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Friday, January 21, 2011

Sachons préserver la liberté retrouvée

L’idéal serait que l’on reconstruise le système politique sur des bases solides. C'est-à-dire prendre la peine et le temps de jeter de nouvelles bases constitutionnelles à travers l’élection d’une Assemblée constituante qui nous doterait d’une nouvelle Constitution.
Tout le monde sait que l’actuelle Constitution est demeurée lettre morte pendant un demi- siècle pour une raison simple. Son initiateur, Habib Bourguiba, l’avait conçue un peu comme s’il allait chez un couturier pour se faire faire un costume. Il avait imposé une Constitution à sa mesure qui assurait des pouvoirs exorbitants à l’Exécutif, c'est-à-dire au président de la République, aux dépens du parlement et de l’autorité judiciaire qui, depuis l’indépendance jusqu’au 14 janvier 2011, n’avaient jamais ni l’un ni l’autre critiqué ou même discuté une décision présidentielle.
Pendant plus d’un demi-siècle, les pouvoirs législatif et judiciaire s’étaient vus retirer tout pouvoir réel, acceptant passivement de jouer le rôle de courroie de transmission de la volonté de l’Exécutif, obéissant sans discuter à ses ordres et se contentant de jouer les figurants sur la scène publique.
L’idéal serait que l’on se dote d’une nouvelle Constitution qui donnerait moins de pouvoir au président de la république et renforcerait celui du parlement et de l’autorité judiciaire, seule manière de barrer définitivement la route au culte de la personnalité et à l’abus du pouvoir. Car il y a un aujourd’hui un besoin évident d’apprivoiser l’autorité présidentielle en se dotant de mécanismes solides permettant d’empêcher l’Exécutif d’élargir démesurément le champ de ses compétences aux dépens des autres pouvoirs constitutionnels.
Une telle perspective demande beaucoup de temps. Compte tenu de la situation exceptionnelle que vit le pays, compte tenu de l’impatience manifestée par de larges secteurs politiques et sociaux, compte tenu du bouillonnement légitime du peuple tunisien blessé dans sa dignité et saigné à blanc par un régime corrompu jusqu’à la moelle, on n’a ni le temps ni les conditions adéquates pour viser l’idéal.
L’idéal n’étant pas possible, nous devons donc faire avec ce qu’on a. Après tout, même si elle était faite sur mesure, notre Constitution permettait un certain nombre de libertés qui, si elles étaient respectées par Bourguiba et son successeur, on n’en serait pas là aujourd’hui.
Si l’on veut réussir cette transition, il faudrait établir une échelle des priorités, et la priorité des priorités aujourd’hui est le rétablissement de l’ordre civil, condition sine qua non du passage à l’ordre démocratique. Il est réconfortant de voir la vitalité et la détermination de cette jeunesse qui descend tous les jours dans la rue pour crier sa colère et réclamer des départs de personnalités et des dissolutions d’institutions qui ont porté gravement atteinte aux intérêts du pays. Il est rassurant de voir la vigilance dont elle fait preuve pour ne pas se laisser voler son acquis précieux : le renversement pacifique de la dictature.
Cependant, ces hommes et ces femmes qui manifestent quotidiennement ont des enfants, des frères et des sœurs qui étudient à l’école et à l’université, ont des proches qui ont besoin de travailler, ont eux-mêmes un emploi qui les attend ou sont à la recherche d’un travail. Et ni études ni travail ne sont pleinement possibles sans le retour à la vie normale. Nous sommes des millions à appeler de nos vœux un tel retour.
Le retour à la vie normale est aussi indispensable à la préparation des élections que tout le peuple voudrait qu’elles soient transparentes et contrôlées par des commissions indépendantes, renforcées par des observateurs internationaux. C’est cela le plus important et non les débats interminables sur le gouvernement de transition dont le rôle, soulignons-le ici, est purement technique : gérer les affaires courantes et préparer les élections.
Nous avons remporté une victoire éclatante sur la dictature, la corruption et la stupidité d’un clan mafieux qui a fait du slogan « ce qui est à vous est à moi » le principe de base de son comportement. Mais manque à cette victoire sa pièce maitresse : le déroulement d’élections libres et transparentes. Le jour où nous accomplirons ce devoir, le jour où nous imposerons la liberté de la presse, l’indépendance de la justice et l’alternance au pouvoir, ce jour là on pourra dire que la victoire sur la dictature est complète.
Avec du recul, je suis personnellement heureux que Ben Ali ne nous a offert aucun genre de liberté. Car la vraie liberté, ce n’est pas celle que l’on reçoit en aumône de la part des politiciens, mais celle qu’on leur impose. Contre leur volonté. C’est cette liberté là qui dure. C’est cette liberté qui fera notre dignité. C’est la seule liberté que l’on savoure. L’enjeu pour nous et pour nos enfants est si important que nous devons dès maintenant nous atteler à la tâche.
Une chose est certaine : la liberté qu’on vient d’imposer ne peut être confisquée par aucun politicien, et aucune structure politique ne pourra la mettre en danger si grande est la vigilance populaire. Tout politicien qui s’aventurerait à toucher à cet acquis, il sera banni de la vie politique et peut-être même du pays par la colère populaire. Le seul danger qui guette cette liberté ne pourrait venir que de ceux qui viennent de l’offrir au pays, c'est-à-dire le peuple.
Si le peuple tunisien s’avérait incapable de cimenter cette liberté à travers des élections totalement différentes de toutes celles qu’on a connues depuis 1956 ; si, à Dieu ne plaise, il laissait échapper son précieux acquis en se fourvoyant dans des querelles byzantines ou, pire encore, en ne maîtrisant pas l’instabilité, il n’aurait à s’en prendre qu’à lui-même. Contrairement à la nature, la dictature n’a pas horreur du vide. Elle le souhaite. Elle l’appelle de ses vœux pour s’y engouffrer.

