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Wednesday, November 21, 2012

Entre les deux son coeur balance

C’est à peine croyable ! Cela fait un quart de siècle déjà depuis que Ben Ali a fait son coup d’état médical qui lui a permis de diriger en dictateur intraitable la Tunisie pendant 23 ans. Comment un homme d’origine très modeste et de culture très limitée a-t-il pu régner aussi longtemps sur un peuple où les bacheliers se comptent en millions et les détenteurs de diplômes universitaires en centaines de milliers ? Beaucoup de Tunisiens se sont sûrement demandé qu’est-ce qui se passait dans la tête de leur dictateur qui, pourtant, a bien commencé, mais qui a fini très mal. Le samedi 7 novembre 1987, le successeur de Bourguiba avait affirmé que « l’époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l’Etat desquelles le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d’une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la popularité des organisations de masse. » La vérité est que ce discours a été applaudi par l’écrasante majorité des Tunisiens qui se sont massés derrière « l’homme du changement ». Pourquoi une majorité de Tunisiens, y compris les intellectuels et les universitaires les plus avertis, ont-ils donné si facilement un chèque en blanc au futur dictateur ? La raison se trouve dans la fin de règne exagérément longue et harassante de Bourguiba durant laquelle les intrigues, les coups bas, les déchirements entre factions rivales et les rumeurs de complots avaient paralysé l’Etat et placé le pays au bord du précipice. Fort de ce chèque en blanc, Ben Ali n’avait pas perdu de temps pour tourner le dos à son propre discours et pour exclure le peuple de toute participation effective à la chose publique. Il y avait une dimension psychologique décisive dans la transformation de Ben Ali en dictateur. Les Tunisiens étaient plutôt agréablement surpris par le changement effectué à la tête de l’Etat le 7 novembre 1987 qui avait mis fin à l’insupportable état d’incertitude et d’inquiétude qui avait marqué la fin de règne du leader Habib Bourguiba. Il va sans dire que le peuple tunisien n’avait participé ni de près ni de loin à ce processus de changement politique inédit et inattendu. Cette non-participation populaire au changement à la tête de la république a fait que Ben Ali se convainque qu’il était le sauveur du pays et, à partir de là, il s’était donné carte blanche pour gérer le pays à sa guise, se transformant en décideur unique pour tout ce qui touche à la vie politique, économique, sociale et culturelle de tout un peuple. En entamant sa carrière de dictateur, Ben Ali s’est installé dans une disposition psychologique bien particulière : en tant que président, il n’était pas au service du peuple, mais c’est celui-ci qui devait être à son service en acceptant sans broncher tout ce qui était décidé pour lui au Palais de Carthage, en s’abstenant de discuter les décisions présidentielles et en exprimant tous les jours, à travers les médias apprivoisés, les structures du parti au pouvoir et les partis en carton, sa gratitude au « sauveur ». Mais Ben Ali n’a même pas eu l’intelligence de faire sa carrière de dictateur en se basant sur une application minimale de la loi, permettant une préservation tout aussi minimale des intérêts de l’Etat et des propriétés publiques et privées contre les prédateurs. L’absence, ou plutôt le mépris de ce souci fondamental dans l’exercice du pouvoir a fait que Ben Ali bascule du statut de dictateur à celui de parrain, se souciant beaucoup plus du bien-être de ses proches que des dures conditions de vie des centaines de milliers de chômeurs. En dictature comme en démocratie, il est très courant