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Wednesday, April 29, 2009

Les cent premiers jours d'Obama

Comme le temps passe vite. Cela fait 100 jours aujourd’hui depuis que Barack Obama a déménagé à la Maison blanche avec la ferme intention de réparer ce que son prédécesseur a endommagé et de remettre les Etats-Unis sur la juste voie, du moins telle que la conçoit la nouvelle administration, en termes de politique intérieure et étrangère.
L’une des particularités politiques aux Etats-Unis est de célébrer le centième jour du nouveau président, non pas en organisant des festivités populaires ou un cocktail à la Maison blanche, mais en utilisant cette étape symbolique pour faire un mini bilan de la nouvelle équipe. C'est-à-dire mesurer le décalage inévitable entre les promesses électorales et la pratique politique sur le terrain, ainsi que les degrés de changement et de continuité qui séparent ou qui lient la précédente administration et l’actuelle.
Au centième jour de son gouvernement, et en dépit de la grave crise économique et financière, la popularité de Barack Obama est assez élevée. 69% des Américains sont satisfaits de leur président. Il faut dire que son jeune âge et son expérience relativement limitée n’ont pas été un handicap pour le nouveau président qui semble très à l’aise dans sa fonction de chef de l’exécutif américain. On n’a eu à aucun moment l’impression que le jeune président bafouille ou cafouille ou panique face aux chantiers gigantesques qu’il est en train de piloter.
Le dossier de la crise économique lui a été légué par son prédécesseur. Cette crise s’est déclenchée en septembre 2008, du temps où Obama menait sa campagne électorale tambour battant. C’est donc George Bush qui a dû prendre les premières mesures pour sauver autant que faire se peut les banques au bord de la banqueroute et les entreprises menacées d’effondrement. A ce niveau, Obama s’est inscrit dans la continuité en poursuivant sur la voie inaugurée par Bush et qui consiste à injecter massivement de l’argent public pour sauver le capital privé.
Le dossier de la politique étrangère est différent. L’héritage légué par Bush est si désastreux qu’Obama a dû durant ses cent premiers jours mobiliser tout son talent et toute son énergie pour entamer le processus de normalisations des relations des Etats Unis avec le reste du monde, y compris avec les alliés européens ulcérés par l’arrogance et l’incompétence de l’administration Bush.
Au Moyen-Orient, on n’a constaté aucun changement notable. Il est vrai que les cent premiers jours d’Obama ont coïncidé avec des élections et la mise en place d’un nouveau gouvernement bien plus à droite que le précédent en Israël. Personne n’attend de percée substantielle dans le conflit israélo-palestinien, mais tout le monde attend le « clash » entre Obama et Netanyahu.
En Irak, le président américain semble coller à ses promesses électorales concernant le retrait progressif des troupes, mais la récente flambée de violence, si elle se poursuit, risque de forcer Obama à revoir son calendrier et à prolonger éventuellement la présence de ses soldats dans le bourbier mésopotamien. Sa marge de manœuvre est ici si étroite et dépend si fortement de l’évolution sur le terrain qu’il n’a aucune latitude de mener une politique différente de celle de son prédécesseur.
Un peu plus à l’est, en Iran, la situation demeure aussi complexe et aussi bloquée qu’elle l’était au temps de Bush. Certes, il y a un changement notable au niveau de la forme. Le langage a changé. Une main tendue au lieu des menaces de changement de régime et de bombardement proférées par Bush et Cheney. Mais le contentieux reste entier et la méfiance reste vive entre les deux parties.
Plus à l’est encore, en Afghanistan et au Pakistan, la complexité prend la forme d’un véritable casse-tête pour le président Obama. La situation dans ces deux pays est nettement plus dangereuse qu’elle ne l’était au temps de Bush. Les talibans afghans et pakistanais gagnent chaque jour un peu plus de terrain, ce qui n’inquiète pas seulement les Américains quand on sait que le Pakistan, que les illuminés de Beitollah Mehsud et d’Al Qaida cherchent à déstabiliser, possède un arsenal d’armes nucléaires. Par conséquent, la stratégie du président Obama dans cette région tourne autour d’un objectif central : empêcher que l’arsenal nucléaire pakistanais ne tombe entre les mains des ennemis des Etats-Unis.
Le voyage en Europe a été un grand succès populaire avec peu de résultats politiques. Obama n’a pu ni convaincre les Allemands de soutenir leur demande intérieure et limiter leurs exportations en direction des Etats-Unis, ni persuader les Européens de la nécessité de partager plus substantiellement le fardeau de la guerre d’Afghanistan.
Côté Chine et Russie, les cent premiers jours d’Obama n’ont encore apporté aucun changement notable par rapport à la politique de Bush vis-à-vis de ces deux pays. La Chine continue d’être à la fois le principal créancier de Washington et le plus grand exportateur de biens manufacturés vers le marché américain. Quant aux relations russo-américaines, elles sont toujours au point où Bush les a laissées. La discorde autour du déploiement en Pologne d’un système américain de défense anti-missile ne trouve toujours pas de solution, Moscou ayant refusé une proposition d’Obama de ne rien déployer en Pologne à charge pour la Russie de bloquer le programme nucléaire iranien.
Finalement, le seul changement substantiel opéré par Obama durant ses cent premiers jours concerne les relations turco-américaines. Ce n’est pas un hasard si la première visite du jeune président américain dans un pays musulman était en Turquie. Ce n’est pas un hasard qu’Obama ait insisté avec vigueur sur l’acceptation par l’UE de la candidature de la Turquie au point d’avoir agacé le président Sarkozy. Ce n’est pas un hasard non plus que Washington mette ses vaisseaux qui pourchassent les pirates somaliens dans l’océan indien sous commandement turc, ce qui est une première dans l’histoire de la marine américaine.
Les commentateurs américains sont un peu perplexes. Bien que la Turquie fût totalement absente de la campagne électorale d’Obama, celui-ci n’a pas manqué d’en faire une priorité en assainissant rapidement le contentieux qui a perturbé les relations turco-américaines du temps de Bush. La Turquie est un atout multiforme pour Washington. Il peut servir à contrebalancer l’Iran, à aider à la stabilisation de l’Irak, à sauvegarder les intérêts américains dans le Caucase et aider dans le processus difficile de normalisation entre Washington et Damas. Obama a compris cela et a agi en conséquence.

