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Friday, May 30, 2008

L'obsession du chèque à sept chiffres

Vous vous rappelez de lui sans aucun doute. C’est ce type joufflu qui ment comme il respire. Il a défendu George Bush bec et ongles pendant quatre ans. Scott McClellan, l’attaché de presse de la Maison blanche de 2003 à 2007, faisait quasi quotidiennement face à la presse pour défendre la politique de son patron. Il a défendu le choix indéfendable de la guerre d’Irak. Il a défendu les erreurs désastreuses de l’administration qui se succédaient à un rythme infernal en Irak et qui ont fini par détruire ce pays et à condamner son peuple au désespoir. Il a défendu aussi la réaction molle de l’administration fédérale face à la catastrophe de l’ouragan Katrina qui a fait des ravages à grande échelle à la Nouvelle Orléans et d’autres villes du sud des Etats-Unis.
Scott McClellan connaissait déjà George Bush depuis les années 1990. Texan comme lui, il l’a aidé dans ses campagnes électorales pour devenir gouverneur du Texas d’abord et président des Etats-Unis ensuite. Pour le remercier, Bush l’a nommé comme son attaché de presse et son homme de confiance. Durant quatre ans, McClellan était d’une fidélité exemplaire à son patron n’hésitant pas à tordre le cou à la vérité et à la réalité pour présenter le président américain comme un homme animé des meilleures intentions, ne prenant jamais de mauvaises décisions, et mettant en œuvre des politiques sages et avisées pour le bien de l’Amérique d’abord et du monde ensuite.
Et puis tout d’un coup, McClellan disparaît pendant un certain temps pour réapparaître en tant qu’auteur d’un livre au vitriol contre Bush qu’il a servi et défendu pendant quatre ans. Le livre qui sera mis en vente la semaine prochaine s’intitule « What happened : Inside the White House and Washington’s culture of deception », ce que l’on peut traduire à peu près comme ceci « Que s’est-il passé : A l’intérieur de la Maison blanche et de la culture de la tromperie à Washington ».
Dans ce livre, McClellan brûle son ancienne idole dont la politique irakienne est devenue subitement mauvaise et malavisée, la guerre d’Irak non nécessaire, la réaction à l’ouragan Katrina caractérisée par l’incompétence, bref, McClellan disait dans son livre l’exact contraire de ce qu’il répétait obstinément quatre ans durant dans ses points de presse quotidiens.
En 2004, un ancien conseiller à la Maison blanche en matière de lutte anti-terroriste, Richard Clarke, avait écrit un livre très critique sur l’invasion de l’Irak et sur le détournement par Bush du potentiel de lutte anti-terroriste en Afghanistan vers une guerre insensée et absurde contre le régime de Saddam Hussein. McClellan convoqua aussitôt la presse pour s’en prendre avec virulence à Richard Clarke : « S’il ressentait toutes ces graves inquiétudes, pourquoi n’en avait-il pas parlé plus tôt alors ? Pourquoi a-t-il choisi ce moment précis (la campagne présidentielle de 2004) pour publier ce livre. Sans doute pour pouvoir en faire la promotion. » Le Washington Post a opportunément rappelé dans son édition du 29 mai cette réaction de McClellan contre le livre de Clarke pour montrer l’ampleur de l’hypocrisie et de l’ingratitude dont peut être capable cet ancien chouchou de Bush qui, n’ayant même pas la reconnaissance du ventre, a subitement tourné la veste (la presse américaine le qualifie désormais de turncoat)
En effet ce qu’avait dit McClellan en 2004 à propos du livre de Clarke s’applique parfaitement aujourd’hui à son livre à lui. S’il avait toutes ces critiques en tête et tous ces reproches sur le cœur, pourquoi avoir attendu si longtemps pour les faire ? N’aurait-il pas été nettement crédible et amplement honnête s’il avait claqué la porte plus tôt en rendant publiques ses critiques acerbes sur la guerre d’Irak et la gestion de la catastrophe provoquée par Katrina ?
Le plus extraordinaire est que le McClellan, interrogé sur les motifs qui l’ont amené à brûler ses idoles en écrivant un tel livre, il a répondu sans rire « par loyauté à la vérité et aux valeurs sur lesquelles j’étais élevé »… Inutile de dire que personne ne croit à de telles sornettes et tout le monde sait que le seul et unique motif qui animait McClellan est l’obsession de se voir remettre un chèque à sept chiffres de la part d’un généreux éditeur. Trent Duffy, l’adjoint de McClellan à la Maison blanche pendant deux ans a eu cette réaction : « Il est en train de danser sur sa tombe politique pour de l’argent ».
D’après les extraits du livre publiés par Politico.com, pratiquement tout ce que dit McClellan est vrai. La culture machiavélique de la tromperie et de la tricherie qui sévit dans les cercles politiques washingtoniens et que dénonce l’ancien attaché de presse de Bush est bien réelle. Sauf que McClellan a oublié un petit détail : il est lui-même partie intégrante de cette culture malsaine qui ravage la capitale américaine. Plus encore, il est l’un des éléments les plus dangereux et les plus malhonnêtes de cette culture. Après s’y être vautré pendant quatre ans et contribué à sa progression, il l’utilise maintenant pour s’enrichir.
Ecrire un best seller est devenu une obsession pour les politiciens américains. Pas seulement ceux de premier ordre, mais aussi pour ceux de deuxième et de troisième catégorie. Une obsession parce que c’est le plus sûr moyen de devenir millionnaire en dollars. McClellan n’est ni le premier ni le dernier. Pas plus tard que le mois dernier, un certain Ricardo Sanchez a publié lui aussi un livre où il dénonce « l’incompétence brute » et « la négligence » dont s’est rendu coupable George Bush en décidant d’aller envahir l’Irak. Le lieutenant général Ricardo Sanchez est de la même espèce que Scott McClellan. Après avoir supervisé sur le terrain, en tant que commandant des forces américaines, la destruction systématique des institutions de l’Irak, et après avoir couvert de véritables crimes de guerre , dont ceux d’Abu Ghraib, voici le lieutenant général Ricardo Sanchez qui se fait écrivaillon pour dénoncer la politique qu’il a servie avec un zèle et une loyauté exemplaire. Décidément, l’obsession du chèque à sept chiffres devient une véritable tare aux Etats-Unis.

