airelibre

Wednesday, February 27, 2013

Décalages vertigineux

Au mois de décembre dernier, Issam al Haddad, le conseiller à la sécurité nationale du président égyptien Mohammed Morsi, était à Washington. Avec quelques uns de ses collaborateurs, il faisait le tour des milieux influents de la capitale américaine dans l’espoir de les convaincre de soutenir les nouvelles autorités islamistes en Egypte. Le message que l’envoyé spécial du président égyptien tentait de transmettre se résumait en deux idées principales : « Les frères musulmans sont en train de tout mettre en œuvre pour instaurer une vraie démocratie » ; « les frères musulmans n’ont nullement l’intention d’instaurer un Etat théocratique ». Avant de quitter Washington, Issam al Haddad a eu une rencontre avec la presse américaine au cours de laquelle il a fait aux journalistes un petit résumé des résultats de ses entretiens avec des responsables de l’administration Obama en ces termes : « Les deux parties (américaine et égyptienne) estiment que le modèle démocratique que l’Egypte est en train de construire créera un changement dans toute la région et apportera la paix, la stabilité et la prospérité dans la région. » Cette rhétorique a été tenue à Washington par le haut responsable égyptien il y a moins de huit semaines. La situation n’était pas aussi grave qu’elle ne l’est aujourd’hui certes, mais il n’y avait réellement aucun élément positif concret en Egypte pour justifier l’optimisme béat du conseiller de Morsi et de ses interlocuteurs américains. Depuis, chaque jour qui se lève en Egypte apporte son démenti à la rhétorique des Frères musulmans égyptiens qui, au lieu de la paix, ils ont apporté la guerre, au lieu de la stabilité, c’est à une déstabilisation systématique du pays qu’on assiste, quant à la prospérité, l’économie égyptienne n’a jamais connu une crise aussi étouffante que celle qu’elle vit aujourd’hui sous le règne des Frères musulmans. La question qui taraude les esprits est pourquoi au lieu de fêter le deuxième anniversaire du renversement de la dictature de Moubarak, les Egyptiens ont choisi d’engager ce qui ressemble à une insurrection contre le nouveau pouvoir qui leur a promis paix, stabilité et prospérité ? Le problème des Frères musulmans est que, depuis la création de leur confrérie il y a plus de 80 ans, le pouvoir vers lequel ils lorgnaient depuis, n’est pas un instrument à mettre au service du développement économique et du progrès social, mais un moyen qui leur permet d’ « islamiser » une société très peu islamique à leur goût. C’est cette obsession du « pouvoir au service de l’islam » qui est à l’origine de ce décalage béant entre le peuple égyptien et les Frères musulmans. Alors que celui-là attendait impatiemment le redémarrage de l’économie, la création d’emplois et la rupture avec la dictature, ceux-ci n’ont rien d’autre à lui offrir qu’une version wahhabite de la Charia et une Constitution faite sur mesure permettant aux Frères non seulement de prendre le contrôle de tous les rouages de l’Etat, mais de s’y installer pour de bon et une fois pour toutes. Quant à la démocratie, elle est bonne en tant que moyen d’accéder au pouvoir et, une fois sa mission accomplie, elle devient impie. Car dans l’intime conviction des Frères musulmans, comme chacun sait, ce n’est pas le peuple qui est à l’origine de la légitimité, mais Dieu. Et comme ils se prennent pour les vrais représentants de Dieu sur terre, quiconque s’oppose à leur pouvoir, est forcément l’ennemi de Dieu. C’est ce décalage vertigineux entre les préoccupations économiques et sociales du peuple égyptien et les préoccupations fondamentalement religieuses des Frères musulmans qui expliquent l’état d’anarchie et de chaos qui prévaut aujourd’hui en Egypte. La situation est tellement grave que la hiérarchie militaire est sortie de son mutisme pour mettre en garde contre le risque d’effondrement des structures étatiques et contre le danger qui guette les générations futures. La situation est tellement grave que nombre d’Egyptiens appellent de leurs vœux une prise du pouvoir par les militaires. La situation est tellement grave que