Monday, April 27, 2009

Déstabilisation intellectuelle

A un certain moment, on a cessé d’être étonnés de ce qu’ont fait Bush et les siens. On en a tellement vu qu’on croyait avoir atteint le fond en matière de cruauté et de mépris du patrimoine moral et juridique que l’humanité a mis des millénaires à construire en vue d’en faire la base des relations entre les êtres doués d’intelligence.
On a une idée du calvaire de tous ceux qui ont eu la malchance de se faire attraper par la CIA ou par l’armée américaine et qui ont séjourné à Abou Ghraib, Guantanamo, Bagram et d’autres endroits anonymement célèbres, (excusez l’oxymore), et communément appelés « les prisons secrètes de la CIA ». Mais on ne peut s’empêcher d’avoir le sang glacé dans les veines à la lecture de certains détails relatifs à la technique et à la durée de la torture dont le président Obama a ordonné la publication la semaine dernière.
Imaginez quelqu’un nu, menotté, pendu par les mains et forcé de rester debout 180 heures d’affilée ; imaginez quelqu’un empêché de dormir pendant 11 jours d’affilée et aspergé d’eau froide ne dépassant pas les 10° Celsius dès qu’il ferme les paupières ; imaginez quelqu’un soumis 183 fois à la plus terrifiante des tortures, la simulation de noyade ; imaginez quelqu’un confiné dans une caisse en bois de la taille d’un cercueil avec pour compagnons le noir absolu et des insectes « hostiles ». Et la liste est longue. Toutes ces techniques de torture et la durée de leur utilisation sont détaillées dans les quatre mémos rendus publics la semaine dernière, dont le plus cruel est signé le 1er août 2002 par Jay Bybee, ancien haut responsable au ministère de la justice. Et encore, on a eu droit qu’à une version « expurgée » de ces mémos…
Cela fait peur. Mais cela met en colère aussi. L’un des journalistes américains les plus talentueux, William Pfaff, était tellement en colère à la lecture de ces mémos qu’il a intitulé son commentaire sur le sujet : « American Fascism » (1). D’habitude mesuré et rationnel, ce journaliste a conclu son commentaire en ces termes : « Les hommes qui ont autorisé, ordonné et accompli de tels actes devraient être pendus (should be hanged). C’est aussi simple que cela. » Pfaff n’est pas le genre d’homme à combattre un fascisme par un autre, mais sa réaction, et celle de beaucoup d’Américains honnêtes, furieux comme lui, est révélatrice de la déstabilisation intellectuelle qui résulte de la prise de conscience du fait que l’Amérique puisse descendre si bas.
La date de la signature du mémo de Jay Bybee, août 2002, est intéressante. Elle coïncide avec la période durant laquelle l’administration de George Bush a entamé sa campagne de mensonges et de manipulations pour préparer sa guerre contre l’Irak, guerre décidée avant même les attentats du 11 septembre 2001. En effet, un mois après la signature de ce mémo, George Bush, Dick Cheney, Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld, Colin Powell, Paul Wolfowitz et quelques autres ont rivalisé d’imagination pour terroriser les Américains à l’aide de l’épouvantail des armes de destruction massive. La fonction de cet épouvantail étant d’émousser toute opposition des citoyens américains à la guerre que leurs dirigeants avaient décidé secrètement de mener en leur nom.
Le mémo de torture de Jay Bybee faisait partie intégrante de cette campagne de désintoxication du public aux Etats-Unis et ailleurs. Mme Marjorie Cohn, professeur de droit à la Thomas Jefferson School of Law, s’est demandée sur son site internet (www.marjoriecohn.com) « pourquoi cette torture incessante par simulation de noyade ? » Sa réponse est la suivante : « Il s’avère que les hauts responsables de l’administration Bush ont mis une lourde pression sur les interrogateurs du Pentagone pour qu’ils établissent un lien entre Saddam Hussein et les auteurs des attentats du 11 septembre, afin de justifier l’invasion illégale et inutile de l’Irak en 2003. Ce lien n’avait jamais été établi. »
De la même manière que le service de propagande de l’administration Bush fournissait de « la matière » aux journalistes du New York Times et du Washington Post pour rédiger leurs articles mensongers sur les armes de destruction massive, en contradiction avec les principes élémentaires de l’éthique et de la déontologie journalistiques, le bureau juridique du ministère de la justice fournissait aux tortionnaires les techniques nécessaires à l’obtention du « lien » entre Saddam et Ben Laden, en violation des lois américaines et des Conventions de Genève.
Maintenant on a une idée un peu plus claire de cette division du travail qui avait caractérisé le monde politique, médiatique et carcéral de l’administration Bush entre l’automne 2002 et le printemps 2003. En effet, il y avait une parfaite division du travail entre Judith Miller (symbole d’une horde de journalistes au service de la propagande bushiste) qui publiait pendant des mois quotidiennement à la « Une » du journal new yorkais son article sur les armes de destruction massive irakiennes ; Bush, Cheney et Rice qui juraient leurs grands Dieux que s’ils ne faisaient rien contre Saddam, il provoquerait un nouveau Hiroshima ; Jay Bybee qui signait les mémos détaillant les techniques de torture les plus hallucinantes ; et les tortionnaires qui avaient envoyé un homme 183 fois au seuil de la mort, en lui faisant croire à chaque fois qu’il allait mourir noyé, pour lui faire avouer que Saddam et le terroriste Ben Laden étaient copains.
La suite est connue. Cette infernale division du travail a engendré une guerre hallucinante qui, six ans après son déclenchement, continue de semer la mort et la destruction en Irak. Il est à peine croyable que les responsables du plus grand désastre dans l’histoire de l’Irak et des Etats-Unis continuent de mener une vie tranquille comme si de rien n’était. S’il est exagéré d’exiger la pendaison de ces responsables, comme le fait William Pfaff, il est malsain de les faire bénéficier d’une impunité qui entravera pour longtemps les efforts des Américains de bonne volonté qui s’activent à réparer l’image fortement entachée de leur pays.




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(1) www.williampfaff.com

Thursday, April 23, 2009

Obama entre le marteau et l'enclume

George Bush a mis sept ans pour se rendre compte qu’il lui fallait faire quelque chose pour le conflit israélo-arabe. En novembre 2007, il a organisé une conférence à Annapolis. L’encre du communiqué final n’a pas encore séché qu’Olmert lui faisait subir une humiliation en annonçant de nouvelles constructions de colonies en Cisjordanie. Son ultime tentative de faire oublier ses graves échecs…échoua et le problème fut légué à son successeur.
Obama n’a pas l’air d’attendre les derniers mois de son mandat, comme l’ont fait Bush en 2007 à Annapolis et Clinton en 2000 à Camp David, pour s’occuper de la question palestinienne. Et c’est d’autant plus remarquable que le nouveau président américain a déjà sur les bras la plus grande crise économique qui affecte les Etats-Unis depuis celle de 1929.
Les hasards ne font pas toujours bien les choses. Les hasards électoraux ont placé à Washington et à Tel Aviv des dirigeants politiques qui sont loin d’être sur la même longueur d’onde. Pour une fois qu’il y ait à Washington une équipe qui s’active à réaliser le rêve de deux Etats vivant côte à côte et à éloigner ainsi le plus grand danger qui menace la paix dans le monde, les Israéliens ont choisi de mettre en place une équipe dirigeante atteinte de constipation politique, s’activant par tous les moyens à maintenir le statu quo, en attendant que le vent du changement qui balaie les Etats-Unis se calme.
La nouvelle équipe israélienne, menée par le duo Netanyahu-Lieberman, s’inquiète déjà. Sa première rencontre, il y a quelques jours, avec le chef des renseignements militaires israéliens, Amos Yadlin, n’est pas de nature à apaiser cette inquiétude. Selon le quotidien israélien « Haaretz », Yadlin a affirmé au cours de cette première rencontre que « la politique moyen-orientale du président Barack Obama pourrait mettre en danger Israël ». Le chef des renseignements militaires israéliens soutient cette grave accusation par les constats suivants : 1- « Obama veut faire avancer le processus de paix en se préparant à des discussions réalistes avec les éléments extrémistes » ; 2- « le changement surprenant du Hamas qui veut maintenant arriver à un accord de paix avec Israël. »
Jamais l’idée que la paix est un danger pour Israël n’a été exprimée avec autant de franchise. Plusieurs commentateurs dans le monde, y compris l’auteur de ces lignes, ont, à maintes reprises, exprimé leur étonnement face à la peur bleue qu’éprouve Israël de la paix. Voilà que cet étonnement n’est plus basé seulement sur l’analyse, mais aussi sur l’aveu du chef de l’une des plus importantes institutions de l’establishment israélien.
En fait, tout le monde veut vivre en paix, y compris les Israéliens. Seulement la conception israélienne de la paix est trop différente de celle de la communauté internationale. Pour celle-ci, la paix doit avoir pour base le droit qui interdit la confiscation des terres d’autrui par la force. La solution existe depuis longtemps. Elle a été fournie il y a plus de quarante ans par les résolutions 242 et 338 du conseil de sécurité de l’ONU.
Israël a une autre conception de la paix qui n’a rien à voir ni avec le droit ni avec le compromis. La « pax israeliana » dont rêve Tel Aviv est indissociable du rêve sioniste qui revendique un « Eretz Israël » pour le seul peuple juif. Et à force de mentir à eux-mêmes, à force de s’imbiber du mythe de la Terre promise, les Israéliens sont devenus convaincus que toute la Palestine leur appartient et que, pour eux, il y a effectivement des territoires occupés, et l’occupant est bien sûr le Palestinien qu’ils vont s’employer à annihiler par tous les moyens à leur disposition, et principalement les moyens militaires. La violence terrifiante que les Israéliens ont déchaînée contre les Palestiniens à Djénine en 2002 et à Gaza il y a deux mois, cache mal leur désir pathologique de voir ce Palestinien disparaître de la face de la terre. Golda Meir est allée jusqu’à « chosifier » le peuple palestinien affirmant avec emphase qu’ « une telle chose n’existe pas ».
La peur de la paix qui empoisonne la vie des Israéliens a donc des bases mythologiques et idéologiques. La paix signifie pour eux à la fois la fin du mythe de la Terre promise et la faillite de l’idéologie sioniste et l’évaporation du rêve qu’elle entretient depuis plus d’un siècle.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la méfiance que la classe politique israélienne éprouve à l’égard de la nouvelle équipe à Washington. C’est dans ce cadre qu’il faut placer l’intervention du chef des renseignements militaires israéliens si l’on veut comprendre son inquiétude vis-à-vis de la nouvelle administration américaine, dont la politique « pourrait mettre en danger Israël », comme il dit.
Obama est décidé à aller de l’avant. Après avoir reçu mardi à la Maison blanche le roi Abdallah de Jordanie, le président américain a invité séparément les présidents égyptien et palestinien ainsi que le Premier ministre israélien. Avec les deux premiers il ne trouvera pas de difficultés. Avec Netanyahu, les choses risquent de se passer très mal pour une raison simple : ils ne parleront pas le même langage et seront chacun sur une onde différente. Ils ne s’entendront pas parce qu’Obama sera animé par un raisonnement politique et Netanyahu par l’idéologie sioniste et le mythe de la Terre promise. Un dialogue de sourds n’est pas exclu et le président américain risque de se retrouver entre le marteau et l’enclume, c'est-à-dire entre un gouvernement israélien constipé et décidé à rester immobile, et un lobby pro-israélien à Washington qui lui met les bâtons dans les roues.

