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Friday, June 05, 2009

Le plus dur reste à faire

Le discours du président américain jeudi dernier au Caire a été l’un des discours les plus attendus et les plus suivis dans l’histoire. On attendait ce discours et on voulait l’écouter tout en étant sûr qu’il n’y aurait pas de révélations fracassantes et tout en sachant d’avance les thèmes qui seront abordés et la nouvelle position de la Maison blanche concernant chaque thème.
Des millions de téléspectateurs à travers le monde étaient attirés au moins autant par l’éloquence, le charisme et le charme de l’orateur que par le contenu du discours du 4 juin. En termes d’éloquence, nous n’étions pas déçus. L’homme a les idées claires et est doté d’une capacité exceptionnelle de les synthétiser et de les communiquer à ses auditeurs. Beaucoup de ceux qui ont suivi le discours d’Obama au Caire ont eu d’autant plus de plaisir qu’ils étaient habitués à des crampes d’estomac quand ils écoutaient son prédécesseur.
Au niveau du contenu, Barack Obama ne nous a pas surpris. Il avait déjà tendu sa main aux musulmans bien avant son discours à l’université du Caire. Il a déjà parlé à maintes reprises de son respect pour l’islam et les musulmans et de sa disposition à engager un nouveau départ avec eux où la confrontation cèderait la place à la coopération. Tout ce qu’il a dit sur le conflit israélo-arabe, sur les deux Etats, sur la nécessité de l’arrêt total de la colonisation, sur l’Iran, sur son désir de voir la région dépourvue d’armes nucléaires, sans toutefois évoquer explicitement celles que possède Israël, tous ces sujets donc, Obama avait eu, au cours des quatre mois et demi de sa présidence, l’occasion d’en parler à plusieurs reprises.
La nouveauté est donc moins dans les idées contenues dans le discours que dans le cadre solennel dans lequel il les a directement exprimées aux centaines de millions d’Arabes et de musulmans. Par sa bonne foi évidente qui tranche avec la mauvaise foi de son prédécesseur, par sa vaste culture et sa connaissance substantielle de l’islam qui tranchent avec la pitoyable ignorance de son prédécesseur, par son évidente impartialité dans le dossier israélo-palestinien qui tranche avec la partialité de son prédécesseur, par son analyse rationnelle des questions irakienne et afghane qui tranche avec les fanfaronnades désastreuses de son prédécesseur, Barack Obama a incontestablement réussi à donner une autre image de l’Amérique, une image positive.
A aucun moment le président américain n’a parlé de guerre globale contre le terrorisme, ni même de terrorisme tout court, mettant l’accent sur des thèmes que l’Amérique avait mis en veilleuse pendant huit ans : paix, coopération, complémentarité, entraide, tolérance etc. Et à ce niveau, Obama, contrairement à George W. Bush, s’est révélé être l’ennemi mortel des terroristes d’Al Qaida. Il les a privés de l’arrogance et des discours bellicistes qui leur servaient de carburant à leur activisme destructeur et que Bush leur fournissait généreusement. Obama s’est révélé être leur ennemi mortel parce qu’il est allé, sans doute volontairement et consciemment, aux sources d’Al Qaida, non pas pour les renflouer, comme le faisait son prédécesseur, mais pour les assécher.
Mais Obama a frappé aussi du côté des néoconservateurs américains. Les mêmes thèmes qui servent à assécher les sources des terroristes d’Al Qaida, servent également à assécher les sources des partisans du clash des civilisations et autres idéologues du « Nouveau Siècle Américain » pour qui tous les problèmes de la planète, aussi variés soient-ils, n’ont qu’une seule solution : la solution militaire.
Obama est un homme brillant qui a le sens des symboles. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi la date du 4 juin pour aller au Moyen-Orient prononcer son discours de paix et de réconciliation. C’est un clin d’œil adressé aux peuples de la région, et surtout aux Israéliens. Un clin d’œil qui veut dire que seule la géographie du 4 juin 1967 est de nature à ramener la paix au Moyen-Orient. Le gouvernement israélien ne peut pas ne pas comprendre un tel symbolisme, et il a dû d’autant moins apprécier qu’Obama n’a même pas prévu une toute petite escale à Israël qui se trouve à un jet de pierre du Caire.
Obama est un homme suffisamment intelligent pour comprendre que tous les problèmes de la région gravitent autour d’un problème central : le conflit israélo-arabe. Il est suffisamment intelligent pour comprendre que ce problème ne relève plus de la politique étrangère de Washington, mais de sa politique intérieure pour une raison très simple : la sécurité des Etats-Unis dépend dans une large mesure de la résolution de la question palestinienne.
Le gouvernement israélien a senti le « danger » venir et a souhaité même, si l’on en croit le journal « Haaretz », que la crise économique et financière détournerait l’attention d’Obama et l’empêcherait de s’occuper du Moyen-Orient. On comprend la déception israélienne face à la détermination affichée par le président américain. Si l’on en croit le même journal qui cite « des sources arabes », Obama s’est fixé une échéance pour venir à bout du problème israélo-palestinien : novembre 2010, c'est-à-dire deux ans avant la prochaine élection américaine. C’est une échéance qui demande beaucoup d’optimisme, compte tenu de la grande complexité du problème.
Quand les israéliens paniquent, c’est un bon signe. Signe qu’il y a un changement substantiel dans la politique moyen-orientale de Washington. Des Israéliens commencent même à organiser des manifestations anti-américaines, du jamais vu de mémoire d’homme. Mercredi, jour d’arrivée du président américain à Ryadh, des colons israéliens ont bruyamment manifesté devant le consulat américain à Jérusalem, conspuant Obama et arborant des pancartes sur lesquelles on lit « Obama, no you can’t » (Obama, non vous ne pouvez pas). Sous entendu, « vous ne pouvez nous forcer à évacuer les colonies et à faire la paix ». Il devrait leur répondre : « Yes, I can » (Oui, je peux), en le prouvant sur le terrain. Autrement, le beau discours du Caire rejoindrait dans les archives les innombrables discours sur la justice au Moyen-Orient restés lettre morte. On sait que la tâche est gigantesque, on sait que le plus dur reste à faire, mais on sait aussi qu’Obama est le genre d’homme à se battre pour ses idées. Il a déjà, à force de détermination et de persévérance, réussi le miracle de devenir le premier président noir américain. Réussira-t-il un second miracle, celui de la paix au Proche-Orient ?

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