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Monday, November 30, 2015

Aigreur à Ryadh, frustration à Ankara

Les autorités saoudiennes et turques ruminent une haine qu’elles n’arrivent pas à cacher contre les autorités russes. Elles sont impuissantes face à la machine de guerre mise en branle par le président Poutine qui a volé au secours du régime syrien pour l’aider à nettoyer la Syrie du terrorisme. Et ce qui accentue la frustration et l’aigreur des dirigeants saoudiens et turcs, c’est qu’ils ont échoué à faire adopter par les dirigeants occidentaux leur propre vue des choses. Ils ont lamentablement échoué à convaincre les Américains, les Britanniques et les Français que la priorité en Syrie n’est pas la destruction de Daech et d’Annosra, mais du régime de Bachar al Assad. Les dirigeants saoudiens et turcs ont des intérêts politiques et stratégiques qui convergent, du moins dans cette étape précise de la guerre en Syrie. Ces intérêts tels qu’ils les conçoivent sont organiquement liés au renversement du régime syrien, et donc à la victoire de Daech et Annosra. Car qui d’autre est capable de tenir tête au régime de Bachar et de le menacer dans son existence ? Mais le soutien des Saoudiens et des Turcs à Daech et Annosra ne s’explique pas uniquement par les intérêts politiques et stratégiques, mais aussi et surtout par des considérations religieuses. N’oublions pas que les organisations terroristes les plus actives en Syrie sont des excroissances sanglantes du wahhabisme, armées et financées dans une large mesure par les pétrodollars du royaume wahhabite. N’oublions pas aussi que l’establishment politico-religieux saoudien partage avec Al Qaida et toutes ses ramifications une haine inextinguible contre toute espèce de pluralisme au sein de l’islam. En d’autres termes, pour les terroristes de Daech et d’Annosra, tout comme pour la classe politico-religieuse saoudienne, il n’y a qu’une seule voie juste qui mène à Dieu, c’est celle de l’islam wahhabite. Toutes les autres versions sont des hérésies dont les partisans doivent être traités non pas comme des musulmans différents, mais comme des ennemis de Dieu… Les dirigeants islamistes turcs ne sont pas peut-être aussi fanatiques que Daech et compagnie, mais, compte tenu de leur appartenance à la confrérie, ils partagent les mêmes rêves d’une « Khilafa islamique » qui s’étendrait du Maroc à l’Indonésie… Il est donc normal que les décideurs à Ryadh et à Ankara ressentent autant de frustration, d’aigreur et de haine face aux Russes qui continuent de bombarder intensivement et efficacement les repaires terroristes de Daech et d’Annosra en Syrie. Le pauvre Erdogan, pour n’avoir pas su maîtriser sa haine, a mis la Turquie dans une situation délicate avec la Russie, les deux pays étant liés par une forte coopération économique et commerciale mutuellement bénéfique. Il a donné au monde l’image d’un homme désorienté qui, après avoir donné l’ordre insensé d’abattre le bombardier russe, se mord les doigts, ne sachant trop que faire pour se faire pardonner par le président Poutine qui a refusé de répondre à tous ses appels téléphoniques. Le cas de l’Arabie saoudite est plus pathétique encore. Le royaume wahhabite se trouve un peu dans la situation de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Engagés depuis des mois dans leur guerre destructrice contre le Yémen, les décideurs saoudiens ne se privent pas de hausser le ton et de proférer des menaces quand ils parlent de la Syrie. Ayant constaté que les sommes faramineuses d’argent et les quantités gigantesques d’armements transférées depuis 2011 aux différentes factions armées qui combattent contre le régime syrien n’ont pas servi à grand-chose, l’Arabie saoudite menace…d’utiliser la force. C’est ce que l’on comprend en tout cas de l’étonnante déclaration du ministre saoudien des Affaires étrangères Adel Jubeir : « Si Bachar al Assad refuse de partir, nous utiliserons la force pour l’obliger à le faire », menace-t-il sans rire. A le croire, pendant plus de quatre ans, l’Arabie saoudite n’a utilisé que la diplomatie et que les atrocités commises par Annosra et les monstruosités commises par Daech l’on été grâce à l’argent et à l’armement que leur fournissaient les Martiens… Mais l’Arabie saoudite ne bombe pas le torse seulement en direction de Bachar, mais le bombe aussi face à la Russie. Voici ce qu’a dit sur la BBC Arabic Jamal Khajogji, journaliste et écrivain très proche de l’establishment politico-religieux saoudien : « Tout comme nous avons aidé le peuple afghan à battre l’Union soviétique, nous aiderons le peuple syrien à battre la Russie. » Le peuple afghan se serait bien passé de cette aide qui l’a plongé dans une série de drames indescriptibles et dont il ne voit toujours pas la fin 35 ans plus tard. Seulement, ce que les Saoudiens semblent ignorer, c’est que la Syrie n’est pas l’Afghanistan, la Russie n’est pas l’Union soviétique et le contexte international de 1980 n’est pas celui de 2015. Que peut faire l’Arabie saoudite de plus qu’elle n’ait déjà fait pendant quatre ans ? Sa dernière grande contribution, 500 missiles Tow de fabrication américaine, pour aider l’opposition armée à s’opposer aux frappes russes n’ont rien changé sur le terrain. Les forces de Bachar continuent d’avancer, celles de Daech et d’Annosra continuent de reculer. Plutôt que de chercher à aider le peuple syrien, les dirigeants saoudiens devraient méditer un proverbe français plein de sagesse : charité bien ordonnée commence par soi-même. Cela veut dire qu’ils doivent commencer par s’aider eux-mêmes et aider leur pays à s’immuniser contre les dangers qui le guettent. Et le premier service qu’ils doivent commencer par rendre à leur peuple, à la région et au monde musulman, c’est d’utiliser la manne pétrolière pour le développement économique et social, plutôt que de la gaspiller à alimenter les guerres et le terrorisme. L’establishment politico-religieux saoudien, pour le bien de son pays, de son peuple, pour le bien du monde arabe et musulman, pour le bien du monde tout court, doit cesser de se considérer comme l’unique dépositaire de la Vérité et d’accuser d’hérésie tous ceux qui refusent les enseignements de Mohamed Ibn Abdelwahab. Quand elle est pointée du doigt en tant que premier responsable du déferlement du terrorisme dans le monde non seulement par ses ennemis, mais aussi par ses amis, y compris de hauts responsables de la superpuissance qui la protège, l’Arabie saoudite peut-elle se permettre de continuer à agir obstinément et fanatiquement comme si de rien n’était ?