Monday, April 20, 2009

Israël est un Etat raciste

On se rappelle de Durban I, la première conférence sur le racisme et la discrimination, qui s’est tenue en Afrique du sud, juste quelques jours avant les attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis et Israël avaient alors claqué la porte avant la fin des travaux sous le prétexte que les participants étaient « anti-israéliens », établissaient une « équivalence entre le sionisme et le racisme » et voulaient obliger les Américains à « s’excuser » de leur passé esclavagiste.
Ces deux pays ont récidivé en décidant de boycotter Durban II qui s’est ouverte lundi 20 avril à Genève. Ils ne sont pas les seuls. Le Canada, l’Australie, l’Italie et les Pays-Bas ont décidé eux aussi de ne pas assister. Une décision d’autant plus surprenante que le texte de la déclaration finale a été remanié dans le sens des exigences occidentales, c'est-à-dire en biffant toute référence à Israël et au conflit israélo-arabe. Le communiqué final de Durban II ne parle plus désormais que de « la détresse des Palestiniens » à laquelle, pour « faire l’équilibre », on a collé « le droit d’Israël à la sécurité ».
D’autres pays de l’UE ont décidé de participer, mais ont menacé de se retirer si le président iranien critique Israël. Il faut rappeler ici que ces mêmes pays se sont fermement opposés à toute interdiction de critiquer l’islam sous prétexte que cela « limiterait la liberté d’expression ». Mais voilà qu’ils nous fournissent la preuve qu’Israël est plus sacré que le sacré.
Israël et ses amis ne se sont pas contentés de boycotter la conférence de suivi de Durban I qui se déroule actuellement à Genève, ils ont mobilisé leurs démagogues et propagandistes de service dans une tentative de discréditer le forum et tout ce qui en découle. Le déchaînement contre Durban II a atteint des proportions hallucinantes. Certains sont allés jusqu’à suggérer l’idée que le choix de la date du 20 avril, qui se trouve être la date de naissance d’Adolphe Hitler, a été fait sciemment pour fêter en même temps l’anniversaire du dictateur nazi…
Un certain Alan Caruba, par exemple, a écrit sur un site canadien (http://www.canadafreepress.com/) que « quand la conférence se réunit le 20 avril, jour de la naissance de Hitler en 1889, son esprit dominera les travaux de Durban II. La bonne nouvelle est que les diplomates américains n’assisteront pas. Espérons que d’autres pays qui ont souffert de la haine génocidaire de Hitler n’assisteront pas non plus. » Après cette exploitation malhonnête d’un simple hasard de calendrier, le propagandiste du sionisme verse dans le délire : « Durban II », dit-il, « est un autre exemple de Jihad Islamique et de ses siècles de guerre contre les autres religions. Ceux qui nieront son existence continueront à souffrir de ses conséquences. »
En Israël, Yitzhak Herzog, ministre des affaires sociales, et chargé en même temps de « la lutte contre l’antisémitisme dans le monde », qualifie Durban II de « spectacle cynique manipulé par l’axe Iran-Libye-Pakistan ». Pourtant ce ministre ne peut ignorer que Durban II ne vise rien d’autre que de faire le suivi de Durban I, c'est-à-dire de voir le degré d’application des recommandations de la conférence de 2001 sur le racisme, recommandations qui ont été adoptées par 189 pays, autant dire par la planète entière à deux exceptions près, Israël et les Etats-Unis.
Il y a tout lieu de craindre qu’en Israël beaucoup de politiciens, visiblement déstabilisés par Durban I et II, aient totalement perdu la maîtrise d’eux-mêmes. Leur arrogance a atteint des sommets tels qu’ils se croient en droit de dicter au président du pays hôte de la conférence qui rencontrer et qui ne pas rencontrer.
Le président de la confédération suisse a prévu une rencontre avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. Avant même que cette rencontre n’ait lieu, des tirs à boulets rouges en provenance d’Israël ont visé le président suisse coupable d’avoir rencontré chez lui un homologue étranger, Ahmadinejad, qui n’est pas en odeur de sainteté en Israël. Le vice ministre israélien des affaires étrangères a dénoncé « une rencontre malheureuse, une décision bizarre qui ne peut que porter atteinte à la Suisse ».
La chose est entendue. Israël a le droit de critiquer le président suisse pour une simple rencontre avec un homologue étranger. Mais le monde n’a nullement le droit de critiquer Israël pour ses crimes abominables qu’il n’a cessé de commettre depuis 60 ans contre les Arabes. Voilà où on en est aujourd’hui dans ce monde bizarre.
Le tort des organisateurs de Durban II est qu’ils ont reculé et se sont pliés aux exigences des défenseurs d’Israël en purgeant leur texte de la plus terrifiante des vérités : Israël est un Etat raciste qui a commis un nombre incalculable de crimes de guerre contre les Palestiniens et les Libanais.
Israël est un Etat raciste parce qu’il ne cesse d’exiger jusqu’à ce jour des Palestiniens sa reconnaissance en tant qu’ « Etat juif ». Israël est un Etat raciste parce qu’il pratique la discrimination par la loi à l’intérieur de ses frontières contre les Palestiniens de 1948, et la discrimination par la violence contre les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza (1).
On ne peut ici que nous ranger du côté des congressistes noirs américains et partager leur frustration quant à la décision du président Obama de boycotter Durban II. L’un d’eux n’a pas caché son amertume face au fait que « le premier président noir américain boycotte une conférence sur le racisme ».
Quiconque veut œuvrer à l’instauration de la paix et de la justice dans le monde, quiconque veut la stabilité du Moyen-Orient et la sauvegarde des intérêts de tous les pays, doit appeler un chat un chat. C'est-à-dire désigner Israël comme un Etat raciste et non démocratique, comme il prétend être, afin de l’aider à se débarrasser de ses fanatiques et à suivre la voie de la raison qui est celle de ses intérêts à long terme. Sinon, comme le suggère un rapport de la CIA, il risque fort de ne pas fêter son centième anniversaire. Au Moyen-âge, il y avait un Etat chrétien établi à Saint Jean d’Acre (Akka en arabe et Akko en hébreu) qui n’a duré que 99 ans, c'est-à-dire de 1191 à 1290, et n’avait donc pas fêté son centième anniversaire…



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(1) Lire le livre de l’ancien président américain, Jimmy Carter, « Palestine, Peace not apartheid » (Simon & Shuster, 2006).

