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Friday, October 31, 2008

A propos d'un projet d'accord contestable

Il y a quelque chose de tragi-comique dans cette « course contre la montre » à laquelle se livre la Maison blanche pour tenter de faire signer par les Irakiens le SOFA (Status Of Forces Agreement- Accord sur le statut des forces d’occupation américaines en Irak).
L’insistance des Etats Unis pour que cet accord soit signé avant le 31 décembre prochain est si intense qu’un observateur extraterrestre penserait le plus honnêtement du monde que la présence des 140.000 soldats américains en Irak est parfaitement légale et que l’administration Bush est torturée moralement à l’idée de voir ses forces en Irak sombrer dans l’illégalité dans le cas où les Irakiens continuent à traîner les pieds en multipliant les demandes d’amendements.
La présence des forces américaines en Irak est et demeurera fondamentalement illégale, et ni le mandat de l’ONU voté en 2004, ni le SOFA, dans sa forme actuelle ou amendée, à supposer que les Irakiens le signent, ne fera oublier la manière dont ces forces ont fait irruption en Irak ni les conséquences politiques, économiques, sociales et humanitaires désastreuses dont sont victimes 25 millions d’Irakiens.
Est-il besoin de rappeler ici l’histoire des « armes de manipulation massive » utilisées par l’administration Bush pour détruire gratuitement l’Irak, endommager gravement les intérêts, la réputation et les réserves financières des Etats-Unis et accroître brusquement l’insécurité dans le monde ?
Etrangement, tout en insistant sur la signature du projet d’accord sur le statut des forces d’occupation dans les délais, l’administration Bush n’a même pas pu s’empêcher de se tirer dans les pattes et de s’abstenir de multiplier les obstacles face à l’adoption d’un texte qu’elle cherche impatiemment à faire adopter.
L’attaque perpétrée dimanche dernier par des hélicoptères américains en territoire syrien, une première depuis l’invasion de l’Irak au printemps 2003, ne peut en aucun cas aider le gouvernement de Nouri al-Maliki à convaincre le parlement irakien d’accepter le texte proposé par le Pentagone et le signer avant la fin de l’année. Outre le fait que cette attaque aiguise les rancoeurs anti-américaines dans la région, elle a amené tout naturellement les Irakiens à formuler légitimement un amendement supplémentaire : inscrire explicitement dans le projet d’accord une interdiction claire d’utiliser le territoire irakien pour lancer des attaques contre des pays voisins.
L’agression américaine contre la Syrie a toutes les raisons d’inquiéter les Irakiens. Car, non seulement elle complique leurs relations avec Damas, mais elle met à nu face au monde entier leur incapacité, près de six ans après l’invasion, à prendre les choses en main et à imposer à l’occupant des règles minimales de conduite.
Mais ce n’est pas le seul aspect qui les inquiète, tant s’en faut. L’insistance américaine pour assurer l’impunité à leurs soldats et à garder leur totale liberté d’arrêter qui ils veulent en Irak et à entreprendre toute action militaire qu’ils jugent nécessaire sans se sentir obligés d’en référer aux autorités irakiennes, reviendrait à demander le beurre et l’argent du beurre. L’occupation et la légitimation de l’occupation par les occupés.
Depuis 2004, l’occupation américaine de l’Irak est « légitimée » par un mandat de l’ONU adopté sous le chapitre VII de la Charte qui permet l’usage de la force. Ce mandat a depuis été renouvelé chaque année. En décembre dernier, Nouri al-Maliki a demandé à ce que la prolongation de ce mandat en 2008 soit la dernière ; c’est ce qui a amené Américains et Irakiens à s’engager depuis huit mois maintenant dans des négociations difficiles sur le statut des forces d’occupation.
Les difficultés rencontrées par les négociateurs trouvent leur origine dans des perceptions contradictoires du rôle des forces américaines en Irak. Les Américains estiment que leurs forces ont consenti des sacrifices énormes pour « libérer les Irakiens » et ne comprennent pas que ceux-ci soient « si ingrats » au point de refuser la signature d’un simple statut des forces qui les ont « libérés de la dictature ». Aussi absurde que soit cette perception, elle est prédominante à la Maison blanche et au Pentagone.
De leur côté, les négociateurs irakiens qui ont vu leur pays détruit par les forces d’occupation, ne comprennent pas que ces forces, après tout le mal qu’elles ont commis en Irak et après les calvaires innommables qu’elles ont fait subir à des millions d’Irakiens, persistent à exiger carte blanche et à exiger surtout que cette carte blanche soit signée par les occupés.
Le commandant des forces américaines en Irak, le général Ray Odierno, s’est livré à un chantage en règle rapporté par le Washington Post dans son édition du 29 octobre. Si d’ici le 1er janvier prochain les Irakiens n’auront pas signé le SOFA, menace-t-il, il confinera les forces qu’il commande dans leurs bases en Irak, arrêtera de partager les renseignements avec le gouvernement Maliki et mettra fin à l’entraînement des forces militaires irakiennes. Cela équivaut presque à la fin de l’occupation, sans toutefois le départ des soldats. Si l’administration Bush, par la voix de son représentant militaire en Irak, peut aller aussi loin, au lieu de faire chanter les Irakiens, ne vaudrait-il pas mieux les faire danser en décidant la fin de l’occupation avec départ des soldats ?

Saturday, October 25, 2008

L’« effet Bradley » ? Pouquoi pas l’ « effet Jamaïque » ?