Tuesday, May 27, 2008

Carter, l'infatigable "faiseur de paix"

En avril dernier, le 39eme président américain Jimmy Carter était e visite en Israël. Le Premier ministre Ehud Olmert, le ministre de la défense Ehud Barak et le chef du Likud Benyamin Netanyahu refusèrent de le rencontrer. Seul le président israélien Shimon Peres daigna le faire, mais ce n’était pas pour le remercier de l’immense service rendu à Israël (Carter était le principal artisan de l’accord de paix israélo-égyptien de 1979), mais pour le prendre à partie pour les « grands dommages causés à Israël et au processus de paix. »
Pourquoi la classe politique israélienne déteste-t-elle tant l’ancien président américain et le lobby juif aux Etats-Unis l’accuse-t-il d’anti-sémitisme ? Parce qu’il s’est engagé non pas du côté des Palestiniens, mais du côté de la justice et de la paix. Parce qu’il a osé écrire la vérité dans son livre « Palestine : Peace, not aprtheid », ce qu’aucun politicien américain n’a jusqu’à présent osé dire ou écrire.
Carter est un homme profondément croyant pour qui « Jésus est le prince de la paix ». C’est donc par convictions religieuses, plus que par engagement politique, que l’ancien président a choisi le métier de « faiseur de paix ».
En 1972, cinq ans après la guerre des six jours, il avait fit son premier voyage dans les territoires occupés. Il était l’invité d’Itzhak Rabin, alors Premier ministre. Au cours de ce voyage, il avait visité la Cisjordanie où « il y avait 15000 colons à l’époque ». Selon lui, Rabin lui avait affirmé que ces 15000 colons seraient ramenés à Israël dès la conclusion d’un accord de paix avec les palestiniens…
Elu à la présidence en 1976, Jimmy Carter s’est aussitôt engagé à rapprocher les positions israéliennes et égyptiennes. Les réunions organisées par ses soins entre le président égyptien Anouar Essadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin, ont abouti à la signature d’un accord de paix entre l’Egypte et Israël.
Trente six ans après la première visite de Carter en Cisjordanie, les 15000 colons sont devenus 200.000 disséminées dans 200 colonies reliées entre elles par des « routes de contournement » interdites aux Palestiniens. L’ancien président américain en était si choqué qu’il en avait fait le principal thème de son livre sus-mentionné et où cette politique de discrimination israélienne est décrite comme « pire que l’apartheid sud-africain. En effet le régime raciste sud africain de Vorster et de Botha n’avait pas été jusqu’à construire des routes séparées pour les Blancs et les Noirs. Israël l’a fait et, jusqu’à ce jour, tout Palestinien attrapé sur une route réservée aux colons est automatiquement arrêté, jugé et jeté en prison.
La haine que ressent la classe politique israélienne pour l’ancien président Jimmy Carter n’a d’égal que l’amour que cette même classe témoigne pour l’actuel président George Bush. Et c’est normal quand on a une idée du fossé vertigineux qui sépare ces deux présidents américains en termes d’intégrité, d’honnêteté politique et intellectuelle et de dévouement au service de la paix dans le monde. L’un a écrit un livre sur l’apartheid israélien et le calvaire des Palestiniens, l’autre a prononcé le 15 de ce mois un discours au Knesset israélien dans lequel il n’hésitait pas à s’adresser à l’occupant israélien en ces termes : « Vous avez construit une démocratie moderne sur la Terre Promise, une lumière parmi les nations qui préserve l’héritage d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Vous avez construit une démocratie puissante qui durera éternellement et qui peut toujours compter sur l’Amérique de se tenir à ses côtés ». L’un appelait les ennemis dans les quatre coins du monde à s’asseoir à la même table pour discuter et résoudre leurs problèmes pacifiquement, l’autre voue aux gémonies quiconque ose appeler à des négociations avec « les ennemis de l’Amérique ».
Sur ce dernier point, la différence entre les deux présidents américains est sidérante. Il serait intéressant de revenir ici un peu à la crise des otages de 1979-1980 au cours de laquelle les gardiens de la révolution iranienne avaient tenu en otages pendant 444 jours une cinquantaine de diplomates américains dans leur ambassade à Téhéran. Jusqu’au dernier moment, Jimmy Carter avait espéré voir les otages libérés avant de quitter la Maison blanche le 20 janvier 1981 et de céder la place à son remplaçant, Ronald Reagan. Khomeiny avait décidé de frustrer Carter et de l’humilier jusqu’au bout. Les otages ont été libérés juste quelques jours après la prise de fonctions de Reagan.
Malgré cela, Carter ne semble pas en vouloir à l’Iran et continue d’appeler au dialogue avec ce pays. Contrairement au président actuel qui continue à appeler à l’isolement de ce pays et, même, comme beaucoup le craignent, à considérer une frappe aérienne contre ce pays avant la fin de son mandat, et tout cela parce qu’il soupçonne, en l’absence de la moindre évidence, l’Iran à vouloir produire des armes nucléaires.
On imagine la fureur de George Bush face aux déclarations de Carter lundi dernier en Grande Bretagne. Interrogé par un journaliste sur la question du nucléaire iranien, Jimmy Carter qui sait de quoi il parle pour avoir occupé la Maison blanche pendant quatre ans, a affirmé : « les Etats-Unis possèdent 12000 têtes nucléaires et la Russie en possède autant. (…) Israël possède lui-même 150 têtes nucléaires et même plus (…) ». Que veut dire carter en faisant cette réponse à une question sur le nucléaire iranien ? Tout simplement qu’il est ridicule que, face au déploiement de ces milliers de têtes nucléaires, face à la capacité des Israéliens de détruire tout le Moyen-Orient avec leurs 150 ou 200 bombes atomiques, Washington et tel Aviv continuent de remuer ciel et terre et d’alerter le terre entière sur « le danger mortel » que représente l’Iran.
Carter n’a pas laissé l’occasion passer sans faire un nouveau commentaire sur ce qui semble lui tenir particulièrement à cœur : « Ce que fait Israël actuellement à Gaza est le plus grand crime contre l’humanité que se déroule actuellement sur terre ». A 83 ans, Jimmy Carter continue, avec une énergie de jeune homme, à œuvrer pour le règne de la paix en dénonçant les injustices innommables commises par Israël mais aussi par son propre pays, otage depuis huit ans de l’idéologie destructrice des néoconservateurs. Comme quoi, l’Amérique n’a pas seulement des hommes qui la déshonorent, mais aussi des hommes qui, comme Jimmy Carter, lui font honneur.

