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Sunday, December 20, 2009

Ces guerres qui s'inscrivent dans la durée

Quel genre de rapport la guerre et le temps entretiennent-ils ? Sont-ils indépendants l’un de l’autre ou sont-ils inséparables comme les deux faces d’une même monnaie ? Si l’on regarde de plus près la relation entre la guerre et le temps, on constatera que celle-là est inséparable de celui-ci et que l’inverse n’est pas vrai. En d’autres termes, la guerre, quand elle éclate, elle s’inscrit forcément dans une temporalité courte, moyenne ou longue. Quant au temps, il peut être violent… le temps d’une guerre, mais il a aussi son existence propre. En l’absence de celle-là, il s’écoule paisiblement. C’est ce qu’on appelle la paix.
Dans l’histoire humaine, les guerres sont si fréquentes et si nombreuses que la paix n’est souvent qu’une trêve plus ou moins longue entre deux guerres. Des fois les conflits armés sont si rapprochés dans le temps que les historiens incluent le mot guerre dans une formule qui désigne une brève période de paix. Ainsi, quand le professeur d’histoire parle à ses élèves de l’entre-deux-guerres, il n’a pas besoin d’être plus explicite. Tous savent qu’il s’agit des 21 ans de paix qui séparaient la fin de la première guerre mondiale (1918) et le début de la seconde (1939).
Dans une enquête sur les guerres ethniques et fratricides qui déchirent l’Afrique, Daniel Palmieri, chargé de recherches historiques au Comité International de la Croix Rouge (CICR), a démontré qu’elles sont devenues beaucoup plus longues et plus meurtrières qu’avant. Selon lui, les conflits ethniques de l’Afrique s’inscrivent « dans la perspective qui privilégie le temps long », c'est-à-dire, pour reprendre la formule de Fernand Braudel, dans la perspective d’une « histoire lente à couler et à se transformer. »
Selon Palmieri, cette longévité des guerres africaines s’explique par la recrudescence des activités illicites, « en particulier les trafics de cocaïne, d’opium ou de pierres précieuses ». L’argent a, de tout temps, été considéré comme le nerf de la guerre. Il y a donc une relation étroite entre la longévité de la guerre et la quantité d’argent disponible. Dès lors, il n’est guère étonnant de voir aujourd’hui que la plupart des chefs de guerre, en Afrique ou ailleurs, sont en même temps à la tête d’un trafic lucratif sans lequel ils ne peuvent ni recruter les combattants ni acheter les armes.
Le premier exemple qui vient en tête de ces guerres longues, meurtrières et inutiles, financées par un trafic illicite, est la guerre civile de l’Angola. Vingt ans de rébellion meurtrière menée par l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) et son chef Jonas Savimbi contre le gouvernement établi en 1975 par le MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Angola). Une rébellion qui n’aurait certainement pas pu s’inscrire dans la durée sans ce que les Angolais appelaient « les diamants du sang », un trafic qui fournissait à Jonas Savimbi plusieurs millions de dollars par an.
Il est vrai que Jonas Savimbi avait profité du contexte de la guerre froide qui sévissait alors, et surtout de la propension américaine à qualifier n’importe quel bandit à la tête d’une milice qui se disait anticommuniste, de « combattant de la liberté ». Mais, le fait déterminant dans la longévité de la guerre civile angolaise est la domination exercée pendant 20 ans par les rebelles de l’UNITA sur les mines de diamants de l’Angola.
Les conséquences d’une guerre civile qui s’inscrit dans la durée sont désastreuses pour le pays en question. L’Angola a perdu 20 précieuses années pendant lesquelles toutes les énergies du pays étaient mobilisées pour un seul objectif : la guerre. Toute une génération d’Angolais était sacrifiée parce qu’un hasard géologique qui, en d’autres circonstances aurait été une bénédiction, était devenu une malédiction baptisée « les diamants du sang ».
Mais il n’y a pas que les guerres africaines qui s’inscrivent dans la durée. Les guerres actuelles d’Irak et d’Afghanistan, de par leurs propres dynamiques, se sont inscrites dans une temporalité beaucoup plus longue que ne l’avaient imaginé ceux qui les avaient déclenchées. Elles constituent l’exemple de conflits par excellence qui, avant leur déclenchement, semblent tout à fait maîtrisables, mais, une fois déclenchés, échappent aux décideurs qui ne savent plus ni quand ni comment ces conflits se termineront.
Les historiens et les politologues se pencheront sans doute un jour sur cette singularité qui consiste au fait qu’un pays aussi pauvre et aussi démuni que l’Afghanistan puisse produire des insurgés, des va-nu-pieds pour la plupart, qui tiennent tête aux armées les plus puissantes du monde en inscrivant la guerre dans une temporalité exagérément longue, et dont la résistance féroce tranche avec les moyens rudimentaires dont ils disposent.
A voir l’arrogance et la suffisance extraordinaires dont avait fait preuve George W. Bush en 2002-2003, à voir sa détermination criée sur les toits de régler leurs comptes aux pays de l’ « axe du mal », à voir le mépris avec lequel il traitait tous les pays qui essayaient d’attirer son attention sur les dangers que courait l’armée américaine en cas d’invasion de l’Irak, beaucoup s’étaient laissés convaincre que le président américain était seul maître à bord et que les dates du déclenchement et de la fin de la guerre dépendaient de lui et de lui seul.
Il était le « Décideur » (Decider), comme il se plaisait à se qualifier lui-même, quand il s’agissait de fixer la date de lancer les troupes américaines à l’assaut de l’Irak. Quelques semaines plus tard, il n’était plus qu’un président désemparé par la tournure des événements qu’il ne maîtrisait plus. Il n’était plus qu’un président irascible, s’en prenant avec virulence à quiconque de ses collaborateurs qui lui transmettait une mauvaise nouvelle en provenance de l’Irak.
Les Etats-Unis auraient pu faire l’économie du désastre irakien, s’ils avaient tiré les leçons d’un autre désastre, celui du Vietnam. La guerre du Vietnam fut elle aussi déclenchée sous de faux prétextes. Là aussi, les décideurs américains avaient cru être les seuls maîtres à bord et que les Vietnamiens n’avaient d’autre choix que de se soumettre à la volonté de Washington. Très vite, la guerre s’est inscrite dans la durée et l’armée américaine s’est trouvée happée par une mécanique infernale. La guerre ne pardonne pas. Elle se nourrit des erreurs de ceux qui la déclenchent, et plus celles-ci sont nombreuses, plus elle a des chances de durer. Et les Etats-Unis ont commis des erreurs incalculables en Irak et en Afghanistan. Le prix qu’ils continuent des payer en sang et en argent est immense.

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