Recettes pour éradiquer le terrorisme

Les attaques perpétrées par les terroristes daéchiens contre des citoyens français à Paris ont surpris par leur ampleur et non par leur déroulement. Au point où nous en sommes, nul ne peut désormais s’étonner d’une action terroriste où qu’elle se produise. Il y a quatorze ans, les Etats-Unis ont subi la plus terrible attaque terroriste de leur histoire un certain 11 septembre 2001. Depuis, l’armée américaine n’a pas arrêté de mener sa « guerre globale contre le terrorisme ». Après toutes ces années, non seulement le terrorisme est loin d’être vaincu, mais plusieurs pays ont eu, à l’instar des Etats-Unis, la plus grand attaque de leur histoire : l’Espagne et le Maroc en 2004, la Grande Bretagne, l’Australie et l’Indonésie en 2005, la Tunisie, la Russie et la France en 2015, sans parler de l’Irak, de la Syrie et de la Libye devenus, grâce aux erreurs monumentales des politiques occidentales, de véritables usines de production de la terreur à très grande échelle. Le président François Hollande, réagissant aux attentats qui ont endeuillé son pays avec une émotion tout à fait compréhensible, a affirmé : « Nous sommes en guerre, et nous mènerons une guerre sans répit contre le terrorisme ». Le président français et la classe politique française dans son ensemble ne peuvent pas ignorer que « la guerre contre le terrorisme » n’a pas aidé la France à prévenir en janvier et novembre de cette année deux des actions terroristes les plus meurtrières de son histoire. La « guerre globale contre le terrorisme » initiée par Bush II a, pendant quatorze ans, nourri le fléau au lieu de l’éradiquer. Et c’est ainsi que cette guerre globale contre le terrorisme s’est transformée progressivement et inéluctablement en menace globale du terrorisme pour le monde entier. Certes, les Etats-Unis n’ont eu aucune attaque significative depuis septembre 2001. Et ce qui les a protégés, ce n’est pas leur « guerre globale contre le terrorisme », mais les deux immenses océans infranchissables par les terroristes. Maintenant que devons-nous faire face à cette terrifiante menace qui n’épargne plus aucun pays européen, africain, asiatique ou moyen-oriental ? La stratégie américaine s’étant révélée désastreuse, il est grand temps de l’abandonner et de mettre en place une autre stratégie qui ne se contente pas de traiter les symptômes, mais d’aller tout droit à la racine du mal. Pour vaincre le terrorisme, on ne doit pas se contenter de traquer les pauvres bougres qui ont subi un lavage de cerveau en règle avec la lessive daéchienne. On arrivera jamais à les neutraliser entièrement si on ne va pas à la racine du mal. On ne peut pas tuer un arbre maléfique en se contentant de lui couper les branches qui ne tardent pas à repousser. Ce sont les racines qu’il faut couper. Pour le terrorisme, c’est la même chose. La capacité de recrutement des organisations terroristes dépasse la capacité des divers services de sécurité d’en éliminer les membres. Que veut dire aller à la racine du mal ? Tout d’abord arrêter de s’en prendre à des gouvernements établis sous prétexte qu’ils sont dictatoriaux ou qu’ils maltraitent leurs peuples, comme ce fut le cas pour l’Irak et la Libye et comme on tente encore de le faire en Syrie. Le prétexte est fallacieux et d’une hypocrisie consternante. Car enfin en quoi l’Arabie saoudite est plus démocratique et plus respectueuse des droits de l’homme que la Syrie de Bachar al Assad ? Et si les manifestations de mars 2011 contre le président syrien s’étaient déroulés en Arabie saoudite contre la royauté, comment aurait réagi les autorités saoudiennes ? La réponse est évidente. La deuxième chose à faire, c’est d’obliger les pays de Golfe d’interdire les dizaines de chaines de télévision takfiristes qui empoisonnent les esprits de millions de jeunes gens et de clouer le bec à ces cheikhs écervelés pour qui l’humanité entière est impie tant qu’elle ne suit « la bonne voie » tracée par le wahhabisme. La troisième chose à faire, c’est d’étouffer financièrement le terrorisme, en le privant de l’argent du pétrole qu’il exploite en Irak et en Syrie, et en le privant surtout de l’autre argent du pétrole généreusement et massivement offert par les richards fanatiques d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït. La quatrième chose à faire, c’est de dévoiler à l’opinion publique internationale, qui s’en doute un peu d’ailleurs, le jeu à la fois fourbe et dangereux de certains Etats qui, pour se débarrasser du régime syrien, ont financé, armé et facilité l’expansion du terrorisme. A l’ouverture de la réunion du G20 à Antalya en Turquie le dimanche 15 novembre, les téléspectateurs ont pu assister à une scène pathétique : le président turc Recep Tayyip Erdogan exhortait ses invités à faire « l’unanimité contre le terrorisme ». Tout le monde sait que pendant quatre ans, le chef islamiste de Turquie a été l’un des principaux obstacles à cette unanimité contre le terrorisme à laquelle il appelle aujourd’hui. L’unanimité contre le terrorisme ne se fait pas par des discours démagogiques, mais par l’action concrète. Si M. Erdogan s’est enfin rendu compte de ses erreurs monumentales des quatre dernières années et veut œuvrer sincèrement pour l’unanimité contre le terrorisme, il doit commencer par fermer immédiatement sa frontière avec la Syrie, empêcher les terroristes d’y entrer et arrêter ceux qui la fuient et les livrer à ceux qui les réclament. Enfin, il doit prouver sa nouvelle ardeur antiterroriste en orientant ses bombes vers Daech et compagnie plutôt que vers les Kurdes.

Sifflera-t-on enfin la fin de la récréation?