qu’un détenteur du pouvoir fasse bénéficier ses proches de quelques avantages. C’est une faiblesse humaine. Ben Ali n’aurait pas focalisé sur lui toute cette haine, s’il s’était contenté de suivre cette règle banale. C'est-à-dire s’il s’était permis seulement d’avantager ses proches dans des limites « raisonnables », tout en leur interdisant d’utiliser leur liens de parenté avec le président pour abuser gravement des biens publics et privés. En laissant la bride sur le cou aux membres de sa famille et de sa belle famille, Ben Ali les a encouragés, volontairement ou involontairement, à se transformer en véritables prédateurs qui, plus ils pillent, plus leurs dents s’allongent, plus ils s’enrichissent, plus ils en veulent encore. En un mot, comme dit le peuple, plus ils mangent, plus ils ont faim. Le silence imposé par le sommet de l’Etat aux institutions publiques et aux personnes privées, victimes de la prédation de la famille et de la belle famille, a fait que Ben Ali apparaisse aux yeux du peuple de moins en moins comme président et de plus en plus comme un parrain qui se trouve au centre d’un vaste trafic d’influence ayant transformé, d’année en année, des gens pauvres au départ en milliardaires. A côté de ces dérives mafieuses qui ont gravement affecté le patrimoine national et les moyens financiers de l’Etat, nous avons assisté à un autre genre de dérives par lequel s’est distinguée la dictature de Ben Ali. Des dérives qui ont ridiculisé l’Etat et qui ont été ressenties par le peuple comme une humiliation intolérable. N’ayant aucune fonction officielle, la femme du président s’est imposée comme un personnage influent de l’Etat, se réservant un espace surdimensionné dans les médias publics et privés pour couvrir un ensemble d’activités abracadabrantes dont elle s’est auto-chargée. Cette incongruité, bien particulière à la dictature de Ben Ali, frisait l’absurde quand « la première dame » se permettait de désigner des ministres de l’Etat tunisien pour aller faire des discours en son nom dans des forums internationaux. Ceci pour ce qui est public. Quant à ce qui se passe dans les coulisses, seuls Dieu et quelques uns le savent. Le poids de plus en plus lourd de ces dérives et l’indifférence ou l’incapacité de Ben Ali à répondre aux besoins de demandeurs d’emplois de plus en plus nombreux, sans oublier l’infection de beaucoup d’agents de l’Etat par le virus de la corruption, ont fini par avoir raison de la patience du peuple. A la première fronde sérieuse, la dictature mafieuse s’est effondrée comme un château de cartes. Si le coup d’état médical du 7 novembre 1987 a été considéré par son initiateur comme un « bienfait » au service du pays, le profond changement politique du 14 janvier 2011 n’a pas été un cadeau offert au peuple tunisien. Celui-ci l’a réalisé en payant le prix fort : le sang de dizaines de ses enfants dans la fleur de l’âge. La différence est fondamentale avec le changement de novembre 1987. C’est précisément cette différence fondamentale entre les deux événements politiques majeurs de novembre 1987 et janvier 2011 que les nouveaux gouvernants ne veulent pas ou, par inexpérience et amateurisme politiques, ne peuvent pas voir. Tout le monde sait que ceux qui détiennent les rênes du pouvoir aujourd’hui n’ont participé ni de près ni de loin à la chute de la dictature. Certains étaient en prison, d’autres se faisaient discrets et évitaient la moindre confrontation avec la dictature et les plus influents d’entre eux vivaient dans un exil doré à Londres et Paris où ils étaient beaucoup plus soucieux de leur confort personnel que du sort de leurs compatriotes sous le règne exténuant de Ben Ali. En un mot, le pouvoir qu’ils exercent