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Monday, June 22, 2009

Iran: de la fracture au schisme

La fissure est évidente aujourd’hui en Iran. Ceux qui défient le pouvoir à Téhéran ne sont pas des ennemis traditionnels de la république islamique, ni des nostalgiques du règne des Pahlavi, ni encore des « terroristes » du mouvement Moujahidine Khalq, mais des fils de la révolution ayant joué un rôle majeur dans le renversement du régime du Chah en 1979. Parmi les plus connus, il y a Mir Hussein Moussaoui, Premier ministre pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), l’ayatollah Montazeri, favori pour succéder à l’imam Khomeiny mais avait perdu face à l’ayatollah Khamenei, Hachemi Rafsanjani, président de la puissante assemblée des experts, Mehdi Karroubi, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2005 remporté par Ahmadinejad etc…
En fait la contestation à l’intérieur de l’establishment politico-religieux iranien ne date pas d’aujourd’hui. Déjà lors de l’élection de 2005 remportée par Mahmoud Ahmadinejad au second tour, le candidat Karroubi s’était plaint qu’ « réseau de mosquées, de pasdaran et de basij avait mobilisé illégalement le soutien à Ahmadinejad. Karroubi était même allé jusqu’à accuser Mojtaba Khamenei (le fils de guide) de faire partie des « conspirateurs », ce qui lui avait valu les remontrances du guide suprême et le soutien de Hachemi Rafsanjani.
Déjà en 2005, la ligne de fracture était claire entre les réformateurs et les conservateurs, entre ceux qui voulaient sortir l’Iran de son isolement international et ceux qui se méfiaient de toute ouverture sur l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier. Aujourd’hui, cette fracture a les propriétés de ce qu’on peut appeler un véritable schisme au sein de l’establishment puisque la bataille s’est déplacée dans la rue et, compte tenu des centaines de victimes (entre morts et blessés), la rupture semble consommée.
Les plus optimistes en Iran ont imaginé que le guide Khamenei, dans le discours qu’il avait prononcé vendredi dernier, trouverait les mots magiques qui réconcilieraient tout le monde et rétabliraient la paix civile qui régnait en Iran depuis trente ans. Mais le discours était clair, net et précis. Le guide s’est aligné sur Ahmadinejad qui, a-t-il insisté, a remporté les élections avec plus de 63% des voix, qu’il est le président que le peuple a choisi, que les troubles doivent cesser immédiatement et que ceux qui continueront à appeler les gens à descendre dans la rue assumeront les conséquences du sang versé et du chaos.
Le suspense n’a pas duré longtemps. Moins de vingt quatre heures après le discours de Khamenei, et en dépit de la stricte interdiction des rassemblements publics, des milliers de manifestants ont défilé dans le circuit traditionnel des manifestations à Téhéran, de la place Enguelab (Révolution en persan) à la place Azadi (Liberté). Le clash avec les forces de l’ordre était inévitable et, encore une fois, des dizaines de victimes sont tombées. Pour la seule journée de samedi, on parle d’une dizaine de morts et d’une centaine de blessés.
Le bras de fer qui s’est engagé entre les compagnons d’armes iraniens n’a rien d’étonnant. Toutes les révolutions sans exception ont abouti à des fractures irréversibles entre ceux qui ont œuvré main dans la main au succès du changement de régime. Aucune révolution n’a échappé à cette règle, et si l’on doit s’étonner de quelque chose, c’est plutôt du fait que le consensus ait duré, du moins en apparence, pendant pratiquement trois décennies avant que le schisme n’éclate au grand jour.
Ce bras de fer tourne autour de deux convictions contradictoires, celle du pouvoir qui estime que l’élection présidentielle a été régulière et que le nombre de 24 millions d’électeurs ayant voté pour Ahmadinejad est indiscutable, et celle de l’opposition qui refuse cette élection « trafiquée ». Mais au-delà de l’élection et indépendamment du fait qu’elle soit trafiquée ou non, la réalité est que la société iranienne n’est plus soudée comme avant contre les « dangers extérieurs ». La dynamique qui la traverse aujourd’hui la rend transparente, et le monde entier peut voir cette ligne de démarcation qui partage les deux camps qui s’affrontent et dont l’un estime que le danger pour le pays provient de l’extérieur, et l’autre considère que ce danger provient plutôt de l’intérieur, c'est-à-dire de la rigidité du pouvoir, de sa propension aux discours « inutilement provocateurs » et de sa pratique politique qui fait toujours de l’Iran un pays « paria » aux yeux des puissances influentes dans le monde.
Les forts soupçons qui pèsent sur les résultats de l’élection présidentielle de juin 2009 ont brusquement mis au devant de la scène la nouvelle réalité de l’Iran divisé entre une opposition de plus en plus hardie qui pousse de toutes ses forces vers le changement, et un pouvoir de plus en plus crispé qui utilise ses forces policières et militaires pour maintenir les choses dans un état statique.
En dépit de certaines similitudes avec les événements de 1978-79 qui avaient emporté la dictature du Chah (manifestations violentes, incendies de bâtiments publics, manifestants de nuit sur les toits criant ‘Mort au dictateur’ et ‘Allahou Akbar’ ), il ne faut pas croire que le régime des mollahs est prêt de s’effondrer. Suite à ces événements, il a sans doute perdu en crédibilité et en légitimité aux yeux de millions d’Iraniens, mais les structures qui le défendent (police, armée, basij, gardiens de la révolution) sont encore assez solides et assez homogènes pour relever le défi posé par le développement de la contestation réformiste.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr que les commentaires des responsables occidentaux (Barack Obama et Angela Merkel en tête) soient de nature à aider les contestataires dans leur lutte ou à convaincre le pouvoir iranien de s’ouvrir à la négociation sur le double plan intérieur et international. Au contraire, ces commentaires, considérées comme une « ingérence intolérable » par Téhéran, versent de l’eau au moulin des conservateurs qui accusent les réformateurs d’être « à la solde des ennemis de l’Iran ». M. Obama et Mme Merkel sont sûrement soumis à des pressions politiques internes qui les poussent à prendre position en faveur des manifestants. Ils ont pourtant un argument de poids pour justifier la non ingérence : éviter d’occasionner une gêne aux chefs des réformateurs par un soutien plutôt embarrassant et qui risque de leur causer plus de dommages que de bénéfices, et ne pas donner des raisons supplémentaires au pouvoir iranien de se raidir encore plus.

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