Le mystère autour du crash de l’avion russe avec 224 personnes à bord dans le Sinaï s’est épaissi à la suite des révélations britanniques que l’accident serait dû à une bombe placée à bord avant le décollage de l’aéroport de Charm el Cheikh. Pour soutenir cette hypothèse, les autorités britanniques disent disposer d’informations collectées par leurs services de renseignements. Jusqu’à présent, les Britanniques, qui ont déjà arrêté tous leurs vols reliant la Grande Bretagne à la station balnéaire égyptienne, refusent de partager les précieux renseignements avec les premiers intéressés, c’est-à-dire les Russes, ce qui est pour le moins étonnant et épaissit encore plus le mystère qui entoure ce drame. C’est dans ce contexte lourd, dramatique et mystérieux que le président égyptien Abdelfattah Sissi a effectué jeudi 5 novembre une visite officielle en Grande Bretagne. Cette visite comporte certainement des aspects politiques et économiques qu’ont dû discuter Sissi et Cameron, mais l’aspect le plus dominant de la visite est sans aucun doute l’aspect sécuritaire. En effet, dans toutes les interviews données aux médias britanniques (BBC Arabic, The Daily Telegraph etc.) avant et au cours de la visite, Sissi fait assumer implicitement la responsabilité de l’insécurité sans précédent qui sévit au Moyen-Orient, entre autres, à la Grande Bretagne qui « n’ pas terminé le travail en Libye. » Les dizaines d’actes terroristes sanglants, dont sont victimes la Tunisie et l’Egypte, n’auraient jamais été possibles sans l’intervention catastrophique des avions britanniques, français et américains en Libye en 2011. La fragilisation des économies égyptienne et tunisienne et l’aggravation des conditions sociales de dizaines de millions de citoyens dans les deux pays n’est pas sans lien avec les mauvais choix des Etats britannique, français et américain. Ce sont ces choix qui ont transformé la Libye en paradis pour les terroristes et en enfer pour ses habitants. Ce sont ces choix qui ont eu des répercussions catastrophiques sur les six pays voisins de la Libye, et en particulier la Tunisie et l’Egypte. Le président égyptien a donc parfaitement raison de réclamer à ses hôtes britanniques de « terminer le travail », c'est-à-dire de réparer ce qu’ils ont contribué à briser en aidant les Libyens à se débarrasser du cancer terroriste que les bombes de l’Otan ont répandu dans le pays. Ce que Sissi a réclamé à la Grande Bretagne, doit être réclamé également à la France et aux Etats-Unis. Il faut souligner ici que quand on réclame aux gens de l’Otan de terminer leur travail en Libye, on ne les invite pas à envoyer leurs avions bombarder les repaires terroristes à Sirte, Darna ou Sabrata. Ceci n’a aucun sens, car si les terroristes ont la cruauté de mettre la Libye à feu et à sang, ils ont aussi suffisamment de lâcheté pour se débarrasser de leurs armes, de se raser les barbes et de se fondre dans la foule des anonymes dès l’apparition du danger, comme on l’a vu en Syrie dès les premiers bombardements russes. Avec l’influence dont ils disposent sur la scène mondiale, avec la puissance de leurs services de renseignements, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France sont capables d’arrêter les flux d’argent sale, d’armements et de terroristes vers la Libye. Ces trois pays ont la capacité d’interdire les vols « louches » du Qatar et de Turquie vers la Libye. Ils sont en mesure de signifier une fois pour toute à Erdogan et à l’émir de Qatar qu’ils ont allumé suffisamment d’incendies et qu’il n’est plus tolérable désormais de continuer à jouer indéfiniment avec le feu. Ils sont parfaitement capables d’exiger de l’Etat saoudien de contrôler les flux financiers qui quittent le royaume en direction des concentrations terroristes moyen-orientales. De telles actions sont beaucoup plus efficaces contre le terrorisme que les campagnes aériennes qui tuent beaucoup plus d’innocents que de terroristes. Le problème est que les pays qui sont responsables du désastre sécuritaire que nous vivons rechignent toujours à prendre ces mesures simples, propres et efficaces. On peut comprendre cette réticence de la part des Etats-Unis où la teigne néoconservatrice et les lobbies sionistes continuent de prendre en otage la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Mais il est difficile de comprendre cette réticence de la part de la Grande Bretagne et de la France de dénoncer haut et fort le jeu trouble du trio infernal Qatar-Turquie-Arabie saoudite. Si la thèse de la bombe terroriste à bord du vol russe Metrojet 9268 se vérifiait, 224 personnes innocentes s’ajouteraient à la liste interminable des victimes de ce fléau. Que peut-on faire d’autre sinon compatir avec les familles endeuillées ? Si cette thèse se vérifiait, ce serait une très mauvaise nouvelle non seulement pour le tourisme égyptien, mais pour l’aviation civile mondiale dans son ensemble. Car si avec les mesures de sécurité draconiennes appliquées dans l’aéroport de Charm el Cheikh les terroristes arrivaient à placer une bombe dans un avion, il y aurait là un puissant signal d’alarme indiquant que désormais le trafic aérien international est en danger. Peut-être alors Londres, Paris et Washington se décideront-ils à siffler enfin la fin de la récréation et se retrousseront-ils les manches pour étouffer l’hydre terroriste en commençant par lier les mains de ceux qui la nourrissent.

