airelibre

Monday, September 21, 2009

Un signal fort dangereux

Le vendredi 18 septembre 2009 n’était pas une journée banale à l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Pour les uns, c’est une journée glorieuse, pour d’autres une journée honteuse. La ligne de fracture est la même que dans pratiquement tous les forums internationaux où il est question des problèmes épineux du Moyen-Orient. Comme d’habitude, elle sépare ceux qui défendent la justice contre Israël et ceux qui défendent celui-ci contre celle-là.
Cette journée a fait le bonheur d’au moins une personne : le président de l’AIEA, Mohamed Elbaradei, qui, deux mois avant la fin de son mandat, a réussi à faire voter une résolution dans laquelle les pays membres appellent Israël « à signer le traité de non prolifération nucléaire (TNP) et de soumettre ses installations nucléaires au contrôle de l’AIEA comme le reste du monde ».
Cela fait presque deux décennies maintenant que, chaque année, l’AIEA tente de faire passer une telle résolution. Les échecs répétés étaient dus à l’opposition des Etats-Unis et des pays européens qui, contre toute logique et au risque d’exacerber les rancoeurs, défendaient bec et ongles le « droit » d’Israël de se placer au dessus des lois, c'est-à-dire, dans le cas d’espèce, de posséder un programme et des armes nucléaires et d’en refuser l’accès à l’AIEA.
Il est vrai que la résolution est passée de justesse (49 voix contre 45), mais c’est tout de même une petite victoire, même si Israël, de toute évidence, va continuer à jouir de son statut d’Etat auquel le droit international ne s’applique pas, contrairement au reste du monde. Une petite victoire de voir Israël exprimer son « choc » et son « indignation » parce qu’on a osé lui demander de rentrer dans les rangs et de se soumettre à la loi comme tout le monde. Une petite victoire de voir le grand embarras des grands pays qui, comme les Etats-Unis et le Canada, se présentent comme les gardiens de la loi internationale en théorie, et comme ses fossoyeurs en pratique. Car quiconque se proclame défenseur de la loi internationale mais, en même temps, ignore le principe fondamental que la loi est la même pour tous, devient ipso facto un danger pour cette même loi qu’il prétend promouvoir.
Les Etats-Unis n’arrêtent pas d’étonner le monde. En mai dernier, beaucoup ont applaudi le discours prononcé par la sous-secrétaire d’Etat américaine, Mme Rose Gottemoeller, à une conférence sur le traité de non prolifération nucléaire. Mme Gottemoeller avait dit textuellement : « L’adhésion universelle au TNP, y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du nord, demeure un objectif fondamental. »
Quatre mois plus tard, le représentant américain à la réunion de l’AIEA, Glyn Davies, frustré de n’avoir pu bloquer comme d’habitude le vote, rejeta la résolution aussitôt après son adoption, la qualifiant de « redondante ». Récapitulons : le 5 mai 2009 Washington considérait l’adhésion au TNP d’Israël entre autres « un objectif fondamental ». Le 18 septembre 2009, l’AIEA votait une résolution en complète harmonie avec cet « objectif fondamental ». Washington la rejette et la qualifie de « redondante ». Comprenne qui pourra.
Avant le 18 septembre 2009, l’unique fois où l’AIEA avait réussi à adopter une résolution assez dure contre Israël exigeant que ce pays soumette ses installations nucléaires au contrôle international, c’était en 1991. A l’époque, les Etats-Unis avaient laissé passer la résolution non pas parce qu’ils étaient convaincus de la justesse de la demande de l’AIEA, mais parce qu’ils étaient en pleine guerre contre l’Irak et avaient besoin de l’engagement de certains pays arabes à leur côté. Un blocage du vote à ce moment là en faveur d’Israël aurait pu avoir des conséquences négatives sur la coalition anti-Saddam, un risque que Washington ne voulait en aucun cas courir.
Depuis le vote de 1991, et tout au long des 18 années qui suivirent, les Etats arabes et islamiques ont systématiquement renouvelé, à chaque réunion de l’AIEA, leur exigence qu’Israël ouvre ses installations nucléaires aux inspecteurs de l’Agence. Mais les Etats-Unis et leurs alliés européens s’étaient tout aussi systématiquement placés du côté d’Israël, usant de pressions de toutes sortes, avouables et non avouables, pour bloquer le vote sur ce sujet brûlant. L’argument classique avancé rituellement par les amis d’Israël est qu’un tel vote « risque d’endommager les espoirs de paix ».
Il est tout de même extraordinaire qu’en dépit des immenses capacités intellectuelles en Europe et aux Etats-Unis, en dépit des instituts de recherche financés à coups de centaines de millions de dollars, Washington et ses alliés européens tardent toujours à s’apercevoir que les espoirs de paix ont été détruits non pas par les demandes répétées d’appliquer la loi internationale à tout le monde, mais par le refus obstiné de rendre les terres arabes occupés par la force depuis 42 ans, par l’incessante construction de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, par les agressions régulières d’Israël contre ses voisins, par les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ce pays, comme l’a démontré récemment le rapport Gladstone etc. etc.
Enfin, on ne peut pas ne pas relever les contradictions de la diplomatie américaine qui se tire elle-même dans les pattes au grand bonheur d’Israël. Dire un jour que ce pays doit rejoindre le TNP et se rétracter quelques mois après est un signal fort dangereux adressé volontairement ou involontairement à Israël. Celui-ci, on peut lui faire confiance, ne manquera pas de tirer la conclusion qui s’impose : rien ne sert de céder aux pressions des Etats-Unis puisque, par expérience, ils ne sont jamais allés jusqu’au bout dans leurs exigences envers l’«allié stratégique».

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