airelibre

Saturday, December 19, 2009

Que fait Washington au Kurdistan?

L’hiver 2002-2003, les Etats-Unis cherchaient désespérément les prétextes pour intervenir en Irak. L’hiver 2009-2010, ils cherchent désespérément les solutions pour quitter ce pays. Mais sont-ils en train de prendre les décisions adéquates pour faciliter leur départ ?
A son arrivée à la Maison blanche, le président Barack Obama s’est trouvé avec deux guerres sur les bras, dont celle de l’Irak au déclenchement de laquelle il s’était même opposé au moment où il occupait le poste de sénateur de l’Etat de l’Illinois. Maintenant, on n’a aucune raison de douter qu’Obama soit animé d’une sincère volonté de dégager son pays du bourbier dans lequel son prédécesseur l’avait enfoncé. Et que peut-il faire d’autre sinon fixer une date pour le départ du dernier soldat américain ?
Seulement, il ne suffit pas de dire que le dernier soldat américain quittera le pays fin 2011 pour que les Etats-Unis se soulagent d’un immense fardeau et que l’Irak entame le 1er janvier 2012 une nouvelle page de son histoire. Si les stratèges et les conseillers du prince ont de tous temps dit et répété que la guerre est une chose trop grave pour être décidée à la légère et qu’il faut y penser très sérieusement avant de s’y engager, c’est parce qu’ils savent que celui qui décide de son déclenchement, ne décide ni de son issue ni de la date de sa fin.
Les Etats-Unis ont expérimenté cette vérité à leur détriment plusieurs fois dans leur histoire. Ils l’expérimentent aujourd’hui à nouveau en Irak et en Afghanistan, deux pays dans lesquels les Américains souhaitent n’y avoir jamais mis les pieds, tant ça leur a coûté et ça continue de leur coûter très cher.
En dépit des explosions, parfois très violentes, qui continuent d’ensanglanter l’Irak, ce pays est maintenant beaucoup plus calme que l’Afghanistan. Ce qui inquiète les Etats-Unis et la majorité des Irakiens, ce n’est pas cette insurrection résiduelle, visiblement à bout de souffle, mais plutôt les risques d’un affrontement, chaque jour un peu plus grands, entre Arabes et Kurdes au sujet de la question de Kirkuk. Si ce risque se matérialise, les troupes américaines ne pourront plus quitter à la fin de 2011, et leur présence en Irak se poursuivra encore pendant longtemps.
Ce qu’il faut souligner ici, c’est que les Etats-Unis, qui ne sont pas à une erreur près, ont méthodiquement alimenté ce risque depuis 1991 jusqu’à ce jour par leur soutien sans limite aux Kurdes irakiens qu’ils ont aidés à acquérir une autonomie de fait et à créer des structures institutionnelles ayant toutes les propriétés de l’Etat. Cela va faire pratiquement deux décennies maintenant que le Kurdistan irakien est protégé, aidé et encouragé même par les Etats Unis à prendre ses distances avec le pouvoir central à Bagdad.
L’effondrement de l’Etat irakien après l’invasion de 2003 a aiguisé l’appétit des Kurdes qui non seulement veulent annexer la riche région pétrolière de Kirkuk, mais ont étendu leurs visées expansionnistes à deux autres gouvernorats limitrophes du Kurdistan : Naïnawa et sa capitale Mossul d’une part, et Diyala et sa capitale Ba’qouba d’autre part.
En 2005, quand les sunnites irakiens avaient boycotté les élections, les Kurdes avaient exploité cette défaillance pour multiplier les faits accomplis sur le terrain à Mossul et dans les villages environnants où les Peshmergas (milices kurdes) avaient vite fait d’établir des postes de sécurité et des check points. En Novembre dernier, l’Organisation Human Rights Watch a publié un rapport accusant les autorités kurdes d’utiliser « les intimidations, les menaces et les arrestations » contre les Arabes et les Turkmènes qui « résistent aux plans expansionnistes kurdes. »
Les Kurdes, minoritaires en Irak, n’auraient jamais eu l’audace de s’en prendre aux Arabes et aux Turkmènes en recourant aux intimidations, aux menaces et aux arrestations, sans la conviction qu’ils constituent un atout stratégique entre les mains des Etats-Unis et que, par conséquent, ceux-ci ne les relâcheront jamais. C’est faux évidemment, car, comme n’importe quelle autre puissance dans le monde, les Etats-Unis n’ont ni amis définitifs, ni ennemis définitifs. Ils n’ont que des intérêts qu’ils ne savent pas toujours défendre adéquatement. Pour prendre le cas du Proche-Orient, qu’il s’agisse de l’Irak, de l’Iran ou d’Israël et de la question palestinienne, les Etats-Unis, depuis de longues décennies, ont toujours pris le contre-pied de leurs propres intérêts et se sont souvent infligés plus de mal que ne leur ont fait leurs ennemis les plus intimes.
Leur relation avec les Kurdes ne fait pas exception. Elle s’inscrit dans le droit fil de cette mauvaise appréciation de leurs intérêts dont les Américains sont coutumiers. Car enfin, on ne voit pas pourquoi Washington s’engage-t-il avec autant de zèle à côté de la minorité kurde irakienne tout en sachant pertinemment que cela va non seulement à l’encontre des intérêts de l’écrasante majorité des Irakiens, sunnites, chiites et turkmènes confondus, mais cela va également à l’encontre d’un intérêt vital de leur principal allié, la Turquie. Celle-ci, qui voit déjà d’un mauvais œil l’émergence d’un pouvoir autonome dans le nord de l’Irak, a, à maintes reprises, exprimé son opposition radicale à toute extension de la domination kurde vers Kirkuk et Mossoul.
Les Etats-Unis doivent savoir que si par malheur une guerre éclate entre Kurdes et Arabes irakiens, ils assumeront une large part de responsabilité. L’Irak est suffisamment détruit pour pouvoir supporter un autre conflit, et l’armée américaine suffisamment épuisée pour pouvoir gérer une autre guerre et prolonger de plusieurs années sa présence dans le bourbier irakien. Il est donc de leur intérêt, avant même de parler des intérêts de l’Irak et de la Turquie, de modérer un peu les appétits gargantuesques de leurs protégés kurdes. Par exemple en leur conseillant de lire et de méditer la fable de La Fontaine « La grenouille et le bœuf ».

0 Comments:

Post a Comment

<< Home