"La sage-femme du chaos"

Beaucoup se demandent aujourd’hui si l’ancien président américain Bill Clinton n’avait pas eu cette affaire sordide avec Monica Lewinsky dans le bureau ovale, sa femme aurait-elle eu cette chance de se forger une personnalité d’envergure sur la scène américaine, de se faire facilement élire au Sénat, de diriger la politique étrangère américaine et de prétendre carrément à la présidence des Etats-Unis ? Une chose est sûre, l’humiliation infligée à Mme Hillary Clinton par son mari volage lui a attiré la sympathie de millions d’Américains. En d’autres termes, la belle Monica Lewinsky n’est pas totalement étrangère à la réussite politique de l’ex-première dame américaine. Peut-être ici des précautions auraient dû être prises en accolant des guillemets à la réussite politique, car si Mme Clinton a réussi à s’imposer sur la scène publique américaine, elle a lamentablement échoué à redresser ne serait-ce qu’un tout petit peu la politique étrangère de son pays qui, depuis des décennies, n’arrête pas de provoquer des guerres et de semer la mort et la destruction un peu partout dans le monde. Pourtant, quand elle a commencé à assumer de hautes responsabilités dans l’administration américaine, certains naïfs, dont l’auteur de ces lignes, se sont pris à rêver qu’avec sa sensibilité de femme et ses instincts maternels, Mme Clinton pourrait peut-être contribuer à humaniser la politique américaine en réduisant autant que faire se peut son agressivité excessive et sa propension maladive à rendre infernale la vie de millions de gens à travers le monde. Mme Clinton n’a pas mis longtemps pour décevoir tous ceux qui ont naïvement cru en sa capacité d’influer dans le sens de la rationalisation ou de l’adoucissement de la politique étrangère américaine. Elle n’a pas perdu de temps pour prouver au monde qu’une femme est tout aussi capable d’arrogance, d’agressivité et d’insensibilité à l’égard des souffrances humaines que ses collègues hommes de l’establishment washingtonien. Il faut rappeler ici que Mme Hillary Clinton a voté au sénat en faveur de l’agression contre l’Irak perpétrée par l’administration de Bush II. La terrifiante évolution de la situation irakienne n’a pas perturbé Mme Clinton outre mesure. Pour elle, le drame biblique irakien ne constitue nullement une leçon à méditer par les décideurs américains puisqu’elle a remué ciel et terre pour convaincre le président Obama de donner son accord à la destruction du régime du colonel Kadhafi. Obama a fini par céder, entre autres bien sûr, à la pression féminine tripartite d’Hillary Clinton, de Samantha Power et de Susan Rice. Obama a fini par céder et les bombardiers de l’US Air Force qui, huit ans plus tôt, avaient déversé des milliers de tonnes de bombes sur l’Irak, détruisant le régime de Bagdad, avaient été envoyés à l’assaut de Tripoli dans le but de détruire le régime de Kadhafi, ce qui fut fait. La semaine dernière, Madame Clinton a été rattrapée par le chaos libyen qu’elle a largement contribué à créer. Elle a fait face pendant onze heures d’affilée à la commission d’enquête du Sénat sur les événements tragiques survenus le 11 septembre 2012 à Benghazi et au cours desquels l’ambassadeur Chris Stevens et trois autres Américains étaient tués par des terroristes. Les questions des enquêteurs étaient si précises et si insistantes que Mme Clinton, tentant désespérément de se dédouaner du drame libyen, n’a pas pu s’empêcher de mentir sous serment en niant, en doutant ou en feignant de ne pas savoir des faits qui relèvent de la diplomatie qu’elle dirigeait. Bien sûr, comme tout le monde sait, le mensonge sous serment, c'est-à-dire le parjure, est un crime très mal perçu aux Etats-Unis. Mais il est certain que Mme Clinton ne risque pas grand-chose, car aux Etats-Unis mensonge et politique font très bon ménage. Les deux guerres les plus désastreuses de l’histoire récente des Etats-Unis (le Vietnam et l’Irak) n’ont-elles pas été menées sur la base d’un mensonge sans que les présidents Johnson et Bush II qui en étaient responsables ne soient inquiétés ? Pendant onze heures d’affilée, Mme Clinton a peut-être vécu des moments difficiles face à des enquêteurs déterminés à la pousser dans ses derniers retranchements par leurs questions embarrassantes. Mais aucun signe de regret, aucun problème de conscience, aucune ébauche de mea-culpa face au chaos libyen dont elle est l’un des principaux responsables. Bien au contraire, elle défendait le bien-fondé des choix de sa diplomatie forcément « bénigne » avec une telle conviction qu’on en voudrait au Comité Nobel de ne pas l’avoir récompensée pour ses exploits comme il l’a fait pour son patron Obama en 2009… Quand les enquêteurs lui ont demandé si elle avait parlé avec l’ambassadeur Stevens après qu’il ait pris ses fonctions en Libye, Mme Clinton a eu cette réponse où l’arrogance le dispute à l’irrespect : « Je ne sais pas, j’étais la patronne d’ambassadeurs dans 270 pays. » Commentaire du New York Times : « Oui mais la Libye est le pays où vous étiez la sage-femme du chaos » (the midwife to chaos).

"Le dirigeant le plus répugnant du monde"

