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Wednesday, February 27, 2008

Guerre stratégique au nord de l'Irak

L’armée turque affronte depuis une semaine les combattants du PKK au nord de l’Irak dans des conditions de relief et de climat extrêmes. La région est montagneuse et très difficile d’accès. Le froid et la neige rendent cet accès plus difficile encore. Pour souligner l’urgence de son intervention et sa détermination sans faille, Ankara n’a pas attendu le printemps pour épargner à son armée au moins les difficultés nées du dur climat du Kurdistan.
Cela fait près de deux décennies maintenant que la Turquie est confrontée au mouvement séparatiste kurde, le PKK, considéré comme terroriste par la majorité des Turcs. A un certain moment, en février 1999 exactement, Ankara avait nourri l’espoir que le PKK allait s’éteindre après l’arrestation de son chef, Abdallah Oçalan, en Afrique à la suite d’une opération compliquée menée par les services de renseignements turcs. Neuf ans après l’arrestation du fondateur du parti séparatiste kurde, le PKK garde intacte sa capacité de nuisance vis-à-vis de la Turquie.
Composé de quelques milliers de combattants, très jeunes et inexpérimentés pour la plupart, le PKK doit sa survie non pas à sa force ou à son armement, rudimentaire du reste, mais au relief très montagneux du Kurdistan irakien où il a choisi de se replier dès le début des années 1990. Bénéficiant sinon de l’aide du moins de la complaisance des autorités autonomes du Kurdistan irakien, bénéficiant aussi et surtout de la solidarité ethnique des Kurdes irakiens, le PKK continue de prendre refuge dans les montagnes surplombant les villes de Suleimaniyeh et de Dohuk.
En fait, le PKK n’a jamais posé de menace sérieuse pour l’intégrité territoriale de la Turquie ni pour sa sécurité. Il est vrai que le parti séparatiste fait exploser de temps à autre une bombe en Anatolie et même à Istanbul ou à Ankara, mais c’est là une simple nuisance que le PKK a toujours été incapable de transformer en menace sérieuse pour la sécurité nationale turque. Le problème fondamental du PKK reste sa marginalisation et son incapacité à mobiliser les 12 millions de Kurdes turcs à ses côtés. Bien au contraire, ceux-ci sont du côté de l’armée turque et prennent une large part, en tant que soldats, dans la répression du mouvement séparatiste.
Beaucoup d’analystes et commentateurs se demandent si vraiment cette fois l’intervention turque au nord de l’Irak vise le PKK ou celui-ci n’est qu’un prétexte mis en avant par Ankara pour servir des intérêts stratégiques autrement plus importants : empêcher, au besoin par la force, l’émergence d’un Etat kurde indépendant au Kurdistan irakien.
Ce n’est un secret pour personne que la Turquie voit d’un très mauvais œil l’autonomie, jugée « excessive » à Ankara, dont jouissent les Kurdes irakiens depuis 1991. En effet cela fait 17 ans maintenant que les Kurdes irakiens gèrent leurs propres affaires à la manière d’un Etat indépendant. La « province autonome du Kurdistan irakien » dispose de son propre drapeau, de sa propre armée (les Peshmergas), de son propre parlement, de son propre président, de son propre Premier ministre, de son propre gouvernement nommé par le président Massoud Barzani, de son propre système éducatif basé fondamentalement sur la langue kurde etc…
Certes, le vice président et le ministre des Affaires étrangères d’Irak, respectivement Jalal Talabani et Hoshyar Zebari, sont kurdes. Mais cela n’a contribué en rien à rendre un peu moins hermétique et un peu plus poreuse la frontière entre le Kurdistan irakien et le reste du pays. Il est remarquable, n’est ce pas, que bien que le vice président et le ministre des Affaires étrangères d’Irak soient kurdes, aucun soldat irakien et aucun policier relevant du gouvernement central de Bagdad n’a le droit de mettre les pieds au Kurdistan. Les Irakiens du centre et du sud ne peuvent toujours pas se rendre au Kurdistan comme s’ils se rendaient dans n’importe quelle autre province irakienne…
La persistance de cette autonomie jalousement défendue par les Kurdes et l’intention clairement affichée par ceux-ci d’annexer, au besoin par la force, la riche région pétrolière de Kirkouk sont sources de soucis bien plus sérieux pour Ankara que ceux posés par les quelques milliers d’ « adolescents dévoyés » du PKK. Les autorités kurdes sont cette fois beaucoup plus inquiètes de l’intervention turque que par le passé. Elles semblent conscientes de l’impatience et de l’agacement d’Ankara face au renforcement de l’autonomie du Kurdistan irakien et de la détermination de l’armée turque à s’opposer par la force à l’évolution de cette autonomie en indépendance pure et simple. Conscient, mais aussi inquiet, de cette dimension stratégique de l’intervention turque au nord de l’Irak, le président Massoud Barzani ne peut rien faire d’autre sinon prononcer des discours menaçants à l’intention d’Ankara ou mettre « en état d’alerte » les Peshmergas exhortées à se préparer à « une résistance massive ».
Le gouvernement central de Bagdad se trouve dans une position aussi impuissante que celle du gouvernement autonome du Kurdistan. Il se contente lui aussi de faire des discours et de multiplier les appels à Ankara de retirer ses troupes et de respecter « la souveraineté de l’Irak ».
Et les Etats-Unis dans tout ça ? A supposer qu’ils aient les moyens militaires d’empêcher Ankara de pénétrer au nord de l’Irak, ils ne le feront pas parce qu’ils sont très liés à la Turquie par des intérêts particulièrement solides. Les Etats-Unis ont des bases militaires stratégiques en Turquie qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier pour les beaux yeux des Kurdes. Membre de l’Otan, la Turquie est un pays très précieux pour Washington, surtout en ce moment où l’armée américaine est en grande difficulté en Afghanistan et en Irak. Sans oublier l’intérêt évident des Etats-Unis de maintenir le maximum de distance possible entre Ankara et Téhéran. De là à dire que la Turquie a carte blanche dans le Kurdistan irakien, il y a un pas que beaucoup d’analystes et de commentateurs ont franchi déjà.

