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Sunday, May 30, 2010

La nouvelle stratégie américaine: rupture ou continuité?

Les 17 mois que le président Barack Obama a passés au pouvoir semblent l'avoir convaincu que la stratégie de base de la politique étrangère américaine, qu'il a trouvée en place, doit changer. Il a donc chargé ses collaborateurs de produire une nouvelle stratégie que la Maison blanche a rendue publique le 27 mai dernier.
Rappelons-nous que la stratégie qu'Obama a trouvée en place était celle que son prédécesseur George Walker Bush avait élaborée en 2002 pour venger l'Amérique des attentats terroristes du 11 septembre 2001. La "guerre globale contre le terrorisme" était déclarée et les pays du monde entier étaient sommés de choisir leur camp "avec l'Amérique ou contre elle".
Les conséquences de cette stratégie ont été désastreuses pour les Etats Unis et pour le monde, et l’on comprend le désir du président Obama de la changer. La nouvelle vision stratégique américaine rompt avec celle de Bush au niveau du contenu, mais aussi au niveau de la forme.
Au niveau de la forme tout d’abord, la terminologie de la « guerre globale contre le terrorisme » est abandonnée. La cible est désormais « le violent extrémisme » contre lequel l’Amérique est tenue de « déployer ses moyens ». Il est à noter qu’Obama n’utilise plus l’adjectif « islamiste » pour qualifier « le violent extrémisme » qu’il veut annihiler, une reconnaissance implicite que celui-ci n’est pas une production exclusive du monde musulman.
Au niveau du contenu, « la lutte contre le violent extrémisme n’est qu’un élément de notre stratégie et ne peut pas définir à elle seule l’engagement de l’Amérique dans le monde », est-il écrit dans le document de 52 pages qui définit la nouvelle vision américaine. Selon cette vision, « le plus grand danger pour le peuple américain et pour la sécurité globale vient des armes de destruction massive, et en particulier des armes nucléaires. » Mais à part ce danger particulier, « le violent extrémisme » n’est plus le seul, comme au temps de Bush, à constituer une menace immédiate pour le peuple américain, mais il y a aussi « les changements climatiques et la dépendance vis-à-vis de l’énergie fossile ».
L’autre aspect important qui rompt avec la stratégie de Bush est l’abandon de l’unilatéralisme arrogant qui a sérieusement endommagé les relations des Etats-Unis avec beaucoup de pays. La nouvelle stratégie semble avoir tiré les leçons en faisant du multilatéralisme l’un de ses piliers : « Alors que l’usage de la force est parfois nécessaire, nous devons, avant d’entrer en guerre, aller jusqu’au bout de toutes les autres options et peser soigneusement les coûts et les risques de l’action et les comparer aux coûts et aux risques de l’inaction. (…) Nous chercherons le soutien international et nous travaillerons avec des institutions comme l’Otan et le Conseil de sécurité de l’ONU. »
Mais s’il y a des éléments de rupture avec l’ère Bush, les éléments de continuité ne sont pas totalement absents : « Nous maintiendrons notre supériorité militaire qui a assuré la sécurité de notre pays et soutenu la sécurité globale pendant des décennies », lit-on dans le nouveau document stratégique américain. Dans un discours prononcé la semaine dernière à l’académie de West Point devant des centaines de jeunes recrues, Obama a affirmé : « Notre destinée n’est jamais écrite pour nous, elle est écrite par nous, et nous sommes prêts à diriger encore une fois », provoquant un tonnerre d’applaudissements…
Pour les grandes puissances de la taille de l’Amérique, il ne suffit pas de publier un nouveau document stratégique et de le faire circuler dans les salles de rédaction pour que les choses changent. Outre les éléments de continuité que comporte cette nouvelle stratégie, sa concrétisation n’est pas chose facile, compte tenu des réalités créées dans le monde par la précédente stratégie, et en particulier en Irak et en Afghanistan, des pesanteurs bureaucratiques, des mauvais réflexes acquis par le Pentagone etc.
Andrew Bacevitch, un ancien militaire devenu universitaire, estime que « l’action militaire est devenue la réponse américaine standard aux problèmes internationaux et une condition normale à laquelle aucune alternative plausible ne semble exister. »
La pertinence de l’observation de Bacevitch est confirmée par le refus des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien dans lequel le Brésil et la Turquie ont joué un rôle déterminant. Cela prouve, comme l’a observé Andrew Bacevitch, que même quand une solution diplomatique est disponible, elle est ignorée et c’est le langage de la force, des sanctions et des menaces qui continue de prévaloir.
Il y a peu de chances que la nouvelle stratégie change les choses radicalement. Il ne faut voir là aucune insinuation de mauvaise volonté ou de mauvaise foi de l’administration Obama. Celle-ci, et c’est visible dans les dossiers irakien, afghan, pakistanais et iranien, semble incapable d’adopter une ligne politique et stratégique différente de celle suivie par la précédente administration. Elle continue d’être prisonnière des réflexes militaires et bureaucratiques hérités du passé et contre lesquels la nouvelle stratégie ne pourra pas grand-chose.

Thursday, May 27, 2010

Israël et le danger d'"implosion"

Que la « Flottille de la liberté » arrive cette fois à briser le blocus imposé à Gaza ou sera empêchée d’accoster par les navires de guerre israéliens, Israël est perdant dans les deux cas de figure. Et il est plus perdant encore s’il arrive à faire avorter cette nième tentative de faire parvenir une aide à une population qui en a désespérément besoin. Le gouvernement israélien aura ainsi contribué à noircir encore plus une réputation internationale en lambeaux et versé de l’eau au moulin des centaines d’ONG mobilisées au niveau international pour dénoncer en temps réel les abus et les exactions commis par un Etat qui, depuis des décennies, s’est mis délibérément hors la loi.
En fait, ce qui enrage le gouvernement israélien, ce ne sont pas ces tentatives répétées d’organisations humanitaires internationales de briser le blocus de Gaza, mais leur activisme débordant considéré en Israël comme « la plus grande menace stratégique » qui pèse sur la pays. Il faut revenir au rapport d’un think tank israélien, Reut Institute, basé à Tel Aviv, pour comprendre les raisons de la haine inextinguible que vouent les responsables israéliens aux organisations humanitaires.
En janvier dernier, Reut Institute a publié un rapport mettant en garde le gouvernement israélien contre la « grande menace stratégique » que pose pour le pays l’activisme des organisations humanitaires. Dans un exposé au PowerPoint devant le gouvernement israélien, réuni en février dernier pour l’occasion, le président du Reut Institute, Gidi Grinstein, s’est époumoné à montrer comment les organisations humanitaires internationales cherchent à provoquer « l’implosion » du pays de l’intérieur en lançant une campagne à grande échelle de « délégitimation d’Israël ».
Le président de Reut Institute a semé la trouille parmi les membres du gouvernement israélien en leur citant des exemples d’Etats qui ont implosé non pas suite à des défaites militaires sur le champ de bataille, mais à des « campagnes de délégitimation internationale », comme ce fut le cas pour l’Etat raciste d’Afrique du sud ou les Etats communistes d’Union soviétique et d’Allemagne de l’est.
Le rapport donne une longue liste des « délégitimeurs » d’Israël (delegitimizers of Israel) qui « ont pignon sur rue à Londres, Madrid, Toronto, la Baie de San Francisco et ailleurs ». Elle comporte : 1- « Ceux qui dénoncent l’incapacité du gouvernement israélien à respecter la loi internationale et cherchent à traduire des responsables politiques et militaires devant des tribunaux internationaux » ; 2- « Ceux qui qualifient les récentes attaques israéliennes contre les Palestiniens et des pays voisins de crimes de guerre et crimes contre l’humanité » ; 3- « Ceux qui décrivent les colonies dans les territoires occupés comme illégales et immorales » ; 4- « Ceux qui demandent la fin de la discrimination contre les Palestiniens à l’intérieur des frontières israéliennes » ; 5- « Ceux qui qualifient le blocus de Gaza d’illégal et de punition collective » ; 6- « Ceux qui qualifient Israël de paria et d’Etat d’apartheid » ; 7- « Ceux qui refusent le droit d’Israël à l’existence ou le doit du peuple juif à l’autodétermination » ; 8- « Ceux qui appellent pour la solution de l’Etat unique au conflit israélo-arabe ».
On le voit la liste est longue, et les chercheurs du Reut Institute ont sans doute oublié plusieurs autres catégories de « délégitimeurs », tellement les actions et les attitudes critiquables et condamnables des gouvernements israéliens successifs depuis 1948 jusqu’à ce jour sont nombreuses.
Il va sans dire que pour les extrémistes israéliens, et ils sont légion par les temps qui courent, tous ces « délégitimeurs » sont des antisémites. Et comme il y a beaucoup de juifs parmi les « délégitimeurs », comme Richard Goldstone, l’auteur du rapport sur la guerre de Gaza, Noam Chomsky, qui s’est vu refuser l’entrée en Israël et dans les territoires occupés le 16 mai dernier, ou encore les journalistes Uri Avneri et Gideon Lévy, « traîtres » en Israël, mais auxquels l’adjectif antisémite s’applique difficilement, les extrémistes ont résolu le problème en leur collant l’étiquette de « Self-hating jews » ( littéralement les juifs qui se détestent).
Tous ceux qui aujourd’hui en Israël défendent la ligne politique absurde (contre la solution de deux Etats, contre la solution d’un seul Etat, contre le respect de la loi internationale, l’usage de l’arme de l’antisémitisme pour contrer toute critique etc.) ont de sérieuses raisons de s’inquiéter face à l’échec inéluctable du projet sioniste, surtout quand ils ont en tête l’échec du « projet-jumeau », celui de l’apartheid sud africain.
Ayant mis le doigt sur la plaie, et ayant souligné le danger d’implosion auquel aura à faire face Israël dans le cas où les campagnes de « délégitimation » se poursuivent, les auteurs du rapport ont bien sûr proposé des solutions. Compte tenu de leurs références académiques, on aurait opté sans hésitation pour l’idée que ces chercheurs du Reut Institute sont dotés d’une intelligence qui leur permet de proposer quelques solutions sensées et censées couper l’herbe sous les pieds des « délégitimeurs » du genre retrait aux frontières du 4 juin 1967 et respect de la légalité internationale.
Mais au vu de la solution proposée, on ne peut s’empêcher de conclure que ces « chercheurs » ne cherchent pas à prévenir l’ « implosion » qu’ils redoutent mais, par excès de stupidité, à la précipiter. Comment peut-il en être autrement quand ces gens du Reut Institute recommandent vivement au gouvernement israélien de mobiliser Shin Beth et Mossad (services de sécurité et d’espionnage) pour des opérations de « sabotage » des activités des ONG dans le but d’ « entraver leurs campagnes de délégitimation » ?