Tuesday, January 18, 2011

L’effondrement de la dictature et le faux alibi de Netanyahu

Dans l’euphorie qui a suivi le renversement de la dictature en Tunisie, la dernière chose à laquelle on puisse penser c’est l’avis du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, sur les événements qu’a vécus le pays. Toutefois, on ne peut pas ne pas régir quand ce responsable israélien exploite cette victoire sur la dictature et, tout en la dénaturant, l’utilise pour justifier son intransigeance et son refus de l’idée même d’un processus de paix.
Au cours de la réunion hebdomadaire du conseil des ministres israéliens, Netanyahu a affirmé que « les troubles qui secouent la Tunisie illustrent l’instabilité généralisée dont souffre le Moyen-Orient », soulignant « la nécessité de fortifier la sécurité israélienne, même et surtout en cas de signature d’un accord avec les Arabes. » Il ajoute : « Nous devons jeter les bases d’une sécurité maximale dans tout accord que nous faisons. Nous ne pouvons pas simplement dire “nous signons pour la paix”. On ne peut pas fermer les yeux et dire “nous avons fait la paix.” Non, nous n’avons jamais la certitude que la paix sera réellement appliquée et mise à l’honneur.”
Netanyahu s’accroche aux événements que connaît notre pays pour justifier son refus de se retirer des territoires occupés, comme il l’a fait avant avec les événements qu’ont connus l’Iran, le Liban, l’Irak etc.
Heureux de trouver dans les événements que connaît notre pays un nouvel alibi, le Premier ministre d’Israël a un intérêt évident à ce que les troubles ne s’arrêtent pas. Et à ce niveau, son intérêt coïncide avec ceux du dictateur Ben Ali dont les milices armées tentent désespérément de semer la panique au sein de la population et le désordre et l’instabilité dans le pays.
Netanyahu passe à un autre niveau de démagogie quand il affirme que ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie « illustre l’instabilité généralisée dont souffre le Moyen-Orient ». Il ya une instabilité au Moyen-Orient, c’est évident. Mais cette instabilité est le résultat de décennies de guerres, d’occupation et de répression entreprises par les gouvernements israéliens successifs, plutôt qu’une « illustration » de ce qui se passe en Tunisie.
Les événements de cet hiver chaud en Tunisie n’ont rien à voir avec « l’instabilité généralisée » dont parle le Premier ministre israélien. Ils sont le résultat d’un ras-le-bol généralisé contre une dictature mafieuse qui a érigé le népotisme, la corruption et l’appropriation des biens publics par la famille régnante en système de gouvernement.
Netanyahu n’a pas été le seul à s’inquiéter de la situation en Tunisie. Deux de ses ministres ont tenu à exprimer leurs soucis. Le premier redoute que les événements ne « favorisent la montée de l’islamisme », et le second s’inquiète encore plus pour nous puisque, d’après lui, « les Arabes détrônent un dictateur pour le remplacer par un autre. »
Il faut absolument rassurer ces deux ministres, d’autant que l’un d’eux, Sylvain Shalom, est natif de Tunisie. L’effondrement de la dictature de Ben Ali ne va pas favoriser la montée de l’islamisme, pour une raison très simple. Il y a un rempart en Tunisie que l’extrémisme islamiste ne peut pas franchir. Ce rempart repose essentiellement sur le tempérament du Tunisien. Un tempérament dominé par un fort penchant pour la modération, la tolérance et le respect de la liberté religieuse.
Il faut rassurer aussi les deux ministres de Netanyahu sur l’autre « crainte » exprimée. Les Tunisiens ont chassé un dictateur, mais ne le remplaceront pas par un autre. La dictature corrompue et pourrie de Ben Ali les a vaccinés à tout jamais contre le risque de se faire piéger par un troisième dictateur. On a eu deux qui ont cumulé à eux seuls plus de 55 ans de pouvoir absolu. C’est plus que suffisant.
Maintenant que les troubles en Tunisie se réduisent chaque jour un peu plus, que la vie a repris normalement, que le gouvernement d’union nationale est en place, que les commissions d’enquête sur la corruption et sur les abus de pouvoir s’apprêtent à entamer leur travail et que des élections générales sous supervision internationale pointent à l’horizon, Netanyahu et ses ministres doivent aller chercher ailleurs un nouvel alibi pour justifier une politique abhorrée dans les quatre coins du monde.

