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Thursday, July 24, 2008

"Ô Pharaon pourquoi tu sévis?..."

Quand on a en mémoire le discours obséquieux du candidat Obama le mois dernier devant les 5000 délégués de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) réunis à Washington, on ne peut s’étonner de l’amour débordant d’Israël et des Juifs et de l’indifférence exagérée à l’égard de la situation tragique des Palestiniens manifestés par prétendant à la Maison blanche au cours de sa tournée moyen-orientale entreprise cette semaine.
Kippa de rigueur ; visite à Sderot pour exprimer sa solidarité avec les « victimes » des fusées parfaitement inoffensives lancées par des Palestiniens désespérés ; rencontre avec le policier israélien pour le féliciter d’avoir tué la Palestinien qui fonçait au bord de son bulldozer sur des voitures israéliennes ; visite éclairée par la lune à l’aube au mur des lamentations où il s’était lamenté Dieu sait sur qui, mais sûrement pas sur le sort lamentable des Palestiniens. Sans compter les rencontres avec les officiels israéliens et les assurances répétées jusqu’à l’écoeurement de son engagement sans faille envers la sécurité d’Israël et sa protection contre les « menaces mortelles » que font peser sur lui « les terroristes de tous bords » et « l’Iran nucléaire ».
Mais ce n’est pas tout. Obama a jugé nécessaire de démentir son démenti sur Jérusalem. Rappelons-nous le discours du candidat démocrate au début du mois de juin devant les 5000 délégués de l’AIPAC. Ce jour là il a dit que « Jérusalem doit rester la capitale unifiée d’Israël », chose que même George W. Bush n’a pas osé dire. Quelques jours après, conscient de son erreur et faisant face à une pluie de critiques, Obama a fait machine arrière en reconnaissant devant la presse américaine que « certains passages du discours étaient mal rédigés ». En Israël, nous avons eu droit à un démenti du démenti puisque le candidat métis, persistant et signant, est revenu à son erreur initiale en réaffirmant une fois encore que « Jérusalem doit rester la capitale unifiée d’Israël ».
Quiconque a suivi cette visite sur les écrans de télévision ne peut pas ne pas relever le contraste saisissant entre l’alignement extravagant du candidat Obama sur Israël et la grande publicité qui lui est faite d’une part, et, d’autre part, la visite aussi furtive que discrète qu’il a effectuée à Ramallah pour rencontrer le président Mahmoud Abbas. Nous n’avons eu droit qu’à quelques secondes d’images du candidat démocrate face au président palestinien. Et là, les choses étaient claires, les photographes, les cameramen et les monteurs ont tous appliqué à la lettre les instructions de l’état major de la campagne d’Obama : publicité maximale de la visite en Israël, discrétion maximale à Ramallah.
Cette obséquiosité des candidats à la Maison blanche vis-à-vis d’Israël et du lobby à son service à Washington, qui se poursuit une fois le candidat élu, est sans aucun doute l’une des raisons fondamentales de l’arrogance d’Israël, de son mépris du droit international affiché depuis plus de 40 ans et de sa politique qui constitue un barrage au retour de la paix dans la région.
Le candidat Obama n’a pas encore quitté Israël que les dirigeants de ce pays annoncent non pas l’extension d’une colonie existante, mais carrément la création d’une nouvelle colonie, ce qu’on n’a pas vu depuis des années. En effet, alors que Barack Obama faisait encore la courbette aux dirigeants israéliens, ceux-ci ont annoncé la création d’une nouvelle colonie en Cisjordanie qui s’appelle déjà « Maskiot » et qui comprendra « 20 unités ». Cette nouvelle violation des droits palestiniens et du droit international intervient quelques semaines après la décision du gouvernement israélien de construire 1800 nouveaux logements dans des colonies déjà existantes : 920 logements à Jbel Abou Ghneim que les Juifs appellent « Har Homa », et 880 dans la colonie de Pisgat Ze’ev qui surplombe Jérusalem.
Un proverbe égyptien dit ceci : « - Ô Pharaon pourquoi tu sévit ? – Parce qu’il n’y a eu personne pour m’arrêter ! ». Cela s’applique parfaitement à Israël. Car, non seulement jusqu’à présent aucune grande puissance n’a eu le courage de frapper sérieusement sur la table et dire « maintenant assez, trop c’est trop », mais, plus stupéfiant encore, les grands de ce monde (actuels et futurs) se bousculent à Israël et rivalisent furieusement dans les allées du pouvoir israélien à qui aime mieux et soutient plus ce pays que Barack Obama, dans un moment d’extase pro-israélienne, a qualifié de « miracle permanent ».
Dans ces conditions comment s’étonner qu’Israël continue de violer le droit international, de voler les terres palestiniennes et, en même temps, de monter sur les toits pour crier au danger et de pointer maintenant vers Téhéran le même doigt accusateur qu’il avait déjà pointé auparavant vers le Caire, Bagdad, Damas, Amman, Beyrouth etc… ?