Bellicisme fortement dommageable

On peut se demander légitimement qu'est-ce qui a changé entre octobre 2009 et mai 2010? Les deux accords signés le premier entre l'Iran et les "5+1" en octobre dernier, et le second entre l'Iran d'une part et le Brésil et la Turquie de l'autre, sont pratiquement identiques. Le seul petit problème, si l'on peut dire, est que, après la signature du premier accord, l'Iran a changé d'avis et s'est rétracté, et, après la signature du second accord, ce sont les Etats Unis qui se sont rétractés en refusant de prendre en considération les efforts diplomatiques substantiels fournis par le Brésil et la Turquie et en déposant au Conseil de sécurité de l'ONU un nouveau projet de sanctions, encore un, contre l'Iran.
Les deux accords sont pratiquement identiques puisque, aussi bien en octobre 2009 qu'en mai 2010, l'Iran a accepté d'envoyer à l'étranger la même quantité d'uranium non enrichi (1200 kilogrammes) et de recevoir la même quantité d'uranium enrichi à 20% (120 kilos) pour son réacteur expérimental.
L'Iran a certes commis l'erreur de se rétracter avant de regretter implicitement en tentant de revenir à l'accord initial avec l'aide du Brésil et de la Turquie. Mais ce qui est déconcertant, c'est le brusque durcissement de la position américaine sans mobile apparent. On décèle deux changements majeurs dans la position américaine: 1- En octobre 2009, les Etats Unis ne posaient pas comme condition l'arrêt total de l'enrichissement d'uranium en Iran comme préalable à l'accord, ce qu'ils exigent maintenant. 2- En octobre 2009, ils étaient intéressés par une atmosphère de confiance avec l’Iran et considéraient l'accord comme "un premier pas" vers un dialogue global sur les problèmes complexes qui empoisonnent les relations irano-américaines depuis un tiers de siècle. Aujourd'hui, les Américains ne semblent intéressés que par une seule chose: l'arrêt de l'enrichissement de l'uranium par les Iraniens, point final.
En d'autres termes, la position américaine de l'automne dernier était plutôt conforme au discours d'Obama du 4 juin dernier au Caire dans lequel il avait fait l'apologie de la civilisation iranienne et avait tendu la main à l'Iran. Ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est une position plutôt conforme à la politique de l'administration Bush-Cheney où le langage de la force, le recours systématique aux sanctions et les menaces de bombardement étaient la règle.
Ce changement substantiel dans la position américaine en l'espace de quelques mois n'est ni gratuit ni fortuit. Il est l'expression d'une lutte au sein de l'administration Obama entre deux lignes diamétralement opposées: celle qui veut un rapprochement avec l'Iran sur la base d'une résolution des contentieux importants entre les deux pays, et celle qui ne veut pas entendre parler de normalisation. Les défenseurs de la seconde ligne ont semble-t-il le vent en poupe actuellement et ont réussi à rallier à eux le président Obama, si l'on en juge par le contraste saisissant entre le ton conciliant de son discours du 4 juin 2009 et son intransigeance actuelle.
Le Brésil et la Turquie se trouvent dans une situation embarrassante. Après tant d'efforts diplomatiques au cours desquels le président brésilien et le Premier ministre turc ont fait le déplacement à Téhéran, Washington se comporte comme si de rien n'était et poursuit imperturbablement ses pressions pour le vote au Conseil de sécurité en faveur des nouvelles sanctions. La "colère" de la Turquie est d'autant plus légitime que, d'après l'International Herald Tribune, ce sont les Etats Unis eux-mêmes qui ont demandé à Ankara au début de cette année d'essayer de "redonner vie" à l'accord d'octobre 2009. "Ce qu'ils (les Américains) voulaient qu'on fasse, c'est de gagner la confiance des Iraniens et d'arriver à un accord avec eux. Nous avons fait notre devoir", a affirmé le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, cité par le quotidien américain.
Cela tourne à la tragi-comédie. Loin d'être remerciés, la Turquie et le Brésil sont pris à partie par Nicholas Burns, le Sous-secrétaire américain aux affaires politiques. " Je pense réellement que l'accord conclu par le Brésil et la Turquie avec l'Iran est regrettable. En signant un tel accord avec Ahmadinejad, et bien qu'animés de bonnes intentions, le Brésil et la Turquie auront contribué à alléger la pression sur l'Iran et à donner le prétexte à certains membres du Conseil de sécurité pour voter contre les sanctions", n'a pas hésité à affirmer M. Burns à la Voix de l'Amérique ( VOA).
En toute objectivité, l'accord irano-turco-brésilien est une occasion ratée par les Etats Unis pour réduire la tension dans la région et s'engager dans un processus de normalisation avec l'Iran. Cette occasion est d'autant plus précieuse que les difficultés politiques et militaires américaines en Irak et Afghanistan réduisent fortement la marge de manoeuvre de la Maison blanche.
Pourtant le président Obama aurait pu très bien se jeter sur l'occasion et transformer l'accord critiqué par M. Burns en une victoire pour la diplomatie américaine. Il aurait pu dire avec beaucoup de crédibilité que si les Iraniens sont revenus à l'accord qu'ils ont renié il y a quelques mois, c'est grâce aux pressions constantes exercées par les Etats Unis. Et tout le monde les aurait crus et tout le monde aurait applaudi.
Une telle réaction aurait été certainement possible si Obama avait gardé les principes fondamentaux sur la base desquels il était élu et qu'il avait affirmés et réaffirmés dans ses discours pré-électoraux et post-électoraux. Mais ce n'est pas le cas, et l'attitude américaine vis-à-vis de la question iranienne est toujours marquée par un bellicisme fortement dommageable pas seulement pour l'image des Etats Unis, mais pour leurs intérêts stratégiques. La raison est très simple: Bush est à la retraite au Texas, mais ses idées sont toujours actives à Washington.

Thursday, May 20, 2010

Les prédateurs des temps modernes

En quelques semaines Goldman Sachs, la plus grande banque d’affaires au monde, est devenue le symbole de ces institutions financières à la fois prédatrices et cupides. Des institutions qui ne reculent devant rien, quitte à faire sombrer la planète entière, pour engranger les gros bénéfices et distribuer en fin d’années primes et bonus dont l’unité de calcul des sommes dues à chaque bénéficiaire est le million de dollars.
La particularité ahurissante de ces prédateurs des temps modernes, de ces « voleurs en cravate », comme les appelle déjà la presse internationale, est qu’ils sont à la fois voleurs et traîtres. Voleurs, parce qu’ils détroussent leurs clients, et traîtres parce qu’ils trahissent des gens qui leur ont confié leur argent et qui leur ont fait confiance. Cette trahison est d’autant plus méprisable que ces prédateurs ont non seulement conseillé à leurs clients d’investir dans des titres qu’ils savaient voués à l’effondrement, mais, pire encore, ils ont joué un grand rôle en précipitant la chute de ces titres contre lesquels ils ont sciemment spéculé, ce qui leur a permis d’engranger des milliards.
Comble de la traîtrise, ces « voleurs en cravate » de Goldman Sachs ont mené en bateau des citoyens après avoir bénéficié de l’argent du contribuable qui a servi à renflouer cette banque et ses semblables lors de la grande crise financière de 2008, crise à laquelle ces prédateurs sont loin d’être étrangers évidemment…
Mais cette manipulation de quelques milliers de clients n’est rien par rapport à ce qu’on vient d’apprendre : l’appétit gargantuesque de ces prédateurs les a poussés à s’attaquer carrément aux Etats, et Goldman Sachs, avec d’autres banques prédatrices, n’est pas étrangère à la crise grave de la Grèce qui a mis en péril le système financier européen tout entier.
Selon le Spiegel et le New York Times, Goldman Sachs, en complicité avec d’autres banques de Wall Street, JP Morgan, Chase Manhattan et d’autres, avaient mis au point un montage financier complexe destiné à cacher l’ampleur de l’endettement de la Grèce, ce qui a permis à ce pays d’emprunter des centaines de milliards de dollars. Ces banquiers savaient pertinemment, cela va sans dire, que la très modeste économie grecque n’avait pas les moyens d’honorer une dette aussi colossale. Mais cela ne fait rien, car plus la Grèce s’endette, plus ces prédateurs engrangent les bénéfices.
D’après la presse européenne, « c’est une cadre de Goldman Sachs, Antigone Loudiadis, qui serait l’architecte du montage financier permettant de dissimuler l’ampleur de la dette de la Grèce. Elle aurait permis à sa banque d’engranger 300 millions de dollars de rémunérations pour ces transactions. »
Le parlement grec enquête depuis des mois sur « la responsabilité des banques américaines » dans la crise financière du pays, et le président Papandréou, dans une récente interview diffusée sur CNN, n’a pas exclu de traîner en justice des banques américaines, dont Godman Sachs.
La pagaille financière internationale trouve son origine donc dans la cupidité et dans la soif inextinguible de gains des grandes institutions financières internationales dont le comportement irresponsable a failli précipiter le monde en 2008 dans une dépression de la taille de celle 1929.
On se rappelle qu’une grande crise a été évitée grâce à rapidité et la compétence avec laquelle l’administration Obama avait réagi. Voulant éviter que de tels dangers ne se reproduisent, Obama et ses collaborateurs ont mis au point un projet de réforme. Discuté actuellement par le sénat, il sera soumis au vote probablement la semaine prochaine, après qu’une version de ce projet ait été adoptée par la Chambre des représentants.
Il va sans dire que les banquiers de Wall Street sont contre et tentent toujours de bloquer la réforme. Fin avril, Obama, soutenu par l’opinion publique et par deux prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman, a dénoncé « les efforts furieux des lobbyistes de la profession pour façonner cette loi d'une manière qui serve leurs intérêts propres».
A quelque chose malheur est bon. Les pratiques scandaleuses de la banque Goldman Sachs semble faciliter la tâche d’Obama, tout en rendant ardue celle des « lobbyistes de la profession » dont les réseaux tournent à plein régime avec pour cible principale les parlementaires américains.
L’idée centrale de la réforme proposée par Obama est que l’argent du contribuable ne servira plus à sauver les banques qui se mettent en difficulté par un comportement irresponsable. L’argent du contribuable, en leur servant de filet de sauvetage, n’a fait jusqu’ici qu’encourager les aventures, les spéculations et les prises de risques exagérés par des banques rassurées qu’au bout du compte, et en cas de catastrophe, elles seront renflouées par l’argent public, comme ce fut le cas en 2008. En cas d’adoption de la réforme par le sénat, toute banque qui se met en difficulté et qui n’arrive pas à se sauver elle-même, sera tout simplement démantelée.
Ces prédateurs aux dents longues sont furieux et tentent désespérément d’accréditer l’idée que le président américain est un « communiste », un « dirigiste », un « ennemi de l’économie de marché » etc. Mais Obama a déconstruit toute cette stratégie d’attaque par une phrase simple : « Un marché libre n’a jamais voulu dire un permis de prendre tout ce que vous pouvez prendre », a-t-il lancé à ses détracteurs dans l’un des nombreux discours sur la réforme financière.
Reste à savoir si le sénat va voter cette réforme. Beaucoup de sénateurs qui, avant l’éclatement du scandale de Goldman Sachs étaient férocement contre la réforme, sont maintenant bien embarrassés. Ils aimeraient aider les banquiers de Wall Street, prédateurs, certes, mais généreux en période électorale. Mais s’ils le font, ils donneront l’impression qu’ils se sont rangés du côté de ceux qui n’ont aucun scrupule à détrousser les contribuables, qui sont aussi électeurs. Dans quelques jours, ils doivent pourtant choisir. Choisir entre les intérêts des « voleurs à cravate » et ceux des honnêtes citoyens.

