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Wednesday, June 30, 2010

Indépendance, dites-vous?

La République démocratique du Congo (RDC) fête aujourd'hui 30 juin un demi siècle d’indépendance. Une célébration avec un faste assez déplacé au regard d’une population qui n’a jamais été aussi pauvre, et compte tenu aussi des résultats désastreux accumulés par le pays depuis l’indépendance du 30 juin 1960 jusqu’à ce jour.
Généralement, quand un pays anciennement colonisé fête l’anniversaire de son indépendance, il célèbre les réalisations accomplies en termes d’édification des structures politiques, de construction des infrastructures et de développement économique et social.
Il faut avoir le courage de poser la question : en déployant un tel faste, qu’est-ce que la RDC a célébré hier ? L’indépendance ? Il faut avoir le courage d’en parler aussi. Le quotidien congolais « Le Potentiel » a à peine effleuré la question mardi dernier dans son éditorial en ces termes : « Sorti de l'humiliant esclavage colonialiste, le Congolais de plus en plus pauvre ne vivrait-il pas sous la domination arrogante de compatriotes de plus en plus riches ? »
Le problème du Congolais maintenant est beaucoup plus grave que la simple « domination arrogante de compatriotes de plus en plus riches. » En toute honnêteté, si ce Congolais regarde aujourd’hui derrière lui pour faire l’évaluation de ce demi siècle d’indépendance, il ne trouvera pas grand-chose à célébrer.
Pour schématiser à l’extrême, disons que le demi siècle d’indépendance se divise en trois phases distinctes aussi calamiteuses l’une que l’autre.
Première phase : 1960-1965. A la proclamation de l’indépendance le 30 juin 1960, l’ex-colonie belge entra aussitôt en guerre civile. N’arrivant pas à se mettre d’accord sur qui gouverne le pays après le départ des Belges, les Congolais se battirent pendant 5 ans dans une guerre sanglante qui a fait un demi million de morts. Le carnage inter-congolais ne s’arrêtera que grâce à l’intervention des forces étrangères.
Deuxième phase : 1965-1997. Le général Mobutu Sese Seko a fini par s’imposer comme l’unique dépositaire du pouvoir en 1965. Il avait une occasion d’entrer dans l’histoire par la grande porte en construisant le pays. La nature était à ses côtés puisqu’elle a doté le Congo de réserves minières colossales au point que des économistes parlaient de « scandale géologique », tellement les richesses du sous-sol sont abondantes. Mobutu a raté l’occasion en faisant main basse sur les richesses faramineuses du pays, distribuant des miettes pour acheter les loyautés nécessaires à la stabilité de son régime, et tout le reste allait garnir ses comptes en Suisse, en France, en Belgique et Dieu sait où encore.
En 32 ans de règne, il est difficile de citer une seule réalisation au profit du peuple. Le Zaïre de Mobutu avait vécu plus de trois décennies avec le paradoxe honteux de pays le plus riche d’Afrique en termes de ressources minières, mais l’un des plus pauvres en termes d’infrastructures économiques et sociales et de revenu par tête d’habitant.
En dépit du caractère extrêmement nuisible du régime politique mis en place après l’indépendance, Mobutu bénéficiait de la bienveillance des grandes puissances parce qu’il a su, dans le contexte de la guerre froide, s’imposer comme le « défenseur de l’Occident » en Afrique et l’ennemi des régimes pro-soviétiques africains.
Avec la fin de la guerre froide, le Zaïre a perdu toute valeur stratégique et Mobutu est lâché par ses protecteurs d’hier, ce qui a facilité grandement la tâche de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération, dirigé par Laurent Désiré Kabila, qui a mis fin en mai 1997 à un régime qui a saigné à blanc le pays.
Troisième phase : 1997 jusqu’à ce jour. Laurent Désiré Kabila n’aura pas le temps de faire régner la paix et d’entamer un processus de développement qui tarde à se déclencher. Il sera assassiné le 16 janvier 2001, et c’est son fils Joseph qui le remplace. Le Zaïre, devenu entre temps République démocratique du Congo (RDC), ne connaîtra aucun répit. Les rébellions et les guerres se succèdent à un rythme infernal. Les morts se comptent en millions, les femmes violées en centaines de milliers et les enfants enrôlés de force dans la guerre par milliers. Les guerres non-stop de la RDC ont fait le plus grand nombre de victimes depuis la deuxième guerre mondiale, et les 20.000 soldats du MONUC, dépassés par l’ampleur des violences, n’ont pu faire grand-chose pour arrêter le carnage.
Tel est en bref l’état d’un pays où, après un demi siècle d’indépendance, les deux tiers des 60 millions de ses habitants vivent toujours avec un dollar par jour, malgré les richesses minières faramineuses dont ils disposent. Tel est l’état d’un pays dont les dirigeants ont choisi de fêter hier avec faste un demi siècle d’indépendance, bien qu’il n’y ait pas la moindre réalisation à présenter au peuple en guise de cadeau offert par cette même indépendance.
L’indépendance en RDC aujourd’hui est tout sauf une réalité sur le terrain. Et si l’indépendance veut dire avant tout effort collectif continu dans le sens de la construction et de l’édification, si elle signifie bien-être du peuple libéré du joug du colonialisme, elle demeure en République démocratique du Congo une simple idée qui attend depuis 50 ans d’être concrétisée.
Le peuple en RDC a moins besoin de célébrer avec faste une idée en suspens que de s’engager dans un vaste débat qui lui permettrait de tirer les leçons du passé et de comprendre pourquoi la voie de la guerre a prévalu pendant si longtemps. Le peuple en RDC a besoin surtout de réconciliation, seul et unique moyen de commencer enfin à construire le pays et à célébrer ensuite l’indépendance non pas en tant qu’idée, mais en tant que réalité palpable dans la vie quotidienne des Congolais.

Tuesday, June 29, 2010

La prochaine décennie sera meilleure

Quand on contemple le monde d’aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de penser à la réflexion désabusée de William Shakespeare dans Macbeth : « La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ».
Le bruit le plus familier aujourd’hui, relayé par les chaînes satellitaires, est celui des explosions et des bombardements en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, à Gaza et ailleurs. Et la fureur, elle, est celle des Américains contre les insurgés, des insurgés contre les Américains et des civils, pris entre plusieurs feux, contre toutes les parties en conflit.
L’histoire retiendra peut-être que l’anarchie et l’instabilité qui règnent dans les foyers de tension majeure et qui mettent le monde en danger sont dues aux politiques très peu inspirées de la plus grande puissance du monde qui, à un certain moment, grisée par « sa » victoire contre le bloc soviétique, a préparé un document stratégique « The New American Century » (Le nouveau siècle américain). Ce document, parrainé et défendu bec et ongles par les néoconservateurs américains, exhortait les Etats-Unis à se maintenir à la première place, à contrôler étroitement ses rivaux et à entraver leurs ambitions de prendre un jour la relève.
Aujourd’hui, le document en question est enterré, non seulement parce qu’il fait honte à ses auteurs, mais surtout pour les désastres qu’il a causés au pays pour avoir donné une fausse idée des capacités américaines de dominer le monde et de la disposition de celui-ci à se faire apprivoiser par Washington.
Paradoxalement, c’est en suivant à la lettre les recommandations contenues dans « The New American Century » que les Etats-Unis se sont affaiblis politiquement, stratégiquement, militairement et financièrement. Les guerres menées à dix mille kilomètres du territoire américain, loin de démontrer l’omnipotence américaine, ont été fatales pour les ambitions planétaires de Washington. Ces erreurs stratégiques ont ouvert la voie à l’émergence de petites et moyennes puissances sur la scène mondiale qui n’hésitent plus à contester la primauté des Etats-Unis en faisant prévaloir leurs propres agendas et en ayant en tête avant tout leurs propres intérêts.
Il est rare de voir des changements aussi importants intervenir en si peu de temps, comme ceux intervenus en cette première décennie du XXIe siècle. On est passé en dix ans d’un système unipolaire avec une seule puissance dominant le monde et se donnant carte blanche de faire tout ce qu’elle veut, à un système multipolaire où des puissances d’envergure mondiale (Chine) ou régionale (Inde, Brésil, Turquie, Afrique du sud), mettant à profit le déclin américain, se frayent leur propre chemin dans le monde.
Quelles sont les conséquences de cette nouvelle configuration internationale pour la paix et la stabilité dans le monde ? Les événements dramatiques de cette décennie qui tire à sa fin ont largement démontré les dangers mortels que comporte la trop grande liberté que s’accorde une seule puissance de façonner le monde en fonction de ses intérêts, ou plutôt de ce qu’elle croit être ses intérêts, et en fonction des lubies de pseudo intellectuels se prenant pour de grands stratèges. Les résultats sont terrifiants : des pays entiers déstabilisés, des morts et des blessés qui se comptent par millions, montée sans précédent de l’instabilité et de l’insécurité, développement spectaculaire du terrorisme, le tout étant le résultat logique de l’action de politiciens suffisamment myopes pour ne rien voir des dangers évidents que comporte le document stratégique « The New American Century ».
Paradoxalement aussi, le déclin américain est dans l’intérêt même des Etats-Unis qui, ayant démontré leur incapacité à mettre en place une politique mondiale bénéfique pour tous, n’ont même pas su profiter eux-mêmes de leur puissance sans précédent. La principale leçon tirée de cette décennie vieillissante est que moins les Etats-Unis sont puissants, moins ils se font du mal à eux-mêmes et aux autres et plus le monde se porte mieux.
La seconde décennie du siècle qu’on entamera dans quelques mois sera en principe meilleure que celle-ci. Cet optimisme est motivé par la multipolarité que l’on souhaite voir renforcée au fil des ans. Une multipolarité qui devrait se poser en modératrice des ardeurs belliqueuses des uns et des autres.
Pour ce qui nous concerne en premier lieu en tant qu’Arabes, c'est-à-dire le conflit du Proche-Orient, la seconde décennie du siècle devrait être déterminante pour deux raisons : 1- En plus du déclin américain qui devrait réduire le poids immobilisateur de Washington sur le conflit, la relation entre les Etats-Unis et Israël est en train de se dégrader lentement mais sûrement. 2- L’émergence de la Turquie en tant que puissance de moins en moins tournée vers l’Occident et de plus en plus tournée vers l’Orient, devrait engendrer un nouvel équilibre régional, d’autant plus défavorable à Israël que les relations entre Tel Aviv et Ankara sont en pleine décomposition.
Ces deux données fondamentales ne peuvent pas rester sans effet sur le comportement futur d’Israël. Ayant perdu un grand allié régional (la Turquie), et de moins en moins assuré de la pérennité de sa relation privilégiée avec les Etats-Unis, ce pays se trouvera dans la prochaine décennie dans un isolement qu’il n’a jamais connu depuis sa création. Les conditions internationales qui ont jusqu’à présent protégé Israël en dépit de son arrogance, de son agressivité et son mépris du droit international ne seront plus les mêmes, et le monde n’aura plus de raisons pour lui accorder un statut particulier ni pour tolérer l’impunité dont il a bénéficié pendant plus de quatre décennies d’affilée. La seconde décennie du siècle sera sûrement meilleure.