Saturday, July 19, 2008

La guerre d'Iran n'aura pas lieu

Commençons par le commencement. En janvier 2002, George Bush annonça à un monde stupéfait que l’Irak, la Corée du nord et l’Iran constituent « l’axe du mal » que l’Amérique se prépare à annihiler.
Mars 2003, le premier membre de « l’axe du mal » est envahi et six semaines plus tard, le 1er mai 2003, le président américain atterrit en combinaison d’aviateur sur le porte-avions Lincoln, au large de la Californie, se faisant photographier et filmer en long et en large sous la fameuse bannière « Mission accomplished ».
« Mission accomplie » donc, et l’Amérique se préparait à régler ses comptes aux deux autres membres de l’ « axe du mal ». Seulement les choses tournent mal et l’Irak se révèlera être un bourbier infernal ce qui n’avait été prévu ni par l’armée américaine, ni par les stratèges néoconservateurs qui l’avaient envoyée guerroyer dans les sables mouvants de la Mésopotamie.
Plus l’armée américaine s’embourbait en Irak, moins les deux autres membres de « l’axe du mal » subissaient pressions et menaces. A Pyongyang et à Téhéran le degré soulagement était proportionnel au degré d’embourbement de l’armée américaine et au degré croissant de désillusion du peuple américain vis-à-vis du projet néoconservateur.
En 2004, et surtout après la réélection de George Bush pour un second mandat, il était déjà devenu évident que les Etats-Unis ne pouvaient en aucun cas réserver à la Corée du nord et à l’Iran un sort semblable à celui de l’Irak. En d’autres termes, pendant les deux premières années du second mandat de George Bush, Washington continuait à adopter une attitude arrogante et à proférer les menaces habituelles, mais tout le monde savait, aussi bien aux Etats-Unis que dans le reste du monde, que si l’armée américaine éprouvait de grandes difficultés à mettre au pas la résistance irakienne, elle ne pourrait sûrement pas ouvrir un autre front, et encore moins deux, contre le reste de l’ « axe du mal ».
La nouvelle réalité engendrée par l’embourbement de l’armée américaine en Irak a été mise à profit par la Corée du nord qui répondait aux menaces de bombardement par une intensification de ses essais nucléaires jusqu’à son annonce spectaculaire relative à son entrée au club restreint des pays possédant « la Bombe ».
Prenant acte du fait accompli nord coréen, Washington a commencé en 2006 à assouplir sa position et accepter l’idée que, la Corée du nord possédant désormais son moyen de dissuasion nucléaire, il n’y a aucune solution, sauf la négociation. Maintenant, après deux ans de négociations et d’assouplissement mutuel des positions, la crise américano-nord coréenne est largement résolue et Pyongyang a commencé le démantèlement de ses installations nucléaires.
La résistance du dernier carré des néoconservateurs dans les allées du pouvoir à Washington a retardé l’engagement des négociations avec l’Iran en dépit du succès de la diplomatie à résoudre la crise nucléaire avec Pyongyang. Ce retard est dû également à la forte résistance du lobby pro-israélien et d’Israël lui-même qui n’aimaient pas entendre parler de solution diplomatique avec Téhéran et qui qualifiaient les « pragmatiques » de l’administration américaines qui poussaient vers les négociations avec Téhéran de « rêveurs naïfs ».
Le changement d’attitude de Washington qui, subitement, a décidé à la fois d’envoyer le numéro 3 du département d’Etat, William Burns, à Genève pour négocier directement avec les Iraniens, et d’étudier la possibilité de rouvrir, 30 ans après, une représentation diplomatique à Téhéran, prouve que l’issue de la lutte interne qui se déroulait à Washington s’est conclue en faveur des « pragmatiques ». Le vice-président Cheney, les quelques néoconservateurs qui ne se sont pas encore éclipsés et l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) ont visiblement perdu et se trouvent sur la défensive dans le dossier nucléaire iranien.
Le plus fanatiques et le plus belliqueux d’entre eux, John Bolton, ancien représentant US à l’ONU, a piqué une crise de nerfs en apprenant que William Burns allait se réunir à Genève avec les Iraniens. Il a vociféré des critiques semblables à celles qu’il a formulées déjà contre l’administration Bush au moment de l’ouverture envers la Corée du nord : « C’est une capitulation totale et une renonciation à l’idée de suspension de l’enrichissement de l’uranium. Au moment où l’on croit que cette administration n’a plus de revirement à faire, elle entreprend un autre… ».
Le revirement et l’assouplissement américains sur le dossier iranien sont bien sûr les bienvenus et le monde entier, à l’exception d’Israël, se sent soulagé à l’idée que l’Amérique de Bush s’est finalement rendue à la raison et à l’évidence qu’elle ne peut pas se permettre une nouvelle guerre aux conséquences terrifiantes. Certains analystes américains attribuent à George Bush une intention machiavélique. Selon eux, le président américain est convaincu que la diplomatie avec l’Iran ne marchera pas. Il l’entreprend pour « être en règle » avec l’opinion publique mondiale avant de se lancer dans la guerre contre le régime des mollahs.
C’est le genre d’analyse par lequel généralement on cherche midi à quatorze heures. Bush a eu certes des comportements machiavéliques au moment où il préparait son agression contre l’Irak. C’était en 2002-2003, quand il était au sommet de sa puissance. Maintenant, il est affaibli, discrédité et à moins de six mois de la retraite. Il n’a ni le temps, ni la force, ni probablement l’envie, de se livrer à nouveau à des calculs machiavéliques aussi compliqués que dangereux. Sa décision de s’ouvrir sur l’Iran sera l’une des rares décisions raisonnables que le monde se rappellera de lui. La guerre d’Iran n’aura donc pas lieu et c’est tant mieux pour le Golfe, pour le Moyen Orient et pour le monde. Signe des temps, beaucoup sont en train de couvrir George Bush d’éloges non pas parce qu’il a empêché une guerre contre l’Iran, mais parce qu’il ne l’a pas déclenchée…