Saturday, May 24, 2008

Quand on est dans un trou, il faut arrêter de creuser

L’ancien secrétaire au trésor américain, Alan Greenspan, a fini par le reconnaître il y a seulement deux ou trois mois. « Oui, la guerre d’Irak était pour le pétrole », avait-il affirmé à la presse américaine, confirmant ce que tout le monde savait et enfonçant ainsi une porte ouverte.
Quand il avait su que l’Amérique était déterminée à détruire son régime, et sachant mieux que quiconque que ce qui l’intéressait en premier lieu, c’était le pétrole, Saddam Hussein, dans une tentative désespérée de sauver sa peau, contacta les Américains à travers un homme d’affaires libanais pour leur proposer de venir négocier. Quand on sait l’ampleur de la menace mortelle qui pesait sur lui et sur son régime, il y a tout lieu de croire qu’il était prêt à étancher leur soif de pétrole à un prix d’amis.
Richard Perle, connu sous le titre peu flatteur de Prince des ténèbres, était alors, avec son ami Paul Wolfowitz, le fer de lance de la campagne anti-irakienne. Il fit répondre à Saddam par l’intermédiaire de l’homme d’affaires libanais : « Nous nous rencontrerons bientôt à Bagdad ». La réponse sarcastique du Prince des ténèbres, deux ou trois mois avant la guerre, a très probablement convaincu l’ancien président irakien que les dés étaient déjà jetés et que le sort de son régime était définitivement scellé.
A l’époque, le baril de pétrole était à 25 dollars et les importations américaines annuelles de brut ne dépassaient guère le montant que devraient payer les Etats-Unis par la suite juste pour quelques mois de guerre en Irak. Aujourd’hui, parce qu’ils ont refusé l’offre de négociation de Saddam Hussein, les Etats-Unis payent entre huit et dix milliards de dollars par mois pour la guerre d’Irak et, avec la flambée du prix du baril, leurs importations de brut sont passées de 106 milliards de dollars en 2006 à 500 milliards de dollars dix huit mois plus tard.
Les caisses de l’Etat fédéral américain, même alimentées par l’économie la plus puissante du monde, ne pouvaient supporter des guerres de plus en plus coûteuses et un baril qui avance à pas déterminés vers les 150 dollars. D’ailleurs, depuis leur début, les guerres d’Afghanistan et d’Irak sont financés à coup de bons de trésors vendus aux Chinois, aux Japonais, aux Saoudiens et d’autres encore qui ont des matelas de liquidités bien garnies. Le contribuable américain mettra sans doute des décennies à rembourser les dettes immenses engendrées par les politiques malavisées de George Bush.
Le bon sens veut que quand on se trouve dans un trou, on arrête de creuser. Il semble que le président américain a choisi de creuser jusqu’à la fin de son mandat, le 20 janvier prochain. Il y a quelques jours, le sénat a approuvé 165 milliards de dollars pour les guerres de Bush. Celui-ci, faut-il le rappeler, a pesé de tout son poids pour rogner sur les programmes sociaux et éducatifs des Américains les plus démunis, tout en préservant les avantages fiscaux des plus riches.
Au lieu de tenter de sortir des impasses irakienne et afghane, il préfère demander toujours plus de crédits pour financer ses guerres dont ni lui ni ses collaborateurs ne voient l’issue, et dont les coûts, d’après les calculs du prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, dépasseraient les 3 trillions, c'est-à-dire 3000 milliards de dollars. Dans la même logique, au lieu de convaincre ses concitoyens de consommer moins d’essence, ou d’imposer par les mécanismes de la loi ou de la fiscalité une réduction de cette consommation, il a préféré aller quémander auprès du roi Abdallah d’Arabie Saoudite une augmentation de la production pétrolière afin que les prix baissent et que le vacancier américain puisse économiser quelques dollars sur le plein de sa grosse cylindrée.
Quand on se retrouve dans un trou, il faut arrêter de creuser. Tous les désastres causés à l’Amérique et au monde durant les huit dernières années ont pour cause principale le refus de l’administration néoconservatrice américaine de négocier avec ses ennemis. Et on revient ici à la charge : si Bush avait accepté l’offre de négociation de Saddam Hussein, l’Amérique, l’Irak, le golfe, le Moyen-Orient et le monde entier seraient dans de bien meilleures conditions. La diplomatie n’a pas été inventée par l’homme pour s’asseoir et bavarder avec ses amis et ses alliés, mais avec ses ennemis. Son invention représente une étape décisive dans l’évolution de l’humanité et une victoire importante sur l’agressivité et la barbarie inhérentes à la nature humaine.
Au cours des huit dernières années, le pays le plus puissant et le plus influent du monde a obstinément poussé vers une régression qui a mis le monde entier en péril, en enterrant la belle invention de la diplomatie et en réhabilitant la violence en tant qu’unique moyen de résoudre les différends entre ennemis.
On avait cru naïvement que le président américain tirerait les leçons des graves erreurs commises au cours de ses deux mandats et qu’il tenterait à la fin de son règne, ne serait-ce que symboliquement, de prendre quelques sages décisions qui trancheraient avec toutes celles qui avaient engendré des pertes humaines et des destructions matérielles à grande échelle. Or, il continue de s’en prendre avec virulence à tout responsable américain qui ose évoquer la possibilité de s’asseoir à la même table que les ennemis de l’Amérique pour négocier avec eux.
Dans son discours du 15 mai dernier devant le Knesset israélien, il a attaqué violemment les promoteurs de « la politique d’apaisement », en référence à la proposition du candidat Barack Obama d’ouvrir des négociations avec l’Iran s’il est élu, et en référence aux concessions faites par les puissances européennes en 1938 à Adolf Hitler. Non Barack Obama n’est pas Daladier et Ahmadinejad n’est pas Hitler. Quand on est dans un trou, il faut cesser de creuser.

