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Saturday, September 29, 2012

Chourou et Dilou appartiennent-ils au même parti?

L’interview accordée récemment à « L’Express » par Samir Dilou, porte-parole du gouvernement et ministre des droits de l’homme et de la justice transitionnelle, est étonnante à plus d’un titre*. Les réponses aux questions de l’hebdomadaire français que nous avons eu la surprise de lire, auraient pu être données par Beji Caid essebsi, Nejib Chebbi, Ahmed Ibrahim ou n’importe quelle autre figure de l’opposition : « Laxisme face aux salafistes », « Les poursuites engagées contre les artistes entachent l'image de la Tunisie et de sa révolution », « La notion de "complémentarité" est un non-sens », « Nos élus feraient mieux de s'occuper des vraies questions au lieu de perdre leur temps à argumenter sur la protection du sacré ou la complémentarité entre les sexes. Ils ont pour mission de rédiger une constitution qui garantisse les droits et les libertés et nous fournisse un socle sur lequel construire un Etat civil et démocratique », « Les Tunisiens ont fait la révolution pour conquérir la liberté, pas pour changer de mode de vie », et, concernant le Niqab, « Le visage n'est pas seulement une partie du corps, il reflète la personnalité, les sentiments. Un professeur a besoin de savoir comment son enseignement est reçu, comment réagit son élève »… Voici donc les principales idées exprimées par un responsable du gouvernement et membre du mouvement Ennahdha dont certains membres devraient être horrifiés à la lecture des réponses de l’un d’entre eux aux questions posées par l’hebdomadaire français. Car enfin, quand on entend parler Sadok Chourou ou Habib Ellouze d’une part et Samir Dilou d’autre part, on a du mal à croire qu’ils appartiennent tous au même parti, qu’ils ont les mêmes références et qu’ils défendent le même projet de Constitution ou le même programme de gouvernement. Alors des deux choses l’une : ou bien on est en présence d’un nouveau cas de double langage et d’une nouvelle tromperie de la part d’un parti soucieux de soigner à l’étranger une image fortement ternie par les événements tragiques du 14 septembre dernier ; ou bien on assiste à de profondes divisions au sein du parti islamiste entre ceux que le passé et les traditions attirent et ceux que l’avenir et la modernité interpellent. La première hypothèse ne résiste pas à l’analyse. Les cadres d’Ennahdha, et en particulier son président, sont passés maîtres dans l’art du double langage, certes. Mais, comme chacun sait, on peut tromper quelques uns quelque temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. D’après les derniers sondages d’opinion, Ennahdha a perdu le tiers de sa base électorale, et la duplicité et le double langage dont elle a usé et abusé y sont sans doute pour quelque chose dans l’impopularité croissante du parti islamiste. Il est donc peu probable que Samir Dilou, l’un des pus ouverts parmi les dirigeants de ce parti, continuera à utiliser la stratégie du double langage. La seconde hypothèse est donc plus crédible et nous pousse à penser que ce qu’a dit Samir Dilou à l’hebdomadaire français, il le pense réellement, ce qui le met en porte-à-faux avec l’aile conservatrice du parti qui n’arrive toujours pas à se débarrasser de son fanatisme et de son obscurantisme. Comment peut-il en être autrement quand on entend les représentants de cette aile préconiser l’amputation asymétrique des membres inférieurs et supérieurs pour quiconque bloque une route, défendre bec et ongles la Charia dans la Constitution, vouloir coûte que coûte criminaliser « l’atteinte au sacré » ou encore convaincre le peuple qu’il a été à côté de la plaque pendant de très longues décennies, car, jurent-ils, la femme n’a jamais été et ne pourra jamais être l’égale de l’homme, mais seulement son complément … Les réunions des dirigeants nahdhaouis ne sont pas publiques. On ne peut donc pas juger de l’ampleur des divisions qui déchirent le parti islamiste, même si l’on a une idée à peu près exacte de l’emplacement des lignes de fracture. Quand on entend parler les extrêmes de ce parti, symbolisés par Chourou et Dilou, il n’est pas difficile de conclure que les clivages qui traversent Ennahdha sont sérieux et peuvent même menacer l’unité de ce parti et son intégrité. Une étude minutieuse des idées exprimées par Dilou et