Mardi 20 octobre, la tension dans les territoires occupés était à son comble et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu se préparait à s’envoler pour l’Allemagne. On ne sait quelle mouche l’a piqué, mais il a cru devoir dépoussiérer Hitler, la shoah et Haj Amin al-Husseini, le Mufti de Jérusalem dans les années 1920, dans une tentative absurde d’établir un lien de cause à effet entre le nationalisme palestinien et le massacre des Juifs d’Europe par les Nazis. La sortie de Netanyahu est en effet consternante : « Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les juifs », dit-il, « il voulait seulement les expulser ». Selon lui, Hitler avait pris la décision d’exterminer les Juifs après sa rencontre avec Haj Amin al-Husseini en novembre 1941 en Allemagne. Toujours selon Netanyahu, Husseini avait dit à Hitler « si vous les expulsez, ils viendront tous ici (en Palestine) ». Hitler demanda alors à son hôte : « Que dois-je faire d’eux [des juifs] ? » La réponse du Mufti : « Brûlez-les ». Cette sortie inattendue du Premier ministre israélien a poussé le journaliste new-yorkais Jack Mirkinson à le qualifier de « dirigeant le plus répugnant du monde ». Répugnant, Netanyahu ne l’est pas d’aujourd’hui, mais cela fait pratiquement 20 ans qu’il l’est. Plus exactement depuis 1996, date de son premier mandat de chef du gouvernement israélien. On ne compte plus les drames, les guerres, les morts et les colonies engendrés par sa politique catastrophique. On ne compte plus les coups bas et les félonies par lesquels il détruisait les multiples processus de paix entamés et les innombrables initiatives proposées et qui visaient à trouver une solution au problème palestinien. Furieux face à la nouvelle insurrection qui se développe dans les territoires occupés, écrasé sous le poids de la lourde haine qu’il voue aux Palestiniens, soucieux de l’impatience dont font preuve de plus en plus la plupart des pays du monde à l’égard d’un conflit interminable, Netanyahu a perdu les pédales en voulant donner au monde une nouvelle explication du conflit israélo-arabe. Pour lui, ce conflit dure non pas parce que l’armée israélienne occupe depuis 42 ans les territoires palestiniens, non pas parce tout un peuple est maintenu dans un état d’oppression et de colonisation, mais parce que les Palestiniens et non Hitler sont responsables de l’extermination de millions de Juifs. En d’autres termes, les Israéliens sont en perpétuelle légitime défense contre les descendants de ceux qui étaient derrière leur génocide. Voici le message avec lequel Netanyahu, dans un accès de délire, souhaitait faire barrage à la solidarité de l’opinion internationale avec la cause palestinienne. Il est vrai que Haj Amin al-Husseini était une figure centrale du nationalisme palestinien pendant le mandat britannique. Nommé Mufti d’Al Qods en 1921, il était un opposant virulent aux vagues successives d’émigrants juifs en Palestine. La propagande sioniste avait utilisé cette opposition radicale à l’émigration juive pour lui forger une réputation d’anti-juif et même d’antisémite, bien qu’il fût sémite lui-même. Mais de là à lui faire assumer la responsabilité de convaincre Hitler de commettre un génocide, c’est une supercherie et une grotesque distorsion de l’histoire. On ne peut pas dire que Netanyahu ignore l’histoire dans ses moindres détails d’un événement aussi tragique que la tentative d’extermination de son peuple. Il ne peut pas ignorer l’objectif déclaré de Hitler dès 1933 de vider l’Allemagne de ses Juifs et de la transformer en « pays aryen pur » (Judenrein) ; il ne peut pas ignorer les lois antisémites de Nuremberg qui interdisaient le mariage entre « Aryens » et Juifs ; il ne peut pas ignorer les attaques violentes, prélude à la déportation et au massacre, et qui avaient atteint leur paroxysme dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, baptisée « Nuit de Cristal », par allusion aux nombreuses vitrines brisées des commerces détenus par les Juifs ; il ne peut pas ignorer enfin le discours du Führer le 30 janvier 1939 devant le Reichstag et dans lequel il avait explicité ses menaces qu’il n’allait pas tarder à concrétiser : « Si la juiverie internationale devait réussir, en Europe ou ailleurs, à précipiter les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait, non pas la bolchevisation de l'Europe et la victoire du Judaïsme, mais l'extermination de la race juive. » La supercherie de Netanyahu consiste en ce raccourci époustouflant par lequel il a tenté de diluer la responsabilité du régime nazi et de mettre en avant celle du Mufti de Jérusalem, suite à sa rencontre avec Hitler et dont il nous parle comme s’il y était présent. La sortie » de Netanyahu a provoqué un tollé général, y compris en Israël où le chef de l’opposition s’en est pris au falsificateur de l’histoire en ces termes : « Il n’y a qu’un seul Hitler, a-t-il martelé. Il est celui qui a écrit le livre écœurant "Mein Kampf", et en janvier 1939, soit trois ans avant sa rencontre avec Mohammed Amin al-Husseini, Hitler avait présenté la Solution finale devant le Reichstag ». Saeb Erekat, le numéro deux de l’OLP, a sans doute raison de réagir en ces termes : « le chef du gouvernement israélien hait à ce point son voisin au point qu’il soit disposé à absoudre le plus grand criminel de l’histoire, Adolf Hitler, du meurtre de 6 millions de juifs pendant l’Holocauste. » Oui, mais est-ce étonnant de la part du dirigeant le « plus répugnant du monde » ?