Tuesday, July 15, 2008

Le mot est lâché

Le temps presse et l’administration de George W. Bush n’arrive toujours pas à provoquer quelque événement heureux avec lequel elle clôturerait le 20 janvier prochain son double mandat désastreux sur le plan de la politique étrangère bien sûr, mais aussi sur celui de la politique intérieure.
En plus des mauvais souvenirs laissés au niveau de la gestion de la catastrophe naturelle de l’ouragan Katrina et des violations de nombreuses lois américaines, dont des règles constitutionnelles, cette administration s’apprête à quitter la scène en laissant derrière elle une situation économique très difficile que l’Amérique, selon de nombreux analystes, n’a pas connu depuis la crise de 1929. Le spectre de la faillite hante de nombreuses banques et des fleurons de l’industrie américaine, comme General Motors, sont au bord de la banqueroute.
Après la crise provoquée par la faillite de la banque Bear Stearns en mars dernier, sauvée in extremis par l’intervention de la réserve fédérale, celle-ci s’apprête à nouveau à intervenir massivement en utilisant encore une fois l’argent du contribuable pour sauver les deux plus grandes institutions financières américaines de crédit immobilier, Fannie Mae et Freddie Mac. Des centaines de milliards de dollars vont permettre de maintenir à flots ces deux immenses banques, ce qui équivaut à une nationalisation déguisée. Suite à la décision de la réserve fédérale américaine d’acheter massivement les actions de ces deux banques, Josh Rosner, directeur d’une société d’analyse financière new yorkaise s’est exclamé : « Bienvenue dans l’Etat socialiste ! » Un paradoxe pathétique de l’administration ultralibérale et ultraconservatrice de George Bush qui se trouve obligée à la fin de ses jours de nationaliser de fait des banques, même si le terme « nationalisation » n’existe pas dans le langage politico-économique américain.
Sur le plan intérieur donc, pas la moindre petite bonne nouvelle à se mettre sous la dent, et les citoyens américains semblent résignés à payer le prix de leur décision d’élire à deux reprises un pouvoir exécutif dont la compétence et la clairvoyance sont loin d’être ses qualités premières. Fidèle à son habitude de ne reconnaître aucune réalité qui lui est défavorable, l’administration Bush nie toute difficulté économique. L’un de ses membres a qualifié récemment la crise économique de purement « mentale », qualifiant au passage les Américains de « nation de geignards ».
Sur le plan de la politique étrangère, la situation est plus désastreuse encore. Le « léger mieux » en Irak est en train de se traduire par une aggravation de la guerre d’Afghanistan, et l’on assiste actuellement au flux inverse des combattants islamistes qui, selon l’armée américaine, « se bousculent » maintenant à la frontière poreuse afghano-pakistanaise.
L’un des rêves de cette administration est d’arrêter Osama Ben Laden avant le 20 janvier 2009. C’est pour tenter de le réaliser que Washington a tout fait pour convaincre Islamabad d’une coopération militaire pakistano-américaine dans les zones tribales du Waziristan où se cacheraient Ben laden et ses hommes. En vain. Pire encore, les autorités pakistanaises ont signé la semaine dernière un « pacte » avec les islamistes pakistanais, ce qui rend plus problématique encore une éventuelle arrestation du « terroriste mondial n°1 » et quasi-impossible pour l’administration Bush d’en faire son ultime trophée.
« Démonétisé », comme le qualifie déjà la presse occidentale, de plus en plus figurant et de moins en moins acteur dans les grands forums internationaux, le régime de George Bush vit ses derniers mois dans la frustration et l’amertume engendrées par ses rêves brisés. Mais il vit aussi dans la crainte de la concrétisation des cauchemars qui donnent des insomnies à plusieurs de ses membres.
En effet, le mot est lâché. La grave accusation de « crimes de guerre » ne provient plus seulement des milieux américains opposés depuis le début à la politique de George Bush, mais aussi de l’establishment lui-même et de l’organisation internationale la plus neutre et la plus impartiale du monde, le Comité International de la Croix Rouge (CICR).
Le général Antonio Taguba a fait partie de l’establishment politico-militaire de Washington qui lui a confié, en 2004, la responsabilité de l’enquête sur le scandale des tortures des prisonniers irakiens d’Abou Ghraib. Général deux étoiles à l’époque, Taguba ne pouvait, de par la loi américaine, soumettre à son enquête plus gradé que lui, et c’est pour cette raison qu’officiellement quelques soldats, un lieutenant-colonel et un colonel ont été mis en cause dans cette affaire. Mercredi dernier le général Taguba a fait la déclaration suivante : « Après des années d’investigation, d’enquêtes des médias et de rapports d’organisations de défense des droits de l’homme, il n’y a plus aucun doute l’administration Bush a commis des crimes de guerre ».
Un autre membre de l’establishment, Larry Wilkinson, ancien chef de cabinet de l’ancien secrétaire d’Etat Colin Powell, a, lui, carrément conseillé à de hauts responsables ayant servi l’administration Bush, dont l’ancien ministre de la justice, Alberto Gonzales, de ne pas quitter les Etats-Unis : « Hayenes, Feith, Yoo, Bybee, Gonzales et Addington ne devraient jamais voyager en dehors des Etats-Unis, sauf peut-être en Israël. Ils ont enfreint la loi ; ils ont violé le code de leur éthique professionnelle. Un jour, quelque gouvernement pourrait instruire un acte d’accusation et les traîner en justice devant une cour étrangère ou une cour internationale. »
Enfin, le CICR a rédigé l’année dernière un rapport secret dans lequel ses enquêteurs concluent que « la torture pratiquée au cours des interrogatoires menés par la CIA dans les prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo pourrait rendre les responsables de l’administration Bush qui l’ont approuvée coupables de crimes de guerre. » Une chose est certaine : le CICR ne parlerait jamais à la légère et ne prendrait pas de risque avec l’un de ses plus grands donateurs s’il n’avait pas de preuves solides.