Thursday, May 22, 2008

Paix au Liban

Dans un précédent article sur la situation au Liban, nous avons écrit ceci : « Il est à peine nécessaire de souligner qu’aucun intérêt, aussi puissant soit-il, de l’un ou l’autre des groupes qui se déchirent ne peut légitimement rivaliser avec l’intérêt fondamental du Liban qui est la préservation de la paix civile. Cette donnée de base devra impérativement être intériorisée par la coalition du 14 mars et l’opposition qui gravite autour du Hezbollah si elles veulent arriver à un accord. »
Visiblement cet intérêt supérieur du Liban a été intériorisé et les frères ennemis libanais, conscients du danger pour leur pays en cas d’échec, ont mis chacun un peu d’eau dans son vin et n’ont quitté le Qatar qu’après avoir signé un accord qui a été salué avec une grande joie de la part des Libanais, toutes tendances et confessions confondues, ainsi que par la bourse de Beyrouth qui a atteint des records dès l’ouverture, jeudi matin.
L’accord qui porte sur des questions aussi délicates que l’élection d’un nouveau président (bloquée depuis novembre 2007), le partage des portefeuilles gouvernementaux et la loi électorale en prévision des élections législatives de l’année prochaine, a été rédigé de manière si talentueuse et si intelligente qu’il ne pouvait être refusé par les acteurs de la crise libanaise. Les concepteurs de l’accord étaient conscients que la clé du succès du processus de paix interlibanais du Qatar résidait dans l’équation de « ni vainqueur ni vaincu » qui devait absolument être reflétée non seulement par la forme et le contenu des négociations, mais aussi par les résultats concrets de ces négociations.
A ce niveau, il est juste de rendre hommage au grand talent diplomatique du petit Etat du Qatar dont l’émir et le ministre des affaires étrangères, en tant qu’intermédiaires, sont arrivés à convaincre les adversaires libanais que s’ils tenaient absolument à finir leurs négociations avec des gagnants d’un côté et des perdants de l’autre, la seconde partie de ces négociations se déroulerait sur le terrain dans les rues des villes libanaises et le sang coulerait à flot.
La guerre civile a donc été évitée et c’est le Liban tout entier qui sort gagnant de l’accord de Doha. Il est raisonnable de dire que les Libanais vivront en paix dans le moyen terme, c'est-à-dire dans les années et non les mois à venir. Cette prévision ne relève pas de la spéculation, mais de l’expérience historique du Liban durant les cinquante dernières années.
En effet, en 1958, il y a cinquante ans exactement, le Liban avait sombré dans une guerre civile qui s’était terminée par un accord, amenant le président Fouad Chehab au pouvoir et ouvrant la voie à 17 ans de paix et de prospérité. En 1975, une seconde guerre civile éclata et ne se termina qu’avec la conclusion des accords de Taief en 1989, ouvrant la voie à 17 ans encore de paix et de stabilité relatives (Israël et le Hezbollah devaient continuer leur guerre d’usure dans le sud-Liban jusqu’en mai 2000). Enfin, en 2006, après l’agression israélienne de l’été, le Liban sombra dans une crise politique majeure qui dura dix huit mois. Cette crise a connu son apogée le 7 mai dernier quand une véritable guerre éclata entre les milices du Hezbollah et celles de la coalition du 14 mars. L’accord de Doha de mardi dernier a éloigné le spectre de la guerre civile et a fait renaître de nouveau l’espoir dans l’horizon libanais assombri pendant 18 mois par la paralysie politique du pays.
Cet espoir est d’autant plus fondé que l’accord interlibanais est intervenu dans un environnement régional qui semble s’orienter vers l’apaisement après des années de tension extrême, nourries dans une large mesure par la diplomatie de la canonnière déterrée par le président américain George Bush. Ces derniers jours, nous avons eu droit à une série d’événements qui vont tous dans le sens de l’apaisement régional. En Irak, l’armée irakienne a pris le contrôle de Sadr City, un immense bidonville de plus de 2 millions d’habitants, évinçant les puissantes milices de Moqtada Sadr, chose inconcevable sans le feu vert de l’Iran. La diplomatie égyptienne s’active toujours à arracher un accord sur une trêve entre le Hamas et Israël. Et, last but not least, Syriens et Israéliens se livrent depuis quelques jours à Istanbul à des négociations, indirectes certes, mais qui sont menées à travers un intermédiaire qui non seulement entretient de bonnes relations avec les deux parties, mais nourrit des ambitions diplomatiques légitimes de grande puissance régionale. Il y a lieu de croire que la réussite diplomatique du Qatar dans le dossier libanais est de nature à inciter la diplomatie turque à redoubler d’ardeur dans son rôle d’intermédiaire consistant à résoudre le contentieux épineux qui oppose la Syrie à Israël.
Est-ce à dire que les grandes manœuvres régionales en prévision du prochain départ de l’actuel président américain ont commencé ? Tout porte à le croire.

Monday, May 19, 2008

Les questions que le Liban doit se poser

Finalement les adversaires libanais se sont assis à la même table et ont commencé à négocier une solution à leurs problèmes qui éviterait au pays les affres de la guerre civile. Peu importe que cette initiative soit venue de l’extérieur (Ligue arabe et Qatar) et non des Libanais eux-mêmes. L’essentiel est que le dégel a eu lieu et que les frères ennemis ont pris conscience que le statu quo ne peut durer indéfiniment et les deux termes de l’alternative sont désormais soit un accord, soit la guerre des rues et le réveil des démons confessionnels qui, pendant quinze ans (1975-1990), avaient mis le Liban à feu et à sang.
Il est à peine nécessaire de souligner qu’aucun intérêt, aussi puissant soit-il, de l’un ou l’autre des groupes qui se déchirent ne peut légitimement rivaliser avec l’intérêt fondamental du Liban qui est la préservation de la paix civile. Cette donnée de base devra impérativement être intériorisée par la coalition du 14 mars et l’opposition qui gravite autour du Hezbollah si elles veulent arriver à un accord.
Les enjeux sont importants et les divergences profondes. Dimanche dernier, l’émir du Qatar, où se déroulent les pourparlers, a dû intervenir en personne pour éviter une rupture des négociations. On croyait que la question de l’armement du Hezbollah était le problème le plus délicat qui oppose l’opposition et la coalition gouvernementale. Une autre divergence a surgi, délicate elle aussi quoique plus facile à résoudre : la loi électorale, et en particulier le découpage des circonscriptions de Beyrouth, en prévision des élections législatives de 2009. Il est normal qu’une telle divergence surgisse à ce moment précis quand on sait que la nature du découpage des circonscriptions électorales détermine dans une large mesure les résultats des élections.
Des propositions relatives à la loi électorale et au partage du pouvoir au sein du gouvernement ont été soumises hier par les hôtes qataris aux acteurs de la crise libanaise et, aux dernières informations, les uns et les autres se penchent toujours sur ces propositions. Il y a de fortes chances que les questions de la loi électorale et du partage des portefeuilles gouvernementaux soient réglées dans le cadre d’un compromis pour l’émergence duquel l’émir du Qatar et la Ligue arabe sont en train de peser de tout leur poids.
Reste le problème le plus épineux, celui de l’armement du Hezbollah. Celui-ci continue de soutenir que la question de l’armement ne fait pas partie des sujets à négocier et la coalition gouvernementale espère toujours l’imposer comme le principal sujet de négociation.
Cette question de l’armement du Hezbollah a toutes les caractéristiques de ces problèmes quasi-insolubles qui opposent des adversaires dont les arguments sont aussi pertinents d’un côté comme de l’autre et qu’on ne peut s’empêcher de donner raison à l’un et à l’autre camp. La coalition du 14 mars, qui a la majorité des votes des Libanais, n’a pas pu établir un Etat fonctionnel en mesure de s’acquitter de ses responsabilités envers les citoyens en termes de services publics en général et de sécurité en particulier. Le principal obstacle étant l’attitude du Hezbollah qui, grâce à ses milices bien entraînées et puissamment armées, s’est imposé comme un véritable Etat dans l’Etat. Non seulement il partage le monopole de la violence avec l’Etat libanais, mais, comme les récents événements du début du mois l’ont amplement démontré, il est capable de dominer par la force des armes tous ses adversaires politiques.
L’argument soutenu par Hezbollah pour refuser tout désarmement est que cet armement est nécessaire pour défendre le Liban contre les agressions israéliennes. Cet argument n’est pas dénué de fondement quand on se rappelle la guerre de l’été 2006 ayant opposé Israël et le Hezbollah et de laquelle celui-ci était sorti la tête haute pour avoir résisté à la machine de guerre israélienne qui se proposait de le détruire. Cet argument n’est pas non plus dénué de tout fondement quand on sait que, après dix huit ans d’occupation du sud-Liban, Israël fut expulsé en mai 2000 grâce à l’armement du Hezbollah. Toutefois, ce même argument perd un peu de sa pertinence quand on sait que le Hezbollah n’a pas hésité le 7 mai dernier et les jours suivants à utiliser son armement contre ses adversaires politiques libanais. En d’autres termes, si cet armement a tué des Israéliens pendant la guerre de libération du sud-Liban et en 2006, il a tué aussi des Libanais au début de ce mois. Le bilan de 81 morts et 250 blessés, surtout parmi les adversaires du Hezbollah n’est pas une mince affaire.
S’il est légitime pour le Hezbollah de voir traduire sa force et son influence en responsabilités gouvernementales, il est tout aussi légitime pour le gouvernement en place de chercher à s’acquitter de ses responsabilités vis-à-vis des citoyens libanais sans qu’aucune force interne, a fortiori militaire, lui mette les bâtons dans les roues. La résolution de cette rivalité paralysante dans le paysage politique libanais ne pourra réussir que par une reconfiguration du partage traditionnel du pouvoir qui prendrait en compte les nouvelles réalités.
Cela dit, les problèmes de division politique et confessionnelle entre Libanais ne datent pas d’hier. Déjà 1958, la première guerre inter-libanaise avait engendré des interventions étrangères, y compris américaines, et les forces politiques du Liban indépendant ont toujours eu des allégeances étrangères. Il y a même eu une tentative avortée de Bachir Gemayel de créer une structure étatique libanaise alliée à Israël. Cette tendance n’est pas une fatalité et les politiciens libanais, tous courants confondus, gagneraient à se poser les questions suivantes : Pourquoi la classe politique libanaise, à l’instar de n’importe quelle autre classe politique dans n’importe quel pays du monde, n’arrive toujours pas à mettre les intérêts du Liban au dessus de tous les autres intérêts, qu’ils soient régionaux et internationaux ? Pourquoi le Liban n’arrive-t-il pas à tisser des relations politiques, diplomatiques et économiques normales aussi bien avec Téhéran qu’avec Washington par exemple ? Des dizaines de pays dans tous les continents n’entretiennent-ils pas de bonnes relations à la fois avec l’Iran et les Etats-Unis ? Pourquoi pas le Liban ? L’avenir paisible ou non du Liban dépend dans une large mesure des réponses données à ces questions. En d’autres termes, cet avenir dépend de la capacité des différents courants politiques au Liban à se libérer des pesantes allégeances à des forces étrangères.