la ville de Port-Said a décrété son « indépendance », arborant devant les caméras de télévision son « drapeau national », vert-blanc-noir… Quelle solution permettrait aujourd’hui à l’Egypte de sortir de cette crise sans précédent dans laquelle l’ont enfoncée les Frères musulmans ? Un coup d’état militaire, même s’il est désiré par une partie du peuple égyptien, est une perspective inquiétante dans la mesure où, après deux années perdues économiquement et socialement, il pourrait remettre le pays à la case départ, c'est-à-dire celle d’avant le 25 janvier 2011. Car n’oublions pas que les trois présidents qui ont gouverné l’Egypte de 1952 à 2011 (Nasser, Sadate et Moubarak) sont des militaires, même s’ils se sont entourés de civils. Reste l’exigence de l’opposition qui, refusant l’appel au dialogue du président Morsi, maintient intact son programme de sortie de crise à travers un gouvernement de salut national. Cette proposition de l’opposition est le seul moyen qui éviterait au pays le chaos et à l’Etat l’effondrement. Seul un gouvernement de salut national composé de personnalités compétentes est en mesure de remettre l’Egypte en marche et mettra un terme aux « enfantillages politiques » des Frères musulmans dont le programme politico-religieux est à mille lieux des préoccupations immédiates des Egyptiens. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne peut s’empêcher de relever certaines similitudes entre la Tunisie et l’Egypte. On ne peut pas s’empêcher de relever que ce qui se passe au Kef, à Kasserine ou dans le bassin minier rappelle peu ou prou ce qui se passe à Suez, Ismaïlia ou à Port-Saïd. Dans le drame égyptien, nos « Frères » à nous ont sans doute plein de leçons à méditer. Dans notre drame à nous, il y a plein de leçons à méditer aussi. Par exemple cette petite leçon liée à l’actualité : la Tunisie a besoin plus d’investisseurs et de spécialistes des technologies avancées que de « docteurs » wahhabites, spécialistes dans le voile des fillettes de quatre ans.

Il est urgent que l'Amérique comprenne

Sans doute vous vous rappelez de Paul Bremer. C’est le type qu’a choisi George W. Bush pour gouverner l’Irak après la chute de Saddam Hussein. C’est le type dont l’ignorance et l’incompétence sont derrière la transformation de l’Irak en enfer. C’est le type qui a contribué de manière substantielle à noircir la réputation de son pays dans le monde, sans parler de son rôle dans le plus grand désastre stratégique que les Etats-Unis ont subi en ce 21e siècle. Si, dix ans après l’intervention américaine, l’Irak est encore quotidiennement en proie à la violence, c’est parce que Paul Bremer a pris la décision catastrophique de dissoudre l’armée irakienne et de procéder à la « débaathification » de l’administration, ce qui a provoqué un vide politique, administratif et sécuritaire propice à l’anarchie qui n’a pas tardé à se répandre dans le pays comme une trainée de poudre. Envoyé par George W. Bush en Irak pour « superviser le passage de la dictature à la démocratie », Paul Bremer a livré les musées et les trésors archéologiques et historiques de l’Irak aux pilleurs, a très bien protégé le ministère du pétrole, a relâché les démons ethniques et confessionnels dans le pays, a rendu possible le désastre de la prison d’Abou Ghraib. En un mot, Paul Bremer a commis plus de crimes qu’il ne faut pour être mériter son statut de criminel de guerre et trainé devant la Cour pénale internationale. Mais Paul Bremer n’est ni le premier ni le dernier criminel de guerre à jouir d’une totale impunité. Il mène actuellement une retraite dorée dans l’Etat du Vermont. Entre temps, il s’est découvert un « talent » d’artiste- peintre et, dans ses moments d’oisiveté, il peint des paysages et des nus « avec les couleurs de Matisse ». Des peintures qui se caractérisent essentiellement par une tristesse stressante et un manque de talent saisissant. Jugez par vous-mêmes en visitant : http://blog.foreignpolicy.com/posts/2012/08/02/the_watercolor_paintings_of_paul_bremer D’aucuns se demandent à juste titre pourquoi parle-t-on maintenant d’un homme qui a commis ses crimes il y a dix ans