Sunday, January 16, 2011

Une occasion en or

Qu’est-ce qui se passe dans la tête des dictateurs ? Cette question a sans doute été posée et reposée par les millions de victimes des dictatures. Beaucoup de Tunisiens se sont sûrement demandé qu’est-ce qui se passait dans la tête de leur dictateur qui, pourtant, a bien commencé, mais qui a fini très mal. Trop mal.
Le samedi 7 novembre 1987, le successeur de Bourguiba avait affirmé que « l’époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l’Etat desquelles le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d’une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la popularité des organisations de masse. »
Ce discours avait plu à l’époque à l’écrasante majorité des Tunisiens qui se sont massés derrière « l’homme du changement ». Mais celui-ci n’avait pas perdu de temps pour tourner le dos à son propre discours et à exclure le peuple de la moindre participation effective à la chose publique.
Il y a un élément psychologique important dans la rapide transformation de Ben Ali en dictateur. Les Tunisiens étaient surpris par le changement effectué à la tête de l’Etat le 7 novembre 1987. Ils n’avaient participé à ce processus ni de près ni de loin. Cette non-participation populaire au changement à la tête de la république a fait que Ben Ali se convainque qu’il était le sauveur du pays et, à partir de là, il s’était donné carte blanche pour gérer le pays à sa guise, se transformant en décideur unique pour tout ce qui touche à la vie politique, économique, sociale et culturelle de 10 millions de personnes.
En entamant sa carrière de dictateur, Ben Ali s’est installé dans une disposition psychologique bien particulière : en tant que président, il n’était pas au service du peuple, mais c’est celui-ci qui devait être à son service en acceptant sans broncher tout ce qui est décidé pour lui au Palais de Carthage, en s’abstenant de discuter les décisions présidentielles et en exprimant tous les jours, à travers les médias apprivoisés, les structures du parti au pouvoir et « les partis cartons », sa gratitude au « sauveur ».
Mais Ben Ali n’a même pas eu l’intelligence de persévérer dans sa carrière de dictateur en se basant sur une application minimale de la loi, permettant une préservation tout aussi minimale des intérêts de l’Etat et des propriétés publiques et privées contre les prédateurs. L’absence, ou plutôt le mépris de ce souci fondamental dans l’exercice du pouvoir a fait que Ben Ali bascule du statut de dictateur à celui de parrain, se souciant beaucoup plus du bien-être de ses proches que des dures conditions de vie des centaines de milliers de chômeurs.
Il est très courant, en dictature comme en démocratie, qu’un détenteur du pouvoir fasse bénéficier ses proches de quelques avantages. C’est l’une des faiblesses humaines. Ben Ali n’aurait pas focalisé sur lui toute cette haine, s’il s’était contenté de suivre cette règle banale. C'est-à-dire s’il s’était permis seulement d’avantager ses proches dans des limites « raisonnables », tout en leur interdisant d’utiliser leur liens de parenté avec le président pour abuser gravement des biens publics et privés.
En laissant la bride sur le cou aux membres de sa famille et de sa belle famille, Ben Ali les a encouragés, volontairement ou involontairement, à se transformer en véritables prédateurs qui, plus ils pillent, plus leurs dents s’allongent, plus ils s’enrichissent, plus ils en veulent encore. En un mot, comme dit le peuple, plus ils mangent, plus ils ont faim.