Friday, May 16, 2008

Passion pro-israélienne

Rarement la passion, la religion et la politique n’ont été aussi intimement liées qu’elles l’ont été jeudi dernier dans le discours du président américain George Bush devant le Knesset israélien. On savait d’avance que Bush allait réaffirmer solidement le soutien américain à Israël, mais on était loin d’imaginer qu’il allait mettre autant de passion. On était loin d’imaginer qu’il allait puiser dans ses profondes convictions religieuses pour caresser et recaresser Israël dans le sens du poil.
Bush était en Israël pour célébrer avec les Israéliens le 60eme anniversaire de la création de cet Etat. Mais une fois devant le Knesset, il n’avait plus en tête les résolutions de l’ONU. Il avait perdu de vue que le territoire administré par la puissance britannique et qui s’appelait Palestine avait fait l’objet d’une résolution de partage, la 181 de 1947, octroyant deux parts à peu près égales aux Israéliens et aux Palestiniens. Il avait ignoré totalement le nettoyage ethnique pratiqué en 1947 et en 1948 par les groupes terroristes juifs (Irgoun, Stern et autres) contre les civils palestiniens, décrits dans toute son horreur par le l’historien israélien Ilan Pappé dans son livre « La guerre de 1948 en Palestine ». Il parlait aux parlementaires israéliens comme si leur pays était aussi pacifique que la Suisse. Comme s’il n’avait jamais occupé aucun de ses voisins. Comme s’il n’avait pas construit de véritables villes-colonies (Maali Adumin, Ariel, Gush Etzion et des douzaines d’autres) sur des terres confisquées par la force.
Tournant le dos à cette réalité tragique, Bush n’avait pas hésité à aller puiser dans les mythes auxquels sont hystériquement attachés les Israéliens les plus extrémistes. Depuis la création d’Israël, jamais homme politique, américain ou autre, n’avait qualifié la création d’Israël de « rédemption d’une ancienne promesse donnée à Abraham, Moïse et David, une patrie pour le peuple élu à Eretz Israël ». Depuis la création de ce pays, jamais un homme politique n’a été aussi loin dans la confusion des mythes anciens avec la politique du XXIeme siècle que George Bush quand il affirme devant les parlementaires israéliens : « Vous avez construit une démocratie moderne sur la Terre Promise, une lumière parmi les nations qui préserve l’héritage d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Vous avez construit une démocratie puissante qui durera éternellement et qui peut toujours compter sur l’Amérique de se tenir à ses côtés ».
Le soutien américain à Israël a franchi cette fois une nouvelle étape dans l’exactitude. Une exactitude arithmétique qui ne souffre aucun doute : « La population d’Israël est juste un peu plus de 7 millions. Mais quand vous confrontez la terreur et le mal, vous avez la force de 307 millions de personnes, parce que l’Amérique est avec vous ». Beaucoup d’Américains sont sûrement furieux par une telle opération d’addition faite par un président dont le taux de popularité aux Etats-Unis ne dépasse guère les quelque 20% d’opinions favorables et qui parle au nom de 300 millions d’Américains.
Dans sa passion pro-israélienne, le président américain s’était projeté 60 ans dans le temps et s’était imaginé en train de célébrer… le 120eme anniversaire d’Israël : « Israël célèbrera son 120eme anniversaire comme l’une des plus grandes démocraties du monde. Une patrie sûre et prospère pour le peuple juif. » Cette vision rose de l’avenir d’Israël n’est pas partagée par la CIA qui, dans l’un de ses récents rapports doutait de la possibilité pour Israël de fêter son « centième anniversaire ». Elle n’est même pas partagée par les Israéliens dont beaucoup doutent de la possibilité pour leur pays de durer dans le temps, compte tenu de son incapacité à s’intégrer dans son environnement géographique et de son obstination à résoudre ses problèmes avec ses voisins à coups de bombes et de missiles.
Le danger mortel qui menace Israël ne provient pas de l’étranger. Il ne provient ni des pays arabes, ni de l’Iran ni d’aucun autre pays étranger. Ce danger vient de la classe politique israélienne elle-même et de tous ceux qui, aux Etats-Unis et ailleurs, croient défendre les intérêts de ce pays en l’encourageant, ouvertement ou implicitement, à persévérer dans sa politique d’occupation, de répression et de massacre de civils.
Le danger du feu nucléaire dont on fait un si grand bruit depuis des mois ne provient ni de Téhéran, ni de Damas ni du Caire, mais d’Israël même où des centaines de têtes nucléaires sont pointés dans toutes les directions. Mais évidemment, tous ceux qui sont capables de faire prévaloir les mythes sur les impératifs de paix du XXIeme siècle, sont, a fortiori, capables de déformer des réalités simples en tournant le dos aux centaines de missiles nucléaires entreposés en Israël et de pointer des doigts accusateurs vers d’autres directions.
Le plus extraordinaire est que le discours de Bush devant le Knesset a affaibli encore la position du Premier ministre, Ehud Olmert, aux yeux de ses opposants israéliens. C’est ainsi que le parlementaire israélien Zvi Hendel, représentant d’un parti extrémiste, a invité Olmert à « apprendre du président des Etats-Unis ce que c’est que le sionisme ». De son côté, l’ancien président du Knesset, Reuven Rivlin a affirmé : « Je souhaite que nos dirigeants feraient des discours avec la même vision sioniste que celle manifestée par le président Bush »…
On ne sait trop si, en qualifiant Bush de « meilleur sioniste » que le Premier ministre d’Israël, ces membres de la Knesset le servent ou le desservent. Une chose est sûre, de tels « éloges » et le recours par Bush aux mythes relatifs à la « Terre Promise » ne font sûrement pas de lui le meilleur intermédiaire entre Israéliens et Palestiniens et ne rendent pas ses discours relatifs à « l’Etat palestinien » plus crédibles qu’ils ne le sont déjà.

