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Monday, September 28, 2009

L'Amérique hier et aujourd'hui

On ne peut pas dire que le sénat américain a toujours été un endroit hautement civilisé. Il constitue, avec la Chambre des représentants, le pouvoir législatif de la République américaine certes, mais, des fois, il s’y passe des choses auxquelles les historiens ne peuvent tourner le dos. Par exemple cet événement, ou plutôt ce scandale qui, bien qu’il ait secoué le sénat américain en 1856, c'est-à-dire il y a plus d’un siècle et demi, il est loin d’être enterré puisque la presse américaine trouve toujours le besoin d’en parler en 2009.
Le 19 mai 1856, le sénateur Sumner, un républicain anti-esclavagiste, prononça un discours acerbe contre les sudistes qui encourageaient la violence dans l’Etat du Kansas de ceux qui voulaient perpétuer l’esclavage contre ceux qui voulaient l’abolir.
Le 22 mai 1856, le sénateur Brooks entra au sénat et s’approcha de son collègue Sumner qui occupait son siège et lui dit : « M. Sumner, j’ai lu attentivement à deux reprises votre discours dans lequel vous avez insulté à la fois la Caroline du sud et des proches à moi. » Et avant même que Sumner n’ait eu le temps de répondre, il fut battu à plate couture à coups de cannes. Les coups continuaient à pleuvoir alors même que le pauvre sénateur tentait de se cacher sous son pupitre. Son agresseur n’arrêta ses coups que parce que sa canne fut brisée et qu’il n’avait pas prévu de canne de secours. (1)
Pour prouver sa « magnanimité », le sénateur-agresseur avait juré qu’il n’avait aucune intention de tuer son collègue. L’événement était du goût de tous les esclavagistes de la Caroline du sud qui avaient inondé leur héros de cadeaux identiques : des cannes. L’une d’elle portait même l’inscription : « Hit him again » (Battez le encore).
La violence qui avait ensanglanté le parquet du sénat ce jour là était annonciatrice de la violence à grande échelle qui devait intervenir cinq ans plus tard : la guerre civile qui avait ruiné la jeune république américaine.
Le 16 septembre 2009, Barack Obama parlait devant les représentants et les sénateurs réunis en Congrès. Il défendait son projet d’assurance-maladie à travers lequel il voulait étendre la couverture sociale au plus grand nombre possible d’Américains. Obama s’évertuait aussi ce jour là à démentir les rumeurs malintentionnés diffusées par les ennemis du projet. L’une de ces rumeurs attribuait au président américain l’intention secrète d’étendre la couverture médicale aux immigrants illégaux.
Alors qu’Obama démentait la rumeur en assurant que les étrangers en situation irrégulière n’ont droit à aucune couverture sociale, il fut interrompu par un cri strident provenant de l’assistance : « Vous mentez!» Cette insulte faite à un président qui ne mentait pas justement provenait du sénateur Joe Wilson qui, tout comme son lointain prédécesseur, représente la Caroline du sud.
Mais même si, contrairement à son lointain prédécesseur, Joe Wilson n’a eu aucun soutien officiel de la part de ses collègues, et même s’il a appelé la Maison blanche pour présenter ses excuses, cette insulte gratuite adressée au plus haut symbole de l’Etat se répercutera nécessairement sur la réputation de celui qui l’a proférée ainsi que sur le sénat dans son ensemble et, au-delà, sur tout le corps législatif dont la réputation est déjà suffisamment ternie par les ravages causés par les lobbies à cette composante essentielle du pouvoir fédéral américain.
Ce qui est frappant, c’est que, en 1856 et en 2009, ces graves incidents ont été causés par des sénateurs représentant le même Etat, la Caroline du sud, et défendant des causes injustes, c’est à dire le maintien de l’esclavage dans un cas et, dans l’autre, la préservation d’un système d’assurance maladie archaïque qui livre à eux-mêmes des dizaines de millions d’Américains.
Ce qui est frappant, c’est que en 1856 et en 2009 le sénateur Sumner et le président Obama ont été l’un battu et l’autre insulté parce qu’ils voulaient tous deux améliorer les conditions de vie sociale dans leur pays et introduire une dose de solidarité entre les groupes sociaux et ethniques qui manquait lamentablement il y a un siècle et demi à cause de l’esclavage, et qui manque aujourd’hui à cause d’un système social où prédominent l’avidité, la cupidité et l’égoïsme.
Ce qui est frappant, c’est que en 1856 ceux qui luttaient contre l’esclavage étaient accusés d’être les ennemis de l’Amérique, et ceux qui luttent en 2009 pour étendre la couverture médicale aux couches sociales les plus démunies et les plus vulnérables subissent la même accusation puisqu’ils sont qualifiés par Joe Wilson et ses semblables de « socialistes » et de « communistes ». Obama est même devenu un « Lénine » noir qui complote contre l’Amérique avec pour objectif ultime et secret de la « soviétiser ».
La question fait débat aujourd’hui en Amérique : si Obama n’était pas noir, aurait-il été insulté et accusé de tous les maux pour avoir tenté de réparer une injustice qui non seulement empoisonne la vie de millions d’Américains, mais singularise les Etats-Unis et fait d’eux un objet d’étonnement dans le monde ? L’ancien président Jimmy Carter a répondu par l’affirmative. C’était une réponse plutôt spontanée d’un homme en colère contre l’injustice. Le sénateur Sumner était un WASP (White Anglo-Saxon Protestant), ce qui ne l’avait pas empêché d’être battu par les esclavagistes. Hier en 1856 et aujourd’hui en 2009, les mêmes forces qui veulent perpétuer l’injustice sont à l’œuvre.

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(1) Cet événement tragique a été rapporté par le chroniqueur du Boston Globe, H.D.S. Greenway, dans un article publié dans l’International Herald Tribune du samedi-dimanche 19-20 septembre 2009.

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