Monday, June 28, 2010

Le dernier anachronisme de la guerre froide

Il y a 60 ans, le 25 juin 1950 exactement, la Corée du nord envahissait la Corée du sud, déclenchant un conflit extrêmement meurtrier. Entre trois et quatre millions de morts, selon les diverses estimations. Séoul, la capitale du sud, tomba en trois jours entre les mains des communistes, et ne sera libérée que le 2 octobre 1950.
En franchissant le 38eme parallèle (frontière politique entre les deux pays), les troupes nord-coréennes, sans s’en douter peut-être, déclenchaient le premier conflit chaud de la guerre froide, pour ainsi dire. Un conflit atroce qui dura un peu plus de trois ans et dans lequel étaient impliquées les forces de l’ONU (composées de troupes essentiellement américaines) à côté des Sud-Coréens, et l’Union soviétique et la jeune République populaire chinoise, âgée d’à peine un an, à côté des Nord-Coréens.
L’armistice fut signé le 27 juillet 1953 dans le village de Panmunjom, situé dans la ligne de démarcation. Mais l’armistice n’étant pas un traité de paix, les deux Corées sont jusqu’à ce jour officiellement en état de guerre, ce qu’elles n’ont pas manqué de démontrer de temps à autre. Le dernier épisode de cette guéguerre est l’attaque en mars dernier, attribuée à Pyongyang par une commission d’enquête internationale, contre une corvette sud-coréenne, causant la mort de 46 soldats.
La division persistante de la péninsule coréenne est sans doute le dernier anachronisme hérité de la guerre froide. Un anachronisme qui a la peau dure, car cela fait 21 ans maintenant que le mur de Berlin s’est écroulé, et avec lui tout l’ordre politique et social de la guerre froide, sauf la division de la Corée en deux pays distincts, deux peuples distincts et deux systèmes politiques antinomiques.
Le plus saisissant est l’évolution suivie par les deux pays depuis leur division au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Cette évolution a abouti en un peu plus d’un demi siècle à la transformation de la Corée en deux pays, l’un développé, l’autre figé, et deux peuples, l’un dynamique et entreprenant, l’autre ligoté par les chaînes d’une idéologie qui a fait largement les preuves de sa stérilité. Deux pays si différents l’un de l’autre qu’il est difficile de croire qu’il y a quelques décennies, ils formaient une unité politique, géographique et démographique unique.
L’évolution de la Corée du sud est remarquable. Il y a un demi siècle, ce pays était pauvre et arriéré. Un pays où la principale force laborieuse était formée par les paysans, et le principal lieu de travail, les rizières.
Aujourd’hui, ce pays est à la pointe du développement économique dans le monde avec une production industrielle riche et variée et une agressivité commerciale que lui envient plusieurs vieilles démocraties industrielles.
Comparée à la Corée du sud, la Corée du nord donne l’impression d’appartenir à une autre époque, pour ne pas dire une autre planète. Nul ne sait ce que le pays produit, ni ce que les gens consomment, ni comment ni de quoi ils vivent. Apparemment, la chose qui compte plus que tout à Pyongyang est la continuité du pouvoir en place et de sa pérennité, sans que ceux qui sont aux commandes n’aient la moindre intention de se pencher un jour sur le bilan de 60 ans de règne communiste.
Alors que la Corée du sud construisait les usines de toutes sortes et les chantiers navals de toutes tailles, la Corée du nord ne s’intéressait qu’au développement militaire, accumulant l’armement et se dotant de l’arme nucléaire.
Il est vrai que la Corée du sud a eu la chance d’être l’alliée privilégiée de grandes puissances industrielles et démocratiques, les Etats-Unis et le Japon, qui l’ont énormément aidée. Grâce à la compétition féroce entre les deux camps de la guerre froide, la Corée du sud a bénéficié des investissements et des transferts technologiques qui lui ont permis de se frayer un chemin et de s’imposer comme l’un des grands fournisseurs de voitures, de navires et d’une infinité de produits électriques et électroniques dans le monde.
L’unique soutien de la Corée du nord est la Chine. Dirigée par un parti communiste, la Chine est en passe de devenir la deuxième puissance économique du monde. Et si elle a réussi un tel exploit, c’est parce qu’elle a fini par adopter le modèle économique sud-coréen après avoir essayé pendant des années le statisme idéologique et social, toujours en vigueur en Corée du nord. Pourtant, c’est ce pays qui bénéficie de l’aide économique et du soutien politique de la Chine. L’un des mystères politiques de l’Extrême-Orient est cette relation privilégiée qui relève de l’alliance stratégique entre un pays aussi dynamique et entreprenant que la Chine et un pays aussi statique et figé que la Corée du nord.
Comment expliquer ce statisme nord-coréen ? Certains estiment qu’il est intimement lié à l’évolution du système politique dans un sens dynastique, où le pouvoir politique se transmet de père en fils. Le fondateur de la Corée du nord, Kim il-Sung a transmis le pouvoir à son fils Kim Jong-il et celui-ci, à 68 ans et avec une santé fragile, s’apprêterait, selon la presse internationale, à transmettre à son tour le pouvoir à son fils Kim Jong-un.
Samedi dernier, l’agence officielle nord-coréenne a rendu publique l’information suivante : « Le bureau politique du comité central du Parti des travailleurs de Corée a décidé de réunir début septembre (...) un congrès du parti afin d'élire sa direction en fonction des
nouvelles exigences du PTC. »
C’est sans doute le caractère à la fois laconique et mystérieux de cette information qui a relancé les spéculations sur la santé de Kim Jong-il et sur son éventuel remplacement par son troisième fils, Kim Jong-un, âgé seulement de 27 ans. Si la tendance dynastique se confirme encore une fois, beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant que le dernier anachronisme de la guerre froide ne s’évanouisse, et avant que le rêve d’unité des Coréens ne se réalise.

Saturday, June 26, 2010

"Pour chaque innocent tué, vous vous faites dix ennemis"