Le silence imposé par le sommet de l’Etat aux institutions publiques et aux personnes privées, victimes de la prédation de la famille et de la belle famille, a fait que Ben Ali apparaisse aux yeux du peuple de moins en moins comme président et de plus en plus comme un parrain qui se trouve au centre d’un vaste trafic d’influence ayant transformé, d’année en année, des gens pauvres au départ en milliardaires.
A côté de ces dérives mafieuses qui ont gravement affecté le patrimoine national et les moyens financiers de l’Etat, nous avons assisté à un autre genre de dérives par lequel s’est distinguée la dictature de Ben Ali. Des dérives qui ont ridiculisé l’Etat et qui ont été ressenties par le peuple comme une humiliation intolérable.
N’ayant aucune fonction officielle, la femme du président s’est imposée comme un personnage influent de l’Etat, se réservant un espace surdimensionné dans les médias publics et privés pour couvrir un ensemble d’activités abracadabrantes dont elle s’est auto-chargée. Cette incongruité, bien particulière à la dictature de Ben Ali, frise l’absurde quand « la première dame » se permet de désigner des ministres de l’Etat tunisien pour aller faire des discours en son nom dans des forums internationaux. Ceci pour ce qui est public. Quant à ce qui se passe dans les coulisses, seuls Dieu et quelques uns le savent.
Le poids de plus en plus lourd de ces dérives et l’indifférence ou l’incapacité de Ben Ali à répondre aux besoins de demandeurs d’emplois de plus en plus nombreux, sans oublier l’infection de beaucoup d’agents de l’Etat par le virus de la corruption, ont fini par avoir raison de la patience du peuple. A sa première fronde sérieuse, la dictature mafieuse s’est effondrée comme un château de cartes.
Maintenant, le changement qui vient d’avoir lieu n’a pas été offert au peuple tunisien. Celui-ci l’a réalisé en payant le prix fort : le sang de dizaines de ses enfants dans la fleur de l’âge. La différence est fondamentale avec le changement de novembre 1987. Et c’est cette différence fondamentale que le peuple doit brandir chaque fois qu’il sent un risque de récupération de son exploit et de ses sacrifices par des apprentis-dictateurs.
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins avec une occasion en or entre nos mains. Nous sommes parfaitement en mesure d’utiliser cette bonne occasion pour imposer trois petites choses très simples à la classe politique, le trépied de la démocratie : la liberté de la presse, l’indépendance de la justice et l’alternance au pouvoir. Mais nous pouvons aussi, à Dieu ne plaise, rater cette occasion unique et sombrer de nouveau dans un autre demi siècle de dictature. Le choix est entre la lumière et l’obscurité, entre la dignité et l’obséquiosité.
Personnellement, je suis optimiste. Mon optimisme, je le tiens de l’histoire de ce pays. Nous avons eu la première Constitution du monde arabe en 1861. Nous avons été le premier pays du monde arabe et bien avant de nombreux pays occidentaux à donner ses droits fondamentaux à la femme. Nous pouvons être le premier pays arabe à se doter d’un réel système démocratique. L’occasion est historique et pourrait ne plus se présenter, si on la ratait. Ne la ratons pas.