déjà, et qui a eu la chance d’échapper à la justice internationale ? Evidemment on n’aurait jamais choisi un tel sujet, si Paul Bremer n’avait pas reçu le 7 février dernier une paire de chaussures sur la tête à Londres. Il a fallu attendre dix ans pour que l’occasion se présente à un Irakien de lancer sa paire de chaussures sur la tête de celui qui a contribué à la destruction de l’Irak : « Vous avez détruit mon pays, je vous emmerde et j’emmerde votre démocratie », criait ce jeune Irakien, alors que le service d’ordre le trainait dehors. Le service d’ordre assurait la protection d’une conférence donnée par Paul Bremer le 7 février dernier à Londres à l’invitation d’une institution très néoconservatrice, la « Henry Jackson Society », où, vous l’avez deviné, il parlait de ses services rendus à l’Irak et aux Irakiens et de l’aide qu’il leur avait prodiguée pour réussir, comme tout le monde sait, leur douce transition de la dictature vers la démocratie. Ce sont probablement ces mensonges éhontés qui ont décidé le jeune Irakien à prendre la décision de balancer ses chaussures sur la tête du menteur et de rentrer chez lui pieds nus. L’administration Obama a pris la décision de ne jamais se pencher sur le dossier irakien, bien qu’il se soit traduit par un désastre stratégique pour les Etats-Unis, sans compter les milliers de soldats tués, les dizaines de milliers blessés et le trillion de dollars au moins gaspillés dans cette terrifiante mésaventure. Sans compter les victimes côté irakien et qui se comptent en millions entre morts, blessés et dépalcés. Cette politique est dangereuse et risque de se solder par un nouveau désastre stratégique et la destruction d’un autre pays musulman. Le fait de refuser de se pencher sur les erreurs monumentales commises par l’administration Bush fils dans le cadre de « la guerre globale contre le terrorisme », semble encourager les néoconservateurs à aller de l’avant en mettant en point de mire cette fois l’Iran. Il est urgent que l’Amérique comprenne quelque chose. Elle ne peut pas continuer indéfiniment à combattre le terrorisme d’une main et à le nourrir de l’autre. Les think-tanks néoconservateurs qui pullulent aux Etats-Unis travaillent en parfaite symbiose avec le terrorisme islamiste. On ne suggère pas ici l’idée qu’il y a des relations secrètes de part et d’autre. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que les thinks-tanks néoconservateurs mettent au point des stratégies que la Maison blanche applique, donnant ainsi au terrorisme islamiste la matière qui lui manque pour faire sa propagande et mobiliser fonds et troupes pour passer à l’action. L’Irak n’aurait jamais été détruit et le terrorisme n’aurait jamais connu un tel développement, si les think-tanks néoconservateurs n’avaient pas pondu leurs idées sur « l’anarchie créatrice », « le Nouveau Moyen-Orient »et « la libération des peuples du joug des dictatures », idées que Bush fils a transformé en une aventure désastreuse non seulement pour l’Irak et l’Amérique, mais pour le monde entier. Les attaques du 11 septembre 2001 n’auraient jamais eu lieu, si les Etats-Unis n’avaient pas investi des milliards de dollars dans la guerre en Afghanistan, et si la CIA, au nom de l’antisoviétisme, n’avait pas aidé massivement Ben Laden et ses amis, ceux-là même qui ont remercié leur bienfaiteur par l’action terroriste la plus terrifiante et la plus spectaculaire de l’histoire. Le drame est que ces thinks-tanks continuent à produire la même matière que le terrorisme islamiste attend impatiemment. Ils continuent à pointer indécemment du doigt l’Iran et à appeler à une intervention armée contre 80 millions d’Iraniens. Ils continuent d’inviter Tony Blair et Paul Bremer pour parler de l’intervention salutaire en Irak et de la liberté et la prospérité dont jouissent aujourd’hui les Irakiens. Cette farce cynique continuera aussi longtemps que l’Amérique refuse d’évaluer sérieusement ses mésaventures catastrophiques en Irak et en Afghanistan, et aussi longtemps qu’elle ne fait pas assumer au moins une part de responsabilité de ses désastres stratégiques à ces thinks-tanks néoconservateurs.