aujourd’hui, les islamistes n’ont rien fait pour l’avoir. Ben Ali a joué sa tête la nuit du 6 au 7 novembre 1987. S’il avait échoué, il aurait été pendu dans les jours qui suivaient. Pour arriver au pouvoir, les islamistes n’ont rien risqué du tout. Leur chef, qui accumule aujourd’hui autant de pouvoirs que l’ancien dictateur même s’il ne dispose d’aucune fonction étatique, est resté vingt ans à Londres et n’est revenu au pays que quand il s’est assuré que Ben Ali est parti une bonne fois pour toutes. En l’absence de maturité politique et compte tenu de l’extrême faiblesse de leurs convictions démocratiques, les islamistes qui n’ont rien fait pour être au pouvoir sont visiblement en train de tout faire pour ne pas le perdre. Et dans cette stratégie qui consiste à garder le pouvoir coûte que coûte, ils ont commis deux fautes graves. La première est qu’ils ont changé carrément la nature du mandat dont ils étaient investis par le peuple le 23 octobre 2011. Elus principalement pour rédiger une Constitution et accessoirement pour gérer les affaires courantes de l’Etat, l’Assemblée constituante, dominée par les islamistes et leurs alliés en carton, a inversé les choses en faisant du principal l’accessoire et vice versa. Dans cette métamorphose, elle s’est muée elle-même d’instance suprême source du pouvoir et de la légitimité dans le pays en chambre d’enregistrement et d’approbation des décisions du gouvernement auquel elle a donné naissance. La deuxième faute grave est que ce gouvernement, plutôt que de préparer la transition et de doter le pays d’instances démocratiques durables, s’est fourvoyé dans les dédales et les arcanes de l’Etat qu’il a décidé d’investir avec la ferme intention d’utiliser le moment venu les moyens étatiques et de les mettre au service du seul et unique objectif immédiat des islamistes consistant à garder le pouvoir. Il est bien évident que ces deux fautes graves ne sont pas passées inaperçues. Tout le monde en Tunisie, petit et grand, intellectuel ou manuel, sait que les islamistes s’activent non pas pour préparer un avenir démocratique pour les Tunisiens, mais pour réaliser leur rêve d’établir un Etat théocratique tel que décrit dans les écrits de Mawdoudi, Sayyed Qotb et autres maîtres à penser des Frères musulmans. La grande frustration des islamistes est qu’ils sont arrivés au pouvoir dans un pays qui est loin d’être une pâte à modeler. La Tunisie est un pays avec trois mille ans d’histoire et un peuple qui a vomi la dictature pour avoir souffert très longtemps de ses morsures. Une évidence qu’il dans l’intérêt impérieux des islamistes d’intérioriser : les Tunisiens ne se sont pas débarrassés d’une dictature laïque pour se soumettre à une autre de nature théocratique. Dans son écrasante majorité, ce peuple veut vivre et élever ses enfants dans un environnement démocratique et prospère. Rien de plus, rien de moins. Au début de leur exercice du pouvoir en Tunisie, les islamistes se sont trouvés en face d’une double voie : l’une indique l’expérience réussie des islamistes turcs, l’autre mène tout droit vers la reproduction de l’expérience malheureuse des islamistes soudanais qui, pendant plus d’un quart de siècle n’ont fait qu’accumuler les échecs. Entre les deux, le cœur d’Ennahdha balance. Mais tout porte à croire qu’il balance plus du côté de Khartoum, où de nombreux islamistes pourchassés par la dictature avaient trouvé refuge dans les années 1980-90, que du côté d’Ankara. Pourtant, la voie turque est celle qui leur aurait permis de garder démocratiquement le pouvoir. Quant à la voie soudanaise, on voit déjà au bout du parcours une grande pancarte portant l’injonction désormais universellement célèbre : « Dégage ».