Les sondages publiés quotidiennement dans la presse américaine ne peuvent pas ne pas donner des insomnies à la paire républicaine John McCain et Sarah Palin. Mais dans leurs insomnies ces deux là ne peuvent pas ne pas s’accrocher comme à deux bouées de sauvetage à deux événements tirés de l’histoire des élections américaines et qui remontent l’un à 1948 et l’autre à 1982.
Le premier est connu sous le nom de « l’effet Truman ». Harry Truman, alors vice-président, était devenu le chef de la maison blanche à la mort de Franklin Roosevelt en 1945, à quelques mois de la fin de la deuxième guerre mondiale. Quand il se présenta aux élections de 1948, il était donné perdant par tous les sondages contre son rival, le républicain Thomas Dewey. Sa défaite était alors si évidente et si attendue que le « Chicago Tribune » avait titré dans son édition du 3 novembre 1948 « Dewey bat Truman ». A l’annonce des résultats officiels quelques heures plus tard, c’était Truman qui l’avait remporté. D’une courte tête, mais une victoire quand même. Et tous ceux qui détestaient l’homme, et ils étaient nombreux, avaient dû faire contre mauvaise fortune bon cœur et le supporter quatre ans de plus.
Le deuxième événement est connu sous le nom de « l’effet Bradley ». En 1982, Tom Bradley, maire démocrate de Los Angeles, menait une campagne réussie pour le poste de gouverneur de Californie contre le républicain George Deukejian. Tous les sondages prévoyaient une victoire massive de Tom Bradley contre son rival républicain. A l’annonce des résultats, et à la surprise générale, George Deukejian était déclaré vainqueur. Tom Bradley était noir…
Pour défendre leur profession, les sondeurs qui avaient tous donné le candidat afro-américain gagnant, avaient pointé du doigt à « la malhonnêteté de certains électeurs qui, au moment des sondages, disaient voter pour Bradley et une fois dans l’isoloir n’avaient pu se résoudre à voter pour un candidat noir. »
Le couple McCain et Palin ont tout essayé pour discréditer et salir le candidat démocrate en recourant aux mensonges, aux fabulations, aux manipulations au point que leur campagne était qualifiée de « campagne la plus abjecte » de l’histoire des élections américaines. Au point qu’un groupe d’universitaires américains, dégoûtés par tant de bassesse, avait rendu publique cette semaine une lettre demandant aux candidats républicains de mettre « un peu de moralité » dans leur campagne.
Barack Obama était tour à tour qualifié de terroriste, socialiste, marxiste, islamiste, arabe, ennemi de l’Amérique etc. Rien n’y fait. Plus les accusations pleuvent sur lui plus sa cote prend de l’altitude dans les sondages. Une bonne majorité des Américains savent sans doute que les méchancetés débitées par les candidats républicains contre leur rival n’ont pas de rapport avec la réalité et sont au mieux un moyen douteux utilisé par des gens déterminés a gagner à n’importe quel prix, et au pire le reflet d’un racisme primaire dont souffrent des personnalités pathologiques qui paniquent à l’idée de se faire battre par un métis.
En dépit d’une campagne abjecte donc, menée tambour battant contre lui, Barack Obama caracole dans les sondages et vient de recevoir le soutien de tous les journaux prestigieux américains : le New York Times, le Washington Post, le Los Angelers Times, le Boston Globe, le Chicago Tribune et des centaines d’autres journaux moins connus.
Les jeux sont-ils faits et Barack Obama sera-t-il le 44ème président des Etats-Unis ? Tous les signes le laissent penser et l’on peut dire raisonnablement que la crise financière qui ravage les Etats-Unis et le monde est le dernier clou enfoncé dans le cercueil du règne désastreux des républicains et que, par conséquent, les Américains n’ont d’autre choix que de l’enterrer s’ils veulent que les choses changent chez eux et dans le monde.
C’est parce qu’ils savent que les jeux sont faits, qu’ils ont épuisé toutes les munitions à leur disposition avec lesquelles ils ont tiré à boulets rouges contre le candidat démocrate que les responsables de la campagne républicaine s’accrochent désespérément à leur dernière trouvaille : « l’effet Bradley ». Ils ont dépoussiéré ce fait divers électoral qui date de plus d’un quart de siècle pour suggérer sournoisement une idée fondamentalement raciste qu’ils tentent de présenter sous la forme d’un slogan électoral : « dans l’isoloir, un Blanc ne votera pas pour un Noir. »
Mais les Américains, une fois dans l’isoloir, se soucieront sans doute de choses bien plus importantes que de « l’effet Bradley ». Ils auront en tête le mal inimaginable fait à l’Amérique et au monde pendant les huit ans de règne républicain. Ils auront en tête l’idée que l’élection de McCain ne serait rien d’autre que l’équivalent d’un troisième mandat pour George Bush. Ils auront en tête l’idée enfin que si McCain était élu, et, statistiquement, compte tenu de son âge, l’Amérique pourrait se trouver dans l’incroyable situation d’être gouvernée par la colistière de John McCain, Sarah Palin, qui a donné amplement la preuve de ne savoir ni ce qui se passe dans l’Alaska, Etat dont elle est gouverneure, ni même la différence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Enfin, pour les Américains qui, une fois dans l’isoloir, ne peuvent s’empêcher de penser à « l’effet Bradley », ils sont invités à penser en même temps aux exemples des trois pays suivants : la Jamaïque, les îles Maurice et l’Inde. Le premier, noir à 95%, avait élu un Premier ministre blanc en 1980 et l’avait gardé en poste pendant dix ans. Le second, majoritairement noir, a élu un Premier ministre blanc d’origine française. Le troisième, à majorité hindoue, est dirigé par un Premier ministre sikh, a une blanche chrétienne d’origine italienne (Sonia Ghandi, la veuve de Rajiv) à la tête du plus grand parti politique du pays, et jusqu’à l’année dernière, il avait un président de confession musulmane.

