airelibre

Monday, December 14, 2009

Grand banditisme politique

Il y’en a qui, parce qu’ils ont quelques kilos de muscles en plus, se prennent pour des caïds, se font un fief et mènent la vie dure à ceux dont la tête ne leur revient pas, quand ils ne leur interdisent pas purement et simplement de se montrer à plusieurs kilomètres à la ronde. Ces gens là s’appellent des bandits. On les trouve sous toutes les latitudes, sévissent dans tous les pays et appartiennent à toutes les cultures. Ils évoluent en marge de la loi.
Sur un autre niveau, nettement plus dangereux, il y’en a qui, parce qu’ils ont quelques tonnes d’armes en plus, se prennent pour les maîtres du monde, s’accordent une responsabilité planétaire et s’autoproclament juges, jetant l’anathème sur tout régime qui n’est pas de leur goût. Ils mènent la vie dure à tout système politique qu’ils estiment dangereux « pour la paix dans le monde », et, des fois, vont plus loin en envoyant des armées sur-équipées renverser purement et simplement le régime honni.
Ces actions illégales et immorales sont étudiées, analysées et décortiquées dans les instituts de recherche, les universités et les « laboratoires » d’analyse politique, mais, jusqu’à ce jour, nul n’a osé appeler les choses par leur nom et qualifier ce comportement de grand banditisme politique, évoluant en marge de la légalité internationale. Les chercheurs et les analystes qui se penchent sur cette question précise rappellent un peu la situation de ces gens de la légende qui discutaient, commentaient et spéculaient sur les habits portés par le roi jusqu’au jour où un enfant leur fit découvrir que le roi était nu. Et justement Tony Blair vient de jeter lui-même l’ultime feuille de vigne derrière laquelle il s’efforçait de cacher sa nudité.
Dimanche dernier, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair est, sans le vouloir, venu au secours des grands timides des médias, des instituts de recherche et des universités qui n’ont toujours pas le courage d’appeler un chat un chat et de qualifier enfin de grand banditisme politique ce que lui et l’ancien président américain, George W. Bush, avaient entrepris contre l’Irak au printemps de l’année 2003. Maintenant, avec l’aide non intentionnelle de Tony Blair, peut-être le concept de grand banditisme politique se frayera-t-il un petit chemin et se fera-t-il une petite place dans les médias et les « laboratoires » d’analyse politique du monde. Peut-être un jour fera-t-il l’objet de thèses dans les départements d’études politiques des grandes universités.
La question de Mme Fern Britton, qui interviewait Tony Blair sur BBC1, était claire : « Si vous aviez su alors qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive, seriez vous quand même allé en guerre ? » La réponse de l’ancien Premier ministre était tout aussi claire : « J’aurais persisté à penser qu’il était juste de le renverser (Saddam Hussein). Mais évidemment il aurait fallu utiliser et déployer des arguments différents concernant la nature de la menace. »
On savait que Blair savait qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive et que celles-ci n’étaient que le prétexte auquel Blair s’accrochait désespérément, parce qu’il lui en fallait tout de même un pour s’engager dans une guerre contre laquelle ceux qui l’avaient élu étaient férocement opposés.
Mais en le reconnaissant lui-même, il a versé de l’eau au moulin de tous ceux qui souhaitent le voir traîné devant les tribunaux pour crimes de guerre. Car, quelle autre accusation peut-on lancer à des gens qui ont renversé un régime établi et poussé dans le chaos un pays de 25 millions d’habitants tout simplement parce qu’ils n’aiment pas le chef de ce régime et qu’ils pensent que « le monde est meilleur » sans lui. La question de savoir si le monde est plus dangereux avec Saddam ou avec Blair et Bush, s’il est meilleur sans celui-là ou sans ceux-ci, sera tranchée par l’histoire. Et la réponse ne sera ni aussi évidente ni aussi facile que ne semble le penser l’ancien Premier ministre britannique.
« Choc », « effroi », « consternation » sont quelques uns des sentiments exprimés par le public britannique après la diffusion de l’interview sur BBC1. Ce sont des sentiments tout à fait compréhensibles et que toute personne normalement constituée ne peut pas ne pas éprouver face à quelqu’un qui, près de sept ans après le désastre qu’il a largement contribué à provoquer, continue de se croire dans son bon droit, et affirme sans ciller qu’il aurait eu recours à un autre prétexte pour engager quand même la guerre, si celui des armes de destruction massive s’était avéré inopérant.
On ne peut pas ne pas être pris d’effroi en effet quand, malgré la mort et le déplacement de millions d’Irakiens, malgré les milliers d’attentats destructeurs qui continuent d’ensanglanter le pays jusqu’à ce jour, malgré les conséquences géostratégiques catastrophiques, Blair continue de faire l’apologie de sa décision d’entrer en guerre contre l’Irak, une action qui, encore une fois, relève du grand banditisme politique.
Le quotidien londonien « The Times » de samedi 12 décembre a rapporté la colère des parents de soldats morts en Irak : « Des parents de certains soldats morts en Irak ont refusé de serrer la main de Tony Blair, le traitant de criminel de guerre avec du sang sur les mains. » On comprend la douleur de ces parents, et surtout leur colère après avoir vu l’interview. Leurs proches sont morts parce que Tony Blair avait fait une fixation sur l’Irak et estimait que « le monde est mieux avec Saddam en prison. » Maintenant que Saddam est mort et enterré et que l’Irak est toujours à feu et à sang, les britanniques qui pleurent encore leurs morts ne sont pas les seuls à se demander si le monde ne serait pas un peu plus juste avec Blair devant un tribunal genre Nuremberg plutôt que devant une commission d’enquête, soucieuse beaucoup plus de ne pas heurter les sentiments des coupables que ceux des victimes ?

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