Saturday, April 18, 2009

L'histoire du pêcheur devenu pirate

En toute franchise, il est difficile d’envier le président Barack Obama ou de désirer être à sa place. L’homme s’est retrouvé avec un héritage terrifiant légué par son prédécesseur George Bush que l’histoire retiendra, sans aucun doute, comme le président le plus incompétent et le plus dangereux pour son pays et le monde que les Etats-Unis aient jamais eu.
En plus de la tâche titanesque consistant à réparer les erreurs de l’administration précédente, le président Obama est confronté à la crise économique que les Etats-Unis et le monde n’ont pas connue depuis 80 ans ; il a les dossiers russe et chinois à traiter ; son armée est embourbée dans deux guerres à dix mille kilomètres de chez elle ; plusieurs milliers de soldats attendent d’être rapatriés d’Irak et quelques milliers d’être envoyés en renfort en Afghanistan ; il a le problème inextricable du Pakistan qui ressemble, selon un commentateur américain à « un baril de poudre attendant l’allumette » ; en tant que président du pays le plus pollueur du monde, il a le changement climatique à se pencher dessus ; enfin, il s’est engagé à préparer aux générations futures un monde dénucléarisé.
Mais, comme si tout cela n’est pas assez, le président Obama s’intéresse aussi aux problèmes de moindre importance qu’il veut aussi régler. L’un d’entre eux est le problème posé au transport maritime dans l’océan indien et le golfe d’Aden par les pirates somaliens. « Avec nos alliés », a dit le président américain, « nous oeuvrerons à prévenir de nouvelles attaques, nous nous préparerons à les confronter et nous ferons en sorte que tous ceux qui commettent des actes de piraterie soient tenus pour responsables de leurs crimes. »
Cet engagement d’Obama à s’occuper également des problèmes mineurs n’est pas du goût de tout le monde. Par exemple, le commentateur américain, William Pfaff, est sorti de ses gonds en écoutant son président proférer des menaces contre les pirates. Il s’est demandé pourquoi les Etats-Unis ne laissent-ils pas à la Grande Bretagne et à l’Italie, « en tant qu’anciennes puissances coloniales », la responsabilité de pourchasser les pirates somaliens ?
En fait, le problème n’est pas tant de savoir qui pourchasse les pirates que de comprendre pourquoi le phénomène de la piraterie prend précisément maintenant une ampleur qu’il n’a jamais eue auparavant. La piraterie est aussi vieille que la navigation maritime, mais jamais le nombre de bateaux détournés et celui des marins pris en otages n’ont été aussi élevés qu’en 2008-2009.
La piraterie, comme le terrorisme, ne peut être éradiquée sans traiter les causes qui l’ont engendrée et sans aller aux sources qui l’alimentent. Les pêcheurs somaliens ne se sont pas réveillés un beau jour en se disant : « y’en a marre de pêcher, allons pirater plutôt, ça rapporte plus », comme le laissent entendre certains médias occidentaux. Depuis vingt ans, les choses évoluent d’une manière telle que ce qui se passe aujourd’hui à l’océan indien et dans le golfe d’Aden semble un résultat logique et inévitable.
Tout a commencé donc au début des années 90 du siècle dernier quand le président Mohammed Siad Barré fut renversé. L’incapacité de la société somalienne de se doter d’un régime politique de nature à tenir le pays après l’effondrement de celui de Barré, a fait de la Somalie le pays africain le plus anarchique et le moins sécurisé du continent. Il est terrifiant de constater qu’aujourd’hui, toute une génération en Somalie n’a aucune notion de ce que peut être la stabilité politique, ce qu’est un Etat et que veut dire le mot citoyenneté.
Celui qui a 20 ans aujourd’hui en Somalie n’a aucune idée de ce qu’est la loi, sinon celle du plus fort, la loi de celui qui a le plus de miliciens et le meilleur armement. Celui qui a 20 ans aujourd’hui en Somalie ne sait pas que pour vivre, il faut travailler et payer un impôt sur ses revenus à l’Etat. D’ailleurs, aujourd’hui, pour la jeune génération somalienne, il ne s’agit pas de vivre, mais de survivre. Et pour survivre, il n’y a rien d’autre à faire que de piller, s’adonner à toutes sortes de trafics illicites, et même tuer son semblable pour un plat de lentilles.
L’absence d’Etat en Somalie, capable de protéger ses côtes, a engendré, en plus de l’anarchie terrestre, une anarchie maritime. Les flottilles de pêche de plusieurs pays européens et asiatiques, profitant de l’absence de gardes-côtes somaliens et d’Etat capable d’alerter l’ONU ou l’opinion internationale, ont envahi les eaux territoriales somaliennes, pêchant industriellement toutes sortes de poissons, en particulier le thon qui était jadis le produit phare des exportations somaliennes.
Des années de pêche industrielle avec des flottilles suréquipées et utilisant des filets longs de plusieurs kilomètres, ont pratiquement vidé les eaux territoriales somaliennes de sa richesse. La rareté du poisson a rendu le métier de pêcheur en somalie très peu rentable, d’où la reconversion des pêcheurs en pirates. Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans l’océan indien et au Golfe d’Aden est certes le résultat de l’anarchie sévissant en Somalie, mais aussi de la rapacité des flottes de pêche européennes et asiatiques qui ont vidé de son poisson des eaux qui ne leur appartiennent pas.
La victoire sur le terrorisme ne sera jamais assurée à coups de missiles envoyés indistinctement sur la tête des terroristes et des populations qui les accueillent malgré elles. Elle sera assurée uniquement par la réduction des injustices et la profonde réforme des « medersa » qui, au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs, excluent de leurs programmes toute allusion à la culture de la vie et façonnent les enfants dans le moule terrifiant de la culture de la mort, du sacrifice et des vierges qui attendent avec impatience les auteurs d’attentats suicide.
Il en est de même pour la victoire sur la piraterie. Elle ne sera jamais assurée par la chasse aux pirates uniquement. Car, quand un pirate tombe, il y’en a dix qui attendent pour prendre sa place. Ce phénomène ne sera éradiqué qu’en aidant la Somalie à se doter d’un régime politique capable de mettre fin à l’anarchie, ceci d’une part. D’autre part, en interdisant aux flottilles de pêche industrielle de s’approcher des eaux territoriales somaliennes. Car, enfin, comment les pirates somaliens redeviennent-ils pêcheurs sans la reconstitution de leurs richesses poissonnières et sans un Etat pour mettre de l'ordre sur terre et sur mer?

Wednesday, April 15, 2009

Arrêtez-le ou il fait un malheur

Les jérémiades israéliennes concernant l’intention attribuée à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire ne datent pas d’hier. Il y’a 17 ans déjà, en 1992, juste quatre ans après la fin de la guerre Iran-Irak qui avait ruiné les deux pays, Shimon Peres avait prédit que l’Iran aurait sa bombe atomique en 1999. Et en 1996, le même Peres avait affirmé que « l’Iran est le centre du terrorisme, du fondamentalisme et de la subversion, et est à mes yeux plus dangereuse que le Nazisme, parce que Hitler ne disposait pas de l’arme nucléaire alors que les Iraniens s’efforcent d’en posséder une. »
Si en 1992 Shimon Peres avait donné aux Iraniens sept ans pour mettre au point leur bombe, en 1996 Ehud Barak, lui, était un peu plus généreux puisqu’il leur avait donné huit ans, fixant la mise au point de l’arme atomique iranienne pour 2004. (1)
Nous avons cité seulement ces deux là, mais, cela va sans dire, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Israël, une pléthore d’hommes politiques et de journalistes, obsédés par la bombe iranienne, s’efforcent jusqu’à ce jour, chacun de son côté, d’apporter sa petite contribution à la mobilisation de l’humanité entière contre ce qu’ils considèrent comme le principal danger qui la guette. Chacun à son niveau et en fonction de sa spécialité s’efforce de prévoir quand la bombe sortirait des laboratoires nucléaires de l’Iran, dans le cas où le genre humain continuerait à se croiser les bras et à regarder ailleurs. Cependant, nul dans cette pléthore ne veut entendre parler du rapport de la CIA qui, il y a deux ans, nous informait que les autorités iraniennes avaient mis fin à leur programme nucléaire militaire en 2003…
Le dernier représentant de ces Cassandre à prendre la parole est le tout neuf Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Dans une interview accordée au journaliste américain Jeffrey Goldberg (2), Netanyahu affirme : « Vous ne voulez pas qu’un pays qui a le culte du messianisme apocalyptique contrôle des bombes nucléaires. Quand un fanatique entre en possession d’armes de destruction massive, le monde entier doit s’inquiéter. »
Le Premier ministre israélien assigne « deux grandes missions » au président Obama : « traiter la crise économique et empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. » Suit un ultimatum insolent : « Le président américain doit s’opposer à l’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran – et vite-, sinon Israël serait forcé d’attaquer lui-même les installations nucléaires iraniennes. »
Dans son délire, Netanyahu sait non seulement ce que le président américain a à faire, mais, plus étonnant encore, il sait ce que les pays arabes veulent exactement. « Presque tous les régimes arabes », affirme-t-il dans l’interview sus-mentionnée, « sont résolument opposés à l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire. Ils souhaitent ardemment, même s’ils ne le disent pas, que les Etats-Unis agissent pour empêcher cela, qu’ils utilisent leur pouvoir politique, économique, et, si nécessaire, militaire pour empêcher que cela n’arrive. »
Sans doute y a-t-il des divergences d’ordre politique et stratégique entre l’Iran et certains pays arabes, mais, conclure que ceux-ci « souhaitent ardemment » un bombardement de l’Iran, cela relève d’une campagne d’intoxication par laquelle l’establishment israélien cherche désespérément à faire croire que le principal ennemi des Arabes n’est pas Israël mais l’Iran.
Le principal ennemi des Arabes n’est pas l’Iran, mais Israël. Non pas parce que les Arabes détestent les juifs, loin de là. Les juifs avaient été accueillis à bras ouverts par les Arabes quand ils fuyaient l’inquisition espagnole. Ils avaient vécu des siècles en toute sécurité dans pratiquement tous les pays arabes au moment où leurs coreligionnaires vivant en Europe tombaient massivement victimes de l’antisémitisme.
N’en déplaise à Netanyahu, le principal ennemi des Arabes n’est pas l’Iran mais Israël. Parce que ce n’est pas l’Iran qui occupe depuis 42 ans par le fer et le feu les territoires arabes, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui envoie pour un oui ou pour un non ses bombardiers semer la mort et la destruction chez les Arabes, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui détient 11000 prisonniers palestiniens dans ses prisons, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui pointe 200 têtes nucléaires sur la tête des Arabes, mais Israël.
N’en déplaise à Netanyahu, les régimes arabes ne souhaitent pas ardemment que les Etats-Unis bombardent l’Iran et créent ainsi un autre cataclysme dans la région, mais ils désirent ardemment que les Etats-Unis utilisent, pour une fois sérieusement, leur pouvoir économique et politique pour amener Israël à restituer ce qu’il a confisqué par la force et à se conformer comme tout le monde au droit international. Les pays arabes désirent ardemment que le monde, au lieu de s’inquiéter des spéculations relatives aux capacités nucléaires de l’Iran, oblige Israël à ouvrir les portes de Dimona à l’inspection de l’AIEA. Ils souhaitent ardemment que le monde s’occupe d’abord des deux cent têtes nucléaires pointés depuis des décennies sur la tête des Arabes plutôt que de perdre son temps en conjectures et en spéculations sur le programme nucléaire iranien dont, jusqu’à ce jour, nul n’a la preuve tangible qu’il a pour finalité de produire la bombe atomique.
Le patron de l’AIEA, Mohammed El Baradei, qui, en 2002-2003, avait mis en garde les Etats-Unis contre le désastre qui les attendait, s’ils prenaient le risque d’envahir l’Irak, monte encore une fois au créneau. Il avertit aujourd’hui contre un autre désastre : « Israël serait totalement fou d’attaquer l’Iran. Cela me préoccupe. Si les Israéliens bombardent, ils transformeront la région en une boule de feu et pousseront l’Iran dans une course effrénée vers l’arme nucléaire avec l’appui de tout le monde musulman.»
Le problème est que Netanyahu n’est ni moins fanatique ni plus intelligent que Bush. Il faut crier tous d’une même voix à l’intention d’Obama : « arrêtez-le ou il fait un malheur ».

