essayé de convaincre le président Moubarak du « danger commun en provenance de Téhéran et qui menace à la fois Le Caire et Tel Aviv ». Il a, sans doute, ardemment exprimé son désir de voir publier un communiqué commun dans ce sens, mais les Egyptiens lui ont ri au nez.
Tout le monde sait que les relations égypto-iraniennes sont tendues. Tout le monde sait que le Caire n’est pas particulièrement à l’aise face au programme nucléaire iranien, mais de là à penser que l’Egypte puisse entrer dans une alliance stratégique et militaire avec Israël contre l’Iran, il n’y a probablement que deux ou trois personnes dans le monde pour le croire, dont Benyamin Netanyahu et son ministre des affaires étrangères, le Moldave Avigdor Lieberman qui, rappelons le, n’a pas fait le voyage à Charm el Cheikh avec son patron, parce qu’il est persona non grata en Egypte .
Pour revenir à Washington, le jour même (mercredi dernier) où les 6000 délégués de l’AIPAC déferlaient sur le Congrès pour exiger une loi qui durcirait encore plus les sanctions contre l’Iran, le président Obama entamait ses entretiens avec ses homologues afghans et pakistanais sur les problèmes qui secouent l’Asie du sud. Quand on sait que plus de la moitié des 535 membres du Congrès (représentants et sénateurs confondus) ont assisté à la conférence annuelle du Lobby, quand on sait le nombre exagérément élevé d’élus américains gagnés à la cause de l’AIPAC et d’Israël (plus par peur que par conviction), on peut avoir une idée sur la polarisation autour de la question des priorités américaines à Washington.
Pour récapituler, nous avons un pole constitué par le représentant d’Israël, l’AIPAC, et plusieurs membres influents de la Chambre des représentants et du sénat, qui pousse vers la guerre contre l’Iran. L’autre pole qui s’est formé à Washington et qui estime que la priorité des priorités est la bataille contre les talibans, comprend le Pentagone, la Maison blanche, l’état major de l’armée américaine et les services de renseignement.
A première vue, le pole anti-taliban est plus fourni et détient les principaux leviers du processus de prise de décision à Washington. Cependant, la grande inconnue reste le rôle des médias et leur prédisposition à rejouer on non le rôle de manipulateur joué pendant les préparatifs de la guerre d’Irak. Un exemple inquiétant. Le Wall Street Journal qui, comme on le sait, a joué un rôle désastreux dans l’invasion de l’Irak, n’a nullement tiré la leçon qui s’impose. Il semble vouloir remettre ça en poussant maintenant vers la guerre contre l’Iran.
Dans une interview accordée récemment à ce journal, l’amiral Mike Mullen, chef d’état major de l’armée américaine a affirmé : « une attaque israélienne contre l’Iran engendrera des risques exceptionnellement élevés pour les intérêts américains dans la région. » Le Wall Street Journal a tout simplement censuré cette phrase. Ce qui a amené le bureau de presse du chef d’état major de donner la totalité de l’enregistrement de l’interview à d’autres médias qui ont publié la partie censurée.
Le 18 mai prochain, Netanyahu sera reçu à Washington par Barack Obama. Il tentera sans doute de convaincre le président américain en ressassant les vieilles rengaines israéliennes sur la confusion des intérêts de Washington et de Tel Aviv, sur l’intérêt des Etats-Unis à confronter l’Iran en bombardant ses sites nucléaires, et il lui répètera même sa « bonne nouvelle » sur l’ « alliance entre Israël et les pays modérés » face à l’Iran.
Obama est assez intelligent pour savoir que tout ce que lui racontera Netanyahu sur « le danger existentiel iranien » est de la démagogie. Mais une démagogie dangereuse puisqu’elle vise à impliquer par tous les moyens les Etats-Unis dans une confrontation armée avec l’Iran.
Bush a tourné le dos à l’Afghanistan pour déclarer la guerre à l’Irak, plongeant son pays dans le plus grand désastre de l’histoire moderne. Obama, qui avait senti le danger et s’était opposé à l’aventure irakienne de Bush, ne peut pas commettre une erreur autrement plus grave et plus dévastatrice : tourner le dos à l’Afghanistan et au Pakistan afin de s’attaquer à l’Iran pour les beaux yeux des Israéliens.