Il est difficile pour le président d’un pays de la taille et de l’importance des Etats-Unis de laisser un général manquer de respect et tourner en dérision l’équipe présidentielle. En général, l’une des règles de base des systèmes politiques est la soumission de la hiérarchie militaire au pouvoir civil. Quand cette règle est remise en question, surtout en temps de guerre, le président est tenu d’agir, et c’est ce que Barack Obama a fait en limogeant le général McChrystal, le commandant des forces alliées en Afghanistan.
Cependant, on peut se demander si le limogeage de ce général est vraiment lié aux quelques commentaires sarcastiques qui lui étaient attribués par le magazine « Rolling Stone » ? Après tout, le général McChrystal a été convoqué à la Maison blanche pour s’expliquer, et non seulement il s’est expliqué, mais il a présenté des excuses publiques. Rien n’interdisait à Obama d’accepter ces excuses, mais il ne l’a pas fait, et il a choisi le limogeage.
Une chose est certaine : si l’establishment américain était content du travail du commandant des forces alliées en Afghanistan, McChrystal n’aurait jamais été viré. Sa gestion de la guerre d’Afghanistan est de plus en plus contestée à Washington et la Maison blanche est de plus en plus mal à l’aise avec l’aggravation de la situation sur le terrain afghan. Si Obama l’avait limogé avant, cela aurait été perçu comme une reconnaissance que la guerre était sur le mauvais chemin, ce qui ne manquerait de se répercuter négativement sur le moral des troupes alliées et positivement sur celui des talibans. Il y a lieu de rappeler ici que, il y a juste un an, le général David McKiernan était évincé et remplacé par le général Stanley McChrystal…
Dans ce sens, on peut dire qu’au fond, les commentaires sarcastiques du général McChrystal sont un bienfait pour la Maison blanche plutôt qu’une gifle, dans la mesure où ils ont donné le prétexte à Obama de se débarrasser d’un général encombrant, tout en évitant la situation embarrassante qu’aurait causée sa reconnaissance que le choses en Afghanistan vont de mal en pis à un an du début du retrait programmé des troupes américaines.
En effet, la situation en Afghanistan va de mal en pis et s’est dramatiquement aggravée depuis l’arrivée du général McChrystal. Si le nombre des morts parmi les civils afghans a baissé, grâce notamment à la directive de la « retenue courageuse », imposée aux éléments des armées alliées qui ont la gâchette facile, le nombre des morts parmi les soldats de la coalition n’a jamais été aussi élevé. Ce mois de juin est le plus sanglant pour les troupes de l’Otan depuis le déclenchement de la guerre en octobre 2001. Et ces derniers mois, l’intensification des attaques des talibans contre les troupes étrangères est sans précédent, ce qui montre une meilleure organisation de l’insurrection, un armement plus sophistiqué et un moral plus élevé qu’avant l’arrivée de McChrystal.
Des militaires familiers avec le « cercle restreint » du général McChrystal ont commencé à parler anonymement pour dénoncer les « dérives » du commandement des troupes alliées en Afghanistan. Un militaire cité par la presse américaine décrit McChrystal et ses collaborateurs comme étant « un cercle très étroit de gens qui font tout ensemble, y compris se soûler. » Une autre source affirme que « McChrystal s’est entouré de béni-oui-oui » et n’hésite pas à expulser de son entourage « quiconque émet des critiques » sur la stratégie suivie.
Il est difficile de juger si ce qui se dit sur McChrystal est vrai ou relève de la médisance, car le chef des forces alliées en Afghanistan s’est fait beaucoup d’ennemis au sein de l’armée et au sein de l’administration Obama pour plusieurs raisons. Ses ordres aux soldats d’appliquer strictement la politique de la « retenue courageuse » ne sont pas du goût de tout le monde. Plusieurs critiques ont été émises, y compris par les soldats pour qui cette « retenue forcée » met leur vie « en danger ».
Mais le général McChrystal a fortement réduit aussi les raids aériens dans les zones peuplées de civils et les raids nocturnes contre les maisons afghanes, estimant à juste titre que « tuer les insurgés ne justifie pas l’aliénation des populations locales ». De là à faire assumer la responsabilités des revers de l’Otan en Afghanistan à la politique de la « retenue courageuse » de McChrystal, il n’y a qu’un pas que beaucoup ont franchi au Pentagone. On comprend donc que McChrystal compte plus d’amis au sein du gouvernement afghan qu’au sein du gouvernement américain. On comprend aussi la grande consternation qu’a provoquée ce limogeage parmi les responsables afghans, et le grand soulagement parmi les responsables américains.
Mais ce n’est pas tout. McChrystal est pointé du doigt également pour l’échec de l’offensive de Marja, dans la province de Helmand, engagée au printemps dernier, et ayant pour but de « nettoyer » cette ville des insurgés. L’offensive n’a rien nettoyé du tout puisque les talibans sont plus présents que jamais à Marja. Enfin, il est reproché à McChrystal d’avoir ajourné l’offensive prévue cet été contre les talibans dans leur fief, Kandahar.
On voit bien que les choses sont beaucoup plus compliquées que les simples commentaires sarcastiques proférés par le chef des forces alliées en Afghanistan et son « cercle restreint ». Quand on sait que les vues du général David Petraeus sur la guerre d’Afghanistan sont plus proches de celles de l’administration Obama que de celles du général Stanley McChrystal, on ne s’étonnera pas des derniers changements opérés par le président américain et qui, on le voit, ne peuvent pas être motivés simplement par des commentaires un peu sarcastiques publiés par un magazine obscur inconnu de la plupart des Américains.
Beaucoup d’observateurs prévoient l’annulation par Petraeus de la politique de « la retenue courageuse » imposée par son prédécesseur. Si tel est le cas, il est fort probable que le nombre des morts parmi les civils innocents augmentera dramatiquement. Le nombre des insurgés beaucoup plus encore. Car, même les ennemis de McChrystal ne peuvent honnêtement contester la sagesse de la mise en garde qu’il adressait à ses soldats : « Pour chaque innocent tué, vous vous faites dix ennemis. »

Wednesday, June 23, 2010

La paix en Afghanistan aux calendes grecques

L’une des règles de base de la guerre est que les belligérants s’emploient à couper les sources de financement et d’armement de l’ennemi. C’est un effort fondamental que les parties en conflit sont tenues de déployer, si elles veulent abréger la durée de la guerre et s’assurer la victoire.
Mais ce n’est pas une chose facile à réaliser, tellement les sources de financements des conflits dans le monde sont innombrables, complexes et difficiles à identifier, surtout quand il s’agit de guérillas et de mouvements insurrectionnels. Les Etats-Unis, par exemple, ont toutes les peines du monde à suivre la trace de l’argent utilisé par Al Qaida. C’est parce qu’ils ne sont pas arrivés à identifier pleinement les canaux utilisés par l’argent destiné à cette organisation terroriste, que des attentats, parfois très dévastateurs, sont toujours commis un peu partout dans le monde.
Et précisément, c’est en répondant à l’attentat le plus dévastateur de l’histoire du terrorisme, celui du 11 septembre 2001, que les Etats-Unis ont déclenché leur guerre contre l’Afghanistan, renversant en quelques jours le régime des talibans établi alors à Kaboul. Neuf ans après cette intervention, les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan sont englués jusqu’au cou dans le bourbier afghan.
Spécialistes, experts ou simples citoyens, tout le monde est étonné face au puzzle afghan. Comment se fait-il que les armées les plus puissantes du monde accumulent-elles les échecs et les revers face à une insurrection composée de va-nu-pieds ?
Plusieurs raisons ont été avancées : la désastreuse intervention en Irak qui a permis aux talibans de se réorganiser ; l’incapacité des forces étrangères de gagner la confiance des populations locales ; les bavures à répétition qui ont fait des centaines de morts parmi les civils, facilitant substantiellement la tâche des insurgés en terme de recrutement...
Une autre raison fait aujourd’hui l’objet d’un grand débat dans les instances politiques et les médias américains. Une raison qui montre le degré d’absurdité atteint par la guerre d’Afghanistan. Non seulement les Etats-Unis n’ont pu assécher les sources de financement des talibans, mais ils viennent de se rendre compte que, sans le vouloir bien sûr, ils financent eux-mêmes depuis Dieu sait combien de temps l’insurrection qu’ils tentent d’étouffer.
Selon l’enquête du sous-comité de la sécurité nationale de la Chambre des représentants, « l’argent du contribuable américain fait son chemin jusqu’aux talibans ». Les compagnies de transport afghanes qui approvisionnent les bases américaines et celles de l’Otan, ne pouvant assurer la sécurité des convois, ont recours systématiquement à la pratique des pots de vin qu’ils versent aux chefs de guerre. Ceux-ci, à leur tour, versent une partie de l’argent aux talibans en contrepartie de leur promesse de ne pas attaquer les convois.
D’après cette enquête, les sommes en question sont faramineuses. Elles atteignent 4 millions de dollars par semaine. De prime abord, ce montant parait très élevé. Mais quand on sait le montant du contrat qui lie les transporteurs afghans au Pentagone et qui s’élève à 2,1 milliards de dollars, quand on sait qu’il y a deux cents bases militaires à travers tout le pays à approvisionner, quand on sait que pas une seule route empruntée par les convois n’est sécurisée, on comprend qu’une somme aussi grande soit versée chaque semaine. On comprend aussi le désir des talibans d’empocher une partie de cet argent, d’autant plus précieux qu’il provient directement de l’ennemi qu’ils combattent.
Honnêtement, il est difficile de blâmer les transporteurs qui n’ont aucun autre moyen d’assurer la sécurité des convois qui circulent jour et nuit sur les routes dangereuses d’un pays anarchique. Les enquêteurs de la Chambre des représentants ont mis le doigt directement sur la plaie : « le vrai problème réside dans le fait que l’armée américaine paie les transporteurs pour la distribution des approvisionnements à travers l’Afghanistan, mais leur laisse l’entière responsabilité de protéger les convois. »
Ce qui étonne en fait, ce n’est pas que les transporteurs afghans soudoient les seigneurs de guerre et les commandants de milices privées, mais que les stratèges de Pentagone n’aient pas prévu que dans un pays aussi anarchique que l’Afghanistan, il y a seulement deux moyens de protéger les convois d’approvisionnement : soit l’escorte armée, soit les pots de vin. Les transporteurs ne pouvant se procurer une escorte armée pour chaque convoi, il était donc inévitable qu’ils aient recours aux pots de vin.
Cette énième bourde américaine en Afghanistan n’a pas seulement pour conséquence de contribuer au financement de l’insurrection par l’argent du contribuable américain, mais elle est en train de semer les graines de futures instabilités et de futures anarchies qui ne manqueront pas d’éclater dès le départ des troupes américaines et de l’Otan. Comment peut-il en être autrement quand de nombreux seigneurs de guerre et de commandants de milices sont assis sur des fortunes qui se comptent en millions de dollars ?
Dans un pays où l’anarchie fait rage depuis plus d’un tiers de siècle, on peut être sûr que les seigneurs de guerre ne démobiliseront jamais leurs milices pour se transformer en investisseurs et en agents économiques. Ils continueront à défendre leur fief, comme le prévoient les enquêteurs de la Chambre des représentants, bien après le départ des troupes étrangères. Et la paix en Afghanistan dans tout ça ? Renvoyée aux calendes grecques.