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(1) Voir l’article de Roger Cohen « Israel cries wolf » (Israël crie au loup) dans l’International Herald Tribune du 9 avril 2009.
(2) Interview parue dans le magazine américain « The Atlantic » le 31 mars 2009.

Monday, April 13, 2009

Crimes politiques en suspens

Imaginez un parrain de la mafia sicilienne qui vous fait chaque année un rapport sur les ravages occasionnés à la santé physique et mentale des gens par la consommation de la drogue dans le monde. Nonobstant le caractère absurde et quelque peu comique de cet exemple, il sied parfaitement à l’administration de George W. Bush qui, pas une année de son long règne chaotique n’a oublié de publier et de distribuer dans toute la planète son rapport extrêmement détaillé sur l’état des droits de l’homme dans le monde.
Sous Colin Powell et Condoleezza Rice, les deux ministres des affaires étrangères successifs de Bush, le département d’Etat a rédigé avec un zèle étonnant et dans les moindres détails les abus commis dans le monde en matière de droits de l’homme, ce qui laisse sous entendre l’idée que les Etats-Unis étaient alors un modèle disposant de l’autorité morale nécessaire pour se poser en donneurs de leçons aux autres gouvernements.
Il est pathétique qu’au moment où le département d’Etat préparait le rapport sur les droits de l’homme pour l’année 2002, par exemple, l’administration Bush était en pleine campagne de désinformation et de manipulation politique pour se munir du prétexte qui devait lui ouvrir la voie à l’agression militaire contre un pays et un peuple situés à 10.000 kilomètres des Etats-Unis et qui n’ont fait aucun mal au peuple américain. Le seul malheur de l’Irak était d’avoir les deuxièmes réserves pétrolières du monde et un régime politique abhorré à Washington. Ces deux caractéristiques, combinées à la soif inextinguible de pétrole de la société américaine, ont constitué un mélange explosif qui a fini par détruire l’Irak et par forcer son peuple à une descente aux enfers.
Il est pathétique qu’au moment où le département d’Etat commençait à distribuer son rapport sur l’état des droits de l’homme pour 2002, George Bush signait le 7 février 2003 un décret déniant l’application des Conventions de Genève aux « ennemis combattants », et au moment de la distribution du rapport de l’année suivante, éclataient comme un coup de tonnerre, en avril 2004, les abus terrifiants commis par l’armée américaine sur les détenus irakiens à la prison d’Abou Ghraib.
Il est tout aussi pathétique qu’au moment où le département d’Etat distribuait cette année son rapport sur l’état des droits de l’homme pour l’année 2008, un rapport d’un autre genre, ultra secret, du Comité International de la Croix Rouge (CICR) tombait entre les mains du journaliste américain, Mark Danner, qui l’a mis à la disposition du public sur le site de la New York Review of Books (www.nybooks.com).
La lecture de ce rapport est un véritable cauchemar. Des détenus aux mains de la CIA ont été soumis à une torture telle que la mort paraissait une délivrance. Ils étaient entièrement nus non seulement pendant les interrogatoires, mais durant des semaines, voire des mois, dans des cellules bien refroidies par des climatiseurs. Les habits étaient pour les détenus de la CIA « un privilège » dont bénéficiaient seulement ceux qui se montraient « coopératifs ».
La simple lecture de la description des techniques par lesquelles les interrogateurs de la CIA infligeaient la douleur physique à leurs prisonniers est insoutenable. La technique la plus terrifiante décrite dans le rapport secret du CICR est celle dite du « waterboarding », ou simulation de noyade. Elle consiste à attacher fermement le détenu par des ceintures sur un lit et à couvrir son nez et sa bouche avec un tissu sur lequel le tortionnaire verse de l’eau contenue dans une bouteille. Le tissu, une fois mouillé, colle au nez et à la bouche et empêche l’air de pénétrer. Commencent alors les convulsions du détenu qui est envoyé ainsi « au seuil de la mort ». Et de fait, les détenus « débriefés » par le CICR affirment avoir vu à maintes reprises la mort de très près.
Le plus choquant est que cette séance de torture insoutenable est faite en présence de membres du « corps médical » américain muni d’ « appareils de mesure de la quantité d’oxygène dans le sang ». La présence de ces « médecins » qui ont fait le serment d’Hippocrate avait pour but d’assurer que le détenu aille jusqu’au bout de la souffrance sans trépasser. Car ce sont eux qui décident quand le tortionnaire doit arrêter de verser de l’eau sur le tissu…
Le président Barack Obama s’efforce de réparer l’image, la réputation et la crédibilité des Etats-Unis, gravement endommagées par la politique de son prédécesseur. C’est un fait indéniable qu’aux yeux du monde entier l’administration de George W. Bush a commis non seulement des abus contre les droits de l’homme, bien pire que ceux décrits dans les rapports annuels du département d’Etat, mais aussi des crimes de guerre contre l’Irak et le peuple irakien. De nombreux crimes politiques qui restent en suspens.
La question qui se pose est la suivante : est-il possible pour les Etats-Unis de rétablir leur réputation et leur crédibilité dans le monde sans faire le ménage chez eux. C'est-à-dire sans demander des comptes aux responsables des crimes de guerre commis sans raison contre les Irakiens, et des violations délibérées des Conventions de Genève à Abou Ghraib, Guantanamo et ailleurs. Tout le monde sait que les vrais responsables sont George Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld et quelques autres.
Or ceux-ci, comme si de rien n’était, mènent une vie paisible et confortable aux frais du contribuable américain qu’ils ont manipulé et trompé à volonté pendant les huit dernières années. Barack Obama a des contraintes intérieures très sérieuses qui font qu’il lui est difficile de s’aliéner les élus républicains sur l’appui desquels il compte pour faire face à une grave crise économique.
Mais quelles sont les contraintes de la justice internationale ? Pourquoi traîne-t-elle devant ses tribunaux Slobodan Milosevic et Charles Taylor et ignore-t-elle superbement George Bush et Dick Cheney dont la politique a eu des conséquences bien plus graves sur la vie de millions d’êtres humains que les politiques du dictateur serbe ou du bandit libérien ? La réponse est simple : il n’y a pas une justice mais deux. Une pour les puissants et une pour les faibles. A moins que le procureur Ocampo ait instruit dans le plus grand secret le dossier de Bush et qu’il l’ait mis sur la liste d’attente de la Cour pénale internationale, juste derrière le président soudanais…