Chourou fait apparaitre deux projets de sociétés non pas différents, mais carrément contradictoires. Les idées du premier impliquent une démocratie ; celles du second une dictature théocratique. Les idées du premier, si elles s’imposaient, engendreraient un système de gouvernement semblable à la Turquie d’aujourd’hui ; celles du second un système semblable à l’Arabie saoudite, au soudan ou à toute autre dictature qui écrase le peuple et étouffe toute espèce de liberté au nom de la Charia. La question qui se pose est que comment ces deux ailes si opposées et si contradictoires peuvent encore coexister au sein d’une même structure politique ? Un jour viendra où cette contradiction deviendra intenable et, en cas d’intransigeance de la part des passéistes et des modernistes, la rupture sera inévitable. Les premiers rejoindraient les salafistes et les seconds créeraient leur propre parti ou rejoindraient l’un des partis existants. Après tout nous sommes tous musulmans et rien ne dit que Rached Ghannouchi est plus musulman que Béji Caid Essebsi ou Ahmed Néjib Chebbi, ou qu’il les devancera au paradis, n’en déplaise aux démagogues d’Ennahdha qui ont conçu une de leurs pancartes en ces termes : « les portes du paradis sont ouvertes, entrez-y » ! Un message douteux à l’intention des naïfs et des simples d’esprit à qui l’on suggère insidieusement l’idée saugrenue que le paradis est ouvert seulement à ceux qui adhèrent aux idées d’Ennahdha et votent pour ses candidats. Et le président d’Ennahdha dans tout ça ? Il est empêtré dans les contradictions de son double langage et tiraillé entre les salafistes qui lui rappellent sa jeunesse et les engagements qu’il a pris publiquement dans sa vieillesse d’aider à construire un Etat de droit où la justice est indépendante et la presse est libre. Aux dernières nouvelles sa popularité est au plus bas, pas seulement parmi ses adversaires, mais aussi parmi ses partisans qui lui font assumer la responsabilité du désastre du 14 septembre. Selon le journal « Al Maghreb », Rached Ghannouchi a ordonné au ministre de l’Intérieur de ne pas s’opposer aux hordes de salafistes qui prenaient le chemin de l’ambassade des Etats-Unis en ce vendredi noir 14 septembre 2012. Le ministère de l’Intérieur a démenti et « Al Maghreb » a démenti le démenti, précisant que ses sources sont au dessus de tout soupçon. Ou se trouve la vérité ? Un jour peut-être nous le saurons. ------------------------------------------------- *http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/tunisie-nous-avons-commis-des-erreurs_1162293.html?xtmc=Interview_Samir_Dilou&xtcr=1

Friday, September 21, 2012

Les politiciens américains, Israël et le Moyen-Orient

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la défense, Ehud Barak, sont des hommes frustrés. Ils ruminent leur rancœur contre le président américain, Barack Obama, et son ministre de la défense, Leon Panetta. La raison derrière la frustration israélienne est que l’administration américaine, après dévoiement et valse-hésitation sur la question du nucléaire iranien, a finalement pris une position claire, exprimée il y a quelques jours par le chef du Pentagone. Leon Panetta a affirmé clairement que les Etats-Unis ne seront pas « complices » d’une éventuelle attaque israélienne contre l’Iran et qu’ils refusent de se laisser entraîner par Israël dans une guerre qui n’est pas la leur et contre laquelle ils continuent de mettre en garde le gouvernement de Benyamin Netanyahu. Il est rare de voir une administration américaine se démarquer aussi clairement de la politique israélienne, et plus rare encore quand cette administration se trouve en pleine campagne électorale. Il est vrai que, dans son hystérie anti-iranienne, le gouvernement israélien est isolé internationalement, et même sur le plan intérieur (une majorité d’Israéliens sont contre une action militaire qui viserait les installations nucléaires iraniennes), et il n’y a guère que Netanyahu, Barak et quelques ministres en Israël, ainsi que certains néoconservateurs aux Etats-Unis qui rêvent d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Mais la frustration de Netanyahu et de Barak est alimentée par deux autres informations diffusées par le journal israélien à grand tirage, Yediot Aharonot. La première information a trait à un rapport des agences de renseignement israélien qui ne cachent pas