Des pyromanes petits et grands

Que de grands pays de la taille des Etats-Unis et de la Turquie nourrissent depuis quatre ans le désir pathologique de voir le président syrien, Bachar al Assad, disparaître de la scène syrienne, et si possible de la surface du globe, en dit long sur la futilité des décideurs qui se trouvent à la tête de ces deux pays. Cette futilité est montée d’un cran cette semaine suite à la réaction parfaitement ridicule des décideurs à Washington et à Ankara face à l’accueil chaleureux réservé au président syrien par son homologue russe à Moscou. La question à laquelle il est difficile de répondre est pourquoi Obama et Erdogan ont-ils eu des crampes d’estomac à la vue des larges sourires et de la très chaleureuse poignée de mains qu’ont échangés à Moscou les présidents Poutine et Al Assad. La question à laquelle ne pourra pas répondre le plus chevronné des psychologues est pourquoi Obama et Erdogan, après avoir fini par accepter le fait accompli de l’intervention de l’armée russe en Syrie, ont-ils piqué une crise de nerfs à la vue du président syrien à Moscou ? Mais revenons aux choses sérieuses. Depuis le déclenchement de la guerre en Syrie en mars 2011, le président syrien n’a pas quitté son pays. Son voyage à Moscou cette semaine est loin d’être protocolaire et n’a pas pour objet de remercier Poutine pour son aide, ni de se payer une promenade sur la place rouge en compagnie de son bienfaiteur. Si les présidents syrien et russe ont décidé de se voir le mardi 20 octobre à Moscou, c’est qu’ils ont des choses importantes à se dire. Il est difficile de savoir qui, au cours de cette rencontre, a parlé et qui a écouté, mais ce qui est sûr ce qui a été dit est d’une grande importance. La preuve est que dès la fin de la rencontre, le président Poutine a appelé les décideurs à Ankara, au Caire, à Ryadh et à Amman. En toute logique et sans être dans le secret des Dieux, les entretiens téléphoniques menés mardi dernier par Poutine avec les acteurs régionaux concernés par le conflit syrien ont trait à une solution politique de ce conflit que tout le monde recherche ou dit rechercher et que personne n’a réussi à trouver jusqu’à présent. Si la solution politique s’est avérée jusqu’à présent inatteignable, c’est parce que dans cette région maudite du Moyen-Orient, il y a beaucoup plus de pyromanes que de sapeurs-pompiers. Des pyromanes petits et grands qui vont de la grande puissance située à dix mille kilomètres à l’émirat minuscule d’un demi million d’habitant en passant par la puissance économique et démographique régionale, la Turquie pour ne citer que ceux-là. Contrairement aux Etats-Unis ou à l’Arabie saoudite par exemple, la Turquie ne compte pas dans son palmarès un grand nombre d’incendies. Disons que ce pays, depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir en 2002, avait des prédispositions à foutre la pagaille dans son entourage, mais n’est devenu réellement pyromane que depuis le printemps 2011, c'est-à-dire depuis le déclenchement de la guerre en Syrie, et surtout depuis qu’Erdogan traine sa haine irrationnelle et inextinguible contre le président syrien comme on traine une maladie incurable. Il n’y a pas longtemps, la Turquie menait une vie tranquille et ne comptait pratiquement que des amis. Sans doute, vicissitudes de l’histoire, avait-elle des problèmes à Chypre et entretenait-elle une relation plutôt tendue avec la Grèce. Mais à part cela, la Turquie d’avant l’entrée en scène des islamistes avait de bonnes relations avec pratiquement tous ses voisins et les voisins de ses voisins. Pourtant, ils ont bien commencé les islamistes turcs. Ils ont entamé en 2002 une belle success story de développement politique et économique qui a rehaussé le niveau de vie des citoyens et l’image de la Turquie aux yeux du monde. Mais cette success story s’est transformée en désastre le jour où les gouvernants islamistes ont arrêté de s’occuper de leurs propres affaires et de s’immiscer dans celles des autres. Parce que le chef du parti islamiste turc, Dieu sait pour quelle raison, ne supporte plus de voir Bachar al Assad sur terre, la Turquie s’est transformée de pays respectable et respecté en lieu de transit des hordes de paumés, de frustrés, de délinquants et de mercenaires accourant des quatre coins du monde pour mettre la Syrie à feu et à sang et envoyer des millions d’êtres humains sur les chemins de l’exil et du déracinement. Sans l’accueil des dizaines de milliers de terroristes en Turquie, sans l’ouverture devant eux de tous les postes frontaliers syro-turcs, sans l’aide logistique, militaire et financière qui leur est apportée, le drame syrien n’aurait jamais atteint de telles proportions cauchemardesques. En appelant Erdogan au téléphone après sa rencontre avec al Assad, Poutine savait qu’il parlait à un pyromane, l’un des premiers responsables du désastre syrien. Mais il ne peut pas faire autrement. Quand vous êtes face à un pyromane sur lequel vous n’avez aucune maitrise, vous n’avez guère le choix que de lui parler et de tenter de le faire changer d’avis. Et c’est ce que Poutine fait en parlant aux présidents turc et américain et au roi d’Arabie saoudite dans l’espoir de les voir transformés en sapeurs-pompiers. Concernant Erdogan, cet espoir est réellement minime car, d’après des informations concordantes, le type prépare de nouveaux incendies. Les terroristes fuient par centaines les bombardements russes. Et qui d’autres les accueille et les protège sinon Erdogan ? Mais il ne se contente pas de les accueillir et d’assurer leur sécurité. Des avions turcs font la navette entre Istanbul et la Libye où sont débarqués les terroristes fuyards. Les pays visés par ce nouveau rassemblement de terroristes ? L’Egypte et la Tunisie. Si, à Dieu ne plaise, des incendies se déclenchent dans ces deux pays ou dans l’un d’entre eux, on connaît l’identité du principal pyromane.

La force, la justice et le beau mirage

L’attaque par l’aviation américaine contre l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) à Konduz, dans le nord de l’Afghanistan, le 3 octobre dernier a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre compte tenu à la fois de l’importance de ce centre hospitalier humanitaire et des effets dévastateurs de son bombardement. L’hôpital de Konduz, fleuron de l’organisation humanitaire ‘’Médecins Sans Frontières’’ était une véritable bénédiction pour tous les blessés sans exception des parties en conflit de quelque côté où elles se placent et à quelque tendance qu’elles appartiennent. Qu’on en juge : Le centre hospitalier offre gratuitement à tous les blessés qui frappent à sa porte un large éventail d’interventions : des interventions chirurgicales orthopédiques, vasculaires, plastiques, sans oublier la neurochirurgie. Depuis le début de 2015, l’hôpital a entrepris 3000 interventions chirurgicales. Dans la seule semaine où s’est déroulé le bombardement, 400 blessés ont été traités, leurs blessures pansées et leurs souffrances allégées. La violence du bombardement américain de cette unité hospitalière humanitaire est telle que l’on dénombre 10 morts parmi les patients, dont trois enfants, et 12 membres du staff médical de MSF, sans parler des énormes dégâts au niveau des locaux en ruine et du matériel médical détruit. Dr Bart Jannessens, directeur des opérations à MSF a déclaré au journal médical britannique ‘’The Lancet’’ : « en tant que médecin, je pense que c’est un crime de s’attaquer à un staff médical désarmé dont l’unique objectif est de sauver des vies. Alors des deux choses l’une, ou bien on maintient l’idée des Conventions de Genève et des multiples protections médicales qu’elle comporte, ou alors, comme c’est le cas à Konduz, on procède publiquement à sa destruction. » Bien qu’elles soient ratifiées par 196 pays, les Conventions de Genève sont malheureusement parmi les règles internationales les plus ignorées et les plus violées. Ce n’est un secret pour personne que les plus grandes et les plus nombreuses violations du droit humanitaire international proviennent des Etats-Unis et de son plus proche allié, Israël. Dans l’histoire récente, c'est-à-dire de 1945 à nos jours, les Etats-Unis sont largement en tête des pays-violeurs du droit international humanitaire. Sans remonter aux tragédies d’Hiroshima et de Nagasaki où des centaines de milliers de civils japonais sont morts dans des souffrances intolérables par le feu nucléaire américain, l’armée US s’est comportée pendant des décennies en puissance mortelle pour les civils et en force destructrice des infrastructures péniblement construites par des pays sans grandes ressources. On pense ici à la Corée, au Vietnam, au Cambodge, au Laos, à l’Afghanistan, à l’Irak et la liste des pays victimes de l’agressivité excessive de l’armée US est longue. Le mépris par la puissance américaine des règles fondamentales du droit international et l’impunité dont elle est assurée ont encouragé Israël à suivre les traces de son protecteur en imposant au peuple palestinien un huis-clos sanglant qui dure depuis près d’un demi-siècle. Israël est allé plus loin que son protecteur américain puisqu’il viole à la fois les Conventions de Genève qui protègent les civils contre la force brutale des armées, et le droit international qui, depuis le 22 novembre 1967, attend toujours l’application de la résolution 242 du Conseil de sécurité. Il va sans dire que de telles violations ne sont pas le monopole des Etats-Unis et de leur protégé israélien. Les Saoudiens ne violent-ils pas depuis des mois les conventions de Genève et le droit international au Yémen ? N’ont-ils pas transformé le 28 septembre dernier un mariage en un carnage avec 131 morts ? Les trois cas évoqués ici, Etats-Unis, Israël et Arabie Saoudite, démontrent que quand la force est assurée de l’impunité, elle peut être utilisée férocement tout à la fois contre des peuples faibles (Vietnam, Afghanistan Irak), contre un peuple « ennemi » (les Palestiniens) et contre un peuple frère (les Yéménites). Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) est le gardien des Conventions de Genève et est censé assurer leur application par les Etats signataires. Le problème de cette Organisation humanitaire est qu’elle est une simple autorité morale dépourvue d’une force physique capable de dissuader les récalcitrants. Le cas de l’ONU, gardienne du droit international et censée assurer son application, est plus compliqué. Cette organisation ne peut rien contre les puissants et leurs protégés (Etats-Unis, Israël, Arabie Saoudite), mais peut très bien se découvrir une force qui lui permet de bomber le torse sur la scène internationale et d’imposer des sanctions et même des interventions armées contre des pays faibles et sans défense (Irak et Libye par exemple). Ainsi se trouve-t-on à la case départ où, depuis la nuit des temps, les hommes n’ont toujours pas réussi à résoudre l’éternel problème que pose la relation entre la force et la justice. Il y a quelques 350 ans, le Français Blaise Pascal avait cru pouvoir résoudre le problème en l’expédiant par cette formule : « Il faut mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. » On est toujours à la poursuite de ce beau mirage.