Thursday, July 10, 2008

Retour à la case départ?

Quelques jours après les bombardements intensifs américains des montagnes afghanes de Tora Bora, entamés le 7 octobre 2001, le régime obscurantiste était défait et les talibans et leurs alliés d’Al Qaida étaient aux abois à la recherche de la moindre caverne pour échapper aux tapis de bombes lancées à 12000 mètres d’altitude par les bombardiers stratégiques B52.
Personne ne pariait un kopek à l’époque sur la résurrection des talibans ou la survie d’Al Qaida. Mais la myopie politico-stratégique du régime néoconservateur installé à Washington en 2001 a été un pain béni aussi bien pour les talibans que pour les terroristes d’Al Qaida.
En décidant de réorienter la machine politico-militaire américaine en direction de l’Irak, George Bush a à la fois permis aux talibans de reconstruire leurs forces, et Al Qaida de se réorganiser, de recruter de jeunes Arabes par milliers et, il faut bien le dire, de s’allier objectivement aux forces américaines dans une entreprise de désintégration systématique des institutions irakiennes et de destruction de ses infrastructures.
Car, enfin, n’a-t-on pas assisté pendant les années de braise (2004, 2005, 2006) à un acharnement terrifiant contre la vie et les biens des Irakiens par les bombardements impitoyables de l’armée américaine et par les attentats tout aussi impitoyables menées par les kamikazes d’Al Qaida au volant de leurs voitures bourrées d’explosifs ?
Peu importe les motifs invoqués par les uns et les autres, « lutte anti-terroriste » pour les Américains et « lutte contre l’occupant impie » pour Al Qaida, c’est le peuple irakien qui a payé et qui continue de payer la facture en centaines de milliers de morts prématurées et en souffrance insoutenable pour les survivants, sans parler des millions d’exilés, des systèmes de santé et d’éducation détruits. En un mot toute une génération d’Irakiens se trouve condamnée et Dieu sait combien de décennies faudrait-il pour que l’Irak retrouve le niveau de stabilité, de sécurité et de développement qu’il a connu du temps de Saddam Hussein.
Le 3 juillet dernier, dans une déclaration à l’agence Bloomberg, Mme Condoleezza Rice a parlé de la « fierté » qu’elle éprouve de la décision de son pays d’envahir l’Irak. Elle n’a pas donné des détails sur les motifs de cette étrange fierté, mais on peut lui poser quelques questions. Cette « fierté » découle-t-elle de la destruction d’un pays qui n’a fait aucun mal aux Américains ? De la condamnation de toute une génération d’Irakiens au désoeuvrement et à l’errance ? De la protection par les tanks du seul ministère irakien du pétrole au moment où l’armée américaine contemplait sans broncher le pillage des musées, des universités et des hôpitaux, pillage qu’un certain Donald Rumsfeld qualifiait de « liberté » ? Des événements honteux d’Abou Ghraib ? Et la liste est longue.
En fait quand on scrute la politique irakienne et afghane de la Maison blanche, et contrairement à ce que prétend Mme Rice, il y a peu de motifs de fierté et plein de motifs d’inquiétude. On sait que ce qui intéresse les Américains ce sont leurs propres intérêts et on sait aussi que les dommages incommensurables qu’ils ont fait subir gratuitement aux Irakiens ne les empêchent pas de dormir. Il se trouve que leur guerre injustifiée contre l’Irak a fait aussi subir des dégâts immenses aux intérêts stratégiques américains. Dans l’histoire de la politique étrangère américaine, aucune décision n’a fait subir autant de dégâts aux intérêts américains que celle de George Bush d’envahir l’Irak.
Que Mme Rice enfonce sa tête dans le sable pour ne pas voir la triste réalité et parle de fierté, ne change pas grand-chose à la nouvelle réalité désastreuse pour les intérêts américains. Cette nouvelle réalité, que le régime de George Bush l’admette ou non, est que l’Iran est plus fort aujourd’hui qu’en 2003 et que l’Irak, en dépit des centaines de milliards de dollars pris au contribuable américain et gaspillés dans les sables mouvants mésopotamiens, est perdu à jamais pour les Etats-Unis. Même si, comme le suggère le candidat McCain, l’armée américaine y restera cent ans encore.
La raison est simple. Une armée aussi puissante soit-elle qui guerroie dans un environnement hostile à 10.000 kilomètres de chez elle ne peut pas l’emporter. A fortiori quand cette armée renforce involontairement son pire ennemi de la région, l’Iran, et retourne contre elle la quasi-totalité de la population irakienne par le mépris et l’arrogance dont elle a fait preuve dès son arrivée en Irak, par le peu de respect pour la vie de ses habitants, par les humiliations infligées aux familles irakiennes dont les domiciles sont brutalement violés au milieu de la nuit et, encore une fois, la liste est longue.
Même, les « bonnes » nouvelles en provenance de l’Irak (baisse notable de la violence et du nombre des victimes) sont occultées par les « mauvaises » nouvelles en provenance de l’Afghanistan où, comme le note le New York Times dans un éditorial de son édition du 7 juillet, « 46 soldats des forces américaines et alliées sont morts au mois de juin en Afghanistan, le nombre le plus élevé depuis l’invasion de ce pays en 2001. Et pour le second mois consécutif, le nombre de soldats morts au combat en Afghanistan dépasse le nombre des soldats américains morts en Irak. » Cette nouvelle est terrifiante pour le régime de George Bush qui cherche toujours désespérément une petite bonne nouvelle à se mettre sous la dent avant de quitter le pouvoir le 20 janvier prochain. Maintenant que « la guerre de choix » contre l’Irak fait moins de victimes que « la guerre de nécessité » contre l’Afghanistan à laquelle Bush a tourné le dos en 2003, l’armée américaine devrait peut-être faire le chemin inverse, de l’Irak vers l’Afghanistan, pour se retrouver au point de départ. Entre temps, l’Irak a été détruit, les intérêts stratégiques américains en lambeaux, et l’Afghanistan plus dangereux que jamais aussi bien pour ses habitants que pour les troupes étrangères.