leur doute quant à la capacité d'Israël d’infliger de sérieux dommages au programme nucléaire iranien par une frappe aérienne qui ne serait pas soutenue par les États-Unis. Plus affligeante encore pour Netanyahu et Barak est l’information du même journal selon laquelle l’administration Obama a envoyé un message secret à l'Iran l’assurant que la Maison blanche s’engagerait à ne pas soutenir une frappe israélienne, si Téhéran s’abstenait d’attaquer les intérêts américains dans le Golfe. Normalement, ces nouvelles données sont de nature à refroidir les ardeurs guerrières de Netanyahu et de son ministre de la défense et de donner un répit à l’Iran tout en évitant à la région un nouveau foyer de tension. En effet, surtout en ce moment, la région n’a absolument pas besoin d’un nouveau foyer de tension quand on sait que l’Irak, près d’une décennie après la chute de Bagdad, connaît encore quasi-quotidiennement des irruptions de violence meurtrière; que la Syrie risque la désintégration avec les graves conséquences dont personne ne peut prévoir l’ampleur ; que le drame palestinien couve une troisième intifada ; que l’instabilité sévit dans les pays du « printemps arabe », sans parler de la flambée de violence qui a éclaté il y a quelques jours dans de nombreux pays arabes et musulmans contre les représentations diplomatiques américaines ayant provoqué la mort de nombreuses personnes, dont l’ambassadeur US et deux de ses collaborateurs en Libye. Mitt Romney, le rival de Barack Obama dans l’élection présidentielle de novembre prochain n’a visiblement ni la capacité intellectuelle, ni l’envergure politique pour analyser toutes ces crises moyen-orientales et en tirer les leçons qui s’imposent afin d’éviter les décisions erronées qui saperaient encore un peu plus les intérêts des États-Unis et terniraient davantage leur image. Le handicap dû aux moyens limités du candidat républicain aurait pu être dépassé, s’il s’était entouré de conseillers compétents et lucides. Le problème est que Mitt Romney a choisi ses conseillers parmi les néoconservateurs qui, comme John Bolton et Dan Senor, ont largement prouvé leur incompétence pour avoir contribué à embourber leur pays dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak, parmi les plus coûteuses de l’histoire en termes d’argent, de morts, de blessés et de déplacés. On se rappelle qu’en 2002-2003, John Bolton, Dan Senor et d’autres théoriciens du néoconservatisme américain avaient fini par convaincre George W. Bush de renverser le régime de Saddam qui, pour eux, constituait « un grand danger » pour Israël. On connaît la suite. Maintenant, ils remettent ça avec l’Iran qui, pour eux toujours, constitue un autre « grand danger » pour Israël et qu’il ne faudrait pas hésiter à régler son compte au régime des mollahs. En fait, John Bolton, Dan Senor et leurs amis avaient mis l’Iran en point de mire depuis 2006 déjà, et alors que la guerre d’Irak faisait à cette période 3000 morts par mois, ils tentaient de convaincre Bush fils de la « nécessité » d’attaquer l’Iran. Bush aurait sans aucun doute acquiescé si la résistance irakienne n’avait pas immobilisé les forces américaines dans le bourbier mésopotamien. En d’autres termes, si l’Iran n’avait pas été attaqué par les armées de George W. Bush, c’est grâce à la résistance irakienne. Mitt Romney n’est pas encore président et rien ne dit qu’il battra Barack Obama en novembre prochain. Ceci n’a pas empêché les néoconservateurs de s’agglutiner autour de lui, comme ils l’avaient fait avec Bush, afin de lui faire adopter leur programme pour « le grand Moyen-Orient » qui, comme chacun sait, a largement fait ses preuves avec les résultats désastreux que l’on sait. Le drame est que ça a l’air de marcher. Le candidat républicain qui, par bien des aspects et notamment par son niveau intellectuel, rappelle George W. Bush, est visiblement acquis aux idées néoconservatrices qui ont causé de grands dégâts à la politique étrangère américaine. Alors qu’il était en campagne présidentielle en l’été 2000, le républicain George W. Bush, sans doute conseillé par son entourage néoconservateur, avait fait la visite d’Israël, avait fait le tour des territoires occupés en hélicoptère à côté d’Ariel Sharon, alors Premier ministre, et avait sa déclaration de candidat qui avait choqué une bonne partie du monde : « les impératifs de sécurité d’Israël lui