Les ambitions démesurées du Qatar

L’histoire retiendra comment un petit pays de 11.500 kilomètres carrés et d’un demi million d’habitants est animé par des ambitions régionales et internationales inversement proportionnelles à sa taille. Les historiens l’expliqueront peut-être par la folie des grandeurs qui ronge ses gouvernants. Ou, pour mieux comprendre le phénomène, feront-ils appel à la fameuse fable de Lafontaine : « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », mais qui « s’enfla si bien qu’elle creva ». La morale de l’histoire, comme le souligne Lafontaine dans sa fable : « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ». Le Qatar est-il la grenouille de la fable, et supportera-t-il longtemps le poids écrasant de ses ambitions régionales, et même planétaires ? En fait, avoir des ambitions est une qualité. Mais quand ces ambitions, comme c’est le cas du Qatar, consistent à semer la pagaille chez les autres, cela devient problématique. Le petit émirat n’est pas derrière tous les problèmes que vivent la Tunisie, l’Egypte, la Libye et la Syrie, certes. Mais il y est pour quelque chose. Il est intervenu directement avec ses avions de chasse et ses pilotes à côté des forces de l’Otan pour détruire le régime de Kadhafi. Il s’est montré d’une grande générosité avec l’opposition hétéroclite syrienne qui reçoit de Doha une aide massive évaluée en centaines de millions de dollars. Il est également généreux avec l’islamisme et ses diverses variantes en Tunisie et en Egypte, et en particulier celles qui œuvrent pour la « wahhabisation » de ces deux pays sunnites. Et les ambitions de ce petit émirat sont étendues jusqu’au Sahel africain où il a financé et armé les terroristes islamistes, faisant d’eux aussi des grenouilles de la fable, puisqu’ils se sont crus capables de pouvoir mettre la main sur le Mali, et en faire le premier noyau d’un califat qui ferait son chemin jusqu’en Indonésie… En plus de ses ambitions inversement proportionnelles à sa taille, il y a un autre problème tout aussi étrange et qui caractérise la politique des gouvernants qataris. Ou plutôt qui caractérise les contradictions saisissantes de cette politique. C’est un émirat qui « aide » les pays du « printemps arabe », mais condamne à la prison à vie le poète qatari, Mohamed Al Ajami Ibn Dhib, pour avoir fait un poème glorifiant ce même « printemps arabe » ; qui aide à la destruction des régimes dictatoriaux, mais avec la sournoise intention de les remplacer par des dictatures religieuses ; qui soutient la cause palestinienne, mais entretient de bonnes relations avec Israël ; qui entretient des relations intimes avec les Etats-Unis, mais ouvre les antennes de sa chaîne de propagande « Al Jazeera » aux terroristes d’Al Qaida ; il investit des milliards de dollars en France, et y achète même un club de football, mais aide les groupes terroristes dans le nord du Mali etc. Le problème qui se pose avec acuité, notamment en Tunisie et en Egypte, est le rôle obscur de Qatar dans le détournement des révolutions du « printemps arabe » de leur trajectoire initiale ayant pour revendication : l’emploi, la liberté et la dignité. La ténébreuse, mais solide relation établie entre le Qatar et les islamistes en Egypte et en Tunisie explique dans une large mesure la substitution à cette trajectoire, une autre fondamentalement différente et n’ayant absolument rien à voir avec les préoccupations des mouvements populaires ayant renversé les régimes de Ben Ali et de Moubarak. Le Qatar est aujourd’hui impliqué à un degré ou un autre dans une dangereuse entreprise consistant à détruire les Etats nationaux en Tunisie et en Egypte et de leur substituer des Etats islamiques, basés sur la vision wahhabite de l’islam. Les instruments de cette destruction sont les pouvoirs islamistes en place qui, en Tunisie comme en Egypte, sont en train de mettre la main sur tous les rouages de l’Etat et de l’administration en vue d’ « islamiser » ces sociétés, insuffisamment islamique aux yeux de Rached Ghannouchi et Mahmoud Morsi et des partis qu’ils président. En Tunisie, le processus de reproduction du régime dictatorial