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Tuesday, September 22, 2009

Le conseil de Zbigniew Brzezinski

En 2007, alors qu’il se préparait à une longue et éprouvante campagne présidentielle, Barack Obama était décrit par ses détracteurs comme étant « trop jeune et trop inexpérimenté pour diriger une grande puissance dans un monde dangereux. » En août de la même année, le candidat Obama reçut son premier « cadeau électoral » : le soutien d’un poids lourd de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter (1976-1980).
Même s’il n’a pas été pris comme conseiller à la Maison blanche, Brzezinski continue de soutenir Obama et de lui prodiguer des conseils sur la meilleure manière de servir les intérêts du pays. A 81 ans, Brzezinski n’a rien perdu de sa perspicacité. Il se veut la voix de la sagesse dans un pays qui perd un peu la boussole sous le poids énorme des problèmes intérieurs et extérieurs.
Le dernier conseil, par presse interposée, qu’a donné Brzezinski à Obama est trop franc et trop hardi pour passer inaperçu. Difficile de savoir ce qu’en pense au fond de lui Obama, mais on sait qu’un tel conseil ne peut pas ne pas enrager le lobby pro-israélien qui a sans doute du mal à réaliser que de tels conseils puissent être donnés publiquement au chef de la Maison blanche.
Zbigniew Brzezinski, même s’il ne le dit pas ouvertement, est un homme visiblement hanté par les conséquences désastreuses que ne manqueraient pas de subir, selon lui, les Etats-Unis en cas de frappes israéliennes contre l’Iran. Cette hantise transparaît clairement dans l’entretien qu’il a eu il y a quelques jours avec le journal américain « The Daily Beast ».
Le journaliste qui l’interviewait voulait savoir comment Obama pourrait empêcher une attaque contre l’Iran si Israël était déterminé à le faire ? L’ancien conseiller de Carter a étonné plus d’un dans sa réponse : « Nous ne sommes pas exactement de petits bébés impotents. Ils (les Israéliens) doivent survoler l’espace aérien irakien. Resterons-nous alors les bras croisés à les regarder passer ? » Le journaliste insiste. Oui, et s’ils survolent quand même l’espace aérien irakien ? « Bon, répond Brzezinski, nous devons être sérieux en leur refusant ce droit. Cela veut dire que ce refus ne doit pas être seulement verbal. S’ils survolent l’espace irakien, il faudra monter là haut et les confronter. Ils ont le choix de faire demi tour ou non. Personne ne le souhaite, mais cela pourrait être le USS Liberty à l’envers. » (2)
Personne ne le souhaite, peut-être, mais personne aux Etats-Unis n’a été aussi loin dans l’attaque des tabous qui paralysent depuis des décennies la politique étrangère américaine envers Israël en particulier et le Moyen-Orient en général. La force de ces tabous est telle que la puissance américaine n’a même pas pu demander des comptes à Israël lors de l’attaque délibérée contre l’USS Liberty. Le gouvernement des Etats-Unis, si intraitable quand il s’agit de la vie de ses citoyens, a fait profil bas, accepté très vite la version israélienne de l’« erreur tragique » et renvoyé l’affaire aux calendes grecques.
On pourrait objecter pourquoi Brzezinski n’avait rien dit et rien fait pour changer les choses quand il était l’un de piliers de l’administration Carter ? Il était sans doute happé par un système qui, face au tabou israélien, ne tolère aucun écart de la part des responsables. Et puis la liberté d’action et de parole fluctue énormément selon qu’on est à l’intérieur du système ou à l’extérieur.
La « sortie » de Brzezinski nous éclaire sur un point très important : aux Etats-Unis, la perception des intérêts américains diffère radicalement selon que l’interlocuteur soit un représentant officiel de l’administration en place ou un électron libre comme l’ancien conseiller de Carter ou même Jimmy Carter lui-même.
Pour le représentant officiel, la perception des intérêts américains au Moyen-Orient est forcément déformée par le tabou israélien qui s’interpose immanquablement. Pour les personnalités en dehors du système, cette perception est claire et limpide parce que la lucidité n’est obscurcie par aucun tabou ni aucune peur du lobby.
Le fait que la Maison blanche n’ait pas jugé utile de commenter les propos de Zbigniew Brzezinski, en dépit de l’insistance du journal qui les a publiés, est significatif de l’embarras dans lequel se trouve l’administration de Barack Obama. Peut-être a-t-elle la même perception des intérêts américains que Carter ou Brzezinski, mais elle n’a pas encore le courage de le proclamer ouvertement.
Les futurs historiens ne manqueront peut-être pas de relever cette incongruité du ce début du XXIe siècle : La plus grande puissance du monde a manqué de courage pendant des décennies pour signifier à un petit pays de sept millions d’habitants que leurs intérêts ne coïncident pas et qu’elle a tardé si longtemps à défendre, par la force si nécessaire, ses intérêts que ce petit pays a pris l’habitude de mettre souvent en danger. Impunément. Peut-être faudrait-il « un autre USS Liberty » d’une manière ou d’une autre, comme le suggère implicitement Brzezinski, pour mettre fin à cette incongruité.

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(1) http://www.thedailybeast.com/blogs-and-stories/2009-09-18/how-obama-flubbed-his-missile-message/
(2) Le USS Liberty, un navire américain, croisait dans les eaux internationales à 23 kilomètres des côtes du Sinaï, quand il fut attaqué le 8 juin 1967 par l’aviation israélienne. 34 morts et 170 blessés parmi les soldats américains. Ce fut l’attaque la plus meurtrière contre un navire américain depuis la seconde guerre mondiale.

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