Monday, February 25, 2008

La leçon des élections pakistanaises

Programmées au départ pour le 8 janvier 2008, les élections législatives au Pakistan ont failli ne pas avoir lieu à la suite de l’assassinat de Benazir Bhutto le 27 décembre dernier. La date du 18 février 2008 restera une date importante pour le Pakistan dans la mesure où ce pays a enregistré ce jour là une double victoire.
Tout d’abord, le pays qui était au bord du chaos total au lendemain de l’assassinat de la présidente du Parti du Peuple Pakistanais (PPP), a pu malgré tout tenir le 18 février dernier les élections législatives que beaucoup croyaient compromises. Mieux encore, agréable surprise, ces élections se sont déroulées dans un climat marqué par un niveau de violence étonnamment bas, compte tenu de la situation explosive dans laquelle se trouvait le pays.
Ensuite, agréable surprise aussi, le peuple pakistanais a renvoyé chez eux les candidats des partis religieux extrémistes qui se préparaient à étendre la « talibanisation » du Waziristan au reste du pays. Les citoyens pakistanais ont choisi la majorité de leurs représentants au sein des deux principaux partis démocratiques du pays, le PPP de feue Benazir Bhutto et la Ligue musulmane de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif. A eux deux, ces partis ont eu droit à 155 députés sur les 268 que compte le Parlement pakistanais.
En votant contre les partis extrémistes, qui font de la pauvreté et de la misère leurs fonds de commerce, le peuple pakistanais a signifié au monde entier qu’il est assez mûr pour ne pas se laisser entraîner dans les dédales de l’obscurantisme. Qu’il est assez sage pour refuser son soutien à des groupuscules qui entretiennent le nihilisme et la culture de la mort, et dont la seule politique consiste à interdire aux femmes de mettre le nez dehors, à envoyer des illuminés saccager les boutiques de CD et de DVD et à ceinturer de TNT des écervelés avant de les envoyer se faire exploser dans les lieux publics.
Le peuple pakistanais a tiré la leçon de l’amère expérience de la précédente législature quand les habitants de la région de Peshawar, dans le nord ouest, avaient élu des extrémistes religieux et leur avaient donné la responsabilité de gérer leurs affaires locales. Il va sans dire que les résultats ont été désastreux. Ni développement, ni création d’entreprises, ni création d’emplois. Tout ce que ces élus fanatiques ont fait c’est de multiplier les interdits religieux découlant de leur compréhension aussi limitée qu’erronée de l’islam, de jeter l’anathème sur le travail et l’éducation des femmes, sur la musique, le cinéma, les fêtes de mariage et les fêtes tout court. En un mot, ils n’ont fait que transformer la vie des habitants des provinces du nord ouest en une routine aussi lugubre que dangereuse.
Ecoutons l’explication du professeur Shah Jehan, de l’université de Peshawar, recueillie par le quotidien britannique « The Guardian », dans son édition du 24 février : « Le vote contre les partis religieux s’explique par leur échec à tenir les promesses de leurs campagnes électorales. Ils ont promis d’être honnêtes, justes, ascétiques et efficaces, et ils n’étaient rien de tout ça. Plus encore, ils n’ont pas pu apporter la paix. Les gens sont malades de la violence et de l’insécurité. Ils ont voté pour des partis qui, espèrent-ils, vont mettre un terme à leur calvaire. »
Mettre un terme au calvaire des gens est une tâche immense qui attend les nouveaux élus, surtout que pas très loin de la province de Peshawar, se trouvent les zones tribales autonomes où se cacheraient Ben laden et ses lieutenants et où pullulent les camps d’entraînement des talibans afghans et pakistanais. C’est probablement de ces camps qu’est venu le kamikaze qui s’est fait exploser pendant la campagne électorale dans la permanence de l’un des candidats à Peshawar, provoquant la mort de 80 personnes, alimentant ainsi, à deux jours des élections, le sentiment de dégoût face à cette culture de la mort initiée par ceux qui prétendent servir les desseins divins en massacrant des innocents.
Si l’on en croit le reportage du « Guardian », la gaieté est de retour à Peshawar. La musique n’est plus interdite, on chante et on danse de nouveau dans les mariages et, pour fêter leur victoire, des députés fraîchement élus ont programmé des concerts publics. Mais les plus contents d’entre tous sont les chauffeurs de bus. Ils peuvent désormais écouter de nouveau leur musique préférée dans le bus qu’ils conduisent plusieurs heures par jour…
Les élections du 18 février sont donc un grand coup pour les obscurantistes et autres talibans pakistanais. Mais ce n’est pas un coup fatal puisqu’ils ne vont pas désarmer aussi facilement et tenteront à coup sûr de poursuivre leurs menées subversives et violentes. Pour leur couper définitivement l’herbe sous les pieds, les autorités pakistanaises n’ont d’autre choix que de s’investir pleinement dans la lutte contre la pauvreté et dans la promotion de l’enseignement laïque.
La réussite du Pakistan dépend des Pakistanais eux-mêmes en premier lieu certes. Mais elle dépend aussi de la manière dont est perçu le pays à l’étranger. La meilleure manière d’aider le Pakistan, ne consiste sûrement pas à continuer à le considérer seulement comme un pays de la ligne de front dans le « guerre contre le terrorisme », comme il l’était hier dans la guerre contre l’empire soviétique. Le Pakistan n’est pas seulement « une pièce maîtresse » dans le jeu stratégique des Etats-Unis. C’est aussi 120 millions d’âmes à nourrir et à éduquer. C’est un pays à aider de toute urgence à sortir de son sous développement endémique. Et aucun développement n’est possible si les milliards de dollars, réservés jusqu’ici annuellement à l’achat d’armements, ne seront pas détournés au profit des programmes économiques, sociaux et éducatifs. Un Pakistan développé et débarrassé de ses obscurantistes est une condition incontournable pour la sécurité de la région, et même du monde.

Friday, February 22, 2008

Le Kosovo, la Palestine et la "communauté internationale"