Wednesday, April 08, 2009

Une autre image de l'Amérique

Le premier grand voyage effectué à l’étranger par Barack Obama s’est révélé être un véritable marathon : réunion du G 20 à Londres, sommet de l’Otan à Strasbourg, sommet USA-Union européenne à Prague, sommet avec les dirigeants turcs à Ankara et un programme trop chargé à Istanbul, sans parler de la visite impromptue à Bagdad effectuée mardi dernier avant de rentrer à Washington.
Sur la route du retour, le président américain a dû ruminer l’amère impression qu’au vu des résultats des sommets du G 20 et de l’Otan, l’Amérique n’est plus cette puissance qui obtient ce qu’elle veut des ses partenaires européens et que des sommets peuvent désormais être clôturées au désavantage de Washington.
Au G 20, l’Amérique avait souhaité convaincre l’Allemagne, premier exportateur mondial, de stimuler sa demande intérieure et de ne pas attendre la reprise économique américaine pour reprendre massivement ses exportations outre Atlantique. Mme Merkel était restée intraitable et M. Obama a compris qu’il est inutile d’insister.
Sur un autre sujet, M. Obama a souhaité que l’Union européenne finance le système bancaire en déshérence de l’Europe de l’Est. Là aussi, Mme Merkel a dit non, ce n’est pas le travail de l’UE mais du FMI. Et là aussi, M. Obama a compris qu’il est inutile d’insister et a fait machine arrière.
Au sommet de l’Otan, le président américain avait espéré que la situation de plus en plus grave en Afghanistan pousse ses partenaires européens à être mieux disposés à partager le fardeau. Après d’épuisants conciliabules, les Européens ont consenti à mobiliser 5000 soldats qui iront en Afghanistan non pas pour guerroyer contre les talibans, mais pour sécuriser les élections législatives et présidentielle prévues au mois d’août.
A Prague, le sommet USA-UE a été dominé par les divergences entre la France et les Etats-Unis sur la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. M. Obama a pris fait et cause pour Ankara et a exhorté les pays européens à accepter la deuxième puissance militaire de l’Otan comme membre à part entière de l’UE. Le président français a aussitôt répondu à son « ami Obama » qu’il respecte son avis, mais c’est là « une question qui doit être résolue par les Européens. » Le président américain a répondu du tac au tac : ce n’est pas parce que les Etats-Unis ne sont pas membres de l’UE qu’ils se privent de donner leur avis.
Cela ne veut pas dire que le périple européen d’Obama est globalement négatif, loin de là. Le plus important, c’est qu’il a réussi à redonner une nouvelle virginité à l’Amérique, si l’on peut dire, aux yeux du public européen, et même aux yeux des dirigeants de l’UE qui ne cachaient pas leur soulagement de la fin des années cauchemardesques de George W. Bush. Avec son sourire charmeur, sa démarche décontractée, son éloquence et son discours dépourvu de l’arrogance et de l’obsession sécuritaire de son prédécesseur, Obama, comme par un coup de baguette magique, a donné une autre image de l’Amérique. Une Amérique jeune, souriante, décontractée et qui tend la main avec sincérité et bonne volonté à ceux qui, il n’y a pas longtemps, elle traitait avec condescendance, voire avec mépris. Entre Strasbourg et Prague, « la frontière » érigée par les bushistes entre « vieille » et « nouvelle » Europe s’est écroulée sous le charme d’Obama.
Mais, stratégiquement parlant, l’étape la plus importante du long périple du président américain n’est ni Londres, ni Strasbourg, ni Prague. C’est Ankara. Le discours d’Obama devant le parlement turc visait au moins autant le monde arabe et musulman que le peuple turc. En atterrissant à Ankara, le président américain visait au moins autant à rétablir la confiance avec un allié stratégique de haute importance qu’avec le monde arabe et musulman. Et là, on peut dire qu’il a pleinement réussi. Rarement un président américain a accumulé autant de réactions positives dans le monde arabe et musulman. D’Ankara à Khartoum, de Djakarta à Damas et de Bagdad à Rabat, on a salué unanimement le nouveau visage de l’Amérique. Et il ne s’agit pas seulement de réactions officielles. Les sociétés civiles et même les organisations politiques connues par leur opposition virulente à l’Amérique ont applaudi le nouveau discours et la nouvelle diplomatie de Washington, débarrassés de toute référence à la guerre préventive ou à la guerre globale contre le terrorisme.
La majorité des forces vives du monde arabe et musulman a donc pris acte de la nouvelle orientation de la diplomatie américaine. Mais prendre acte d’un changement de politique à travers un discours est une chose. Vérifier ce changement dans la pratique en est une autre. Et cette majorité des forces vives du monde arabe et musulman attend avec impatience que ce nouveau discours se traduise dans les faits, se concrétise dans la nouvelle diplomatie promise.
Obama est un président assez intelligent pour comprendre que le plus grand danger qui menace les relations Orient-Occident provient de la non résolution du conflit israélo-arabe. Il est assez honnête pour reconnaître que pratiquement tous ses prédécesseurs ont reconnu la nécessité de la création d’un Etat palestinien et qu’aucun d’eux n’a paris la peine de saisir sérieusement le taureau par les cornes.
Lui aussi, à l’instar de ses prédécesseurs, il a dit et redit son désir de voir un Etat palestinien érigé à côté de l’Etat israélien. Il est déjà assuré d’une place dans l’histoire en tant que premier président noir des Etats-Unis. S’assurera-t-il une autre place en aidant à résoudre le conflit le plus complexe de l’histoire moderne ? Le temps presse. Il lui reste un peu plus de trois ans et demi (un peu plus de sept ans et demi s’il est réélu en 2012). Le temps presse et l’Amérique traîne toujours cette réputation paradoxale qui fait d’elle un pays capable de conquérir la lune, mais impuissant à résoudre un conflit qui empoisonne la planète Terre depuis 60 ans.