Tuesday, July 08, 2008

G8 : les sommets se suivent et se ressemblent

Les sommets des pays riches ont l’air d’un réflexe estival qui se répète au fil des ans sans que l’on constate le moindre résultat concret sur quelque niveau que ce soit. Sur le plan de l’aide au développement et sur le plan climatique, les promesses non tenues et les engagements ignorés sont devenus les deux principales caractéristiques des réunions rituelles des pays riches. Le grand paradoxe de ces sommets est qu’ils sont à la fois une grande opportunité de gaspillage d’argent par le luxe débordant et les grandes fanfares qui les accompagnent d’un côté, et, de l’autre, une occasion de montrer la grande cupidité des riches qui n’ont pratiquement jamais tenu une promesse ou un engagement jusqu’au bout.
Pour prendre deux exemples simples, disons que si l’on prend en compte seulement les dépenses de sécurité, on constatera que l’Allemagne a déboursé l’année dernière au sommet de Heiligendamm 186 millions de dollars en deux jours et le japon a déboursé cette année pour l’actuel sommet de Toyako, plus de 250 millions de dollars.
Côté promesses, il faut rappeler ici que pendant le sommet de Gleneagles (Ecosse) de 2005, les riches avaient promis d’augmenter l’aide au développement aux pays pauvres de 50 milliards de dollars jusqu’en 2010. Alors que cette promesse reposait sagement dans les tiroirs, une autre a fait les grands titres de l’actualité l’année dernière au sommet de Heiligendamm en Allemagne : les riches, a-t-on appris alors, ont promis de verser 60 milliards de dollars pour combattre le sida, la tuberculose et le paludisme en Afrique. Et l’on a appris hier de source diplomatique occidentale que la déclaration finale, prévue aujourd’hui mercredi, allait "rappeler et réaffirmer tous les engagements de Gleneagles, avec les chiffres"…
Les promesses occidentales d’aide au développement ressemblent à un plan d’eau dans le désert que les assoiffés poursuivent et que plus ils avancent, plus le plan d’eau recule. Pire encore, et plusieurs ONG le confirment, après les opérations d’addition et de soustraction requises, le constat est brutal : le résultat net de transfert d’argent entre pays riches et pauvres est en faveur de ceux-là.
En quoi le sommet qu’accueille actuellement la ville de Sapporo dans le complexe luxueux de Toyako diffère-t-il des précédents. Deux traits le distinguent. D’abord, il se tient dans ce qu’il est convenu d’appeler une véritable crise mondiale caractérisée par l’envolée incontrôlable des prix du pétrole et des denrées alimentaires, mais aussi par des difficultés économiques et financières qui pèsent de plus en plus lourdement sur pratiquement tous les pays du monde, y compris bien sûr les plus riches d’entre eux. Ensuite, ce sommet a lancé des invitations à sept pays africains dont les chefs d’Etat étaient conviés à suivre les travaux de leurs homologues du G8. Il s’agit de l’Afrique du sud, de l’Algérie, de l’Ethiopie, du Ghana, du Nigeria, du Sénégal et de la Tanzanie.
Il était prévisible que le G8 et les invités africains du « G7 » allaient diverger sur pratiquement tous les sujets abordés. Après le discours d’ouverture du Premier ministre japonais, Yasuo Fukuda, dans lequel il a vanté le doublement par son pays de l’aide à l’Afrique, le Président sénégalais, Abdulaye Wade, a rétorqué qu’il connaît cette musique et que de telles promesses ont déjà été faites sans qu’elles ne soient suivies d’effet. Le problème est que l’impatience manifestée par le président Wade risque elle-même de rester sans effet pour une raison simple : si les riches n’ont pas tenu leurs promesses dans les années d’euphorie économique, comment vont-ils les tenir aujourd’hui dans un contexte de crise économique et financière et dans une situation où le prix du baril de pétrole vole de sommet en sommet ?
L’autre sujet de discorde entre le groupe des huit et leurs invités africains porte sur le Zimbabwe. Les riches veulent maintenir la pression sur Mugabe et sont en train d’œuvrer pour le vote d’une résolution de l’ONU imposant des sanctions à ce pays, « le plus pauvre et le plus malheureux de la planète », selon une récente étude internationale sur « le bonheur des nations » qui a vu le Danemark occuper la première place. Les Africains pour leur part veulent être plus mesurés et préconisent une solution d’entente qui aboutirait à un gouvernement d’union nationale.
Il faut dire ici que Robert Mugabe n’a pas laissé le moindre petit argument à ses pairs africains pour faire face à la pluie de critiques, loin d’être infondées par ailleurs, que ne cessent de formuler le G8 à l’encontre du président zimbabwéen. Celui-ci, après 28 ans d’exercice du pouvoir, n’a même pas réussi à doter le pays des infrastructures économiques et sociales minimales qui permettent une vie décente aux 10 millions de Zimbabwéens. Ceux-ci vivent aujourd’hui dans des conditions infernales avec un taux de chômage qui oscille entre 70 et 80% et un taux d’inflation surréaliste qui a porté le prix d’une miche de pain à 1,5 milliard de dollars zimbabwéens, ce qui a fait dire à un citoyen de ce pays que « le Zimbabwe est le pays des milliardaires affamés ». Malgré ce bilan désastreux, Mugabe s’accroche toujours au pouvoir et ses pairs africains éprouvent manifestement des difficultés à lui dire ses quatre vérités.
Le cas dramatique du Zimbabwe verse de l’eau au moulin des détracteurs de l’Afrique qui répètent à l’envi que si le continent noir est dans un tel état, c’est par ce qu’il n’a pas pu faire face à la corruption qui le mine. Un tel argument a d’ailleurs été repris par certains au sommet de Toyako pour justifier la non tenue des promesses et des engagements pris par les riches.

Saturday, July 05, 2008

L'OPEP ou l'American way of life ?

