airelibre

Wednesday, September 30, 2009

La solidarité ou la mort

Dans la chronique précédente, il était question notamment de l’insulte faite à Obama par le sénateur de la caroline de sud Joe Wilson. Alors que le président américain s’adressait aux deux Chambres réunis en Congrès pour défendre son projet de loi d’assurance-maladie, il fut traité de menteur par le sénateur Wilson. « You lie » avait lancé celui-ci au président américain, le plus haut symbole de l’Etat fédéral, alors qu’il s’efforçait de réfuter les rumeurs concernant la couverture médicale des immigrants illégaux.
Il serait intéressant ici d’aller au fond des choses pour voir comment les hommes politiques genre Joe Wilson provoquent les flux migratoires par leur politique erronée, ensuite se retrouvent dans l’obligation de recourir à des procédés inhumains pour chasser les « illégaux » ou de dépenser des sommes faramineuses pour construire des barrières en béton qui s’étendent sur des milliers de kilomètres sur la frontière méxico-américaine dans une vaine tentative d’empêcher les « wet backs » (les dos mouillés, c’est à dire ceux qui traversent le Rio Grande à la nage), de pénétrer dans le territoire américain.
La plupart des immigrants illégaux à qui Obama est accusé de vouloir fournir secrètement une couverture médicale proviennent de l’Amérique centrale, le Salvador, le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala etc. Or, en 2005, le Congrès a adopté, grâce entre autres à la voix du sénateur Wilson, un accord de libre échange avec l’Amérique centrale, Central American Free Trade Agreement (CAFTA). Cet accord élimina les taxes douanières sur 80% des biens et services made in USA et exportés vers les marchés centre-américains. Du coup, les produits agricoles et industriels ainsi que les services locaux, protégés avant par les barrières douanières, se trouvent dans l’incapacité de résister à la concurrence des produits américains que le CAFTA a rendus très compétitifs en les soulageant des taxes douanières.
Il n’est pas difficile d’imaginer les faillites, à cause du CAFTA, des entreprises agricoles et industrielles en Amérique centrale et l’augmentation du taux de chômage qui s’ensuit forcément. Il n’est pas sûr que tous les travailleurs agricoles ou industriels mis au chômage soient capables de faire le rapprochement entre leur malheur et le CAFTA, mais cette ignorance ne les a pas empêchés de prendre la route du nord et de tenter au risque de leur vie d’atteindre l’ « eldorado » américain.
Mieux encore, ou pire, après avoir voté le CAFTA qui, comme on l’a vu, est à l’origine de l’intensification de l’immigration illégale aux Etats-Unis, Joe Wilson a voté la loi qui autorise la construction de 1200 kilomètres supplémentaires de barrière de béton sur la frontière avec le Mexique pour rendre plus difficile encore l’entrée clandestine d’étrangers dans le pays.
Si, au lieu du CAFTA imposé à des pays qui ne peuvent pas dire non au grand frère américain, Washington avait proposé un autre accord qui favoriserait les exportations agricoles et industrielles centre-américaines, il y aurait sûrement moins de clandestins aux Etats-Unis et le sénateur Wilson aurait été moins inquiet de la présence étrangère illégale dans son pays. Car, quiconque trouve chez lui un travail lui assurant un salaire décent, n’aura aucune raison de quitter les siens et de mettre sa dignité et sa vie en danger.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut dire la même chose à propos des relations commerciales afro-européennes. Il ne se passe pas de jour sans qu’une embarcation ou deux chavirent en Méditerranée. Des milliers d’Africains meurent annuellement noyés en haute mer. La nature de l’échange inégal qui s’aggrave d’année en année entre les pays riches du Nord et les pays pauvres d’Afrique, les subventions à coups de milliards de dollars offerts généreusement aux agriculteurs européens et américains, et notamment aux producteurs de coton, ne sont pas sans rapport avec le désespoir des jeunes Africains qui traversent le désert jusqu’à la mer pour tomber dans les filets des trafiquants qui les jettent à l’eau au large de l’île italienne de Lampedusa, leur intimant l’ordre de continuer le voyage à la nage.
Pourtant, on aurait pu facilement épargner la vie de tous ces jeunes désespérés qui meurent noyés en Méditerranée ou au Rio Grande en leur donnant les raisons d’espérer et en les aidant à trouver du travail chez eux. Une infime partie de l’argent mobilisé pour sauver les grandes banques et les grandes compagnies d’assurances à la fin de l’année dernière aurait suffi.
Mais toute cette immigration pour raisons économiques qui donne des insomnies à Joe Wilson et ses semblables est un jeu d’enfant par rapport à ce qui attend le monde dans les décennies à venir : l’immigration pour raisons écologiques. Des dizaines d’îles surpeuplées dans les océans indien et pacifique se trouvent à quelques mètres seulement au dessus du niveau de la mer. Le changement climatique et la montée des eaux jetteront inéluctablement sur les routes de l’exil des millions d’êtres humains cherchant non pas un emploi, mais un mètre carré de terre situé au dessus de l’eau.
Au XXe siècle, compte tenu de l’ampleur des mouvements de libération et des révolutions, le slogan le plus souvent répété était « la liberté ou la mort ». Au XXIe siècle, compte tenu des conséquences terrifiantes que ne manqueront pas d’entraîner la combinaison explosive des mauvais choix politiques et du changement climatique, nous devrons commencer à nous familiariser dès maintenant avec un autre slogan : « la solidarité ou la mort ».

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