Tuesday, January 11, 2011

L'ultime verrou

Au départ, le gouvernement israélien prévoyait la construction de 133 logements pour colons à la place de l’hôtel Shepherd au quartier arabe de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Face au tollé international, il a réduit ce nombre à une vingtaine de logements. La stupidité de ce gouvernement est qu’il pense que c’est une question quantitative, qu’il suffit de réduire le nombre initialement prévu pour qu’on le laisse tranquille et qu’il puisse continuer sa course effrénée vers la judaïsation de la Ville sainte.
Le paradoxe fondamental qui caractérise la politique d’Israël est de plus en plus évident aux yeux d’une communauté internationale de moins en moins encline à regarder ailleurs. Le monde entier sait maintenant, y compris les Etats-Unis, que si Israël se plaint et se lamente quotidiennement des campagnes qui tentent de le délégitimer, il n’en demeure pas moins que ce sont les politiciens de ce pays eux-mêmes qui alimentent cette campagne et l’entretiennent par des politiques dont les dénominateurs communs sont le mépris de la loi internationale, la colonisation incessante de la Cisjordanie et la répression quotidienne des Palestiniens.
La décision israélienne d’envoyer les bulldozers démolir l’hôtel Shepherd a provoqué des réactions de condamnation de la part des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’ONU et de plusieurs autres pays dans le monde. Mais c’est surtout les réactions américaine et européenne qui semblent avoir piqué Israël au vif et fait monter les inquiétudes dans les milieux politiques israéliens.
Ce qui inquiète aujourd’hui Israël c’est que le monde est en train d’évoluer dans un sens où ce pays est de plus en plus considéré comme les autres. Concrètement, les conséquences de cette tendance est qu’Israël, qui a bénéficié depuis pratiquement sa création d’un statut spécial, se trouve aujourd’hui, plus que jamais, pressé de se conformer au droit international. Et plus il traîne les pieds, plus il est isolé, plus il persiste dans son mépris de la loi internationale, plus il est délégitimé aux yeux du monde.
L’exemple de l’Amérique latine est particulièrement significatif à cet égard. Le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Venezuela et l’Equateur ont reconnu l’Etat palestinien dans ses frontières du 4 juin 1967. Israël a bien dépêché son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en Amérique latine pour dissuader ces pays de poursuivre leur politique « pro-palestinienne ». La tournée de Lieberman au eu l’effet contraire. De par son caractère rustre et arrogant, il a plutôt renforcé la détermination des Latino-Américains à prendre partie pour les opprimés palestiniens contre leurs oppresseurs israéliens.
L’exemple du Chili, dernier pays latino-américain à avoir reconnu l’Etat palestinien, est plus significatif encore et plus inquiétant pour Israël. A la veille de cette reconnaissance, Netanyahu a téléphoné au président chilien Sebastian Piñera, pour le supplier d’annuler sa décision. Peine perdue. Après la reconnaissance du Chili de l’Etat palestinien dans ses frontières de 1967, Israël a de sérieuses raisons d’être inquiet : Ce ne sont pas seulement les présidents « de gauche », comme le Brésilien Lula (remplacé depuis par Dilma Rousseff), le Bolivien Morales ou encore le Vénézuélien Chavez qui exigent une paix juste au Proche-Orient, mais aussi des présidents de droite. Et Sebastian Piñera en est un. Non seulement il a fait ses études d’économie à l’université américaine de Harvard, mais, selon le magazine Forbes, sa fortune s’élève à 1,2 milliard de dollars, et, par conséquent, il ne peut pas être « de gauche »…
L’inquiétude devient panique quand Israël regarde du côté de l’Union européenne. Celle-ci est de moins en moins inhibée et de plus en plus hardie concernant le conflit au Moyen-Orient et la question de la colonisation des terres palestiniennes. L’Union européenne semble avoir dépassé le stade des vœux pieux et des condamnations théoriques. Des voix s’élèvent de plus en plus pour exiger des sanctions et des mesures concrètes tendant à mettre la pression sur Israël. Parmi les propositions avancées figurent le refus d’accepter sur les territoires des pays membres des Israéliens habitant dans les colonies de Cisjordanie et le refus de tout produit israélien fabriqué ou cultivé dans les territoires occupés.
Avec le changement de ton, de langage et de comportement de l’Union européenne, Israël se trouvera absolument isolé dans le monde, avec pour seul soutien les Etats-Unis d’Amérique qui, de par leur politique partiale et biaisée au Moyen-Orient, constituent l’ultime verrou qui barre encore la route à tout règlement jute du conflit israélo-arabe.
A regarder les choses de plus près, on constatera que, finalement, ce n’est pas la politique israélienne qui bloque le règlement du conflit, mais le verrou américain. Car Israël, enfant gâté qui met tout sens dessus dessous sous le regard complaisant de son tuteur américain, ne pourra pas résister indéfiniment seul contre tous. S’il continue sa politique coloniale en se souciant comme d’une guigne de ce que pense le reste du monde, c’est parce qu’il sait qu’il est soutenu inconditionnellement par la plus grande puissance du monde, ou plutôt par ce qu’il sait qu’il est toujours en mesure de fixer lui-même les grandes lignes de la politique moyen-orientale de son grand protecteur.
Cessons de nous leurrer en répétant que c’est la politique intransigeante d’Israël qui bloque le processus de paix. Le problème est dans l’ultime verrou, le verrou américain, qui doit sauter. Cette perspective est considérée en Israël comme l’ultime désastre politique qui guette Israël et que beaucoup d’analystes et de commentateurs israéliens estiment inévitable. Pour eux, c’est simplement une question de temps. Dès que ce verrou saute, l’arrogance et l’intransigeance israéliennes disparaitront comme neige au soleil. La voie sera alors grande ouverte au règlement juste que le monde attend depuis des décennies.