Il était le conseiller des présidents Ronald Reagan et George Bush père et l’on se demande réellement quel genre de conseils pouvait-il leur donner ? Si l’on en juge par l’article qu’il venait de publier dans l’International Herald Tribune du 20 juin dernier, Thomas W. Evans a des idées un peu trop saugrenues et, par conséquent, les conseils qu’il donnait à ses anciens employeurs ne devaient pas être d’une pertinence époustouflante. Cet ancien haut responsable proposait de traîner en justice l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en tant que « cartel illégal » dont « le comportement est destructeur ».Thomas Evans reproche à l’OPEP d’avoir « poussé à la hausse le prix du baril au-delà de 130 dollars ». Il doit être plus furieux encore maintenant puisque le baril ne va pas tarder à atteindre les 150 dollars, et nul ne sera étonné si, au cours de l’hiver prochain, il atteint les 200 dollars.
On reste pantois face à l’extraordinaire incapacité des responsables américains, anciens et actuels, de se livrer à un exercice d’introspection et de se poser la question de leur propre responsabilité. Après sept ans et demi de présidence chaotique, l’actuel président américain n’a pas reconnu une seule de ses innombrables erreurs en politique intérieure, et surtout en politique étrangère, et n’a pas demandé une seule fois pardon pour les souffrances terrifiantes engendrées par sa politique et endurées par des millions de personnes.
Thomas Evans est porteur de cette désastreuse conviction néoconservatrice selon laquelle l’Amérique est une force bienfaitrice ayant pour mission de combattre le mal commis par les autres. Pour lui, les choses sont très simples : le citoyen américain vivait tranquille et heureux au volant de sa grosse cylindrée ou de sa 4X4 dont le plein, à moins d’un dollar le gallon (3,7 litres), lui coûtait une part insignifiante de son revenu, jusqu’au jour où « le comportement destructeur » de l’OPEP l’a obligé à payer son gallon plus de 4 dollars, et bientôt 5 dollars. Il est à noter ici que le gallon coûtait 1,25 dollar juste avant l’invasion de l’Irak par les troupes américaines.
Le moule néoconservateur dans lequel est coulé M. Evans l’empêche sans doute de se poser la pertinente et légitime question : et si le « comportement destructeur » était du côté du citoyen américain et non du côté de l’OPEP ? L’ancien conseiller de Reagan n’a pas cité un seul argument pour étayer ses accusations contre l’OPEP parce qu’il n’en a aucun. Il feint d’ignorer que « le cartel des pétroliers » comme il dit est dépassé littéralement par la montée en flèche de la demande de pétrole dont les Etats-Unis, 3% de la population mondiale, consomment à eux seuls 25% de la production mondiale.
Cela fait des décennies que le gaspillage d’énergie et la pollution de l’environnement à grande échelle étaient devenus deux éléments principaux du mode de vie américain (American way of life). Le citoyen américain ne s’est pratiquement jamais contenté d’utiliser juste l’énergie nécessaire pour le fonctionnement normal de l’industrie, de l’agriculture et pour ses besoins de déplacement. Une bonne partie de cette énergie est utilisée pour la satisfaction d’un ego exagérément gonflé qui pousse le citoyen américain à chercher futilement la griserie et les sensations fortes au prix d’une grave dégradation des réserves énergétiques non renouvelables et de l’environnement.
Tout comme l’Etat fédéral américain a besoin de se sentir puissant et de le montrer aux autres, le citoyen américain a besoin de cette même sensation, et surtout a besoin d’afficher cette sensation de puissance à lui-même et aux autres. D’où cette propension à acquérir les grosses cylindrées excessivement énergivores et polluantes. La responsabilité de l’industrie automobile américaine, de son côté, est lourde aussi. Elle a exploité au maximum ce besoin futile de show off du citoyen américain en lui offrant des cylindrées de plus en plus grosses, se souciant comme d’une guigne des impératifs d’économie d’énergie et de protection de l’environnement. General Motors est allé jusqu’à fabriquer une version civile d’un engin militaire, la fameuse Hummer, dont la consommation se rapproche plus de celle du tank que d’une voiture normale.
La question qui se pose ici et qui, visiblement, n’a pas effleuré l’esprit de M. Evans, est la suivante : qui assume la responsabilité de la hausse des prix du pétrole, le mode de vie américain
fondamentalement gaspilleur d’énergie ou l’OPEP ? Celle-ci vend un produit un peu trop particulier dont le prix ne dépend pas seulement du mécanisme habituel de l’offre et de la demande qui régit le marché, mais aussi et surtout des aléas politiques qui affectent continuellement les relations internationales.
M. Evans élude également l’une des raisons principales de la montée vertigineuse du prix du baril et qui est le comportement réellement destructeur des spéculateurs américains, européens et asiatiques qui exercent une pression insoutenable sur la demande pour faire monter les prix et engranger ainsi des gains aussi faramineux que faciles. Sans parler de la pression sur la demande qu’exercent l’extraordinaire développement des économies chinoise et hindoue. Toutes ces raisons qui sont au cœur de la crise pétrolière actuelle passent sous le nez de M. Evans qui ne voit que « l’entente illicite du cartel illégal » des pays producteurs.
Thomas Evans rêve de voir l’OPEP détruite. Il a commencé son article par cette phrase étonnante : « Le président des Etats-Unis a le pouvoir d’attaquer et même de détruire l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ». Il conclut son article un peu moins agressivement en attirant l’attention sur les lois anti-trust américaines qu’il propose de dépoussiérer afin que les tribunaux américains puissent juger l’OPEP.
Quoi de plus absurde et de plus arrogant que de vouloir juger une organisation de pays souverains sur la base de lois américaines pour une hausse de prix de pétrole dont la responsabilité incombe en premier lieu aux Etats-Unis en tant que plus grand gaspilleur d’énergie de la planète ? Quand on associe à cette exigence absurde le refus de livrer les criminels américains de Blackwater, par exemple, à la justice irakienne pour rendre compte du massacre de civils irakiens, on mesure tout le mal que continuent de faire ces néoconservateurs à la réputation de leur pays.

