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Wednesday, December 23, 2009

Iran-USA: il est urgent de ne rien faire

L’Iran a créé la surprise en s’emparant la semaine dernière d’un puits dans un champ pétrolier litigieux sur sa frontière avec l’Irak, dont le tracé est contesté par les deux pays. Les Irakiens ont réagi vivement, exigeant le retrait des quelques soldats iraniens et du drapeau qu’ils ont planté sur le puits contesté. Les Iraniens, pour leur part, n’ont pas manqué de rappeler l’accord d’Alger signé en 1975 entre le Chah et Saddam Hussein, et que celui-ci avait renié cinq ans plus tard, plus précisément en septembre 1980, date du déclenchement de la guerre Iran-Irak. Un responsable iranien est allé même jusqu’à rappeler que le puits en question n’est rien par rapport au « trillion de dollars que l’Irak doit à l’Iran en réparation des dommages de la guerre. »
En dépit de ces prises de bec, l’incident a vite été circonscrit et les responsables des deux pays l’ont vite oublié, surtout qu’il n’a été marqué par aucune action violente ni d’un côté ni de l’autre. Il faut dire que l’Iran n’a aucun intérêt à créer maintenant un problème avec le gouvernement chiite irakien que les autorités iraniennes tentent toujours d’attirer dans leur giron. D’ailleurs si l’incursion visait réellement l’Irak, l’incident n’aurait pas été aussi banal et n’aurait pas été clos aussi facilement et aussi vite. Donc il y a une tierce partie qui est visée.
Les Etats-Unis ont fixé la fin de l’année 2009 pour l’imposition de nouvelles sanctions, si rien de nouveau n’intervient dans le dossier nucléaire iranien. Aux dernières nouvelles, la Maison blanche a prolongé ce délai jusqu’au 15 janvier 2010. De plus, Washington entretient toujours le flou sur ses intentions d’attaquer ou non l’Iran en répétant à chaque occasion qui se présente que l’option militaire est encore sur la table.
L’approche de la date fixée par les Etats-Unis pour agir d’une part, et les troubles intérieurs causés par une opposition de plus en plus hardie d’autre part, créent forcément une certaine nervosité au sein du pouvoir iranien qui, visiblement, ressent un besoin intense de lancer des signaux aussi bien à ses opposants intérieurs qu’à ses ennemis extérieurs, qu’il n’est pas au pied du mur, qu’il est capable de faire face à toutes les éventualités, et même de garder l’initiative.
Sur le plan intérieur, les funérailles de l’Ayatollah Montazeri, célèbre contestataire du régime, qui ont réuni des dizaines de milliers d’opposants dans les rues de Qom, ont constitué un nouveau test pour le pouvoir iranien qu’il a passé avec succès grâce à des forces de sécurité nombreuses, motivées et bien entraînées.
Sur le plan extérieur, l’incursion de la semaine dernière dans une zone pétrolière contestée est, de toute évidence, un signal adressé aux Etats-Unis à l’approche d’échéances qui pourraient être porteuses de dangers sous forme d’intensification des sanctions ou, plus grave encore, sous forme d’une action militaire qu’engagerait Washington ou Israël ou les deux ensemble contre des installations vitales pour la sécurité et l’économie iraniennes. L’incursion est clairement un message que les Etats-Unis sont invités à décoder et à en tirer les conclusions qui s’imposent. En d’autres termes, l’Iran informe ses ennemis américains qu’il peut à tout moment franchir la frontière irakienne, semer le chaos dans un pays qui se remet difficilement de l’anarchie qui l’a déchiré pendant des années, dérégler les plans militaires américains en Irak et, par voie de conséquence, en Afghanistan.
Mais ce n’est là qu’un seul atout entre les mains de l’Iran qui dispose d’au moins deux autres que les Etats-Unis ne peuvent ignorer : l’interruption, ou au moins la forte perturbation, de la navigation dans le très stratégique détroit d’Hormuz d’une part, et la mobilisation des ressources militaires et humaines du Hezbollah contre Israël d’autre part.
Il est bien évident que l’Iran ne recourra à ces trois atouts qu’en cas d’attaque militaire contre son territoire. Durant les deux mandats consécutifs de George W. Bush, les Etats-Unis ont commis un certain nombre d’erreurs désastreuses qui les ont saignés à blanc militairement et financièrement, embourbant leur armée dans deux pays distants de Washington de 10.000 kilomètres. Il est difficile de croire que les Etats-Unis pousseront encore une fois l’inconscience très loin en s’attaquant à un troisième pays musulman qui pourrait s’avérer beaucoup plus dangereux pour les intérêts américains que l’Irak et l’Afghanistan réunis.
D’aucuns observeront que les Etats-Unis sont les champions toutes catégories quand il s’agit de mener une campagne aérienne contre des pays plus faibles et sans véritable couverture aérienne. Certes. Mais le problème est qu’ils disposent de 120.000 soldats en Irak, et de 100.000 autres en Afghanistan. Sans entrer dans les détails d’autres considérations stratégiques, la seule raison de protéger leurs soldats contre une très probable riposte iranienne est suffisamment importante pour dissuader les Etats-Unis de commettre une autre grave erreur.
Cela devrait aussi les inciter à une opposition ferme à tout aventurisme militaire israélien. Pour arriver jusqu’en Iran, Israël devrait traverser l’espace aérien irakien qui est sous la responsabilité de l’aviation américaine. Si Israël arrivait à traverser l’Irak et à frapper l’Iran, la responsabilité américaine aux yeux de tous serait évidente. Pour les Etats-Unis, il est donc urgent de ne rien faire, et tout aussi urgent d’interdire fermement à leur allié israélien d’entreprendre quoi que ce soit à ce niveau.
Restent les sanctions. Depuis que l’ONU, généralement sous l’instigation des Etats-Unis, ont commencé à punir des régimes politiques, les sanctions imposées n’ont jamais servi à autre chose qu’à aggraver les conditions économiques des populations civiles et à fournir aux autorités visées le prétexte pour se décharger de toute responsabilité et la faire assumer aux « ennemis extérieurs ». L’exemple de l’Irak est clair à cet égard. Les sanctions imposées à ce pays de 1990 à 2003 ont infligé des drames inimaginables au peuple irakien, sans pour autant atteindre le régime baathiste. La même chose risquera de se passer si des sanctions sévères sont imposées à l’Iran. Si l’on veut éviter d’infliger des souffrances inutiles au peuple iranien, si l’on ne veut pas fournir des prétextes commodes à ses dirigeants, le même conseil s’imposera : il est urgent de ne rien faire.

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