interdisent de revenir aux frontières du 4 octobre 1967 », donnant ainsi le ton de ce que serait sa politique moyen-orientale. Dans le cadre de sa campagne présidentielle, le républicain Mitt Romney semble imiter la stratégie électorale de son ami Bush dans ses moindres détails. Lui aussi a fait le voyage d’Israël en juillet dernier; il a rassuré Netanyahu de son soutien sans limite, y compris et surtout dans le dossier nucléaire iranien et, à son retour, il a envoyé au Premier ministre israélien la lettre manuscrite que nous traduisons ici : « M. le Premier ministre Merci pour votre chaleureuse hospitalité et l’amitié durable. Votre apport pour la paix est une inspiration. Meilleurs vœux Mitt Romney » 28 juillet 2012 Sans commentaire sinon nos félicitations pour les hommes épris de paix pour cette source d’inspiration insoupçonnée que vient de découvrir pour eux le candidat républicain. La question qui se pose est pourquoi les politiciens américains qui assument ou qui s’apprêtent à assumer les plus hautes charges dans la plus grande puissance du monde se sentent-ils obligés de s’adonner à des exercices mesquins de flagornerie vis-à-vis des responsables israéliens. Hier c’était Bush qui faisait les courbettes à Sharon et aujourd’hui c’est Romney les fait à Netanyahu. L’autre question qui se pose est jusqu’à quand les citoyens de la plus grande puissance du monde vont-ils accepter que leur politique moyen-orientale soit décidée à 5000 kilomètres de chez eux, dans un pays minuscule et qui plus est entretient des relations très tendues avec la plupart des pays du monde ? Il faut souhaiter que le « coup de gueule » du Pentagone, détaillé ci-dessus, soit le début d’une révision profonde de la politique moyen-orientale américaine et non un coup d’épée dans l’eau.

Monday, September 10, 2012

Histoire de monstres à détruire

Osons une évidence : si les trillions de dollars dépensés jusqu’ici par les Etats-Unis dans la « guerre contre terrorisme » étaient investis dans les régions pauvres et utilisés dans l’amélioration des conditions de vie des gens, notre planète ne se serait certes pas transformée en paradis, mais tout au moins en un endroit où il ferait bon vivre. Le problème de base est que la politique étrangère américaine n’a jamais été intéressée par la recherche de régions à développer, mais de monstres à détruire. Pourtant, le secrétaire d’Etat, John Quincy Adams, avait mis en garde son pays il y a déjà près de deux siècles, le 4 juillet 1821 exactement, en ces termes : « l’Amérique ne s’venture pas à l’étranger en quête de monstres à détruire. Elle souhaite la liberté et l’indépendance de tous ; elle n’est le champion que de la sienne propre. Elle recommandera la cause générale par le caractère soutenu de sa voix et la douce sympathie de son exemple. Elle sait bien que si jamais elle se rangeait, ne serait-ce qu’une fois sous d’autres bannières que la sienne, fussent-elles celles de l’indépendance d’autres peuples, elle s’impliquerait sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, d’avarice individuelle, d’envie et d’ambition, qui adopteraient les couleurs et usurperaient l’étendard de la liberté. Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maitresse de son propre esprit. » En relisant ce passage du discours prononcé par John Quincy Adams à l’occasion du 45e anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis, on ne peut s’empêcher de penser que l’homme était habité par l’appréhension que son pays développe une politique étrangère désastreuse pour ses intérêts. Alors que la jeune république américaine n’avait que 45 ans et était fragile, pauvre et peu développée, le secrétaire d’Etat Quincy Adams portait en lui le pressentiment étrange que son pays risquait de s’aventurer à l’étranger « en quête de monstres à détruire ». Sa peur était réelle que son pays s’engageât un jour « sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue ». Force est de constater que les appréhensions et les peurs de Quincy Adams étaient fondées. Si l’on passe en revue les guerres menées par les Etats-Unis au cours de sa courte histoire, on sera forcé de reconnaître que les deux guerres les plus désastreuses sont celles du Vietnam et d’Irak. Ces deux guerres sont l’exemple type décrit par Quincy Adams avec concision et précision « guerres d’intrigues et d’intérêt » sous le prétexte de « monstres