Tuesday, May 12, 2009

"Incidents" inhabituels entre Washington et Tel Aviv

C’était si inhabituel que quand cela arriva, les Israéliens ne trouvèrent rien d’autre pour le qualifier que le mot « incident ». Et puisque plusieurs choses sont arrivées à la fois, le journal israélien « Haaretz », les a citées toutes et, du coup, on s’est trouvé face à une série d’ « incidents ».
Premier « incident » : il y’a quelques jours, Dennis Ross, chargé des affaires iraniennes, a été envoyé par Obama dans le Golfe pour parler de l’Iran avec les pays arabes de la région. Avant la mission, aucune coordination ni aucune consultation entre Washington et Tel Aviv n’a eu lieu avant le voyage de Ross, et celui-ci n’a pas fait d’escale en Israël ni à l’aller, ni au retour.
Deuxième « incident » : l’ouverture américaine sur la Syrie et les négociations directes entre Washington et Damas sont faites sans coordination avec Israël. Par exemple, les Israéliens n’ont pas été briefés sur le dernier voyage effectué par un diplomate américain de haut rang à Damas.
Troisième « incident » : plusieurs détails sur le plan de dialogue américain avec l’Iran n’ont pu être obtenus par Israël qu’à « travers les canaux européens ».
Quatrième « incident » : la sous-secrétaire d’Etat américaine, Rose Gottemoeller, parlant mardi dernier à une conférence sur le Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP) a dit ceci : « L’adhésion universelle au TNP, y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du nord demeure un objectif fondamental des Etats-Unis ». Cet « incident » est le plus grave pour les Israéliens, puisque Mme Gottemoeller a inclus Israël sans qu’il y’ait eu la moindre coordination avec les responsables de la question nucléaire à Tel Aviv qui, se lamentent-ils, l’ont « appris dans les médias ».
C’est la première fois, en effet, depuis l’administration Kennedy au début des années 60 du siècle dernier, que le département d’Etat se réfère à Israël en tant que pays nucléaire qui doit adhérer au traité de non prolifération, et donc s’ouvrir à l’inspection de l’AIEA à laquelle sont soumis 189 pays signataires du traité de 1970.
Depuis l’administration Johnson jusqu’à celle Bush fils, Washington a aidé Israël à maintenir l’ambiguïté sur ses armes nucléaires. Cette ambiguïté faisait partie de la stratégie anti-soviétique de Washington, initiée par le personnage central de la diplomatie américaine d’alors, Henry Kissinger, qui estimait que la transparence en matière d’armes nucléaires israéliennes pousserait les pays arabes dans les bras de l’Union Soviétique et aiderait celui-ci à leur vendre massivement des armes.
Mauvaises nouvelles pour Israël, ces « incidents » sont autant de bonnes nouvelles pour les Arabes dans la mesure où ils constituent des indices sérieux que l’administration américaine actuelle se propose de réviser la nature des relations qui la lient à leur « allié stratégique » du Moyen-Orient dans le sens de la normalisation.
Appliqué aux relations internationales, le mot « normalisation » évoque la résolution d’un contentieux et un rapprochement entre deux pays ou plus, débouchant sur le rétablissement des échanges diplomatiques, politiques, économiques, culturels etc.
Mais, appliqué aux relations israélo-américaines, le mot normalisation évoque au contraire une certaine distanciation dans l’intérêt des deux pays.
L’extraordinaire étreinte à laquelle se prêtent Israël et les Etats-Unis depuis plus de quatre décennies est devenue si dommageable pour les deux pays que, si elle se poursuit encore, elle risquera de les étouffer tous les deux. D’où la nécessité pour Washington et Tel Aviv de prendre une certaine distance, ce qui leur permettra de mieux respirer, de s’oxygéner le cerveau et, par conséquent, de voir les choses plus rationnellement et moins passionnellement.