Affrontements au nord du Kosovo à la frontière avec la Serbie, attaque par la foule des manifestants de l’ambassade américaine à Belgrade causant un mort et plusieurs blessés, manifestations violentes devant les ambassades de Grande Bretagne, d'Allemagne, de Turquie, de Croatie et de Bosnie dans la capitale serbe, forces de l’ordre locales débordées et forces de l’Otan en état d’alerte maximale, bref une grande crise enfle dans les Balkans et menace de replonger la région dans le cycle horrible des violences qui avaient accompagné le démembrement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990.
Beaucoup se demandent quels intérêts majeurs Américains et Européens sont en train de défendre en poussant obstinément les Albanais du Kosovo à déclarer leur indépendance et à prendre ainsi le risque d’une nouvelle guerre dans une région où les rancoeurs sont toujours vives et les blessures encore ouvertes ? Pourquoi le statu quo au Kosovo, administré par l’ONU depuis 9 ans, est-il devenu subitement « intolérable », alors que le statu quo en Palestine qui endure une occupation impitoyable depuis plus de quarante ans est toujours tolérable aux yeux des Européens et des Américains ?
La répression lancée par l’ancien président serbe, Slobodan Milosevic, contre les Albanais du Kosovo en 1997-98 est un fait divers comparée au calvaire de l’occupation et de la répression israéliennes que vivent les Palestiniens depuis des décennies. Pourtant, Américains et Européens n’avaient pas hésité alors à mobiliser leurs troupes et à bombarder intensivement les villes serbes pendant 78 jours d’affilée, obligeant Milosevic à retirer ses troupes du Kosovo. Pourtant le Kosovo est considéré par les Serbes comme le berceau de leur civilisation et le foyer de leur héritage religieux et spirituel. La province fait partie de la Serbie depuis des siècles et la rage exprimée par les manifestants à Belgrade est de même nature que celle exprimé par tout être humain qui se voit dépossédé par la force de son bien et qui se trouve dans l’incapacité de le récupérer.
Le traitement de la question du Kosovo par le couple Amérique-Europe amplifie le sentiment d’injustice vécu dans le monde arabe face au traitement de la question palestinienne. Il pousse à des niveaux extrêmes la consternation ressentie un peu partout dans le monde arabe face au critère des deux poids et deux mesures employé par la « communauté internationale » dans la gestion des grandes affaires internationales.
Il est d’autant plus consternant de voir la rapidité avec laquelle le Kosovo a accédé à l’indépendance que l’appartenance séculaire de cette province à la Serbie n’a jamais menacé ni de près ni de loin la sécurité mondiale. Il est d’autant plus consternant de voir l’aide américaine et la complaisance européenne se perpétuer en faveur de l’occupant israélien que la résolution de la question palestinienne est vitale pour la sécurité du monde.
Les historiens qui se pencheront plus tard sur la gestion par « la communauté internationale » des crises du début du 21eme siècle seront sans doute déboussolés. Ils ne trouveront aucune logique dans la hiérarchie des priorités établie par les acteurs principaux de la scène internationale pour résoudre les crises qui secouent la planète depuis le début du troisième millénaire.
La question qui se pose aujourd’hui pour nous et qui se posera demain pour les historiens est la suivante : ceux qui se prennent pour la communauté internationale, c'est-à-dire en gros les Etats-Unis, certains pays influents de l’Union Européenne et l’Otan, sont-ils en train de résoudre les crises internationales ou d’en créer davantage ?
Après les désastres irakien et afghan, « la communauté internationale » aurait dû entamer aussitôt l’allumage de contre-feux pour limiter la propagation des incendies qui ravagent la planète. Le principal contre-feu à allumer aurait dû consister en une résolution à la manière kosovare de la question palestinienne en imposant à Israël l’indépendance d’un peuple sous occupation depuis plus de quarante ans.
Or, non seulement la question palestinienne continue d’être négligée, mais, plus grave encore, nous assistons depuis quelque temps à une campagne de presse internationale qui tente d’accréditer l’idée que « la solution de deux Etats en Palestine n’est plus viable », que l’Egypte devrait tôt ou tard « absorber Gaza » et la Jordanie, de son côté, devrait aussi tôt ou tard « absorber la Cisjordanie » C’est le sujet, par exemple, d’un long article publié le 22 février 08 par le New York Times. Pour Israël, une telle perspective est un pain béni puisqu'elle lui permettra de "digérer" Jérusalem-Est et les colonies qui surplombent les grandes villes palestiniennes, "absorbés" depuis des décennies.
On reste pantois face à l’ampleur du cynisme et de l’absurdité qui marque de plus en plus l’approche avec laquelle « la communauté internationale » gère les crises du monde. La Serbie est empêchée par les armes d’ « absorber » le Kosovo qui lui appartient depuis des siècles, et, pour empêcher l’émergence d’un Etat palestinien, on commence les grandes manœuvres pour presser à l’Egypte et à la Jordanie d’ « absorber » des territoires qu’ils ne veulent à aucun prix accueillir sous leur souveraineté.