Wednesday, November 14, 2012

Assassinat d'Abou Jihad: le faux scoop de la reconnaissance israélienne

Près d’un quart de siècle après, Israël a finalement reconnu ce que tout le monde sait déjà, c'est-à-dire que ce sont bien les services secrets de ce pays qui ont assassiné le leader palestinien Khalil al Wazir, plus connu sous le surnom d’Abou Jihad. C’était dans la nuit du 15 au 16 avril 1988 dans la banlieue de Tunis, à Sidi Bou Said plus exactement. Les adultes et les vieux de ce pays se rappellent très bien cet événement sanglant, ressenti par l’ensemble des Tunisiens comme une douloureuse humiliation. Cette humiliation était d’autant plus douloureuse qu’elle intervenait deux ans et demi après l’agression israélienne contre la Tunisie au cours de laquelle la ville de Hammam Chatt qui accueillait la direction palestinienne fut bombardée. Des Tunisiens et des Palestiniens étaient morts dans ce bombardement, mais pas la cible principale de l’agression israélienne, Yasser Arafat, qui échappa miraculeusement aux bombes israéliennes. La reconnaissance par Israël de l’assassinat d’Abou Jihad était loin d’être un scoop. Le fait que personne ne doutait de la responsabilité des services secrets israéliens explique pourquoi cette information n’a suscité que très peu d’intérêt pour les médias et n’a eu droit qu’au traitement réservé aux informations les plus banales. L’unique intérêt si l’on peut dire pour les Tunisiens réside dans les détails révélés par le meurtrier lui-même, Nahum Lev, dans l’interview qu’il avait accordée au journal israélien « Yediot Ahronot » en l’an 2000, quelques mois avant sa mort dans un accident de la route. D’aucuns se demandent pourquoi une interview accordée en 2000 est publiée 12 ans après ? La raison est que l’ « unique démocratie du Moyen-Orient » est en mesure d’interdire la publication de tout article ou livre que les services de renseignement ou l’armée jugent « dangereux pour la sécurité du pays ». C’est ainsi que l’interview que Nahum Lev a accordée au journaliste israélien Ronen Bergman est restée douze ans dans ses archives avant qu’il ne reçoive finalement l’aval des services concernés. On apprend de cette interview que le meurtrier est le fils d’un professeur de physique célèbre en Israël, Ze’ev Lev, et qu’il avait fait partie du commando d’élite, « Sayaret Matkal ». L’opération, qui avait pour nom de code « Show Force », était préparée conjointement par le Mossad et les services secrets de l’armée. Le commando criminel dirigé par Nahum Lev était composé de 26 personnes. Arrivé par la voie maritime, le groupe avait pu en toute sécurité débarquer sur l’une des plages tunisiennes avant de se diviser en 8 sous-groupes. Le premier groupe était composé de Nahum Lev et d’un autre membre du commando déguisé en femme en vue de donner l’impression d’un couple de touristes. Le couple portait de grosses boites de chocolat à l’intérieur desquelles se trouvaient les silencieux qui devaient servir à l’assassinat d’Abou Jihad, de ses gardes du corps et du jardinier qui, pour son malheur, avait décidé de passer cette nuit là dans la cave de la maison. Si, côté israélien, on a quelques détails sur cette nuit désastreuse pour notre réputation dans le monde, côté tunisien, on est dans le noir le plus total. Car enfin, comment se peut-il qu’un groupe de 26 personnes débarquent sur l’une de nos plages, s’aventurent dans un petit village où tout le monde se connaît, arrivent devant la maison la plus gardée de Sidi Bou Said, tuent à bout portant toute personne qui a la malchance de se trouver sur leur passage, exécutent le dirigeant palestinien devant sa femme et sa fille horrifiées, se retirent de la maison, quittent le village et le pays et rentrent chez eux tranquillement sans que personne en Tunisie ne s’en rende compte ? On ne sait pas et on ne saura probablement jamais s’il y a eu des complicités tunisiennes ou pas. Toujours est-il que les préparatifs nécessaires à l’opération étaient effectués par un group de trois personnes qui étaient arrivés à Tunis quelques jours avant pour louer les voitures que le commando devait utiliser dans ses déplacements. Ces voitures, deux mini-bus Volkswagen et une Peugeot 305 ont été trouvés, le 16 avril 1988 au matin abandonnées près d’une plage de Raoued d’où le commando israélien quitta le pays par la mer. Humiliée, la Tunisie ne pouvait rien faire d’autre que porter plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU qui adopta le 25 avril la résolution 611, condamnant Israël. 