Tuesday, July 01, 2008

Le vrai danger nucléaire

L’administration de George Bush et le gouvernement israélien continuent de faire leur fixation sur le nucléaire iranien, en dépit du fait qu’aucune preuve tangible n’a été présentée pour démontrer la véracité des allégations isrélo-américaines concernant un supposé programme nucléaire militaire iranien. Nous avons plutôt les preuves du contraire, provenant des inspecteurs de l’AIEA qui n’ont, jusqu’à ce jour, décelé aucune trace de programme nucléaire militaire. Et surtout des 16 agences de renseignement américaines qui, dans un rapport commun ont certifié que l’Iran a arrêté son programme nucléaire depuis 2003.
Jusqu’à présent, les Israéliens n’ont pas digéré ce rapport qu’ils continuent de dénoncer comme nul et non avenu. Dans une récente interview au journal Le Monde, le ministre israélien de la défense, Ehud Barak, a affirmé : « Le rapport des renseignements américains sur le nucléaire iranien est faux, un point c’est tout » ! Barak est si aveuglé par son arrogance qu’il s’avère incapable de se poser la simple question de savoir pourquoi le monde devrait-il le croire lui plutôt que les agences de renseignement américaines ? Pourquoi le monde devrait-il croire Ehud Barak, un politicien au service d’une politique désastreuse que poursuit obstinément son pays depuis plus de quarante ans, plutôt que de croire Mohamed Elbaradei qui dirige une agence technique chargée de veiller à la non prolifération nucléaire et qui n’a absolument aucun intérêt ni à cacher ni à déformer des informations sur les programmes nucléaires des pays inspectés ?
Il y a quelque chose de tragi-comique dans cette fixation obsessionnelle sur le nucléaire iranien. La prolifération nucléaire est sans aucun doute l’un des plus graves dangers qui menace l’humanité et même la vie sur terre. Il se trouve que les plus grands proliférateurs nucléaires dans le monde sont en même temps les plus grands accusateurs de l’Iran dont le programme nucléaire, à supposer qu’il comporte un volet militaire, est une goutte dans un océan nucléaire dans lequel naviguent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, Israël, l’Inde, le Pakistan et l’Afrique du sud.
En toute objectivité et en toute honnêteté, le vrai danger nucléaire existe du côté d’Israël et des Etats-Unis d’Amérique. Le premier possède dans ses entrepôts pas moins de 200 têtes nucléaires avec lesquels il est capable de détruire toute la région. L’argument selon lequel les armes nucléaires deviendront très dangereuses si elles se trouvent entre les mains des « mollahs fanatiques » d’Iran s’applique parfaitement à Israël. Car quoi de plus fanatique et de plus dangereux que de fonder la politique d’un pays, armé nucléairement jusqu’aux dents, sur les mythes de la « terre promise », du « peuple élu de Dieu » et autres sornettes d’un autre âge ? L’un des Premiers ministres d’Israël, Benyamin Netanyahu, a confié en substance à des journalistes américains : « Si Israël se trouve un jour en danger, nous lancerons nos armes nucléaires, ensuite on verra »…