Tuesday, June 22, 2010

L'histoire se répète au Kirghizistan

Les médias internationaux ont « couvert » les événements sanglants du Kirghizistan comme étant des affrontements ethniques opposant Ouzbeks et Kirghizes. Les choses sont un peu plus compliquées. L’irruption de violence dans cette ex-république soviétique d’Asie centrale a été aussi soudaine que dévastatrice, les morts et les blessés se comptant par milliers.
Il y a cinq ans, les projecteurs de l’actualité internationale étaient aussi braqués sur ce pays montagneux d’Asie centrale. Les élections législatives avaient alors mal tourné, car le président de l’époque, Akaiev, avait tenté d’imposer une majorité de son choix au mépris du suffrage universel. C’était le début de la « révolution des tulipes » qui avait provoqué la fuite d’Akaiev et l’arrivée au pouvoir de Bakiev.
L’histoire se répète donc, puisqu’on assiste depuis deux ou trois semaines à des événements similaires, mais beaucoup plus sanglants que ceux de 2005. L’ancien président Bakiev a pris la route de l’exil empruntée par son prédécesseur, et le gouvernement provisoire dirigé par Roza Otoumbaeva tente désespérément de ramener l’ordre dans le pays afin de procéder au référendum constitutionnel qui devrait le légitimer.
La coloration ethnique qu’on a voulu donner aux affrontements du Kirghizistan n’est pas tout à fait conforme à la réalité. Tout d’abord, Kirghizes et Ouzbeks ont toujours vécu côte à côte sinon harmonieusement, du moins pacifiquement ; peu de différences culturelles distinguent les deux ethnies. Ensuite, au cours des événements sanglants, dans les quartiers mixtes, Ouzbeks et Kirghizes ont mis sur pied des milices mixtes pour s’opposer aux bandes armées et aux bandits qui terrorisaient les populations civiles. Sans parler des familles kirghizes qui ont caché leurs voisins ouzbeks. Enfin, les snipers repliés sur les toits tiraient sur les passants indistinctement et indépendamment de leur appartenance ethnique.
Certes, près d’un demi million d’Ouzbeks ont fui et se sont massés sur la frontière d’Ouzbékistan. Mais dans les situations d’insécurité extrême, une simple rumeur peut secouer des villes entières, provoquer des dégâts considérables et avoir de graves conséquences sur les mouvements des populations.
A la question classique : « à qui profite le crime ? », les doigts accusateurs sont pointés actuellement vers Kourmanbek Bakiev qui se trouve en Biélorussie. Il est accusé d’avoir fomenté les troubles pour préparer son retour au pouvoir.
Le cas de présidents qui viennent au pouvoir à la faveur de mouvements sociaux et qui, au lieu de remettre le pays au travail, font pire que leurs prédécesseurs, n’a rien de surprenant. Kourmanbek Bakiev a tout fait pour se faire détester à la fois par son propre peuple et par les deux puissances présentes dans la région, les Etats-Unis et la Russie.
Par sa politique économique et sociale désastreuse, l’ancien président a mobilisé contre lui à la fois l’opposition organisée et la « rue kirghize », ce qui l’a obligé à quitter tout à la fois le pouvoir et le pays.
Sa politique envers Moscou et Washington n’était pas moins désastreuse. Sa chute a été accueillie avec un certain soulagement, même si les Russes et les Américains ne cachent pas leur inquiétude face au risque de contagion de l’instabilité dans toute l’Asie centrale.
Bakiev a perdu la confiance de Moscou et de Washington par sa duplicité qui ne peut s’expliquer que par la cupidité et le désir d’encaisser l’argent à n’importe quel prix. Il a encaissé une partie des deux milliards de dollars d’argent russe en contrepartie de sa promesse de fermer la base américaine de Manas. Mais au lieu de concrétiser sa promesse, il a fait volte-face en renégociant le loyer de la base en question, vitale pour la guerre en Afghanistan. N’ayant guère le choix, Washington a accepté de payer 66 millions de dollars par an, au lieu de 17 millions précédemment. Prenant les Russes pour des enfants de chœur, Bakiev a cru pouvoir les berner en changeant le nom de la base de Manas qui devient « Centre de transit » des forces américaines vers l’Afghanistan.
La colère des Russes est légitime, et l’on comprend leur soulagement de voir renversé le président kirghize, accusé de « trahison » par Moscou. Cependant, en dépit des appels pressants à l’aide de la part de la présidente par intérim, Roza Otoumbaeva, la Russie n’est pas intervenue pour aider à faire régner l’ordre.
Deux éléments expliquent la réticence des Russes à intervenir pour aider les ennemis de leur ennemi renversé. D’abord la base russe de Kant et les 500.000 citoyens russes se trouvent au nord du pays, loin des troubles qui affectent quasi-exclusivement le sud. Ensuite, l’armée russe ne peut pas oublier sa calamiteuse intervention dans la guerre civile qui a ensanglanté le Tadjikistan entre 1992 et 1997. N’ayant pu s’interposer entre les factions rivales, l’armée russe, sans le vouloir, s’était trouvée impliquée dans cette terrible guerre civile qui a fait entre 50.000 et 100.000 morts.
La lutte d’influence entre Américains et Russes au Kirghizistan est suspendue par les troubles actuels. Elle reprendra sans aucun doute dès la normalisation de la situation. Le prochain gouvernement kirghize se trouvera indiscutablement tiraillé entre les sollicitations de Washington d’une part, et celles de Moscou de l’autre. Sa chance consiste à tirer les leçons des erreurs des deux gouvernements précédents d’Akaev et de Bakiev. Sa survie est liée à une politique sociale et économique appropriée d’abord, et à l’abandon de la duplicité dans sa politique d’octroi des bases étrangères. Autrement, les Kirghizes se retrouveraient, peut-être en 2015, avec les mêmes événements sanglants qu’ils ont vécus ces dernières semaines.

Saturday, June 19, 2010

La Turquie, nouvelle cible des néocons

Il n’y a pas si longtemps, l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee), le lobby israélien le plus puissant aux Etats-Unis, défendait bec et ongles la Turquie. C’était le seul pays musulman qui était en odeur de sainteté au sein de cette organisation. Sans l’appui de ce lobby à Ankara, le Congrès américain aurait voté depuis longtemps la résolution exigée par les Arméniens concernant les événements de 1915 que ceux-ci appellent « génocide », ce que les Turcs contestent.
Le lobby arménien avait bataillé longtemps pour convaincre le Congrès de voter une résolution, sans trop de succès. Il a fallu attendre le 4 mars dernier pour que la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine adopte une résolution qualifiant de « génocide » le massacre d’Arméniens par les forces ottomanes au début du XXe siècle, et ce en dépit des fortes pressions de la Maison blanche et du gouvernement turc de l’en dissuader.
On croyait naïvement que la « protection » dont bénéficiait Ankara au Congrès jusqu’au 4 mars dernier, était dû à son statut particulier d’allié stratégique des Etats-Unis et de pilier de l’Otan. On croyait aussi que l’échec des nombreuses tentatives de voter une telle résolution était dû aux pressions exercées par la Maison blanche pour qui, et c’est normal, la relation avec la Turquie importe beaucoup plus que la volonté de certains parlementaires de coller un adjectif qualificatif à des événements qui se sont déroulés il y a un siècle.
On se rend compte maintenant qu’il n’en est rien et que les pressions auxquelles étaient sensibles les élus du Congrès n’étaient ni celles de la Maison blanche, ni celle du gouvernement turc. C’était l’AIPAC qui, durant des années, s’était opposé aux pressions du lobby arménien et donnait des consignes aux parlementaires américains de ne pas céder aux pressions du lobby arménien.
Le revirement du lobby israélien est maintenant clair. Il était visiblement ulcéré par la politique turque qui, en s’éloignant progressivement d’Israël, remettait en question chaque jour un plus la « relation stratégique » israélo-turque. Du refus de laisser les troupes américaines attaquer l’Irak à partir du territoire turc, jusqu’au grave incident du bateau de la paix attaqué par Israël au large de Gaza, en passant par le rapprochement entre Ankara d’une part, les pays arabes et l’Iran d’autre part, rien dans ce que fait ou dit le gouvernement turc ne semble plaire au Lobby.
Celui-ci, qui semble avoir perdu tout espoir de voir les relations Israël-Turquie « réparées », s’est transformé en une force anti-turque aux Etats-Unis et a commencé un travail de sape en mobilisant les médias et les plumes du courant néoconservateur. Les représentants de ce courant, qui tiennent les rênes du Wall Street Journal, du Weekly Standard et de la National Review, ont maintenant une nouvelle cible contre laquelle ils se déchaînent avec virulence quasi-hystérique.
Ceux qui hier « protégeaient » la Turquie contre une simple résolution pro-arménienne, ont non seulement donné leur feu vert au Congrès pour aller de l’avant, mais ont engagé une campagne qui vise à exclure ce pays de l’Otan. Le Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA), un pilier du néoconservatisme américain, a soutenu dans son dernier rapport que « la Turquie, en tant que membre de l’Otan, est en possession d’informations secrètes relatives au terrorisme et à l’Iran. Si la Turquie estime que ses meilleurs amis sont l’Iran, la Syrie, le Hamas et le Brésil, alors la sécurité des secrets de l’Otan n’est plus assurée. Par conséquent les Etats-Unis devraient suspendre leur coopération militaire avec la Turquie, comme prélude à son exclusion de l’Otan. »
Deux des principaux inspirateurs de cette idée néoconservatrice ne sont autres que Richard Perle et John Bolton, l’un et l’autre sont connus pour leur lourde responsabilité dans le désastre irakien. Et si hier ils ont été parmi les plus grands défenseurs de l’occupation de l’Irak, ils se tournent aujourd’hui vers l’Iran et ne cachent pas leur désir de voir ce pays détruit à son tour.
Malgré les conséquences terrifiantes de la guerre d’Irak, ces deux personnages sont donc toujours actifs et toujours à la recherche de pays-cibles à déstabiliser. Le critère est bien sûr la nature de la relation avec Israël. Aussi longtemps que la Turquie était l’amie de l’Etat juif, Ankara avait la paix aux Etats Unis. Maintenant, elle fait partie clairement des pays-cibles que les néocons américains souhaitent voir déstabilisés.
La campagne anti-turque est engagée et tourne à plein régime dans les médias néoconservateurs. Voici un échantillon de cette campagne relevé dans le Wall Street Journal : « Un mélange de gouvernement islamiste, de ressentiment d’avoir été exclue de l’Europe et d’idéologie néo-ottomane qui veut faire de la Turquie une grande puissance au Moyen-Orient, a transformé ce pays non seulement en un Etat hostile à Israël, mais aussi aux intérêts et aux objectifs américains. » D’une pierre deux coups, comme d’habitude : s’en prendre à quiconque ose initier une politique qui ne plait pas à l’Etat juif, et entretenir l’illusion que les intérêts des Etats-Unis et ceux d’Israël sont intiment liés.