Saturday, January 08, 2011

Un Soudan ou deux?

C’est donc aujourd’hui que les Sud-Soudanais commencent à voter pour ou contre la sécession, et ce dans le cadre d’un référendum qui se déroulera jusqu’au 15 janvier. Le sous développement des moyens de communication et de transport dans les dix gouvernorats du Sud-Soudan est tel que pas moins de six jours sont nécessaires pour faire voter les 3,5 millions d’inscrits. Une telle pauvreté en matière d’infrastructures fait planer à elle seule le doute sur la capacité des Sud-Soudais à construire un Etat viable, s’ils choisissent l’indépendance vis-à-vis de Khartoum.
Pour comprendre le fond du problème, il faut remonter assez loin dans l’histoire, jusqu’à la conférence de Berlin de 1884-85 quand la Grande Bretagne et d’autres puissances européennes, ignorantes ou indifférentes à l’égard des spécificités ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses des populations africaines, entreprirent de charcuter le continent en traçant arbitrairement des frontières. Des groupements humains n’ayant en commun ni langage ni religion ni intérêts quelconques se trouvèrent piégées à l’intérieur de frontières et forcés de vivre ensemble.
Mais, honnêtement, on ne peut pas faire assumer la responsabilité seulement aux pouvoirs coloniaux. Les élites africaines qui, il y a un demi siècle, avaient pris en charge le lourd fardeau de l’indépendance, assument une responsabilité au moins aussi grande. Leur incapacité congénitale à mettre en place un système économique et social intégrationniste, à même d’assurer un minimum de justice et d’équilibre entre les différentes régions et les différentes ethnies est, sans aucun doute, à la base de tous les problèmes du continent africain.
Le Soudan est le plus grand pays d’Afrique. De par ses richesses naturelles, ses terres immenses d’une rare fertilité et l’extraordinaire atout du Nil blanc et bleu, ce pays aurait pu être le moteur du développement en Afrique et un grenier capable de nourrir une bonne partie des populations africaines et arabes. Il est consternant de voir que 50 ans après l’indépendance, le Soudan est dans l’incapacité de nourrir correctement sa propre population sans recourir à l’aide étrangère, ni de faire coexister paisiblement ses différentes ethnies.
Consternant, mais pas étonnant, car un peuple dont les composantes sociales passent des décennies à guerroyer les unes contre les autres, n’a ni le temps ni les moyens de construire les infrastructures économiques, sociales et politiques nécessaires à une vie politique évoluée. Et à ce niveau, le régime de l’ancien président Jaafar Nimeiry assume une responsabilité qui, sans abus de langage, peut être qualifiée de criminelle.
En plus des politiques économiques et sociales discriminatoires vis-à-vis des populations de Sud, Nimeiry a pris l’une des décisions les plus stupides qu’un politicien puisse prendre : appliquer la Chariaa à des populations majoritairement chrétiennes ou animistes du Sud-Soudan, déclenchant ainsi une guerre civile qui a duré des décennies, faisant deux millions de morts et plusieurs millions de déracinés.
La révolte des Sud-Soudanais est parfaitement compréhensible, car non seulement ils étaient les éternels oubliés de tout effort de développement entrepris par le pouvoir central à Khartoum, mais ils se sont vus imposer les lois d’une religion qui n’est pas la leur. Pour comprendre l’ampleur de l’amertume et du sentiment d’injustice qui prévalaient au Sud-Soudan, imagions un seul instant la réaction des Nord-Soudanais si on leur avait imposé la soumission à certains préceptes de la Bible…
Il est hautement probable que le référendum aboutisse à l’indépendance du Sud, et rares sont ceux qui parient un kopek sur un résultat différent. Même le président Omar el Bechir semble avoir fait son deuil d’un Soudan uni. Au cours de son récent voyage à Juba, capitale du Sud-Soudan, il avait annoncé solennellement son acceptation de la partition du pays en cas de vote en faveur de la sécession. D’ailleurs avait-il le choix à la lumière de l’extraordinaire mobilisation internationale qui laisse deviner la détermination de nombreux pays, dont les Etats-Unis, à suivre étroitement le déroulement du référendum du début à la fin ?
Cela dit, l’imminente partition du Soudan, pose deux importants problèmes. Le premier problème a trait aux moyens humains et matériels du futur Etat indépendant. Plus explicitement, en choisissant l’indépendance, le Sud-Soudan peut-il se permettre, au vu des maigres moyens dont il dispose, d’établir un Etat viable, capable de répondre aux besoins de base de la population. Une chose est certaine : les espoirs et les attentes des Sud-Soudanais dépasseront de loin les modestes moyens de leur futur Etat, ce qui n’est pas le moindre des défis qu’aurait à affronter la future nouvelle nation.
Le second problème a trait au continent dans son ensemble. L’imminente partition du Soudan ne risque-t-elle pas d’ouvrir la boîte de pandore dans un continent qui, dés les premiers jours de l’indépendance, a refusé de remettre en cause les frontières héritées du colonialisme pour éviter d’entrer dans le cycle de la guerre perpétuelle ? Le Nigeria et la Côte d’Ivoire, pour ne prendre que ces deux exemples, présentent des similarités troublantes avec le Soudan. Les deux pays font face à des divisions ethniques et religieuses endémiques entre un Nord à majorité musulmane et un Sud à majorité chrétienne. Les forces irrédentistes qui animent ces deux pays ne se trouveront-elles pas revigorées par l’exemple soudanais ?
Mais ne regardons pas seulement la moitié vide du verre. Beaucoup de pays africains ont réussi à faire vivre ensemble des ethnies différentes pendant plus d’un demi siècle, et ce en dépit de la pauvreté et du sous-développement qui n’aident pas à la tolérance et à l’acceptation de l’autre. Et si l’on pousse l’optimisme plus loin encore, peut-être qu’un jour l’on assistera à des mouvements inverses, c'est-à-dire en faveur de la destruction des barrières frontalières, poussant l’Afrique à imiter, dans leurs prodigieuses entreprises de développement, la Chine, le Brésil et l’Inde.