14 membres ont voté pour et les Etats-Unis se sont abstenus. Comment ce commando a-t-il pu pénétrer en Tunisie par voie maritime ? Face au black out total sur ce sujet, on a dû recourir à un cas similaire où les informations sont disponibles pour y voir plus clair. En 1973, le Mossad et les services secrets de l’armée israélienne ont décidé d’abattre trois dirigeants palestiniens vivant à Beyrouth, Kamal Adwan, Kamel Nasr et Mohamed Youssef Al Najjar, soupçonnés par le Mossad d’être derrière l’assassinat d’athlètes israéliens à Munich en 1972. Le 9 avril 1973, un navire de guerre israélien quitte la base navale de Haifa dans le nord d’Israël en direction des eaux territoriales libanaises. Arrivé en face de Beyrouth, le navire s’arrête en haute mer. Le commando appartenant à l’unité d’élite Sayaret Mitkal et dirigé par Ehud Barak prend place dans des vedettes Zodiac. A quelques centaines de mètres des plages de Beyrouth, les moteurs des Zodiac sont arrêtés et le commando rame jusqu’à la plage de la capitale libanaise où Ehud Barak et ses hommes ont débarqué. Des « touristes » israéliens, probablement munis de faux passeports européens, étaient à Beyrouth quelques jours avant l’arrivée du commando pour se charger des préparatifs logistiques. Des voitures de location attendent le commando à la plage de débarquement. Arrivés à l’immeuble où vivaient les trois dirigeants palestiniens et leurs familles, Ehud Barak et ses hommes font sauter les portes des appartements à l’explosif, tuent les trois dirigeants, ramassent tous les documents trouvés sur place et remontent dans leurs voitures direction la plage. Le commando a dû faire face à des fusillades avec des Palestiniens et des membres de la police libanaise avant d’embarquer dans les vedettes Zodiac, abandonnant les voitures de location sur la plage. Il est très probable que l’opération 9 avril 1973, tendant à assassiner kamal Adwan, Kamal Nasr et Mohamed Youssef Al Najjar, a été reproduite dans ses moindres détails dans le débarquement à Tunis le 15 avril 1988 qui a permis au commando de Sayaret MItkal d’assassiner Khalil Al Wazir. Si dans ces deux cas, Israël à dû recourir à une logistique lourde et complexe pour commettre ses crimes à Beyrouth et à Tunis, de nombreux autres crimes ont été commis par des tueurs lâchés par le Mossad avec de simples revolvers pour faire la chasse aux dirigeants palestiniens dans des villes européennes et du Moyen-Orient : Mahmoud Salah était abattu le 3 janvier 1977 à Paris, Said Hammami le 4 janvier 1978 à Londres, Ezzeddine Kalak le 3 août 1978 à Paris, Ali Hassan Salameh le 22 janvier 1979 à Beyrouth, Ali Salem Ahmed et Ibrahim Abdelaziz le 15 décembre 1979 à Chypre, Zouheir Mohsen le 25 juillet 1979 à Cannes, NaÏm Kheder le 1er juin 1981 à Bruxelles, Majed Abou Sharar le 10 octobre 1981 à Rome etc. Restent les cas du numéro un et deux de l’OLP, Yasser Arafat (Abou Ammar) et Salah Khalaf (Abou Iyad). Celui-ci fut assassiné le 15 janvier 1991 à Carthage par son garde du corps qui s’est révélé être un agent double qui travaillait en même temps pour le Mossad et pour Abou Nidhal. Jusqu’à présent, on ignore de qui est venu l’ordre d’assassiner Abou Iyad. Du Mossad ? D’Abou Nidhal ? Ou des deux ? Le cas de Yasser Arafat est plus compliqué encore. On sait qu’Ariel Sharon voulait sa mort depuis longtemps. Il était très frustré de n’avoir pu l’abattre lors de l’invasion du Liban en juin 1982. En 2004, l’année de la mort de Yasser Arafat, Sharon était Premier ministre. Il avait alors affirmé qu’ « Arafat n’a pas d’assurance-vie ». Peu de temps après, Arafat est mort à Paris. Ses médecins parisiens n’avaient détecté aucune maladie mortelle ni aucune cause naturelle du décès du leader palestinien. Des analyses plus approfondies menées par un institut scientifique suisse au dessus de tout soupçon ont conclu que la mort du leader palestinien était provoquée par son empoisonnement au polonium, un produit hautement radioactif qui provoque la mort sans laisser de traces, à moins de procéder à des analyses spécifiques. Beaucoup d’Israéliens, dont Uri Avnery, un ami d’Arafat, sont convaincus que c’est Sharon qui a commandité l’assassinat d’Arafat au polonium. Très peu de temps après la mort d’Arafat, Ariel Sharon, victime d’une attaque cérébrale, sombra dans un coma. Il y est encore depuis 2005.