Monday, May 17, 2010

Dynamisme diplomatique turco-brésilien

On pressentait qu’un dégel était en train de se produire dans les relations glaciales opposant l’Iran et les pays occidentaux quand la Française Clotilde Reiss, retenue à Téhéran depuis plus de dix mois, a été libérée après avoir vu sa peine de prison commuée en simple amende.
On pressentait qu’il y avait quelque chose qui se préparait quand le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a ajourné sa visite programmée pour l’Azerbaïdjan pour rejoindre en hâte à Téhéran le président brésilien Luis Ignacio Lula da Siva, en mission de médiation dans la crise qui oppose l’Iran aux pays occidentaux au sujet de la question nucléaire.
Les pressentiments étaient fondés puisqu’un accord a finalement été conclu avec l’Iran et par lequel celui-ci échangerait son uranium faiblement enrichi par un autre enrichi à 20% qui servirait de combustible pour son réacteur nucléaire expérimental. Une bonne nouvelle avant tout pour les « 850.000 malades des reins, du cœur et souffrant de cancers » nécessitant un traitement nucléaire et qui étaient les « véritables otages » du bras de fer opposant l’Iran aux Etats-Unis et leurs alliés.
L’accord est une bonne nouvelle aussi pour tous ceux qui redoutaient le déclenchement d’une autre guerre entre l’Occident et un autre pays musulman, l’Iran. Une guerre aux conséquences incalculables, mais qui serait vue par beaucoup comme une confirmation d’une stratégie agressive globale de l’Occident contre le monde musulman.
Deux membres non permanents du Conseil de sécurité, le Brésil et la Turquie, ont la particularité rare dans un monde trop suspicieux de bénéficier de la confiance à la fois des Iraniens et des Occidentaux. Les efforts intensifs que ces deux pays ont déployés en peu de temps et les succès inattendus qu’ils ont réalisés ont renforcé à la fois leur prestige au niveau international et leur crédit en tant que nouveaux médiateurs, capables de désamorcer crises et tensions qui surgissent entre Etats.
La seule réaction négative enregistrée jusqu’à présent n’étonne personne puisqu’elle vient d’Israël. Les politiciens de ce pays ont jugé que l’Iran a « manipulé » le Brésil et la Turquie « en faisant semblant d’accepter » l’accord sur l’enrichissement de son uranium à l’étranger.
C’est la réaction d’un boutefeu qui, se frottant les mains qu’une guerre est proche, se voit frustré par un accord de dernière minute le privant de sa passion destructive. Plus de 60 ans après la création de ce pays, le monde a eu largement le temps de se convaincre qu’Israël n’est dans son élément comme on dit que quand il y a la guerre, que quand il mène une guerre, que quand il complote pour déclencher des guerres. Tout le monde sait qu’Israël n’est pas étranger aux deux guerres déclenchées contre l’Irak en 1991 et 2003. Et tout le monde sait que ce pays complote depuis au moins 2006 pour provoquer une guerre qui ferait subir à l’Iran le même sort que l’Irak.
Par conséquent, on comprend parfaitement la frustration et l’amertume des politiciens de ce pays qui n’ont même pas l’intelligence de formuler une réaction qui ait un sens. Car que veut dire l’Iran « fait semblant d’accepter » ? Comment peuvent-ils se permettre de porter immédiatement un tel jugement qui, par définition, ne pourra être émis que dans les semaines et les mois à venir et à la lumière des comportements ultérieurs des parties signataires ? Sans parler des insultes proférées à l’encontre du Brésil et de la Turquie en faisant fi de leur diplomatie active et de leur stratégie de médiateurs internationaux, et en suggérant l’idée qu’ils se laissent « manipuler » par les Iraniens.
Reste la position américaine. On ne peut pas dire que les Etats-Unis faisaient preuve d’un enthousiasme débordant face à la médiation turco-brésilienne, si l’on en juge par la réaction de la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, un jour avant le début de cette médiation. Selon le New York Times, Madame Clinton a « prédit vendredi dernier l’échec de la mission de médiation du président brésilien, affirmant que l’Iran ne pourra être forcé de prouver que son programme nucléaire est pacifique qu’à travers une nouvelle série de sanctions. »
Tous les psychologues vous le diront : quand on prédit l’échec d’une mission quelconque avant même qu’elle ne commence, cela veut dire qu’au fond on souhaite vivement cet échec. Une fois encore Madame Clinton se montre incapable de dissimuler son parti pris pro-israélien. En prédisant l’échec d’une médiation avant même qu’elle ne commence, et en défendant à la veille de cette médiation l’option des sanctions, la Secrétaire d’Etat américaine prouve qu’elle est plus sensible aux thèses israéliennes qu’aux impératifs de paix et de concorde dans la région.
Maintenant que la médiation a réussi et que les prédictions de Mme Hillary Clinton se sont avérées inexactes, le comportement des Etats-Unis va être suivi à la loupe. Le succès de la médiation et le prestige international des médiateurs va mettre Washington dans une position délicate.
L’administration Obama, après la main brièvement tendue à l’Iran, fait campagne depuis des mois pour un renforcement sévère des sanctions contre Téhéran. Maintenant que l’Iran accepte d’envoyer 1200 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi en Turquie en échange de 120 kilogrammes d’uranium enrichi à 20%, les Etats-Unis se sont trouvés soudain dépossédés de leur principal argument avec lequel ils orchestraient la mise en place des sanctions. Ils n’ont guère le choix que d’accepter l’accord ou de courir le risque de se faire accuser d’utiliser le prétexte nucléaire pour rééditer la tragédie irakienne en Iran.

Clowneries israéliennes

Le 26 avril dernier, Ivan Prado, « le plus grand clown d’Espagne », atterrissait à l’aéroport Ben Gourioun à Tel Aviv. Le but de son voyage était d’aller à Ramallah pour « aider les Palestiniens à organiser un festival du rire ». L’intention est bonne, surtout quand il s’agit d’un peuple qui a rarement l’occasion de rire et trop souvent l’occasion d’être en deuil.
Mais c’était compter sans les services du Shin Beth qui lui avaient confisqué son passeport et l’avaient soumis à un interrogatoire de six heures sur ses « liens avec les organisations terroristes », avant de le placer dans le premier avion en partance pour Madrid. Le professionnel du rire espagnol ne devait pas trouver drôles ces méthodes brutales qui ont fait dire au commentateur du quotidien « Haaretz », Gideon Levy, que « les vrais clowns sont ces gens du Shin Beth ».
Un clown qui ne fait pas rire est un clown sinistre, et ce genre de personnages pullule en Israël. On les trouve au Shin Beth, parmi les responsables de l’expulsion d’Ivan Prado ou de l’interdiction à des étudiants palestiniens de poursuivre leurs études à l’université d’Al Qods pour avoir refusé de jouer les espions pour le compte d’Israël. On les trouve au Mossad parmi les falsificateurs de passeports servant aux exécutions extra-judiciaires à Dubaï et ailleurs. Ils se trouvent aussi et surtout dans les hautes sphères politiques où les décisions contestables et contestées au niveau planétaire sont prises, et où les déclarations les plus absurdes et les plus ridicules sont vociférées quasi-quotidiennement.
Parfois ces responsables sont si impatients de s’adonner à leurs exercices clownesques qu’ils les font même à 10.000 kilomètres de chez eux. L’ancien videur de boîte de nuit et actuel ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, était en voyage au Japon quand il avait eu ses dernières démangeaisons : « Les innombrables gestes d’Israël envers les Palestiniens ont été accueillis par des gifles en plein visage. Nous avons pris des initiatives unilatérales en décidant un moratoire sur la construction en Judée-Samarie (Cisjordanie), nous avons reconnu le principe des deux Etats pour deux peuples, et, pour toute réponse, nous avons eu la glorification du terrorisme. »
Voici le genre de déclarations que Lieberman trouve urgent à faire à 10.000 kilomètres de chez lui, de Tokyo où il est en voyage officiel. Il est vrai que les démangeaisons ça ne peut pas attendre. Et les démangeaisons d’Avigdor Lieberman consistent en un urgent besoin de mentir et de déformer la réalité dans un élan irrésistible de cynisme et de mauvaise foi.
Mais au sein du gouvernement israélien, les clowneries ne sont pas le monopole de Lieberman, tant s’en faut. Alors que ce gouvernement n’a cessé de prendre à témoin le monde, se plaignant que les Palestiniens refusent même les discussions indirectes proposées par Washington, deux jours après que Mahmoud Abbas les a acceptées, le ministre israélien de la sécurité publique, Yitzhak Aharonovitch, a affirmé que sont gouvernement va procéder bientôt à la destruction de maisons arabes à Jérusalem-Est pour dégager les terrains nécessaires à la construction de colonies.
Le but de la manœuvre est clair : donner le « prétexte » aux Palestiniens pour arrêter les négociations indirectes, entamées le week-end dernier, et reprendre aussitôt la propagande habituelle sur le thème usé de « l’absence de partenaires pour faire la paix »…
Le Premier ministre Benyamin Netanyahu est pire que ses ministres, et cela tout le monde le sait depuis son premier mandat de chef de gouvernement en 1996. Il était à l’époque déterminé à saborder les accords d’Oslo, alors âgés de 3 ans, et il avait réussi dans sa mission destructrice.
Dans son second mandat de Premier ministre, entamé l’année dernière, n’ayant plus d’accords de paix à saborder, Netanyahu s’est visiblement donné pour mission de colmater toute brèche susceptible de laisser transparaître un rayon de lumière annonciateur d’un espoir de paix. Sachant pertinemment que s’il ne faisait aucune concession sur Jérusalem, il n’y aurait aucune solution avec les Palestiniens, il s’accroche désespérément à son « droit de propriété » sur la ville sainte comme ultime barrage contre le danger de paix qui fait peser sur Israël le pire des périls : la normalisation au niveau international et l’intégration au niveau régional.
La dernière trouvaille de Netanyahu pour soutenir son « droit de propriété » sur la ville sainte est puisée directement dans l’Ancien Testament. Il en a fait état solennellement devant les parlementaires israéliens réunis à la Knesset : « Jérusalem et son nom hébreu ‘Sion’ sont cités 850 fois dans l’Ancien testament. »
Selon cette logique, puisqu’elle est citée 850 fois dans l’Ancien Testament, la ville sainte revient de droit aux Israéliens, alors que les Arabes et les Musulmans y vivent depuis le septième siècle de l’ère chrétienne n’y ont aucun droit… Gideon Levy a raison : ce sont des clowns qui ne font rire personne.

Wednesday, May 12, 2010

Reportage: X- Mao, l'éternel

Il faut se lever tôt pour pouvoir entrer dans le mausolée du président Mao Zedong et voir son corps embaumé. Il faut se lever tôt au vrai sens du terme, car les files d’attente qui se forment de bonne heure sont très longues et le temps de visite est très court. Ce sont très probablement les seules files d’attente au monde qui se mesurent non pas en mètre mais en kilomètre.
La bâtisse est imposante. Situé dans la partie sud de la Place Tienanmen, le mémorial est érigé sur un terrain de près de 60.000 mètres carrés. Le premier coup de pioche était donné en novembre 1976 (deux mois après la mort de Mao) et la cérémonie d’inauguration s’était tenue en septembre 1977, un temps record quand on voit la complexité et l’étendue de cet immense ouvrage architecturel, soutenu par 44 colonnes de granite.
Le granite, le marbre, la porcelaine, le ciment, les pierres, les briques et tous les autres matériaux de construction ont été fournis par les différentes provinces chinoises, une manière pour elles de témoigner leur reconnaissance au « grand timonier » pour les services rendus à la patrie. Le peuple a lui aussi exprimé à sa manière sa reconnaissance à son leader : 700.000 ouvriers de toutes les provinces chinoises avaient participé symboliquement et à tour de rôle à l’édification du mémorial du président Mao.
Pourtant de son vivant, il n’avait rien demandé. Mao avait plutôt exprimé le désir de se faire incinérer, mais la disparition d’un chef charismatique et historique est toujours difficile à accepter par ses compagnons.
En ce 9 septembre 1976, le jour où Mao avait disparu, les membres du bureau politique du parti communiste chinois n’étaient sûrement pas dans un état d’esprit qui leur permettait d’accepter la disparition de celui qui était devenu alors le symbole de la Chine nouvelle. La décision de l’embaumer et de le conserver dans un mémorial était dictée sans doute par la volonté de s’opposer à la fatalité de la mort et par le désir d’éterniser le chef, de le maintenir présent non seulement par l’esprit, mais par le corps aussi. Après tout, les camarades de Lénine l’avaient fait. Pourquoi pas les camarades de Mao ?
La file avançait lentement. A vue d’œil, il y avait encore au moins 300 mètres à faire avant d’arriver au mémorial. Il fallait évaluer la distance qui restait à parcourir et si elle pouvait être franchie avant midi. De l’endroit où ils étaient, deux citoyens chinois n’avaient aucune chance d’arriver avant la fermeture des portes à midi. Ils avaient tenté, le plus discrètement possible, de gagner quelques centaines de mètres. Vigilants, deux gardiens en uniforme les avaient interpellés et les avaient remis dans leurs places initiales. Ils avaient préféré partir.
« Il est difficile de trouver un endroit au monde plus visité que le mémorial du président Mao », affirme Hu Yuxiang, qui étudie l’arabe dans un Institut de langue à Pékin, et qui a bien voulu nous accompagner au mémorial. « Qu’il fasse beau ou mauvais, qu’il pleuve ou qu’il vente, les files pour voir le président Mao sont toujours longues. »
Mais pourquoi tant d’engouement pour un homme disparu depuis plus d’un tiers de siècle et que la majorité de ceux qui font la queue pour le voir n’étaient pas encore nés en 1976, l’année de sa mort ?
Selon Hu Yuxiang, « la majorité du peuple chinois est reconnaissante pour Mao d’avoir remis la Chine sur ses pieds, après avoir été à genoux par une longue série d’attaques et d’agressions étrangères. Pour ces dizaines de milliers de personnes devant nous et derrière nous, le président Mao est non seulement un symbole, mais aussi l’architecte de la Chine nouvelle sans lequel le pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, c'est-à-dire la deuxième puissance du monde. Et donc ces milliers de personnes que vous voyez et qui font si patiemment la queue, elles ne viennent pas ici par curiosité de voir le corps embaumé d’un vieil homme, mais par devoir de s’incliner devant un héros national et de payer tribut à celui qui a révolutionné la vie de leurs parents et la leur. »
Avant de monter les escaliers menant au mémorial, il fallait passer par le détecteur de métaux et par la fouille corporelle. Nul ne peut entrer s’il a sur lui un briquet, des allumettes, un téléphone portable, un appareil photo ou un objet tranchant ou métallique.
Dans le hall, des tas de bouquets de fleurs sont à la disposition de ceux qui veulent en acheter et en déposer devant l’imposante œuvre d’art en marbre blanc, haute de 3,45 mètres et représentant un Mao assis sur un fauteuil, les jambes croisés. Quatre citoyens chinois, après avoir déposés leurs bouquets de fleurs, se sont mis à genoux et se sont prosternés à quatre reprises devant leur idole en chuchotant des prières, avant de reprendre leur place dans la file.
A proximité du sarcophage, le silence absolu est exigé. Des gardiens sont là pour inciter, par des gestes de la main, les visiteurs à presser le pas. Aucun arrêt n’est toléré. La tombe de cristal repose sur une plateforme en granite noir. Mao, étendu, vêtu d’un costume vert-de-gris et enveloppé du drapeau rouge, visage émacié, yeux et bouche fermés, dort d’un sommeil paisible. On se recueille devant le corps embaumé du père de la révolution chinoise tout en marchant. On comprend pourquoi la file avance vite et que des dizaines de milliers de personnes peuvent entrer chaque jour au mémorial.
En suivant l’itinéraire tracé, on se retrouve dans un magasin de souvenirs. Tout est à l’effigie du « grand timonier », cela va de soi.
Au premier étage du mémorial se trouvent des « chambres de souvenirs individuels » dédiés à la mémoire de Mao Zedong, Chou Enlai, Liu Shaoqi, Zhu De, Deng Xiaoping et Chen Yun. Dans chaque chambre, il y a un buste en marbre blanc du chef en question. Le mur est tapissé de toutes sortes de documents personnels, de photos de jeunesse, en famille, entourés d’amis ou de compagnons de route, et même, dans le cas de Zhu De, un uniforme militaire et quelques médailles attestant ses faits d’armes.
A midi pile, les portes se ferment. Les milliers qui n’ont pu entrer ne manifestent ni déception ni colère. Ils rompent les rangs et tenteront leur chance le lendemain. A moins qu’on soit un 26 décembre (jour de la naissance de Mao) ou un 9 septembre (jour de sa mort), les files restent alors en place, car les portes rouvriront à 14 heures. Ce sont les deux seules journées de l’année où le mémorial est ouvert matin et après midi.
Six jours par semaine, de mardi à dimanche, des dizaines de milliers de Pékinois, de Provinciaux et d’étrangers défilent chaque jour devant le corps embaumé d’un vieil homme qui dort du sommeil du juste, le visage serein de celui qui a accompli consciencieusement son devoir envers sa patrie et envers son peuple.

