airelibre

Saturday, June 13, 2009

La réélection d'Ahmadinejad et le contentieux USA-Iran

L’élection présidentielle iranienne a, pour la première fois depuis la révolution islamique de 1979, mobilisé massivement les électeurs et suscité plus d’intérêt que d’habitude à l’étranger, en particulier dans les pays occidentaux. Il est vrai que les débats entre les candidats conservateur et réformiste, Mahmoud Ahmadinejad et Mir Hussein Moussaoui ont été passionnés, parfois excessifs au point que le président candidat, furieux d’avoir été accusé de mensonges, a lui-même versé dans l’excès en menaçant carrément de prison ses rivaux. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter les deux tiers des voix des Iraniens.
Ahmadinejad a donc été reconduit pour un nouveau mandat. Cela démontre l’aspect encore foncièrement conservateur de l’Iran. Mais supposons que c’est son rival Moussaoui qui a remporté le scrutin présidentiel, les choses changeront-elles fondamentalement ? Il est permis d’en douter. Avant Ahmadinejad, les Iraniens avaient bien élu un président réformateur en la personne de Mohamed Khatami. Il avait eu très peu d’influence et ce qu’il préconisait était systématiquement contré par les politiciens conservateurs qui bénéficiaient du soutien tacite ou ouvert du guide Ali Khamenei.
Le système politique iranien est particulier. Il repose sur un pilier fondamental : le principe du Wilayet el Faqih, l’un de principes clés de l’islam chiite selon lequel le clergé chiite a la primauté sur le pouvoir politique, c'est-à-dire que celui-ci doit nécessairement être soumis à celui-là. Plus concrètement, depuis 1979 jusqu’à ce jour, il n’y a eu que deux véritables détenteurs du pouvoir en Iran : Khomeiny et, après sa mort, son successeur Khamnei.
Beaucoup aujourd’hui en Occident, et principalement aux Etats-Unis, se lamentent sur la défaite de la laïcité en Iran et, en désespoir de cause, en viennent à souhaiter l’élection à la présidence du candidat le plus ouvert, tout en feignant d’ignorer que, conservateur ou réformateur, le président élu ne pourra imposer aucune décision si elle n’a pas l’aval du guide suprême, c'est-à-dire du Wali el-Faqih.
S’il avait été laissé tranquille par les puissances étrangères, le peuple iranien n’aurait probablement jamais eu l’idée de répudier la laïcité et d’imposer par le bais d’un mouvement violent un régime basé sur la confusion entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Par conséquent, on peut dire sans risque d’erreur que les graines de la défaite de la laïcité et de la démocratie en Iran ont été semées par le président Eisenhower lui-même qui avait décidé en 1953 de renverser par la force le régime démocratiquement élu du Premier ministre iranien Mohamed Mosaddeq.
Maintenant on sait que la CIA avait envoyé secrètement en Iran son agent Kermit Roosevelt (le petit fils du président Theodore Roosevelt) avec l’argent et la carte blanche nécessaires à l’instigation du complot. Il avait été généreux avec les militaires soudoyés pour mener le coup, avec les journaux achetés pour publier des mensonges, avec les mercenaires payés pour fomenter les troubles insurrectionnels. En un mot, le petit fils du président Roosevelt avait mené à bien l’ordre donné à la CIA par le président Eisenhower qui croyait ainsi servir les intérêts américains.
Cette décision d’Eisenhower allait s’avérer être l’une des décisions les plus désastreuses pour les intérêts américains. Peut-être pas aussi désastreuse que celle de George Bush quand il a tourné le dos à l’Afghanistan pour aller guerroyer en Irak, mais suffisamment grave pour altérer sérieusement ces intérêts dans le long terme au Golfe et au Moyen-Orient. La décision d’Eisenhower est pour beaucoup dans la perte totale de crédibilité du credo américain selon lequel « les Etats-Unis ont été choisi par le destin pour apporter au monde la liberté, la démocratie et la prospérité ».
Dans son discours au Caire, le président Obama a surpris plus d’un en se référant à ces événements et en reconnaissant la responsabilité des Etats-Unis en ces termes : « Pendant de nombreuses années, l'Iran s'est défini en partie par son opposition à mon pays et il existe en effet un passé tumultueux entre nos deux pays. En pleine Guerre froide, les États-Unis ont joué un rôle dans le renversement d'un gouvernement iranien démocratiquement élu. Depuis la révolution islamique, l'Iran a joué un rôle dans la prise d'otages et dans des actes de violence à l'encontre des troupes et des civils américains. Cette histoire est bien connue. »
Cette histoire est bien connue certes, mais chacun des deux protagonistes, les Etats-Unis et l’Iran, la connaît à sa manière et en fonction de ce qu’il a subi de l’autre et non en fonction de ce qui lui a fait subir.
Les Américains ne voient leurs relations avec l’Iran qu’à travers la prise d’otages des diplomates américains pendant 444 jours, la rhétorique anti-américaine et anti-israélienne des dirigeants iraniens, l’aide apportée par l’Iran aux mouvements que Washington considère comme « terroristes ». Quant aux Iraniens, ils se considèrent comme les victimes de la politique impériale américaine et appréhendent leurs relations avec les Américains à travers le coup d’état de 1953, l’aide politique et militaire apportée par Washington à l’Irak durant sa guerre avec la république islamique (1980-1988), ou encore à travers les menaces de changement de régime par la force proférées de temps à autre, notamment par le régime de George W. Bush.
Maintenant Ahmadinejad est réélu triomphalement par les Iraniens en dépit, ou peut-être à cause, de ses diatribes anti-américaines et anti-israéliennes. Mais, comme on l’a analysé plus haut, l’issue de l’élection présidentielle en Iran a très peu d’influence sur la résolution du contentieux qui oppose Washington à Téhéran. Celui-ci est si lourd et si complexe que sa résolution nécessite un changement radical d’attitude, peut-être même une révolution dans les mentalités des deux protagonistes. La logique veut que pour parcourir la longue distance qui les sépare, Américains et Iraniens doivent commencer par un pas. Pour les Iraniens, ce pas consisterait à arrêter de chanter à tout bout de champ « Mort à l’Amérique ». Pour les Américains, il consisterait à s’abstenir de pointer du doigt vers Téhéran chaque fois qu’ils entendent prononcer le mot terrorisme.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home