Friday, October 24, 2008

Taj Mahal ou le "tribut à la grâce de la féminité indienne"

Seulement 230 kilomètres séparent New Delhi d’Agra, mais il faut au moins cinq heures pour y arriver, tant le trafic routier est intense et les villes et villages à traverser sont nombreux. Même quand on se lève tôt, on n’échappera pas à la circulation. Les routes de New Delhi sont prises d’assaut de très bonne heure par un nombre incalculable de bus, camions, voitures individuelles, rikshaws (taxis-tricycles), cycles et motocycles, bicyclettes-calices, bicyclettes-charrettes, sans oublier bien sûr les piétons.
Quand on quitte finalement l’Etat de New Delhi et l’on pénètre dans l’Etat de l’Haryana, on n’est pas tiré d’affaire. Pas plus d’ailleurs que quand on quitte celui-ci et l’on entre dans l’Etat de l’Uttar Pradesh où se trouve la ville d’Agra. Inutile de pester contre le chauffeur. Le plus expérimenté des chauffeurs de bus indiens ne pourra pas faire plus de 50 à 60 kilomètres /heure en moyenne sur cet axe routier très fréquenté.
Agra est une ville à majorité musulmane et Taj Mahal se trouve à une dizaine de kilomètres du centre-ville. Les attentats terroristes qui ont endeuillé l’Inde ces derniers temps ont amené les autorités fédérales et régionales à prendre de strictes mesures de sécurité là où il y a une concentration de foules. Dans les marchés, les temples et les sites touristiques, barrages de police et portiques de sécurité sont de rigueur. Taj Mahal, que l’on peut traduire par « Couronne du Palais » a une grande valeur historique et symbolique en Inde. De plus, il a été choisi en 2007 comme l’une des sept merveilles du monde et est inscrit depuis 1983 par l’UNESCO dans la liste du patrimoine commun de l’humanité. Par conséquent il pourrait être une cible pour les terroristes, d’où le surprotection dont bénéficie l’endroit.
Le drame qui devait être à l’origine du merveilleux édifice remonte au 17 juillet 1631, le jour où Arjumand Banu Begam, épouse de l’empereur moghol Shah Jahan, mourut alors qu’elle donnait naissance à son quatorzième enfant. L’amour que portait l’empereur à sa femme, connue aussi sous le nom de Mumtaz Mahal « Lumière du Palais », était paraît-il immense et la légende prétend que l’empereur a vu ses cheveux blanchir en une nuit.. Il décida de construire à son honneur un mausolée de marbre blanc et de reproduire tout autour ce qu’il croyait ou ce qu’il imaginait être les jardins du paradis.
Surplombant la rivière Yamuna, la deuxième en importance en Inde, Taj Mahal se dresse avec majesté, scintillant tous les jours sous le soleil et une fois par mois la nuit quand son dôme de marbre blanc est éclairé par la pleine lune.
Le marbre blanc est partout à Taj Mahal. Il enveloppe les murs, les parterres, le dôme et les quatre minarets qui l’entourent et bien sûr les deux cénotaphes de l’impératrice Mumtaz Mahal et de l’empereur Shah Jahan qui, mort 35 ans après son épouse, fut enterré à ses côtés sous le dôme de Taj Mahal.
Les guides touristiques, comme partout, ont tendance à mettre l’accent sur des chiffres, souvent invérifiables, et de reproduire des histoires d’où il est impossible de démêler les parts respectives de la légende et de la réalité, le but étant de frapper l’imagination du visiteur et d’envelopper d’une aura mystérieuse l’endroit visité.
Taj Mahal n’échappe pas à la règle puisque, d’après notre guide, 1000 éléphants étaient mobilisés pour transporter le marbre et les centaines d’autres produits nécessaires à la construction d’endroits aussi loin d’Agra que le Tibet, le Sri Lanka, l’Himalaya, la Perse, le Yémen et même la mer rouge. 20.000 personnes étaient mobilisées pour l’ouvrage que l’empereur Shah Jahan avait fait venir d’Asie centrale et d’Europe, et tout ce beau monde travaillait sous les ordres de l’architecte principal de Taj Mahal, Usad Ahmad, originaire de l’actuelle ville de Lahore, au Pakistan.
Pour accéder aux jardins, il faut passer par un immense portail fait de pierre rouge. Au sommet de ce portail imposant, sont alignés en double rangée 22 mini dômes, onze de chaque côté. D’après notre guide, cela représente le nombre d’années qu’avait prises l’ouvrage pour être achevé.
Le clou de l’histoire est qu’une fois l’ouvrage achevé, et émerveillé par la beauté du chef-d’œuvre architectural, l’empereur s’est empressé de couper quelques doigts et quelques bras des artisans les plus talentueux afin qu’ils ne vendent pas leur talents ailleurs. Cela ne sonne pas très original. Cette histoire horrifiante est peut-être inspirée de la fameuse légende devenue proverbiale dans la culture arabe, celle qui parle de « la récompense de Sinemmar », du nom de l’architecte qui, ayant construit un palais fabuleux à son roi, celui-ci n’a rien trouvé de mieux pour le récompenser que de l’assassiner afin qu’il n’exerce pas ses talents architecturaux chez des rois rivaux.
Mais au-delà des légendes et des histoires merveilleuses ou horribles, Taj Mahal demeure un joyau de l’architecture musulmane en terre hindoue. Beaucoup de littérature a été écrite sur l’ouvrage qualifié de « temple de l’amour », « tribut à la grâce de la féminité indienne » ou encore « larme sur la joue du temps ». Une larme qui symbolise la tristesse éternelle d’un empereur après la disparition de sa bien-aimée. Preuve s’il en est que les empereurs peuvent ne pas aimer seulement le pouvoir.
Miracle architecturel du 17eme siècle, Taj Mahal a miraculeusement survécu pendant tous ces siècles aux invasions successives et aux tempêtes politiques dévastatrices qui ont balayé la région. L’explication la plus convaincante fournie par les uns et les autres est que Taj Mahal, n’étant ni un symbole politique ni un symbole religieux, porte en lui sa propre protection. Cette protection, il la puise dans la symbolique de l’amour pour l’exaltation duquel Taj Mahal se dresse majestueusement.
Explication convaincante, mais qui ne convainc pas tout le monde aujourd’hui malheureusement. Allez parler aux terroristes nihilistes et autres porteurs de ceintures d’explosifs des valeurs universelles de l’amour et des vertus de la tolérance. C’est pourquoi aujourd’hui Taj Mahal est plus protégé par les portiques de sécurité et les fouilles corporelles que par la symbolique qu’il représente.