Reportage : IX- La Cité interdite ouverte à tous

Le balcon duquel Mao Zedong avait proclamé le 1er octobre 1949 la République populaire de Chine est envahi quotidiennement par les visiteurs. Surplombant la place Tienanmen, le balcon historique, décoré par un portrait géant de Mao, est situé juste au dessus de la Porte de la Paix céleste qui commande l’entrée sud de la Cité interdite.
On est pris de vertige quand on regarde du fameux balcon la place Tienanmen, tellement elle est immense et noire de monde. Des Pékinois, quelques étrangers, mais surtout des provinciaux chinois, chaque groupe suivant son guide qui le précède avec un long drapeau distinctif à la main. Avec l’élévation du niveau de vie dans les provinces, des milliers de Chinois arrivent quotidiennement dans la capitale avec la ferme intention de découvrir les splendeurs d’une histoire millénaire dont ils sont visiblement fiers.
Des dizaines de milliers de personnes qui vont, viennent, se croisent, montent, et descendent, traversent en long et en large l’immense place Tienanmen, cela donne effectivement le vertige. Cette place mérite largement son nom de « plus grande place au monde ». C’est un immense rectangle de près d’un demi million de mètres carrés, 880 mètres du nord au sud et 500 mètres d’est en ouest.
Deux immenses bâtisses se font face à 500 mètres de distance : le Palais de l’Assemblée du Peuple à l’ouest et le Musée de l’Histoire de la Révolution à l’est. Mais elles semblent susciter peu d’intérêt si l’on juge par les mouvements de la foule qui se font, dans leur immense majorité, dans le sens nord-sud.
Dans le sens nord-sud, car tout le monde se dirige vers le sud de la Place Tienanmen où se trouve l’entrée sud de la Cité interdite, désormais ouverte à tous. Elle doit son nom au fait que, pendant des siècles, c'est-à-dire pendant tout le règne des 24 empereurs des deux dynasties, Ming et Qing, qui ont gouverné la Chine de 1420 à 1911, le peuple n’avait pas le droit de s’en approcher ni les empereurs et leurs proches d’en sortir, sauf dans des cas exceptionnels.
La visite de la Cité interdite commence par la « Cour extérieure » qui se compose de trois salles principales : la « Salle de l’Harmonie suprême », le « Salle de l’Harmonie parfaite » et la « Salle de l’Harmonie préservée ». C’est là où l’empereur gouvernait, recevait ses ministres, présidait les cérémonies officielles etc.
Derrière la « partie officielle » de la Cité interdite, se trouve la « Cour intérieure » réservée aux appartements de l’empereur et de l’impératrice, les proches, les concubines, les eunuques, les serviteurs etc. Elle comprend « le Palais de la Pureté Céleste », « la Salle de l’Union » et « le Palais de la Tranquillité Terrestre ».
Ce qui frappe le plus, c’est l’état impeccable dans lequel sont conservés le trône de l’empereur, les meubles des appartements, les lits, les alcôves, les rideaux, les peintures et autres objets de décoration.
Selon notre guide, les innombrables palais de la Cité interdite « comportent 9999 chambres » car en Chine, le chiffre 10.000 symbolise la perfection qui ne peut être atteinte que par les divinités. Les hommes ne peuvent que tendre vers la perfection sans jamais l’atteindre. Par conséquent, le maximum de chambres que les empereurs pouvaient se permettre est de 9999. » Il s’agit évidemment d’une légende. Selon une enquête effectuée par les autorités chinoises en 1973, la Cité impériale comporte exactement 8704 chambres.
« C’est la plus grande construction en bois au monde », assure le guide. « Pour construire cet immense complexe, on a dû procéder à une déforestation à grande échelle. Des centaines d’hectares de cèdres étaient nécessaires pour construire la Cité interdite entre 1406 et 1420. »
En effet, les palais impériaux reposent sur d’immenses et d’innombrables colonnes, chacune représentant à elle seule un cèdre. Les cours d’eau, présents partout dans la Cité, servent surtout à éteindre les incendies, faciles à se déclencher dans ces interminables constructions à base de bois. Devant chaque palais, deux immenses chaudrons au moins sont constamment remplis d’eau. Le but étant, en cas d’incendie, de procéder rapidement aux premières extinctions.
Le visiteur est frappé par l’omniprésence des brûle-encens. « Quand tous ces brûle-encens sont utilisés en même temps, la Cité interdite est couverte d’un immense nuage de fumée et les empereurs ont l’impression que leur Cité est montée au ciel », explique le Guide. « Mais les brûle-encens ont une autre fonction. Ils servent à communiquer avec les divinités à travers la fumée qui monte vers le ciel. Les empereurs prient souvent les divinités et les implorant d’éviter au pays les catastrophes, de donner à l’agriculture assez d’eau, mais pas trop etc. ».
Les brûle-encens sont presque aussi nombreux que les dragons. On en voit partout où l’on va. « C’est normal », explique le guide, « le dragon est le symbole de la force et de la puissance. Il fait partie des mythes fondateurs de la civilisation chinoise. Mythologiquement, il est le gardien de l’intégrité et de la pérennité de l’empire. Le dragon n’est pas seulement représenté en statue, mais il est brodé aussi sur les habits des empereurs. Seuls les empereurs ont le droit de se faire broder des dragons à cinq griffes sur leurs habits. »
Un autre animal bizarre est présent dans la Cité interdite et dont on peut acheter une réplique en miniature dans les magasins de souvenirs : une tortue avec une tête et des pattes de dragon ! L’un des empereurs voulait qu’un animal représentant la longévité fût présent avec les dragons et les grues dont les statues pullulent devant les palais et dans l’immense jardin impérial. Quel autre animal peut symboliser la longévité mieux que la tortue. Le seul petit problème est que sa lenteur et sa faiblesse sont peu compatibles avec le caractère des empereurs. Qu’à cela ne tienne. On mariera la longévité, la rapidité et la force et on offrira à l’empereur un animal sur mesure : la tortue avec une tête et des pattes de dragon.
Reste l’énigme de la grue, omniprésente elle aussi, toujours debout sur ses longues pattes, mais dans différentes postures. « C’est la monture préférée des divinités qui l’utilisent dans leur descente des cieux quand ils décident de faire un tour sur terre », explique le guide sur un ton solennel.
La couleur rouge est dominante dans la Cité interdite. Les murs extérieurs et intérieurs, les plafonds, les colonnes de cèdre etc. C’est la même couleur qu’utilisent les restaurants chinois dans les quatre coins du monde. Cette couleur n’est pas choisie au hasard ni sur un coup de tête. Le rouge est la couleur du feu, et les mauvais esprits ont peur du feu…Une explication d’autant plus crédible qu’aucun mauvais esprit n’est venu troubler cette mémorable visite de la Cité interdite.

Monday, May 10, 2010

Reportage: VIII- Un petit tronçon de la Grande Muraille

Les Chinois sourient de la bizarre transcription en lettres latines du nom du plus célèbre restaurant de Pékin : Quan Ju De, ou « réunion de toutes les vertus ». Il y’en a qui le transcrivent aussi Ch’üan chü teh, mais quelle que soit la forme de la transcription que vous lisez, aucun chauffeur de taxi pékinois ne vous comprendra. Pour aller au 32, Qianmen Avenue en taxi, il faut avoir en poche le nom du restaurant écrit en chinois. Quan Ju De est donc le plus célèbre, mais aussi le plus vieux restaurant de Pékin, et peut-être de tout le pays, puisque son ouverture remonte à 1864, quand la dynastie Qing régnait encore en Chine.
Ce qui est extraordinaire avec ce restaurant est qu’il n’a jamais fermé ses portes et a résisté à tous les troubles et tous les événements sanglants qu’a connus la Chine. Quan Ju De était obstinément ouvert pendant les déchirements sociaux et les guerres ayant précédé, accompagné ou suivi la fin du règne impérial, les invasions occidentales, la république de Sun Yat sen, l’occupation japonaise, la révolution maoïste de 1949 et la révolution culturelle de 1966.
Alors que tant de convulsions secouaient la Chine, les cuisiniers de Quan Ju De préparaient chaque jour que Dieu fait des dizaines de canards gavés dans les campagnes chinoises. Gonflé d’eau, enduit de caramel, trempé dans un liquide à la fois épicé et sucré, le canard laqué de Quan Ju De est rôti sur un feu de bois de jujubier, l’un des rares qui ne dégagent pas de fumée. Découpé en petits morceaux et servi sans couteau ni fourchette, mais avec les baguettes règlementaires, le canard laqué fond dans la bouche dans une fusion succulente de viande tendre, de caramel onctueux, d’épices et de sucre. C’est le canard laqué de Pékin, incontournable pour tout visiteur étranger. Car, on ne peut pas visiter Pékin sans goûter à son canard laqué.
Après un si bon déjeuner, la meilleure digestion qu’on puisse imaginer se fait en escaladant un petit bout de la Grande Muraille de Chine. Juste un tout petit bout, car cet immense édifice mesure entre 5000 et 8000 kilomètres, selon les sources. Il s’étire d’est en ouest, traversant plaines et vallées, steppes et déserts, collines brûlées par le soleil et montagnes couvertes de neige.
Conçu à l’origine comme un ouvrage d’une haute importance stratégique, destiné à défendre les populations chinoises contre les razzias des nomades et les invasions des barbares, sa construction et sa reconstruction se sont étendues sur plus de deux mille ans, du VIIe siècle avant Jésus jusqu’au XVIIe siècle de notre ère. Des millions de Chinois ont participé à sa construction, et des centaines de milliers d’ouvriers sont morts d’épuisement, de maladie ou par simple accident. Selon le guide, leurs cadavres étaient jetés dans le mortier et faisaient corps avec le mur. Toujours selon le guide, des ossements se trouvent entre les pierres, témoins de cette pratique aussi étrange que terrifiante.
Le tronçon du mur de la région de Pékin a été construit ou reconstruit quand la dynastie Ming (1368-1644) avait transféré sa capitale à Pékin. S’étirant sur plus de 600 kilomètres, le Mur de la région de Pékin forme un demi cercle et serpente les montagnes du nord-est de la Chine. « C’est le tronçon le plus beau et le plus solide de tout l’ouvrage », assure le guide.
La « portion touristique » de la Grande muraille à Pékin est équipée d’un téléphérique qui dépose le visiteur sur une montagne où il pourra à la fois escalader quelques centaines de mètres et contempler l’évolution de la Grande muraille qui s’étend à perte de vue, traversant majestueusement vallées, collines et montagnes.
« Le mercredi 17 novembre 2009, je n’ai pas gagné un sou », se plaignait Deng Tao, un guide qui gagne sa vie en faisant visiter la Grande Muraille aux étrangers. « Ce jour là, le quartier pékinois de Badaling où se trouve le tronçon touristique de la Grande Muraille, était devenu un véritable camp retranché : Obama voulait visiter le Mur, et donc le site était ce jour là interdit au public. » En voulait-il à Obama pour sa journée chômée et non payée ? « Pas du tout non », sourit Deng Tao, « si c’était George Bush, je ne serais sûrement pas content. Mais Obama c’est un gars sympathique. »
A un certain moment, pendant l’escalade, l’attention est attirée par un phénomène étrange : un long fil métallique est fixé parallèlement au mur sur une distance de 200 à 300 mètres avec des centaines, peut-être des milliers de cadenas, les uns neufs, d’autres rouillés. Pas très loin, un vendeur de cadenas entouré de jeunes couples qui attendent patiemment. Ils attendent que le vendeur, qui est aussi graveur, grave le nom des amoureux avant qu’ils n’aillent deux par deux accrocher le cadenas au fil métallique, le fermer et jeter les clés au fond de la falaise au sommet de laquelle est érigé un pan de la Muraille.
Une superstition chinoise veut que le couple qui accroche son cadenas dans ce fil métallique qui longe quelques centaines de mètres de la Grande Muraille est assuré de s’aimer éternellement. Comme si, par ce geste, les amoureux piègent leur amour en l’enfermant dans une sorte de boîte magique de laquelle il ne pourra pas s’échapper, résistant à la routine, à l’ennui, et aux petits problèmes de la vie quotidienne.
Figurant depuis des siècles parmi les sept merveilles médiévales du monde, inscrite depuis 1987 par l’UNESCO sur la Liste du Patrimoine mondial, la Grande Muraille de Chine « est le seul ouvrage humain visible de la lune », selon un mythe bien ancré. Il s’agit bien sûr d’un mythe, car aussi majestueuse soit-elle, la Grande Muraille ne peut pas être visible de la lune, pas plus qu’elle n’a le pouvoir de lier éternellement les amoureux entre eux. Mais elle reste l’ouvrage le plus célèbre en Chine, incontournable pour tout visiteur étranger et dont l’escalade est fortement recommandée après un bon canard laqué pékinois.