Rupture en direct

Le laxisme avec lequel le ministère de l’Intérieur a géré la violence perpétrée par des groupes extrémistes se réclamant du « salafisme jihadiste » a eu des conséquences désastreuses pour l’économie du pays qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans le marasme. Ce laxisme a eu aussi de graves conséquences sociales et psychologiques sur les citoyens tunisiens, très inquiets pour leur sécurité et celle de leurs biens. Ils se sentent abandonnés à leur propre sort par un Etat plutôt démissionnaire face à des groupes fanatisés à l’extrême pour qui tous ceux qui n’adoptent pas leur vue de l’Islam sont des mécréants. Ce laxisme a atteint son paroxysme le 14 septembre, cette journée noire dans l’histoire du pays. Le ministère de l’Intérieur était incapable de protéger l’ambassade des Etats-Unis et l’école américaine, saccagées par des extrémistes qui ont parcouru une quinzaine de kilomètres sans qu’ils soient inquiétés, avant d’arriver à leurs cibles et leur faire subir des dégâts qui se chiffrent en millions de dollars. La facture sera payée évidemment par le contribuable tunisien. Il serait fastidieux de rappeler ici tous les actes de violence perpétrés par des barbus en fureur contre les intellectuels, les hommes de culture, les hommes politiques, les journalistes, les femmes etc. Ces actes de violence sont devenus légion et, de cas isolés au début, sont devenus au fil des semaines et des mois une stratégie par laquelle les agresseurs et leurs commanditaires visent à changer radicalement le mode de vie des Tunisiens. Ils rêvent d‘ établir au lieu et place de l’Etat tunisien moderne un « noyau de califat » qui prendrait racine en Tunisie et s’étendrait progressivement à l’ouest jusqu’au Maroc et à l’est jusqu’en Indonésie. Ce qui est tragi-comique, c’est que les promoteurs d’un projet aussi gigantesque, relevant soit dit en passant de la politique-fiction, se proposent de le réaliser avec, en guise d’armes, des pierres, des couteaux de boucher, des sabres et des haches… On a trop glosé sur les raisons du laxisme dont ont bénéficié ces jeunes fanatisés. Mais il ya deux raisons principales, l’une tactique, l’autre stratégique. La première a trait aux préoccupations électorales du parti islamiste, la seconde se trouve dans la fameuse vidéo qui a tant inquiété les Tunisiens et dans laquelle Ghannouchi prie les salafistes de faire preuve de patience, le temps de créer les conditions propices à la réalisation de leurs objectifs communs. La liste des agressions perpétrées contre divers acteurs de la société civile est longue, trop longue. Elles sont toutes le résultat direct du laxisme de l’autorité politique en charge de la sécurité dans le pays. Les groupes violents ont interprété la tolérance dont ils ont bénéficié à la fois comme un encouragement à aller de l’avant et, plus grave encore, comme un signe d’affaiblissement continu de l’Etat. Tout se passe comme si plus ces groupes sont tolérés, plus ils sous-estiment l’Etat et plus ils s’enhardissent. Au point que dans certains quartiers de la capitale, les salafistes se sont arrogé le droit de s’attribuer l’une des fonctions vitales de l’Etat, celle de maintenir l’ordre. On a assisté à la formation de « forces de l’ordre » parallèles qui, par la contrainte, la menace et l’agression, ont tenté d’imposer aux citoyens de certains quartiers un mode de vie qui nous est totalement étranger. Il était clair depuis le début que, quels que soient les objectifs tactiques et stratégiques qui liaient Ennahdha et les salafistes, l’Etat tunisien, sous peine d’écroulement, ne pouvait pas supporter indéfiniment les graves atteintes à