Thursday, October 23, 2008

Inde: Décollage et entrave démographique

Le ton est donné dès qu’on descend à Indira Gandhi International Airport à New Delhi. Il y a une certaine gêne pour les voyageurs, car l’aéroport est en train de subir de grands travaux d’agrandissement et de modernisation digne de la grande puissance économique que l’Inde se prépare à devenir.
La même gêne est ressentie par les habitants de New Delhi, la capitale politique du pays, où l’on ne compte pas les grands chantiers en cours. Ici, on s’affaire sur les dernières retouches d’un pont géant, là les pelleteuses creusent les fondations d’un autre, plus loin une série de gratte-ciel attendent le démarrage des travaux de finition. Mais tout cela n’est rien face à la gêne qu’occasionne aux piétons, aux cyclistes et automobilistes les travaux d’extension du métro de New Delhi. La poussière dégagée par les chantiers du métro est si intense que plusieurs passants se couvrent le nez avec leurs mouchoirs.
Après avoir été longtemps la capitale populeuse d’un pays pauvre, New Delhi, en lançant un si grand nombre de chantiers, se prépare visiblement à devenir la capitale d’un géant économique que l’Inde est déterminée à devenir.
Mais la volonté de l’Inde de devenir un géant économique est visible surtout à une trentaine de kilomètres de Delhi. A Noida, plus précisément, que les Indiens appellent «Greater Noida» (la Grande Noida). Il y a quinze ans, Noida était une zone agricole habitée par des paysans pauvres. Aujourd’hui, en entrant dans cette nouvelle cité, on se croit en Amérique. D’ailleurs, son architecture est un peu inspirée des cités américaines.
Avec ses grandes routes, ses grands immeubles, ses jardins publics très bien entretenus, sa propreté impeccable, Noida attire les riches qui occupent de superbes résidences; mais elle attire aussi et surtout les grandes compagnies qui appartiennent au secteur des technologies de l’information, un secteur dans lequel les Indiens excellent puisque leurs services informatiques sont très recherchés. De grandes compagnies mondiales sous-traitent une partie de leurs activités informatiques à des sociétés établies à Noida. A titre d’exemple, nombre de compagnies aériennes américaines, cherchant à comprimer leurs coûts de fonctionnement, confient leur secteur «billetterie» à des sociétés informatiques indiennes.
Si la Chine n’avait pas accompli sa spectaculaire mutation économique, l’Inde aurait-elle eu la même détermination et la même volonté de sortir de son sous-développement ? Cette question nous l’avons posée à nombre de nos interlocuteurs indiens. Srikanta Rout est un cadre dans une compagnie de relations publiques, «Sanket Communications Private Limited», basée à New Delhi. Pour lui, «il est bien évident que le développement fulgurant de la Chine a profondément secoué l’Inde qui ne pouvait pas se permettre de se laisser trop distancer par son grand voisin chinois qui est en même temps son grand rival. Cet impératif stratégique est sans doute pour beaucoup dans l’accélération du processus de développement économique en Inde».
Srikanta Rout a raison. Son point de vue a trouvé une confirmation spectaculaire hier mercredi. En effet, une année presque jour pour jour après que la Chine eut envoyé une sonde sur la Lune, l’Inde a envoyé hier la sienne. La sonde, qui porte le nom typiquement indien de «Chandrayaan 1», a été construite par les ingénieurs de l’«Indian Space Research Organization» (l’Agence indienne de recherche spatiale).
Les Indiens sont visiblement fiers de cet exploit spatial qui fait de leur pays le cinquième au monde à envoyer une sonde sur la lune après les Etats-Unis, la Russie, le Japon et la Chine. Manoj Kumar, chauffeur à B.S. Travels, une agence de transport touristique, en parle avec une ferveur si intense qu’on le croirait l’un des concepteurs du projet : «C’est fait, dit-il, l’Inde est désormais une puissance spatiale. Nous nous sommes dotés des moyens technologiques qui nous permettent quand on veut de quitter la Terre et d’aller rôder autour de la Lune pour lui voler ses secrets. N’est-ce pas magnifique ?» Tout en parlant, Manoj Kumar n’arrête pas de sourire montrant des dents parfaitement alignées et d’une blancheur stricte desquelles, visiblement, il n’est pas moins fier.
La fierté de Manoj Kumar s’étend aussi au gouvernement indien. Il arrête son véhicule devant un complexe résidentiel entouré d’une immense barrière en plein centre de Delhi. «C’est ici que résident le Dr Manmohan Singh, notre Premier ministre et les membres de son gouvernement», dit-il, en montrant du doigt quelques dizaines de résidences cossues. «Chaque membre du gouvernement et sa famille sont protégés en permanence par quatre gardes armés. Chaque garde passe quatre heures à son poste avant d’être relevé, ce qui fait seize gardes par jour et par membre du gouvernement», poursuit notre guide en faisant mentalement son calcul.
Cependant, ni les immenses chantiers en cours, ni Noida, ni l’envoi de «Chandrayaan 1» sur la Lune n’arrivent à couvrir l’immense pauvreté qui sévit toujours en Inde. Ce pays restera très probablement pour longtemps encore le pays des contrastes où une minorité, qui se compte quand même en dizaines de millions, a émergé et continue de se frayer avec détermination son chemin dans la prospérité. Quant à la majorité composée des paysans du monde rural et des ouvriers urbains entassés dans les bidons-villes, elle ploie encore sous le poids d’une grande pauvreté.
Nadeem Ansari est un jeune Indien de 23 ans qui a terminé brillamment ses études en informatique et est entré dans la vie active chez «Sanket Communications Private Limited». Il en veut visiblement aux anciens dirigeants du pays pour «n’avoir rien fait en matière de limitation de la progression démographique. Beaucoup de pays, poursuit-il, ont mis en place avec succès des politiques réussies de planning familial. Ici, une combinaison du poids des traditions, de l’analphabétisme massif dans le monde rural et du laisser-aller des politiciens, voire leur incompétence, ont fait que l’on soit aujourd’hui plus d’un milliard. Si l’on était moitié moins, nos problèmes seraient aujourd’hui dix fois moins difficiles à résoudre».