Monday, May 12, 2008

Mieux vaut le statu quo qu'une guerre civile

Après cinq jours de combat qui ont fait craindre le pire, les factions ennemies au Liban ont fait marche arrière et accepté le déploiement de l’armée libanaise dans les zones où les milices de Hezbollah et les forces loyales à la coalition gouvernementale se sont affrontées à l’arme lourde. En cinq jours, du 7 au 11 mai, on a dénombré 81 morts et près de 205 blessés. Le spectre de la guerre civile qui a duré de 1975 à1990 a plané pendant ces cinq jours sur le Liban meurtri et, à un certain moment, on a cru avec angoisse que les démons de la guerre civile s’étaient totalement réveillés et que les Libanais allaient, encore une fois, entamer une nième descente aux enfers.
En fait, cet affrontement n’a étonné personne. Depuis la fin de la guerre entre Israël et le Hezbollah de l’été 2006, la crise couvait entre le gouvernement Siniora et l’opposition dirigée par le parti de Hassan Nasrallah, avec l’appui de parti chiite Amal et le Courant patriotique de Michel Aoun. Cette crise s’est exacerbée avec le vide politique laissé à la présidence de la République après qu’Emile Lahoud a quitté le palais Baabda à l’expiration de son mandat en novembre dernier.
Le Liban ressemble à ce corps qui connaît trop de crises se santé et qui résiste tout en se donnant les moyens de vivre normalement. Pendant les 15 ans de guerre civile, il n’a connu ni crises humanitaires graves, ni disette ni famine. Tout se passait comme s’il y avait un accord tacite entre le monde politique et le monde économique aux termes duquel celui-là gère ses crises à sa manière et celui-ci assure la subsistance aux Libanais, mais si cette subsistance est souvent troublée par les nuisances politiques.
Cette règle spécifique au Liban s’est vérifiée encore une fois ces dix huit derniers mois au cours desquelles le statu quo observé entre les frères ennemis de la coalition et de l’opposition, engendrant une paralysie politique totale, n’a pas empêché les Libanais de se rendre à leur travail et d’assurer les conditions minimales d’une vie économique et sociale digne.
Comment s’explique cette différence entre un monde politique souvent paralysé et un monde économique dynamique ? Le monde économique est entre les mains des Libanais. C’est eux qui décident, et donc ça marche. En revanche, le monde politique est ligoté par les interférences étrangères qui ont fait du Liban un terrain d’affrontements pour des raisons et des intérêts qui dépassent les Libanais.
Ce n’est un secret pour personne que les deux camps en guerre au Liban, sont soutenus par des forces étrangères. Le gouvernement de Fouad Siniora est soutenu par les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, et le Hezbollah et ses alliés sont soutenus par l’Iran et la Syrie. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la tension qui monte entre Washington et Téhéran ait des réverbérations au Liban.
S’ils étaient livrés à eux-mêmes, les Libanais trouveraient pacifiquement sans aucun doute les solutions adéquates à leurs problèmes. Mais les interférences étrangères ont fait que les problèmes du Liban soient fortement intégrés aux problèmes régionaux et leur solution dépende fortement d’une solution globale au niveau régional, voire international. En d’autres termes, il est difficile de concevoir une solution politique définitive au Liban sans une solution des contentieux américano-iranien, syro-israélien et isrélo-palestinien. Le Liban, de par sa position géographique, et de par la force politique et militaire que constitue le Hezbollah sur la scène libanaise voit son sort fortement lié à l’évolution des autres contentieux qui opposent Washington à Téhéran, la Syrie à Israël et celui-ci aux Palestiniens.
C’est dans ce contexte politique « misérable », comme l’a qualifié l’intellectuel américain, Jon Alterman, que le président américain s’apprête à entamer cette semaine une nouvelle visite dans la région. Pendant les sept premières années de sa présidence, George Bush n’a pas mis les pieds dans cette région. Pendant cette longue durée, non seulement il s’était détourné des problèmes brûlants opposant les Israéliens aux Palestiniens aux Syriens et aux Libanais, mais il en a créé d’autres, bien plus graves, en Irak.
Maintenant, et alors qu’il compte ses derniers jours à la Maison blanche, George Bush se permet de faire deux fois le voyage dans la région en quatre mois. Il sera en Israël où il participera à la fête du 60eme anniversaire de son « indépendance ». Il prononcera un discours à la Knesset et répètera la litanie du soutien « indéfectible » des Etats-Unis à ce pays. Il sera reçu ensuite au Caire et à Ryadh.
Une chose est sûre, le voyage de George Bush dans la région n’aura sans doute aucun effet positif sur les crises qui secouent les régions. Bien au contraire, la tension risque encore de monter d’un cran, si l’on en juge par la décision qui a précédé l’arrivée du président américain dans la région et consistant à donner l’ordre au désormais célèbre contre-torpilleur, USS Cole, de traverser le canal de Suez et de patrouiller en Méditerranée.
Demain mercredi, une délégation de la Ligue arabe est attendue au Liban pour une mission de bons offices. Très peu d’optimisme est suscité par cette démarche, surtout que la Ligue arabe elle-même est fortement divisée sur la question libanaise, comme l’a montré le vote de la résolution lors de la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères.
Du moment qu’une solution définitive est encore lointaine, du moment qu’aucun signe d’une volonté de compromis des frères ennemis n’émerge, les Libanais n’ont d’autre choix que de bien gérer le court terme. En effet la seule assurance de sécurité pour eux maintenant est le statu quo. Puisque l’économie n’est pas gravement affectée par la paralysie politique, mieux vaut en effet un statu quo qu’une guerre civile qui ravagerait encore une fois le pays.