Wednesday, June 16, 2010

Leçons intéressantes de la crise iranienne

Généralement, les 15 membres du Conseil de sécurité (5 permanents et 10 temporaires), savent avant le vote d’une résolution si elle va être votée ou non, et si elle va bénéficier de la force symbolique de l’unanimité ou pas, et en cas d’absence d’unanimité, combien vont voter pour et combien contre. Tout se règle (ou échoue) dans les coulisses, de telle sorte que les initiateurs d’un projet de résolution ne le soumettent au vote que s’ils sont sûrs qu’il n’y ait pas de veto de l’un des membres permanents et qu’il y ait au moins neuf voix pour (les cinq permanents plus quatre non permanents).
Les grandes puissances cherchent naturellement les succès diplomatiques, mais elles sont aussi soucieuses de leur réputation et de leur honneur. Elles ressentent comme un camouflet tout projet refusé après avoir été présenté et défendu. La résolution 1929 aggravant les sanctions contre l’Iran n’a pas échappé à cette règle. Ses promoteurs américains ont déployé de grandes énergies dans les coulisses pour assurer son vote, mais ont échoué à lui assurer la force symbolique de l’unanimité, d’où les critiques directes, et parfois acerbes, de l’administration Obama contre les Turcs et les Brésiliens.
Mais en feignant l’urgence du dossier iranien, les Etats-Unis ont-ils seulement en tête l’Iran. Pas si sûr. Face à l’accumulation des problèmes intérieurs et extérieurs, le pouvoir fédéral américain est à la recherche du moindre succès à faire valoir non seulement vis-à-vis des citoyens (les élections du mi-mandat sont pour novembre prochain), mais vis-à-vis de l’étranger aussi pour prouver que les Etats-Unis sont toujours influents sur la scène mondiale.
Influents, sans doute ils le sont toujours, puisqu’ils ont pu convaincre la Russie et la Chine de voter une résolution qu’elles étaient réticentes à voter. Il est difficile de croire que Moscou et Pékin ont voté la résolution 1929 parce que l’Iran représente un danger pour la sécurité mondiale, comme veut le faire croire la propagande occidentale. Russes et Chinois savent pertinemment les motivations profondes de l’activisme anti-iranien des Etats-Unis. Et ceux-ci ne peuvent ignorer les raisons réelles qui ont amené ceux-là non seulement à ne pas faire usage de leur droit de veto, mais à voter pour.
Dans ce genre de marchandage, la dernière chose que les acteurs prennent en compte est l’objet même de la résolution, c'est-à-dire le « danger nucléaire » que représenterait l’Iran. Certes, on ne sait rien des promesses américaines faites en coulisse à la Chine et à la Russie, ni des exigences de celles-ci comme prix de leur vote de la résolution. Cependant, une chose est certaine : Russes et Chinois ont dû se livrer à une opération d’addition des avantages et des inconvénients, en termes économiques et stratégiques, engendrés par le vote positif de la résolution. Ils ont dû aussi faire la même opération d’addition des avantages et des inconvénients qu’engendrerait un vote négatif. Visiblement, la balance a penché, aussi bien à Pékin qu’à Moscou, pour le vote positif.
En dernière analyse, on peut dire que les nouvelles sanctions imposées aux Iraniens sont moins le résultat de la politique nucléaire de Téhéran que les conséquences d’un jeu stratégique classique auquel se livrent des puissances rivales dans un monde de plus en plus multipolaire, chacune tentant de grignoter sur les plates-bandes des autres.
Une autre leçon intéressante de la crise iranienne est qu’elle a révélé de nouveaux acteurs régionaux, le Brésil et la Turquie, déterminés à prendre leur distances des grands pouvoirs pour décider eux-mêmes de la politique à suivre sur la scène mondiale. Il n’y a pas si longtemps, la Turquie et le Brésil entérinaient sans discuter tout ce qui se décidait à Washington. Maintenant, ils se frayent leur propre chemin et décident de la marche à suivre, même si elle est à contre-courant de la politique décidée à la Maison blanche.
En tant que petits pôles émergeants dans le jeu politique international, la Turquie et le Brésil n’ont pas eu la force de faire échouer la politique anti-iranienne des « grands », mais sont arrivés à la perturber. En jouant les voix dissonantes, Ankara et Brasilia ont non seulement agacé Washington, mais ont surtout réussi à priver la résolution 1929 de l’unanimité ardemment désirée par les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne. Conséquence : avec l’opposition de la Turquie et du Brésil et l’abstention du Liban, la résolution anti-iranienne est loin d’être unanime, ce qui réduit substantiellement sa force symbolique et son autorité morale.
L’Iran peut-il tirer profit de l’émergence de ces petits pôles impatients de jouer un rôle sur la scène mondiale ? Sans aucun doute. Surtout que l’un de ces petits pôles, la Turquie, a une frontière commune avec l’Iran et que les deux pays sont déterminés à intensifier leurs échanges économiques et commerciaux.
Mais l’Iran peut aussi jouer sur d’éventuelles contradictions qui pourraient surgir entre les grands pôles. Surtout que le vote d’une résolution ne signifie pas nécessairement que le pays votant a les mains et les pieds liés par les termes du texte approuvé. La réaction officielle de la Chine après son vote positif était que « les nouvelles sanctions de l’ONU visent à ramener l’Iran à la table des négociations et à mettre en place un nouveau round d’efforts diplomatiques », et que « la Chine attache une grande importance à ses relations avec l’Iran qui ne sont pas seulement dans l’intérêt des deux pays, mais dans l’intérêt de la paix, de la stabilité et du développement dans la région. »
Une lecture entre les lignes de cette réaction, prouve que Pékin n’a pas voté la résolution 1929 par conviction, mais désir par de ménager la chèvre et le chou, comme on dit, par souci de garder deux fers au feu, ce qui n’est guère étonnant de la part d’une puissance de la taille de la Chine qui a d’immenses intérêts à préserver.

Monday, June 14, 2010

Guerre pacifique entre les nations

Généralement, les hommes savent quand ils déclenchent une guerre, mais ne savent jamais quand ils la terminent. Si l’on prend seulement les exemples des deux guerres mondiales, des guerres du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, on peut soutenir sans craindre la moindre erreur que si les initiateurs de ces tragédies historiques avaient la moindre idée de la durée qu’elles devaient avoir et des conséquences catastrophiques qu’elles devaient engendrer, ils n’auraient jamais pris le risque insensé de les déclencher.
Cependant, il y a un genre particulier de guerres entre les nations que les hommes savent exactement quand elles se déclenchent et quand elles se terminent. Ce sont des confrontations rituelles qui interviennent tous les quatre ans. Les péripéties de ces batailles étaient suivies à travers la radio au début. Avec les progrès assidus de la télévision, ces guerres régulières entre les nations sont suivies passionnément et en direct par des centaines de millions d’êtres humains.
Une autre caractéristique de ces guerres pacifiques (l’oxymore mérite d’être souligné) est qu’elles ne sont pas imposées. Y participer n’est pas donné à tout le monde. Il faut peiner, suer et mériter sa place dans cette confrontation mondiale rituelle. Il faut avoir des généraux compétents et des soldats disciplinés et aguerris pour avoir le privilège d’entrer en guerre contre d’autres nations.
Le but de cette guerre rituelle n’est pas la destruction de l’adversaire ni les gains stratégiques. Il s’agit plutôt de prouver au monde qu’on a les meilleurs soldats sur le champ de bataille gazonné, la meilleure stratégie de défense et les meilleurs plans d’attaque. La meilleure armée est celle qui aura émerveillé le plus les milliards de téléspectateurs, en accumulant les gains et les prestations techniques et artistiques. Elle aura pour récompense un trophée en or massif et un beau chèque qu’elle tirera sur le compte bien garni de la FIFA.
Des fois, cette guerre pacifique prend les caractéristiques d’un clin d’œil à une vraie guerre destructrice. Il est arrivé plus d’une fois que les vaincus des vraies guerres, écrasés par des balles en acier massif, prennent leur revanche en utilisant de simples boules d’air. Et même si la revanche intervient des années, voire des décennies plus tard, cela ne réduit en rien l’intérêt que porte les foules à ce genre de clins d’œil, sachant que, comme dit un adage, la vengeance est un plat qui se mange froid. Deux exemples viennent à l’esprit.
Le premier concerne la guerre de 1812-1814 entre Britanniques et Américains. Une vraie guerre celle-là avec morts, incendies et destructions infligées par les colons de sa Très Gracieuse Majesté aux insurgés du Nouveau Monde. Au cours de cette guerre, la présidence américaine fut incendiée. Et le gouvernement fédéral de l’époque était si pauvre qu’il ne pouvait rien faire d’autre sinon blanchir à la chaux le centre du pouvoir américain, noirci par le feu britannique. Depuis, la plus célèbre bâtisse de Washington s’appelle la…Maison blanche.
La revanche devait intervenir près de quinze décennies plus tard. La première coupe du monde d’après-guerre s’était tenue au Brésil du 24 juin au 16 juillet 1950. L’équipe britannique, très sûre d’elle, faisait face à la modeste équipe américaine. Celle-ci l’emporta sur celle-là et les Américains respirèrent, quoique un peu trop tardivement, un petit air de vengeance… La surprise fut telle que beaucoup de Britanniques, en lisant le résultat dans les journaux, n’y avaient pas cru, pensant qu’il s’agissait d’une erreur typographique.
Mais le cas le plus intéressant devait intervenir quatre ans plus tard, c'est-à-dire juste neuf ans après la destruction quasi-totale de l’Allemagne par les troupes alliées. La cinquième coupe du monde s’était tenue en Suisse du 16 juin au 4 juillet 1954. La meilleure équipe du monde et la plus favorite était alors la Hongrie. Personne ne pariait un kopek sur l’équipe allemande représentant un pays gravement blessé par cinq ans de guerre, la plus destructrice dans l’histoire de l’humanité.
Et puis la revanche eut lieu. L’Allemagne vaincue, détruite et humiliée reçut contre toute attente le trophée de vainqueur de la guerre pacifique rituelle. Victoire remportée haut la main sur le « champ de bataille » Wankdorf de la capitale helvétique. Cet exploit inattendu est immortalisé par le commentateur allemand du match, Herbert Zimmermann, qui avait un peu forcé sur ses cordes vocales en lançant un cri strident à la fin du match : « Aus, aus, aus, das Spiel ist aus. Deutschland ist Weltmeister » (Fini, fini, fini, le match est fini, l’Allemagne est championne du monde).
Neuf ans après la défaite, les « Fußball-Soldaten » (les soldats du football), comme les qualifiait alors la presse allemande, n’ont pas seulement offert à leur pays une petite consolation sous forme de revanche. Ils ont contribué de manière déterminante à relever le moral d’une nation fortement démoralisée et à l’aider à retrousser les manches pour rebâtir le pays. Le « Wunder von Bern » (le miracle de Berne) avait incontestablement préparé le terrain au miracle économique allemand.
Depuis, l’Allemagne a remporté d’autres trophées (1974 et 1990) et ses «Fußball-Soldaten » sont des habitués du dernier carré des vainqueurs de ces guerres pacifiques rituelles. La confrontation de dimanche entre la « Nationalmannschaft » et l’équipe australienne a montré un haut degré de préparation des « soldats du football » allemand qui tenteront d’égaler le nombre de trophées détenus par le Brésil et l’Italie. Et s’ils remportent leur quatrième trophée, personne ne parlera de miracle, tellement cette victoire semblerait naturelle. Une chose est certaine : la guerre pacifique mondiale, déclenchée en Afrique du sud le 11 juin, se terminera sans l’ombre d’un doute le 11 juillet. Le monde serait beaucoup mieux si les vraies guerres se dotaient d’un calendrier semblable et le respectaient aussi scrupuleusement.