à détruire ». Elles sont l’exemple type contre lequel le brillant secrétaire d’Etat avait mis l’Amérique en garde de peur qu’elle ne s’y implique « sans pouvoir s’en extraire ». De fait, sa défaite humiliante au Vietnam n’a pas aidé l’Amérique à s’extraire aussitôt du bourbier qu’elle s’est créé. Le traumatisme qui a sonné le pays n’a pas encore entièrement disparu plus de 27 ans après la chute de Saigon. Quant à l’Irak, il est encore trop tôt pour évaluer l’ampleur du désastre provoqué par l’administration de George W. Bush et juger avec le recul nécessaire ses conséquences dévastatrices. L’histoire n’a pas encore dit son dernier mot dans le drame biblique irakien. Mais il y a une chose que ni Quincy Adams ni personne dans ce monde ne pouvait prévoir tellement elle dépasse les imaginations les plus fertiles. C’est ainsi que personne n’avait eu l’idée de mettre l’Amérique en garde contre la tentation de créer des monstres pour se trouver ensuite dans l’obligation de les détruire en s’engageant dans des guerres coûteuses en vies humaines et en argent. La nébuleuse terroriste d’Al Qaida est l’exemple type de monstre créé par les Etats-Unis dans les années 1980 avant de se retrouver vingt ans plus tard engagés dans une guerre sans merci contre leur propre créature. Il serait utile de rappeler ici brièvement les faits. Le 30 avril 1975, Saigon tombe et les Etats Unis quittent le Vietnam dans la confusion et l’humiliation. Le 28 décembre 1979, l’Union soviétique est attirée vers le « piège afghan » par les Etats Unis qui ont œuvré auparavant à offrir aux Soviétiques « leur propre Vietnam ». Comment ? En armant les Jihadistes contre le régime pro-soviétique de Babrak Karmal en Afghanistan, multipliant les provocations et provoquant la réaction suicidaire de l’Union soviétique de l’hiver 1979. Il ne s’agit pas ici de supputations ni d’élucubrations, mais d’informations données par l’un des principaux architectes du « piège afghan », Zbignew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, chef de la Maison Blanche du 20 janvier 1976 au 19 janvier 1980. Dans une interview accordée au « Nouvel Observateur » daté du 15-21 janvier 1998, Brzezinski avait étonné le monde par sa franchise en affirmant que « c’est le 3 juillet 1979 (six mois avant l’intervention soviétique en Afghanistan) que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. (...) Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent. » On se rappelle à l’époque que les Soviétiques avaient justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des États-Unis. Rares étaient ceux en Occident qui les avaient crus à l’époque. A la question du « Nouvel Observateur » s’il ne regrettait pas un peu ce qu’il avait fait, Brzezinski semblait étonné de la question. Sa réponse était : « Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam ». M. Brzezinski ne regrette pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes et des conseils à de futurs terroristes ? Sa réponse est d’une franchise glaciale : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? » Près d’un tiers de siècle après la signature de la directive de Carter sur l’assistance clandestine au « Jihad » en Afghanistan, les choses ont évolué de telle manière que le terrorisme est devenu la principale plaie du monde. Des attentats de New York le 11 septembre 2001 à ceux de Madrid, Londres, Rabat, Djerba, en passant par les événements sanglants de Slimane et Bir Ali Ben Khlifa, les milliers d’actions terroristes qui ont ensanglanté le monde pendant le dernier quart de siècle s’inscrivent toutes dans la stratégie désastreuse mise en place par l’administration Carter. Il y a certes la guerre d’Irak de 2003 qui a donné un souffle nouveau au terrorisme d’Al Qaida, mais la responsabilité première est assumée par Jimmy Carter et ses conseillers. L’ancien président « marchand de cacahouètes » semble trainer un complexe de culpabilité qu’il a visiblement du mal à s’en accommoder. Sa reconversion en « ambassadeur de la paix » et en « intermédiaire bienveillant » dans les grandes crises lui permet de sillonner le monde en dépit de son âge avancé. Le but étant d’apaiser les crises qui déchirent les divers continents, mais aussi sa conscience qui a de sérieuses raisons de se sentir perturbée quand elle fait le lien entre la directive du 3 juillet 1979 et l’explosion du terrorisme jihadiste.

