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Monday, September 07, 2009

Les dinosaures des temps modernes

Dans son livre fascinant « Patience dans l’azur » (1), l’astrophysicien canadien Hubert Reeves nous apprend que le soleil a déjà consommé la moitié de son carburant, c'est-à-dire qu’il ne lui reste plus que quatre ou cinq milliards d’années à vivre. Exagérément optimiste, Reeves pense sérieusement que nos lointains descendants vivront les ultimes convulsions du soleil avant sa disparition. Plus optimiste encore, notre astrophysicien pense que d’ici là, l’humanité aura les moyens techniques de ne pas succomber à cette fatalité …en transportant la planète Terre vers une autre étoile plus jeune où elle sera mise en orbite et pourra ainsi recevoir de nouveau chaleur et lumière pour quelques milliards d’années supplémentaires.
Cette belle fanfaronnade typiquement humaine, Hubert Reeves l’a peut-être conçue suite à un excès de frustration face au caractère fondamentalement éphémère de la vie. L’homme n’étant pas éternel, alors faisons en sorte que l’humanité, elle, puisse l’être. Et si l’on pousse encore plus loin et l’on considère que l’humanité, après tout, n’est qu’un seul homme qui ne cesse d’apprendre et de découvrir, en entrant de temps en temps en guerre contre lui-même, alors la question de l’éternité est résolue et notre astrophysicien peut être satisfait.
Le problème est que Hubert Reeves a conçu son plan d’éternité humaine à un moment où les questions du changement climatique et du réchauffement de la planète ne se posaient pas. Dans les années soixante et soixante dix du siècle dernier, l’humanité avait d’autres soucis et était à mille lieux de penser qu’un jour elle serait confrontée à un défi existentiel qui ferait peser sur les hommes le risque de devenir les dinosaures des temps modernes.
Aujourd’hui, l’astrophysicien canadien, qui vit toujours dans son Montréal natal, devrait être l’un de hommes les plus perplexes de la terre. Trente ans après avoir rêvé d’une humanité qui survivrait à la mort de son étoile, le voilà qui se rend à l’évidence que cette humanité si fragile est confrontée à un danger existentiel suite à un simple grondement du soleil qui fait monter les températures terrestres de quelques degrés. Et que le principal défi aujourd’hui n’est plus si l’on peut survivre à l’extinction du soleil, mais si l’on peut atteindre sans trop de dégâts l’horizon de l’an 2100 ?...
En fait, pour être plus précis, l’élévation des températures n’est pas causée par un accès de fureur de l’astre qui nous éclaire et nous réchauffe, mais par l’effet de serre résultant du rejet continue dans l’atmosphère du gaz carbonique depuis l’invention du premier moteur à explosion jusqu’à ce jour.
Les dinosaures des temps antiques n’avaient aucune responsabilité dans leur extinction. Un jour, alors qu’ils vaquaient tranquillement à leurs occupations quotidiennes, une météorite leur tomba dessus, provoquant un épais nuage de poussière qui voila le soleil pendant plusieurs années.
S’il s’avérait que nous sommes les dinosaures des temps modernes, nous serions alors les principaux responsables de notre extinction et de celles de plusieurs espèces animales et végétales. Cette possibilité n’est plus à exclure quand on sait que, de l’avis de la plupart des spécialistes, les dés sont jetés et que, même si on arrêtait aujourd’hui toute émission de gaz carbonique, le processus de réchauffement est désormais irréversible.
Les dangers qui nous guettent son multiples et variés. Ban Ki-moon, le patron de l’organisation qui regroupe toute l’humanité est allé la semaine dernière au Grand Nord où il a pu vérifier de ses propres yeux que la calotte polaire est bel et bien entamée et que le processus d’élévation des niveaux des mers est en marche. Des îles entières seront submergées et plusieurs villes côtières, dont Tokyo, Shanghai, New York ou encore la Nouvelle Orléans, seront dévastées. Plus graves sont les dangers qui pèsent sur l’agriculture, donc sur la nourriture de l’humanité. Le climat est devenu nettement plus violent qu’avant et les excès sur lesquels il semble désormais porté sont inquiétants dans la mesure où personne ne sait s’il y a une agriculture qui peut supporter à la fois inondations et sècheresses.
Les grands pays pollueurs, c'est-à-dire essentiellement ceux du Nord industrialisé, responsables en premier lieu du désastre à venir, ont d’autres inquiétudes : les migrations massives des multitudes affamées que les stratèges américains et européens considèrent comme la principale source d’insécurité des décennies à venir et à laquelle ils comptent se préparer militairement.
Au sud, il y a de grands pays pollueurs aussi (Chine, Inde, Brésil etc…). Mais ceux-ci n’ont pas entièrement tort de considérer comme une injustice leur mise à l’index au même titre que les pays du Nord qui, eux, polluent depuis des siècles. Ce genre de débats sur qui a fait quoi n’a pas trop de sens. Nous sommes tous embarqués sur le même navire. Et quand un navire prend l’eau pour cause de surcharge, il est fatal de perdre un temps précieux à conspuer ceux qui ont les bagages les plus lourds.
Tout comme les passagers d’un navire en danger n’ont d’autre choix que de confier leur sort à l’équipage, les habitants de la planète Terre n’ont d’autre choix que de confier leur sort au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le fameux GIEC qui, depuis 1988, souffle le chaud et le froid, si l’on peut dire. La prochaine grande réunion internationale sur le climat est prévue en décembre prochain à Copenhague. Elle n'aura probablement pas plus d'impact que celle de Kyoto. Que peut-on faire d’autre sinon attendre le prochain rapport du GIEC tout espérant quelques bonnes nouvelles qui relèveraient le moral en berne d’une humanité angoissée.
En attendant, le soleil, assuré désormais que jamais l’un de nos lointains descendants n’assistera à son agonie, continue imperturbablement de nous réchauffer chaque jour un peu plus que le précédent.

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(1) Le Seuil, Collection « Sciences ouvertes », Paris, 1981

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