Visiblement, Obama est le premier président américain à se rendre compte du danger que constitue l’étouffante étreinte israélo-américaine pour les intérêts des deux pays. Les « incidents » évoqués plus haut rassurent sur sa détermination à prendre ses distances pour mieux respirer et pour élargir sa marge de manœuvre qu’Israël et son Lobby à Washington ont, au fil des ans, pris soin de réduire pour tous les présidents américains qui ont succédé à John Kennedy, de Lyndon Johnson à George Bush.
Le rétrécissement de la marge de manœuvre des présidents américains vis-à-vis d’Israël a atteint des sommets hallucinants avec Bush fils qui a poussé la servilité à un degré tel, qu’il n’hésitait pas à interrompre une activité publique pour aller parler au téléphone à Ehud Olmert qui refusait de rappeler plus tard, à envoyer le texte de ses discours à Tel Aviv avant de les prononcer et à exiger de sa secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, d’informer son homologue israélien du contenu de ses déclarations avant de les rendre publiques.
La volonté d’Obama de reprendre le terrain perdu par la Maison blanche en termes de pouvoir de décision de la politique moyen-orientale américaine inquiète en Israël. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahu, et son ministre des Affaires étrangères, le Moldave Avigdor Lieberman, ont bien des raisons de perdre le sommeil. L’actuel locataire de la Maison blanche a l’air non seulement de prendre ses distances avec ces deux extrémistes, mais même à les traiter avec une certaine condescendance. En effet, jusqu’à ce jour, aucune « procédure de travail » entre les administrations israélienne et américaine n’a encore été mise en place, et aucun « canal de communication directe » n’a encore été établi entre le bras droit de Netanyahu, Uzi Arad, et le conseiller d’Obama à la sécurité nationale, le général James Jones.
Aujourd’hui, mardi 12 mai, Uzi Arad arrive à Washington pour préparer la visite de Netanyahu aux Etats-Unis, prévue le 18 mai prochain. Des responsables israéliens, cités par « Haaretz » ne sont au courant que d’une seule chose qui sera soulignée au visiteur israélien : l’Amérique ne veut plus entendre parler de construction de colonies dans les territoires palestiniens occupés. La paix ou la guerre au Moyen-Orient dépendront de l’issue du bras de fer qui se prépare entre Washington et Tel Aviv.

Wednesday, May 06, 2009

Le cadeau du juge Ellis au Lobby

Ils étaient des milliers, comme d’habitude, à se bousculer à la fête annuelle de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) à Washington pour se faire voir, se faire remarquer et signifier, par leur présence et par leurs contributions sonnantes et trébuchantes, leur soutien à Israël. Car, celui qui a des ambitions et veut réussir une carrière politique n’a vraiment aucun intérêt à se signaler par son absence aux forums rituels du tout puissant Lobby.
Parmi ces milliers de personnes, il y avait les représentants de 66 pays (diplomates accrédités à Washington) et plus de la moitié des membres du Congrès. Il est extraordinaire que 66 pays à travers le monde éprouvent le besoin d’envoyer leurs représentants partager la fête d’un Lobby, un groupe de pression dont la responsabilité est établie dans l’instabilité qui règne au Moyen-Orient pour avoir poussé à de nombreuses guerres, dont les deux dernières, celle contre le Liban en 2006 et celle contre Gaza au début de cette année. Sans oublier l’opposition systématique de l’AIPAC à toute initiative de paix basée sur l’évacuation des territoires occupés.
Pire encore, la justice américaine n’a rien trouvé de mieux à faire que de clore le dossier de deux personnages de premier plan du Lobby, Steve Rosen et Keith Weissman, après avoir été accusés d’espionnage en faveur d’Israël, de manière à leur permettre d’assister libres et blanchis à la fête du Lobby qu’ils président.
Pourtant, ce qu’ont fait ces deux là est passible d’une peine de plusieurs années de prison. Et l’acte aurait mené tout droit en prison, s’il avait été commis par n’importe quel citoyen américain ou étranger qui ne soit pas protégé par le puissant groupe de pression israélien.