Un criminel de guerre au pays de Mandela

L’archevêque Desmond Tuti est un homme hautement respectable. Son Prix Nobel de la paix il l’avait amplement mérité pour sa longue et pénible lutte, avec ses camarades de l’ANC (African National Congress), contre le régime hideux d’apartheid qui, pour ainsi dire, avait saigné à blanc l’Afrique du sud durant la période la plus sombre de son histoire. En matière de célébrité et d’autorité morale en Afrique du sud et dans une large partie du monde, Desmond Tutu se place juste derrière le symbole Nelson Mandela dont on fêtera dans sept ou huit ans le centième anniversaire si Dieu lui prête vie. La semaine dernière Desmond Tutu est sorti de ses gonds lors d’une conférence organisée en Afrique du sud sur le Leadership et la bonne gouvernance. Il avait quitté la salle avant que l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair ne commence sa « leçon » sur la bonne gouvernance, un speech de quelques dizaines de minutes pour lequel il était payé 2 millions de rands sud africains (150.000 Livres sterling). Desmond Tutu, très recherché par les organisateurs de conférences pour ses hautes qualités morales, sa crédibilité et la pertinence de ses analyses n’a jamais monnayé sa présence dans les forums internationaux. Le vénérable archevêque sud africain a expliqué son départ intempestif de la salle de conférence par son refus d’écouter « un criminel de guerre » discourir démagogiquement sur la bonne gouvernance. Il avait expliqué son point de vue dans un article publié dans le magazine britannique « The Observer » dans son édition du 2 septembre 2012. L’idée centrale développée est que « Tony Blair et George W. Bush doivent être jugés par la Cour pénale internationale de La Haye pour leur rôle dans la guerre d’Irak ». Ayant rappelé les mensonges à la base desquels fut prise la décision d’envahir l’Irak, Desmond Tutu écrit : « Plus de 110.000 Irakiens sont morts depuis 2003, des millions de personnes ont été déplacées. A la fin de l’année dernière, plus de 4500 soldats américains ont été tués et 32000 blessés. Dans un monde qui se respecte, les responsables de ces souffrances et de ces pertes de vie doivent être traités de la même manière que leurs homologues africains ou asiatiques qui ont eu à répondre de leurs crimes à la Haye. » Ce qui semble affecter le plus l’archevêque sud africain est qu’on reste lamentablement incapables dans ce bas monde de se débarrasser de la règle des deux poids et deux mesures, même lorsqu’il s’agit de traiter avec des criminels de guerre. En effet, même à ce niveau, il y a les bons et les mauvais, ceux qu’on traine devant le tribunal pénal de la Haye et ceux qu’on laisse en liberté. Dans l’esprit de Desmond Tutu, Tony Blair est l’un de ces criminels de guerre privilégiés. Il continue de sillonner le monde et d’accumuler des fortunes en contre partie de « leçons » données aux gouvernants, alors qu’il avait lui-même commis l’un des mensonges les plus meurtriers de l’histoire quand il était au pouvoir et avait choisi de s’allier à George W. Bush. La question posée par cette grande autorité morale sud-africaine est pertinence : sur quelle base décide-t-on d’envoyer devant la Cour de la Haye Robert Mugabe (le président zimbabwéen) et laisser en liberté Tony Blair et George W. Bush ? Le premier a fait plusieurs victimes chez lui par une politique inappropriée, les deux autres ont causé la mort dans des conditions atroces de plusieurs douzaines de milliers de personnes et la souffrance de centaines de milliers de blessés et de millions de déplacés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irak, et le drame continue jusqu’à ce jour. Sur le plan géostratégique, le premier, a une responsabilité quasi-nulle dans l’aggravation de l’état de santé morale du monde, les deux autres assument une très lourde responsabilité de par les conséquences catastrophiques régionales et mondiales de la guerre d’Irak. En dépit de cela, « la Communauté internationale », c'est-à-dire essentiellement les Etat- Unis et la Grande Bretagne n’ont pas arrêté de demander l’arrestation de Mugabe et son jugement par la Cour de la Haye pour des crimes somme toute minimes comparés à ceux commis par Bush et Blair. Pourquoi la règle des deux poids et deux mesures joue-t-elle ici aussi ? Il est difficile pour ces deux grands pays de reconnaître qu’ils aient pu se laisser gouverner l’un pendant huit ans, l’autre pendant dix ans par des criminels de guerre. Il est impensable pour les peuples britannique et américain de reconnaître leur grande erreur d’avoir choisi pour gouvernants pendant de si longues années des personnages si moralement dépravés qu’ils n’hésitaient pas à recourir aux mensonges les plus abjects pour déclencher une guerre qui pue le pétrole. Il est impossible pour les Américains et les Britanniques d’accepter la moindre responsabilité dans la transformation de la vie de millions de personnes en enfer et dans l’augmentation terrifiante de l’agressivité et de la haine dans le monde à travers l’élection des deux personnages les plus irresponsables de ce début du XXIe siècle. Sans doute il y a un lourd sentiment de culpabilité qu’Américains et Britanniques tentent de refouler au plus profond de leur inconscient collectif. Et ne demander aucun compte aux principaux responsables du désastre irakien, aide au refoulement du sentiment de culpabilité et à s’assurer une conscience tranquille. Les principaux bénéficiaires de cette « ruse de l’esprit » américano-britannique sont George W. Bush et Tony Blair. Le premier coule une retraite dorée dans une résidence luxueuse étroitement surveillée aux frais du contribuable. Le deuxième sillonne le monde à la recherche de conférences à 60.000 dollars l’heure. Cela dit, une question morale reste sans réponse : pourquoi au pays de Mandela se trouve-t-on obligé d’inviter un criminel de guerre pour donner une conférence d’une heure pour 150.000 Livres sterling, une somme rondelette qu’un travailleur sud africain mettrait des décennies pour gagner ?