Saturday, June 12, 2010

"Les vrais hommes" restent chez eux...

Il y a quelque chose d’étonnant qui se déroule au sein de l’administration américaine. Il n’y a pas si longtemps, le président Obama avait envoyé une lettre au président brésilien Luis Ignacio Lula da Silva, l’encourageant à aller de l’avant dans ses contacts avec l’Iran dans le but de convaincre ce pays d’accepter la proposition d’échange d’uranium à travers une tierce partie.
Après que le Brésil et la Turquie aient réussi à arracher un accord à l’Iran sur le sujet, ces deux pays ont, à leur grande stupéfaction, été vertement critiqués par la Maison blanche et le département d’Etat. La lettre d’encouragement d’Obama à Lula da Silva ayant été rendue publique par le Brésil, les Etats-Unis, comme si de rien n’était, ont persisté dans leur campagne anti-iranienne, multipliant les pressions, ouvertement et dans les coulisses, jusqu’au vote mercredi dernier de la résolution 1929 du Conseil de sécurité, alourdissant les trois autres trains de sanctions imposés à l’Iran, et dont le premier fut décidé en 2006 sous l’instigation des néoconservateurs qui pullulaient alors au sein de l’administration George W. Bush.
Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un pays comme les Etats-Unis changent d’avis, compte tenu de la complexité des mécanismes de prise de décision qui caractérise Washington et compte tenu aussi du jeu d’influence auxquels se livrent divers courants d’idées et divers groupes d’intérêts. Ce qui étonne en revanche c’est que ce pays se montre assez sûr de son droit au point de ne pas hésiter à demander des comptes et exiger des explications au Brésil et à la Turquie pour leur vote négatif au Conseil de sécurité.
Le moins que ces deux pays puissent faire est de voter contre une résolution imposée par les Etats-Unis et leurs alliés au mépris des efforts, tout à fait louables par ailleurs, déployés par le président brésilien et le Premier ministre turc. En effet, Luis Ignacio Lula da Silva et Recep Tayyip Erdogan ont même fait le déplacement à Téhéran pour donner toutes les chances à un accord avec l’Iran. Que dirait le monde si Brasilia et Ankara votaient en faveur de la résolution 1929 ? « Ç’aurait été déshonorant », a affirmé le Premier ministre turc, et il a raison. Par conséquent quand Washington exprime sa mauvaise humeur et s’arroge le droit de demander des comptes au Brésil et à la Turquie pour leur vote négatif mercredi au Conseil de sécurité, on ne peut que partager la stupéfaction des Brésiliens et des Turcs.
Si l’on en juge par le discours du 4 juin 2009 au Caire dans lequel Obama avait fait l’éloge de la « grande civilisation persane » et avait tendu la main à l’Iran, et si l’on en juge aussi par la lettre adressée aux autorités brésiliennes, les encourageant à attirer l’Iran sur la voie du compromis, on constatera que le président américain était bien disposé à l’égard de l’Iran et voulait en toute bonne foi arriver à un accord diplomatique sur la question du nucléaire iranien. Or, même quand les autorités brésiliennes ont rendu publique la lettre d’encouragement, Obama n’a pas jugé utile de défendre sa position initiale qui se caractérise par la modération et qui se trouve maintenant littéralement submergée par le tintamarre anti-iranien déclenché par des politiciens occidentaux et amplifié par certains médias, américains surtout.
On ne peut s’empêcher de penser que le durcissement de la position d’Obama est dû à son entourage. Certains observateurs y voient la marque de sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, et de son principal collaborateur, Rahm Emanuel, tous deux suffisamment anti-iraniens pour rejeter l’accord signé entre Brasilia, Ankara et Téhéran. D’autres y voient un retour en force de l’influence des néoconservateurs qui ruminent toujours leur frustration de n’avoir pas fait subir le sort de l’Irak à la Syrie et à l’Iran.
Juste après l’effondrement du régime de Saddam Hussein au printemps 2003, une « blague » circulait au sein de ce courant destructeur pour savoir « quelle direction prendre ensuite, la Syrie ou l’Iran ? ». La réponse des plaisantins néoconservateurs était : « Real men go to Teheran » (les vrais hommes vont à Téhéran). Apparemment, ils sont redevenus actifs aux Etats-Unis et sont en train de pousser à nouveau dans le sens de la concrétisation de leur plaisanterie de mauvais goût.
Le signe le plus inquiétant est la réédition de la campagne anti-irakienne de 2002-2003, mais qui vise cette fois l’Iran. Les mêmes journaux qui étaient à la pointe de la campagne contre l’Irak, le New York Times et le Washington Post, mobilisent une fois encore leurs mercenaires de la plume qui se déchaînent contre un pays qui n’a agressé personne, qui n’a occupé personne et dont l’unique tort est d’avoir un régime politique que Washington et Tel Aviv abhorrent.
Pour donner quelques exemples, le New York Times déplore que « le Conseil de sécurité n’ait pas allé très loin dans les sanctions », s’en prend avec virulence à la Turquie et au Brésil qui « se sont laissés manipuler par l’Iran », et le manitou du journal, Thomas Friedman, n’hésite pas à exhorter les Etats-Unis à « tout faire pour aider les démocrates iraniens à renverser Ahmadinejad »…
Le même Thomas Friedman avait exhorté les mêmes Etats-Unis en 2002 à « aider le démocrate Ahmad Chalabi à renverser Saddam Hussein ». On connaît la suite. Le pire des aveugles est celui qui ne veut pas voir, dit le proverbe. On peut ajouter que le pire des politiciens (et des commentateurs) est celui qui ne tire pas les leçons du passé.
Contrairement à ce que disent les néoconseravateurs, « les vrais hommes » ne vont pas à Téhéran, mais restent chez eux et méditent sur les malheurs, à la fois infligés et subis, par leur pays en Irak et en Afghanistan. La vie de tous serait beaucoup mieux, si les Etats-Unis renonçaient à cette mauvaise habitude d’arpenter le monde à la recherche de « monstres à abattre ».