Le second pays, c'est-à-dire les Etats-Unis, possède un arsenal de plusieurs milliers de têtes nucléaires héritées de temps de la menace soviétique et que maintenant les Américains eux-mêmes ne savent pas vers quelle direction les orienter ni vers quelle cible les pointer. En attendant de trouver un sens à leurs milliers d’armes nucléaires, les Américains sont en train de se mettre eux-mêmes, ainsi que leurs alliés européens, en danger.
Le 5 septembre 2007, un bombardier stratégique B52 a survolé pendant des heures le territoire américain avec, fixés sous ses ailes, des missiles Cruise armés de têtes nucléaires. Pendant des heures la sécurité de centaines de milliers d’Américains dépendait de l’arrivée à bon port du B52. Une petite panne technique en vol de ce vieux bombardier aurait suffi à déclencher l’apocalypse aux Etats-Unis. On comprend la consternation des Américains et le désarroi du Pentagone dont le chef, Robert Gates, n’avait d’autre choix que de limoger les officiers de l’US Air Force responsables de cette très grave erreur.
En Europe, ce sont de plus en plus de voix qui s’élèvent pour exiger le déménagement des armes nucléaires stockés dans les bases militaires américaines dans des conditions de sécurité qui ne répondent pas au minimum des critères fixés par le pentagone lui-même. Ces voix sont particulièrement fortes chez les sociaux-démocrates allemands, légitimement inquiets du danger croissant que constituent les armes nucléaires américaines pour leur pays. Cette inquiétude s’est étendue ailleurs en Europe.
Normalement, les bases américaines sur le continent européen où sont entreposées les armes nucléaires relèvent du secret militaire. Mais grâce aux révélations que le ministre belge de la défense, Pieter De Crem, a faites il y a quelques mois par inadvertance, on sait maintenant que ces armes apocalyptiques sont entreposées dans les bases américaines de Kleine Brogel en Belgique, de Büchel en Allemagne, de Volkel aux Pays Bas, d’Aviano et Ghedi Torre en Italie, d’Incirlik en Turquie et de Lakenheath en Grande Bretagne. Il est pour le moins surprenant que ce dernier pays, qui dispose de son propre arsenal nucléaire, ouvre son pays à des armes nucléaires étrangères.
Les classes politiques américaine et israélienne se trompent de sujet …d’inquiétude. Elles se trouvent dans la situation de celui qui habite dans une île entourée d’une mer houleuse et qui s’inquiète des inondations éventuelles que provoquerait un jour ou l’autre une petite rivière. Il est peut-être temps de s’occuper des vrais dangers. Car enfin qu’est ce qui menace le plus la sécurité des Américains, le programme nucléaire iranien ou le genre d’erreurs commis par l’US Air Force le 5 septembre 2007 ? Qu’est ce qui menace le plus la sécurité des Européens, le programme nucléaire iranien ou les centaines de têtes nucléaires entreposées dans des conditions inquiétantes en Allemagne, en Belgique, en Grande Bretagne, en Italie, aux Pays-Bas ou encore en Turquie ? Il faut peut-être une bonne dose de courage politique et d’honnêteté intellectuelle pour donner la bonne réponse.