Tuesday, January 04, 2011

La mise en garde ignorée d'Eisenhower

Trois jours avant de quitter la Maison blanche, le président Dwight Eisenhower, dans son discours de fin de mandat, avait mis en garde ses concitoyens contre les dangers provenant de « l’influence injustifiée » qu’exerçait le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis. C’était il y a un cinquante ans, plus précisément le 17 janvier 1961.
Il serait intéressant de reproduire ici les passages les plus significatifs du discours d’Adieu d’Eisenhower à son peuple. « La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire (…). Notre travail, nos ressources, nos moyens d’existence sont en jeu, et jusqu’à la structure même de notre société. Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques (…). Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. »
Avant de devenir président et de faire son entrée à la Maison blanche le 20 janvier 1953, Dwight Eisenhower avait mené une brillante carrière militaire qui a fait de lui le soldat le plus gradé de la hiérarchie militaire américaine (général 5 étoiles). La place centrale qu’il occupait dans cette hiérarchie faisait de lui un observateur privilégié des pratiques peu orthodoxes du complexe militaro-industriel. Et les huit années passées à la Maison blanche avaient fini par le convaincre de la dangerosité de ce puissant lobby qui, sans la présence d’un « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients », risquait de faire main basse sur les mécanismes de prise de décision de la stratégie militaire et de la politique étrangère des Etats-Unis.
La mise en garde d’Eisenhower fut ignorée, car il n’y a avait pas aux Etats-Unis cet « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients » pour empêcher les dérives militaires et politiques qui, depuis des décennies, ne cessent de miner le statut, la réputation et les finances de la superpuissance américaine.
S’agissant des grands choix de stratégie militaire et de politique étrangère de leur pays, les citoyens américains, dans leur grande majorité, ne sont ni « vigilants » ni « conscients » dans le sens souhaité par Eisenhower, c'est-à-dire dans le sens d’une force capable de contrôler étroitement les décisions gouvernementales, et de s’y oppose éventuellement si elles vont à l’encontre de l’intérêt général. Leur indifférence absolue à ce qui se passe en dehors de leurs frontières les prédispose à faire confiance à leurs dirigeants et à prendre pour argent tout ce que ceux-ci leur disent.
L’exemple le plus ahurissant est celui de la relation de la majorité des citoyens américains avec l’ex-président George W. Bush. Ce n’est un secret pour personne que celui-ci était la marionnette commune du complexe militaro-industriel et du lobby pétrolier qui l’avaient utilisé et manipulé à volonté. Pour servir les intérêts des fabricants d’armes et des compagnies pétrolières, Bush et son équipe avaient manipulé à leur tour le peuple américain en lui faisant avaler le mensonge des armes de destruction massive et du danger que posait Saddam Hussein pour le monde en général et pour les Etats-Unis en particulier. Et bien que le mensonge de Bush éclatât au grand jour, bien que son invasion de l’Irak tournât au désastre, les citoyens américains l’avaient réélu en novembre 2004 pour un second mandat. Un si grand déficit de vigilance et de conscience ferait retourner Eisenhower dans sa tombe.
Mais il y a plus ahurissant encore. Le peuple américain, qui compte 300 millions d’individus et représente moins de 5% de la population mondiale, ne s’est jamais posé la question pourquoi dépense-t-il pour son armée et sa sécurité autant sinon plus que le reste du monde ? L’ironie de l’histoire a fait que le cinquantième anniversaire de la célèbre mise en garde d’Eisenhower coïncide avec l’adoption par les représentants du peuple américain d’un budget militaire record : 735 milliards de dollars, dont le principal bénéficiaire n’est autre que le complexe militaro-industriel. Si l’on ajoute à ce budget du Pentagone ceux des départements de la sécurité intérieure, de l’énergie et de celui des vétérans des guerres américaines, le budget total pour la défense et la sécurité s’élèvera à 861 milliards de dollars pour l’année fiscale 2011, dépassant de loin ce que dépense le reste de l’humanité dans ces secteurs.
Le peuple américain n’a jamais pris la peine non plus de se demander pourquoi a-t-il besoin de 800 bases militaires disséminées dans une quarantaine de pays, alors que l’Amérique est le pays le mieux protégé du monde, non seulement par son armée puissante et sa défense anti-aérienne performante, mais, mieux encore, par deux océans immenses capables d’épuiser à eux seuls tout ennemi qui s’aventurerait à les franchir pour envahir la république américaine. Là aussi, le principal bénéficiaire de la dissémination et la multiplication des bases américaines à travers le monde est le complexe militaro-industriel dont avait mis en garde Eisenhower il y a un demi-siècle.
La course à l’armement nucléaire et conventionnel imposée par les Etats-Unis à leurs rivaux de la Guerre froide, les politiques agressives menées par Washington vis-à-vis du Vietnam et de plusieurs pays au Moyen-Orient et en Amérique latine et la « guerre globale contre le terrorisme » ne peuvent être comprises qu’à travers l’ « influence injustifiée » du complexe militaro-industriel dont l’unique intérêt se limite au nombre de contrats décrochés et au calcul du pourcentage relatif à la progression annuelle de son chiffre d’affaires. Jusqu’à quand cela va continuer ? Jusqu’à l’émergence de cet « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients ». Si jamais il émergera un jour.