Wednesday, June 09, 2010

La chute brutale de Yukio Hatoyama

Le 16 septembre 2009, Yukio Hatoyama prenait ses fonctions de Premier ministre du Japon. Il sera forcé de démissionner le 3 juin 2010 avec un taux de popularité qui a dégringolé de plus de 70% à moins de 17%. Il n’est pas le seul à avoir passé aussi peu de temps au pouvoir. Déjà Shinzo Abe avait servi juste un an avant de démissionner en septembre 2007. Ses deux successeurs Yasuo Fukuda et Taro Aso avaient servi eux aussi à peu près un an chacun avant d’être forcés de démissionner. Yukio Hatoyama a cédé donc mercredi dernier la place à son ministre des finances, Naoto Kan, choisi par les instances du Parti Démocratique du Japon (PDJ).
La popularité de M. Hatoyama a commencé à prendre la pente descendante peu de temps après sa prise de fonctions. Sa mère, une riche héritière, lui a donné « beaucoup d’argent » pour mener sa campagne électorale, argent apparemment non déclaré au fisc. C’était la première déception des électeurs vis-à-vis de leur nouvel élu.
Les déceptions se sont succédées ensuite au rythme des promesses électorales non tenues. M. Hatoyama avait fait de nombreuses promesses avant son élection : gel jusqu'en 2013 de toute hausse de la taxe sur la consommation ; diminution de 18 à 11% de l'impôt sur les petites et moyennes entreprises ; suppression des péages d'autoroutes et réduction des taxes sur l'essence ; gel de la réforme de la Poste (très impopulaire) ; augmentation du salaire minimum et création d’une retraite minimale garantie; création d'une allocation de 100.000 yens par mois (1400 dinars) pour les sans-emploi ayant épuisé leurs droits au chômage et suivant une formation ; interdiction de l'intérim, et donc de la précarité du travail, dans les usines et beaucoup d’autres promesses qui visent à rétablir la solidarité perdue et éliminer les tares engendrées par « les vents du fondamentalisme du marché », pour reprendre l’expression utilisée par M. Hatoyama au cours de sa campagne électorale. Sans oublier la promesse fondamentale de son programme de politique étrangère : la révision totale de la nature de la relation qui lie Washington et Tokyo depuis 1945.
En 8 mois, rares sont les promesses qui ont reçu ne serait-ce qu’un début d’exécution. Pas même celle relative à la suppression des péages d’autoroutes que des millions d’automobilistes attendaient. Il est vrai que 8 mois sont très insuffisants pour répondre à un si grand nombre de promesses électorales. Mais la question qui se pose ici, du moins pour ce qui est des quatre derniers Premiers ministres qui ont passé moins d’un an au pouvoir, est la suivante : les électeurs japonais sont-ils si inconstants ou les dirigeants qu’ils élisent si incompétents ?
Il faut dire que le cas du dernier Premier ministre démissionnaire, Yukio Hatoyama, est un peu particulier. Les larmes qu’il n’avait pu retenir alors qu’il annonçait sa démission sont révélatrices du degré de frustration et d’amertume que M. Hatoyama emportait avec lui dans sa retraite un peu trop prématurée.
Dès son arrivée au pouvoir, M. Hatoyama s’est trouvé confronté à trois dossiers brûlants : un taux de croissance anémique qu’il faudrait conforter, une dette publique géante (deux fois le PNB) qu’il faudrait réduire, et le problème lancinant de la base américaine d’Okinawa qu’il faudrait résoudre. C’est ce dernier dossier qui a consommé à lui seul le gros des énergies déployées durant les huit mois du gouvernement Hatoyama.
La chute spectaculaire de popularité de Yukio Hatoyama est dû au fait que non seulement il a tourné le dos à ses promesses économiques et politiques, mais qu’il n’a même pas pu résoudre la question épineuse de la base US de Futenma conformément à ses promesses et aux attentes des Japonais, et en particulier des habitants d’Okinawa.
La bonne volonté de Hatoyama de résoudre cette question n’est pas en doute. Mais il n’a pas tardé à se rendre compte qu’il était coincé entre le désir ardent des Japonais de voir les troupes US quitter Okinawa et l’ « intransigeance » de l’administration Obama qui s’accroche au statu quo, en dépit des manifestations massives anti-américaines organisées régulièrement dans l’île en question. A tel point que beaucoup de commentateurs occidentaux n’ont pas hésité à établir un lien de cause à effet entre l’intransigeance américaine et la chute du gouvernement Hatoyama.
Lien ou pas, une chose est certaine : l’administration Obama est loin d’être mécontente du départ de Hatoyama. Elle n’a pas oublié ses promesses électorales consistant à réviser la relation avec les Etats-Unis dans le sens d’une plus grande indépendance du Japon d’une part, et celle avec la Chine dans le sens d’une plus grande coopération et ouverture d’autre part.
Là aussi, la promesse de Hatoyama est restée un vœu pieux. La crise intercoréenne et les dangers qu’elle laisse planer sur la région n’ont sûrement pas aidé Hatoyama à opérer un changement spectaculaire dans la politique étrangère japonaise. Mais c’est surtout le sentiment de « profonde méfiance » des Japonais vis-à-vis d’une Chine de plus en plus puissante et ambitieuse qui explique l’échec de Hatoyama à introduire le moindre changement dans la politique étrangère de Tokyo.
La plus grande frustration du Premier ministre démissionnaire est d’avoir échoué à faire du Japon un pays qui prend pleinement en charge sa propre sécurité. « Ceci, a expliqué M. Hatoyama les larmes aux yeux, s’est révélé impossible aujourd’hui. Mais un jour viendra où la paix du Japon devra être assurée par les Japonais eux-mêmes. »
La leçon a très vite été tirée par le nouveau Premier ministre Naoto Kan. Aussitôt après sa nomination, il assuré que l’étroitesse de la relation avec les Etats-Unis est « la pierre angulaire » de la politique étrangère japonaise, exhortant d’avance son prochain gouvernement à rendre cette relation encore plus étroite. « Yes we Kan » ont répondu les partisans du nouveau Premier ministre, dans un clin d’œil à Barack Obama.

Tuesday, June 08, 2010

Les limites de l'engagement militaire

Au cœur de la nouvelle stratégie américaine, dévoilée il y a quelques jours par le président américain, se trouve le souci de gérer « les menaces qui guettent la sécurité des Etats-Unis ». Le gros des énergies dépensées en termes de moyens militaires et financiers va dans le sens de l’identification et de l’éradication de ces menaces.
S’agissant de l’identification des menaces qui pèsent sur la sécurité américaine, il faut dire que la clairvoyance politique n’est pas toujours la chose la mieux partagée à Washington. Pire encore, nombre de ces menaces qui donnent aujourd’hui des insomnies à l’establishment washingtonien sont les résultats directs d’une politique très peu inspirée suivie depuis des années par les administrations américaines successives.
Si l’on prend les deux plus gros problèmes actuels de la politique étrangère américaine, l’Afghanistan et l’Irak, on pourra dire sans grand risque d’erreur qu’ils ont été créés et exacerbés par des décideurs américains très mal conseillés et très ignorants des complexités ethniques, culturelles et politiques d’une région située à 10.000 kilomètres de Washington.
La conséquence la plus terrifiante des erreurs américaines commises à l’aube de ce siècle en Afghanistan d’abord et en Irak ensuite, est l’émergence d’une forme de terrorisme aveugle qui s’en prend indistinctement aux occupants et aux occupés, aux oppresseurs et aux opprimés, aux riches et aux pauvres, aux fidèles et aux impies, bref à quiconque ait la malchance de se trouver à proximité du kamikaze au moment où il choisit de se faire sauter au moyen de son véhicule piégé ou de sa ceinture d’explosifs.
On n’aurait probablement jamais assisté à l’émergence d’un tel fléau, si les Etats-Unis, après l’effondrement du régime des talibans en Afghanistan en 2001, avaient concentré leurs efforts sur le renforcent de la sécurité et sur l’aide économique à ce pays meurtri. L’abandon de l’Afghanistan dans un état d’anarchie avancée et la création d’un nouveau foyer anarchique en Irak après la décapitation du régime de Saddam Hussein, sont les deux plus grands cadeaux que les décideurs américains ont offerts à Al Qaida, cette même organisation qui a perpétré à New York et à Washington la plus grande attaque terroriste des temps modernes.
Quand l’ignorance et l’incompétence s’imposent comme les caractéristiques principales du pouvoir, comme on l’a vu dans le cas du régime Bush-Cheney, le pouvoir en question s’engage dans une spirale infernale consistant à servir systématiquement les intérêts de ses ennemis et à desservir les siens propres. Toutes les grandes décisions prises par le couple Bush-Cheney ont eu pour conséquences de déchaîner le terrorisme d’Al Qaida et d’approfondir l’embourbement de l’armée américaine dans des milieux hostiles.
La tâche la plus urgente de l’administration Obama consiste à désembourber l’armée américaine et à ramener chez eux les dizaines de milliers de soldats engagées dans les guerres insensées d’Afghanistan et d’Irak. Dans son ardent désir de respecter le calendrier de retrait de ses troupes, cette administration s’accroche au moindre signe d’espoir qui pourrait suggérer une réduction de l’influence d’Al Qaida dans les régions sunnites irakiennes.
La semaine dernière, le chef d’état major de l’armé US, Mike Mullen, a trouvé « particulièrement encourageant » la « série d’échecs » infligés à Al Qaida par « les forces irako-américaines ». L’optimisme de Mullen semble nourri par le général Ray Odierno, chef des troupes US en Irak qui, vendredi dernier, a assuré que les forces irako-américaines « ont soit tué soit capturé 34 des 42 dirigeants d’Al Qaida en Irak. » Ceux qui restent « tentent de se réorganiser, mais ils ont perdu tout contact avec l’organisation terroriste au nord ouest du Pakistan ».
Selon diverses sources, c’est un fait que l’organisation terroriste fait face à « des problèmes de financement et de recrutement. » C’est un fait aussi que ses chefs, reclus dans les montagnes du Waziristan pakistanais, sont les cibles privilégiées des drones américains. La disparition en mai dernier de Mustapha al Yazid, « numéro 3 », par un missile a été, selon les médias américains « le coup le plus dur subi par Al Qaida depuis 2001 »
Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis crient victoire contre l’organisation terroriste. En été 2006, la mort d’Abu Mosaab Zarkaoui a nourri de grands espoirs aux Etats-Unis. Mais la mort de l’homme le plus recherché d’Irak à l’époque n’a pas empêché ce pays de sombrer dans un cycle terrifiant de violence en 2006 et 2007 avec une moyenne de 3000 morts par mois. Plus récemment encore, la mort ou l’arrestation de nombreux dirigeants d’Al Qaida, comme le clame le général Odierno, n’a pas empêché la soudaine irruption de violence en mai dernier qui a fait 119 morts en une seule journée.
Il faut donc du temps pour savoir si réellement les forces américano-irakiennes sont venues à bout du terrorisme suicidaire en Irak ou si la baisse relative du niveau de violence observée ces derniers jours n’est que le calme précédent de nouvelles tempêtes.
Mais quoiqu’il en soit, et même si toutes les recrues d’Al Qaida en Irak et au Pakistan sont mises hors de combat, l’esprit de cette organisation ne peut être vaincu par la seule force militaire. La seule vraie victoire n’interviendra que par l’assèchement des sources qui nourrissent et qui entretiennent le terrorisme. La première de ces sources étant l’injustice qui continue de sévir furieusement au Moyen-Orient et ailleurs.