Sunday, May 09, 2010

Reportage: VII- Controverse autour de la politique de l'enfant unique: Naître ou ne pas naître?

La Chine est l’un des rares pays où le dogmatisme idéologique d’une part et le poids des traditions rurales d’autre part se sont traduits par un surplus important de population. Pendant 30 ans, de 1949 à 1979, la position officielle du parti communiste chinois (PCC) était que le problème ne résidait pas dans le nombre de la population, mais dans la nature de l’organisation de la société. Les marxistes ont toujours détesté Malthus qui mettait en garde contre les dangers de la surpopulation pour la planète et pour l’humanité, et ont toujours considéré les malthusiens comme des réactionnaires et des suppôts d l’impérialisme…
Deng Xiaoping était un homme intelligent. Au moment où il lançait son programme ambitieux des « quatre modernisations », il ne pouvait pas ne pas se rendre compte qu’il n’y avait aucune garantie de succès si le programme de développement économique et social de la Chine n’était pas accompagné d’une politique efficace de planning familial.
Vers la fin des années 1970, la position du PCC vis-à-vis de la question du planning familial a radicalement changé. Elle se résumait comme suit : « Encourager les grossesses et mariages tardifs ; avoir moins d'enfants mais en meilleure santé ; limiter le nombre des naissances à un seul enfant par couple, la permission d'engendrer un deuxième pouvant être accordée dans des circonstances particulières ; promouvoir la même politique dans les régions rurales... ».
Cette nouvelle orientation n’allait pas tarder à devenir la politique officielle du pays. Le premier septembre 1980 fut adoptée la politique de l’enfant unique. Le non-respect de cette politique entraîne des sanctions financières et administratives pour le couple récalcitrant. Toutefois des exceptions étaient prévues. Les minorités ethniques comme les Tibétains, les Ouigours et autres ont le droit d’avoir plus d’un enfant. Dans les régions rurales, compte tenu de l’importance du garçon dans la culture rurale chinoise (il aide le père au travail et prend en charge les parents pendant la vieillesse), si le premier enfant est une fille, le couple rural a droit à une autre tentative qui sera la dernière quel que soit le sexe du deuxième enfant. Dans les villes, quand l’homme et la femme mariés sont tous deux enfants uniques, le couple peut également avoir deux enfants. Il y a aussi le « cadeau » offert par la nature quand la femme met au monde deux jumeaux. A part ces exceptions, la règle est rigoureuse et les punitions sont assez sévères.
A Pékin par exemple, le couple qui se permet un second enfant doit payer une amende qui s’élève de trois à dix fois le revenu annuel de la famille. Ceux qui travaillent dans les institutions gouvernementales et les compagnies publiques sont punis, en cas d’infraction, par leurs employeurs. Le couple n’a droit à aucun congé de maternité et tous les frais médicaux sont à sa charge. En plus, le couple se verra privé de toute promotion pendant trois ans, sans compter le gel du salaire pour au moins une année.
Chen Yaobang est journaliste. Il approuve entièrement la politique de l’enfant unique même si, dans son enfance, il a beaucoup souffert. « Le plus terrible pour l’enfant unique est le sentiment de solitude. Mes deux parents travaillent et, la plupart du temps, ils n’avaient d’autre choix que de m’enfermer à double tour dans l’appartement. La solitude et l’ennui sont les ennemis de la plupart des enfants uniques. Mais on n’a guère le choix. Il y a aujourd’hui plusieurs voix qui s’élèvent en Chine pour demander la révision de cette politique dans le sens de l’assouplissement, mais moi je suis contre, car cette politique nous a permis d’éviter 400 millions de naissances avec tous les bénéfices en matière d’élévation substantielle du niveau de vie et de réduction de la pression sur l’environnement et sur les ressources naturelles du pays, et en premier lieu l’eau. Sans cette politique, nous ne serions pas loin des deux milliards d’individus aujourd’hui… »
Yang Zhizhu, professeur de droit dans un Institut d’études politiques à Pékin est d’un avis totalement différent. Non seulement il met en cause la politique de l’enfant unique, mais il a enfreint la règle en ayant un deuxième enfant. Depuis le 21 décembre 2009, date de la naissance de sa deuxième fille, Ruonan, Yang Zhizhu est devenu la coqueluche des médias chinois et étrangers.
Ce professeur de droit de 43 ans aurait pu rester anonyme en payant l’amende qui lui a été demandée. « Pourquoi devrais-je payer une amende pour avoir eu mon propre enfant ? », se demande-t-il dans une interview accordée au ‘China Daily’ du 27 avril dernier. « C’est notre droit en tant que citoyens. On n’a pas besoin en Chine de planning familial, parce que le taux de natalité est déjà très bas dans les grandes villes comme Pékin et Shanghai, et la chine est un pays vieillissant ». Il précise que l’amende qui lui est demandée est « dix fois le prix du bébé vendu par les trafiquants d’enfants. »
En effet, l’amende exigée du professeur Zhizhu est très élevée : 200.000 Yuans, c'est-à-dire l’équivalent de 40.000 dinars environ. En refusant de payer cette forte amende, Yang Zhizhu ne pose pas le problème seulement au niveau du principe, « ne pas payer pour avoir enfanté », mais aussi en termes d’équilibre financier de la famille. Car, pour payer une telle amende, l’endettement auprès des banques est inévitable même pour un professeur universitaire. Toujours est-il que le professeur Zhizhu a été renvoyé de son travail et, depuis le 9 avril dernier, il est au chômage.
Que pense le journaliste Chen Yaobang du cas du professeur Zhizhu ? « Il a enfreint la loi relative à l’enfant unique. A mon avis, il aurait dû payer l’amende, même en s’endettant. Cela vaut mieux que de se retrouver au chômage. Mais je ne peux pas être d’accord avec lui sur la remise en cause de la politique de l’enfant unique, car nous sommes déjà 1,2 ou 1,3 milliard d’habitants. Et une telle masse humaine est une charge trop lourde pour l’économie, pour les ressources naturelles, par définition limitées, et pour l’environnement. »
Le mérite de ce qui est désormais connu en Chine comme « l’affaire » Zhizhou est qu’elle a permis d’élargir le débat sur la politique de l’enfant unique. Une question trop controversée si l’on en juge par les débats qui font rage dans la presse et parmi les internautes chinois. Un site chinois célèbre (www.qq.com) a procédé récemment à un sondage d’opinions auprès de 75.331 personnes pour savoir le degré de soutien ou d’opposition à l’infraction commise par le professeur Zhizhou à la règle de l’enfant unique. Le résultat est plus que révélateur : 91% soutiennent le droit du professeur de droit à avoir un second enfant…
C’est un fait que dans le débat intense qui se déroule en Chine sur la politique de l’enfant unique, aussi bien les défenseurs que les détracteurs de cette politique ont des arguments parfaitement valables. S’il est vrai que cette politique a permis à la Chine de relever substantiellement le niveau de vie de ses citoyens et de limiter à un niveau supportable la pression sur l’environnement et sur les ressources naturelles, il est tout aussi vrai que cette politique a eu des effet pervers dont le vieillissement de la population et la rupture de l’équilibre naturel mâle-femelle ne sont pas les moindres. D’après le British Medical Journal, la Chine compte un excédent de 32 millions de garçons, et en 2005, il naissait 120 garçons pour 100 filles.
Naître ou ne pas naître ? C’est la question la plus difficile que le gouvernement chinois a à résoudre, car bien malin est celui qui peut dire si les avantages de la politique de l’enfant unique l’emportent sur les inconvénients ou le contraire.

Reportage: VI- La puissance chinoise et "le confortable sentiment de sécurité"

