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Monday, November 30, 2015

L'empire et le miroir truqué

Dans un discours prononcé mercredi dernier devant la « Convention de l’armée américaine », le secrétaire d’Etat à la défense, Ashton Carter, n’a pas pu maitriser sa colère et sa frustration face à l’intervention de la Russie à côté des forces loyales syriennes. « Nous allons faire le nécessaire pour nous opposer à l’influence maligne et déstabilisatrice de la Russie en Ukraine et en Syrie », a-t-il affirmé, ajoutant que « le président Poutine a isolé son pays et que cet isolement ne prendra fin qu’avec un changement drastique de la politique russe. » Le problème des grandes puissances et de ceux qui les gouvernent, a fortiori quand il s’agit de l’empire américain qui s’accroche désespérément à l’idée qu’il est l’unique maître de la planète, leur problème donc est qu’ils n’hésitent pas à tordre le cou à la réalité quand celle-ci n’est pas conforme à leur désir. Or, on sait que l’histoire est jalonnée de catastrophes causées par des pays ou des personnages puissants qui ont voulu imposer à une réalité têtue, réticente ou récalcitrante leur conception des choses. L’une des plus grandes catastrophes de l’histoire récente est la situation qui prévaut en Irak depuis 12 ans. L’origine de cette catastrophe de proportions bibliques est l’aventurisme des dirigeants de l’empire qui, ivres de leur puissance, étaient déterminés à imposer par tous les moyens leur conception du monde à une réalité dont ils ignorent tout. Résultat : l’empire n’a pas pu imposer sa conception des choses, et l’Irak n’a pas pu surmonter les effets destructeurs de l’agression. Logiquement, tout Etat normalement constitué qui a commis une erreur dévastatrice de l’ampleur de celle commise en Irak en 2003, devrait tirer les leçons qui s’imposent afin d’éviter à l’avenir des souffrances intolérables et gratuites à des millions d’êtres humains. Mais l’empire n’est pas un Etat normalement constitué. Ceux qui le dirigent sont convaincus que leur pays n’a commis aucune erreur, et que tous les drames qui se sont enchainés sur douze ans en Irak sont dus non pas à la mauvaise politique américaine, mais à l’ingratitude des Irakiens qui refusent obstinément la démocratie et la prospérité promises… C’est cette incapacité des dirigeants de l’empire d’admettre les erreurs qui les empêche de tirer la moindre leçon du passé récent ou lointain. Pire, ils ont une extraordinaire capacité à commettre les mêmes erreurs engendrées par la même politique sous d’autres cieux et dans d’autres contextes. Le ministre de la Défense de l’empire, Ashton Carter, est l’un de ces dirigeants convaincus que l’empire est une force bienfaitrice qui doit exporter le bien, c’est-à-dire la démocratie et la prospérité, et s’opposer par tous les moyens à tous ceux qui ont « une influence maligne et déstabilisatrice », la Russie en premier lieu… Ashton Carter est à la tête de la plus importante institution de l’empire, c'est-à-dire son bras armé dont l’influence maligne et déstabilisatrice, généreusement financée par l’Arabie saoudite, est toujours à l’œuvre en Afghanistan depuis 1980, en Irak depuis 1991, en Libye et en Syrie depuis 2011, pour ne citer que ces quatre pays. Là, on est en présence d’un problème qui relève de la psychiatrie. Il est clair désormais que quand l’empire se mire, il voit la Russie, et quand Ashton Carter se regarde dans la glace, il voit Vladimir Poutine. Un expert en psychiatrie nous expliquera peut-être que face l’ampleur des destructions en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, face aux dizaines de millions de morts, de blessés, de mutilés, de déplacés et de déracinés, l’empire panique et refuse de reconnaitre sa responsabilité dans ce terrifiant enchaînement de malheurs qui se succèdent depuis un tiers de siècles et dont on ne voit toujours pas la fin. L’empire a donc eu recours à une ruse de l’esprit, inventant le miroir truqué qui lui permet de se décharger de ses crimes sur son ennemi le plus intime : la Russie. Il se trouve que dans ce monde, heureusement de plus en plus multipolaire, l’empire, si l’on exclut deux ou trois de ses alliés les plus fanatiques dans la région, est le seul à croire à son innocence et à la culpabilité de la Russie. Cela dit, la Russie n’est pas aussi blanche que les vastes plaines sibériennes l’hiver, et Poutine est loin d’être un enfant de chœur. L’un et l’autre ont eu l’idée saugrenue de se retrousser les manches et de s’engager sérieusement dans l’action dans le seul but de limiter l’ampleur des destructions causées par l’arrogance excessive de l’empire et de réparer autant que faire se peut les dégâts de son influence maligne et déstabilisatrice de l’Ukraine à l’Afghanistan en passant par le Moyen-Orient. Le crime impardonnable de la Russie est d’être intervenue juste à temps pour mettre en pièce la stratégie maligne des Etats-Unis et de leurs alliés saoudien et turc en Syrie. Le crime de la Russie est que, par son intervention, elle peut bien réussir à briser le miroir truqué et de le remplacer par un vrai miroir qui reflètera à l’empire son propre image au lieu de celle de la Russie, et à Ashton Carter sa propre physionomie au lieu de celle de Poutine.

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