Thursday, May 08, 2008

Israël, soixante ans après

Israël était créé le vendredi 14 mai 1948. S’il était un homme, il prendrait sa retraite dans cinq jours et on n’en parlera plus. Mais il n’y a pas d’âge pour la retraite des Etats et on parlera encore longtemps d’Israël. La création de ce pays était une catastrophe pour les Arabes en général, et en particulier pour les Palestiniens pour qui le 14 mai est la journée de la Nakba qu’ils célèbrent dans la douleur depuis 60 ans. Quant aux Israéliens, ils ont commencé hier la célébration en grande pompe du 60eme anniversaire de la création de leur Etat avec un immense défilé militaire de l’aviation, celle la même qui n’arrête pas depuis des décennies de semer la mort et la désolation dans la région.
En soixante ans d’existence, Israël a mené sept grandes guerres contre les Arabes, avec un acharnement particulier contre les Palestiniens et les Libanais. 1948, 1956 (agression tripartite israélo-franco-britannique contre l’Egypte), 1967, 1973, 1978, 1982, 2006, sans compter le nombre incalculable de « petites guerres » menées contre un peuple désarmé sur une base quasi-quotidienne, avec une intensité particulière durant les deux intifadas, celle de décembre 1987 qui a duré six ans, et celle de septembre 2000 qui n’a pas cessé encore.
En 1906, Theodor Herzl termina son œuvre en langue allemande « Der Judenstaat » (l’Etat juif) qui donna naissance au mouvement sioniste. Dans ce livre, il y a une phrase célèbre souvent citée par les historiens et les auteurs d’œuvres politiques : « Pour l’Europe, disait Herzl, nous constituerons là-bas [en Palestine] un secteur du mur contre l’Asie. Nous serons l’avant-garde de la culture contre la barbarie. »
Un siècle après, le mur est là effectivement. Mais ce n’est pas le « mur contre la barbarie » dont parlait Herzl, c’est plutôt le mur de la barbarie israélienne qui, depuis des décennies, martyrise les Palestiniens, en occupant leurs terres, en massacrant leurs enfants, en détruisant leurs maisons, en déracinant leurs arbres et, pour finir, en les emprisonnant derrière un mur en béton de huit mètres de haut et 700 kilomètres de long qui a charcuté impitoyablement la Cisjordanie et rendu la vie des Palestiniens plus infernale encore.
Soixante ans après sa création, Israël ne semble pas fatigué de la guerre. Pratiquement toutes les guerres que ce pays a menées sont des guerres d’agression. C’est parce qu’il est attaché maladivement à des mythes et qu’il a une armée puissante et le soutien des grandes puissances que ce pays refuse toujours tout compromis et toute proposition de paix. L’objectif est clair : guerroyer jusqu’à ce que les Palestiniens s’épuisent, se mettent à genoux et acceptent la paix aux conditions israéliennes, c'est-à-dire des bantoustans en guise d’Etat, de manière à ce que le contrôle effectif de toute la Palestine reste entre les mains d’Israël.
Cet objectif n’est pas mis au point par la classe au pouvoir maintenant à Tel Aviv ni par celle qui l’a précédée. C’est un objectif inscrit est inscrit dans le projet sioniste, conçu près d’un demi siècle avant le massacre à grande échelle des Juifs par l’Allemagne nazie. Herzl était même entré en contact avec le sultan ottoman pour lui suggérer l’idée qui était à la base de son projet de « Judenstaat » : déporter les Palestiniens hors de Palestine pour préparer le terrain à la colonisation juive. De son côté, l’autre théoricien du sionisme, Zeev Jabotinsky, traçait en 1923 déjà la ligne de conduite du futur Etat israélien : « refuser tout accord de paix avant d’avoir colonisé la Palestine à l’abri d’un mur de fer ».
L’agressivité de l’Etat israélien est inscrite noir sur blanc dans le journal intime du fondateur de cet Etat, David Ben Gourion, qui écrivait le 24 mai 1948, c'est-à-dire dix jours seulement après la création d’Israël : « Nous établirons un Etat chrétien au Liban (…). Nous briserons la Transjordanie, bombarderons sa capitale, détruirons son armée (…). Nous mettrons la Syrie à genoux (…). Notre aviation attaquera Port Saïd, Alexandrie, le Caire, et ceci pour venger nos ancêtres opprimés par les Egyptiens et les Assyriens à l’époque biblique… » (1).
On reste pantois face à la futilité de cet homme, vénéré en Israël comme un quasi-Dieu, et qui, quelques semaines après le massacre et le nettoyage ethnique infligés à des centaines de milliers de Palestiniens, sombre dans la folie des grandeurs et va jusqu’à concevoir des plans de vengeance se référant à es événements plus proches du mythe que de la réalité.
Soixante ans après sa création, Israël n’arrive toujours pas à se normaliser et à s’intégrer dans son environnement géographique parce que sa classe dirigeante et une bonne partie de sa population demeurent intoxiquées par les mythes de la terre promise et de la reconstitution sur des bases modernes du « royaume d’Israël » prétendument créé par les anciens Hébreux.
Ce mythe est déconstruit par de nombreux archéologues et historiens israéliens dont Shlomo Sand, professeur à l’université de Tel Aviv, dans son ouvrage récent intitulé : « Comment le peuple juif fut inventé. De la bible au sionisme ». Ce livre vient troubler les fêtes du 60eme anniversaire de la création d’Israël parce qu’il remet en cause l’idée que ceux qui peuplent aujourd’hui ce pays sont les descendants des anciens Hébreux. Les Juifs d’aujourd’hui, soutient l’auteur, sont plutôt « d’anciens païens –berbères d’Afrique du nord, Arabes du sud de l’Arabie, Turcs de l’empire des Khazars- reconvertis au judaïsme entre IV et le VIIIeme siècle de notre ère ». Les descendants des anciens Hébreux ? Ce sont probablement les Palestiniens reconvertis à l’islam, soutient Shlomo Sand.
On est habitué aux farces, le plus souvent tragiques, que se permet de temps en temps l’histoire aux dépens des hommes, prompts à s’entretuer pour un oui ou pour un non. Mais si la thèse défendue par Shlomo Sand s’avérait vraie, la plaisanterie que l’histoire s’est permise aux dépens des Palestiniens et qui dure depuis 60 ans est un peu trop grotesque. Trop tragique. Mieux vaut en… pleurer


HBR

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(1) Cité par Eric Rouleau dans son article : « Israël face à son histoire », Le Monde diplomatique, Mai, 2008.