Wednesday, October 22, 2008

Inde: les artisans à la conquête du monde

Il y a un boom économique en Inde visible à l’œil nue. Il suffit de se promener à New Delhi ou à Noida, une nouvelle ville ultramoderne, pour se rendre compte à la fois du nombre et de l’énormité des chantiers en cours de construction ou en cours de mutation. L’un de ces chantiers en mutation si l’on peut dire est celui de l’artisanat indien qui semble déterminé à conquérir le monde. L’expansion de ce secteur qui compte 6 millions d’artisans, la qualité et la diversité de ses produits sont tels qu’il n’est plus possible, selon les dirigeants de l’Office de promotion de l’artisanat indien (EPCH –Export Promotion Council for Handicrafts) de « se contenter des marchés traditionnels ».
Ils sont dynamiques les dirigeants de cet Office et agissent « agressivement », comme ils le disent eux-mêmes, pour « élargir aux quatre coins du monde » la pénétration des produits de l’artisanat indien. Le directeur exécutif de l’EPCH, M. Rakesh Kumar, n’hésite même pas à désigner nommément le pays que l’Inde compte concurrencer dans ce domaine : la Chine.
Concurrencer un géant comme la Chine n’est pas une tâche facile, mais l’EPCH, avec ses 7000 membres qui travaillent exclusivement pour l’exportation, les six millions d’artisans que compte l’Inde et le soutien du gouvernement indien ne semble pas intimidé par l’énormité de la tâche. Comment l’institution que dirige M. Rakesh Kumar aide-t-elle ses membres en particulier et l’artisanat indien en général à conquérir de nouveaux marchés ? M. Rakesh Kumar explique la stratégie de l’EPCH en quelques points :
- Fournir l’information commercialement utile à ses membres ;
- Offrir conseils et services aux artisans dans les domaines de la mise à niveau technologique, de l’amélioration de la qualité et de la conception des produits, de l’innovation etc. ;
- Organiser des visites de délégations de ses membres pour explorer les opportunités à l’étranger ;
- Participer aux foires internationales de l’artisanat ;
- Organiser la foire de l’artisanat de New Delhi.
M. Rakesh Kumar insiste sur l’importance de ce dernier point dans la promotion des exportations indiennes. Cette foire a commencé au début des années 1990 avec un rythme annuel. Son succès l’a transformée assez vite en manifestation bi-annuelle : l’une au printemps, l’autre en automne.
C’est à Noida, à une trentaine de kilomètres de Delhi, que s’est tenu dans le Palais des Expositions, du 15 au 18 octobre dernier, la 26eme édition de la Foire de l’artisanat indien à laquelle l’EPCH a invité une vingtaine de journalistes de divers pays, dont la Tunisie.
Le visiteur est d’abord frappé par l’immensité et la modernité du Palais des Expositions de Noida qui met pas moins de 97000 mètres carrés à la disposition des exposants indiens. Ceux-ci, au nombre de 1800, étaient massivement présents, exposant une variété impressionnante de produits de l’artisanat indien qui comprend des articles ménagers et de décoration, le textile et l’ameublement, le revêtement de sol et des milliers d’articles (utiles ou de décoration) pour la fabrication desquelles les artisans ont utilisé le cuir, le bois, le verre, le rotin, le fer, le cuivre, le zinc, l’aluminium et plusieurs autres métaux.
En se promenant au milieu des milliers de produits artisanaux exposés par les 1800 participants à la foire, l’on ne peut s’empêcher d’être émerveillé par le talent artistique, la dextérité et l’inventivité de l’artisan indien. La beauté des produits proposés interpelle le visiteur, l’attire, et des fois le cloue sur place pendant de longues minutes. La grande quantité de produits reflète la culture, la spiritualité, les talents et même les couleurs de l’Inde. Des fois, on devine le produit avant de le voir. On le devine de loin à travers l’odeur qu’il dégage. C’est le cas quand on s’approche du secteur de la foire réservé aux artisans de l’encens ou encore de ceux qui utilisent le fameux bois « Santal » qui dégage une odeur particulière et qui, comme l’encens, est l’une des principales odeurs de l’Inde.
Avant l’ouverture de la foire, l’EPCH et les exposants escomptaient 6000 visiteurs étrangers. Il y a eu beaucoup moins du fait de la crise qui frappe la planète. « Nous faisons partie du monde, et ce qui affecte le monde nous affecte aussi », explique avec fatalité Avnish Kachhawaha, artisan de Jodhpur, propriétaire de l’entreprise artisanale « Life like Art », spécialisée dans la fabrication de fournitures en bois. « Au cours de la foire du printemps dernier, explique-t-il, nous avons eu beaucoup plus de visiteurs et nous avons fait de meilleures affaires. Maintenant, la crise financière a retenu beaucoup d’acheteurs potentiels chez eux. Il y a certes des acheteurs américains, japonais, britanniques, taiwanais, coréens et européens qui sont là, et non seulement ils sont moins nombreux qu’avant, mais ils se contentent souvent de promesses d’achat au lieu des commandes fermes que nous escomptions. »
Les artisans indiens veulent avoir leur place au soleil dans le commerce mondial. Ils veulent disputer la conquête du monde aux artisans chinois, mais la crise actuelle, aussi dure qu’inattendue a entravé leur élan en les privant de plusieurs acheteurs potentiels. Aucun des exposants avec qui nous avons parlé n’a reçu la visite d’un seul grand distributeur. Ils ont nourri de grands espoirs avant la crise et beaucoup rêvaient de recevoir la visite des grands groupes de la distribution mondiale comme Wal Mart ou Carrefour. Mais la crise en a décidé autrement. Une crise que tous les exposants espèrent passagère, et leurs regards sont tournés déjà vers la prochaine foire, celle du printemps que l’ECPH a programmée pour fin février 2009.