Tuesday, February 19, 2008

La problématique indépendance du Kosovo

Dans l’histoire, il y a toujours eu des hommes dont l’aura et le charisme sont plus efficaces que les forces armées pour maintenir ensemble dans un cadre institutionnel unique des territoires et des peuples différents les uns des autres, voire hostiles les uns aux autres. C’est le cas de Josip Broz Tito, créateur de la république fédérale de Yougoslavie en 1946, décédé en 1980. A la mort de Tito, la Yougoslavie était formée de six républiques (la Serbie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie, la Macédoine et le Monténégro), et de deux régions autonomes (le Kosovo et la Voïvodine).
La disparition de Tito avait entraîné aussitôt le réveil des tendances sécessionnistes et séparatistes de peuples ayant vécu ensemble pendant un certain temps dans le cadre d’un mariage circonstanciel de raison plutôt que par amour et affinités mutuelles. Les dirigeants serbes qui avaient succédé au Croate Tito avaient tout fait pour lutter contre ces tendances séparatistes, mais le mouvement était irréversible et rien ne pouvait s’opposer aux forces irrédentistes qui sciaient lentement mais sûrement les bases de la Yougoslavie.
Le processus de désintégration entamé par les Croates qui, les premiers, avaient demandé le divorce, était d’une violence inouïe. Deux éléments principaux expliquaient l’extraordinaire violence qui avait accompagné ce processus de désintégration : la détermination des nationalistes serbes à sauver coûte que coûte la fédération yougoslave, et leur rancœur contre les Croates qu’ils accusaient d’être tous des « Oustachis » (collaborateurs des Nazis) et contre les Musulmans qu’ils accusaient d’être « des traîtres » ayant « abandonné leur religion et embrassé celle de l’occupant ottoman. »
Les années 1990 du siècle dernier ont été marquées en particulier par les guerres balkaniques qui ont provoqué la mort et le déplacement forcé de millions de personnes. La destruction de Vukovar en Croatie, l’embargo impitoyable imposé contre Sarajevo en Bosnie-Herzégovine, le massacre de 8000 Musulmans à Srebrenica demeurent à jamais vissés à la mémoire de tous ceux qui avaient suivi les événements dramatiques des Balkans pendant ces années de braise.
La proclamation de l’indépendance, dimanche 17 février 2008, par les dirigeants kosovars est le dernier épisode dans le long, douloureux et violent processus de démantèlement de l’ex-Yougoslavie. Pour les Serbes, la perte du Kosovo est plus douloureuse encore et est ressentie comme une humiliation plus grande que celle qu’ils ont vécue lors de la sécession des cinq républiques ex-yougoslaves. D’abord, le Kosovo n’avait pas le statut de république dans la fédération yougoslave, mais celui de région autonome que les Serbes ont toujours considéré comme faisant partie intégrante de leur territoire ; ensuite, en 1389, le Kosovo était au centre d’un événement dramatique pour les Serbes qui avait scellé leur histoire pour cinq siècles.
En effet, le 28 juin 1389, les Serbes étaient battus par les Ottomans dans la célèbre bataille du Kosovo. Les deux chefs de guerre, le prince serbe, Lazare de Raska et le sultan Mourad 1er étaient tués dans l’affrontement. Les janissaires turcs remportèrent la guerre du Kosovo et la Serbie intégra de force l’empire ottoman pendant des siècles. Plus récemment encore, la Serbie, et Belgrade en particulier, avaient subi des bombardements intensifs pendant 78 jours par les forces de l’Otan au printemps 1999, pour avoir tenté de s’opposer par la force aux tendances séparatistes de la province du Kosovo dont la population ne dépasse guère les deux millions (90% sont des Musulmans albanophones et 10% de Serbes orthodoxes.)
Le 10 juin 1999, le Conseil de sécurité de l’ONU adopta la résolution 1244 décidant d’un déploiement d’une force internationale au Kosovo et établissant « une administration intérimaire dans le cadre de laquelle la population du Kosovo pourra jouir d’une autonomie substantielle au sein de la république fédérale de Yougoslavie » (formée à l’époque par la Serbie et le Monténégro).
La question du Kosovo a divisé la société internationale en deux camps opposés l’un pour et l’autre contre l’indépendance. Les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France, l’Italie et la Croatie ont tout fait pour pousser le Kosovo à déclarer son indépendance. De leur côté, la Serbie et la Russie et, dans une moindre mesure, la Grèce, l’Espagne, Chypre, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie sont opposés à l’idée même d’indépendance du Kosovo. Ces oppositions ont été claires dans la réunion du Conseil de sécurité à laquelle les Russes ont appelé d’urgence dimanche dernier.
Les pays membres de l’Union européenne ont quelque raison de s’opposer à l’indépendance du Kosovo. Outre l’argument de la Russie et de la Serbie consistant à dire que la déclaration d’indépendance est une « violation de la résolution 1244 » et donc « nulle et non avenue », certains pays européens redoutent la contagion et l’effet boule de neige. D’ailleurs l’Espagne n’a pas tardé à être édifiée dans ses craintes puisque le porte parole du gouvernement basque, Miren Azkarate, a sauté sur l’occasion en affirmant aussitôt que la déclaration d’indépendance du Kosovo est « une leçon à suivre sur la manière de résoudre pacifiquement et démocratiquement les conflits d’identité et d’appartenance ». Ceci n’a rien de rassurant en effet pour l’Espagne, confronté depuis des décennies aux tendances séparatistes dans le Pays basque et en Catalogne.
Le Kosovo semble irrémédiablement perdu pour les Serbes. Leurs dirigeants reconnaissent en privé cette réalité, même si en public ils jurent de ne jamais reconnaître cette indépendance. Le processus est irréversible parce que les Serbes, encore sous le choc des 78 jours de bombardements de l’Otan de 1999, ne peuvent pas ramener par la force le Kosovo dans leur giron. Mais une chose est sûre : le bras de fer international entre les pour et les contre l’indépendance du Kosovo continuera sans doute à faire les titres de l’actualité pour les mois à venir, et le Kosovo, compte tenu du veto russe, ne sera pas de sitôt le 193eme pays membre de l’ONU.

Saturday, February 16, 2008

Du blocage à l'espoir

Cet article a été écrit au lendemain du changement politique du 7 novembre 1987 en Tunisie et publié dans le quotidien « La Presse » du lundi 9 novembre 1987.

Pendant des années, la Tunisie a vécu dans l’expectative, dans l’incertitude du lendemain. Paralysie, angoisse, sentiment d’impuissance, dépit murmuré mais vite refoulé étaient entretenus par les scénarios les plus invraisemblables. On prédisait le pire pour ce cher pays en cas de vacance subite du pouvoir. Il serait mis à feu et à sang, entendait-on dire ici et là. Il serait le « Liban du Maghreb » !...On était au bord de l’asphyxie, de l’étouffement. Les mécanismes psychologiques qui commandaient le refoulement s’essoufflaient chaque jour un peu plus. Les Tunisiens se regardaient hébétés. Ils étaient réduits à réagir au sort qui leur fut réservé par des sourires ironiques, des rictus, des hochements de tête suivis de soupirs… Comment en étions-nous arrivés là ?
La fin de règne exagérément longue était aggravée ces derniers mois par une incohérence déroutante. L’incohérence était telle qu’on était arrivé au sommet de l’Etat à décider une chose aujourd’hui et son contraire demain, le tout dans une atmosphère de confusion, d’intrigues et de manipulations souterraines. Si en Tunisie on ne savait plus sur quel pied danser, à l’étranger on nous scrutait avec un étonnement teinté de commisération.
Pourtant, notre peuple, dont les deux tiers ont moins de 30 ans ne mérite pas cela. Il ne mérite certainement pas qu’on le maintienne à longueur d’années accroché malgré lui à un passé révolu. Il ne mérite pas qu’on hypothèque son avenir au profit d’un passé aussi glorieux et aussi prestigieux fût-il.
Alors que plusieurs peuples sur terre regardaient devant eux et avançaient à pas de géants, on nous sollicitait chaque jour de regarder derrière nous au risque de nous retrouver figés.
L’incertitude face à l’avenir entretenait les appréhensions des entrepreneurs tunisiens et des investisseurs étrangers. Elle constituait un élément fondamental du blocage et enserrait les Tunisiens dans la routine des tâches quotidiennes accomplies sans véritable conviction, en tout cas sans espoir. Aucun espoir n’est perceptible pour ceux qui regardent derrière eux. C’était un peu notre cas. Le cas du peuple tunisien. Une situation d’autant plus intenable et paradoxale que nous avons atteint un niveau d’instruction et un niveau de scolarisation comparable à ceux des pays développés.
En accédant constitutionnellement à la magistrature suprême, le président Ben Ali vient d’ouvrir une large brèche dans l’impasse dans laquelle nous étions enfermés. Une formidable masse d’oxygène a aussitôt pénétré à travers cette brèche, mettant fin à l’étouffement, à l’angoisse, à l’incertitude. Du coup, comme si nous étions touchés par une baguette magique, nous nous sommes faufilés à travers cette brèche au grand air pour respirer à pleins poumons, et surtout nous nous sommes retournés pour regarder devant nous, fixer les horizons, scruter l’avenir.
La Tunisie a un nouveau président. Un jeune président. Même s’il n’avait rien promis, il aurait eu droit au préjugé favorable. Il se trouve que, dans sa première déclaration, le nouveau chef de l’Etat a fait des promesses capitales pour la vie de notre peuple :
- Un projet de loi sur les partis politiques. Cette promesse vise à faire participer les catégories sociales, jusque là exclues, à l’effort de développement du pays.
- Une réforme du Code de la presse. Cela permettra au peuple tunisien d’avoir à sa disposition une presse conforme à sa maturité et à son niveau d’instruction. Une réforme qui, nous l’espérons, permettra également à la presse d’oublier ses vieilles habitudes et d’enterrer ses réflexes, et surtout de devenir le fer de lance du développement politique et démocratique de la Tunisie.
Ces promesses se trouvent confortés par les propos encourageants du président Ben Ali : « L’époque où nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l’Etat desquelles le peuple tunisien se trouve exclu. Notre peuple est digne d’une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la popularité des organisations de masse. »
Une chance dont on ne rêvait même pas il y a quelques jours nous est offerte. Sachons l’exploiter pour le bien du pays et du peuple en nous remettant au travail, mais avec conviction et espoir.