Saturday, May 03, 2008

J Street contre AIPAC

En 2004, Howard Dean était dans la course à la candidature du parti démocrate pour l’élection présidentielle américaine. Il n’a pas réussi à représenter son parti alors et il n’a pas présenté sa candidature cette année où Barack Obama et Hillary Clinton continuent de s’entredéchirer au grand bonheur du candidat républicain John McCain. Celui-ci, pour accroître ses chances, il a déjà commencé à prendre ses distances avec l’actuel président et son adjoint, largement impopulaires, en proférant contre eux des critiques bien tardives.
Howard Dean avait donc nourri des ambitions présidentielles en 2004 et son échec s’expliquait dans une large mesure par la campagne virulente déclenchée contre lui par le lobby israélien aux Etats-Unis, et en particulier par l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee). La raison de l’attaque ? Howard Dean avait osé demander que son pays adopte « une approche équilibrée » dans la gestion du conflit israélo-arabe. Du coup, le candidat à la candidature démocrate était devenu l’homme à abattre et traité de tous les superlatifs classiques : ennemi d’Israël, antisémite, ami des terroristes etc…
Cet épisode, bien que banal dans le monde politique américain, avait choqué à l’époque beaucoup d’Américains, dont des Juifs « libéraux », de plus en plus excédés par les prétentions des représentants de « la droite juive américaine » à parler au nom de tous les Juifs. C’est un fait que les chefs de l’AIPAC et de Ligue américaine contre la diffamation, dont le tout puissant Abraham Foxman, se sont autoproclamés porte-parole de toute la communauté juive des Etats-Unis.
De plus en plus d’Américains sont agacés par les excès du lobby et les langues ont commencé à se délier depuis que, en 2006, les deux universitaires, John Mearsheimer et Stephen Walt, ont décidé d’écorner le tabou en mettant à nu les pratiques dangereuses du lobby « tant pour les intérêts américains que pour Israël ».
En 2004, Jeremy Ben-Ami, un Juif américain était directeur de la campagne de Howard Dean. Il était d’autant plus choqué de la réaction violente du lobby contre son employeur que Howard Dean est « marié à une Juive et ses enfants sont élevés dans la foi juive ». C’est ce choc qui avait poussé Ben-Ami à penser à la création d’une structure qui contrecarrerait l’activité destructive de l’AIPAC et autre Ligue contre la diffamation.
Après quatre ans de gestation, le projet de Jeremy Ben-Ami voit enfin le jour et la structure s’appelle « J Street », J pour « Jew » (juif), ce que l’on peut traduire par « Rue Juive ». J Street a l’ambition de rivaliser avec l’AIPAC en lui contestant le droit qu’il s’est arrogé de parler au nom de tous les Juifs américains et en engageant le débat sur les vrais intérêts des Etats-Unis et d’Israël.
Gary Kamyia, auteur d’un article publié le 29 avril sur le site internet américain http://www.antiwar.com/, écrit : « Rien n’est plus urgent dans notre discours politique que d’éliminer le tabou qui nous empêche de parler franchement d’Israël. Celui-ci n’est pas le 51eme Etat, mais un pays étranger au milieu du Moyen-Orient, une région où notre intérêt national est considérable. Le silence forcé sur tout ce qui a trait à Israël nous a empêchés de penser clairement au problème du Moyen-Orient, a aidé au déclenchement de la guerre désastreuse que nous menons en Irak et aidera probablement au déclenchement d’une future guerre contre l’Iran ».
Le fondateur de J Street, Jeremy Ben-Ami, a confié à Gary Kamiya la raison qui les a poussés, lui et ses amis, à franchir le pas et à créer une structure qui serait l’anti-AIPAC si l’on peut dire. « Il n’est plus acceptable, dit-il que, chaque fois qu’il s’agit d’Israël, le débat soit détourné et monopolisé par l’extrême droite juive ». Le but de J Street sera donc d’agir auprès des politiciens américains et en particulier au Congrès, en utilisant les mêmes méthodes que l’AIPAC, mais en poursuivant des objectifs politiques entièrement différents. L’AIPAC menace-t-il de détruire la carrière d’un politicien américain qui ose dire la vérité sur ce qui se passe au Moyen-Orient ? J Street est désormais là pour s’y opposer en s’employant à semer les premiers grains de sable dans la machine de propagande bien huilée du lobby israélien. Comment ? En incitant les politiciens de Washington à « servir Israël autrement », et ce en disant simplement la vérité. Car, pour Ben-Ami et ses amis, ni Israël, ni les Etats-Unis ni la paix dans le monde ne sont servis par un soutien aveugle à la politique israélienne, comme continue de le faire obstinément l’AIPAC.
Contrairement à des organisations assez inhibées telles que « Israel Policy Forum », « Americans for Peace Now » ou encore « Brit Tzedek v’Shalom », J Street se propose d’être un « vrai acteur politique » qui accorde son soutien politique, mais aussi financier, à tout politicien qui se trouvera placé sur la liste noire de l’AIPAC pour s’être écarté des positions politiques fixées par le lobby israélien.
Evidemment, pour le moment J Street ne dispose pas des réserves financières de l’AIPAC. Mais ce nouveau lobby des « Juifs libéraux » américains est optimiste quant à ses capacités à collecter de l’argent à travers le réseau Internet en s’inspirant des méthodes victorieuses du mouvement américain anti-guerre, « MoveOn », ou encore des méthodes utilisées par Barack Obama pour collecter de l’argent pour sa campagne et qui se sont avérées extrêmement efficaces.
Un autre élément qui incite les fondateurs de J Street à l’optimisme : le cas Betty McCollum. Cette Américaine est la représentante de l’Etat du Minnesota au Congrès. Elle s’est opposée récemment bec et ongles à un projet de loi inspiré par l’AIPAC et qui vise à geler l’aide américaine aux Palestiniens. L’AIPAC, comme d’habitude, a aussitôt réagi en accusant Betty McCollum de « soutenir les terroristes ». Mais cette fois ça n’a pas marché pour l’AIPAC. La représentante du Minnesota a eu gain de cause. Elle poursuit honnêtement son travail au Congrès. Elle est le prototype de politiciens que l’AIPAC cherche à détruire et que J Street se prépare à soutenir politiquement et financièrement.