Saturday, October 11, 2008

Une femme dangereuse

Généralement, les campagnes électorales américaines, surtout quand elles s’engagent dans la dernière ligne droite, s’essoufflent et commencent à dérailler et à voler bas. Côté républicain, la campagne actuelle, grâce au couple McCain-Palin, après avoir volé très bas, elle patauge maintenant dans la boue.
De l’avis de la plupart des observateurs et des commentateurs américains et étrangers, il est rare de trouver dans l’histoire des élections américaines un exemple de campagne électorale qui égale celle-là en termes de bassesse, de malhonnêteté, de mensonge et de déformation honteuse de la réalité auxquels continue à avoir recours l’état major de la campagne de John McCain dans une tentative désespérée de salir le candidat démocrate Barack Obama et le discréditer aux yeux des électeurs américains.
C’est un fait que les républicains sont dans une mauvaise passe et rien ne marche vraiment pour eux. Il sont sur la défensive sur les sujets les plus brûlants : l’Irak, l’Afghanistan, la gestion des catastrophes d’origine naturelle (Katrina et compagnie) et des catastrophes d’origine humaine (Wall Street et compagnie). Mais ceci ne leur donne aucun droit de recourir aux procédés les plus immoraux et de s’adonner à des exercices de véritable lynchage du rival démocrate.
Le fait que John McCain et sa colistière, Sarah Palin, soient « WASP » (White Anglo-Saxon Protestant) ne leur donne aucun droit de traiter Barack Obama avec la condescendance et le mépris dont ils ont fait preuve ces derniers jours.
Lors de leur premier face à face télévisé, des millions de téléspectateurs ont pu observer que pendant les 90 minutes de débat, McCain n’a pas regardé son rival une seule fois, et au cours de leur second face à face, prenant son air le plus condescendant, il n’a pas daigné appeler son rival par son nom, le désignant par un méprisant « celui-là » (That one). Mais ce n’est rien, comparé à ce qui attend le candidat démocrate de la part de « Sarah Barracuda »(1), comme l’appellent déjà les journalistes du New York Times.
Avant de découvrir ce dont elle est capable, il faut savoir qui est Sarah Palin. C’est une ancienne reine de beauté mariée à un champion de course de traîneaux, ces fameux attelages tirés par des chiens et qui glissent sur la neige de l’Alaska. Mère de famille, elle a mis en avant sa carte de visite d’ancienne reine de beauté pour percer dans le monde politique, plutôt exotique, de l’Alaska au point de se faire élire gouverneure (2) de cet Etat qui, politiquement, fait partie des USA, mais géographiquement se trouve à l’extrême nord-ouest du Canada, à des milliers de kilomètres du territoire américain. Sa connaissance du monde extérieur se limite à quelques heures passées dans deux bases américaines en Irak et à Koweït et à une escale dans un aéroport irlandais.
Quant à ses connaissances et expériences en matière de politique et d’économie, elles font les choux gras des caricaturistes des journaux et des comiques de télévision.
Certains se demandent s’il n’y a pas une sorte de division de travail entre MCCain et Palin, celui-là maintenant une certaine tenue dans les débats et celle-ci se déchaînant de toutes se forces contre le candidat Obama. Au cours d’un récent meeting électoral en Floride, Palin a été d’une virulence telle contre Barack Obama, brossant de lui une image si monstrueusement dangereuse que l’un de ses fans a perdu les pédales et a crié à plusieurs reprises « Kill him » (Tuez-le) !!!
La responsabilité de ce grave dérapage incombe à la candidate à la vice présidence qui, à court d’idées et d’arguments, s’est livré à une manipulation en règle de la réalité, nourrissant, volontairement ou involontairement, la colère et la haine de ses auditeurs contre le candidat afro-américain au point que l’un d’eux au lieu de souhaiter sa défaite a appelé carrément à sa mise à mort. Les manipulations auxquelles s’est livrée cette femme dangereuse sont plus hideuses les unes que les autres. Citons l’une d’entre elles.
Dans les années 1960, un certain William Ayers et sa femme Bernadine Dohrn ont créé une organisation, « Weather Underground », au nom de laquelle ils ont commis quelques actions violentes pour protester contre la guerre du Vietnam. Ayant été voisins de quartier à Chicago, Obama et Ayers se sont naturellement et innocemment liés d’amitié. Du coup, pour Madame Palin, qui s’adresse à des millions d’Américains à travers les médias, Barack Obama est « quelqu’un qui, jugeant l’Amérique si imparfaite, s’est lié d’amitié avec des terroristes qui prendraient leur propre pays pour cible », et même pour « renverser le gouvernement des Etats-Unis par la violence ».
Depuis la nuit des temps, cynisme, tricherie et coups bas font partie du jeu politique qui oppose les prétendants au pouvoir. Mais il est rare de trouver dans l’histoire des compétitions politiques un tel degré de malhonnêteté et d’immoralité. L’attaque de la candidate républicaine à la vice présidence contre le candidat démocrate à la présidence dépasse les coups tordus plus ou moins tolérés entre rivaux politiques et verse dans la diffamation et les fausses accusations qui, normalement, relèvent des tribunaux.
Mais le comble est que dans le cas d’une victoire de John McCain, et compte tenu de son âge avancé et de sa santé fragile (la presse américaine fait état de rapports médicaux alarmants), Madame Palin a des chances de devenir présidente en cours de mandat conformément à la Constitution américaine…
On sait que l’ancienne reine de beauté ne connaît pas grand-chose du monde extérieur, et c’est assez problématique pour une prétendante au leadership de la plus grande puissance du monde. Or, l’Associated Press a informé le monde vendredi dernier qu’elle ne connaît pas grand-chose non plus de l’Etat dont elle est gouverneure. Selon l’agence de presse américaine, lors d’un débat public, un citoyen américain a demandé à la candidate pourquoi son Etat, l’Alaska, exporte-t-il tout son pétrole ? Après une hésitation, la candidate répond : « En fait, non, nous n’exportons pas la totalité de notre production pétrolière ». La gouverneure ne sait pas que depuis l’an 2000, l’Alaska n’a pas exporté une seule goutte de pétrole…

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(1) Barracuda : un mot espagnol qui désigne un poisson vorace, connu surtout dans les Antilles.