Steve Rosen et Keith Weissman étaient inculpés en 2005 du crime d’espionnage après s’être procuré des informations hautement confidentielles du Pentagone concernant l’Iran qu’ils avaient livrées à Israël. Quatre ans de pressions continues ont fini par forcer la justice américaine à jeter l’éponge et à classer un dossier solide contenant des crimes avérées et prouvées. Encore heureux que le Lobby n’ait pas exigé les excuses officielles du ministre américain de la justice…
Dans son compte rendu de l’affaire, le New York Times a écrit que le juge fédéral T.S. Ellis III a rendu la tâche du procureur pratiquement impossible en mettant la barre trop haut. Il a fait comprendre à l’accusation qu’elle n’aurait aucune chance de faire condamner Rosen et Weissman, si elle ne prouvait pas que ces deux là « savaient que la distribution de l’information mettrait en danger les intérêts américains. »
On reste sans voix. Voici une justice célèbre dans le monde entier pour son indépendance incontestable à l’égard du gouvernement fédéral, mais qui vacille sous la pression d’un lobby devenu omnipotent aux Etats-Unis, où pratiquement aucune institution ne peut résister à ses exigences. La justice américaine est connue pour sa rigueur et son extrême intolérance à l’égard de la moindre inconduite, au point de sévir contre le simple vol d’une pomme dans un supermarché.
Il s’agit ici de graves crimes d’espionnage commis par des protégés du Lobby et, étonnamment, la justice américaine s’est trouvée acculée à rechercher des excuses aux espions, à baptiser l’espionnage « distribution de l’information » et à exiger la preuve que les espions, en commettant leur crime, avaient l’intention de nuire aux intérêts américains.
La justice américaine, depuis qu’elle existe, a traité des centaines, peut-être des milliers, de cas d’espionnage. Jamais l’accusation ne s’était trouvée confrontée à une charge de la preuve sur l’intention des accusés de nuire aux intérêts des Etats-Unis. Cette intention a toujours été considérée comme évidente, comprise dans l’acte d’espionnage lui-même, dans la mesure où le vol d’une information ultrasecrète met nécessairement en danger un ou plusieurs secteurs politiques du pays victime du vol.
Il est peu probable que cette nouvelle « jurisprudence » du cas Rosen-Weissman puisse profiter aux futurs espions qui tomberont dans les filets de la justice américaine. En effet, on voit mal le juge Ellis ou son successeur exiger un jour la preuve sur les intentions d’espions chinois ou vénézuéliens de nuire aux intérêts de Washington après qu’ils aient délivré des informations hautement confidentielles à Pékin ou à Caracas.
En fait, c’est le juge Ellis qui, ici, met en danger les intérêts de son pays. En laissant filer Steve Rosen et Keith Weissman, en dépit de la gravité du crime commis, il ne fait qu’encourager les espions israéliens à se montrer plus entreprenants et plus hardis. D’ailleurs ont-ils besoin d’encouragement ? Le FBI reconnaît dans l’un de ses rapports que « les espions israéliens sont les plus agressifs » aux Etats-Unis. L’impunité dont viennent de bénéficier Rosen et Weissman est de nature à rassurer les espions israéliens, c'est-à-dire à espionner dans la sécurité si l’on peut dire.
L’exigence de la preuve des mauvaises intentions des espions du Lobby met le juge Ellis dans la situation de celui qui cherche midi à quatorze heures. Cette preuve est là, telle une poutre dans l’œil de l’Amérique que celle-ci refuse de voir. Elle se trouve dans chaque action entreprise, dans chaque pression exercée et dans chaque menace proférée par le Lobby contre les différentes institutions et les divers responsables aux Etats-Unis. Elle se trouve dans les immenses difficultés que rencontre la diplomatie américaine au Moyen-Orient et dans l’image hautement dégradée des Etats-Unis dans le monde et dont le Lobby y est pour beaucoup. Mais comme on dit, il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Monday, May 04, 2009

Remous au sein de la classe politique israélienne

Depuis les premiers instants de sa campagne électorale, il était clair que Barack Obama avait une intelligence politique et une capacité de hiérarchiser les priorités qui manquaient lamentablement à son prédécesseur. Quand il avait insisté que le principal danger qui menaçait les Etats-Unis et même le monde provenait de l’Afghanistan, il n’avait pas tort. Quand il avait mis en garde contre la contagion talibane qui risquait de transformer le Pakistan en un second Afghanistan d’une magnitude autrement plus déstabilisatrice, il n’avait pas tort non plus.