Tuesday, April 07, 2009

Panique au sein de la cinquième colonne

Samedi 4 avril 2009 à 20 heures sur BBC World. Le débat est inhabituel, mais très significatif du fait que quelque chose est en train de changer lentement, mais sûrement. D’abord le décor. Une grande table fait face à la caméra à laquelle sont attablées cinq personnes. Au milieu, un journaliste britannique de la BBC anime le débat avec deux participants à sa droite (Avraham Burg, ancien président du Knesset, et Michael Sheuer, ancien analyste de la CIA), et deux à sa gauche (Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, et Dore Gold, politicien israélien, membre du Likoud).
L’endroit où est planté ce décor est Georgetown University, au cœur de la capitale américaine, et le débat est engagé en présence de quelques centaines d’étudiants et d’étudiantes qui réagissent au débat par des applaudissements, des rires ou des exclamations bruyantes. Le sujet : « Les Etats-Unis doivent-il faire pression sur Israël pour l’obliger à changer de politique ? », est très controversé et la plupart des étudiants sont visiblement étonnés qu’un tel thème, éminemment tabou jusqu’à une date récente, est débattu publiquement avec une franchise inhabituelle pour le public d’une ville comme Washington.
Les deux participants à la droite de l’animateur sont de gauche, c'est-à-dire pour le changement, et les deux à sa gauche sont de droite, c'est-à-dire pour la perpétuation de l’appui inconditionnel et aveugle des Etats-Unis à Israël.
Le débat s’échauffe quand l’ancien président du Knesset, Avraham Burg, se met à expliquer qu’ « Israël est devenu un danger pour lui-même et pour ses voisins, et qu’il faut que quelqu’un sauve ce pays de lui-même en mettant la pression sur ses dirigeants pour qu’ils changent de politique. » Burg parle avec une logique implacable : « Nous avons fait trop de guerres, il faut arrêter et faire la paix. Pour faire la paix, il faut rendre le Golan et évacuer les colonies de Cisjordanie. »
Le débat prend une tournure pathétique quand le citoyen américain, Alan Dershowitz, sort de ses gonds en entendant le citoyen et ancien responsable israélien défendre l’option de la paix. « Non, fulmine Dershowitz, il y a un danger existentiel qui guette Israël. Un danger que font peser sur lui l’Iran et le Hamas. Israël doit donc se défendre et il ne pourra pas le faire en retournant aux frontières du 4 juin 1967. » Le professeur Dershowitz est aidé par le Likoudien Dore Gold pour qui « les faits accomplis sur le terrain ne peuvent être ignorés et qu’il est irréaliste aujourd’hui de parler de retour aux frontières du 4 juin 1967. »
Les propos de Dore Gold n’étonnent pas ceux qui connaissent ce pur produit de l’establishment colonialiste et expansionniste israélien. Le problème est plutôt avec Dershowitz. Celui-ci est connu aux Etats-Unis pour être le plus grand défenseur d’Israël dans les milieux académiques américains et à la gloire duquel il a écrit plusieurs livres. Il est le prototype d’une catégorie d’Américains pour qui le patriotisme et les intérêts des Etats-Unis ne pèsent pas lourd face à la seule chose importante qui compte : les intérêts et la sécurité d’Israël.
Face à lui, il y a une autre catégorie d’Américains, représentés au débat par Michael Sheuer, pour qui Israël est en train de foncer tout droit vers le précipice et qu’il risque d’entraîner avec lui les Etats-Unis s’il ne se détachent pas à temps de cette relation désastreuse. Dershowitz sait le danger que représente Sheuer pour « la relation spéciale » qui lie Tel Aviv et Washington. Il le provoque, l’empêche de parler, l’accuse de bigoterie. Le ton monte entre les deux, ce qui pousse le modérateur de BBC World à intervenir pour demander aux deux protagonistes de se comporter de « manière civilisée ».
Pour quelqu’un comme Dershowitz qui tente de maintenir le peuple américain sous anesthésie pour tout ce qui touche à Israël, Michael Sheuer représente en effet un grand danger. Voici ce que l’ancien analyste de la CIA pense d’Alan Dershowitz et de ses semblables : « Il y a en effet, dit-il, une cinquième colonne clairement identifiable de citoyens américains – je les ai décrits ici et ailleurs comme les « Israël-d’abord », qui ont fait en toute conscience de la survie d’Israël et de sa protection leur première priorité. Ils ne voient en l’Amérique qu’un ensemble de ressources matérielles et humaines devant être mobilisées pour protéger les intérêts d’Israël et l’aider dans sa guerre religieuse implacable contre les Arabes. Ces « Israël-d’abord » subornent les citoyens américains pour qu’ils espionnent leur pays pour Israël. Ils utilisent leurs fortunes et leurs organisations politiques pour acheter les politiciens américains. Plus encore, ils utilisent leur accès aux médias pour couvrir leur déloyauté en dénigrant comme anti-sémite quiconque s’oppose à eux. Les « Israël-d’abord » sont incontestablement les ennemis de la démocratie américaine et doivent être détruits ». (1)
John Mearsheimer et Stephen Walt, avec leur étude sur les ravages du Lobby sur la politique étrangère américaines, ont été les premiers à ouvrir une véritable brèche dans le mur du silence par lequel s’engouffrent chaque jour un peu plus d’Américains en colère. Le Lobby qui a évolué pendant longtemps dans l’obscurité voit avec horreur cette lumière braquée sur lui et à laquelle il n’est pas habitué. Elle l’aveugle et le désoriente.
Il fallait voir le visage livide de Dershowitz après le vote des étudiants de Georgetown University. En effet, à la fin du débat, le modérateur de BBC World a demandé aux centaines d’étudiants présents de répondre à la question suivante : les Etats-Unis doivent-ils mettre la pression sur Israël pour l’obliger à changer de politique ? Le résultat du vote électronique annoncé quelques secondes plus tard par le modérateur est sans appel : 67% ont répondu oui.
Pour la cinquième colonne l’explication est simple : 67% des étudiants de Georgetown University sont anti-sémites.

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(1) Cité par Justin Raimondo dans « The Goldberg Syndrome », www.antiwar.com

Saturday, April 04, 2009

Le bateau ivre israélien

Il y a quelque chose de définitivement pourri dans la classe politique israélienne. Si l’on en juge par les procès et les enquêtes policières auxquels sont soumis certains dirigeants israéliens, la course vers l’enrichissement illicite, la satisfaction des désirs bassement matériels et des instincts les plus primaires sont devenus les priorités de ceux qui sont choisis par les électeurs pour gérer les affaires publiques. Tout se passe en Israël comme si les électeurs, dans un accès de masochisme (inconscient ou conscient, peu importe), choisissent les incompétents et les escrocs et leur donnent le gouvernail de ce qu’il faut bien appeler le bateau ivre israélien. Ils ont même eu un président pervers en la personne de Moshé Katsav, traîné en justice par plusieurs femmes israéliennes qui l’accusaient de harcèlement et même de viol.
Si l’on remonte seulement quelques années en arrière, on constatera que les deux principaux traits de ceux qui président aux destinées d’Israël sont l’incompétence et la corruption.
Ariel Sharon a dû user de son influence pour étouffer une affaire de pots de vins dont il a bénéficié ainsi que son fils Gilad. Ceci pour la corruption. En matière d’incompétence, il a joué un rôle déterminant sur plusieurs décennies dans le déclenchement des violences à grande échelle contre les Palestiniens et les Libanais et, par conséquent, dans l’exacerbation de la haine envers Israël et la destruction de sa réputation.
Son successeur Ehud Olmert s’est beaucoup occupé de ses propres affaires pendant la période où il était en charge de la gestion des affaires publiques. Il a fait preuve d’une cupidité peu commune allant jusqu’à se faire rembourser plusieurs fois le même billet d’avion par différents services ministériels. Sans parler des pots de vin qu’il empochait avec voracité, ce qu’il lui a valu une inculpation et une démission humiliante. Ceci pour la corruption.
En matière d’incompétence, il a brillé lui aussi. La désastreuse guerre du Liban de l’été 2006, c’est lui. La catastrophique guerre de Gaza, c’est lui aussi. Et quand il n’a pas de guerre à mener, il faisait semblant de négocier la paix avec les Palestiniens tout en élargissant les colonies. Il faisait l’apologie de Mahmoud Abbas qu’il considérait comme son « partenaire pour la paix », et il l’invitait même chez lui pour diner tout en oeuvrant à miner la position du président palestinien et à l’affaiblir vis-à-vis de ses rivaux du Hamas.
En plus de l’incompétence et de la corruption, Olmert s’est distingué par un autre trait : l’hypocrisie et la mauvaise foi. Alors que pendant sa longue carrière politique il avait œuvré à bloquer tout progrès du processus de paix israélo-palestinien, le jour où il a démissionné, il est subitement devenu le théoricien de la paix, affirmant qu’Israël n’a d’autre choix que d’évacuer les territoires occupés, y compris Jérusalem-est…
La nouvelle équipe mise en place par Benyamin Netanyahu n’est pas exempte de corrompus. Le jour où le nouveau ministre des affaires étrangères, le Moldave Avigdor Lieberman, prenait possession de sa nouvelle fonction, il n’a pas passé ses premières heures au siège du ministère pour faire la connaissance de ses collaborateurs, mais dans les locaux de la police pour répondre aux questions des enquêteurs sur les malversations auxquelles il s’est livré et les services, petits et grands, qu’il a rendus à la mafia russe.
En effet, le premier jour de sa nouvelle fonction de patron de la diplomatie israélienne, Lieberman a passé pas moins de sept heures et demi au poste de police comme un vulgaire malfrat, répondant aux accusations de corruption, de blanchiment d’argent sale, de création de sociétés fictives au nom des représentants de la mafia russe, ainsi que d’enrichissement sans cause, puisque la fortune de ce ministre et son train de vie n’ont rien à voir avec ses revenus de commis de l’Etat. Ceci pour la corruption.
En matière d’incompétence, la réputation du Moldave Lieberman était déjà établie avant même qu’il ne soit nommé au poste de Tzipi Livni, puisqu’aussi bien à Washington que dans les capitales européennes on s’inquiétait de l’arrivée sur scène de cet homme sans qualités diplomatiques particulières et sans talents politiques notables. On s’inquiétait de la nomination de Lieberman au poste de ministre des affaires étrangères avec, pour tout programme politique, le reniement du processus d’Annapolis et une double obsession qu’il nourrit depuis longtemps contre l’Egypte et les Palestiniens d’Israël. Lieberman ne cache pas son désir pathologique de « punir l’Egypte » en envoyant les bombardiers israéliens « détruire le barrage d’Assouan », pas moins. Quant aux Palestiniens d’Israël, qui représentent le cinquième de la population, il leur a donné le choix entre se faire expulser ou s’incliner devant les principes du sionisme et la bannière frappée de l’étoile de David.
Question incompétence toujours, Lieberman ne dépasse pas de beaucoup son patron Netanyahu. Le mauvais souvenir des années 1996-99, pendant lesquelles il avait servi au poste de Premier ministre, est encore très présent dans la mémoire de beaucoup d’Israéliens et de nombreuses chancelleries étrangères qui n’ont pas oublié l’obstination, la rigidité et l’inflexibilité de Netanyahu, et surtout sa détermination à détruire les accords d’Oslo, signés en septembre 1993.
Aujourd’hui, Netanyahu revient avec les mêmes réflexes et les mêmes obsessions avec en plus une aigreur qui s’est développée pendant la décennie de sa traversée du désert et qu’il a du mal à cacher. Il revient avec les mêmes positions qu’avant (pas d’Etat palestinien et pas d’arrêt de la colonisation), et une nouvelle idée fixe : bombarder l’Iran. A ce niveau, Netanyahu a déjà envoyé son message aux Etats-Unis : «Si Obama ne compte pas s’attaquer à l’Iran, nous le ferons nous-mêmes ».
On a tort de prendre cette menace à la légère. Entouré de fascistes, représentés par Avigdor Liberman, d’ultra orthodoxes fanatiques, représentés par Eli Ychaï du parti Shass, et de va-t-en-guerre, représentés par le travailliste Ehud Barak, Benyamin Netanyahu n’a personne dans son cabinet pour le raisonner ou pour modérer ses ardeurs agressives. Ses propagandistes ont déjà mis au point un nouveau concept qu’ils essayent de populariser à travers la presse israélienne : « les génocidaires iraniens », entendez par là les dirigeants iraniens. Ils ne disent pas quel génocide ceux-ci ont commis, mais ils semblent opter pour l’adage classique : « mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. »
A Washington et à Bruxelles, ils sont conscients des dangers que fait courir à la région et au monde cette nouvelle équipe de déchaînés israéliens, mais les réactions américaines et européennes, un peu trop timorées, tranchent avec la gravité du danger qui pointe à l’horizon moyen-oriental.