(2) Dans un rapport de 263 pages rendu public vendredi dernier par le Conseil législatif de l'Alaska, l'enquêteur Steve Branchflower a indiqué que Mme Sarah Palin était coupable de violations des règles éthiques de l'Etat.

Monday, October 06, 2008

Socialisme à l'américaine

A ce rythme, on va finir par ajouter un « s » et appeler les USA les USSA (United Socialist States of America). Beaucoup d’Américains le pensent très sérieusement et la célèbre chroniqueuse du New York Times, Maureen Dowd, connue pour sa critique corrosive du régime de George Bush, estime que le socialisme en Amérique n’est pas en train d’être imposé pas « des bolcheviques en jeans », mais par des cadres bon chic bon genre « en Gucci ».
Les morts, à la tête desquels le sénateur Joseph McCarthy, doivent se retourner dans leurs tombes. Celui-ci a cru devoir extirper les racines idéologiques du socialisme en Amérique en lançant sa célèbre campagne de « chasse aux sorcières » dans les années cinquante au cours de laquelle trop d’innocents ont perdu leur carrière, leurs familles et même leurs vies.
Une guerre froide aussi éprouvante que dangereuse a été menée de 1949 (date de la création de l’OTAN) à 1989 (date de l’effondrement du mur de Berlin) dans le seul but de protéger l’initiative privée à l’intérieur des frontières du « monde libre » et de maintenir ces mêmes frontières hermétiquement fermées au concept « subversif » de nationalisation.
Deux mandats successifs de George Bush ont non seulement fait perdre à l’Amérique sa puissance, son prestige et tous ses avantages stratégiques, mais l’ont traînée également dans une situation où elle n’a guère le choix que d’appliquer, la mort dans l’âme, le concept qu’elle exécrait hier : la nationalisation.
Car même si les politiciens et les médias évitent soigneusement de prononcer ce mot qui donne la chair de poule à l’Amérique, ce qui se passe aujourd’hui à Washington est bel et bien la nationalisation des banques et des compagnies d’assurance en faillite pour leur permettre de continuer à fonctionner et tenter de prévenir l’effet de cascade qui détruirait le système financier des Etats-Unis et mettrait en grave danger leur système économique. Rien que la nationalisation des géants de la banque (Fannie Mae et Freddie Mac) et de l’assurance ( American Insurance Group -AIG-) a siphonné à elle seule des dizaines de milliards de dollars d’argent public.
C’est une nationalisation d’un genre nouveau que le régime de Bush est en train de mettre en place à 12 ou 13 semaines de sa retraite. Il ne s’agit pas ici de prendre au domaine privé pour enrichir le domaine public, mais le contraire. Il est utile de rappeler ici le refus catégorique de George Bush d’aider les millions d’Américains pauvres à se doter d’une police d’assurance leur permettant de faire face aux frais insupportables des prestations des hôpitaux et des cliniques aux Etats-Unis. Il est utile de rappeler aussi son refus d’augmenter les dépenses en faveur du système éducatif public.
Ces refus de dépense fédérale en faveur de prestations sociales, très anodines sous d’autres cieux, rendent plus saisissante encore la rapidité avec laquelle l’administration Bush s’est lancée au secours des financiers de Wall Street. Un montage financier de 700 milliards de dollars a été mis au point dans un délai record et des pressions intenses ont été exercées sur le Congrès pour le voter.
L’extraordinaire dynamisme politico-financier dont l’administration Bush a fait preuve ces dernières semaines vise à sauver de la faillite des banquiers qui n’ont pas été victimes de quelque calamité inévitable ou d’une force majeure contre laquelle nul ne peut rien. Ces banquiers sont victimes de leur cupidité, de leur arrogance, de leur aventurisme et de leur engagement aveugle sur le terrain miné de la spéculation financière. Engranger le maximum et dans les délais les plus courts est devenu la devise des places financières et des banques aux Etats-Unis et en Europe. Aucune barrière morale ni juridique n’a résisté à l’orgie spéculative qui a saisi le grand capital financier dès les premiers jours de ce nouveau millénaire. Cette frénésie du gain a dénaturé les principes de base même du capitalisme puisque l’argent sert de moins en moins à créer la richesse à travers la production de biens, et de plus en plus à l’enrichissement facile, dangereux et immoral à travers la spéculation. Cette nouvelle tendance tend à faire du capitalisme une farce tragique qui fait quotidiennement des milliers de victimes parmi les honnêtes gens qui cherchent légitimement à devenir propriétaires d’un logement, pour ne prendre que cet exemple, mais qui tombent dans le piège infernal tendu par des financiers véreux.
A cet égard, il ne faut pas perdre de vue l’idée que l’origine du désastre financier actuel remonte à la crise des « subprimes ». Cette crise elle-même trouve son origine dans la cupidité des prêteurs à gages américains qui ont fait des offres de crédits en apparence alléchantes pour l’acquisition de logements à des citoyens dont les revenus ne permettent de rembourser ni le principal ni les intérêts. Les prêteurs à gages savent cela d’avance et tablent sur l’expulsion de l’acquéreur et la récupération de la maison au tiers ou au quart de son prix. Entre temps, le citoyen endetté perd toutes ses économies et se retrouve dans la rue sans même de quoi louer un toit pour lui et sa famille. Des centaines de milliers d’Américains ont ainsi été victimes de ce qu’il faut bien appeler l’escroquerie de ces financiers sans scrupules.
Ces « mauvaises dettes » sont devenues l’objet de spéculation ; elles se vendent et s’achètent entre banques. A cela s’ajoute les pertes colossales enregistrées par les milieux financiers du fait de la spéculation aventureuse et de décisions erronées qui ne s’expliquent que par la cupidité et le mépris de l’intérêt commun.
Les 700 milliards de dollars votés par le Congrès vont donc être utilisés par l’Etat fédéral pour acheter ces mauvaises dettes, et donc pour sauver des gens et des institutions qui ont fait trop de mal au pays et à son économie. Les citoyens américains ont raison de ressentir une amertume et de ne pas cacher leur ressentiment. L’injustice est trop grande pour être facilement supportée. Quand Wall Street Engrange les milliards et fait des bénéfices mirobolants, cela reste privé. Quand le système déraille et les pertes s’accumulent, cela devient public et le contribuable est appelé à la rescousse. L’injustice est trop grande pour être facilement acceptée. Au lieu de traîner les responsables du désastre en justice, on vole à leur secours en leur offrant les clés des caisses de l’argent public.