Hmida BEN ROMDHANE.
( Dimanche 8 novembre 1987)

Wednesday, February 13, 2008

L'éléphant est dans la chambre...

Depuis des semaines les appels d’offres se succèdent dans les journaux israéliens pour la construction de nouvelles colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés depuis plus de quarante ans. Il y a deux jours, le ministre israélien de l’habitat a confirmé pour la nième fois, comme pour narguer les opposants à la politique de son gouvernement, que des centaines de logements seront construits à Djebel Abou Ghneim (Har Homa pour les Israéliens), qui se trouve à Jérusalem-est occupée en 1967 avec la Cisjordanie, Gaza et le Golan syrien.
Ce qui est étonnant, ce ne sont pas les appels d’offres, ni les déclarations de tel ou tel ministre israélien ni les tentatives incessantes de judaïsation de la ville sainte que l’Etat d’Israël avait annexée unilatéralement en 1981 par un simple vote de la Knesset pour en faire sa « capitale indivisible et éternelle ». Ce qui est étonnant, c’est le silence avec lequel sont toujours accueillies dans le monde les politiques de colonisation des territoires occupés et de répression de leurs habitants palestiniens. Ce qui est étonnant, c’est la facilité avec laquelle la communauté internationale continue depuis plus de quarante ans à traiter Israël comme « un Etat anormal », c'est-à-dire différent des autres, doté de privilèges qui lui permettent de violer, dans l’impunité la plus totale, autant de lois internationales qu’il désire, de bombarder, de tuer, de déclencher des guerres meurtrières contre ses voisins autant de fois qu’il le désire.
Il y a un proverbe arabe intéressant qui dit : « - Ô Pharaon, pourquoi tu sévis toujours ? - Parce que personne n’a eu le courage de me retenir ! » Cela s’applique parfaitement à Israël qui peut infliger tous les malheurs possibles à ses voisins en étant assuré que la communauté internationale regarderait ailleurs dès que les bombardiers et les missiles israéliens entreprennent de semer la mort et la destruction chez les Palestiniens ou les Libanais. Il est vrai que dans les cas extrêmes, on a droits à quelques condamnations européennes aussi molles que stériles, mais, côté américain, la réaction rappelle toujours le titre de l’un de ces films hollywoodiens : « Silence, on tue ».
En fait, la politique officielle américaine a toujours été contre la colonisation des territoires palestiniens. Tous les présidents américains, de Lyndon Johnson à George W. Bush, ont, à un moment ou un autre, exprimé le désir de voir Israël arrêter la construction des colonies sur les collines surplombant Jérusalem-est et la Cisjordanie. Aucun d’eux n’a réussi à forcer l’un ou l’autre des gouvernements successifs israéliens à mettre un terme à leur politique de colonisation et de répression des Palestiniens. La dernière manifestation en date de cette impuissance remonte à la conférence d’Annapolis de novembre dernier. Seulement deux jours après la clôture de cette conférence et avec l’arrogance dont ils sont coutumiers, les Israéliens ont annoncé la construction de nouvelles colonies à Jérusalem-est, infligeant ainsi une humiliation aux Américains qui avaient préparé avec fanfare le forum d’Annapolis en souhaitant en faire le socle sur lequel serait bâtie la paix.
Pourquoi tous les présidents américains se sont-ils avérés impuissants à infléchir la politique israélienne ou à l’influencer dans le sens d’un simple respect de la loi internationale qui interdit la confiscation des terres des autres et leur colonisation ?
La société américaine est particulière. Les deux immenses océans qui longent le pays à l’est et à l’ouest la protègent, mais aussi l’éloignent des points chauds de la planète et réduisent au minimum son intérêt pour les affaires du monde. Elle constitue de ce fait le terrain fertile par excellence pour le travail des groupes d’intérêt qui, comme le lobby israélien, disposent d’importants moyens humains et financiers leur permettant d’orienter la politique étrangère américaine dans le sens désiré par eux, même si cette politique n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis.
Le lobby pro-israélien aux Etats-Unis a, dès le départ, basé sa stratégie de soutien aveugle à Israël sur la fraude et la manipulation. Il est arrivé à convaincre l’Américain moyen qu’Israël est le bon petit David entouré de méchants Goliaths arabes prêts à le mettre en pièces à l’instant même où les Américains cessent de le soutenir. Toutes les guerres d’agression israéliennes sont présentées comme des complots fomentés par les Arabes pour anéantir Israël et que celui-ci ne fait que se défendre. Il en est de même des bombardements quotidiens de Gaza et de Cisjordanie qui sont invariablement présentés par les grands médias américains comme des actions légitimes d’auto-défense d’Israël contre « le terrorisme palestinien ». Pas un mot dans ces mêmes médias sur les 200 têtes nucléaires entreposés quelque part dans le désert du Néguev, sur la puissante armée israélienne qui dispose des armes conventionnelles les plus puissantes et les plus sophistiquées au Moyen-Orient, sur le rejet systématique par les Israéliens des innombrables initiatives de paix arabes, sur les souffrances bibliques des Palestiniens etc.
Face à des électeurs américains manipulés à outrance, les représentants et les sénateurs au Congrès ou les candidats qui aspirent y siéger, se trouvent dans une situation de surenchère où celui qui fait preuve du soutien le plus ardent à Israël a le plus de chances de se faire élire ou réélire. Et les choses sont identiques dans les campagnes pour l’élection présidentielle. Les primaires et les caucus qui se déroulent actuellement à un rythme effréné nous donnent tous les jours des exemples vivants.
Mais si l’Américain moyen est facilement manipulable, on ne peut pas en dire autant des intellectuels, des académiciens, des politiciens et des journalistes. Ces différentes catégories d’Américains savent parfaitement de quoi il retourne. La vérité ne peut pas leur échapper pour une raison très simple : ils savent exactement ce qui se passe au Moyen-Orient et ont les moyens intellectuels nécessaires pour faire les analyses appropriées. Mais ils ne le font pas parce qu’ils ont peur de perdre un poste, un privilège ou une élection.
Sans doute il y a quelques intellectuels courageux qui, comme les auteurs de la célèbre étude sur le lobby israélien, John Mearsheimer et Stephen Walt, s’efforcent de débattre de la question et d’attirer l’attention des Américains sur le danger que constitue ce lobby pour les intérêts stratégiques des Etats-Unis. Mais le gros des intellectuels, des académiciens et des politiciens américains continue d’ignorer superbement le sujet. Pour eux, comme l’ont si bien exprimé Mearsheimer et Walt dans une longue interview publiée par le journal américain « Counterpunch » (http://www.counterpunch.com/), la question israélienne aux Etats-Unis, c’est « l’éléphant dans la chambre dont personne ne veut parler ».