Sans remonter très loin dans le temps, on peut dire que l’histoire récente (XIX et première moitié du XXe siècle) n’avait pas été particulièrement tendre avec la Chine. Ce pays avait subi trop de guerres, trop d’agressions, trop de diktats de la part des Occidentaux et des Japonais à un point tel que les jeunes chinois vivent aujourd’hui cette histoire avec un sentiment pénible d’humiliation.
Hu Yuxiang parle parfaitement l’arabe et se prépare à une carrière de diplomate pour « servir l’amitié arabo-chinoise », affirme-t-il avec beaucoup de convictions. Malgré son jeune âge, à peine 25 ans, il parle de l’histoire récente de la Chine avec une si grande émotion comme si les guerres de l’opium imposées par les Occidentaux ou l’occupation de la Mandchourie par les Japonais avaient eu lieu l’année dernière.
« Le peuple chinois », affirme Hu Yuxiang sur un ton grave, « vit toujours ces événements avec une grande humiliation et une profonde amertume. Quand une coalition de pays occidentaux déclenche une guerre contre la Chine pour lui imposer la légalisation du commerce de la drogue, un poison qui détruit la santé physique et mentale de ceux qui le consomment, il est difficile d’oublier cela. Plus douloureuses encore sont les atrocités commises par les Japonais pendant les guerres de 1894 et de 1937, surtout les massacres de Nankin et de Pékin. »
Oui, mais tous ceux qui ont commis ces atrocités sont morts n’est-ce pas, et n’est-il pas plus judicieux pour les jeunes qui ne connaissent ces événements qu’à travers les livres d’histoire, de regarder vers l’avenir plutôt que de rester prisonniers du passé ?
« Nous, on veut bien. Seulement, nonobstant le fait que le Japon ne s’est jamais excusé, il y a des politiciens et des intellectuels qui semblent prendre plaisir à remuer le couteau dans la plaie en se rendant régulièrement au mémorial de Yasukuni où reposent certains des politiciens et des militaires qui avaient commis des atrocités et des crimes de guerre contre le peuple chinois. »
Wang Chengmeng est l’ami intime de Hu et est tout aussi affecté par l’histoire dramatique de la Chine. Mais il est plus nuancé dans ses jugements. Wang en veut certes au militarisme japonais et aux politiciens qui non seulement ne s’excusent pas, mais continuent de glorifier « les criminels de guerre » à Yasukuni. Toutefois il établit une nette différence entre le peuple japonais et ses dirigeants politiques et militaires. « Le peuple japonais est lui-même victime du militarisme de ses dirigeants qui avaient attiré des malheurs terrifiants pour le pays et ses habitants, particulièrement ceux d’Hiroshima et de Nagasaki. Je suis content de voir des touristes japonais se promener dans nos sites historiques et je suis reconnaissant aux investisseurs japonais qui ont pris une part active dans le développement de la Chine. Mais je ressens une douleur morale insoutenable quand je vois les tentatives de réécriture de l’histoire et la glorification par certains milieux à Tokyo de ceux qui sont à l’origine de tant de malheurs pour le peuple chinois, mais aussi pour le peuple japonais. »
Si les jeunes chinois avec qui nous avons parlé éprouvent pratiquement tous les mêmes sentiments vis-à-vis de leur histoire récente, ils manifestent également la même attitude vis-à-vis de la situation actuelle de leur pays. Contrairement à ce qu’on escomptait, le sentiment dominant n’est pas la fierté des réalisations époustouflantes de la Chine durant les trois dernières décennies. Ce sentiment existe certes, mais il est dominé par le sentiment de sécurité.
Pan Xiaohan, jeune étudiant dans un Institut de langues à Pékin, résume le sentiment de beaucoup de jeunes Chinois en ces termes : « La montée en puissance de la Chine nous procure quelque chose de plus important que le confort matériel : le confortable sentiment de sécurité. Et plus l’armée chinoise est puissante, plus ce sentiment est fort. Il est psychologiquement très reposant de vivre sans cette peur au ventre qu’avaient expérimentée nos grands parents au moment où le pays était pendant plus d’un siècle la proie des agresseurs étrangers. »
C’est un fait que l’armée chinoise est aujourd’hui plus puissante que jamais et que le langage qu’elle tient aujourd’hui aux puissances rivales, les Etats-Unis en particulier, est nouveau. Dans un article du 23 avril dernier intitulé « Chinese Military seeks to extend its naval power » (L’armée chinoise cherche à étendre sa puissance navale), le New York Times a écrit ceci : « Maintenant les amiraux chinois veulent que leurs navires de guerre escortent la marine marchande, vitale pour les intérêts économiques de la Chine. Cette escorte se fera du Golfe arabo-persique jusqu’au détroit de Malacca en Asie du sud-est. »
Plus significatif encore, « en mars dernier, des responsables chinois ont dit à de hauts représentants de l’administration Obama, Jeffrey Bader et James Steinberg, en visite à Pékin, que la Chine ne tolèrerait aucune interférence au sud de la mer de Chine qui, pour elle, représente maintenant un intérêt vital. C’était la première fois que les Chinois qualifient le sud de la mer de Chine de zone d’un intérêt vital, au même titre que Taiwan ou le Tibet.»
Enfin, dans une interview à l’Agence Xinhua, l’amiral Zhang Huachen a affirmé : « Notre stratégie navale a changé. Nous sommes passés de la défense côtière à la défense en haute mer. »
Quand nous avons partagé ces informations avec nos jeunes amis chinois, ils ont arboré un large sourire approbateur. Pour Wang Chengmeng « si les navires de guerre américains se permettent de sillonner toutes les mers de la planète de long en large, pourquoi la puissance navale chinoise n’escorte-t-elle pas notre marine marchande ? C’est le moins qu’elle puisse faire. »
Hu Yuxiang ne comprend pas pourquoi les Etats-Unis ont tout fait pour que l’Allemagne se réunifie, mais d’un autre côté ils font tout aussi pour que la Chine ne se réunifie pas avec Taiwan en armant les Taiwanais et en leur promettant soutien et aide contre la mère patrie. » Pour lui, « les choses sont en train de changer chaque année un peu plus en faveur de la Chine. Plus la puissance économique et militaire de la Chine s’accroît, moins la puissance américaine est en mesure de s’opposer à la réunification. »
Mais la montée en puissance de la Chine ne menace-t-elle pas les pays voisins ? Il y a au moins deux pays qui ont exprimé publiquement leurs craintes face au développement de la puissance militaire chinoise : le Japon et Singapour. L’ancien chef de l’Etat singapourien, Lee Kwan Yew, est allé même à Washington il y a quelques mois pour prier les Américains de contre-balancer la puissance chinoise et « de maintenir une présence dans la région du Pacifique. »
Hu Yuxiang est étonné de ces craintes : « Jamais la Chine n’a attaqué un pays voisin ou lointain. Sauf peut-être le Vietnam en 1979, mais c’était un cas de légitime défense. » Ce n’était pas un cas de légitime défense. C’était « pour donner une leçon » au Vietnam, d’après l’explication officielle de la Chine que dirigeait alors Deng Xiaoping. Il est vrai que notre jeune ami Hu n’était pas encore né à l’époque.

Friday, May 07, 2010

Reportage: V- Les Chinois et le Conseil de Deng Xiaoping

Pan Xiaohan a 22 ans. Il étudie l’arabe dans un institut de langue à Pékin et se promet pour une carrière de traducteur. Enfant unique comme un grand nombre de Chinois aujourd’hui, Pan Xiaohan n’a pas beaucoup de bons souvenirs de son enfance. « Il y a vingt ans, nous habitions mes parents et moi dans un appartement très étroit, comportant une seule chambre pour nous trois. Aujourd’hui, nous vivons confortablement dans un appartement de 100 mètres carrés, grâce au développement de la Chine qui a entraîné une augmentation substantielle des revenus de la famille. »
Ils sont des dizaines de millions aujourd’hui en Chine qui diraient la même chose. Pan Xiaohan évoque avec émotion un événement assez lointain qui s’est déroulé avant sa naissance et dont l’ « heureux dénouement » fut vital pour l’avenir de la Chine. « Après la mort de Mao Zedong le 9 septembre 1976, une lutte pour le pouvoir s’est déroulée en Chine entre les radicaux menés par la femme de Mao, Jiang Qing, et les pragmatiques menés par Deng Xiaoping. L’élimination de ce qu’on appelait alors la bande des quatre a libéré la Chine des carcans idéologiques qui l’immobilisaient. Si la femme de Mao et les radicaux qui la soutenaient avaient pris le pouvoir et imposé leurs vues jusqu’à maintenant, nous serions aujourd’hui au même niveau de développement que le Cambodge. Seulement au Cambodge, ils sont 10 ou 15 millions alors que la Chine a une population 100 fois plus nombreuse, vous imaginez le désastre… »
L’idole de Pan Xiaohan ? La réponse vient sans la moindre hésitation « Deng Xiaoping bien sûr ». Cela ne veut pas dire que Mao Zedong ne compte pas pour lui. « Mao est devenu une légende. Les Chinois ont un respect quasi-religieux pour lui. Ils le considèrent comme l’homme qui avait mis la Chine sur ses pieds. Quant à Deng Xiaoping, il avait permis à la Chine de s’enrichir. Ce sont les deux personnages les plus importants dans l’histoire de la Chine moderne. »
L’origine de l’extraordinaire développement que connaît la Chine aujourd’hui remonte à un tiers de siècle quand, en 1977, Deng Xiaoping, débarrassé de la « bande des quatre », lança les fameuses quatre modernisations ( agriculture, industrie, recherche scientifique et défense). Peu de temps après, il proposa aux investisseurs étrangers les « zones économiques spécialisées » avec plein d’avantages fiscaux et de garanties légales. Enfin, il incita les Chinois à briser le joug de la pauvreté en leur lançant sa célèbre exhortation : « Enrichissez-vous, il est glorieux de s’enrichir! »
Tous les Chinois ne se sont pas enrichis certes, mais des centaines de millions vivent aujourd’hui incomparablement mieux qu’il y a tente ans, y compris dans les zones rurales. Le secteur public demeure le plus grand employeur en Chine. Chen Pingfei, journaliste dans un quotidien économique de Pékin, estime que « le secteur public est le plus grand employeur du pays. Et bien que les salaires soient inférieurs par rapport à ceux du secteur privé, l’Etat a déployé des efforts gigantesques pour améliorer sensiblement le niveau de vie de centaines de millions de gens. »
Il est normal que le secteur public soit toujours dominant dans un pays où le Parti communiste tient toujours les rênes du pouvoir. Cependant, la domination totale de la vie politique en Chine par le Parti communiste, n’a pas entravé l’émergence d’abord, et le développement spectaculaire ensuite, du secteur privé qui est devenu un grand pourvoyeur d’emplois et sur lequel l’Etat chinois compte pour venir à bout du chômage.
Chen pingfei résume l’évolution de la Chine officielle vis-à-vis du secteur privé en ces termes : « D’abord le secteur privé a été considéré comme ‘un supplément au secteur d’Etat’, ensuite comme ‘une part importante de l’économie’, et enfin comme ‘une part fondamentale du système économique’ ».
Si pour le monde extérieur, la coexistence d’un secteur privé de plus en plus large et d’un système politique dominé par le Parti communiste est une singularité que beaucoup ne s’expliquent pas, les Chinois ne semblent pas se poser trop de questions à ce sujet, du moment que cette coexistence se répercute positivement et de manière continue sur leurs conditions de vie. Chen Pingfei explique avec un sourire : « Pour nous, il s’agit d’un mariage de raison entre l’initiative privée et le parti communiste qui a engendré un ménage équilibré et des enfants heureux, car les Chinois aujourd’hui n’ont jamais été aussi heureux, aussi fiers et aussi sécurisés de toute leur très longue histoire. »
Heureux, fiers et sécurisés, mais il y’en a qui le sont beaucoup plus que d’autres, cela va sans dire. Si l’Etat chinois a profité de la fabuleuse croissance économique de manière à procéder à une redistribution des richesses qui accroîtrait le bien-être des classes moyennes, sans oublier les centaines de millions de ruraux, le secteur privé a fait naître une classe de nouveaux riches à la tête desquels se trouvent quelque 130 milliardaires en dollars (selon les dernières statistiques du magazine « Forbes »), plusieurs milliers de millionnaires en dollars, et des millions de hauts cadres des secteurs public et privé, d’ingénieurs, d’artistes, de cinéastes dont les revenus substantiels leur permettent l’accès aux belles demeures et aux grosses limousines allemandes, japonaises et même britanniques.
L’un des nouveaux riches célèbres à Pékin est Wang Zhongjun, dont quelques détails de sa fortune ont été publiés par le quotidien « China Daily ». Producteur de films à succès, dont « Le royaume interdit », Wang Zhongjun se déplace soit dans sa Mercedes en argent soit dans sa Ferrari rouge ; il habité une résidence au nord de Pékin de plusieurs milliers de mètres carrés comportant une collection d’œuvres d’art d’une valeur de 30 millions de dollars et une écurie de 60 purs sang etc.
Pour tous ces nouveaux riches donc, un marché du luxe de plus en plus florissant s’est établi, essentiellement à Pékin, Shanghai et autres villes côtières de l’Est chinois. Il va des simples produits de luxe des marques françaises et italiennes les plus célèbres, comme Louis Vuitton et Gucci, jusqu’aux voitures Bentley à 1,2 million de dollars pièce.
Et précisément, cette célèbre marque britannique a fait parler d’elle au salon de l’auto qui s’est tenu à Pékin du 22 avril au 2 mai dernier. Elle a créé spécialement pour le marché chinois deux modèles qu’elle a présentés au Salon de l’Auto : « Design Series China » et « Continental Flying Spur Speed China ».
Le représentant de Bentley en Chine, Zheng Biao, parlant à la presse chinoise internationale au Salon de l’Auto à Pékin, a affirmé que la compagnie qu’il représente « espère vendre 1000 unités en Chine d’ici 2012, ce qui la placerait devant les Etats-Unis en termes de vente… » La Chine, premier marché pour toute une gamme de produits de luxe, dont Bentley ! Qui l’aurait imaginé il y a seulement quelques années ? Le conseil donné par Deng Xiaoping il y’a un tiers de siècle à ses concitoyens n’est vraiment pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Reportage: IV-China connecting People