Wednesday, October 01, 2008

Une règle politique israélienne

Il semble que c’est une fatalité en Israël. Les politiciens ne se rendent à l’évidence qu’ils étaient engagés dans une impasse qu’à la fin de leur carrière politique ou de leur vie. C’est donc au crépuscule de leur vie politique ou de leur vie tout court qu’ils commencent à s’activer pour « construire la paix » et à faire des discours ostentatoires sur la nécessité pour les Israéliens à faire « des sacrifices douloureux » s’ils veulent vivre en bons termes avec leurs voisins.
Nous avons vu cela avec Yitzhak Rabin. Après avoir été pendant des décennies un faucon intraitable, après avoir réprimé impitoyablement la première intifadha, allant jusqu’à ordonner à ses soldats de briser les os des enfants palestiniens avec les pierres qu’ils leur lançaient, le général Rabin s’était soudain reconverti en promoteur de la paix. Il avait signé les accords d’Oslo avec Yasser Arafat le 12 septembre 1993 et s’apprêtait à imposer à ses concitoyens les concessions applaudies par la gauche israélienne et conspuées par l’extrême droite et les colons. C’était au crépuscule de sa vie, peu de temps avant qu’un fanatique juif l’abattait au milieu de la foule en plein centre de Tel Aviv.
Nous avons vu cela aussi avec Ariel Sharon. Celui-là a toujours porté en lui une haine inextinguible contre les Arabes. Depuis sa prime jeunesse et jusqu’à la fin de sa vie politico-miliatire, il a tué, directement ou indirectement, des milliers d’Arabes. En tant que ministre du logement dans les années 1980, il a contribué de manière décisive à l’élargissement des colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et donc à l’aggravation du contentieux israélo-arabe et l’accentuation des difficultés de le résoudre. Quelques mois avant l’attaque cérébrale qui devait lui être fatale, Sharon s’est subitement converti lui aussi en « homme de paix », forçant des centaines de familles de colons à évacuer Gaza.
Nous assistons à cela maintenant avec Ehud Olmert. Ce faucon de la droite israélienne était membre de la Knesset à la fin des années soixante dix et, en 1979, avait voté contre l’accord de paix égypto-israélien. Il était durant de longues années le maire de Jérusalem et, à ce titre, était le moteur de la colonisation de Jérusalem-est occupée en 1967 par l’armée israélienne. Il était aussi ministre dans divers gouvernements israéliens avant d’occuper le poste de Premier ministre laissé vacant par l’entrée subite de Sharon dans le coma. Politicien à la compétence douteuse, Olmert avait largement contribué à pousser son pays dans l’impasse par son soutien indéfectible aux colons et par son hostilité aux défenseurs israéliens de la paix avec les Palestiniens. Sa dernière « grande décision » fut la guerre contre le Liban déclenchée en juillet 2006 et qui s’avèrera désastreuse pour lui personnellement et pour son pays.
Epinglé dans plusieurs cas de corruption aggravée, Olmert n’avait d’autre choix que de démissionner. Quelques jours après avoir annoncé sa démission, c'est-à-dire à la fin de sa vie politique, il se découvre soudain une colombe et appelle ses compatriotes à rendre les territoires qu’ils occupent depuis plus de quarante ans à leurs propriétaires, « y compris Jérusalem-est et le Golan », insiste-t-il.
Depuis quatre décennies, pratiquement le monde entier n’a pas cessé d’appeler Israël à rendre les territoires à leurs propriétaires, et Olmert était l’un des politiciens israéliens les plus inflexibles qui refusaient obstinément de considérer la moindre proposition de paix. Alors pourquoi ce retournement soudain ? Olmert a fait cette confession au quotidien israélien, « Ydiot Ahronot » : « J’étais le premier à vouloir renforcer la souveraineté israélienne sur la ville sainte. J’admets cela. Je n’étais pas préparé alors à voir la réalité dans toute sa profondeur ». En d’autres termes, quand il avait le pouvoir et exerçait une influence, Olmert était myope. Il ne voyait que la couche superficielle de la réalité. Apparemment il vient de retrouver une vue parfaite au moment même où il perd le pouvoir et l’influence.
Le cas Olmert nous édifie et confirme surtout ce qu’on pourrait qualifier de règle politique israélienne : les politiciens israéliens ne voient pas « la réalité dans toute sa profondeur » tant qu’ils sont au pouvoir. Les choses ne deviennent claires pour eux que le jour où ils le perdent.
Olmert a perdu le pouvoir, et il a perdu en même temps une occasion de se taire. Son appel aux Israéliens de faire la paix avec leurs voisins en rendant les territoires sonne faux. Maintenant qu’il est fortement affaibli a tout perdu il vient défendre le contraire de ce qu’il a défendu plus de quarante ans durant quand il avait le pouvoir et qu’il était puissant et influent. Dans son appel à rendre les territoires, on sent moins la conviction qu’une tentative désespérée de faire un grand bruit qui cacherait un bruit gênant, le bruit des casseroles de la corruption qu’Olmert traîne derrière lui. Et quand bien même Olmert pense ce qu’il dit, cela vient un peu tard. Un peu trop tard. L’Histoire est insensible aux gesticulations stériles des canards boiteux.