L'empire et le miroir truqué

Dans un discours prononcé mercredi dernier devant la « Convention de l’armée américaine », le secrétaire d’Etat à la défense, Ashton Carter, n’a pas pu maitriser sa colère et sa frustration face à l’intervention de la Russie à côté des forces loyales syriennes. « Nous allons faire le nécessaire pour nous opposer à l’influence maligne et déstabilisatrice de la Russie en Ukraine et en Syrie », a-t-il affirmé, ajoutant que « le président Poutine a isolé son pays et que cet isolement ne prendra fin qu’avec un changement drastique de la politique russe. » Le problème des grandes puissances et de ceux qui les gouvernent, a fortiori quand il s’agit de l’empire américain qui s’accroche désespérément à l’idée qu’il est l’unique maître de la planète, leur problème donc est qu’ils n’hésitent pas à tordre le cou à la réalité quand celle-ci n’est pas conforme à leur désir. Or, on sait que l’histoire est jalonnée de catastrophes causées par des pays ou des personnages puissants qui ont voulu imposer à une réalité têtue, réticente ou récalcitrante leur conception des choses. L’une des plus grandes catastrophes de l’histoire récente est la situation qui prévaut en Irak depuis 12 ans. L’origine de cette catastrophe de proportions bibliques est l’aventurisme des dirigeants de l’empire qui, ivres de leur puissance, étaient déterminés à imposer par tous les moyens leur conception du monde à une réalité dont ils ignorent tout. Résultat : l’empire n’a pas pu imposer sa conception des choses, et l’Irak n’a pas pu surmonter les effets destructeurs de l’agression. Logiquement, tout Etat normalement constitué qui a commis une erreur dévastatrice de l’ampleur de celle commise en Irak en 2003, devrait tirer les leçons qui s’imposent afin d’éviter à l’avenir des souffrances intolérables et gratuites à des millions d’êtres humains. Mais l’empire n’est pas un Etat normalement constitué. Ceux qui le dirigent sont convaincus que leur pays n’a commis aucune erreur, et que tous les drames qui se sont enchainés sur douze ans en Irak sont dus non pas à la mauvaise politique américaine, mais à l’ingratitude des Irakiens qui refusent obstinément la démocratie et la prospérité promises… C’est cette incapacité des dirigeants de l’empire d’admettre les erreurs qui les empêche de tirer la moindre leçon du passé récent ou lointain. Pire, ils ont une extraordinaire capacité à commettre les mêmes erreurs engendrées par la même politique sous d’autres cieux et dans d’autres contextes. Le ministre de la Défense de l’empire, Ashton Carter, est l’un de ces dirigeants convaincus que l’empire est une force bienfaitrice qui doit exporter le bien, c’est-à-dire la démocratie et la prospérité, et s’opposer par tous les moyens à tous ceux qui ont « une influence maligne et déstabilisatrice », la Russie en premier lieu… Ashton Carter est à la tête de la plus importante institution de l’empire, c'est-à-dire son bras armé dont l’influence maligne et déstabilisatrice, généreusement financée par l’Arabie saoudite, est toujours à l’œuvre en Afghanistan depuis 1980, en Irak depuis 1991, en Libye et en Syrie depuis 2011, pour ne citer que ces quatre pays. Là, on est en présence d’un problème qui relève de la psychiatrie. Il est clair désormais que quand l’empire se mire, il voit la Russie, et quand Ashton Carter se regarde dans la glace, il voit Vladimir Poutine. Un expert en psychiatrie nous expliquera peut-être que face l’ampleur des destructions en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, face aux dizaines de millions de morts, de blessés, de mutilés, de déplacés et de déracinés, l’empire panique et refuse de reconnaitre sa responsabilité dans ce terrifiant enchaînement de malheurs qui se succèdent depuis un tiers de siècles et dont on ne voit toujours pas la fin. L’empire a donc eu recours à une ruse de l’esprit, inventant le miroir truqué qui lui permet de se décharger de ses crimes sur son ennemi le plus intime : la Russie. Il se trouve que dans ce monde, heureusement de plus en plus multipolaire, l’empire, si l’on exclut deux ou trois de ses alliés les plus fanatiques dans la région, est le seul à croire à son innocence et à la culpabilité de la Russie. Cela dit, la Russie n’est pas aussi blanche que les vastes plaines sibériennes l’hiver, et Poutine est loin d’être un enfant de chœur. L’un et l’autre ont eu l’idée saugrenue de se retrousser les manches et de s’engager sérieusement dans l’action dans le seul but de limiter l’ampleur des destructions causées par l’arrogance excessive de l’empire et de réparer autant que faire se peut les dégâts de son influence maligne et déstabilisatrice de l’Ukraine à l’Afghanistan en passant par le Moyen-Orient. Le crime impardonnable de la Russie est d’être intervenue juste à temps pour mettre en pièce la stratégie maligne des Etats-Unis et de leurs alliés saoudien et turc en Syrie. Le crime de la Russie est que, par son intervention, elle peut bien réussir à briser le miroir truqué et de le remplacer par un vrai miroir qui reflètera à l’empire son propre image au lieu de celle de la Russie, et à Ashton Carter sa propre physionomie au lieu de celle de Poutine.