Saturday, January 01, 2011

Des échecs à méditer

La « guerre globale contre le terrorisme » en Afghanistan est entrée dans sa dixième année ! En octobre prochain, cela fera dix ans que de puissantes armées équipées de matériel sophistiqué font la chasse aux « terroristes ». Au vu des résultats, on est en droit de se demander si cette « guerre globale » est en train d’éradiquer le mal ou de le nourrir, de réduire le nombre des insurgés ou de les multiplier, de rendre le monde plus sûr ou plus dangereux ?
Comment se fait-il que cette « guerre globale » qui mobilise 200.000 soldats surarmés et plus de 10 milliards de dollars par mois s’est-elle révélée le plus grand fiasco de cette première décennie du XXIe siècle ? Pourquoi les forces combinées des Etats-Unis et de l’Otan, la première puissance du monde et la plus grande organisation militaire de la planète, trouvent-elles tant de difficultés à s’imposer face à des va-nu-pieds qui ne possèdent rien d’autre que quelques réserves de trinitrotoluène (TNT) ?
La raison principale qui explique l’échec en Afghanistan, c’est le déchaînement contre les civils qui ont vu leur vie se transformer en enfer et ont payé un très lourd tribut à « la guerre globale contre le terrorisme ». Les bombardements aveugles sont la stratégie suivie par les forces étrangères depuis des années. Il est donc inévitable que les « dommages collatéraux », censés être l’exception, deviennent la règle. En d’autres termes, plus on tue de civils, plus on rend service aux insurgés en leur facilitant la tâche de renforcer continuellement leurs rangs par de nouvelles recrues.
A cette raison s’ajoute une autre qui rend pratiquement toute solution en Afghanistan extrêmement difficile pour ne pas dire impossible : la rivalité entre le Pakistan et l’Inde. Chacun de ces deux pays ennemis cherche à étendre sa propre influence en Afghanistan et à limiter celle de l’autre. C’est cette rivalité qui fait que le Pakistan se trouve dans une drôle de situation : d’une part, il tente de détruire les structures de ses propres talibans qui menacent gravement la stabilité du pays, et, d’autre part, il aide discrètement les talibans afghans à travers lesquels il tente de préserver ses « intérêts stratégiques » en Afghanistan.
Les Américains ne peuvent pas ne pas être conscients que ces deux obstacles majeurs s’opposent à toute pacification de l’Afghanistan. Mais ils ne peuvent rien faire. Ils continueront à bombarder et à faire des ravages parmi les civils, car leurs forces et celles de l’Otan sont conçues et équipées pour combattre une armée et non une guérilla dont les combattants plantent leurs bombes et se fondent en un clin d’œil parmi les civils.
Quant au Pakistan, c’est une histoire plus compliquée encore. Ce pays, depuis sa création en 1947, a toujours été une pièce maîtresse dans la stratégie américaine en Asie du sud. Pendant toute la Guerre froide, Washington et Islamabad ont vécu en totale symbiose et ont entretenu une alliance presque parfaite. Les intérêts des deux pays reposaient sur leur antisoviétisme militant, mais aussi sur l’inimitié commune que les deux témoignaient envers l’Inde, amie de l’Union soviétique à l’époque.
La valeur stratégique du Pakistan s’est accrue énormément aux yeux de Washington avec l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques. Pendant la décennie qu’avait duré cette invasion (1979-1989), aucune divergence ni dissonance n’était venue troubler les relations des deux alliés qui avaient les mêmes alliés et les mêmes adversaires en Afghanistan et, par conséquent, les choses étaient d’une clarté exemplaire.
Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont eu l’effet d’un séisme majeur qui avait déréglé l’axe autour duquel tournaient les relations américano-pakistanaises. Celles-ci se sont trouvées fortement perturbées par la radicalisation de l’anti-américanisme au Pakistan, par le rapprochement entre New Delhi et Washington et par les divergences croissantes concernant la situation en Afghanistan.
Ces trois changements majeurs, s’ils ont perturbé fortement la sérénité passée des relations américano-pakistanaises, ils n’ont affecté en rien la valeur stratégique du Pakistan aux yeux des Etats-Unis, les deux pays se trouvant dans la situation du couple qui ne file plus le grand amour, mais qui ne peut pas divorcer non plus. Islamabad ne peut pas se passer de l’aide financière et militaire massive des Etats-Unis et Washington ne peut pas se passer du Pakistan dans sa « guerre globale contre le terrorisme ».
Le plus intriguant dans cette relation particulière entre les deux alliés est qu’ils se trouvent dans l’obligation d’agir l’un contre les intérêts de l’autre tout en faisant croire qu’ils avancent la main dans la main pour la réalisation de leurs objectifs communs.
Toutefois, les deux alliés ont de plus en plus de mal à garder secrets l’amertume qu’ils ressentent l’un vis-à-vis de l’autre. Les autorités pakistanaises sont extrêmement embarrassées par les bombardements quotidiens de leurs zones tribales du nord-ouest menées par les drones de la CIA, ce qui verse de l’eau au moulin des intégristes pakistanais et aiguise leurs penchants pour les attentats suicide qui ont fait déjà des milliers de morts. De leur côté, les autorités américaines sont très contrariées par l’aide aux talibans afghans qu’ils attribuent aux services secrets de l’armée pakistanaise, ce qui entrave fortement leur mission en Afghanistan.
La guerre d’Afghanistan détient déjà le record de longévité par rapport à toutes les guerres qu’ont mené les Etats-Unis depuis leur création en 1776, y compris la guerre civile. Obama a promis de commencer à retirer les troupes à partir de la fin de cette année. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. En attendant, les décideurs américains doivent méditer les cas de ces guerres déclenchées sous l’effet de l’émotion (Afghanistan) ou sous de faux prétextes (Irak), pour éviter de nouvelles mésaventures à leur pays et de nouveaux échecs stratégiques dans le monde.