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Wednesday, September 02, 2009

Les bizarreries de la démocratie américaine

Il n’est pas du tout aisé de comprendre le fonctionnement de la démocratie américaine ni l’attitude de la majorité des citoyens dans les moments cruciaux de l’histoire des Etats-Unis. Voici un pays qui vous déboulonne impitoyablement un président, Richard Nixon pour ne pas le nommer, parce qu’il avait eu la curiosité d’écouter ce qui se disait chez ses rivaux démocrates dans le siège de leur parti dans la tour Watergate, mais qui laisse un autre couler des jours heureux au Texas, malgré les terrifiants crimes de guerre commis en Irak, et en dépit du gaspillage éhonté des vies et des finances américaines.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi la justice américaine se montre-t-elle si vigilante et si intraitable quand elle attrape dans ses filets un pauvre bougre qui a volé une paire de chaussures par exemple dans une grande surface, mais regarde ailleurs quand il s’agit d’un président responsable de la mort de centaines de milliers d’Irakiens et de milliers de soldats américains tués dans une guerre déclenchée sur la base d’un mensonge.
On dit que les Américains ont horreur du mensonge. Richard Nixon fut forcé de démissionner moins parce qu’il espionnait les démocrates que parce qu’il avait menti en clamant pendant des mois son innocence et en défendant la thèse de la « machination » et du « complot ». S’il avait reconnu sa responsabilité dès le départ et présenté des excuses, il serait probablement allé jusqu’au bout de son second mandat.
Richard Nixon avait menti certes, mais son mensonge était si inoffensif que l’Amérique en était sortie indemne. Pas un soldat n’a été tué. Pas un dollar n’a été gaspillé. Pas la moindre atteinte à la dignité ou à la réputation ou aux intérêts vitaux du pays. Pourtant, les Etats-Unis, toutes catégories sociales confondues, étaient entrés en ébullition et ne s’étaient calmés que le jour où Nixon avait démissionné.
George W. Bush avait menti et son mensonge était dévastateur. Laissons de côté l’Irak dont le calvaire biblique, qui se poursuit jusqu’à ce jour, peut ne pas intéresser beaucoup d’Américains. Le mensonge de Bush a provoqué un désastre que les Etats-Unis ont rarement vu dans leur histoire : une armée de 130.000 hommes engluée dans les sables mouvants mésopotamiens, 5000 soldats tués, 30.000 blessés, 1000 milliards de dollars gaspillés, une réputation internationale fortement écornée. Et personne ne sait si le plan d’Obama qui consiste à retirer tous les soldats d’Irak d’ici à fin 2011 sera respecté ou non.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi, en dépit de l’ampleur de cette catastrophe, les citoyens américains n’ont pas bougé le petit doigt ni demandé le moindre compte au premier responsable de cette guerre insensée. Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi le peuple américain, qui n’avait pas toléré le mensonge futile de Richard Nixon, est aujourd’hui si indifférent vis-à-vis d’un mensonge aussi dévastateur que celui qui avait servi de prétexte à l’invasion de l’Irak au printemps de 2003.
Mais peut-être y a-t-il une explication à cette étonnante indifférence. Dans un article publié dans le New York Times du 24 août dernier et intitulé « The ultimate burden » (le fardeau ultime), le journaliste Bob Herbert écrit : « Si on avait la conscription –ou même la menace de conscription-, on ne serait probablement pas en Irak et en Afghanistan. Mais nous n’avons pas de conscription, et donc cela ne pose pas de problèmes pour la majorité des Américains d’être indifférents au déclenchement de la guerre. Ce sont les enfants des autres qui vont à la mort. »
Bob Herbert a mis le doigt sur l’essentiel. Tous ceux qui étaient en âge de suivre les événements tragiques de la guerre du Vietnam se rappellent des violentes manifestations qui étaient organisées un peu partout aux Etats-Unis. Les citoyens américains exigeaient l’arrêt de la guerre et le retour des soldats. C’est que ceux-ci n’étaient pas alors des volontaires mais des conscrits.
Dans le conscient collectif américain, les soldats qui servent en Irak et en Afghanistan, contrairement à ceux qui servaient au Vietnam, sont des volontaires. Aucune loi ne les a obligés à s’incorporer et aucun appel sous les drapeaux ne leur a été adressé. Ils sont allés vers l’armée de leur propre chef, ont signé un contrat avec elle et ont accepté ses conditions en contre partie d’un salaire. Par conséquent, ils sont responsables de tout ce qui leur arrive : mort ou blessure, folie ou suicide. C’est cet état d’esprit de l’Américain moyen qui explique cette indifférence à l’égard de la guerre d’Irak, aussi insensée et aussi absurde soit-elle. C’est ce qui explique aussi l’indifférence à l’égard des mensonges proférées pour la justifier et l’absence totale de volonté de demander des comptes aux responsables.
Mais il y a autre chose aussi. On parle déjà aux Etats-Unis du « One trillion dollar war » ( la guerre du trillion de dollars). Une somme faramineuse qui aurait sans doute fait mal au contribuable américain si Bush avait mené sa guerre d’agression en faisant payer ses concitoyens, c'est-à-dire en levant l’impôt approprié exigé par toute guerre. Le financement de la guerre d’Irak a été fait en vendant des bons de trésor aux Chinois, aux Japonais, aux pays pétroliers et à tous ceux qui ont un surplus d’argent à fructifier. En d’autres termes, Bush a fait payer les Américains qui ne sont pas encore nés, puisque ce sont eux qui rembourseront. C’est la seconde raison qui lui a permis d’échapper à l’ire des Américains et de se payer une retraite tranquille comme si de rien n’était.
En refusant de demander des comptes à George W. Bush, la démocratie américaine aura ainsi démontré qu’elle n’est pas seulement indifférente vis-à-vis de l’enfer que vivent les 25 millions d’Irakiens, mais aussi à l’égard des générations futures des Etats-Unis.

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