son prestige, ni les agressions continues contre ses agents, et en premier lieu les agents de police. Du 1er janvier au 31 octobre de cette année, 1254 agressions physiques plus ou moins graves ont été perpétrés contre les forces de l’ordre par des salafistes prompts à traiter quiconque s’oppose à leurs vues et à leur activisme violent de « mécréant », « ennemi de Dieu », « suppôt de satan »… Le 1er novembre 2012, est une date que les Tunisiens garderont longtemps en mémoire. Ce jour là, des milliers de téléspectateurs médusés ont assisté à la rupture en direct entre le salafisme jihadiste et Ennahdha. Dans le débat télévisé organisé par la chaîne « Attounisia » et auquel assistaient notamment le ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, et celui des droits de l’homme, Samir Dilou, l’invité-surprise, Nasreddine Aloui, « imam » de la mosquée « Ennour » de Douar Hicher, après avoir déversé son venin sur le parti Ennahdha et sur l’un de ses symboles, Ali Larayedh, a soudain montré son « linceul » qu’il a pris soin d’amener avec lui, et d’appeler en direct au jihad, comme s’il se trouvait 15 siècles en arrière en pays païen. Le choc et la consternation, qui se lisaient sur les visages de MM. Ali Larayedh et Samir Dilou, sont une sorte de preuve télévisée qu’entre Ennahdha et les salafistes, rien ne va plus. Cette rupture contribuera selon toute vraisemblance à l’aggravation des dissensions qui tiraillent Ennahdha. Les « modernistes » de ce parti ne manqueraient pas de souligner la responsabilité des « conservateurs » dans les répercussions extrêmement graves subies à la fois par la Tunisie et par le parti Ennahdha du fait du déferlement de la violence salafiste. La stratégie consistant à se montrer tolérant et compréhensif jusqu’à la complicité avec le salafisme violent, suivie par Ennahdha depuis sa victoire aux élections du 23 octobre 2011, a eu l’effet d’un boomerang dévastateur pour le parti islamiste. A force de vouloir préserver cette « réserve de voix », ignorant superbement le besoin intense des Tunisiens à se sentir en sécurité, Ennahdha à perdu sur les deux fronts. Aujourd’hui ce parti, en tant que vrai détenteur du pouvoir, se trouve accusé par les salafistes d’être « une marionnette » entre les mains des Américains, et par les Tunisiens d’être le responsable de la dégradation sans précédent de leurs conditions de vie sur le triple plan économique, social et sécuritaire. Par un extraordinaire concours de circonstances, Ennahdha s’est trouvé au pouvoir, chose dont elle ne rêvait même pas une année auparavant tant cette éventualité relevait plutôt du domaine de l’impossible. L’impossible a fini par se réaliser et le parti islamiste, au lieu d’exploiter au mieux cette occasion en or, il l’a lamentablement ratée. Pourtant, il aurait été en mesure de réussir si seulement il avait tenu ses promesses électorales. Si seulement il avait pris le parti des défenseurs de la démocratie plutôt que celui de ses ennemis salafistes. Si seulement il s’était inspiré du modèle turc et avait mis le pays sur la bonne voie, celle du travail et de la construction plutôt que celle des dissensions et de la discorde. En attendant, on a droit de temps à autre à des coups d’éclat médiatiques pour divertir la galerie. Accuser des personnalités ou des groupes de « complot contre la sûreté de l’Etat » est en passe de devenir le sport national le plus attrayant. Toutefois, les accusateurs semblent oublier un petit détail : la sûreté, la sécurité, le prestige et l’aura de l’Etat tunisien sont dans un état si lamentable qu’on est en droit de se demander contre quoi les comploteurs peuvent bien comploter ?