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Wednesday, September 16, 2009

Israël dans le pétrin

Les dirigeants israéliens ne pouvaient ignorer la gravité des crimes commis lors de l’agression contre Gaza de décembre 2008-janvier 2009, et c’est pour cette raison qu’ils ont mobilisé leur appareil de propagande pour tenter de discréditer la Commission Goldstone. Celle-ci fut chargée en avril dernier par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’enquêter sur les crimes commis pendant la guerre de Gaza.
La Commission ne pouvait pas avoir de préjugés anti-israéliens qui auraient pu jeter le discrédit sur ses conclusions de par sa composition même : Richard Goldstone, un juge sud africain unanimement respecté et juif de surcroît, Christine Chinkin, universitaire britannique qui enseigne le droit international à London School of Economics, Hina Jilani, avocate près la Cour suprême du Pakistan et le colonel Desmond Travers, ancien officier des forces de défense irlandaises et membre du conseil des directeurs de l’Institut international des investigations criminelles.
Le rapport de 575 pages produit par la Commission Goldstone est accablant pour Israël et dépasse ses pires appréhensions. Ce pays qui a fait des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par le IIIe Reich allemand son fond de commerce, n’a sans doute jamais imaginé qu’un jour il sera lui-même accusé de crimes semblables.
En refusant de coopérer et en empêchant la Commission d’entrer dans les territoires occupés pour faire son travail, Israël espérait entraver les enquêteurs et les amener à jeter l’éponge. L’indispensable déplacement à Gaza a été rendu possible grâce à la coopération du gouvernement égyptien qui a autorisé la Commission d’entrer par la frontière égyptienne.
Pendant les cinq mois de travail, la Commission a conduit 188 interviews, lu 10.000 pages de documents et visionné 30 vidéos et 1200 photographies. Elle a étudié 36 « incidents » dont le massacre de 22 membres de la famille Samouni qui étaient enfermés dans leur maison par les soldats israéliens, le bombardement d’une école des Nations-Unies dans le camp des réfugiés de Jabalia (35 morts et 40 blessés), l’ « attaque directe et intentionnelle » contre l’hôpital Al Qods dans le sud de Gaza, le bombardement d’une mosquée au moment de la prière avec 300 fidèles dedans (15 morts) etc…
Pour la Commission, il était clair que tous les « incidents » étudiés comportaient de « graves violations des conventions de Genève », d’où l’accusation de crimes de guerre. La Commission a également porté cette accusation contre le mouvement islamiste Hamas pour avoir lancé quelques roquettes contre des civils israéliens. Mais il était clair que pour les enquêteurs, les deux accusations ne peuvent avoir le même poids ni la même gravité, car une simple opération arithmétique montre que pour une victime israélienne, il y a plus de cent victimes palestiniennes.
Le mérite de la Commission est qu’elle ne s’est pas limitée aux crimes commis pendant la guerre. Elle a étendu ses investigations aux crimes commis avant et après la guerre à travers le blocus étouffant imposé à Gaza et à ses habitants. Le gouvernement israélien a dû s’arracher les cheveux en lisant le paragraphe suivant du rapport, sans doute le plus grave et le plus accablant pour Israël : « La Commission, écrivent les enquêteurs, s’est demandée si les séries de mesures qui privent les Palestiniens de la bande de Gaza de leurs moyens de subsistance, de l’emploi, du logement, de l’eau ; qui leur dénie la liberté de mouvement et leur droit de quitter et d’entrer dans leur propre pays et qui limitent leur accès aux cours de justice ne s’apparentent pas à de la persécution, à un crime contre l’humanité » ? La Commission ne s’est pas contentée de poser la question. Elle répond et recommande : « De par les faits étudiés, la Commission est d’avis que quelques une des actions entreprises par le gouvernement israélien pourraient justifier l’institution d’une cour de justice compétente en matière de jugement des crimes contre l’humanité. »
Il est bien évident qu’Israël n’est pas seul à s’opposer à une telle recommandation. Une fois devant le Conseil de sécurité, le rapport passera du niveau juridique au niveau politique. Et là, les Etats-Unis, sauf miracle hautement improbable, ne laisseront pas passer un rapport d’une telle gravité contre leur « allié stratégique ». Le droit de veto est là pour protéger Israël qui peut être assuré que ses puissants alliés ne permettront jamais l’institution d’une cour internationale qui le condamnerait pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Mais le mal n’est-il pas fait déjà et Israël ne traîne-t-il pas depuis mardi dernier une casserole supplémentaire, plus grosse et plus bruyante que celles qu’il traîne depuis des décennies ? Une casserole qui, au moindre incident provoqué par Israël, rappelle à l’opinion mondiale que ce pays est coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ? Quant à ceux qui s’apprêtent protéger Israël contre toute poursuite judiciaire, ils ne peuvent ignorer que les principes élémentaires du droit dans tous les pays du monde stipulent que quiconque aide un criminel à échapper à la justice devient ipso facto complice. Ceci au niveau juridique.
Sur le plan politique, ceux qui s’apprêtent à voler au secours d’Israël ne doivent pas perdre de vue le fait que les gesticulations d’Israël sont futiles et ses protestations grotesques. Et même s’ils le veulent, il ne pourront pas au fond d’eux-mêmes ne penser au culot des dirigeants israéliens qui invoquent sérieusement l’ « auto-défense » après les bombardements massifs de civils et les attaques intentionnelles contre les écoles, les hôpitaux et les mosquées.
La lecture d’un rapport accablant de 575 pages est sans doute très dure pour les dirigeants israéliens. Leur colère et leur frustration sont d’autant plus grandes que le principal responsable du rapport, Richard Goldstone, est juif. Ils ne peuvent pas, cette fois, utiliser leur arme de choix : crier à l’antisémitisme.

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