Friday, September 07, 2012

Une guerre perdue d'avance

Ce qui se passe aujourd’hui sur la scène médiatique en Tunisie n’est dans l’intérêt de personne, qu’il s’agisse des personnalités et des partis politiques, des organisations professionnelles, des journalistes ou encore du public, intéressé au premier degré par une information crédible qui ne peut être produite que par des médias libres. La crise profonde qui oppose aujourd’hui les professionnels de l’information au gouvernement dominé par le parti islamiste d’Ennahdha est, en toute objectivité, provoquée par ce dernier. Nul ne peut nier que depuis l’effondrement de la dictature novembriste, les journalistes tunisiens n’ont pas perdu de temps à recouvrer une liberté longtemps confisquée et à en faire un usage qui ne plaît pas toujours aux autorités politiques. Cette liberté, les journalistes ont commencé à l’exercer dès la formation du premier gouvernement Ghannouchi et continuent à l’exercer jusqu’à ce jour. Pour être franc, et je peux en témoigner pour avoir dirigé le journal public « La Presse » du 21 janvier 2011 au 7 janvier 2012, ni le gouvernement de M. Mohamed Ghannouchi, ni celui de M. Béji Caid Essebsi n’ont tenté à aucun moment de faire pression sur le quotidien que je dirigeais ni, à ma connaissance, sur aucun autre média. Sans doute étaient-ils parfois insatisfaits et même en colère contre certaines couvertures journalistiques, mais à aucun moment ils n’ont tenté de mettre la main sur un journal ou une télévision ou une radio, et c’est tout à l’honneur de MM. Ghannouchi et Caid Essebsi. Actuellement, la guerre larvée que mène le gouvernement contre les médias pour les soumettre à sa volonté a désagréablement surpris tout le monde. Rares étaient ceux qui avaient prévu un tel développement désastreux, d’autant que les gouvernants d’aujourd’hui étaient hier les victimes de la répression et que le chef du gouvernement était lui-même journaliste, et son journal « Al Fajr » victime de la détermination du régime déchu à étouffer toute forme de liberté. Rares étaient ceux qui avaient prévu un tel développement parce que, en toute franchise, on ne pouvait pas imaginer qu’après plus d’un demi siècle de dictature, après une révolution libératrice, après que les journalistes ont conquis une indépendance et une dignité longtemps absentes, viendrait un gouvernement issu des premières élections libres du pays pour renier le seul acquis de cette révolution en tentant d’asservir à nouveau les médias. Au temps de la dictature, les médias tunisiens étaient souvent comparés aux médias de la Corée du nord, de Cuba et même du Zimbabwe. Depuis le 15 janvier 2011, nous nous sommes progressivement affranchis de cette comparaison humiliante. Et voilà que ce gouvernement s’efforce de nous faire revenir à notre ancien classement qui, au temps de Ben Ali, était toujours compris entre 160 et 170, c'est-à-dire qu’en matière de liberté de la presse, il y avait chaque année entre 159 et 169 pays classés devant nous dans le monde. Le paradoxe dont on ne sait toujours pas s’il faut en rire ou en pleurer, et que cette guerre qui vise à enchaîner de nouveau les médias tunisiens est menée par un gouvernement présidé par un ancien journaliste qui a passé 17 années en prison, entre autres pour avoir voulu exercer son droit à exprimer son désaccord avec la politique de la dictature novembriste… Bien que tous les membres du gouvernement et tous les cadres du parti qui domine ce gouvernement nient toute action visant à mettre la main sur les médias, il est clair pour tout le monde que depuis quelques temps est engagée une guerre larvée entre deux volontés antagonistes : la volonté des journalistes, soutenus par l’ensemble de la société civile, à préserver coûte que coûte leur liberté et leur indépendance chèrement acquise d’une part, et, d’autre part, la volonté du gouvernement de vider cette liberté et cette indépendance de leur contenu et d’en faire une simple apparence, suivant en cela les mêmes techniques, les mêmes procédés et les mêmes manipulations que le régime déchu. Il serait fastidieux