Wednesday, April 01, 2009

L'Otan et le lieutenant Drogo

C’était une idée canadienne au départ. Il y a bien longtemps, en 1949 exactement, les Canadiens proposèrent la création d’une structure de sécurité qui regrouperait les nations nord américaines et l’Union militaire européenne. Celle-ci était créée en 1948 par la France, la Grande Bretagne et les pays du Benelux pour se protéger contre une éventuelle résurgence du militarisme allemand.
L’initiative canadienne prit rapidement forme et devint la principale force de défense du « monde libre », sous le nom d’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Peu de temps après sa création, un général américain a usé d’une formule imagée pour expliquer la mission de la nouvelle structure sécuritaire : « To keep America in, Russia out and Germany down » (Garder l’Amérique dedans, la Russie dehors et l’Allemagne en bas).
Six ans plus tard, en 1955, cette mission ne consistait plus qu’à « garder l’Amérique dedans et la Russie dehors », puisque l’Allemagne fut admise comme membre à part entière et ses soldats côtoyaient désormais les troupes britanniques françaises, américaines et autres contre lesquelles ils s’étaient battus férocement une décennie plus tôt.
La guerre froide éclata en 1948 avec le coup d’état perpétré par les communistes en Tchécoslovaquie. La constitution de blocs militaires rivaux était inévitable, et le monde avait dû s’accommoder avec l’Otan à l’Ouest et le Pacte de Varsovie à l’Est. Ces deux blocs étaient excessivement équipés en armes conventionnelles, chimiques et nucléaires, de sorte que, s’ils s’en étaient venus aux mains, la planète aurait probablement été détruite par le feu atomique.
La chance de l’humanité était que l’Otan et le Pacte de Varsovie s’étaient regardés en chiens de faïence pendant quarante ans. En dépit d’une accumulation terrifiante de part et d’autre d’armes de toutes sortes, la Raison avait prévalu et aucune cartouche n’avait été tirée ni d’un côté ni de l’autre. Certes, les deux blocs s’étaient bien battus par pays pauvres interposés, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, mais la confrontation directe n’avait pas eu lieu.
Quarante ans après, en 1989, le mur de Berlin s’effondrait et son effondrement avait provoqué des craquelures irréversibles dans les structures de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Le père Bush, alors président des Etats-Unis, et son secrétaire d’Etat, James Baker, avaient réussi à convaincre Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, d’accepter la réunification de l’Allemagne, en lui faisant la ferme promesse que l’Otan n’avancerait pas d’ « un centimètre » en direction de la zone d’influence soviétique.
Promesse non tenue. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les présidents américains Bill Clinton et George W. Bush s’étaient assis sur la promesse faite à Gorbatchev par Bush senior et avaient entamé l’élargissement de l’Otan qui, petit à petit, avait absorbé presque tous les pays de l’ancien Pacte de Varsovie, y compris les pays baltes. On comprend que la Russie ressente cela comme une stratégie d’encerclement et qu’elle soit en droit de se sentir menacée. Cette stratégie, mise en place par de piètres stratèges à Washington, était d’autant plus absurde que Moscou avait des choses autrement plus vitales à faire que de menacer les Européens de l’Ouest ou, encore moins, les Etats-Unis d’Amérique.
Vingt ans après l’effondrement du mur de Berlin, les membres de l’Otan se préparent à célébrer en grande pompe demain et après demain, à Strasbourg (France) et à Kehl (Allemagne), le 60eme anniversaire de l’Organisation atlantique. L’un des moments forts de cette célébration sera la réintégration solennelle de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan qu’elle avait quitté en 1966 sur décision de De Gaulle.
Ce qui est remarquable dans cette célébration est qu’elle ressemble à une scène tirée directement du théâtre de l’absurde. On réquisitionne deux grandes villes qu’on transforme en citadelles où défileront les délégations des pays membres ; on accueillera plusieurs chefs d’Etat à Strasbourg qui prononceront des discours qui seront chaleureusement applaudis ; on parlera stratégie et géopolitique et on analysera les situations explosives en Afghanistan et au Pakistan. Mais aucun des participants à la célébration de ce 60eme anniversaire ne pourra répondre de manière convaincante à une question simple : à quoi sert l’Otan ?
Certes, cette organisation militaire a fait la guerre contre la Serbie en 1999 et est engluée en Afghanistan depuis que Bush a commis son erreur mortelle de s’attaquer à l’Irak. Mais ni la Serbie ni l’Afghanistan ne font partie de la sphère des compétences de l’Otan dont la mission (contenir l’expansionnisme soviétique) s’est arrêtée le jour où le mur de Berlin s’est effondré. Depuis, l’Organisation atlantique, au lieu de s’autodissoudre, s’est laissée instrumentaliser par la politique étrangère américaine. Elle s’est trouvée engagée à deux reprises dans des guerres décidées par un seul de ses membres : les Etats-Unis.
Depuis vingt ans, l’Otan cherche désespérément un ennemi suffisamment puissant et crédible pour justifier son existence et ses dépenses. Les Russes et les Chinois ont d’autres chats à fouetter que de jouer aux « ennemis crédibles » de l’Otan dont les chefs n’ont d’autre choix que d’ordonner l’encerclement du désert des Tartares.
Dans le célèbre roman de Dino Buzzati, les troupes du lieutenant Drogo sont là, mais elles manquent terriblement d’ennemis. Drogo a résolu le problème en s’en inventant un : les Tartares. Drogo s’est convaincu et a convaincu ses troupes que ces hordes sauvages ne manqueront pas de surgir à tout moment de leur désert et de foncer sur la civilisation pour la mettre en pièces. Il ordonne à ses troupes d’encercler le désert et de tirer sans sommation sur tout Tartare suffisamment imprudent pour montrer le nez. Aux dernières nouvelles, les pays membres de l’Otan n’ont pas réussi à s’entendre sur le prochain patron de l’Organisation militaire. Peut-être n’ont-ils pas encore trouvé l’oiseau rare, l’homme qui a les caractéristiques du héros du « Désert des Tartares ».