La clairvoyance d’Obama s’est vérifiée aussi au niveau du dossier iranien. Quand il parlait de la « menace nucléaire iranienne », il n’avait visiblement pas la même conviction et la même certitude que lorsqu’il parlait des dangers en provenance de l’Afghanistan et des zones tribales pakistanaises. C’est comme si le nouveau président, en parlant de l’Iran, accomplissait une formalité. Mais quand il parlait de l’Afghanistan, on le sentait très préoccupé de trouver la bonne stratégie et de mettre en œuvre la bonne politique à suivre.
Le tintamarre provoqué autour du programme nucléaire iranien avait atteint son apogée en 2006, quand l’ancien président Bush avait donné l’impression qu’il s’apprêtait à bombarder l’Iran, crainte attisée à l’époque par l’article du journaliste américain Seymour Hersh dans le « New Yorker ». Il faut dire que l’agressivité de l’administration Bush à l’égard de l’Iran n’avait rien à voir avec son programme nucléaire. Elle s’inscrivait dans le cadre du programme des néoconservateurs sur le « Nouveau Moyen-Orient » qui incluait un changement de régime en Syrie et en Iran, aussitôt réglée la question irakienne.
Dès lors on comprend la grande frustration de Bush qui, en s’engluant dans les sables mouvants mésopotamiens, a vu son grand rêve s’effondrer. L’irruption de la question du nucléaire iranien a, pour un court laps de temps, ravivé le rêve néoconservateur de changer le régime iranien. Rêve définitivement brisé par le fameux rapport de la CIA qui, à la grande consternation du régime de George Bush, affirmait que l’Iran avait mis fin à son programme militaire nucléaire en 2003.
En fin politicien, Obama qui, en tant que sénateur, avait voté contre la guerre d’Irak, ne pouvait ignorer toutes les magouilles néconservatrices. C’est ce qui explique sa remarquable tiédeur vis-à-vis du dossier iranien, et son extrême anxiété à l’égard de la situation pakistano-afghane dont l’origine de l’aggravation remonte à la désastreuse décision de Bush de tourner le dos à l’Afghanistan et de concentrer toute l’énergie américaine sur l’Irak.
La position de l’Europe étant aussi tiède au niveau du dossier nucléaire de l’Iran, Israël s’est donc retrouvé pratiquement seul à agiter l’épouvantail iranien en présentant la république islamique comme « un danger existentiel » qui le guette. Depuis longtemps les politiciens israéliens n’arrêtaient pas de fanfaronner en criant sur les toits qu’ils ne tolèreraient en aucun cas un Iran disposant d’armes nucléaires, et que si la communauté internationale n’assumait pas ses responsabilités, l’armée israélienne se chargerait de mettre en terme à ce programme en l’enterrant sous les décombres.
Il ne faut pas oublier que la dernière vraie guerre, c'est-à-dire contre un adversaire de taille, gagnée par l’armée israélienne remonte à 1967, quarante deux ans déjà. Depuis Israël n’a cessé de faire l’étalage de ses muscles contre des adversaires faibles militairement, comme les Libanais, ou carrément désarmés, comme les Palestiniens.
Les fanfaronnades d’Israël contre l’Iran s’explique par son complexe de supériorité qu'il ne cesse de nourrir depuis sa victoire dans la guerre de juin 1967, complexe par ailleurs fortement ébranlé par les revers subis par l’armée israélienne dans la guerre du Liban de l’été 2006. Le propre d’une fanfaronnade est qu’elle laisse planer une forte incertitude sur la capacité de concrétiser les menaces proférées. La bonne nouvelle pour l’Iran, et même pour toute la région, est que cette incertitude que trahissent les fanfaronnades israéliennes s’est glissée au sein même de l’establishment israélien qui, tout en continuant à pointer du doigt l’Iran, est divisé sur la capacité d’Israël à mener une attaque efficace contre les installations nucléaires iraniennes.