Terrorisme et calculs inavouables

Depuis l’entrée en action de l’aviation russe contre l’hydre terroriste en Syrie, les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne, ne cachent pas leur malaise et ne ménagent pas leurs critiques acerbes contre la Russie dont les frappes aériennes, assurent-ils, ne feront qu’ « aider le terrorisme à s’étendre en Syrie ». La raison invoquée ? « Les Russes sont en train de bombarder l’opposition modérée plutôt que les extrémistes radicaux »… A Washington, Londres et Paris, on s’accroche à ce mensonge comme à une bouée de sauvetage. Les Russes ont mis tout ce beau monde devant le fait accompli, et face à la nouvelle réalité créée sur le terrain syrien par Moscou, la Maison Blanche, 10, Downing Street et l’Elysée n’ont rien pu faire que de recourir à leurs puissantes machines de propagande dans une tentative désespérée de monter l’opinion publique internationale contre la Russie. Selon la propagande américano-franco-britannique, la Russie n’est pas venue combattre le terrorisme, mais aider un « régime sanguinaire » à se maintenir en s’en prenant à « l’opposition modérée », financée par les pays pétroliers du Golfe et entrainée par les Etats-Unis. La réalité sur le terrain est catastrophique pour la réputation occidentale, américaine en particulier, car en termes de destruction des capacités combatives des terroristes en Syrie, la Russie a fait en une semaine beaucoup plus que n’a fait en un an la « coalition de 60 pays » menée par Washington. Le malaise occidental pourrait évoluer en cauchemar, si les Russes parvenaient en quelques semaines à réduire sensiblement la force et l’agressivité de l’hydre terroriste. La défaite de la stratégie occidentale serait spectaculaire, si les forces syriennes reprenaient les positions stratégiques occupées par l’ « Etat islamique » et « Annusra ». Pourquoi une telle perspective est-elle cauchemardesque pour Washington, Londres et Paris. Pour deux raisons : d’abord ils risquent de se trouver dans une situation des plus embarrassantes face à l’opinion internationale qui ne pourra pas s’empêcher de comparer les résultats en quelques semaines de l’intervention russe à ceux en treize mois de l’intervention de la « coalition de 60 pays » et de tirer par conséquent les conclusions logiques qui s’imposent ; ensuite une telle perspective est annonciatrice de l’échec de la stratégie occidentale au Moyen-Orient pour qui le terrorisme est moins un fléau à détruire qu’un facteur, malfaisant certes, mais exploitable dans des calculs politiques et stratégiques inavouables. La réalité de ces calcules inavouables est corroborée par un certain nombre de faits concrets que Washington n’a rien pu faire pour cacher. Il y a tout d’abord, cette question de l’ « opposition modérée » qui, à la lumière des récentes informations, vient de se transformer en mascarade alimentant les plaisanteries et les commentaires sarcastiques. Comment peut-il en être autrement quand le Pentagone lui-même reconnaît que de « la première classe des nouvelles forces syrienne », dite « Division 30 », entrainée, armée et envoyée en Syrie, « il ne reste que 4 ou cinq individus », le reste ayant rejoint avec armes et bagages les groupes terroristes de l’ « Etat islamique » ou d’ « Annusra ». Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, n’a-t-il pas raison de demander sur un ton mi-figue-mi-raisin l’adresse de cette « opposition modérée » ? La réalité de ces calculs inavouables a été dévoilée également par WikiLeaks dont les 7000 câbles diplomatiques relatifs à la Syrie révèlent que les Etats-Unis ont dépensé, entre 2006 et 2010, douze millions de dollars pour financer « les manifestations et la propagande contre le régime syrien. » La réalité de ces calculs inavouables a été également dévoilée par Seymour Hersh. Le plus célèbre des journalistes d’investigation américains révéla que « les présidents américain, Obama, et turc, Erdogan, ont signé début 2012 un accord secret en fonction duquel la CIA et le MI6 britannique opèreraient un transfert massif d’armement lourd de Libye vers la Syrie pour armer les rebelles de l’armée libre syrienne. » Selon Seymour Hersh, « la couverture politique et diplomatique » de cette opération de transfert massif d’armement était assurée à Benghazi par Chris Stevens, le « diplomate » assassiné par ceux-là même que l’Otan et Washington ont aidé à renverser le régime du colonel Kadhafi… Mais la révélation la plus éclatante de Seymour Hersh dans ce dossier est la suivante : « la stratégie formulée dans les dernières années de BushII et poursuivie par l’administration Obama consiste au fait que les jihadistes radicaux devraient être utilisés de manière similaire à celle mise en place en Afghanistan dans les années 1980, c’est-à-dire servir en tant que soldats sur le terrain pour le compte des Etats-Unis en Syrie. » Qui, avec toutes ces révélations, va s’étonner encore qu’après plus d’un an de bombardements américains, les terroristes n’ont rien perdu de leurs forces ni des territoires qu’ils dominent en Irak et en Syrie ?