Saturday, February 09, 2008

Le Darfour au Tchad

Des commentateurs et des chercheurs en sciences politiques n’hésitent pas à qualifier le conflit du Darfour comme le premier conflit qui a « à la fois des causes politiques et écologiques ». En d’autres termes, l’une des causes de ce conflit qui a fait déjà 200.000 morts et un nombre incalculable de réfugiés réside dans le changement climatique qui se fait sentir chaque année un peu plus. Le climat est de plus en plus caractérisé par des excès de sècheresse ou d’inondations et, dans les deux cas, des terres qui étaient arables et produisaient de la nourriture pour les hommes et les animaux, sont condamnées et abandonnées par les tribus qui les possédaient. C’est semble-t-il ce nouveau phénomène climatique qui a poussé les tribus soudanaises des Janjaweed à foncer sur le Darfour à la recherche de plaines cultivables et de prairies.
Les Darfouriens ne se sont pas laissés déposséder facilement de leurs terres et ont décidé de se défendre en se rebellant contre les Janjaweed, guerriers arabes soutenus par le pouvoir central de Khartoum. D’où ce conflit qui dure depuis des années et qui s’est transformé en l’une des crises humanitaires les plus dramatiques. Le plus grave est que ce conflit commence à déborder les frontières du Soudan. La guerre qui a fait rage au Tchad au début de ce mois a pour cause principale le conflit du Darfour.
L’Afrique est habituée aux guerres fratricides qui, depuis la vague des indépendances dans les années 1960, n’ont cessé de la déchirer. Les conflits les plus récents, ceux du Rwanda, du Sierra Leone, du Liberia, du Congo, sans parler du plus récent d’entre eux au Kenya, ont provoqué la mort de millions d’Africains et le déplacement de dizaines de millions d’autres dont beaucoup vivent encore dans des camps de réfugiés insalubres survivant grâce à l’aide internationale. Sur le plan économique, les conséquences de ces guerres fratricides sont dévastatrices. Rares sont les programmes de développement qui ont été menés à leur terme. La raison est simple. Les pauvres moyens financiers dont disposent les pays africains sont systématiquement siphonnés par les programmes d’achat d’armement aux dépens des programmes sociaux et économiques les plus urgents.
Le Soudan et le Tchad sont parmi les pays les plus pauvres d’Afrique. Au début de ce siècle, la découverte de quelques puits de pétrole dans ces deux pays a fait naître quelques espoirs chez les Soudanais et les Tchadiens d’une amélioration des conditions de vie. Seulement, le conflit du Darfour en a décidé autrement.
La région du Darfour est un immense territoire qui s’étend sur près d’un demi million de kilomètres carrés. Situé à l’ouest du Soudan, le Darfour s’étend le long d’une bonne partie de la frontière soudano-tchadienne. Pour des raisons qui lui sont propres et qui consistent essentiellement à mater la rébellion du Darfour, le gouvernement de Khartoum a décidé de soutenir par tous les moyens les guerriers Janjaweed. Pour des raisons qui lui sont propres aussi et qui consistent essentiellement à raviver la rébellion du Darfour, le gouvernement de N’Djamena a décidé de soutenir par tous les moyens les rebelles qui combattent les Janjaweed. D’où l’inimitié qui empoisonne les relations des deux pays voisins ; d’où le désir du gouvernement soudanais du président Al Bashir de renverser le gouvernement tchadien du président Déby et de le remplacer par un autre, moins hostile et plus réceptif aux thèses de Khartoum sur les raisons du conflit du Darfour et les moyens de le résoudre.
Le déclenchement de la guerre au Tchad au début de ce mois n’est pas dû au hasard. Il est intervenu à la veille de l’envoi par l’Union Européenne au Tchad et en République centrafricaine de l’Eufor, composée de 3700 soldats sous le commandement d’un général irlandais. C’est pour empêcher l’arrivée d’une telle force dans la région que, sous l’instigation du Soudan, les rebelles tchadiens ont franchi la frontière et tenté de renverser le gouvernement du président Idris Déby. Ils n’ont pas réussi à le faire, mais ils ont semé la mort et la désolation dans une bonne partie de la capitale tchadienne avant de prendre la fuite vers le Soudan.
Le conflit du Darfour était donc au cœur de la récente guerre fratricide qui a endeuillé les Tchadiens et envoyé des dizaines de milliers d’entre eux sur les routes de l’exil. Le Darfour était donc au Tchad non seulement parce que les rebelles tchadiens étaient venus du Soudan, mais aussi, ce que beaucoup ignorent, parce que les rebelles du Darfour ont joué un rôle clé dans la survie du gouvernement du président Déby en intervenant aussitôt à côté de ses troupes pour défaire les rebelles tchadiens et préserver ainsi un régime ami à N’Djamena qui leur offre soutien et profondeur stratégique dans leur conflit avec les Janjaweed et le gouvernement soudanais.
La survie du gouvernement tchadien est donc une victoire pour les rebelles du Darfour et un échec pour le gouvernement soudanais. Celui-ci a pourtant réussi pendant des années à bloquer par les moyens diplomatiques l’arrivée des troupes internationales dans la région, grâce entre autres au soutien de la Chine au Soudan dans les forums internationaux. L’aventure des rebelles tchadiens, ou plutôt leur mésaventure, n’aura donc permis que d’ « ajourner » l’envoi de l’Eufor et non de l’annuler comme le souhaitaient vivement les autorités soudanaises.
En attendant, le conflit du Darfour, qui a déjà débordé au Tchad, continuera à faire des ravages et à détourner les maigres recettes pétrolières de Khartoum et de N’Djamena des programmes économiques et sociaux , dont les populations des deux pays ont un urgent besoin, vers l’achat d’armements qui ne servira en dernière analyse qu’à perpétuer les guerres fratricides, intensifier le calvaire des Africains et ajourner indéfiniment le décollage de l’Afrique.