Han Hua se rappellera longtemps de cette « extraordinaire journée » du 12 février 2010. Comme tous les Chinois, elle devait passer les vacances du nouvel an lunaire en famille, et sa famille à elle se trouve à Wuhan. Le nouvel an tombait le dimanche 14 février et Han Hua, cadre commercial dans une grande société chinoise, se trouvait alors Guangzhou, à 1068 kilomètres de sa famille. Elle était l’une des centaines de millions de personnes qui s’apprêtaient à entreprendre ce qui est désormais connu en Chine et à l’étranger comme « la plus grande migration humaine rituelle. »
Le train « classique », si l’on peut dire, relie Guangzhou à Wuhan en 11 heures. Mais comme deux mois plus tôt, en décembre 2009, fut inaugurée la nouvelle ligne de train à grande vitesse entre ces deux villes, Han Hua n’avait mis que trois heures et quelques minutes pour arriver chez elle.
« C’était magnifique, j’avais gagné huit heures de plus auprès de ma famille grâce à ce train d’une étonnante rapidité », explique cette jeune femme frêle et dont le sourire ne quitte jamais les lèvres. Le TGV Guangzhou-Wuhan est aujourd’hui le train le plus rapide du monde puisqu’il roule à une moyenne de 330 kilomètres/heure, avec des pointes de 350. « Plus rapide que l’avion au moment du décollage », s’émerveille Han Hua, visiblement fière des performances technologiques de son pays.
Pays immense (plus de neuf millions de kilomètres carrés), la Chine est déterminée à réduire les distances faramineuses qui séparent ses grandes villes. Et pour cela, il faudrait une modernisation totale du réseau ferré chinois. Cette modernisation prend des proportions stratégiques puisque les autorités chinoises ont jugé nécessaire de créer un ministère autonome qui s’appelle le Ministère des Chemins de fer.
Il n’est pas facile en Chine de rencontrer des responsables ministériels et de leur poser des questions sur les dossiers ou les chantiers qui relèvent de leur ministère, même si c’est pour aider à les faire connaître à l’étranger. Après maints efforts, un responsable au Ministère des Chemins de fer à Pékin, M. Wang Suyi, a bien voulu nous consacrer un quart d’heure pour nous éclairer un peu sur l’immense chantier ferroviaire à travers lequel la Chine vise à relier la plupart de ses villes par un réseau de trains à grande vitesse.
« Notre pays est immense », affirme M. Suyi, « il est à peu près de la taille des Etats-Unis. Avec des distances aussi grandes à parcourir entre les villes chinoises, l’avion n’est pas le meilleur moyen pour une population aussi nombreuse que la nôtre. Par conséquent, notre stratégie a été de doter le pays de moyens de transport avec des vitesses qui se rapprochent de celles l’avion, mais avec des capacités en matière de transport des passagers autrement plus grandes et des prix de billets nettement plus réduits. Et ce moyen approprié est le train à grande vitesse. »
Les ambitions de la Chine dans ce domaine semblent démesurées, mais ce pays a les moyens techniques et financiers pour se les offrir : 42 lignes TGV d’une longueur totale de 13000 kilomètres sont planifiées pour « les trois prochaines années ». Compte tenu de la nature des terrains, parfois escarpée et montagneuse, compte tenu des tunnels et des ponts innombrables à creuser et à construire, trois ans sont très peu pour l’accomplissement d’un travail aussi titanesque, mais M. Wang Suyi est confiant.
« Actuellement », dit-il, « les lignes TGV Guangzhou-Wuhan (un millier de kilomètres) et Pékin-Tiangin (120 kilomètres) sont opérationnelles. La ligne Pékin-Shanghai (1300 kilomètres) sera prête l’année prochaine et plusieurs autres lignes sont déjà en chantier. » Les chiffres donnés par M. Suyi sont édifiants et justifient l’optimisme chinois de terminer une large partie, si ce n’est la totalité, des 42 lignes TGV dans trois ans : rien que pour la ligne Pékin-Shanghai, plus de 100.000 ouvriers, techniciens et ingénieurs travaillent jour et nuit sur le projet et l’Etat chinois a mis à la disposition du ministères des Chemins de fer la somme vertigineuse de 300 milliards de dollars. A titre d’exemple, la ligne opérationnelle Guangzhou-Wuhan a coûté 17 milliards de dollars…
Forte des moyens financiers et technologiques, la Chine affiche des ambitions ferroviaires qui débordent ses propres frontières. Les Chinois se sont déjà mis à construire les infrastructures nécessaires aux trains à grande vitesse dans d’autres pays comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Venezuela. D’autres candidats sont sur les rangs pour bénéficier de la technologie chinoise dont …les Etats-Unis.
« Au début du XXe siècle », explique M. Wang Suyi avec un large sourire, les Chinois ont contribué à doter les Etats-Unis d’un réseau ferroviaire. Des milliers de travailleurs chinois ont construit des centaines de kilomètres de rails. En ce début du XXIe siècle, les Chinois remettent ça, mais cette fois non pas en tant que travailleurs, mais en tant que maîtres d’œuvres. »
En effet, la Chine a signé un accord de coopération ferroviaire avec l’Etat de Californie et la compagnie américaine General Electric. « Nous sommes intéressés par le marché américain des trains à grande vitesse qui est très sous-développé », explique notre interlocuteur. « Leur première ligne à grande vitesse qui reliera Orlando à Tampa en Floride et qui mesurera moins de 100 kilomètres ne sera pas prête avant 2013 ou 2014. Mais ce marché est très prometteur et la Chine peut fournir aux Américains autant de lignes TGV qu’ils veulent. Les négociations avec la Californie pour la construction d’une ligne TGV entre San Francisco et Los Angeles sont assez avancées et le gouverneur Arnold Schwarznegger a fait part de son désir de visiter la Chine pour activer le projet. »
Mais les ambitions ferroviaires de la Chine sont d’une ampleur planétaire, selon des citoyens chinois avec qui nous avons parlé de ce sujet. Chen Yuxiang, journaliste à Xinhua parle de connexion par TGV entre Shanghai, Singapour et New Delhi à travers la Birmanie. Plus à l’ouest, notre collègue chinois parle de connexion entre Pékin et Moscou, et une autre, plus au sud de la planète, à travers l’Iran entre Pékin, Prague, Berlin et peut-être même jusqu’à Londres…
Prié de confirmer ces informations, M. Wang Suyi répond que « de telles idées existent et il y a même quelques ébauches de plans. Ce n’est pas une question d’années mais de décennies. »

Wednesday, May 05, 2010

Reportage: III- Xi'an, un modèle de développement pour l'Ouest chinois

Les habitués de la rue Sidi Boumendil à Tunis connaissent ces innombrables produits « made in China » et entreposés anarchiquement sur des étalages de fortune. Des cadenas petits et grands, des briquets de toutes les couleurs et de toutes les formes, des réveils, des produits électriques et électroniques par centaines. Il est normal que chaque fois qu’on passe par là c’est le fameux poème de Jacques Prévert « L’inventaire » qui surgit inévitablement dans la mémoire.
Tous ces produits de pacotille de la rue Sidi Boumendil donnent une idée caricaturale des produits « Made in China ». Il faut aller en Chine pour s’en rendre compte. Car la Chine aujourd’hui est une grande puissance industrielle si l’on juge par la production d’acier, que les grands centres industriels, concentrés dans l’est et le sud-est du pays, transforment en voitures, camions, machines outils, équipements et armements pour l’armée chinoise etc.
Avec le boom de la construction qui caractérisent les grandes villes chinoises, les besoins grandissants des industries et le développement assidus du secteur des chemins de fer, la Chine est devenue le premier producteur et le premier consommateur d’acier dans le monde avec une production qui dépasse les 500 millions de tonnes par an.
Une bonne partie de cette masse énorme d’acier est dévorée par les fameuses « zones de développement économique et technologique » qui fleurissent en Chine et qui font que ce pays mérite largement l’appellation « Atelier du monde ». Ces zones, nous explique Chen Pingfei, journaliste dans un quotidien économique à Pékin, consistent en « une concentration de groupes industriels et technologiques, embrassant des domaines aussi divers que les industries automobile et aéronautique, les locomotives pour trains à grande vitesse, les machines outils et autres industries énergétiques. »
Selon notre interlocuteur, ces zones de développement économique et technologique « sont concentrées essentiellement sur la côte est du pays dans des villes comme Guangzhou, Shanghai, Nanjing ou encore Tianjin. » Essentiellement, mais pas exclusivement, car d’autres zones fleurissent loin des côtes, par exemple dans les villes de Chongqin, Chengdu et Xi’an, trois pôles économiques de plus en plus importants et sur lesquels semblent compter les autorités chinoises pour stimuler le développement du centre et de l’ouest du pays, encore très arriérés en comparaison avec la zone géographique baignée par la mer de Chine.
Bien qu’elle n’ait pas encore atteint le développement de ses deux aînées Chongqin et Chengdu, la ville de Xi’an, capitale de la province de Shaanxi, est un cas intéressant qui symbolise à lui seul à la fois l’ambition et le dynamisme de l’économie chinoise. Située à une heure et quart de vol de Pékin, la ville de Xi’an a attiré en peu d’années une centaine de grandes compagnies qui ont fait de gros investissements se chiffrant en milliards de dollars. Et le dynamisme de ces compagnies est tel qu’au plus fort de la récession de 2008, Xi’an affichait un taux de croissance de 15, 6%, et selon les statistiques officielles de la ville, « pendant 13 années d’affilée, Xi’an, en terme de taux de croissance, n’est pas descendue sous la barre de 13%. »
Le fleuron du parc industriel Jingwei de la ville de Xi’an, porte le nom de la province : Shaanxi Automobile Group. Dirigé par un jeune directeur, Fang Hongwei, le groupe emploie 11000 employés dont 2000 ingénieurs et hauts cadres. Parmi eux, un homme brun, trapu, cheveux crépus, bref un non Chinois. C’est un ingénieur yéménite qui, après des études à Pékin, a choisi de rester en Chine et de faire carrière dans ce fleuron de l’industrie automobile chinoise.
L’ingénieur yéménite de Shaanxi Automobile Group n’est pas utile pour sa compagnie seulement dans les ateliers et les chaînes de montage, mais aussi à l’étranger, c'est-à-dire dans les pays arabes qu’il visite en tant que représentant de la compagnie chinoise. Il a été notamment en Algérie où il a négocié un projet de coopération entre des sociétés algériennes et le constructeur automobile de la province de Shaanxi.
Visiblement content de l’occasion de parler sa langue maternelle, l’ingénieur yéménite nous parle avec fierté des performances de sa compagnie: « 271e dans le classement des 500 premières compagnies chinoises, 27e dans le classement des 500 premiers fabricants de machines et 13e dans le classement des 30 entreprises chinoises de l’industrie automobile. »
Notre interlocuteur yéménite cite en vrac chiffres et détails relatifs à la production et à l’exportation des produits de sa société : « Nous avons ici la plus grande chaîne de montage d’Asie d’où sortent 500 poids-lourds par jour, sans compter les camions de taille et de puissance moyennes, les autobus et les mini-bus. Nous exportons dans 50 pays actuellement et en 2009, rien que pour l’Algérie nous avons vendu 10.000 poids lourds. De plus, l’un de nos gros clients, c’est l’armée chinoise que nous équipons à raison de 95% de ses besoins en matière de transport de troupes et autres véhicules et engins mécaniques. »
Enfin cette information qui a l’air anecdotique, mais elle est authentique : « Le mariage est interdit entre un homme et une femme travaillant dans le même service administratif, dans le même atelier ou dans la même chaîne de montage. » L’explication donnée par notre interlocuteur (un même service ne doit pas être affecté par deux absences simultanées) vaut ce qu’elle vaut, mais Shaanxi Automobile Group ne semble nullement considérer cela comme une atteinte à la vie privée de ses employés. « De toute manière », tempère notre interlocuteur, « nous n’avons eu à refuser aucun mariage au sein d’un même service, parce que le problème ne s’est pas encore posé. »
Nous présentant quelques collègues ingénieurs travaillant pour Shaanxi Automobile Group Co. Ltd., notre ami yéménite observe que « la Chine compte sur des talents semblables pour rattraper son retard et développer ses régions orientales longtemps négligées. Et précisément le pôle de développement constitué par le triangle Xi’an, Chongqin et Chengdu est généralement considéré en Chine comme le principal atout des autorités chinoises pour procéder à la conquête industrielle de l’Ouest. Une chose à laquelle la Chine tient tellement et que le monde doit savoir : l’entreprise gigantesque du développement du centre et de l’ouest du pays ne doit pas se contenter de suivre la voie classique du ‘Made in China’, mais explorer et emprunter une autre voie. La voie du ‘Invented in China’. »