Evidemment la question du dossier nucléaire iranien a dû être évoquée par Shimon Peres au cours de sa visite à la Maison blanche, mais on ne peut savoir si le président israélien a fait ou non des confidences à son homologue américain concernant la division qui traverse désormais la classe politique israélienne entre ceux qui continuent de croire en « la menace existentielle » de l’Iran, et ceux qui estiment qu’Israël peut coexister avec un Iran doté d’armes nucléaires.
De toute manière, Obama n’a pas besoin des confidences de Peres, puisque la chose est déjà sur la place publique. Selon le quotidien israélien « Haaretz » dans son édition électronique d’hier, un personnage clé de la scène politique israélienne est en train de prendre ses distances à l’égard de l’idée de bombarder l’Iran. Il s’agit d’Ehud Barak.
Barak est un personnage central dans le processus de prise de décision en Israël. Sa longue expérience en tant que commandant des troupes d’élite, Sayeret Matkal, de ministre de la défense et de Premier ministre font de son feu vert à une action aussi grave qu’une attaque contre l’Iran un préalable à toute décision dans ce sens.
Il n’est pas exclu que Netanyahu se range à côté de Barak sur le dossier iranien. Apparemment l’homme est en train de mûrir. En tout cas il ne ressemble plus beaucoup au Premier ministre rigide, inflexible et fanatique que l’on avait connu entre 1996 et 1999. D’après la presse israélienne d’hier, Peres était porteur d’ « une bonne nouvelle » à Obama : Netanyahu se serait rangé à l’idée de deux Etats. Se ranger à l’idée de deux Etats, ne veut pas dire que l’actuel Premier ministre va tout mettre en œuvre pour réaliser cet objectif. Avant lui, beaucoup de responsables israéliens ont cru, ou ont fait semblant de croire, à la solution des deux Etats dans le discours mais, dans la pratique, ils n’ont ménagé aucun effort pour bloquer sa concrétisation.

Saturday, May 02, 2009

Le Lobby sévit dans les campus

Résumons l’un des textes proposés par le professeur William Robinson à ses étudiants dans le cadre d’un cours sur la globalisation à l’université californienne de Santa Barbara (UCSB). Le 1er octobre 1939, les troupes d’occupation nazies en Pologne rassemblèrent tous les Juifs de Varsovie dans un quartier, devenu célèbre sous le nom de « ghetto de Varsovie ». Plus rien n’entrait ni ne sortait de ce ghetto. La nourriture permise par les Nazis ne dépassait guère les 250 calories par personne et par jour, soit le un dixième de ce qui est nécessaire à une personne pour vivre normalement. Toute rébellion dans le ghetto était réprimée dans le sang. En décembre 1939, par exemple, deux soldats allemands étaient tués dans un restaurant local. Pour les venger, l’armée allemande fusilla 106 hommes du ghetto. En avril, 1940, le ghetto était emmuré de tous les côtés, ce qui le coupa du reste du monde.
Le texte proposé par le professeur Robinson fait ensuite un saut dans le temps et dans l’espace et arrive à Gaza 2005. Le 12 septembre 2005, les dernières colonies de la bande de Gaza étaient démantelées et l’armé israélienne se retira après 38 ans d’occupation. Pour Israël, le retrait des troupes signifie la fin de l’occupation de Gaza. Mais, pour les citoyens de Gaza, l’occupation a tout simplement évolué vers une autre étape : le ghetto. En 2005, la bande de Gaza était devenue une prison en plein air pour les Palestiniens. En plus du contrôle strict de l’espace aérien et des frontières terrestres et maritimes, Israël faisait entrer au compte-gouttes les produits de base indispensables à la vie, s’inspirant probablement des 250 grammes de nourriture que laissaient entrer les Nazis pour chaque Juif du ghetto de Varsovie.
En plus des textes proposés à la lecture, le professeur incluait à l’intention de ses étudiants des photographies de la dernière guerre (27 décembre 2008-18 janvier 2009) où l’on voyait des scènes terrifiantes de destruction, de morts qui jonchaient les rues et de cadavres que les sauveteurs tentaient de dégager des décombres.