Tuesday, February 05, 2008

L'amertume des Conseils de l'éveil irakiens

Pendant les six derniers mois, le niveau de violence en Irak a sensiblement baissé et on a commencé à espérer sinon un retour à la normale, du moins un allègement du calvaire que vivent les Irakiens depuis bientôt cinq ans.
Il faut reconnaître ici que la baisse de la violence n’est pas due aux 30.000 soldats supplémentaires envoyés il y a un an par le Pentagone, comme ne cesse de le clamer l’administration américaine, mais aux « Conseils de l’éveil » irakiens qui ont massivement émergé dans les régions à majorité sunnite en réaction aux massacres massifs de civils irakiens perpétrés par Al Qaïda.
Certes, vendredi dernier, jour de congé et de marché en Irak, l’organisation terroriste a frappé de nouveau. Deux femmes se sont fait exploser simultanément dans des marchés d’animaux domestiques très fréquentés par les Irakiens. Le bilan est terrible. Il ressemble à ceux de 2006 quand la violence s’est follement déchaînée après la destruction de la mosquée du dôme doré de Samarraa. Le sang des Irakiens s’est mélangé au sang des animaux domestiques qu’ils vendaient ou achetaient en ce nième vendredi noir irakien : 92 civils morts et 150 blessés.
La polémique qui a suivi ce massacre qui porte la signature d’Al Qaïda concernant la santé mentale des deux femmes kamikazes est de peu d’intérêt. Que ces femmes soient réellement retardées mentales ou qu’elles aient subi un lavage de cerveau en règle par les démagogues de l’organisation terroriste, cela ne change pas grand-chose au fond. L’important est de savoir si le recours à des femmes, retardées mentales ou non, est un signe de désespoir de l’organisation terroriste ? L’important est de savoir si Al Qaïda, prise en tenailles par les forces américaines et celles des «Conseils de l’éveil», et donc menacée de disparition de l’Irak, n’est pas en train d’utiliser ses dernières munitions avant de rendre l’âme ?
Ce qui est certain, c’est que Al Qaïda est en difficulté en Irak. Elle a été expulsée de Bagdad et des zones sunnites d’Al Anbar, de Diyala et de Salaheddine, où elle avait tenu le haut du pavé pendant les années de braise (2004, 2005, 2006). Elle s’est récemment repliée sur Mossoul, 350 kilomètres au nord de Bagdad, où elle a commis un attentat terroriste spectaculaire il y a une douzaine de jours. Le Premier ministre Nouri Al Maliki a annoncé à plusieurs reprises que son gouvernement se prépare à se lancer à la poursuite d’Al Qaïda pour l’expulser de Mossoul.
Le Premier ministre irakien ne peut ignorer que si Al Qaïda est sur la défensive en Irak, c’est grâce en premier lieu aux forces des « Conseils de l’éveil ». Rappelons que ceux-ci ont été créés par les chefs tribaux des régions sunnites d’Irak pour protéger la population prise pour cible dans les marchés et les rues par les escadrons de la mort d’Al Qaïda. Ils ont été financés et armés par les forces américaines. Le raisonnement fait par les chefs des « Conseils de l’éveil » est le suivant : l’armée américaine est une force d’occupation et, à ce titre, elle est l’ennemie du peuple irakien. Al Qaïda, de son côté, par les massacres massifs et aveugles qu’elle perpètre contre les civils irakiens, s’est révélée être un ennemi nettement plus dangereux que les forces d’occupation. La logique fait que l’intérêt immédiat des tribus sunnites est de s’allier à l’ennemi le moins dangereux pour vaincre l’ennemi le plus dangereux.
Certains dans le monde arabe se sont offusqués de cette logique. Mais, comme le dit si bien un proverbe arabe, quand on a la main dans l’eau, il est facile de critiquer ceux qui ont la main au feu. Les chefs des tribus sunnites ne pouvaient observer passivement le calvaire biblique vécu par leurs familles, leurs proches et leurs amis du fait de l’incroyable comportement d’une organisation étrangère qui prétend les défendre tout en les massacrant massivement et aveuglément. Quand on sait les souffrances indicibles vécues des années durant par les victimes de la terreur d’Al Qaïda, il est indécent de jeter la pierre aux «Conseils de l’éveil» ou de donner des leçons à des chefs tribaux qui continuent jusqu’à ce jour d’être tués, eux et leurs proches, par le denier carré des irréductibles d’Al Qaïda.
Cependant, ni les forces américaines, ni le gouvernement chiite irakien ne semblent faire preuve de la moindre reconnaissance des efforts déterminants des « Conseils de l’éveil » dans la mise au pas de l’organisation de Ben Laden dans les gouvernorats sunnites de l’Irak. Certains chefs tribaux d’Al Anbar et d’ailleurs ne cachent pas leur amertume face au peu d’empressement des forces américaines et du gouvernement Maliki d’intégrer les dizaines de milliers de combattants des « Conseils de l’éveil » dans les forces armées et de police irakiennes. Abu Maârouf est un chef tribal de Fallouja qui se trouve à la tête de 13.000 combattants qui ont joué un rôle clé dans l’expulsion d’Al Qaïda d’Al Anbar et dans la sécurisation de cette province sunnite. Abu Maârouf a confié son amertume au journal britannique The Independent qu’il a rapportée dans son édition de dimanche dernier en ces termes : «Si les Américains pensent nous avoir utilisé contre Al Qaïda pour nous jeter par la suite, ils se trompent. Si nous ne sommes pas intégrés immédiatement dans les forces armées et la police irakienne, nous nous allierons de nouveau avec Al Qaïda».
Les Américains et les gouvernements chiites irakiens successifs ont commis de graves erreurs à l’encontre des sunnites qui comptent pour le tiers de la population. Ces erreurs ont été pour beaucoup dans la descente aux enfers de l’Irak entamée en mars 2003. Les Irakiens n’auraient sûrement pas vécu de telles horreurs si l’ancien représentant de Bush en Irak, Paul Bremer, n’avait pas pris la décision fatale de dissoudre l’armée irakienne et de renvoyer chez eux des centaines de milliers d’employés de l’administration irakienne sous prétexte qu’ils étaient baathistes. Il est peut-être temps pour les Américains et pour le gouvernement irakien de tirer les leçons de leurs graves erreurs passées et de ne pas jeter une fois encore les combattants sunnites dans les bras d’Al Qaïda.