a connu, le 6 février dernier, une tournure fascisante puisqu’il y a eu recours à l’assassinat politique dans le but évident de terroriser les opposants politiques et d’imposer par la violence à un pays sunnite, tolérant et ouvert, la version wahhabite de l’islam. L’exemple le plus révélateur de cette tendance est que les jeunes qui ont manifesté pour exiger l’emploi et le développement régional ont été réprimés à la chevrotine, et ceux qui ont détruit une quarantaine de « zaouias », qui ont perturbé les meetings politiques de l’opposition, ou qui ont agressé violemment des journalistes, des intellectuels et des artistes n’ont jamais été inquiétés. On ne sait pas si le Qatar est impliqué ou non dans la violence politique qui sévit en Tunisie et en Egypte, mais ce que tout le monde sait est que ce petit émirat prodigue un soutien multiforme aux Frères musulmans des deux pays. Un exemple parmi d’autres : la partialité avec laquelle « Al Jazeera », la chaîne de la famille au pouvoir, couvre les événements en Tunisie. Elle est si engagée à côté des islamistes, qu’elle n’hésite pas à recourir à la manipulation des images et du son pour les montrer plus forts et plus nombreux que leurs adversaires, comme on a pu le constater le jour des funérailles du martyr Chokri Belaid. Mais comment se fait-il qu’un pays minuscule et dont l’âge ne dépasse pas la quarantaine d’années, peut nourrir de si grandes ambitions et s’engager à les réaliser sans se départir de sa suffisance et de son arrogance ? Il y a bien sûr les rentrées d’argent faramineuses provenant de la vente du pétrole et du gaz. Mais il y a aussi la plus grande base militaire américaine en dehors des Etats-Unis, celle d’Al Udeid, qui peut accueillir jusqu’à 120 avions bombardiers et 11 000 soldats US. La construction de cette base a coûté un milliard de dollars payés par la famille régnante. Elle a remplacé la base de Dhahran en Arabie Saoudite, suite à l’hostilité croissante des saoudiens. Il est à rappeler ici que Dhahran était la base d’attaque contre le régime de Saddam Hussein en janvier 1991, et Al Udeid la base d’attaque contre le même régime en mars 2003. La base d’Al Udeid est vitale pour les Etats-Unis dans leur guerre en Afghanistan. Elle était vitale pour leur guerre contre l’Irak. Elle sera vitale pour leur prochaine guerre, peut-être contre l’Iran si Israël continue sa propagande belliqueuse et si Washington finit par plier face au Lobby israélien aux Etats-Unis. Mais la base d’Al Udeid est également vitale pour le Qatar dans la mesure où elle assure à l’émirat une protection certaine contre ses ennemis. Compte tenu de la base militaire géante qu’accueille le Qatar, et compte tenu des relations à la fois très développées et très déséquilibrées avec les Etats-Unis, il est hautement improbable que la famille régnante du Qatar puisse s’engager dans une politique très ambitieuse, et parfois agressive à des milliers de kilomètres de chez elle sans l’accord préalable de Washington. La politique ténébreuse du Qatar vis-à-vis des pays du « printemps arabe » reçoit de toute évidence l’approbation de Washington qui n’a apparemment aucun problème avec des régimes islamistes dans le monde arabe. Les Etats-Unis n’entretiennent-ils pas depuis 70 ou 80 ans des relations extrêmement intimes et cordiales avec l’Arabie saoudite, l’un des pays les plus rigoristes, les plus réactionnaires ? S’ils se sont accommodés aussi longtemps avec le régime saoudien, ils pourront s’accommoder avec d’autres régimes semblables. Toutefois, il y a une chose mystérieuse : comment se fait-il que les Etats-Unis se permettent de regarder ailleurs quand cet émirat minuscule prodigue son aide à des islamistes violents dont l’idéologie est la même que celle des terroristes qui avaient attaqué l’Amérique le 11 septembre 2001 ? Comment expliquer cela sinon par le fait que les Etats-Unis ont besoin d’entretenir le danger terroriste pour justifier aux yeux du monde leur rôle de gendarme agressif ? Sans parler du complexe militaro-industriel qui a des intérêts évidents dans l’amplification des dangers (supposés ou réels) auxquels fait face l’Amérique.