de rappeler ici toutes les actions engagées par ce gouvernement pour s’assurer la loyauté des médias. Du refus d’appliquer les décrets 115 et 116 à la nomination de directeurs « malléables » à la tête des médias publics, à l’organisation de sit-ins devant le siège de la télévision pour « l’assainir », en passant par le chantage à la liste noire et la campagne enragée contre les journalistes menée par Lotfi Zitoun, le gouvernement d’Ennahdha n’y était allé de main morte. Au lieu d’un petit signe d’apaisement que tout le monde attendait, on a eu droit à l’ouverture d’un nouveau front contre les journalistes de « Dar Essabah » avec la nomination provocatrice d’un ancien policier reconverti au journalisme après quelques années passées en prison. Pourquoi M. Jebali et ses amis se sont-ils crus obligés d’engager une guerre avec les journalistes du quotidien « Assabah » qui faisaient leur travail professionnellement et qui n’étaient pas particulièrement montés contre le gouvernement ni contre le parti dont il est issu ? Mystère. Car, un principe élémentaire de l’art de la guerre veut que quand on est en difficulté sur les fronts qu’on a déjà ouverts, on n’ouvre pas d’autres fronts. Le gouvernement de M. Jebali est en difficulté dans sa guerre avec les médias qu’il va perdre pour une raison très simple. La liberté acquise par les journalistes ne leur a pas été offerte par ce gouvernement ni par le parti dont il est issu. C’est le peuple qui, en se soulevant contre la dictature, leur a offert cette liberté à charge pour les journalistes de lui offrir à leur tour une information dépourvue de toute démagogie, de tout mensonge et de toute manipulation. En un mot une information crédible qui lui dévoile tout ce que le gouvernement tente de lui cacher. Le gouvernement va perdre cette guerre parce qu’en dernière analyse, cette guerre est contre la liberté des médias certes, mais aussi et surtout contre le droit des citoyens à une information fiable, crédible et qui appelle un chat un chat. Ce peuple qui a brisé les chaines qui ont ligoté les médias tunisiens pendant des années refusera tout retour en arrière. Il refusera qu’en fonction de l’intérêt et de l’humeur des gouvernants, le chat sera présenté sous la forme d’un tigre ou d’une souris. Voilà pourquoi la guerre engagée par ce gouvernement contre les médias est une guerre perdue d’avance. Reste à savoir pourquoi ce gouvernement provisoire qui, normalement, aurait dû se limiter à la gestion des affaires courantes de l’Etat en attendant la Constitution et les prochaines élections, pourquoi donc ce gouvernement s’est-il engagé dans ce terrain marécageux ou il risque de s’embourber et compromettre vis-à-vis de l’opinion intérieure et internationale une réputation déjà fortement entachée ? La réponse est simple : ayant goûté aux « délies du pouvoir » et à ses avantages matériels, ce gouvernement et le parti dont il est issu semblent déterminés à y rester. D’ailleurs le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, et son gendrissime ministre des Affaires étrangères n’ont pas eu froid aux yeux pour répéter à qui veut entendre qu’ « Ennahdha restera au pouvoir pendant plusieurs années ». Au vu de l’amateurisme politique des nouveaux responsables de l’Etat et des résultats catastrophiques enregistrés dans plus d’un domaine, il serait extrêmement difficile pour les gens aujourd’hui au pouvoir de se faire élire dans la transparence. Ils en sont eux-mêmes convaincus puisqu’ils font la sourde oreille à tous les appels assourdissants venant de l’opposition ou de la société civile pour la mise en place de l’instance indépendante qui devrait préparer les prochaines élections, et notamment la mise à jour des listes électorales. Reste l’autre manière de se maintenir au pouvoir, celle qu’utilisait Ben Ali, et qui consistait à asservir les médias pour les obliger à appeler un chat un tigre quand on parle des gens au pouvoir et un chat une souris quand on parle des gens de l’opposition. Peine perdue. Pour les journalistes tunisiens désormais le chat est et restera désespérément un chat.