Saturday, February 02, 2008

Terrorisme d'hier et d'aujourd'hui

Forme d'opposition violente au pouvoir en place pour l'obliger à satisfaire une revendication politique, le terrorisme a toujours existé.
De Hassan Sabbah qui, au XIIIe siècle envoyait ses « assassins », après les avoir drogués, tuer ses adversaires politiques, aux brigades rouges italiennes dans les années soixante dix du siècle dernier en passant par l'Irgoun de Menahem Begin, active en Palestine dans les années trente et quarante du XXe siècle, le terrorisme n'a jamais été le monopole d'une religion, d'une culture ou d'une civilisation.

Inventé par des hommes, soucieux d'élargir le champ de leur action, le terrorisme a été et continue d'être utilisé par des Musulmans, des Chrétiens, des Juifs et des Bouddhistes.
Si l'on feuillette rapidement l'histoire du terrorisme, on constatera que cette forme violente d'action politique n'a abouti que très rarement à la satisfaction du but recherché. La règle est que le mouvement terroriste naît, agit quelque temps et disparaît après avoir causé des ravages parmi les innocents et suscité la haine et le mépris parmi la majorité des membres de la société qui l'a vu naître.
A quoi ont abouti les actions politiques violentes des « assassins » de Hassan Sabbah, des Brigades rouges italiennes, d'Action directe en France ou de la Fraction armée rouge en Allemagne ? A rien du tout sinon à avoir fait parler d'eux pendant quelques années avant de rejoindre l'endroit réservé à de tels mouvements : la poubelle de l'histoire.
En fait, les dégâts matériels et humains provoqués par cette forme classique de terrorisme sont insignifiants par rapport à sa nouvelle forme inaugurée par Al Qaïda le 11 septembre 2001. Cette organisation terroriste a eu l'idée diabolique de transformer des avions civils pleins de passagers en fusées lancées contre les deux tours jumelles à New York et contre le Pentagone dans la banlieue de Washington.
Cette action terroriste inédite, massive, et inattendue aurait pu être la première et la dernière si les néoconservateurs américains n'avaient pas réussi à convaincre la Maison-Blanche de tourner le dos aux responsables des horribles attentats et d'utiliser celles-ci plutôt comme prétexte en vue d'accomplir le but qu'ils poursuivaient depuis des années : le renversement du régime de Saddam Hussein. Cet objectif, les néoconservateurs le poursuivaient officiellement depuis exactement le 26 Janvier 1998, date d'une lettre adressée à William Clinton, alors Président des Etats-Unis, pour le supplier d'intervenir militairement en Irak pour renverser le régime baathiste de Bagdad. Cette lettre était signée par les intellectuels et hommes politiques suivants : Elliott Abrams, Richard L. Armitage, William J. Bennett, Jeffrey Bergner, John Bolton, Paula Dobriansky, Francis Fukuyama, Robert Kagan, Zalmay Khalilzad, William Kristol, Richard Perle, Peter W. Rodman, Donald Rumsfeld, William Schneider, Jr., Vin Weber, Paul Wolfowitz, R. James Woolsey, Robert B. Zoellick. Clinton avait ignoré la requête de ces individus, préférant continuer à étouffer l'Irak à petit feu à travers les sanctions inhumaines imposées 13 années durant au peuple irakien, et à travers les bombardements quasi quotidiens des avions américains et britanniques qui survolaient le pays sans répit de 1991 à 2003.
Ces dix-huit personnages, dont la plupart sont connus du grand public, constituaient le noyau dur du courant néoconservateur américain. Ils n'ont apparemment trouvé aucune difficulté à convaincre George Bush de lâcher Al Qaïda et de s'occuper de l'Irak. Et c'est précisément cette manoeuvre néo-conservatrice qui, en dernière analyse, est à l'origine du déferlement sur la planète de cette nouvelle forme de terrorisme d'Al Qaïda qui consiste à envoyer des kamikazes se faire exploser au milieu de civils innocents. Depuis, les morts se comptent par dizaines de milliers, peut-être par centaines de milliers, en Irak, au Liban, en Indonésie, en Jordanie, au Yémen, en Espagne, en Grande Bretagne, etc.
Tout comme les Etats-Unis ont tourné le dos à leur ennemi mortel pour poursuivre un objectif n'ayant rien à voir avec Al Qaïda, celle-ci a aussi tourné le dos à son ennemi mortel pour poursuivre un objectif n'ayant rien à voir avec les Etats-Unis. En d'autres termes, l'armée US, en orientant la puissance de son feu vers l'Irak, elle a permis aux terroristes d'Al Qaïda de fuir vers les zones montagneuses tribales du Pakistan. Et celle-ci, ayant reconstitué ses forces après les bombardements massifs de Tora Bora de l'hiver 2001, elle a suivi l'armée américaine en Irak, mais il était clair dès le départ que la cible d'Al Qaïda n'était pas l'armée d'occupation, mais les Irakiens qu'elle continue de massacrer aveuglément et massivement à coup de voitures piégées que des kamikazes font exploser dans les lieux publics les plus fréquentés.
Etablie en Irak, Al Qaïda s'est transformée en une immense machine terroriste avec un objectif précis : semer le chaos et l'anarchie en Irak à travers une guerre civile qu'elle a tout fait pour déclencher. L'Irak, pour cette organisation terroriste de type nouveau, n'étant qu'une étape à travers laquelle elle tente d'exporter le chaos et l'anarchie dans tout le monde arabo-musulman, en vue de créer à terme « l'empire islamique de l'Indonésie au Maroc ». Combien de morts tomberont-ils encore victimes de cette chimère née dans l'esprit dérangé de Ben Laden, Dhaouahri et leurs acolytes?
Quant aux Etats-Unis, ils continuent de payer le prix fort en hommes et en matériel pour la faute mortelle commise à l'instigation des néoconservateurs qui, à l'image de Rumsfeld, Wolfowitz, Bolton, Rove, Gonzales et d'autres encore, continuent de quitter la scène dans la honte, laissant à d'autres le soin de se débrouiller avec les dégâts incommensurables causés par eux à l'Irak, à l'Amérique et au monde.