Parmi les centaines d’étudiants, deux étaient « choqués » par les documents écrits et photographiques proposés par le professeur Robinson. Ils n’avaient pas apprécié le parallèle établi entre les atrocités commises par les Nazis dans le ghetto de Varsovie et celles commises par l’armée israélienne dans le ghetto de Gaza. Le premier réflexe de ces deux âmes sensibles était d’alerter l’« Anti-Defamation League ». Aussitôt la police de la pensée du Lobby israélien, sortie tout droit du livre de George Orwell « 1984 », était sur place, et, avec son arrivée, commençaient les ennuis du professeur William Robinson.
Abraham Foxman, le chef le plus puissant et le plus redoutable du Lobby, se comporta en véritable patron de la police de la pensée. Il convoqua le 9 mars dernier une douzaine de responsables de l’Université de Santa Barbara qu’il rencontra dans l’enceinte de l’université. D’après Harold Marcuse, professeur d’histoire, présent au meeting, Foxman parla pendant une heure durant laquelle il avait à la fois exigé une enquête sur l’ « antisémitisme » du professeur William Robinson, et réprimandé les présents pour « n’avoir pas dénoncé publiquement » leur collègue…
On sait qu’Abraham Foxman a un pouvoir aux Etats-Unis que tous les politiciens redoutent parce qu’il a les moyens de détruire la carrière de celui qui ose s’en prendre à la politique israélienne, même dans ses aspects les plus criminels. Le chef du Lobby vient de prouver une fois de plus qu’il n’est pas seulement l’épouvantail des politiciens, mais aussi des académiciens américains. Car le Lobby dispose également du pouvoir de mettre en difficulté, voire détruire, des carrières académiques de professeurs universitaires. Rappelez-vous le travail des professeurs John Mearsheimer et Stephen Walt sur le Lobby israélien et la politique étrangère américaine. Ils n’avaient trouvé dans leur pays aucun éditeur ni aucune revue qui accepteraient de publier leur étude. Ils avaient dû finalement se tourner vers l’Europe, et l’étude fut publiée en 2006 par la London Revue of Books.
Les cadres dirigeants de l’université de Santa Barbara se sont pliés aux injonctions de Foxman. Comme l’a exigé ce chef de police de la pensée, une enquête est ouverte pour déterminer si le professeur William Robinson est un « antisémite » ou pas. Mais tous les académiciens américains ne sont pas serviles vis-à-vis de la police de la pensée du Lobby qui intervient dans les universités pour interdire tout enseignement qui ne lui plairait pas et exiger le renvoi de tout professeur qui sortirait des rangs.
En effet, un Comité de défense de la liberté académique à l’UCSB (1) a été aussitôt constitué pour exiger l’arrêt de l’enquête et des accusations d’« antisémitisme » qui visent le professeur William Robinson. Des dizaines d’académiciens américains et étrangers sont membres de ce comité. Le plus célèbre d’entre eux est l’académicien de confession juive, Noam Chomsky, qui ne cache pas sa colère contre le harcèlement de la part du Lobby dont sont victimes les universitaires américains et sa révolte contre l’immixtion de la police de la pensée, dirigée par Foxman, dans le contenu des cours. « Le contenu des cours », insiste Chomsky, « est du seul ressort du professeur ».
Le professeur Chomsky n’est pas à son premier clash avec le Lobby. Il ne rate pas une seule occasion pour le mettre à l’index et dénoncer ses méfaits. Défendant son collègue Williamson, Chomsky affirme que « l’accusation d’antisémitisme est une vieille stratégie de l’ADL (Anti-Defamation League) qui consiste à faire l’amalgame entre la critique d’Israël et l’antijudaïsme. Ils taxent toute critique comme antisémite, mais ne répondent jamais à la critique elle-même parce qu’ils ne peuvent pas. (…) Depuis quarante ans, le Lobby est devenu une organisation de style staliniste dont l’objectif est de soutenir tout ce que fait Israël et de détruire toute opposition à la politique israélienne. »
Les incidents entre politiciens et académiciens américains d’une part et le Lobby israélien d’autre part se multiplient. Depuis quarante ans, ce Lobby utilise la même et l’unique arme à sa disposition : accuser ses adversaires d’antisémitisme. Cette arme est de moins en moins efficace parce qu’elle est discréditée, rouillée, épuisée et usée jusqu’à la corde.


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(1) www.sb4af.wordpress.com