Wednesday, June 02, 2010

Un "fardeau" que Washington ne peut pas porter indéfiniment

Ce n'est pas la première fois qu'Israël se met dans le pétrin. C’est un hobby national qui consiste en une compétition permanente entre tous les centres de décision en Israël, le but, conscient ou inconscient, étant d’attirer le maximum d’ennuis au pays et de le mettre dans les situations les plus inextricables. Mais cette fois, les décideurs israéliens ont poussé le bouchon un peu trop loin. Il est rare en effet de voir Israël aussi isolé, aussi honni et aussi méprisé par l’opinion publique internationale qu’il ne l’est aujourd’hui, après le massacre perpétré lundi à l’aube dans les eaux internationales contre des navires chargés d’aide humanitaire destinée aux Palestiniens de Gaza.
Certes, les Etats-Unis, par une sorte de réflexe pavlovien, se sont aussitôt mis du côté des Israéliens à la réunion urgente du Conseil de sécurité, s’accrochant frénétiquement aux détails et exigeant que ce qui s’est passé sur les navires ne doit pas être qualifié d’ « acte de violence » au singulier, mais d’ « actes de violence » au pluriel. La différence est évidemment très importante pour atténuer la responsabilité d’Israël, une consigne dont apparemment était chargé le représentant américain au Conseil de sécurité. En effet, le singulier fait assumer l’entière responsabilité à Israël et le pluriel suggère que la violence n’était pas seulement du côté israélien, mais aussi du côté des passagers pro-palestiniens des navires humanitaires. Evidemment, c’est le pluriel qui l’a emporté dans le texte adopté par le Conseil de sécurité et où le nom d’Israël ne figure même pas…
Venant des Etats-Unis, cela n’a rien de singulier si l’on peut dire. Le monde est habitué à voir Washington avaler couleuvre sur couleuvre, ternir son image et sa réputation, miner ses intérêts les plus fondamentaux dans le but puéril et farfelu de prendre la défense d’un Etat indéfendable pour l’unique raison qu’Israël, comme s’en vantent ses dirigeants, a « le Congrès américain dans la poche ».
Jusqu’à quand Israël et son lobby aux Etats-Unis continueront-ils à avoir « le Congrès américain dans la poche » ? Pas pour longtemps si l’on en croit le chef du Mossad, Meir Dagan, qui sait de quoi il parle.
Meir Dagan a parlé le 1er juin, c'est-à-dire au lendemain de l’agression contre le convoi humanitaire en Méditerranée. Il a parlé devant les membres des comités des Affaires étrangères et de la défense du Knesset, interloqués par les confidences de l’espion en chef. Meir Dagan a donné la pire des informations qu’un politicien israélien puisse entendre : « Israël n’est plus un atout pour les Etats-Unis, mais de plus en plus un fardeau pour eux. »
Le chef du Mossad semble regretter le « bellicisme US des années 1990 », le bon vieux temps où « Ies Etats-Unis résolvaient leurs problèmes par la force. » Ce qui allait très bien, cela va sans dire, avec la nature violente d’Israël. Mais aujourd’hui, « l’élection du président Obama est un signal que les Etats-Unis adoptent désormais une attitude plus douce et ne veulent plus utiliser la force pour résoudre les conflits. Ceci est considéré comme une faiblesse et constitue une source de difficultés pour les manœuvres diplomatiques israéliennes. »
La « réticence des Etats-Unis d’utiliser la force pour résoudre leurs conflits » n’est pas la seule mauvaise nouvelle dévoilée par Meir Dagan aux députés israéliens, terrorisés par « la faiblesse américaine ». Les difficultés des « manœuvres diplomatiques israéliennes » sont accentuées par « le lapin tiré du chapeau de l’Iran », c'est-à-dire par l’accord passé récemment entre ce pays d’une part, et le Brésil et la Turquie de l’autre.
« L’empressement de l’Iran de signer un accord avec le Brésil et la Turquie a toutes les caractéristiques du lapin qu’on tire du chapeau au dernier moment dans le but de diviser la communauté internationale, et donc d’éviter ou d’ajourner les sanctions internationales », explique le chef du Mossad aux députés du Knesset. Une reconnaissance claire que les « manœuvres diplomatiques » par lesquelles Israël tentait depuis 2006 au moins à faire subir à l’Iran le même sort que l’Irak ont échoué. Du moins pour le moment…
L’autre casse-tête que s’est créé Israël est celui de ses relations avec la Turquie. « Des événements comme celui de l’affaire de la flottille risquent de devenir incontrôlables et de déboucher sur des scénarios extrêmes », a mis en garde l’espion en chef israélien. En fait la détérioration brutale des relations entre la Turquie et Israël, qui il n’y a pas longtemps étaient très étroites et même stratégiques, trouve son origine dans la guerre de Gaza de décembre 2009-janvier 2010. Cette détérioration a atteint le point de non retour avec l’attaque des navires humanitaires en Méditerranée et l’assassinat d’un nombre de citoyens turcs par l’armée israélienne.
Sur ce front, la perte stratégique d’Israël est d’autant plus grande que le mal fait à ses relations avec la Turquie est « irréparable », comme ne cessent de le dire depuis lundi denier les autorités turques. Fardeau pour les Etats-Unis, ennemi pour la Turquie qui était son unique ami dans la région, Etat-paria aux yeux du monde entier, où va Israël ? On peut être certain qu’aucun des politiciens qui sont en charge des affaires dans ce pays ne peut répondre à cette question parce qu’aucun d’entre eux ne peut voir plus loin que son nez.
Le chef du Mossad a raison de s’inquiéter. Son pays n’est pas seulement un fardeau que les Etats-Unis ne pourront pas porter indéfiniment sur leurs épaules. Son pays est en train de foncer tout droit vers le mur. Et des murs en Israël, il y’en a de toutes les couleurs. Du mur de l’apartheid qui charcute la Cisjordanie au mur psychologique qui ne cesse de s’épaissir entre ce pays d’une part et le monde entier de l’autre.

Tuesday, June 01, 2010

Des antisémites au pouvoir en Israël ?

Pour quelques centaines de Somaliens affamés, reconvertis au métier de pirates par la rareté du poisson pillé par les flottes occidentales, des armadas de navires de guerre ont été mobilisées pour leur faire la chasse. C’est normal. La communauté internationale ne permet pas cela et la communauté internationale a raison. Rien ne justifie la perturbation du commerce maritime mondial et la prise d’otages de marins avec leurs navires ou leur pétroliers.
Mais la communauté internationale a tort de se croiser les bras et laisser massacrer en haute mer des hommes et des femmes dont l’unique tort est d’être animés des sentiments de justice et d’humanité et du désir de briser le blocus qui étouffe depuis plus de deux ans un million et demi d’êtres humains.
Tout le monde sait que, au vu des menaces israéliennes de barrer la route, « coûte que coûte », à la Flottille de la liberté, que le pire risque de se produire. Pourtant pas une mise en garde ne fut adressée à Israël par aucun des pays influents de la scène mondiale. Tout se passe comme si ces pays prennent pour argent comptant la propagande mensongère dont est coutumier Israël pour qui il n’y a pas de crise humanitaire dans la bande de Gaza ; que le peuple là-bas n’a pas besoin d’aide ; que le ciment sert à construire des bunkers pour les terroristes et des tunnels pour les trafiquants d’armes ; que la Flottille de la liberté était financée par les frères musulmans turcs et que, sommet du ridicule, elle est une violation de la souveraineté israélienne et du droit international, comme n’a pas hésité à le dire le propagandiste en chef, Yossi Lévy, l’inamovible porte parole du ministère des Affaires étrangères de Tel Aviv.
Maintenant, le travail de la machine de propagande est plus ardu après que la marine israélienne ait commis un massacre à bord de la Flottille de la liberté. Comment justifier cet acte d’agression caractérisée dans les eaux internationales qui a causé des dizaines de victimes entre morts et blessés parmi les volontaires du travail humanitaire ? Le recours au mensonge est inévitable. Evidemment les soldats de l’ « armée la plus morale du monde » ne peuvent pas tirer sur des hommes et des femmes désarmés. Seulement, ces gens venus de Turquie et d’ailleurs étaient en possession d’ « armes à feu et de couteaux » et ont tiré sur des soldats pacifiques qui tentaient de les raisonner gentiment. Voici la dernière fournée de mensonges livrés par la propagande israélienne et auxquels même un débile mental ne peut pas croire.
Que peut-on attendre des pays influents sur la scène mondiale ? Des regrets, des appels au calme et des efforts diplomatiques, ouverts ou occultes, pour circonscrire l’ « incident » et le classer au plus vite dans les tiroirs hautement surchargés des crimes israéliens impunis. Rien de bien concret donc à attendre, et surtout pas de la part des Etats-Unis qui n’avaient même pas pu demander des comptes à Israël quand, en juin 1967, ce pays avait autorisé son armée à bombarder le navire US Liberty, massacrant des dizaines de civils et de militaires américains…
Tout le monde en Israël n’est pas Yossi Lévy. Il y’en a qui s’inquiètent réellement pour le sort de leur pays. Et ce qui les inquiète le plus est cette complaisance aussi excessive qu’étrange dont bénéficie leur pays de la part de la communauté internationale. Pourquoi Israël est-il le seul pays au monde à qui il est permis de déclencher des guerres, de massacrer des gens en haute mer, d’occuper et de confisquer des terres, d’ériger des colonies, et tout cela dans la plus parfaite impunité ? C’est tellement étrange que des Israéliens qualifient cette complaisance de « suspecte ». Ne vise-t-elle pas cette complaisance à entretenir la haine contre Israël et à perpétuer son isolement international afin de provoquer à terme l’autodestruction du pays ?
Uri Avnery, un vétéran du pacifisme israélien, est allé plus loin. Dans un article publié le 25 mai dernier dans le site américain Counterpunch.com, il se demande si « un gang d’antisémites ne s’est pas emparé du pouvoir en Israël et n’est pas en train de tout mettre en œuvre pour provoquer la destruction du pays ? » Avnery donne une série de preuves : « Qui, sinon un antisémite diabolique, peut-il nommer Avigdor Lieberman au poste de ministre des Affaires étrangères, dont la tâche essentielle depuis sa nomination est de multiplier les ennemis d’Israël ? ». Avnery cite aussi les exemples du ministre de l’intérieur et du chef d’état major dont les décisions depuis qu’ils sont en place consistent à attirer la haine envers Israël et à accentuer son isolement. Il a ajouté à la liste des décisions désastreuses, celle de barrer la route à la Flottille de la liberté. Le massacre perpétré à bord des navires humanitaires n’aidera sûrement pas à dissiper le soupçon d’Avnery qu’ « un gang d’antisémites » a fait main basse sur le pouvoir en Israël.