Reportage: II- Zhong Guo, la Nation du Milieu

Il y a des mythes qui ont la peau dure. Ils traversent les siècles et résistent à toutes les évidences. Il en est ainsi du mythe chinois de la forme géographique de la planète Terre. Celle-ci, selon la croyance des anciens Chinois, n’est ni ronde, ni sphérique ni elliptique. Elle est carrément carrée, si l’on peut dire. Les Chinois occupent évidemment le milieu du carré terrestre, et tous les autres, y compris et surtout « les barbares », sont relégués au peu d’espace qui reste, c'est-à-dire aux quatre coins, ou plutôt aux quatre angles de la terre.
C’est sans doute cette croyance naïve qui est à l’origine de l’appellation séculaire « Empire du Milieu ». Il y a un siècle, le dernier empire chinois s’est écroulé, mais le mythe tient toujours. La Chine, étant devenue république sous Sun Yat sen et république populaire après la révolution de 1949, ne peut plus s’appeler l’empire du milieu ? Qu’à cela ne tienne, elle s’appellera Zhong Guo, littéralement la Nation du Milieu en chinois. C’est l’appellation qu’on trouve dans les documents officiels et sur les billets de banque. Il n’y pas un autre mot pour désigner la Chine en chinois, sauf Zhong Guo.
Malgré cet acharnement égocentrique séculaire, la Chine n’a réellement jamais été au centre du monde. Certes les Chinois ont bâti l’une des premières et des plus grandes civilisations dans le monde, mais ils ont toujours été sur la défensive, victimes des attaques de la part des « barbares » au point qu’ils ont passé deux mille ans à construire ou reconstruire le mur le plus long jamais érigé par l’homme pour se défendre.
Ce siècle sera-t-il celui où la Chine va enfin mériter le nom qu’elle porte, Zhong Guo, la Nation du Milieu, le centre du monde, l’endroit où seront prises les décisions qui influenceront la marche de l’humanité ? En un mot, la Chine s’apprête-t-elle à prendre le relais des Etats-Unis et Pékin la place de Washington ?
Quand, en 1978, sous l’instigation de Deng Xiaoping, ils avaient décidé de briser les entraves de l’idéologie et de se mettre sérieusement au travail, les Chinois n’avaient aucune certitude de pouvoir remporter rapidement la bataille du développement. Dans son livre célèbre, Alain Peyrefitte rapporte des propos que lui avait tenus le Premier ministre chinois Chou En Lai au début des années 1970 : « La Chine part d’une base terriblement arriérée. Il lui faudra au moins cent ans pour rattraper son retard sur les pays industriellement avancés. » (1)
Visiblement, l’ancien Premier ministre sous Mao Ze Dong sous-estimait un peu trop les ressources humaines et naturelles de la Chine. Si l’on prend pour repère l’année 1978, celle où la Chine avait décidé de changer son fusil d’épaule, on voit bien qu’il n’a fallu que moins d’un tiers de siècle pour que la Chine rattrape et devance même la plupart des pays industriellement avancés.
Pour se rendre compte, il faudrait se promener une journée dans les rues de Pékin. On dit « rues » seulement par réflexe, car à Pékin il est difficile de trouver des rues et encore moins des ruelles. En vingt ans, la capitale chinoise est devenue méconnaissable. Elle ne comporte plus maintenant que de très larges boulevards et d’immenses artères qui s’étendent sur des centaines, peut-être des milliers de kilomètres, toutes comportant des doubles voies et chaque voie comportant trois ou quatre couloirs qu’envahissent les 3,5 millions de véhicules qui sillonnent 24 heures sur 24 l’agglomération pékinoise.
Pékin, aujourd’hui, est une forêt buildings et de gratte-ciel plus hauts les uns que les autres. Béton, verre et acier sont les matériaux dominants. Partout où l’on va et de quelque côté que l’on se tourne, la vue est bloquée par des monuments architecturaux qui composent les hôtels de luxe, les administrations modernes, les banques, les grands groupes industriels et commerciaux chinois et étrangers, les compagnies d’assurance etc.
De cette infinité de buildings flambants neufs, celui qui laisse le plus rêveur est la Banque centrale de Chine. En effet, on ne peut pas ne pas rester rêveur en passant devant cette majestueuse bâtisse et en pensant aux attributs de puissance jalousement cachés dans ses sous-sols : 3000 milliards de dollars en devises et en bons de trésor, faisant de la Chine la banquière de la planète. Dix pour cent de ce que produit le monde comme richesses en une année reposent dans les sous-sols de cette institution. Et c’est sur ce trésor que compte la Chine pour renforcer sa puissance à l’intérieur et étendre son influence à l’extérieur.
Beaucoup de Chinois donnent l’impression qu’ils sont toujours en train de s’écarquiller les yeux face à tant de progrès réalisés par leur pays en si peu de temps. Des progrès d’autant plus remarquable que le fardeau démographique est lourd. Aujourd’hui, les Chinois se rendent compte du mal fait au pays par l’orthodoxie communiste qui avait longtemps soutenu que le problème n’est pas dans le nombre de la population, mais dans la mauvaise organisation de la société. Beaucoup de citoyens chinois avec qui nous avons parlé sont unanimes pour dire que si la Chine comptait deux fois moins de monde, leur vie serait doublement meilleure et leur pays aurait déjà occupé la première place, en surclassant les Etats-Unis qui comptent un milliard d’âmes de moins que la Chine.
De simples citoyens sont convaincus qu’un jour « très proche », leur pays deviendra le centre du monde et donnera enfin un contenu concret au mythe ancien du carré terrestre dont le milieu est occupé par les Chinois et les angles par les étrangers…
Mais quand ce jour viendra, comment se comporteront les Chinois ? Wang Yu Hui, jeune femme cadre dans une agence touristique en vogue à Pékin est formelle : « Nous sommes très différents des Américains. Nous resterons toujours modestes, car nous sommes les enfants et les disciples de Confucius. Et l’une des plus importantes leçons du sage chinois est qu’aussi haut qu’on puisse monter, on aura toujours besoin d’apprendre quelque chose chez les autres. »
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(1) Alain Peyrefitte, « Quand la Chine s’éveillera… », Fayard, 1973, Page 363

Reportage : I- Pékin, très propre, mais trop congestionnée

Le pilote était si talentueux que beaucoup dans les rangées du milieu croyaient qu’on était encore dans les airs alors que l’avion avait déjà atterri à l’aéroport international de Pékin et roulait tranquillement vers le terminal 3, « le plus grand du monde » selon les Chinois. On n’a aucune raison de ne pas les croire, tellement les dimensions de ce terminal sont époustouflantes : un million de mètres carrés, 42,5 mètres de hauteur, 50 millions de voyageurs par an, décollage ou atterrissage « en toute sécurité » en seulement 50 secondes, sans parler de la créativité architecturale et du luxe qui se lit dans pratiquement tous les matériaux utilisés pour la construction et l’équipement de ce terminal. En un mot, les Chinois ont trop bien fait ce « portail pour 5000 ans d’histoire et de culture ».
Des tapis roulants successifs aident le voyageur à raccourcir le long chemin qui sépare le satellite de débarquement et la zone de contrôle de la police des frontières. Là, des flux incessants de voyageurs, nationaux et étrangers, convergent. Après les formalités d’usage, il faut prendre un train. Un train robot qui vous amène vers l’aire de livraison des bagages avant de prendre l’un des innombrables taxis en attente et dont les couleurs verte et oranger dominent toutes les autres à l’extérieur de l’aéroport.
Pour ceux qui n’ont pas pris la précaution de se faire transcrire en caractères chinois l’adresse de leur destination, ils auront beaucoup de mal à se faire comprendre, car très rares sont les chauffeurs de taxis qui comprennent ou qui lisent une autre langue que la leur.
Il faut plus d’une heure pour parcourir les 20 kilomètres qui séparent l’aéroport de la ville, tellement la circulation est dense. On le voit dès la sortie de l’aéroport. Les 3,5 millions de véhicules qui circulent jour et nuit dans l’agglomération de Pékin, sont trop nombreuses pour les grandes artères, les périphériques et les autoroutes de la capitale chinoise. Malgré les efforts gigantesques d’élargissement et de modernisation des infrastructures routières à Pékin, la ville étouffe sous le poids énorme des embouteillages et de la pollution.
Les réseaux des transports publics se sont développés d’une manière spectaculaire ces dernières années. Plusieurs lignes de métro et des centaines de lignes de bus et de tramways desservent la ville. Le prix des billets fortement subventionné et une augmentation assidue du prix de l’essence et des parkings visent à dissuader les Pékinois d’utiliser leurs voitures et à les encourager à prendre les transports publics pour leurs déplacements quotidiens. Mieux encore, il y a quelques semaines, les autorités de Pékin ont changé l’horaire des 850.000 fonctionnaires de l’Etat qui vont désormais au travail une demi heure plus tard que les autres et quitteront une demi heure après dans une ultime tentative de décongestionner les embouteillages asphyxiants de la capitale. Rien n’y fait. Les Pékinois continuent de souffrir. Dans les heures de pointe, il faut plus d’une heure pour parcourir cinq kilomètres.
En fait, le gouvernement chinois se trouve dans l’étrange situation où il est obligé d’encourager la vente de voitures, en multipliant les avantages fiscaux, pour maintenir la vitalité d’un secteur de plus en plus performant et qui emploie des millions de travailleurs, mais dans le même temps, il se trouve forcé de décourager l’utilisations de ces mêmes voitures pour ne pas aggraver les problèmes d’embouteillages et de pollution.
En attendant une solution à la quadrature du cercle, de plus en plus de Chinois achètent des voitures qu’ils utilisent pour se rendre au travail, pour faire des courses et pour rendre visite à la famille et aux amis. Après avoir été pendant des décennies la capitale des deux roues, Pékin est aujourd’hui la ville dont le parc automobile est l’un des plus grands et des plus neufs au monde. Des dizaines de milliers de vieux bus et de vieilles voitures, jugés trop polluants, sont interdits de circulation. C’est sans doute la raison pour laquelle qu’on ne rencontre jamais sur les routes pékinoises le genre de véhicules qu’on rencontre ailleurs et dont la question de la visite technique est souvent l’objet de plaisanteries…
Il y a une habitude singulière chez les nouveaux riches chinois. Les grosses cylindrées qu’ils conduisent ont toutes des vitres fumées, sauf, sécurité oblige, les deux triangles du côté des deux rétroviseurs extérieurs, de sorte qu’on ne voit que des silhouettes à l’intérieur des voitures. On ne sait si cette habitude répond au vieux principe « pour vivre heureux, vivons cachés », par modestie ou par crainte de susciter jalousie et convoitise. Mais quelle que soit la raison, c’est toujours mieux que cette autre habitude plus singulière encore qu’on rencontre dans beaucoup de pays et où les nouveaux riches contribuent fortement à l’aggravation de la pollution sonore dans le but puéril d’attirer votre attention sur leurs grosses cylindrées, en mettant la musique à fond ou en klaxonnant à tout bout de champ.
Fin avril, il a beaucoup plu à Pékin. Et quand la pluie vient, elle n’ pas grand-chose à nettoyer, sauf l’air peut-être qu’elle débarrasse momentanément de sa pollution. Car, malgré ses vingt millions d’habitants, Pékin est l’une des villes les plus propres au monde. Vous pouvez attendre longtemps, vous ne verrez aucun citoyen jeter son papier mouchoir par terre, ni aucun automobiliste baisser la vitre de sa voiture pour vous jeter à la tête une bouteille d’eau minérale après avoir bu son contenu. Ce phénomène est particulièrement frappant à Wangfujing Street. C’est l’artère la plus commerçante de Pékin et qu’empruntent quotidiennement entre 100.000 et 150.000 personnes. Pourtant, pas un papier, pas un mégot, pas un sac en plastique. Les beaux carrelages de Wangfujing Street sont d’une propreté d’autant plus saisissante que la foule est dense.
En fait, tout se passe comme si, ne pouvant rien contre l’extrême pollution de l’air qu’ils respirent, les Chinois s’acharnent à rendre d’une propreté exemplaire les endroits où ils vivent, où ils travaillent et où ils se promènent.
Il est vrai que la municipalité de Pékin déploie des efforts gigantesques en matière de propreté. Sur les centaines de kilomètres de trottoirs, il y a systématiquement tous les cinquante ou cent mètres une double poubelle, l’une comportant un carré vert pour « les déchets recyclables », et la seconde un carré rouge pour les « autres déchets ». Il y a aussi une armée de nettoyeurs à l’affût du moindre bout de papier ou du moindre mégot. Mais la propreté de Pékin s’explique aussi et surtout par le savoir-vivre, la délicatesse et la conscience profonde des Chinois que la propreté de leur capitale est la responsabilité de tous et pas seulement des services municipaux.